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FEUILLE FÉDÉRALE 105e année

Berne, le 5 novembre 1953

Volume III

Paraît, en règle générale, chaque semaine. Prix 30 francs par an; 16 francs pour six mois, plus la taxe postale d'abonnement ou de remboursement Avis: 50 centimes la ligne ou son espace; doivent être adressés franco à l'imprimerie des Hoirs O.-J. Wyss, société anonyme, à Berne

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MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale à l'appui d'un projet d'arrêté fédéral concernant une aide financière au canton des Grisons et au chemin de fer rhétique (Du 23 octobre 1953) Monsieur le Président et Messieurs, Plusieurs fois, ces dernières années, il a été question dans vos débats d'une aide de la Confédération au canton des Grisons et au chemin de fer rhétique. Nous faisons allusion notamment aux interpellations Grimm et Mohr au Conseil national et Vieli au Conseil des Etats, dans la session de décembre 1948. Par un postulat du 30 septembre 1952 (postulat Trüb), le Conseil national invita le Conseil fédéral à examiner s'il ne conviendrait pas de soumettre aux chambres un projet d'arrêté instituant une compensation tarifaire entre les chemins de fer fédéraux et le chemin de fer rhétique.

Nous avons examiné ces initiatives parlementaires avec la plus grande attention et avons l'honneur de vous soumettre, avec le présent message, le projet d'arrêté fédéral concernant une aide financière de la Confédération au canton des Grisons et au chemin de fer rhétique.

I. GÉNÉRALITÉS Ce n'est pas la première fois dans l'histoire de notre pays que l'Etat fédéral doit tendre une main secourable à un Etat fédéré qui, malgré tous ses efforts, n'est plus en mesure de supporter lui-même les charges financières qui s'opposent à son développement. Le régime des subventions, si particulier à notre pays, découle en bonne partie de l'application du principe que la force de la Confédération réside dans celle des Etats membres.

Il ne découle pas moins du principe, éminemment moral, que le fort doit Feuille fédérale.106e« année. Vol. in.

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secourir le faible et lui aider à porter sa charge. Les conditions d'existence diffèrent fondamentalement d'une région de la Suisse à l'autre. C'est ainsi que nos confédérés grisons soutiennent leur lutte pour la vie dans des conditions beaucoup plus difficiles que ceux d'autres cantons. Nous avons précisément cherché, ces dernières années, à tenir mieux compte des particularités géographiques et économiques des différents cantons en adaptant les subsides de la Confédération à leurs ressources financières. Le projet de réforme constitutionnelle des finances fédérales proposé en 1948 et approuvé ensuite par les deux chambres appuyait les efforts entrepris à cette fin par une péréquation financière directe et complémentaire. Le succès de ces efforts est manifeste puisqu'il fut possible, par une solidarité intercantonale réjouissante, d'atténuer les soucis financiers des cantons les plus mal partagés, notamment de celui des Grisons.

II. LES REVENDICATIONS FERROVIAIRES GRISONNES Plus encore que les autres cantons économiquement faibles, le canton des Grisons se trouve aux prises avec de graves difficultés dans le domaine ferroviaire, parce qu'il est à peine touché par le réseau des chemins de fer fédéraux. En raison de son étendue et de la structure géographique de son territoire, il fat contraint, bien plus que d'autres cantons suisses, de construire lui-même un réseau ferroviaire de quelque 400 km et de laisser jusqu'ici une société anonyme en assurer l'exploitation.

Le caractère particulier de ce réseau et la charge financière qu'il imposait au canton incitèrent celui-ci et le chemin de fer rhétique à renouveler sans cesse leurs appels à la Confédération pour obtenir un régime plus conforme à leurs intérêts. Nous rappelons à cet égard les requêtes suivantes du Petit conseil.

Requête du 31 octobre 1930. La Confédération était invitée à prendre en charge la totalité des prêts accordés par le canton au chemin de fer rhétique, ou tout au moins dans une proportion identique à celle des participations de la Confédération et du canton au capital-actions.

Requête, du 11 mai 1933. La Confédération était invitée à se charger, contre constitution d'une d'hypothèque subséquente à intérêt variable, d'une part d'au moins 40 millions de francs sur les 93 minions consacrés par le canton à ses chemins de fer. Pour
réaliser l'opération, on proposait que la Confédération assurât, en lieu et place du canton, le service des intérêts d'une part correspondante du capital-obligations emprunté par le canton pour ses chemins de fer. A l'échéance des emprunts cantonaux considérés, la Confédération devait se substituer au canton. La requête demandait en outre que l'intérêt du prêt d'électrification accordé par la Confédération au chemin de fer rhétique fût fixé à 4 pour cent net pour le reste de sa durée.

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Requête, du 31 janvier 1941. Pour faire suite à l'assainissement des quatre chemins de fer privés grisons (chemin de fer rhétique, Coire--Arosa, Bernina et Bellinzone--Mesocco), on réclamait la nationalisation du réseau grison à voie étroite, l'économie et les finances cantonales ne pouvant continuer à supporter des charges ferroviaires exceptionnellement élevées.

Requête du 27 juin 1942. Les autorités grisonnes demandaient qu'à partir du 1er janvier 1943, c'est-à-dire du moment où les surtaxes étaient supprimées sur toutes les lignes des chemins de fer fédéraux et le manque à gagner subi par ceux-ci était mis à la charge de la Confédération, un subside annuel de 4,5 millions de francs permît de supprimer également les surtaxes de montagne sur les chemins de fer grisons.

Keyuête du, 13 juillet 1943. Cette requête contenait différents voeux relatifs à la convention d'assainissement à conclure en vertu de la loi de 1939 sur l'aide aux chemins de fer privés. Elle insistait de nouveau sur le fait que l'économie grisonne ne pourrait pas se relever aussi longtemps que les taxes ferroviaires ne seraient pas adaptées à celles des chemins de fer fédéraux.

Requête du 29 décembre 1944. La prise en charge du réseau rhétïque par les chemins de fer fédéraux ne pouvant se faire que sur la base d'une loi fédérale, soumise au referendum, il faudrait, était-il dit, qu'auparavant la Confédération prît un arrêté spécial opérant une compensation tarifaire et couvrant le manque à gagner qui en résulterait. De plus, le Petit conseil grison demandait que la Confédération participât par moitié avec le canton aux prêts en Ier et en IIe rang; en outre, la moitié au moins du capital-actions de priorité de 20 millions de francs en possession du canton devait, au préalable, être transformée en un prêt de IIe rang à intérêt variable.

Requête du 23 avril 1945. La revendication principale vise de nouveau à la reprise du chemin de fer rhétique par la Confédération et à l'incorporation de ses lignes dans le réseau des chemins de fer fédéraux. Comme mesure transitoire, la requête demande que, le 1er janvier 1946 au plus tard, les taxes du chemin de fer rhétique soient abaissées au niveau de celles des chemins de fer fédéraux et que les manques à gagner qui en résulteraient soient supportés par la Confédération; qu'enfin, 10 des
21 millions de francs d'actions privilégiées encore en possession du canton soient transformés en un prêt à intérêt variable et qu'à l'instar de ce qu'elle a fait pour le chemin de fer du Lötschberg, la Confédération se charge de la moitié du solde sur les prêts accordés par le canton des Grisons au chemin de fer rhétique.

Requête du 4 avril 1946. Le Petit conseil constate d'emblée que le canton maintiendra sa revendication concernant la reprise du chemin de fer rhétique par la Confédération jusqu'à ce qu'il obtienne satisfaction.

Il propose comme mesure transitoire la réduction des tarifs du chemin de

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fer rhétique à 150 pour cent du tarif des chemins de fer fédéraux, avec prise en charge du manque à gagner par la Confédération. D'après les calculs des organes ferroviaires, ce manque à gagner s'élèverait à environ 4 millions de francs par an. Le canton se déclare prêt à limiter à 2,5 millions de francs le montant garanti par la Confédération et à se charger du reliquat.

Il réitère en outre sa demande visant à transformer 10 millions de francs d'actions de priorité en un prêt de IIe rang à intérêt variable et à mettre à la charge de la Confédération la moitié des prêts en Ier et IIe rang, soit un montant de 26,5 millions de francs, solution adoptée pour le chemin de fer du Lötschberg.

Requête, du 30 juillet 1948. Le rachat du chemin de fer rhétique y est présenté pour l'économie et les finances du canton des Grisons comme une nécessité impérieuse et urgente.

A toutes ces requêtes du Petit conseil des Grisons s'en aj outent encore une série d'autres présentées par le chemin de fer rhétique; nous nous bornerons à mentionner celle du 16 mars 1950, qui fut rédigée et présentée au Conseil fédéral à la demande des principaux chemins de fer privés par les directions du réseau rhétique et de la compagnie des Alpes bernoises Berne--Lötschberg--Simplon. Cette requête demandait avant tout que, le principe de l'incorporation de nouveaux chemins de fer privés dans le réseau fédéral étant une nécessité reconnue, cette question soit résolue en même temps que celle de l'adaptation des tarifs des compagnies privées aux tarifs des chemins de fer fédéraux et que les demandes d'aide immédiate qui seraient formulées par certaines entreprises soient examinées avec bienveillance.

III. LE RAPPORT DE LA COMMISSION FÉDÉRALE D'EXPERTS CHARGÉE DES QUESTIONS TOUCHANT LE RACHAT DES CHEMINS DE FER Comme il fallait s'y attendre, les revendications du canton des Grisons et du chemin de fer rhétique déclenchèrent toute une série de requêtes analogues d'autres cantons et administrations ferroviaires demandant également le rachat ou une aide financière propre à les décharger de leurs soucis dans le même domaine ; au cas d'une aide au chemin de fer rhétique pour réduire les taxes, ces cantons et administrations exigeaient une mesure identique en leur faveur. De cette façon, le problème acquit une portée politique et financière qui obligeait dès lors à examiner à fond les problèmes complexes issus de notre conception federaliste de l'Etat et de l'organisation particulière qui en découle pour les transports publics. Pour compléter les recherches entreprises par nos départements, nous avons institué, le 19 décembre 1949, une commission spéciale d'experts chargée d'examiner les deux questions suivantes:

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a. Rachat éventuel de nouveaux chemins de fer privés par la Confédération ; b. Adaptation éventuelle des tarifs des chemins de fer desservant des régions de montagne à ceux des chemins de fer fédéraux.

Le chef du département des postes et des chemins de fer, c'était alors M. le conseiller fédéral E. Celio, demanda à la commission, lors de sa première séance plénière du 6 février 1950, de hien vouloir se prononcer aussi sur les questions suivantes: 1. L'aspect d.u problème sous l'angle de la politique générale de l'Etat; 2, Les avantages et les inconvénients, du point de vue de la politique des transports ; 3, La portée financière de l'opération; 4. L'unification tarifaire et l'adaptation des taxes à celles des chemins de fer fédéraux; 5, La désignation des entreprises entrant éventuellement en ligne de compte ; 6. D'autres mesures peuvent-elles être envisagées en lieu et place d'un rachat et lesquelles ?

Dans son rapport du 10 mai 1952, la commission affirma sa conviction que, du point de vue de l'économie des transports et de la politique générale de l'Etat, les avantages d'une nouvelle opération de rachat dépasseraient les inconvénients; que, contrairement aux motifs valables lors du premier rachat, ce sont aujourd'hui des raisons d'équité envers les différentes régions du pays et l'idée d'une compensation des charges ferroviaires, c'est-à-dire des considérations de politique générale, qui sont déterminantes ; que tel est notamment le cas pour le canton des Grisons et son chemin de fer rhétique. La commission d'experts recommanda donc le principe d'une nouvelle opération de rachat et rangea le chemin de fer rhétique, avec ceux du Lotschberg et de Berne--Neuchâtel, dans le premier, et le plus important groupe d'entreprises à retenir pour un rachat.

Le second groupe concernait les compagnies suivantes BT Chemin de fer lac de Constance---Toggenbourg SOB » » » du Sud-Est EBT » » » Emmental--Berthoud--Thoune SMB » » » Soleure--Moutier SEZ » » » du Simmental (Spiez--Erlenbach---Zweisimmen) MOB » » » Montreux--Oberland bernois

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Le troisième groupe d'entreprises à considérer pour un rachat comprenait les compagnies suivantes: GFM Chemin de fer Bulle--Romont » » » Fribourg--Morat--Anet » » » Palézieux--Châtel-St-Denis--Bulle--Montbovon GBS » » » Gürbetal--Berne--Schwarzenbourg VHB Chemins de fer de Huttwil réunis MThB Chemin de fer Central thurgovien FO » » » Furka--Oberalp SchB » » » des Schoellenen Dans l'idée de la commission d'experts, cette répartition en trois groupes ne devait pas servir à déterminer l'ordre de succession pour une nouvelle étape de nationalisation; elle devait exprimer simplement l'importance relative pour la Confédération des différentes entreprises à racheter.

Comme base pour le calcul du pris de rachat, la commission d'experts proposa la valeur commerciale des entreprises, fondée sur le rendement escompté par l'acquéreur, compte tenu de tous les avantages et désavantages qui résulteront pour lui de l'opération.

