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FEUILLE FÉDÉRALE 105e année

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Berne, le 9 avril 1953

Volume I

Parait, en règle générale, chaque semaine. Prix 80 francs par an; 16 francs pour six mois, plus la taxe postale d'abonnement ou de remboursement Avis: 50 centimes la ligne ou son espace; doivent être adressés franco à l'imprimerie des Hoirs C.-J. Wyss, société anonyme, à Berne

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MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant une aide extraordinaire aux Suisses de l'étranger victimes de la guerre (Du 27 mars 1953) Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous soumettre, avec message à l'appui, un projet d'arrêté fédéral concernant une aide extraordinaire aux Suisses de l'étranger victimes de la guerre.

I. LA QUESTION DES DOMMAGES DE GUERRE 25 000 Suisses environ ont subi à l'étranger des dommages pendant la seconde guerre mondiale. La somme des pertes est aussi fort élevée.

Selon les déclarations des sinistrés, elle atteint quelque deux milliards et demi de francs suisses. A noter cependant qu'il s'agit en général d'estimations subjectives qui n'ont pas été vérifiées en Suisse.

Les dommages de guerre comprennent, à notre avis, non seulement les pertes dues à des destructions causées par des faits de guerre (bombardements, etc.), mais encore les pertes résultant de réquisitions, de pillages et de désordres. Des préjudices provenant, par exemple, de mesures prises par les pouvoirs publics en matière de devises, de dévaluations monétaires, d'un manque à gagner, ne sauraient en revanche être considérés comme des dommages de guerre. Les dommages causés en Suisse -- en général par des bombardements -- constituent également une catégorie à part, étant donné qu'il s'agit de dommages résultant d'une violation de notre neutralité. Ces dommages ont d'ailleurs été réparés au moyen des sommes payées, en vertu du droit des gens, par les Etats qui les avaient causés.

Feuille fédérale. 105» année. Vol. I.

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Bien que le droit des gens actuel ne soit pas d'un secours suffisant et que l'évolution du droit international ne soit guère de nature à améliorer la situation des ressortissants des Etats neutres, de nombreuses démarches ont été entreprises dans divers pays. Quelques succès ont été enregistrés, notamment lorsqu'il s'agissait de dommages résultant de réquisitions, pillages ou désordres, le droit des gens reconnaissant le principe d'une réparation pour cette catégorie de dommages. C'est ainsi que la France, par exemple, s'est déclarée prête à verser une indemnité pour les réquisitions opérées en 1940/41 dans les ports français. Une somme de 18 millions de francs suisses en chiffre rond a été payée à la Suisse pour des dommages dus à des réquisitions. Le montant versé à titre d'indemnités pour pillages fut de 7 millions environ, ce qui ne représente qu'une faible partie des sommes réclamées. Généralement, le lésé a en effet beaucoup de peine, en pareils cas, à fournir la preuve des pertes alléguées. Deux Etats ont versé des indemnités pour des pertes causées par des actes illicites. En 1945, le Japon a payé à la Suisse une somme qui permit d'indemniser les Suisses qui avaient souffert d'actes illicites commis par les troupes japonaises aux Philippines. De son côté, la France a payé unes somme avec laquelle on a pu indemniser les Suisses qui avaient souffert des actes des forces françaises libres pendant la libération en 1944/45. En revanche, des demandes de réparation adressées à d'autres Etats à la suite de mauvais traitements, meurtres, tortures, déportations, etc. sont malheureusement demeurées jusqu'ici sans résultat.

Si la Suisse a pu invoquer le droit des gens pour les réclamations de la catégorie susmentionnée, il en est allé tout autrement pour les dommages dus aux destructions, c'est-à-dire aux dommages de guerre dans le sens étroit du terme. Selon la pratique internationale, l'Etat qui a causé de tels dommages n'est pas tenu de les réparer. Après la première guerre mondiale, à une époque où les mêmes problèmes se posaient, le professeur Burckhardt avait rédigé, à la demande du Conseil fédéral, une consultation sur cette question. Il est arrivé à la même conclusion, à savoir qu'un Etat n'est tenu, sauf convention contraire, de réparer ni les dommages qu'il a causés ni ceux qui se sont
produits sur son territoire. Cette consultation fut publiée comme annexe au rapport que le Conseil fédéral adressa à l'Assemblée fédérale, le 30 septembre 1929, sur la question des dommages de guerre. Elle n'a rien perdu de son actualité et ses conclusions sont encore valables à l'heure actuelle.