Se fondant sur les valeurs de rendement des années 1949 et 1950 et par conséquent sur le haut niveau tarifaire actuel, la commission d'experts aboutit, pour le chemin de fer rhétique, à une valeur théorique de rachat de moins 28,5 millions de francs (les installations étant portées au bilan pour 79 millions). Cette valeur de rachat était qualifiée de «théorique» parce qu'elle ne tenait encore aucun compte des avantages et des désavantages résultant de la nationalisation pour l'acquéreur et que le montant négatif constituait une information plutôt qu'il n'indiquait la voie d'une solution.

En conclusion, la commission relevait que la valeur de rendement ne représentait qu'une base d'appréciation de l'indemnité équitable, mais qu'elle n'en était pas moins instructive pour les chemins de fer fédéraux, lesquels n'auraient finalement à verser, d'après l'article 19 de la loi qui les régit, que la valeur commerciale, compte tenu des avantages et des désavantages de l'opération; qu'en définitive il appartiendrait aux autorités politiques de fixer « l'indemnité équitable » après avoir dûment pesé les considérations de politique générale.

En ce qui concerne les requêtes tendant à une réduction des taxes, la commission constate qu'étant donnée la suppression complète par les chemins de fer fédéraux des suppléments de distance à partir du 1er janvier 1943, il est compréhensible que les chemins de
fer privés ou plutôt les régions desservies par eux escomptent du rachat de ces lignes un abaissement massif de leur niveau tarifaire. D'autres entreprises qui ne tiennent pas à être « rachetées » aimeraient tout au moins profiter d'une réduction

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des taxes opérée à la charge de la Confédération. Les suppléments de distance d'une série de chemins de fer privés retenus pour un rachat éventuel s'établissent entre 14 et 83 pour cent alors qu'ils sont de 122 pour cent pour le chemin de fer rhétique. L'adaptation aux tarifs des chemins de fer fédéraux entraînerait pour le chemin de fer rhétique seul un manque à gagner annuel estimé à 11,7 millions de francs par M. W. Fischer, directeur d'arrondissement des chemins de fer fédéraux, dans une étude parue dans les Annales suisses d'économie, des transports. Pour les 15 entreprises comprises dans le programme de rachat, il faudrait s'attendre à un manque à gagner de 30 millions de francs. Il en résulte que même une adaptation partielle du niveau tarifaire de ces compagnies à celui des chemins de fer fédéraux soulève des problèmes d'une portée financière considérable. Une compensation tarifaire par relèvement du niveau général des taxes des chemins de fer fédéraux semble devoir être exclue parce qu'elle ne ferait qu'accroître la concurrence déjà trop forte des autres moyens de transport.

La seule solution praticable serait dès lors de réduire les taxes aux frais de la Confédération, ce qui pourrait se faire en augmentant dans une mesure correspondante le capital de dotation des chemins de fer fédéraux, comme ce fut le cas, pour 40 millions de francs, en 1943, lors de la suppression des suppléments de distance. Cette mesure ne résoudrait toutefois pas le problème tarifaire à l'égard des chemins de fer non englobés dans l'opération de rachat et il faudrait s'attendre que ces compagnies fassent valoir leurs droits à une contribution pour compenser une réduction des taxes, car une aide à certaines entreprises seulement aurait pour effet de modifier les conditions de concurrence entre les diverses régions touristiques. La commission rappela enfin que les tarifs élevés étaient dus surtout aux frais considérables pour l'établissement des voies ferrées en montagne; que la compensation des frais de transport des biens d'usage courant avait permis de réduire déjà le prix de ces marchandises pour la population résidant dans ces régions, alors qu'en trafic-voyageurs l'octroi de billets d'indigènes atténuait les injustices les plus criantes.

Pour tenir compte de la situation précaire de certaines compagnies et
des communautés intéressées, la commission a cru devoir envisager différentes mesures transitoires en attendant que la nouvelle opération de rachat préconisée par elle fût menée à bonne fin. Ce faisant, elle pensait surtout au chemin de fer rhétique et au canton des Grisons, tant il est vrai qu'aucune autre région ne souffre pareillement sous le poids de ses charges ferroviaires. A vrai dire, le chemin de fer rhétique, n'est pas seul à avoir des soucis financiers et le niveau tarifaire de cette compagnie n'est nullement exceptionnel. Le « cas spécial des Grisons » réside cependant dans l'affirmation, non dépourvue de fondement, que l'absence d'intérêts sur sa participation au chemin de fer rhétique devient insupportable à la longue. Vu ces considérations, la commission a proposé au Conseil fédéral de mettre à la disposition du canton des Grisons, à titre de mesure transitoire,

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un montant d'environ 43 millions de francs contre remise de ses créances de même montant, garanties par hypothèques, sur le chemin de fer rhétique.

Pour l'essentiel, le canton ne serait plus intéressé dès lors à cette compagnie que par ses 23,6 millions de francs d'actions, ce qui ne paraît pas exagéré, cette solution étant purement transitoire, IV. NOTRE ATTITUDE A L'ÉGARD DU RAPPORT DES EXPERTS CHARGÉS DES QUESTIONS TOUCHANT LE RACHAT DES CHEMINS DE FER Le rapport de la commission fédérale d'experts est, à bien des égards, extrêmement précieux. Ce document cristallise parfaitement certains des problèmes qui se posent au Conseil fédéral et aux chambres, ainsi que, par voie de conséquence, aux gouvernements et parlements cantonaux, aux partis politiques et aux associations économiques; il propose des solutions qui contribueraient à instaurer un régime judicieux dans le domaine des transports. C'est ainsi que nous voyons, nous aussi, les avantages non négligeables qu'il y aurait, du point de vue de la politique, et de l'économie des transports, à étendre et à arrondir le réseau des chemins de fer fédéraux. Nous pensons en premier lieu aux lignes de la compagnie du Lötschberg, y compris celle de Moutier à Longeau, qui sont raccordées au réseau dea chemins de fer fédéraux dans pas moins de cinq gares communes. Suivent, à une certaine distance, les lignes Berne--Neuchâtel, Emmental--Berthoud--Thoune, Bodensee--Toggenbourg et du Sud-Est.

Un regard jeté sur la carte ferroviaire de la Suisse montre que ces lignes à voie normale complètent effectivement le réseau des chemins de fer fédéraux. Leur incorporation dans ce réseau procurerait des avantages indéniables, eu égard à la politique nationale des transports, à un régime rationnel de l'exploitation, à la réunion possible des ateliers de réparation et à la simplification des décomptes du trafic. En revanche, les dix autres entreprises retenues par la commission ne présentent pas un intérêt aussi manifeste pour les chemins de fer fédéraux ni pour la politique nationale en matière de transports. Elles ont été plus ou moins entraînées dans le mouvement ou bien englobées dans le programme de rachat par le souci d'arrondir le réseau des chemins de fer fédéraux. C'est dans cette catégorie qu'il faut ranger le chemin de fer rhétique qui forme un réseau à voie
étroite bien délimité, auquel il y aurait lieu sans doute de concéder une certaine indépendance au cas où il viendrait à être absorbé dans le réseau national.

Aux avantages qui viennent d'être mentionnés, il faut cependant opposer une série d'inconvénients non négligeables. D'une part, la prise en charge de nouvelles lignes par les chemins de fer fédéraux n'est pas une solution propre à résoudre le problème des chemins de fer privés en Suisse

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et ne ferait que délivrer les cantons de leurs soucis ferroviaires pour en charger la Confédération. Les régions bénéficiaires ne manqueraient pas de faire valoir des exigences accrues à l'égard des chemins de fer fédéraux, cela tant en ce qui concerne la construction que l'exploitation. En outre, l'intérêt porté par les cantons à leur chemin de fer ne manquerait pas de décroître, dès le moment où les étroites relations nouées entre l'entreprise et le conseil d'administration composé de personnalités de la région, d'une part, et les usagers et expéditeurs, d'autre part, seraient remplacées par des rapports plus anonymes avec les chemins de fer fédéraux. Dès le moment où leur chemin de fer serait exploité par ces derniers, les populations des vallées devraient dans bien des cas renoncer à la réalisation de voeux particuliers ou à l'obtention de faveurs spéciales.

Du point de vue de la politique générale de l'Etat, la réussite d'une opération d'une telle envergure financière et politique exige le déclenchement d'une véritable vague de fond balayant tous les obstacles. Or, étant donnée l'attitude actuelle d'une grande partie de la population contre toute nouvelle centralisation, la possibilité d'une telle vague de fond est plutôt douteuse. Certes, une sympathie se manifeste incontestablement dans le pays entier à l'égard du «cas particulier des Grisons». Cependant, même la revendication grisonne visant à la prise en charge du chemin de fer rhétique par la Confédération ne se fonde pas sur des considérations relevant de la politique générale de l'Etat ou de l'économie suisse des transports. Elle se fonde uniquement sur le besoin de se libérer d'une charge financière et d'obtenir une aide pour pouvoir abaisser le niveau relativement élevé des taxes dudit chemin de fer.

Pour une série de compagnies privées autres que le chemin de fer rhétique, les avantages financiers escomptés ont également été le motif déterminant des requêtes de rachat. Cela ne suffit pas, toutefois, pour engager et exécuter avec succès une campagne nationale de cette envergure, à moins que l'on n'étendît le cercle des entreprises à nationaliser dans une mesure telle que tous les membres de la Confédération en profitent également. Or, par là, le problème serait déplacé du plan de la réglementation des transports sur celui de la
péréquation financière en matière ferroviaire entre la Confédération et les cantons. Etant donnée la situation financière précaire des chemins de fer, cette mesure exigerait des sommes d'une importance telle qu'il en résulterait des difficultés insurmontables pour la Confédération. La preuve en est que toutes les requêtes de nationalisation visent principalement à adapter les tarifs des compagnies privées à ceux des chemins de fer fédéraux. Dans l'éventualité d'une telle adaptation, même celles des entreprises du programme de rachat qui, au niveau actuel des tarifs, présentent encore une ivaleur de rendement positive, verraient leurs comptes se solder par un déficit. Pour les 15 entreprises inscrites audit programme, des calculs ont établi que, si l'on appliquait les tarifs des chemins de fer fédéraux et même si l'on tenait compte du surcroît

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de trafic qui résulterait d'une réduction des taxes, la valeur de rachat négative serait au total de quelque 400 millions de francs. En vertu de l'article 19 de la loi BUT les chemins de fer fédéraux, ce montant devrait être remboursé à ces chemins de fer même s'ils reprenaient les lignes sans indemnité. Il faudrait y ajouter les indemnités escomptées, en dépit des valeurs de rachat négatives, par les chemins de fer repris ou par les cantons qui se tiennent derrière eux. Tout cela entraînerait des charges qui, même si l'adaptation des tarifs ne se faisait que partiellement ou peu à peu, doivent être considérées comme insupportables à un moment où la Confédération a déjà de la peine à équilibrer ses recettes et ses dépenses.

Si, malgré ces raisons, la commission d'experts a recommandé le rachat de nouvelles lignes par la Confédération, c'est parce qu'elle a estimé que l'égalité de traitement des différentes régions du pays en matière ferroviaire constitue une tâche politique de la plus haute importance et justifie certains sacrifices. A vrai dire, l'égalité complète de traitement ne serait pas encore atteinte puisque la commission estime elle-même qu'il ne saurait être question de racheter l'ensemble des 79 chemins de fer à voie normale ou à voie étroite du trafic général. D'ailleurs, même si c'était le cas, les régions desservies par des véhicules routiers et les vallées qui n'ont aucun service public de transport ne profiteraient pas de cette égalité de traitement.

Les problèmes soulevés par la réduction éventuelle des taxes des chemins de fer privés ne sont pas moins complexes que ceux qui concernent la prise en charge de nouvelles lignes par la Confédération. L'importance attribuée à ces problèmes par le canton des Grisons ressort déjà du fait que le Petit conseil n'a cessé de réclamer la réduction des taxes du chemin de fer rhétique aux frais de l'Etat fédéral. Il convient de rappeler, à cet égard, qu'en fait de nombreux milieux demandent bien la nationalisation de nouveaux chemins de fer privés ; en réalité, non seulement les représentants des pouvoirs publics, mais surtout ceux de l'économie des régions desservies par ces chemins de fer attendent surtout d'une nouvelle étape de rachat une baisse sensible des tarifs.

Une adaptation de taxes ne pourrait dès lors être limitée au seul chemin
de fer rhétique. Il faudrait, au contraire, s'attendre à des exigences analogues de la part d'autres régions où l'on considérerait qu'une mesure unilatérale favoriserait le commerce, l'industrie et le tourisme de certaines contrées dans leur concurrence avec les activités semblables d'autres régions. En effet, do telles requêtes n'ont pas manqué d'être présentées par toute une série de cantons et de compagnies privées dès que furent connues les revendications grisonnes. C'est ainsi que les gouvernements des cantons de Berne, Schwyz, Pribourg, Saint-Gali et Vaud -- ou certains membres de ces gouvernements --- ont entrepris des démarches auprès de la Confédération en vue d'obtenir qu'une aide fédéral, qui serait accordée aux Grisons pour réduire les taxes du chemin de fer rhétique,

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fut étendue aux chemins de fer privés de leur territoire. Ces revendications ont été appuyées par des requêtes présentées par les administrations ferroviaires intéressées.