Plusieurs Etats ont prévu le versement d':indemnités partielles pour leurs nationaux établis sur leur territoire. La Suisse a essayé d'obtenir que ses ressortissants fussent traités sur le même pied que lesdits nationaux et considérait qu'il s'agissait là d'un maximum. C'était poser la question de savoir si l'Etat sur le territoire duquel les dommages se sont produits peut appliquer le « traitement national » à des ressortissants neutres. Sur ce point, le professeur Burckhardt répondit aussi négativement. Aucun

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Etat, disait-il, n'est tenu, en matière de dommages de guerre, de traiter les étrangers (fussent-ils des neutres) comme ses nationaux. Il convenait donc de se demander si des accords internationaux, par exemple les traités d'établissement, ne pouvaient pas être invoqués. Or seul le traité d'établissement avec l'Allemagne contenait une clause relative à l'égalité de traitement. Le Reich allemand fit à la Suisse une déclaration dans ce sens en 1944. Un accord fut ensuite conclu. Mais il fut réduit à néant par l'effondrement du Reich.

En revanche, selon la loi sur la péréquation des charges entrée en vigueur le 1er septembre 1952 dans la République fédérale d'Allemagne et à Berlin-Ouest, les étrangers et, partant, .les citoyens suisses bénéficient du même traitement que les ressortissants allemands en ce qui concerne la réparation de dommages matériels de guerre et de dommages dits « Ostschäden ». Par l'accord qu'elle a conclu le 26 août avec la République fédérale d'Allemagne concernant la péréquation des charges, la Suisse a en outre pu obtenir, en faveur de ses ressortissants, les mêmes avantages que les Alliés pour le paiement des contributions; il en résulte pour eux une économie sensible. Quant aux prestations, il importe de relever que, contrairement à la réglementation prévue dans ladite loi, les lésés suisses ont droit, grâce à l'accord conclu, à certaines indemnités de caractère plutôt social, même s'ils sont domiciliés hors d'Allemagne, notamment en Suisse.

Les autres traités d'établissement ne contiennent pas de clauses concernant l'égalité de traitement. D'ailleurs, notre pays s'entendit dire que ces traités sont applicables au régime de paix mais non point en temps de guerre.

Dans ces conditions, le Conseil fédéral devait se résoudre à chercher un règlement du problème par la voie d'accords de réciprocité, en vertu desquels la Suisse traiterait les étrangers comme ses nationaux s'ils devaient subir des dommages de guerre sur son territoire. Les démarches suisses aboutirent partiellement à un résultat. Suivant les arrangements conclus, les Suisses qui ont subi des dommages en Angleterre, aux Pays-Bas, aux Philippines, en Malaisie et à Singapour ont droit aux mêmes indemnités que les ressortissants de ces pays ou régions.

Les efforts déployés par la Suisse pour conclure des accords de
réciprocité avec d'autres pays, notamment avec la France, la Belgique et l'Italie, n'ont malheureusement pas abouti. Ces pays exposèrent qu'ils n'avaient pas un grand intérêt à conclure avec la Suisse -- pays épargné par la guerre -- de tels accords relatifs aux dommages de guerre. Chez nous, seuls les dommages causés par des violations de la neutralité (bombardement de Schaffhouse, etc.) permettent de mettre l'étranger sur le même pied que les citoyens suisses. Ces pertes subies par des étrangers sont cependant trop légères pour inciter un Etat qui a connu la guerre

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à conclure un accord de réciprocité avec la Suisse. Nos démarches ne furent cependant pas tout à fait infructueuses, puisque les accords conclus jusqu'à présent ont permis de verser quelque 32 millions de francs à de nombreux Suisses. Mais il subsiste peu d'espoir de conclure des accords relatifs aux dommages de guerre avec d'autres Etats.

L'histoire de la question des dommages de guerre sur le plan national appelle les explications suivantes: L'ampleur des pertes dues à la guerre et le montant relativement faible des indemnités que nous avons reçues ou pouvons attendre de l'étranger ont amené de très nombreux Suisses de l'étranger et rapatriés à penser qu'il incombait à la Confédération de réparer elle-même -- au moins partiellement -- les dommages de guerre subis à l'étranger. On doit faire observer à ces compatriotes que la Confédération n'a aucune obligation juridique de réparer de tels dommages.

Le Conseil fédéral s'est déjà exprimé de cette manière, après la première guerre mondiale, dans son message du 23 août 1921 concernant l'ouverture d'un crédit à l'effet de venir en aide par des prêts aux propriétaires fonciers suisses sinistrés dans les pays dévastés par la guerre; par la suite, il a, à maintes occasions, confirmé cet avis, que les chambres ont partagé. Dans l'arrêté fédéral du 21 juin 1923 sur les secours aux Suisses tombés à l'étranger dans le besoin sans leur faute, elles ont insisté expressément sur le fait que les mesures de secours étaient purement volontaires (cf. FF 1921, III, 869 s. ; RO 39, 354 et FF 1946, II, 113 s.) La situation juridique ne serait autre que si une loi fédérale permettait de réparer, au moyen de fonds suisses, les dommages de guerre subis à l'étranger. Une telle loi, réclamée d'une façon répétée par les intéressés, n'existe pas.

Il faut se demander -- question d'une importance particulière -- s'il convient d'édicter une telle loi qui garantirait la réparation totale ou partielle, par la Confédération, des dommages de guerre que des Suisses .ont subis à l'étranger. Le Conseil fédéral répond négativement à cette question; c'est pourquoi il renonce, comme par le passé, à soumettre un projet dans ce sens aux conseils législatifs. Les raisons pratiques de cette attitude sont exposées au chapitre IV. Quant au fond du problème, il appelle les considérations
suivantes: La base constitutionnelle d'un telle loi fait entièrement défaut. Elle devrait donc tout d'abord être créée. Le Conseil fédéral croit devoir soulever des objections. Dans sa consultation déjà citée, le professeur Burckhardt a exposé qu'en cas de guerre, l'Etat neutre ne peut réclamer de l'Etat sur le territoire duquel des dommages de guerre ont été causés qu'il indemnise les ressortissants de cet Etat neutre établis chez lui. L'issue de la guerre est impossible à prévoir. On doit se rendre compte qu'aucune puissance ne peut empêcher l'Etat le mieux intentionné d'être entraîné dans un conflit et que les conséquences de la guerre sont imprévisibles.

Cela établi, on reconnaîtra qu'aucun Etat ne peut être raisonnablement

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tenu de réparer les dommages résultant pour les neutres d'une guerre qu'il considérera comme un malheur, qui peut-être même lui aura été imposé** injustement, et dont, en tout cas, il n'acceptera jamais la responsabilité.

Ce qui a été dit au sujet des rapports entre le pays neutre et l'Etat sur le territoire duquel il a subi des dommages de guerre s'applique par analogie aux rapports entre l'Etat neutre et ses ressortissants. Un droit à la réparation consacré par la constitution aurait des conséquences vraiment imprévisibles ; en effet, il viserait non seulement les dommages causés pendant la seconde guerre mondiale, mais aussi ceux qui résulteraient de conflits futurs. Et pourquoi la constitution limiterait-elle précisément ce droit aux dommages de guerre ? Les citoyens qui ont subi d'autres pertes ne mériteraient-ils pas tout autant d'être indemnisés par l'Etat ? Songeons aux dommages provoqués par des violations de la neutralité, des catastrophes naturelles ou des événements semblables.

On a invoqué le fait que la Suisse, pays neutre épargné par les hostilités, ne devait pas, dans la question des dommages de guerre, traiter ses citoyens d'une manière plus défavorable que ne le fait, à l'égard de ses propres ressortissants, un Etat qui a connu la guerre. Une telle comparaison repose sur des données fausses, la situation du belligérant étant totalement différente de celle de l'Etat neutre, aussi en ce qui concerne les dommages de guerre. Il faudrait d'ailleurs savoir si les Etats belligérants ont réellement accordé partout à leurs ressortissants un droit à la réparation ou si les indemnités versées n'ont pas plutôt le caractère d'une aide sociale, de contributions à la reconstruction, au relèvement de l'économie, etc.

Une comparaison entre les Etats étrangers qui ont connu la guerre et notre pays est tout au plus possible pour les dommages causés par des violations de la neutralité, si tant est que ceux-ci puissent être assimilés à des dommages de guerre; en effet, seul l'Etat qui en est l'auteur, mais non pas celui sur le territoire duquel ils se sont produits, est belligérant.