Si l'on considère les choses sous l'angle des intérêts régionaux, on doit reconnaître que ces requêtes ne sont pas dénuées de fondement. Il faut considérer, en effet, que le niveau relativement élevé des tarifs rhétiques est encore sensiblement dépassé par celui des taxes de plusieurs chemins de fer. Comme nous l'avons déjà relevé, l'application des tarifs des chemins de fer fédéraux entraînerait pour les 15 seuls chemins de fer inscrits dans le programme de rachat dressé par la commission d'experts, un manque à gagner annuel de 30 millions de francs.

Au cours des très longs débats sur l'aide aux chemins de fer privés et aux cantons intéressés, différentes propositions ont été faites sur la manière de couvrir le manque à gagner qui résulterait pour lesdits chemins de fer d'une baisse des tarifs. Toujours la solution considérée comme la plus simple était le recours aux ressources générales de la Confédération ou le relèvement des taxes des chemins de fer fédéraux aux fins exclusives de compenser le manque à gagner subi par les compagnies privées.

Le recours aux ressources générales de la Confédération ne signifierait rien d'autre qu'un déplacement sur le contribuable dés charges qui pesaient auparavant sur les compagnies privées et leurs usagers. Or, vu la lassitude fiscale du peuple, cette manière de financer une baisse des tarifs se heurterait à des difficultés qui ne le céderaient en rien aux inconvénients découlant des taxes traditionnellement élevées perçues dans les régions de montagne. Nous croyons pouvoir renoncer à développer davantage ce sujet.

L'autre solution, consistant à relever les tarifs des chemins de fer fédéraux à l'effet de réduire les taxes élevées perçues par le chemin de fer rhétique, rencontre des difficultés pratiques tout aussi insurmontables.

Un tel système de compensation ne pourrait non plus se limiter au seul chemin de fer rhétique. En outre, il irait à l'encontre de l'un des buts essentiels que nous nous sommes proposés par le relèvement des taxes opéré en 1952, à savoir l'équilibre financier des chemins de fer fédéraux.

Depuis des années, les commissions parlementaires ont insisté sur la
nécessité de relever les tarifs de ces chemins de fer pour couvrir les lourdes charges du réseau nationalisé. La réforme tarifaire accomplie en 1952 était précisément l'une des mesures devant permettre aux chemins de fer fédéraux de se subvenir entièrement. Rappelons à ce propos que le principe de l'autonomie financière du réseau nationalisé était déjà au premier plan des débats relatifs à l'arrêté fédéral du 14 décembre 1950 sur l'établissement des tarifs des chemins de fer suisses. Or, on se mettrait en contradiction avec ce principe en détournant de leur but une partie des suppléments de recettes obtenus à grand-peine par les chemins de fer fédéraux. La conséquence en serait qu'au moment où ceux-ci verraient se produire de nouveaux

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déficits, les chambres auraient à se prononcer sur la manière de les couvrir, ainsi que le veut l'article 16 de la loi sur les chemins de fer fédéraux. Les résultats d'exploitation enregistrés depuis lors par ceux-ci ne permettraient d'ailleurs pas, malgré le relèvement des tarifs, de distraire une partie des recettes pour contribuer à réduire les taxes des chemins de fer privés.

Pour éviter à la longue de nouveaux déficits à l'entreprise nationalisée, la réforme des tarifs-marchandises aurait dû rapporter 15,5 millions de francs de plus par an (en moyenne. + 5%). Or, les négociations avec les chemins de fer privés au sujet de l'attribution du trafic entraînèrent déjà un déchet sensible sur ce montant. Les interventions des milieux économiques et politiques, émanant précisément des cantons situés à la périphérie, se traduisirent par une perte imprévue de plus d'un million de francs par an sur le résultat théorique attendu du relèvement tarifaire, lequel ne put donc produire tous ses effets.

Nous rappellerons aussi brièvement combien incertaines sont les perspectives d'avenir et combien dangereuse peut être l'évolution dans la concurrence pour le trafic intérieur et international des marchandises.

Ce sont précisément des considérations de concurrence qui posent d'étroites limites aux mesures tarifaires applicables par les chemins de fer fédéraux.

La perte de trafic que subit le rail au profit de la route atteint aujourd'hui déjà pour certaines classes de marchandises une ampleur dont les effets sont néfastes pour les recettes des chemins de fer fédéraux et qui menace de se traduire à l'avenir par des déficits sensibles.

. Comme il ressort de ce qui précède, le relèvement tarifaire, inévitable pour améliorer la propre situation financière des chemins de fer fédéraux, n'a pu être opéré qu'à grand'peine en raison de la concurrence des automobiles et de la résistance des milieux économiques, notamment dans les cantons de la périphérie. A plus forte raison, un nouveau relèvement du niveau général des tarifs, pratiqué à seule fin d'assurer une compensation tarifaire avec les chemins de fer privés, serait difficilement admis.

Eu égard à la concurrence sans cesse croissante entre le rail et la route, une telle mesure priverait les chemins de fer fédéraux de tout accroissement des recettes, aussi bien
dans le transport des voyageurs que dans le trafic des marchandises et pour aussi longtemps que les conditions de concurrence n'auront pas été égalisées entre les différents modes de transport. Si une réduction des taxes n'était envisagée qu'en faveur du chemin de fer rhétique et si elle était compensée par un nouveau relèvement ou d'autres mesures tarifaires, il ne serait guère possible de limiter l'application de ces moyens aux seuls chemins de fer fédéraux. Il faudrait au contraire l'étendre à tous les chemins de fer participant au trafic général.

On peut tenir pour certain que les compagnies qui ne profiteraient pas de ces mesures ne seraient guère disposées à supporter seules les inconvénients d'un tel relèvement tarifaire.

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Le rapport de la commission d'experts chargée des questions touchant le rachat des chemins de fer relève qu'en vertu de l'article 5, 3e alinéa, de l'arrêté du Conseil fédéral du 16 août 1950 concernant l'établissement des tarifs des entreprises suisses de chemins de fer, il est possible de réintroduire les suppléments de distance même pour les lignes des chemins de fer fédéraux, si le trafic est faible comparativement aux frais d'établissement et d'exploitation. Rappelons à cet égard que jusqu'à leur abolition (en 1926 pour les marchandises, en 1943 pour les voyageurs) des suppléments de distance étaient perçus sur les lignes suivantes des chemins de fer fédéraux : Marchandises (jusqu'en 1926)

Voyageurs (jusqu'en 1943)

%

%

Erstfeld--Bodio (Gothard) 40 40 Brigue--Iselle transit (tunnel du Simplon) . . . .

100 100 Baie CFF--Baie gare bad. (chemin de fer de raccordement) . . . .

40 -- Le Day--Le Pont 50 50 Neuchâtel--Le Locle-frontière (anciennement JN) 40 33 Emmenbrücke--Wildegg et Beinwil--Munster . .

82 20 Wattwil--Kaltbrunn (tunnel du Ricken) 60 60 Winterthour--Bauma--Wald (anciennement TTB): 1--10 km 70 20 plus de 10 km 35 -- Wald--Rüti (Zch) (anciennement WR) . . . . .

75 40 Giswil--Meiringen (chemin de fer du Brünig) : Marchandises 100 Voyageurs: lre et 2e classe . . . . . . .

100 3e classe . . . . . . .

50 · Comme à partir de 1943 les suppléments de distance ont été supprimés sur le réseau des chemins de fer fédéraux, la disposition relative à la perception de tels suppléments eût fort bien pu être laissée de côté dans l'arrêté du Conseil fédéral du 16 août 1950 (art. 5, 3e al.) Etant donné toutefois que les revendications grisonnes étaient connues à ce moment-là et que le rachat du chemin de fer rhétique eût ientraîné ipso facto, d'après la pratique suivie antérieurement, la suppression des Suppléments de distance sur le réseau actuel de ladite compagnie, on a cru devoir réserver même aux chemins de fer fédéraux la possibilité de percevoir des suppléments de distance. Vu la grande portée financière d'une telle mesure, on l'a déjà fait dans l'arrêté fédéral précité, sans attendre que fût engagée une opération de rachat éventuelle. Ainsi, le message à l'appui de l'arrêté fédéral approuvant l'arrêté du Conseil fédéral du 16 août 1950 précise-t-il expressé-

398

ment que l'intention n'est point de réintroduire les suppléments de distance sur le réseau actuel des chemins de fer fédéraux, mais seulement d'en réserver la possibilité, eu égard à la nationalisation éventuelle de nouvelles lignes privées percevant des suppléments de distance élevés.

Pour ces raisons, nous ne croyons pas qu'il soit indiqué de donner suite aux revendications visant à adapter les tarifs dés compagnies privées à ceux des chemina de fer fédéraux, que ce soit en recourant aux ressources générales de la Confédération ou en relevant les taxes sur le réseau nationalisé. Le moment nous semble venu, en revanche, d'accomplir un devoir de solidarité confédérale en soulageant dans une certaine mesure le canton qui, de loin, souffre le plus de la dualité de système dans notre appareil des transports. Comme l'a justement reconnu la commission d'experts chargée des questions touchant le rachat, il existe réellement un « cas spécial des Grisons ». Il n'est pas douteux que les Grisons constituent une exception, car les soucis financiers et le manque de ressources financières y conjuguent leurs effets; aussi une aide de la Confédération peut-elle vraiment y être considérée comme un acte de solidarité nationale.

V. LA SITUATION DES GRISONS SOUS L'ANGLE DE LA POLITIQUE DES TRANSPORTS Nul ne songerait à prétendre que le canton des Grisons porte lui-même la responsabilité des soucis qui l'assaillent actuellement. La situation dans laquelle il se trouve aujourd'hui est la conséquence inéluctable de l'évolution historique de notre pays en général et de son propre territoire en particulier. On a prétendu non sans raison que l'histoire des Grisons est, dans son essence, celle de ses cols alpestres. Pendant des siècles, l'Etat libre des ligues grises a joué entre le nord et le sud un rôle dominant dans le transit des voyageurs et des marchandises. Ce faisant, il a toujours été prêt à consentir aux sacrifices que lui imposait cette situation particulière.

En 1387 déjà, l'évêque de Coire ouvrait, par la route du Septimer, la première voie carrossable à travers les Alpes. Quelque cent ans plus tard, de 1470 à 1473, l'aménagement de la Viamala donnait une importance accrue au Splügen et au Saint-Bernardin. Grâce à cette politique de développement des voies de communication et à la constitution par les
habitants des vallées grisonnes de véritables organisations de transport (appelées Porten), il fut possible de donner à la population, en dépit de ressources agricoles insuffisantes, des conditions d'existence supportables.

L'entrée des Grisons dans la Confédération, en 1803, entraîna maints bouleversements de la politique de l'Etat. Dans le domaine des transports, les privilèges qui avaient été accordés à certaines des « Porten » et qui constituaient une entrave au trafic durent être abolis. L'entretien des routes suivies par le commerce étant désormais à la charge du canton,

399

ces organisations avaient de toute façon perdu leur raison d'être sous leur forme traditionnelle. Les droits perçus jusqu'alors par les « Porten » passèrent dans les caisses de l'Etat sous forme de péages autorisés par la diète.

La revision exécutée en 1834 du régime auquel était soumis le transit permit de supprimer les nombreuses stations de transbordement obligatoire et de réunir les diverses organisations de transport en une seule. En favorisant la libre concurrence entre les membres de cette dernière, on visait à créer, dans les Grisons comme ailleurs, des bases saines pour le développement du trafic de transit.

Les avantages offerts par de bonnes routes de commerce étaient si manifestes que la nécessité de créer de meilleures voies de communication intérieures ne tarda pas à se faire également sentir. Le Grand conseil tint compte des revendications présentées à cet égard, en décidant dès 1839 de consacrer 50 000 francs par an à la construction et à l'amélioration des voies de communication intérieures. C'est un véritable exploit qu'a accompli ce canton de montagne en construisant au milieu du dernier siècle déjà de nouvelles routes dans l'Engadine, la vallée de Poschiavo, le Prättigau et l'Oberland grison. Les fruits de ces efforts apparaissent aujourd'hui encore dans le réseau routier étendu de ce canton. Oe n'est pas un simple hasard si, pour 1000 habitants, on compte dans les Grisons 9,4 km de routes cantonales, la moyenne pour la Suisse n'étant que de 3,6 km.

Si la construction de routes se traduisit par un revenu national croissant et par une capacité financière accrue de la population, elle n'en greva pas moins lourdement le compte d'Etat. Les charges du canton pour l'entretien de ses routes s'élevèrent à 145 000 francs en moyenne pour les années 1862 à 1866 et passèrent à 340 000 francs en moyenne des années 1887 à 1891.

Par tête de population, ces dépenses ont donc passé de 1 fr. 60 à 3 fr. 60 par an, alors que dans le canton de Berne par exemple, elles ne se sont accrues que de 0 fr. 60 à 1 fr. 20.

Le canton des Grisons, doté de peu de ressources naturelles, a prouvé, en aménageant ses routes, qu'il entendait utiliser toutes les possibilités pour garantir à sa population un revenu suffisant. Ses contacts de toutes sortes avec les voisins de notre pays, au nord et au sud, lui
avaient aussi permis de prendre conscience des progrès techniques qui devaient modifier de fond en comble le genre de vie de l'Europe. Les hommes qui constituaient l'élite dans le canton marquèrent très tôt leur intérêt pour le chemin de fer qui leur semblait promettre un nouvel essor du trafic de transit d'autrefois. De 1838 à 1841, les Grisons prirent une part active aux efforts de la chambre zurichoise du commerce, dont le programme prévoyait en particulier la construction d'une ligne de Zurich à Coire. Avec Saint-Gall, le canton des Grisons négocia la construction d'une ligne de Coire à Wallenstadt et de Weesen à Schmerikon. L'ingénieur en chef La Nicca envisageait également, alors déjà, un prolongement de ces lignes par l'un des cols

400

alpestres des Grisons. Pendant une trentaine d'années, une suite ininterrompue de projets et d'importants travaux préliminaires, tant techniques que commerciaux, furent entrepris pour des chemins de fer qui devaient franchir le Splügen, la Greina, le Lukmanier et d'autres cols encore.

L'Assemblée fédérale s'étant prononcée, en adoptant la loi du 28 juillet 1852, pour la construction des chemins de fer par l'industrie privée, une société se constitua aux fins de construire des lignes de Rorschach à Sargans et de Rapperswil à Coire avec un prolongement par le Lukmanier jusqu'au lac Majeur. Le tout fut partagé en deux sections, l'une de Rorschach à Coire, l'autre de Coire à Locamo. Cette distinction de deux sections et l'octroi d'une concession pour un tronçon seulement devaient avoir de lourdes conséquences pour le canton des Grisons, parce que la position des partisans du Lukmanier s'en trouvait affaiblie et la construction de la transversale compromise. Les cantons intéressés à la construction de la ligne du Gothard, qui s'étaient mis d'accord en 1853, l'emportèrent et obtinrent que le Gothard reçut la priorité du point de vue de l'ensemble de la Suisse.

L'échec que cela représentait pour les projets ferroviaires grisons eut des effets d'ordre non seulement économique, mais aussi moral. Le modeste résultat des efforts entrepris par le canton en vue d'avoir sa propre ligne se limitait donc à la ligne Rorschach--Coire exploitée depuis le 30 juin 1858.

Et cependant, les Grisons n'avaient pas encore perdu tout espoir. Lors de la mise en service, en 1858, de la voie ferrée qui, de la frontière cantonale près de Ragaz, menait à Coire, on voulait croire encore qu'il s'agissait là de la première section du futur chemin de fer transalpin. Avec persévérance sinon avec bonheur, le canton n'a cessé de viser à ce but et nombre de personnalités eminentes ont consacré à cette idée l'activité de toute leur vie. L'heureux développement du chemin de fer du Gothard et l'idée que cette seule ligne à travers le massif central des Alpes ne suffirait plus, à la longue, aux besoins du trafic étaient les stimulants qui poussaient sans cesse les partisans d'une ligne transalpine purement grisonne à poursuivre leurs efforts. C'est ainsi que le conseiller national Planta défendit l'idée d'un chemin de fer Coire--Bozen--Trieste. Son
plan échoua cependant au profit de la ligne de l'Arlberg achevée en 1884. Cette oeuvre contribua beaucoup à faire perdre l'espoir de réaliser dans un bref avenir le projet d'une ligne de transit par les Grisons. Ce n'est pas le moindre mérite des hommes qui étaient alors aux responsabilités d'avoir consacré dès ce moment toute leur activité et tout leur sens des réalités au problème du trafic interne. Citons en particulier l'ingénieur Bavier, futur conseiller fédéral, et Sébastien Hunger qui défendirent plusieurs projets de lignes empruntant les vallées grisonnes, toujours avec l'arrière-pensée d'en faire les premiers tronçons d'un futur chemin de fer des Alpes orientales. Tous ces efforts échouèrent cependant devant les difficultés de financement et

401

les oppositions d'intérêts qui mettaient aux prises les corporations publiques des différentes vallées.

Or, dans 1'entre-temps, un événement était survenu qui devait d'emblée modifier l'orientation de la politique ferroviaire grisonne. Sous l'impulsion vigoureuse d'un Hollandais établi à Davos, M. Holsboer, la ligne à voie étroite Landquart--Davos avait été construite vers la fin des années « quatre-vingt ». Le 9 octobre 1889, le tronçon de Landquart à Klosters et le 21 septembre 1890, celui de Klosters à Davos furent ouverts à l'exploitation. Ce fut le point de départ du remarquable développement dont la station de cure de Davos devait bénéficier au cours des vingt années suivantes. L'exemple était ainsi donné, qui devait montrer aux stations grisonnes la façon de s'ouvrir à un trafic plus intense. Tôt après la mise en exploitation de la ligne Landquart--Davos, l'idée de la prolonger par le Scaletta jusque dans l'Engadine avait vu le jour. Mais aussitôt un contreprojet Coire--Thusis--Engadine fut élaboré. La lutte entre les partisans de ces projets et ceux qui restaient inébranlablement attachés à l'idée d'un chemin de fer transalpin et qui voulaient prolonger la voie normale de Coire jusqu'à Thusis au moins, éventuellement jusqu'à Filisur, se termina par l'extension du réseau à voie étroite, moins coûteuse; nul cependant ne songeait pour autant à renoncer aux revendications grisonnes visant à la construction d'un chemin de fer transalpin par le Splügen ou la Greina.

Les années suivantes furent marquées par l'essor grandissant des relations ferroviaires internes. En moins de vingt-cinq ans, un réseau de quelque 400 km fut construit, qui représente le plus important réseau à voie étroite d'Europe. C'est aussi une oeuvre remarquable quand on songe qu'elle a été accomplie par un canton de montagne à la population clairsemée et dépourvu de grande industrie. Le tableau de la page suivante renseigne sur le développement chronologique des voies ferrées dans les Grisons.

Par plusieurs lois et décrets, le canton des Grisons a pris une part importante à l'aménagement et au développement du chemin de fer rhétique.

C'est ainsi qu'une loi du 22 mai 1896 exonéra pour vingt ans toute nouvelle entreprise ferroviaire du paiement des impôts cantonaux. Le même privilège fut consenti aux compagnies existantes
pour le cas où, dans les dix ans, elles entreprendraient la construction de nouvelles lignes. On ne s'en tint cependant pas là; une loi de subvention aux chemins de fer adoptée par le peuple, le 20 juin 1897, a notamment encouragé la construction de nouvelles lignes. Cette loi permit au canton de participer au développement ultérieur du réseau rhétique à voie étroite. Elle n'autorisait l'octroi de subsides à des chemins de fer que si les communes et les particuliers intéressés à la construction apportaient également leur part. Ainsi, l'ancienne règle selon laquelle les communes devaient contribuer à la construction des routes cantonales s'appliqua par analogie au nouveau moyen de communication.

Feuille fédérale. 105« année. Vol. III.

30

402 Années de construction

Ouverture à l'exploitation

Introduction de la traction électrique de bout en bout

Longueur de construction m

Landquart-- Klosters . . 1 Klosters --Davos . . . j

1888/90

9. 10. 89 21. 7. 90

7.11.21

50123

Coire --Thusis Landquart-- Coire

1894/96

1. 7. 96 29. 8. 96

1. 8. 21

41 004

1900/03

1. 6. 03

22. 5. 22

19339

1898/1904

1. 7. 03 10. 7. 04

15. 10. 19 1. 7. 13(!)

61 751

Samedan-- Pontresina .

1906/08

1. 7.08

1. 7. 13

5294

Lignes

1 f

Reichenau--Ilanz Thusis-- Schlarigna/ Schlarigna/Celerina -- Saint-Moritz

Davos -- Filisur

1906/09

1. 7. 09

11. 12. 19

19303

Ilanz -- Disentis/Mustèr

1910/12

1. 8. 12

22. 5. 22

29968

Bever -- Scuol/Schuls . .

1909/13

1. 7. 13

1. 7. 13

49410

Chemin de fer rhétique jusqu'au 31. 12. 41 . .

1888/1913

--

22. 5. 22

276 192

Chemin de fer Bellinzone --Mesocco

1905/07

6. 5. 07

6. 5. 07

Chemin de fer de lai Bernina (3) > Saint-Moritz --Tirano . 1 Chemin de fer Coire --Arosa . . .

Chemin de fer rhétique dès le 1 1. 43

31 298 ;

1906/10

1908/1909(2)

5. 7. 10

·>: T« 1. 7. 08

60670

1912/14

12. 12. 14

12. 12. 14

25 679

1888/1914

--

22. 5. 22

393 839

t1) Saint-Moritz--Bevèr.

(2) Tronçons: Pontresina--Morteratsch, Poschiavo -- Tirano 1.7.08.

Schlarigna/Celerina-- Pontresina, Morteratsch -- Bernina Suot 18. 8. 08.

Bernina Suot-- Hospice de la Bernina l. 7. 09.

Hospice de la Bernina -- Posehiavo 5. 7. 10.

(3) Exploité de bout en bout pendant toute l'année depuis 1914.

Grâce notamment à une première subvention fédérale de 8 millions de francs, l'aménagement des lignés dites prioritaires, Thusis--Albula-- Saint-Moritz et Reichenau--Ilanz avança rapidement. La Confédération

403

consacra 5 nouveaux millions aux lignes Bever--Scuol/Schuls et Ilanz-- Disentis/Mustèr. En même temps que se développait le chemin de fer rhétique, d'autres compagnies construisaient de nouvelles lignes. C'est ainsi que fut édifiée, de 1905 à 1907, avec l'appui des cantons des Grisons et du Tessin, la ligne de Bellinzone à Mesocco, longue de 31,3 km. De 1912 à 1914, une autre ligne fut construite avec l'aide financière du canton, celle de Coire à Arosa, longue de 25,7 km. En revanche, la ligne de 60,7 km qui, par la Bernina, conduit de Saint-Moritz à Tirano fut construite entre 1906 et 1910 sans l'aide du canton. Le 4 juillet 1926 enfin, le chemin de fer Furka--Oberalp fut mis en exploitation; situé pour 19 km sur le territoire grison, il relie la vallée du Rhin à celles du Rhône et de la Reuss.

Actuellement, l'ensemble du réseau ferroviaire grison compte 432 km, à savoir: Chemins de fer fédéraux . . . .

19 km = 4,4% Chemin de fer rhétique 394 km = 91,2% Chemin de fer Furka--Oberalp .

19 km = 4,4% Total

432 km =

100%

Lorsqu'on jette un coup d'oeil en arrière, on ne peut manquer d'être frappé par l'esprit d'initiative dont le canton des Grisons a fait preuve en matière de politique ferroviaire, malgré les contrariétés et les insuccès qui ne lui ont pas été épargnés. Cet esprit d'initiative lui a cependant valu, à côté de quelques avantages, de lourdes charges qui ont dépassé aujourd'hui la limite de ce qu'il pouvait supporter, parce qu'elles freinent son développement économique. Comme à chaque époque d'évolution technique précipitée, les tâches se sont suivies avec une telle rapidité que les dépenses engagées pour l'ancien mode de transport n'étaient pas encore amorties que déjà celui-ci était dépassé par un moyen plus moderne. Dans le passé, le canton avait déjà consenti de grands sacrifices pour la construction et l'entretien de ses routes. Or, pendant l'établissement du réseau ferré, les soins requis par les routes ont dû être négligés, faute de ressources financières suffisantes. Mais avant même que ce réseau ferré fût achevé et surtout que la situation financière des entreprises fût consolidée, l'automobile est venue faire concurrence au chemin de fer tout en apportant un regain de trafic aux cols des Alpes. Pendant de longues années, les Grisons ont cherché à interdire l'accès de leur territoire à l'automobile. Ce combat mené pour la sauvegarde des capitaux engagés dans la construction des voies ferrées devait cependant tourner défavorablement, tant il est vrai que jamais un progrès technique ne peut être repoussé sans dommage pour l'économie d'un pays. En 1923, les Grisons furent contraints de cesser leur résistance et d'adapter, par un aménagement systématique, leur réseau routier aux exigences du trafic des véhicules à moteur.

404

Ainsi se termina la lutte engagée par le canton des Grisons pour l'aménagement de ses voies de communication, sans toutefois que se fût réalisé le voeu, ancien déjà, de la construction d'un chemin de fer des Alpes orientales. Comme les espoirs qu'a fait naître la loi du 22 août 1878 accordant des subventions aux chemins de fer des Alpes revivent sans cesse dans les discussions sur la politique des transports, nous saisissons l'occasion d'examiner la question ici.

En 1852, le Conseil fédéral eut, pour la première fois, l'occasion de se prononcer sur la question du chemin de fer des Alpes orientales, au cours des débats relatifs à la loi sur les chemins de fer. Cette loi n'avait réservé que des pouvoirs extrêmement réduits à l'autorité fédérale. En vertu de l'article premier, la construction et l'exploitation des chemins de fer était l'affaire des cantons et de l'industrie privée. Pour des raisons techniques, la question du percement des Alpes n'était pas considérée comme particulièrement actuelle. Ce n'est qu'après l'apparition de certains progrès techniques (invention de la dynamite en 1867, emploi des premières perforatrices en 1860 lors de la construction du tunnel du Mont-Cenis) que le Conseil fédéral eut à se prononcer sur le problème du percement des Alpes.