Mais si on considère cette catégorie de dommages, on voit précisément qu'il est juste que la Confédération conteste un droit à la réparation. Car on oublie souvent que les citoyens suisses et les étrangers lésés par
des violations de la neutralité n'avaient pas le droit de lui réclamer une indemnité. La Confédération n'a accordé, dans une mesure limitée, que des secours financiers; plus tard, elle les a déduits intégralement des sommes qui lui ont été versées par les Etats responsables des dommages (notamment les Etats-Unis) et qu'elle a réparties entre les différents sinistrés. Il est donc permis d'affirmer que la Confédération ne traite pas les citoyens suisses ayant subi des dommages de guerre à l'étranger d'une manière plus défavorable que ceux qui, dans le pays, ont souffert des violations de la neutralité. Pour l'aide à accorder aux étrangers, la Confédération se fonde sur la réciprocité. Lorsque les victimes suisses de la guerre dans un pays étranger n'étaient pas indemnisées par ce dernier, les ressortissants

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du pays en question auxquels des violations de la neutralité ont causé des dommages n'ont également bénéficié d'aucune aide en Suisse.

Il est donc faux de mettre en parallèle, comme le font certains Suisses de, l'étranger, les pays qui, blessés par la guerre, prennent soin de leurs ressortissants et la Suisse saine et sauve qui abandonnerait à leur sort ses enfants expatriés éprouvés par le conflit. En conclusion, toute comparaison dément l'opinion selon laquelle la Confédération doit accorder un droit à la réparation aux Suisses victimes de la guérie.

II. LES MESURES D'AIDE DÉJÀ PRISES Nous avons donc vu qu'il ne peut être question de réparer au moyen de fonds suisses les dommages de guerre subis; à l'étranger. Cependant, le Conseil fédéral n'a jamais contesté qu'une aide volontaire, ne constituant pas une « indemnité », serait un acte de sagesse politique et représenterait même l'exécution d'une obligation morale. Nous croyons devoir exposer ce qui a été fait dans ce sens jusqu'à présent, quand bien même notre message à l'appui de l'arrêté fédéral du 17 octobre 1946 concernant une aide extraordinaire aux Suisses de l'étranger indiquait ce qui pouvait être dit alors. (FF 1946, II, 113 s., ch. 2).

La seconde guerre mondiale venait d'éclater lorsque le Conseil fédéral mit sur pied, le 1er septembre 1939, une oeuvre de secours, usant de ses pouvoirs extraordinaires pour le financement des mesures prises. Cette oeuvre fut, au bout de sept ans, remplacée par une autre, dont le fonctionnement était réglé non plus par des dispositions prises en vertu des pouvoirs extraordinaires, mais par l'arrêté fédéral du 17 octobre 1946 concernant une aide extraordinaire aux Suisses de l'étranger. Le Conseil fédéral recevait pouvoir et mandat, pour continuer la première oeuvre de secours, de venir en aide, par des prestations extraordinaires, aux Suisses demeurés à l'étranger ou rentrés au pays, qui étaient tombés dans le dénuement par suite de la dernière guerre mondiale ou de mesures d'ordre politique ou économique prises par des autorités étrangères. L'arrêté fédéral ouvrait en même temps au Conseil fédéral un crédit de 75 millions pour l'aide aux Suisses de l'étranger. Le Conseil fédéral avait dépensé précédemment 73 millions aux mêmes fins. Une ordonnance d'exécution du 27 décembre 1946 régla les modalités
de cette seconde oeuvre de secours. L'office central chargé des questions relatives aux Suisses de l'étranger fut chargé de l'exécution.

Ces mesures immédiates devaient apporter aux Suisses durement frappés par la guerre les premiers secours dont ils avaient en général un urgent besoin et leur permettre, autant que possible, de se créer une situation dans le pays ou à l'étranger. L'aide consista principalement à trouver du travail pour ces gens, à leur procurer du mobilier et le couvert, ce qui nécessita la création de homes au moment de la forte pénurie de loge-