Il opta finalement pour le Gothard, ce qui incita tant les partisans du chemin de fer des Alpes occidentales que ceux d'une ligne des Alpes orientales à réclamer la réalisation de leurs projets. Le Conseil fédéral donna des assurances dans ce sens par son message du 30 juin 1870 concernant la construction d'un chemin de fer par le Gothard. Cette idée d'un traitement égal du centre, de l'est et de l'ouest inspira l'article 3 de la loi du 23 décembre 1872 sur les chemins de fer ainsi que l'article 5 de la loi du 22 août 1878 accordant des subventions aux chemins de fer des Alpes.

Une subvention de 4,5 millions de francs fut versée en 1878 au chemin de fer du Gothard et en 1887 à celui du Simplon. Du point de vue formel, le droit à une subvention pour l'établissement d'un chemin de fer des Alpes orientales existe donc aujourd'hui encore. Il est vrai qu'en 1898 et 1907 le chemin de fer rhétique a bénéficié, comme nous l'avons indiqué, de deux subventions de 8 et 5 millions respectivement. Or, ces deux montants ne peuvent être imputés sur le
compte du chemin de fer des Alpes orientales, puisque ni la ligne Thusis--Albula--Saint-Moritz, ni celle de Reichenau à Ilanz et d'Ilanz à Disentis/Mustèr n'ont créé une liaison ferroviaire avec la Méditerranée, condition mise à l'octroi d'une aide fédérale par la loi accordant des subventions aux chemins de fer des Alpes.

Or, aujourd'hui que les circonstances se sont radicalement modifiées par rapport à l'époque où fut établie la loi en question et que nous vous proposons encore d'accorder des montants importants pour les chemins de fer grisons, l'heure nous paraît venue de tirer les conséquences de cette situation et d'abroger cette loi. Personne ne pensant plus à construire le chemin de fer des Alpes orientales -- et c'est seulement pour une telle ligne qu'une subvention pourrait être accordée en vertu de cette loi -- rien ne semble s'opposer à cette abrogation.

405

Un coup d'ceil rétrospectif nous permet d'affirmer que, si le chemin de fer des Alpes orientales n'a pas été construit, cela ne signifie pas nécessairement que le canton des Grisons doive le regretter. Apparemment, l'importance qu'aurait eue cette ligne pour la naissance de nouvelles industries a été longtemps surestimée. Nous croyons pouvoir prétendre que l'aménagement d'un réseau à voie étroite a apporté au canton plus d'avantages que ne l'aurait fait n'importe quelle grande ligne internationale des Alpes orientales. Certes, le percement de la barrière des Alpes à l'est aurait profité à certaines régions du pays et notamment à la ville de Coire.

Jamais cependant il n'aurait apporté à l'ensemble du pays autant d'avantages que l'a fait la construction de ce réseau à voie étroite si étendu et si bien adapté aux conditions topographiques particulières de ce canton de montagne.

VI. LA SITUATION ÉCONOMIQUE DES GRISONS Pour l'étendue, le canton des Grisons prend, avec ses 7113,5 km2 de surface, la première place parmi les cantons suisses. Pour la population, le recensement fédéral du 1er décembre 1950 ne lui donne que la 14e place, avec 137 100 habitants; par la densité de la population, il vient même en dernier rang, avec 19 habitants seulement par km2. Ces quelques chiffres suffisent à illustrer la nature particulièrement pauvre du sol de ce canton de montagne. De sa surface globale, une part de 30,5 pour cent est improductive. Seuls les cantons d'Uri et du Valais ont un pourcentage de sol inculte encore supérieur, avec 47,3 et 44,1 pour cent. Le caractère de montagne des Grisons ressort aussi du fait que leur population vit, pour 52 pour cent, à plus de 1000 m au-dessus du niveau de la mer et pour 17 pour cent à plus de 1500 m d'altitude. Les chiffres correspondants sont pour le canton d'Uri de 13 et 1 pour cent et pour celui du Valais de 30,5 et 3,5 pour cent.

Le cadastre fédéral de la production agricole indique que sur 221 communes grisonnes, 193 sont situées dans la zone de montagne. 95 878 ou 70 pour cent des 137 100 habitants sont domiciliés dans cette zone, alors que dans les cantons d'Uri et du Valais, lesquels sont aussi essentiellement des cantons de montagne, 49 pour cent seulement de la population habitent la zone de montagne proprement dite.

En poursuivant la comparaison des Grisons
avec les cantons d'Uri et du Valais, on constate que ces derniers sont constitués d'une façon générale par une vallée principale sur laquelle débouchent des vallées latérales. Les Grisons, eux, ont une structure infiniment plus compliquée.

Les différentes chaînes de montagnes coupées de nombreuses vallées leur ont valu, à juste titre, le nom du « pays aux 150 vallées ». Ces conditions topographiques particulières ont engendré les efforts colossaux qui durent être entrepris pour doter le pays de bonnes voies de communication, qu'il s'agisse de routes ou de voies ferrées. Ce sont ces conditions aussi qui ont donné un caractère particulier à l'activité économique du canton.

406

Aujourd'hui encore, 31,3 pour cent de ceux qui exercent une profession dans les Grisons trouvent leur gagne-pain dans l'agriculture ou l'exploitation forestière; 3410 km2, soit plus des 2/3 de la surface productive du canton sont utilisés par l'économie alpestre et agricole. La forêt occupe 1533 km2 et la vigne 2 km2. La première offre, notamment dans les mois d'hiver, des possibilités de travail appréciées. En 1950, elle a rapporté à l'Etat et aux communes 3 milhons de francs net. De leur côté, les particuliers possédant des forêts ont pu retirer de leur exploitation un montant évalué entre un demi et un million entier. Il ne faut cependant pas perdre de vue qu'en montagne le rôle protecteur de la forêt est plus marqué qu'en plaine et que la mise à profit de cette ressource y exige plus de travail et plus de frais. Si par exemple l'Etat et les communes ont retiré, en 1950, dans les Grisons 26 fr. 40 nets par hectare de forêt, ce chiffre est sensiblement inférieur à la moyenne suisse de 62 fr. 70 et à plus forte raison au revenu maximum de 162 francs obtenu dans le canton de Zoug.

Le métier manuel eut dans les Grisons sa période de grand essor à l'époque du trafic de transit florissant. Lorsque celui-ci déclina, certaines professions autrefois prépondérantes perdirent de leur importance, comme celles de forgeron, de charron, de sellier. Aujourd'hui, il faut citer le tissage à la main, la poterie à domicile, la céramique et la gravure sur bois. Il subsiste en outre une industrie du bâtiment assez importante, née au temps des grands travaux de construction de routes et d'immeubles et qui profita aussi de l'établissement des chemins de fer. C'est cependant le tourisme qui joue aujourd'hui dans les Grisons le rôle capital. C'est de ce pourvoyeur principal de l'industrie du bâtiment que dépendent aussi l'activité manuelle et l'artisanat, voire l'économie cantonale tout entière.

Le tourisme, né de la fréquentation des nombreuses sources thermales, ne se développa, réellement, qu'à partir du milieu du XIXe siècle. Le tableau ci-dessous montre la façon désordonnée dont il évolua dans quelquesunes des stations de villégiature les plus typiques.

407 Lits disponibles pour les hôtes d'après l'annuaire statistique

1

Nombre effectif des lits d'après Gurtner ( ) Localités

Arosa Davos Flims Klosters Lenzerheide . . . .

Pontresina Saint-Moritz . . , Sils i. E/Segl . . , Scuol/Schuls ...

Tarasp/Vulpera .

1880

1890

1900

1910

1920

1930 | 1940 1940

1850

1800

1870

50 20 10 10 40 80 20 10 10

50 25 10 10 50 180 50 20 60

50 500 850 1125 1775 3500 5214 200 650 1250 2100 3400 5250 6897 7257 80 150 250 500 850 1200 1365 1467 10 75 260 600 600 650 1259 1573 10 10 10 100 420 480 845 1121 350 900 1200 1530 1850 2050 2098 2354 1350 2400 2900 3700 5350 6000 6000 6000 50 140 150 200 500 850 1027 1050 100 140 150 350 750 900 1064 1064 100 150 280 850 1100 1150 1050 1050

1950

3563 3639 6405 6820 1227 1207 1127 1025 876 842 2104 2030 4978 4365 884 922 1130 }l664 667

t1) Gurtner, « Reiseverkehr und Volkswirtschaft Graubttndens » dans Journal de statistique et revue économique suisse 1939.

Depuis que la statistique officielle du tourisme est dressée, le nombre des nuitées d'hôtes a évolué de la manière suivante: Années

1934 1935 1936 1937 1938 1939 1940 1941 1942 1943 1944 1945 1946 1947 1948 1949 1950 1951 1952

Nuitées

Exploitations

Lits d'hôtes

924 924

34575 34661 34462 34740 34450 34296 34 132 34532 34404 34252 33 839 33459 33 374 32 961 32 595 32478 32432 32307 32360

935 930 921 915 915 990 972 976 973 959 945 933 915 908 902 895 896

d'hôtes étrangers

1 258 883 1 378 913 1 099 252 1 629 225 1 492 586 1 235 747 355 101 342 469 497 790 445 185 553 774 592 299 1 210459 1 460 526 1 201 646 1 136 602 1 055 092 1 218 754 1 424 941

d'hôtes suisses

1 356 304 1 336 800 1 217 633 1 431 632 1 430 840 1 345 505 1 236 070 1 487 783 1 567 257 1 753 926 1 946 830 2 230 253 2 463 713 2 553 947 2 435 747 2 356 277 2 200 778 2 096 717 2 156 641

Total

2615 187 2715713 2316885 3 060 857 2 923 426 2 581 252 1 591 171 1 830 252 2 065 047 2 199 111 2 500 604 2 822 552 3 674 172 4014473

3 637 393 3 492 879 3 255 870 3 315471 3 581 582

408

Les chiffres ci-dessus se rapportent aux hôtels, pensions, sanatoriums et établissements de cure. Us donnent d'emblée une idée de l'importance que revêt le tourisme pour la vie économique du canton. Cette question fait d'ailleurs l'objet de toute une série d'excellentes publications, de sorte que nous pouvons nous dispenser de nous y attarder. Disons seulement, pour souligner le rôle du tourisme dans les Grisons, qu'il y avait en 1952 24 lits d'hôtes pour 100 habitants et 26 nuitées de touristes par habitant et que ces chiffres sont de loin les plus élevés du pays. La moyenne suisse est en effet de 4 lits d'hôtes par 100 habitants et de 4 nuitées de touristes par habitant.

La naissance d'une industrie propre a été considérablement entravée dans les Grisons par les problèmes que pose sa localisation. Si le recensement de 1950 montre que 34,9 pour cent des personnes exerçant une profession tirent leur revenu de l'industrie, des métiers manuels, de l'artisanat et des mines, ce chiffre semble assez élevé à première vue. Or, il s'agit là, pour l'essentiel, de travailleurs occupés dans de petites entreprises industrielles ou artisanales. La grosse industrie n'est guère représentée que par l'usine de saccharification du bois à Domat/Ems, laquelle occupe plus de 1000 employés et ouvriers. A côté de l'usine d'Ems, ' quatre entreprises privées seulement ont, dans les Grisons, un personnel de plus de 100 unités.

Alors que d'après la moyenne suisse, 11,5 habitants sur 100 sont soumis à la loi sur les fabriques, dans les Grisons ce ne sont que 3,6 habitants.

Seul le canton d'Appenzell Rh. Int. a une proportion encore plus faible, soit 2,5 habitants.

Le développement économique du canton n'a été rendu possible que par la construction des lignes de chemins de fer. De 1888 à 1910 seulement, la population résidente a passé de 94 810 habitants à 117 069, soit une augmentation de 23,5 pour cent. L'influence de la construction de voies ferrées sur le mouvement démographique apparaît encore plus clairement si l'on oppose la population de certains districts politiques touchés par le chemin de fer à celle des districts restés sans liaison ferroviaire.

Sur les 39 districts politiques du canton, 27 sont traversés par une ligne ferrée et ont enregistré, de 1850 à 1950, une augmentation de 67,9 pour cent de leur
population. Dans la même période, la population des districts sans relation ferroviaire a diminué de 1,2 pour cent. Même si quelques exceptions confirment la règle -- les districts dépourvus de chemin de fer de Lumnezia et du Val Müstair ont vu leur population augmenter de 12,5 et 20,5 pour cent alors que le district touché par une voie ferrée de Surtasna a vu diminuer la sienne de 11,1 pour cent -- il n'en est pas moins permis d'affirmer que l'importance du chemin de fer rhétique pour la vie économique dû canton est déjà prouvée par le mouvement démographique.

Cette importance ressort pareillement de la statistique fiscale. Dans l'ensemble du canton, la fortune imposable a passé de 206,1 millions de francs en 1888 à 791,3 millions en 1952, le revenu imposable passant dans le même

409

laps de temps de 6,7 à 176,1 millions. La répartition par districts avec ou sans relation ferroviaire donne l'image suivante: 27 districts avec voie ferrée

12 districts sans voie ferrée

Années en millions de francs

1952 (»)

169,8 580,2 724,9 703,7

1888 1936 1944 1952 (!)

6,1 67,4 101,6 162,2

1888

1936 1944

1888 = 100

en millions de francs

FORTUNE IMPOSABLE 100 . 36,3 341 67,8 427 414

85,4 87,6

1888 = 100

100 187

235 241

REVENU IMPOSABLE 100 1105

0,6 3,2

100 533

1666 2659

6,8 13,9

1133 2317

I1) Les personnes juridiques ainsi que les sociétés en nom collectif et les sociétés en commandite ont été englobées dans cette statistique pour la dernière fois en 1944. Elles ne sont donc plus comprises dans les chiffres de 1952.

Cette évolution favorable ne doit pas faire oublier que l'essor économique des Grisons n'a été rendu possible que par de grands efforts et, à l'occasion, par de lourds sacrifices. Tant le canton que le chemin de fer rhétique ont contribué dans une proportion équitable à ces sacrifices.

VII. LE DÉVELOPPEMENT FINANCIER DU CHEMIN DE FER RHÉTIQUE Les résultats financiers obtenus par la compagnie Landquart--Davos, c'est le nom du chemin de fer rhétique de 1889 à 1894, furent très réjouissants dans les premières années d'exploitation. Ils furent le stimulant qui poussa à étendre sans cesse le réseau jusqu'en 1913. Cependant, la première guerre mondiale devait modifier radicalement la situation du chemin de fer rhétique. L'entreprise tomba dans un véritable état de marasme financier dont il ne lui fut plus jamais possible de se relever. Le compte de profits et pertes de l'année 1913 se soldait encore par un excédent actif de plus de 400 000 francs, dont 387 000 furent distribués en dividendes. Le fléchissement des transports dû à la guerre, l'augmentation du coût des combustibles, l'adaptation des salaires au renchérissement, faite dans les premières années après la guerre, tout cela se traduisit par des résultats fortement déficitaires entre 1914 et 1920. Les pertes supportées pendant ces années-là se montèrent à quelque 14 millions de francs. Elles eussent été plus élevées encore si les

410

amortissements ordinaires, déjà insuffisants, n'avaient pas été réduits de 50 pour cent pendant quelques années. Malgré sa situation financière précaire, l'entreprise continua régulièrement de servir au canton les intérêts de ses prêts; aussi les 4,1 millions de fonds de roulement disponibles à fin 1913 furent-ils rapidement épuisés. Diverses mesures de réorganisation de l'administration et de l'exploitation n'eurent pas le succès escompté.

La seule mesure efficace devait être l'électrification de tout le réseau. En 1917 déjà, le département fédéral de l'économie publique avait recommandé d'électrifier les chemins de fer secondaires, en raison de la pénurie de charbon. La loi du 2 octobre 1919 sur l'appui financier à accorder aux chemins de fer privés désireux d'introduire la traction électrique permit d'accorder au chemin de fer rhétique un prêt de 16,8 millions de francs supporté moitié par la Confédération et moitié par le canton des Grisons. En 1922, l'électrification était achevée. Les frais d'établissement du réseau de base atteignaient à ce moment-là 116 millions de francs, alors que le solde passif du compte de profits et pertes se montait à environ 7 millions. Un assainissement financier devenait inévitable. Aussi, la valeur nominale des actions de Ier rang fut-elle réduite en 1921 de 30 pour cent et celle des actions souscrites par la Confédération à titre de subvention de 80 pour cent. Le produit de l'assainissement, au montant de 17,2 millions de francs, permit de couvrir le solde passif à fin 1921 et de verser encore 10,2 millions à une réserve d'assainissement. Une autre mesure d'apurement consista à convertir les avances faites par le canton des Grisons entre 1918 et 1920 pour 10,8 millions de francs en un prêt à 6 pour cent de 4,3 millions, le solde de 6,5 millions étant porté en compte sur le prêt d'électrification à accorder. On négligea cependant à cette occasion de compenser l'arriéré des amortissements pour les dernières années. C'est ainsi que l'insuffisance des amortissements atteignit à fin 1921 1,3 million de francs; elle augmenta encore par la suite de 200 000 francs parce qu'en 1922 et 1923 aussi les amortissements ne furent portés en compte qu'à raison de 75 pour cent.

L'année 1924 qui se soldait pour la première fois de nouveau par un excédent actif fut le début d'une
nouvelle période de résultats favorables qui dura jusqu'en 1931. Il fut possible au cours de cette période, de distribuer 3,1 millions de francs en dividendes, de réduire les dettes à 3,9 millions (-- 1 million) et de rembourser 2,3 millions sur les prêts d'électrification.

Les distributions de dividendes reflétaient moins une situation financière saine du chemin de fer rhétique que le désir du canton de voir rémunérée sa participation. Les réserves disponibles au début de la crise économique provenaient pour l'essentiel de la réduction du capital-actions opérée en 1921. Elles se montaient à 7,4 millions de francs et furent complètement absorbées par les pertes des années 1932 à 1937. A partir de 1936, les intérêts sur le prêt du canton des Grisons ne furent plus acquittés que partiellement.

Le nouveau règlement des amortissements, édicté par le département fédéral des postes et des chemins de fer le 29 avril 1940, en modifia le régime

411

et obligea les compagnies- à déterminer les insuffisances. Le montant des amortissements annuels passa de 0,8 à 1,3 million de francs par suite du relèvement des taux et de l'inclusion d'installations qui n'y étaient pas soumises auparavant. L'insuffisance des amortissements s'en trouva portée à 14,7 millions de francs.

Le bilan apuré à fin 1941, qui servit à fixer le montant des fonds nécessaires pour assainir le chemin de fer rhétique conformément à la loi sur l'aide aux entreprises privées de chemins de fer et de navigation, se présentait de la manière suivante: Actif 1941

Immobilisations : Fr.

Fr.

Installations ferroviaires 118 562 068 ./. amortissements . . 3816828780393781 Entreprises accessoires .

./. amortissements . .

.

Fr.

1931

Fr.

3 633 322 1 790 994 1 842 328 82236109107975990

Fonds de roulement : Valeurs et créances Approvisionnement de matériaux . .

1 247 689 1 239 845

Excédent du passif

2 487 534 27200831

2 020 287 --

111924474 109996277 Passif Capital propre : Capital social Réserves

Fr.

Fr.

Fr.

18 443 100 260 975 18704075 28416600

Capital étranger : Emprunts Dettes courantes

75 822 211 17 398 188 93 220 399 81 579 677 111924474 109996277

A l'excédent passif apparaissant au bilan à fin 1941 pour 27,2 millions de francs, s'ajoutait un déficit technique d'assurance de la caisse de pensions, soit 6,9 millions, qu'il fallut également comprendre dans le montant nécessaire à l'assainissement, puisqu'il constituait aussi un engagement légal du chemin de fer rhétique.

412

Telles étaient les bases sur lesquelles il fallait tabler pour procéder à ce nouvel assainissement du chemin de fer rhétique. Auparavant, toutefois, la compagnie absorba encore le chemin de fer Coire--Arosa. Il en résulta une augmentation de 3,1 millions du capital social et de 6,7 millions des emprunts.

Les engagements fixes et courants à retenir pour l'assainissement se montèrent dès lors à quelque 110 millions de francs En corrélation avec l'aide aux chemins de fer privés, ce montant fut réduit dans la mesure suivante : Renonciations à des créances . .

3 millions Assainissement de la caisse de pension 4 » Transformation en actions privilégiées 20 » Remboursement avec la contribution de la Confédération. . 35 » 62 millions de francs Restaient donc après l'assainissement environ

.

48 millions de francs

Le capital social fut réduit de 18,8 millions de francs. La Confédération participa à la constitution du nouveau capital-actions par un versement en espèces de 10 millions de francs et le canton des Grisons par la conversion de 20 millions de créances. Pour couvrir le solde passif, il fallût mettre encore à contribution une partie du montant versé à fonds perdu par la Confédération, le produit de la réduction du capital-actions ne suffisant pas à cet effet. Etant donné que les fonds provenant de l'aide aux chemins de fer privés avaient servi presque uniquement à amortir les créances en prêts et intérêts du canton des Grisons, la situation de la trésorerie du chemin de fer rhétique ne se trouva guère améliorée par l'assainissement.

En particulier, les ressources pour renouveler et compléter les installations et le matériel roulant faisaient défaut. Il est vrai que l'entreprise disposa, pendant les années de guerre et les premières années de l'après-guerre, de fonds propres importants provenant des amortissements, fonds qu'elle utilisa pour des renouvellements techniques et de nouvelles acquisitions.

La concurrence croissante des véhicules routiers entraîna cependant bientôt un nouveau fléchissement des recettes, en sorte que l'entreprise ne disposa plus des fonds nécessaires au renouvellement. Aussi un prêt de 10 millions de francs fut-il consenti en 1951 à la compagnie, en vertu de la loi complétant l'aide aux chemins de fer privés. La part de 5 millions de francs incombant à la Confédération fut versée en espèces alors que le solde à la charge du canton fut imputé sur les intérêts qui lui étaient dus pour son prêt de 30 millions en Ier rang. Jusqu'à fin 1952, 3,8 millions de francs ont déjà été imputés de cette manière.

413

A l'époque de l'assainissement fondé sur la loi concernant l'aide aux chemins de fer privés, le réseau rhétique s'agrandit par la reprise des lignes Bellinzone--Mesocco et de la Bernina. L'état des frais d'établissement s'établit alors comme il suit: Fr.

Réseau de base, y compris électrification 1942 Absorption du chemin de fer Coire--Arosa . . . .

1942 Absorption du chemin de fer Bellinzone--Mesocco.

1943 Absorption du chemin de fer de la Bernina . . .

1921--1952 Dépenses de construction

116 800 000 12 335 665 3 491 416 18 264 250 18266144

Frais d'établissement bruts à fin 1952

169 157 475

Les dépenses de construction des années 1921 à 1952 se répartissent pour 16,4 millions de francs sur la période de 1943 à 1952 et 1,9 million seulement sur celle de 1921 à 1942. Le montant nécessaire aux amortissements courants, qui atteint aujourd'hui environ 2 millions de francs, n'a pu, ces dernières années, être entièrement couvert au moyen des excédents d'exploitation. Même pour acquitter les intérêts fixes sur les emprunts, il a fallu entamer la substance de l'entreprise. Aussi les appels du canton et de la compagnie à l'intervention de la Confédération se firent-ils plus fréquents et plus pressants. Le tableau suivant montre l'évolution depuis le dernier assainissement: Excédents positifs du compte d'exploitation

Fr.

1943 1944 1945 1946 1947 1948 1949 1950 1951 1952

5 235 921 5 284 836 5 152 374 3 754 952 3 804 384 1 746 111 579 864 872 305 1 346 546 2 192 574

Frais d'amortissement ordinaires sur les installations ferroviaires

Fr.

1 887 082

1 869 610 1 815 694 1 834 375 1 847 501 1 962 098 1 937 877 2 041 989 2 075 836 2 112 243

Frais de capitaux pour les engagements fixes concernant le chemin de fer

Fr.

1 568 300 1 568 300

1 568 300 1 568 300 1 568 300 1 568 300 1 .568 300 1 568 300 1 667 860 1 742 666

414 A fin 1952, la situation financière du chemin de fer rhétique est la suivante : Actif Immobilisations : Installations ferroviaires . . . .

./. amortissements Entreprises accessoires . /. amortissements

Fr

Fr 169 157 475 92911650 76245825

5 236 195 3 501 412

Constructions inachevées Pièces de rechange Fonds de, roulement : Valeurs et créances Approvisionnements de matériaux

Fr

-

1 734 783 2 584 842 500 389

81 065 839

10 138 039 4 439 147

14 577 186

95 643 025 Passif Capital propre ; Capital social Réserves

Fr.

37 957 000 2 270 985

Fr.

40227985

53357506 2 057 534

55 415 040

Capital étranger : Emprunts Dettes courantes

95 643 025 Intérêts arriérés et cumulés sur les emprunts IIe et IIIe rang à intérêts variables 1 828 825 francs.

VIII. L'ÉVOLUTION FINANCIÈRE DU CANTON DES GRISONS Parallèlement à l'évolution politique, de profonds changements s'accomplirent dans le domaine des finances et des impôts. C'est seulement à partir des années « soixante » du XVIIIe siècle qu'il fut possible d'établir, dans les Grisons, un budget des recettes et des dépenses; les entrées et les sorties ne furent dûment comptabilisées que depuis 1769. Il n'y avait alors dans les Grisons ni impôts directs ni monopole du sel. Les recettes consistaient uniquement dans les droits d'entrée, de sortie et de transit, dans les produits des régales du sel et des postes, enfin dans le « Repräsen-

415

tantenschnitz », par quoi il faut entendre les contributions des communes juridictionnelles en proportion de leur représentation.

Le régime instituant un Etat fédératif dès 1848 signifia pour le canton des Grisons comme pour les autres un empiétement du pouvoir central sur la souveraineté financière cantonale. La perte des recettes douanières et postales, des droits de péage, de pontonage et de pesage, etc., obligea le canton à fonder son équilibre financier sur de nouvelles bases en procédant à une réforme fiscale. L'introduction d'impôts directs souleva dans le peuple une violente opposition et les trois premiers projets furent rejetés par de fortes majorités. Le quatrième seulement fut accepté en 1856 pour un temps limité. La première loi fiscale adoptée dans les Grisons pour un temps indéterminé date de 1881. Elle se fondait sur une combinaison d'impôts sur la fortune et sur le revenu.