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ments. L'aide résida cependant aussi dans un enseignement et dans une rééducation professionnelle qui devaient notamment permettre aux rapatriés d'exercer une profession autre que celle qu'ils avaient apprise et exercée à l'étranger. On a aussi aidé les Suisses demeurés à l'étranger et les rapatriés en leur fournissant des fonds pour assurer leur entretien, ainsi que pour se procurer du linge, des vêtements et les outils nécessaires à l'exercice de leur profession. Des mesures particulières furent prises en faveur des jeunes gens et des étudiants, ainsi que des personnes entièrement ou partiellement incapables de travailler. Des subventions facilitèrent à des rapatriés leur départ pour l'étranger. Des prêts furent en particulier accordés à des rapatriés et Suisses de l'étranger qui, par leur âge ou leur profession, étaient obligés de continuer ou de commencer une activité indépendante. L'octroi de prêts devint graduellement la forme d'aide la plus efficace, surtout après que le Conseil fédéral, en septembre 1949, eut assoupli, dans ce domaine et dans d'autres, les dispositions un peu trop étroites de l'ordonnance d'exécution. Il s'agit en particulier de l'adoption de dispositions facilitant l'octroi des prêts et portant leur maximum à 20 000 francs (30 000 dans les cas spéciaux). Ces prêts furent accordés par l'office central chargé des questions relatives aux Suisses de l'étranger, directement ou par l'intermédiaire des banques suisses, avec garantie de la Confédération. L'importance et l'utilité de cet octroi de prêts sont prouvées par les chiffres ci-après: Jusqu'à fin 1952, 736 prêts ont été octroyés pour une somme globale de 5 611 000 francs. A cette même date, le montant des remboursements atteignait 1 304 000 francs.

En principe, nos concitoyens demeurés à l'étranger ont été traités comme les rapatriés. En outre, ils reçurent directement de Suisse, pour se rééquiper, dans une large mesure et aussi longtemps que ce fut nécessaire, des denrées alimentaires, des chaussures, des produits textiles, du mobilier, des médicaments, etc. De tels envois ne sont encore nécessaires aujourd'hui qu'en faveur de Suisses indigents vivant dans quelques pays de l'Est. L'aide collective a permis à beaucoup de nos ressortissants de se maintenir à l'étranger.

L'arrêté fédéral de 1946 concernant une aide
extraordinaire aux Suisses de l'étranger disposait que les cantons et les communes devaient, en raison des obligations d'assistance mises à leur charge par la constitution, participer pour un tiers aux secours accordés par la Confédération; ces prestations ne pouvaient être considérées comme des allocations d'assistance.

Toutefois la Confédération supportait seule le financement de l'action de secours entreprisse en faveur de nos concitoyens restés à l'étranger; en outre les cantons n'étaient pas tenus de joindre leur garantie à celle que la Confédération donnait pour des prêts. De même, les premiers secours et l'aide accordée dans d'autres domaines étaient à la charge de la Confédération. Aussi précieuse qu'ait été la collaboration des cantons et des communes, elle s'exerça de telle manière que, par sa nature même, elle donna,

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dans une certaine mesure, à l'oeuvre d'entraide le caractère d'une assistance des indigents. Ainsi, on perdit quelquefois de vue, en accomplissant cette oeuvre, qu'il s'agissait d'une aide particulière aux Suisses de l'étranger dont la détresse était due à des circonstances extraordinaires et qui, pour la plupart, ne pouvaient être assimilés à de véritables ressortissants indigents.

On ne saurait cependant nier que l'aide accordée jusqu'alors a atteint son but, en ce sens qu'elle devint une véritable action de sauvetage pour les Suisses de l'étranger qui furent victimes de la seconde guerre mondiale.

Elle a permis à la plupart des rapatriés de surmonter les difficultés de leur situation, si pénible au début, souvent même désespérée; elle a accéléré une réadaptation rendue d'autant plus difficile et laborieuse que, absents pendant des années, ils n'avaient plus la même mentalité et ne connaissaient pas les dialectes de la Suisse alémanique. Elle n'a pas été instituée pour .rétablir l'état antérieur aux dommages de guerre, mais elle a efficacement contribué à en atténuer les conséquences et même, quelquefois, à les réparer partiellement.

La Confédération supporta la majeure partie des dépenses occasionnées par toutes ces prestations. Elle dépensa à. elle seule 140,6 millions de francs depuis 1939 (début de l'aide), jusqu'à la fin de 1952. Il faut y ajouter la part des cantons et des communes, estimée à dix-huit millions de francs, les dépenses de diverses institutions philanthropiques privées, notamment de la conférence de l'aide aux rapatriés et de l'oeuvre de secours en faveur des enfants suisses de l'étranger, soit environ 7 millions de francs.