Le premier compte d'Etat imprimé date, pour les Grisons, de 1856.

Il se composait d'un compte d'administration et d'un compte capital. Sous le régime valable jusqu'en 1942, le déficit du compte d'administration devait être couvert par des impôts au cours de l'année suivante. Cette règle eut pour conséquence que chaque année des impôts équivalents au déficit du compte d'administration étaient portés à l'actif du compte capital sous le titre de « Landessteuer-Konto ». Il résulta de cette méthode de comptabilisation que le compte capital se solda presque toujours par un excédent actif. En réalité, il n'y avait aucune fortune nette, le solde actif ne représentant que la justification comptable mais non réelle du patrimoine public. Nous montrons dans le tableau ci-après, dressé selon les principes admis aujourd'hui, les soldes du compte d'administration et des autres comptes depuis 1930. Ces mouvements totaux de fonds reflètent la situation financière réelle du canton. Il en ressort qu'au cours des 23 dernières années, les comptes se sont soldés dix fois par des excédents de recettes de 8,7 millions de francs au total, et treize fois par des déficits globaux de 56,6 millions.

416 En milliers de francs Autres comptes t1)

Comptes d'administration

Excédent global

Années Recettes

Dépenses

Excédent

Recettes

1930 1931 1932 1933 1934

18601 20108 16759 16600 17038

18937 19985 16961 ,16712 17 090

-- 336 123 -- 202 -- 112 -- 52

6521 5958 10 100 8447 9706

1935 1936 1937 1938 1939

18491 18230 20095 22 174 22051

18911 18460 20077 22441 22399

-- 420 -- 230 18 -- 267 -- 348

9999 10775 13607 11 610 11 229

9 176 9758 19715 12090 11 771

823 403 787 1017 -- 6 108 -- 6090 -- 480 -- 747 -- 542 -- 890

1940 1941 1942 1943 1944

21 306 24004 31433 35558 36427

21 751 24489 32969 37364 38184

-- 445 -- 485 -- 1 536 -- 1806 -- 1 757

12867 10020 11 954 39 122 6658

13065 10483 44299 37 769 6674

-- 198 -- 463 -- 32 345 1 353 -- 16

1945 1946 1947 1948 1949

43793 45 747 48944 48724 47633

45279 48 159 52030 52 164 50423

-- 1 486 -- 2412 -- 3086 -- 3440 -- 2790

1 571 1 231 1 559 993 1 498

1950 1951 1952

50439 54050 58 204

50785 53 674 57 359

-- 346

886 1415 1 374

376 845

Dépenses

Excédent

5136 1 385 5972 -- 14 2267 7833 7 737 710 9 108 598

1 953 -- 455

663 1 164 -- 537 427 621 337

1 049 109 2065 598 546

-- 643 -- 948 -- 33881 -- 453 -- 1 773

382 -- 776 -- 896 -- 171 -- 961 --

1 868 1636 2190 3611 1 829

459 794

113 1 170 1 882

1 037

t1) Compte capital et « fonds > de l'Etat.

Si nous considérons maintenant le développement de la dette publique, nous constatons qu'au siècle dernier déjà le canton a eu de la peine à amortir cette dette. Lorsque fut proclamé, en 1803, l'acte de médiation, les Grisons disposaient à la banque d'Angleterre d'un avoir de 5700 livres sterling.

A ce modeste capital s'opposaient toutefois des dettes assez importantes qui représentaient, en partie, un souvenir de la République helvétique.

Il est difficile de faire des comparaisons par suite des différentes modifications survenues dans la structure du compte d'Etat. La dernière trans-

417

formation ° radicale du compte d'Etat grison se fit en corrélation avec l'assainissement du chemin de fer rhétique, au 1er janvier 1942. Dans le tableau ci-après,' relatif à l'évolution de la situation financière des Grisons, nous ne remonterons donc que jusqu'à cette date.

En millions de francs PassU Années

1942 1943 1944 1945 1946 1947 1948 1949 1950 1951 1952

Actif total

178,4

155,9 165,1 157,1 149,7 148,4 146,1 146,9 143,6 143,7 145,7

Total

dont réserves

208,7 186,7

190,0 184,3 185,0

5,2 3,9 3,7 3,4 4,5 3,4

185,6 188,2 184,9 183,7 184,1

2 ,00 1,7 1,6 ·1,7 0,4

197,6

Endettement (Passif -- Actif + Réserves)

« Fonds « de l'Etat (fortune nette)

25,1 26,9 28,8 29,5 30,1 33,2 36,7 39,6 39,7 38,3 38,0

6,6 6,6 6,6 5,1 5,2.

5,0 4,3 4,3 4,3 4,2 4,5

Endettement compte tenu des «fonds»

Dette

18,5

38,5

20,3

40,5 42,4 43,5 43,9 47,5 51,2 54,2 54,1 53,4 52,4

22,2 24,4 24,9

28,2 32,4 35,3

35,4 34,1 33,5

La dette, soit la différence entre la fortune financière (actif réalisable -- montants rectificatifs) et les fonds étrangers (dette consolidée et dettes courantes) reflète la situation financière réelle du canton à ce jour. Une dette de 52,4 millions de francs ou de 382 fr. 20 par tête de population doit être considérée comme élevée, puisque le montant correspondant est de 175 fr. 10 pour Uri, de 116 fr. 90 pour Zurich, de 95 fr. 70 pour Schwyz et de 25 fr. 80 seulement pour Unterwald-le-Bas. Il faut considérer en outre que la fortune financière du canton des Grisons comprend le montant entier, à la valeur nominale, de sa participation improductive de 67,8 millions de francs au chemin de fer rhétique.

Feuille fédérale. 105e année. Vol. III.

31

418

L'accroissement de la dette a entraîné celui de la charge°nette des intérêts que supporte le canton (intérêts débiteurs, y compris frais d'emprunts moins intérêts créditeurs). Or, cette charge nette d'intérêts absorbe, comme le montre le tableau ci-dessous, une part importante des ressources fiscales du canton, lesquelles s'élèvent à 17,2 millions de francs.

Impôts sur la fortune et sur le revenu

Impôts cantonaux globaux

Service des intérêts Charge nette d'intérêts

Années Total

1000 fr.

10138 10321 11 403 11866 12247 13320 13845 14089 1952 14354

1944 1945 1946 1947 1948 1949 1950 1951

par habitant

Total

par habitant

Intérêts créditeurs

Intérêts débiteurs y compris les frais d'emprunts

Total

en% des ressources

par habitant fiscales du canton

Fr.

1000 fr.

Fr.

1000 fr.

1000 fr.

1000 fr.

Fr.

%

79.10 80.40 88.90 92.50 95.50 97.90 101.-- 102.70 104.70

11 131 11 371 13052 13849 14410 15610 16009 16487 17229

86.80 88.60 101.70 108.-- 112.40 114.70 116.80 120.20 125.70

3570 3516 3487 3310 2764 2786 l1) 2874 (!)

2562 C1) 2590 (')

6348 5900 5856 5696

2778

21.65 18.60

25,0

18.45 18.60 23.-- 22.60 22.65 22.20

18,2 17,2 20,5 19,8 19,4 18,5

21.75

17,3

5716 5882 5976 5605 .5569

2384 2369 2386 2952 3096 3102 3043 2979

21,0

t1) Y compris les intérêts sur le prêt en 1er rang au chemin de fer rhétique, intérêts transformés en un prêt en lile rang.

Parmi les intérêts débiteurs, ceux qui concernent les dettes contractées au profit du chemin de fer rhétique jouent un rôle tout particulier parce que l'octroi de prêts à long terme constitue depuis des années l'une des formes les plus importantes de l'aide du canton à cette entreprise. Or, contrairement à la participation au capital social, cette forme d'aide ne repose pas sur une obligation légale (découlant par exemple de la loi sur les subventions aux chemins de fer). Elle a été décidée dans des cas particuliers par le Grand conseil, notamment pour la raison pertinente que le capital étranger à long terme nécessaire à l'entreprise peut lui être fourni à des conditions favorables par l'intermédiaire du canton. On s'en promettait une meilleure rentabilité du chemin de fer et un rendement supéj rieur des actions en possession du canton. Le canton se procurait les fonds nécessaires sur le marché des capitaux et les transmettait au chemin de fer à des conditions semblables. La situation de la compagnie ayant empiré, cette manière de trouver les capitaux nécessaires équivalait à une subvention indirecte puisque le capital emprunté par le canton devait être rému-

419 nére par lui, même si la compagnie n'était pas en mesure d'acquitter, de son côté, l'intérêt dû au canton.

De 1897 à 1952, la participation du canton au chemin de fer rhétique et la dette contractée au profit du chemin de fer se sont développées de la manière suivante: En millions de francs Années

1897 1898 1899 1900 1901 1902 1903 1904 1905 1906 1907 1908 1909

1910 1911 1912 1913 1914 1915 1916 1917 1918 1919 1920 1921 1922 1923 1924

Participation selon compte d'Etat

Dette contractée pour les chemins de fer

5,0 5,0 6,1 7,2

10,0 10,0 10,0 10,0 10,0 31,0 33,4 33,2 33,0 36,8 36,5 40,3 40,1

1925

87,2

84,6

1926 1927 1928

86,5 86,4 86,2

84,1 83,8 83,5

1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935

83,6

39,8 49,6 65,4 65,1 64,9 74,6 75,4 75,1 74,8 76,6 77,8 85,7 85,6 85,2 85,2

1938

86,4 86,8 87,0 87,3 88,1 88,8 88,6 92,3 92,7 94,1 96,6 100,2 103,4 57,5 64,5 64,0 64,0 64,5 64,5 64,5 65,0 65,7 66,7 67,8

10,7

30,2 32,7

32,5 32,4 37,8

38,0 39,2 41,6

.45,9 52,0 66,4 66,9 66,7 77,2 78,0 78,1 78,1 78,1 89,3 85,3 87,1 86,5 87,3

Années

1936 1937 1939 1940 1941 1942 1943 1944 1945 1946 1947 1948 1949 1950 1951 1952

Participation selon compte d'Etat

Dette contractée pour les chemins de 1er

82,2 82,1

86,8 87,3 87,3 87,2 90,8 89,9 81,6(i) 81,4 85,5 81,0 47,8 54,5 53,9 53,5 53,1 52,6 52,2 51,7 51,3 50,8 50,3

(l) A partir do 3938, la detto ferroviaire nette ne peut plus être déterminée exactement parée qu'elle se confond partiellement avec les emprunts pour d'autres fins.

°

Le tableau ci-après montre les prestations du canton des Grisons en faveur du chemin de fer rhétique, les charges assumées par les communes étant également comprises dans les chiffres donnés. Nous avons tenu

420

compte, pour l'établir, de toutes les prestations en espèces ou en nature, ainsi que des exonérations fiscales et de tous les intérêts simples, mais non des intérêts composés ni des dividendes perdus.

Fr.

Subventions Actions Prêts et intérêts Garantie d'intérêts Prestations en nature Exonérations

2566600 26780800 93 233 800 127 600 1 367 000 12 603 100

fiscales Total au 1er janvier 1942

Secours fondés sur la loi d'aide aux chemins de fer privés: Chemin de fer de la Bernina, y compris contribution pour couvrir les déficits d'exploitation des années 1943/1952. .

Chemin de fer Bellinzone--Mesocco . .

Prêt en IIIe rang au chemin de fer rhétique Autres prestations: Reprise du prêt d'électrification consenti par la Confédération Pertes d'intérêt sur prêt en IIe rang au chemin de fer rhétique 1942/1952. . .

136 678 900

pr.

795000 400 000 3 800 000

4995000

6957500 2 591 500

A déduire : Remboursement en espèces au canton des Grisons à ' l'occasion de l'aide aux chemins de fer privés (intérêts compris) Total des prestations accordées jusqu'au 31 décembre 1952

9 549 000 151 222 900

36-136000 115086900

A ces prestations de plus de 115 millions de francs s'opposent aujourd'hui encore 23,3 millions d'actions et 46,8 millions de prêts, soit au total 70,1 millions. Pour retrouver le montant de.67,8 millions de francs mentionné à la page 419 pour la participation du canton au chemin de fer rhétique selon compte d'Etat, il faut déduire des 70,1 millions les participations en actions des communes (0,6 million) et la différence entre la valeur nominale et la valeur au bilan des actions en IIe rang (1,7 million).

421

II est presque superflu de préciser que de telles charges pour les transports publics pèsent lourdement sur un canton de montagne économiquement faible et pauvre en industrie. Ce canton fut obligé dès lors de faire supporter à ses habitants des charges fiscales sensiblement supérieures à la moyenne de celles qui sont imposées dans les chefs-lieux de cantons, cela tant en ce qui concerne l'impôt sur le revenu que pour l'impôt sur la fortune.

Malgré cette volonté de sortir de ses difficultés, laquelle est, avec une bonne assiette de l'impôt et une gestion économique, la première condition pour redresser les finances obérées d'une corporation publique, le canton des Grisons a vu chaque année, de 1937 à 1949, le mouvement général de son compte d'Etat (compte d'administration ordinaire et extraordinaire, compte capital et « fonds » de l'Etat) se solder par un déficit. Aussi la dette a-t-elle passé pendant ce temps de 38,5 à.54,2 millions de francs. Une amélioration ne s'est produite qu'avec l'introduction d'une meilleure péréquation financière entre les cantons. Cela s'explique facilement si l'on songe que la simple péréquation financière supplémentaire et directe, telle qu'elle fut pratiquée pour la première fois en 1950 et 1951 en vertu de l'arrêté fédéral concernant le régime transitoire des finances fédérales, a amené au canton des Grisons respectivement 2,9 et 3 millions de francs supplémentaires; à ces montants s'ajoutent 200000 francs provenant de l'augmentation du subside pour les routes alpestres internationales, selon l'article 30 de la constitution fédérale. Pour 1952 aussi, le subside accordé au canton des Grisons sur les. fonds disponibles pour la péréquation financière directe s'est élevé à 3 millions de francs environ. Aussi, les comptes généraux des années 1950 à 1952 se sont-ils soldés par un excédent des recettes d'environ 3,1 millions de francs qui permit de réduire le montant de la dette à 52,4 millions.

Par une péréquation financière directe et indirecte plus rigide, il a été possible de soulager dans une large mesure le canton des Grisons d'une de ses charges principales, celle découlant de la construction et de l'entretient de son important réseau de routes. Alors qu'en 1948, par exemple, ses routes lui ont coûté 6,6 millions de francs couverts pour 4,2 millions ou 63,6 pour
cent par des subventions fédérales, la charge correspondante a passé, en 1952, à 12,1 millions et les subsides de la Confédération à 10,7 millions ou 88,4 pour cent. Ainsi, malgré une augmentation de 5,5 millions de francs des dépenses pour le réseau routier, la charge effective du canton a diminué d'un million de francs.

Cette aide de la Confédération est accueillie avec reconnaissance par le canton des Grisons. Il ne faut cependant pas perdre de vue que si cette aide lui enlève sa plus lourde charge en matière de routes, une véritable amélioration de sa situation financière n'interviendra que lorsque la solidarité nationale le libérera aussi de cette charge spéciale qu'est pour lui

422

le chemin de fer rhétique. La preuve qu'en dépit de l'aide accordée aux Grisons dans le domaine de la construction et de l'entretien des routes, leur situation financière est encore précaire, nous l'avons apportée en comparant la dette publique de quelques cantons. Nous rappelons que par tête de population, cette dette est de 382 fr. 20 pour les Grisons, de 175 fr. 10 pour Uri, de 116 fr. 90 pour Zurich, de 95 fr. 70 pour Schwyz et de 25 fr. 80 seulement pour Unterwald-le-Bas. De plus, la fortune réalisable des Grisons comprend le montant total, à la valeur nominale, de sa participation improductive de 67,8 millions de francs au chemin de fer rhétique. Si l'on voulait traduire la réalité, cette participation ne devrait figurer que pour mémoire au compte capital. Cela signifierait simplement que la dette du canton par tête de population est encore sensiblement plus élevée. Dans le canton des Grisons, la situation financière est beaucoup plus mauvaise que dans n'importe quel autre canton. Relevons encore que la charge pesant sur les Grisons ne représente pas une simple écriture comptable, mais qu'elle trouve une contre-partie des plus réelles dans les intérêts débiteurs à couvrir par les impôts. C'est donc sous cet angle que l'aide aux Grisons se révèle urgente. Il faut se rappeler sans cesse que l'excédent actif de 1,9 million de francs, figurant en 1952 dans le compte général, comprend les intérêts fixes de 1,05 million sur le prêt en Ier rang accordé au chemin de fer rhétique. Or, le rendement du chemin de fer n'a pas produit le montant de cet intérêt et la compagnie n'a pu le verser effectivement.

Il n'a pu être imputé que d'une façon purement comptable sur un prêt en IIIe rang accordé conjointement par la Confédération et le canton en vue de l'acquisition de 6 locomotives, en vertu de la loi qui complète celle du 6 avril 1939 relative à l'aide aux chemins de fer privés. Pour balancer son compte de profits et pertes, la compagnie dut recourir, pour 1,3 million en 1951 et pour 0,7 million en 1952, à sa réserve de construction et d'exploitation, qui s'en trouva réduite, à fin 1952, à 840 000 francs environ. Sous peu, elle ne sera donc plus en mesure d'équilibrer le compte de profits et pertes si elle doit porter en compte les intérêts non produits sur l'emprunt en Ier rang. Il va sans dire que,
de son côté, le canton devra continuer à verser à ses bailleurs de fonds les intérêts des sommes empruntées pour le chemin de fer rhétique.

Si l'on envisage une opération de secours tenant compte des conditions propres aux Grisons et ne grevant pas outre mesure la Confédération et les autres cantons, il conviendra de la fonder sur les considérations qui précèdent.

IX. L'AIDE DE LA CONFÉDÉRATION Deux moyens se présentent pour réaliser le projet d'une aide qui libère le canton de la charge découlant de sa participation au chemin de fer rhétique et qui exonère celui-ci de l'obligation de prendre sur sa substance pour payer les intérêts non couverts par le rendement de l'entreprise.

423

1. La Confédération peut se substituer au canton comme créancier pour une partie du capital prêté. Cette solution est praticable par un versement en espèces pu par la remise de titres de la Confédération au moyen desquels le canton pourrait amortir sa dette. Enfin, la Confédération pourrait prendre directement en charge une part des dettes du canton correspondant aux créances qu'elle acquerrait sur le chemin de fer rhétique.

2. La Confédération peut garantir la couverture des intérêts sur les emprunts du chemin de fer rhétique. Ce faisant, elle tiendrait compte du fait que ce ne sont pas à proprement parler les participations audit chemin de fer qui pèsent sur les finances cantonales, mais bien l'improductivité de ces participations. Les prestations fédérales, qui figureraient au compte d'Etat de la Confédération, se réduiraient des intérêts produits éventuellement par le rendement du chemin de fer rhétique.

Dans ces deux variantes, il faudrait, pour qu'elles constituent véritablement une aide au chemin de fer lui-même, que les intérêts sur le prêt en Ier rang dépendissent aussi du rendement de l'exploitation. Dès lors, il ne serait plus nécessaire à l'avenir de prendre sur la substance de l'entreprise pour couvrir la moindre partie des intérêts non produits par le rendement ni de la faire figurer au passif du bilan du chemin de fer rhétique.

Dans le cas d'une garantie d'intérêts, le montant de l'aide fédérale au canton des Grisons devrait figurer chaque année comme subvention dans le compte d'Etat de la Confédération et dans celui du canton. Nous serions cependant enclins à donner la préférence à une solution qui laisserait le canton en dehors de l'opération. Tel serait le cas si la Confédération se chargeait de dettes cantonales; elle y trouverait d'ailleurs également son compte, puisqu'elle peut se procurer les fonds nécessaires à un taux plus favorable que le canton.

Il ne peut être question de tenir compte, dans l'aide fédérale, du prêt en IIIe rang, lequel s'est constitué, comme nous l'avons relevé, d'intérêts non payés sur l'emprunt en Ier rang. Il a fallu recourir à ce procédé exceptionnel, rendu possible seulement par une interprétation extrêmement large de la loi sur l'aide aux chemins de fer privés, pour pouvoir mettre à la disposition de la compagnie 5 millions de francs en vue de
l'achat de nouvelles locomotives sans être obligé pour autant d'y affecter encore des ressources du canton. Il n'y a aucune raison dès lors d'inclure le prêt en IIIe rang dans l'opération de secours. Le canton devra donc renoncer à se prévaloir de ce prêt dans une convention à conclure entre lui et la Confédération au sujet de l'aide envisagée. Il resterait donc environ 43 millions de francs, pour lesquels nous vous proposons que la Confédération, par un acte de solidarité confédérale, décharge le canton des Grisons d'une partie de ses dettes ferroviaires et se substitue pour le même montant

424

audit canton comme créancier du chemin de fer rhétique. Etant donnée la composition des dettes cantonales à reprendre, il en résulterait pour les Grisons une décharge annuelle d'environ 1,4 million de francs. De son côté le chemin de fer verra diminuer ses charges d'environ 1,05 million de francs par an au plus par la transformation de l'emprunt à intérêt fixe au Ier rang en un emprunt à intérêt variable.

Nous vous ^proposons donc que : 1. Le canton des Grisons cède à la Confédération, pour le montant de 43 millions de francs, ses prêts en Ier et IIe rang au chemin de fer rhétique.

2. La Confédération s'engage à libérer, pour un montant égal, le canton des Grisons de ses dettes envers les tiers.

3. La Confédération transforme le prêt en Ier rang à 3% pour cent d'intérêts fixes, le prêt en IIe rang à intérêt variable et son propre prêt en IIIe rang à intérêt variable en un prêt unique à intérêt variable de 3 pour cent au maximum.

Dans son rapport du 10 mai 1952, la commission fédérale d'experts chargée des questions touchant le rachat des chemins de fer a également proposé que la Confédération mît à la disposition du canton des Grisons, à titre de mesure transitoire, une somme d'environ 43 millions de francs contre remise de ses créances de même montant, garanties par hypothèques, sur le chemin de fer rhétique.

Nous croyons avoir démontré, dans le présent message, qu'il convenait de tenir compte des conditions particulières du canton des Grisons et du chemin de fer rhétique, par un acte de solidarité nationale. Eu égard aux possibilités et aux besoins du moment nous croyons aussi avoir tenu compte de ces conditions particulières dans une mesure suffisante, en proposant de soulager le canton de 43 millions de dettes et de transformer le prêt en Ier rang, à intérêt fixe, au chemin de fer rhétique, en un prêt à intérêt variable. Ces trois dernières années déjà, le compte d'Etat du canton s'est soldé par un excédent actif. L'économie d'environ 1,4 million sur les intérêts débiteurs, auxquels ne faisait face jusqu'ici que 1,05 million d'intérêts créditeurs sur le prêt en Ier rang au chemin de fer rhétique, permettra d'améliorer encore la situation financière.

Le chemin de fer, de son côté, sera en mesure, d'après nos propositions, de poursuivre son activité avec un capital-actions de quelque 38
millions de francs et un capital étranger à intérêt variable d'environ 48 millions (43 + 5 millions). Comme de cette façon c'est pratiquement le service des intérêts de l'ensemble du capital qui dépendra des résultats d'exploitation, nous sommes persuadés que si la situation économique favorable se maintient et que le tourisme prospère, le canton des Grisons et le chemin de fer

425 rhétique pourront regarder l'avenir avec un peu plus de confiance. Si néanmoins l'idée d'un rachat devait être reprise plus tard, les nouveau fonds de 43 millions engagés par ;la Confédération, comme aussi les 36,5 millions fournis jusqu'à fin 1952 et déclarés imputables sur l'indemnité de rachat éventuelle, devraient être portés en compte intégralement. De cette façon, les prestations antérieures de la Confédération s'élèveraient à 79,5 millions de francs dans le cas d'un rachat futur du chemin de fer rhétique.

Nous avons l'honneur, Monsieur le Président et Messieurs, de recommander à votre acceptation le projet d'arrêté fédéral ci-joint et de vous présenter les assurances de notre haute considération, Berne, le 23 octobre 1953.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Etter 9872

Le chancelier de la Confédération, Ch. Oser

426

(Projet)

ARRÊTÉ FÉDÉRAL concernant

une aide financière au canton des Grisons et au chemin de fer rhétique

L'Assemblée fédérale de la Confédération suisse,

vu l'article 26 de la constitution; vu le message du Conseil fédéral du 23 octobre 1953, arrête :

Article premier Le Conseil fédéral est autorisé à allouer au canton des Grisons un montant de 42 957 506 francs, valeur au 1er janvier 1954, moyennant cession par ledit canton de ses créances en Ier et IIe rang, garanties par hypothèques, sur le chemin de fer rhétique, ainsi que de tous les avantages et droits qui y sont attachés.

Art. 2 Les prêts mentionnés à l'article premier et le prêt en IIIe rang antérieurement accordé par la Confédération au chemin de fer rhétique doivent être réunis, avec effet au 1er janvier 1954, en un prêt unique de 47 957 506 francs qui sera inscrit en Ier rang dans le registre des gages sur les entreprises de chemins de fer. L'intérêt variable et non cumulatif est de 3 pour cent au maximum.

Art. 3 Une convention entre la Confédération, le canton des Grisons et le chemin de fer rhétique fixera les conditions particulières de la reprise par la Confédération des engagements du canton, dans la mesure de l'aide fédérale selon l'article premier; elle fixera également les autres conditions qui devront être posées en vue de sauvegarder les intérêts de la Confédération et de consoHder la situation financière du chemin de fer rhétique.

427

Art. 4 Est abrogée, dès l'entrée en vigueur du présent arrêté, la loi fédérale du 22 août 1878 accordant des subventions aux chemins de fer des Alpes.

Art. 5 Le présent arrêté sera publié conformément aux dispositions de la loi du 17 juin 1874 concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux.

Le Conseil fédéral est chargé de l'exécution.

9872

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MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale à l'appui d'un projet d'arrêté fédéral concernant une aide financière au canton des Grisons et au chemin de fer rhétique (Du 23 octobre 1953)

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