Les dépenses totales jusqu'à la fin de 1952 s'élèvent ainsi à 165,6 millions de francs. 7,4 millions, sur les 75 millions prévus au crédit accordé en 1946, étaient encore disponibles à la fin de 1952. Ce solde sera probablement réduit de 3,5 millions à la fin de 1953, les mesures prises jusqu'à présent étant provisoirement maintenues.

Tout en accordant une aide matérielle directe, la Confédération s'efforçait en même temps d'améliorer le sort des Suisses de l'étranger et des rapatriés par une série d'autres mesures. Nous avons exposé ci-dessus les démarches entreprises par elle en vue d'obtenir de l'étranger des indemnités pour les dommages causés par
la guerre. Ces dernières années, elle a encore réussi, par une série d'accords économiques et financiers conclus avec l'étranger, à accélérer le transfert en Suisse, presque complètement paralysé auparavant, d'avoirs placés à l'étranger, de manière telle que des capitaux gelés, de même que des rentes, des pensions, etc. représentant plusieurs millions ont pu être ramenés dans notre pays. Ces mesures ont eu d'heureux effets sur la situation des rapatriés qui en ont bénéficié.

On sait que la Confédération a conclu des accords avec divers pays, notamment avec la Yougoslavie, la Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et la Roumanie sur l'indemnisation des citoyens suisses atteints par des mesures de nationalisation. La commission des indemnités de

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nationalisation instituée par l'arrêté fédéral du 21 décembre 1950 est chargée de fixer le montant des indemnités et de verser les fonds disponibles aux ayants droit, parmi lesquels se trouvent de nombreux rapatriés.

Même si les sinistrés ne reçoivent d'aucune façon les indemnités auxquelles ils s'attendaient, les paiements effectués ont été les bienvenus, car ils ont permis d'améliorer peu à peu et dans une assez large mesure la situation de nombreux Suisses de l'étranger et rapatriés.

Rappelons enfin le transfert des fonds des rapatriés d'Allemagne.

Avant la fin de la guerre, la légation de Suisse à Berlin accepta des fonds allemands de citoyens suisses demeurant en Allemagne avant leur retour en Suisse, fonds dont la contre-valeur leur fut délivrée en monnaie suisse après leur arrivée dans notre pays. De cette manière, 12 millions de francs environ purent être récupérés en un temps où d'autres possibilités de transfert faisaient défaut; le montant de ces sommes fut bonifié exclusivement aux rapatriés qui avaient participé au transfert.

Malgré les oeuvres d'aide et de secours par lesquelles la Confédération a prouvé sa bonne volonté, la situation ne se prête pas à une appréciation très optimiste. D'une manière générale, il faut en effet reconnaître que les conditions d'existence et les revenus d'un grand nombre de réfugiés et de citoyens suisses à l'étranger sont encore précaires. Le haut degré d'occupation atteint dans notre pays dès la fin des hostilités, et qui se maintient très généralement aujourd'hui, a heureusement facilité largement la prise d'emplois par les rapatriés capables de travailler. La plupart d'entre eux ont trouvé du travail, immédiatement ou après un temps relativement court. A signaler cependant que, depuis un certain temps, une saturation est perceptible, notamment dans le commerce et dans beaucoup de branches techniques ou de professions libérales de sorte que de nombreux rapatriés n'ont pu être placés dans le genre d'activité qu'ils avaient auparavant à l'étranger, mais ont dû se contenter d'emplois quelconques dont les traitements ne peuvent soutenir la comparaison avec les revenus antérieurs. C'est le cas par exemple de ceux qui, à l'étranger, étaient premiers vachers ou surveillants de domaines, ou exerçaient une activité lucrative indépendante. Il s'ensuivit que
beaucoup parmi eux ne purent être occupés, dans l'artisanat et dans l'industrie, qu'en qualité d'ouvriers auxiliaires.

Point n'est besoin d'expliquer longuement à quel point ce déclassement social, joint à la perte de la situation acquise à l'étranger par des années de travail et aux conséquences matérielles provoquées par l'effet direct ou indirect de la guerre, -ont gravement atteint le moral des rapatriés, même si, dès lors, bon nombre d'entre eux ont pu améliorer leur situation et disposent aujourd'hui de nouveau d'un revenu les mettant, eux et leur famille, à l'abri de la misère. Ces conséquences, par leur nature même, ne pouvaient être modifiées par une aide immédiate de la Confédération, des cantons et des communes, quelles que fussent son ampleur et sa durée.

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Ajoutons que nombreux sont les rapatriés qui ont, sans leur faute, des revenus demeurés si modestes qu'un secours doit encore leur être accordé pendant un temps plus ou moins long. Particulièrement à plaindre sont les rapatriés dont l'existence à l'étranger aurait, en temps normal, été assurée mais qui, en Suisse, n'ont pu trouver que péniblement un emploi -- le plus souvent subalterne -- parce qu'ils ne sont plus jeunes ou qu'ils exercent une profession spécialisée. Pensons aussi à la situation de nombreuses personnes âgées, aujourd'hui incapables de travailler, qui auraient pu subvenir elles-mêmes à leur existence à l'étranger ou vivre leurs vieux jours avec leur parenté, grâce à leurs économies, et qui maintenant -- ces économies étant perdues ou dévaluées -- sont pour longtemps à la charge de l'assistance publique.

Nous pensons avoir montré que la situation d'une foule de rapatriés laisse, aujourd'hui encore, fortement à désirer à bien des égards. D'autre part, nos compatriotes demeurés à l'étranger ne sont pas en meilleure posture, malgré l'aide qui leur a été accordée. En effet, les conditions économiques et politiques des Etats où ils résident -- souvent défavorables --, le renchérissement, l'inflation, la diminution du pouvoir d'achat, ne leur permettent guère de se remettre d'une manière satisfaisante des secousses provoquées par la guerre et ses suites.

On peut évidemment comparer leur situation à celle des nombreux Suisses restés au pays auxquels les conditions créées par la guerre ont rendu l'existence difficile; cette comparaison est cependant boiteuse parce que les Suisses de cette dernière catégorie ont gardé leurs foyers intacts et ont, grâce à leurs attaches, bénéficié de facilités dont les rapatriés dénués de tout ou les Suisses à l'étranger ressentent cruellement l'absence. Pour ces raisons, nous pensons que la Confédération ne peut pas, aujourd'hui déjà, estimer avoir fait un effort suffisant. Les Suisses de l'étranger, chair et sang de notre peuple, méritent que nous nous occupions d'eux. Quant à la Confédération, elle ne peut s'exposer au reproche d'avoir laissé une oeuvre inachevée.

III. L'ACTIVITÉ DE LA COMMISSION D'EXPERTS POUR LES QUESTIONS DES SUISSES DE L'ÉTRANGER Au cours des dernières années, on a constaté que la question d'une aide matérielle immédiate aux Suisses
de l'étranger et aux rapatriés -- si nécessaire et urgente que fût cette aide -- n'était pas la seule question intéressant nos compatriotes. Il s'agissait en effet de chercher à résoudre encore d'autres questions importantes, plus ou moins liées aux événements de la guerre. Considérant que l'administration fédérale ne pourrait examiner elle-même tous ces problèmes, le département de justice et police décida en 1946, avec l'assentiment du Conseil fédéral, de constituer une commis-

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sion d'experts pour les questions des Suisses à l'étranger, avec mandat d'élaborer des projets de solution pour les différentes questions. Cette commission, qui devait examiner les problèmes sous tous leurs aspects, en particulier du point de vue de la politique intérieure, comprenait des représentants de l'Assemblée fédérale, des cantons et des associations réunissant, dans le pays, des Suisses de l'étranger et des rapatriés. Les grandes associations économiques, les oeuvres philanthropiques et la nouvelle société helvétique y étaient aussi représentées.

La commission donna, pour commencer, son avis sur l'arrêté fédéral -- en voie d'exécution -- concernant une aide extraordinaire aux Suisses de l'étranger, ainsi que sur l'ordonnance d'exécution. Dans la suite, surtout en 1949 et 1950, elle traita les autres problèmes à l'ordre du jour. La commission, présidée par le chef du département de justice et police, acheva ses travaux le 21 décembre 1950 et présenta au Conseil fédéral, par l'intermédiaire du département, un rapport détaillé contenant une série de recommandations. La plupart de celles-ci s'adressent au Conseil fédéral, mais il en est qui s'adressent à des milieux privés.

La question des dommages de guerre a naturellement joué un grand rôle dans les délibérations de la commission. Les représentants des Suisses de l'étranger insistèrent sur le fait que les mesures prises jusqu'alors ne sauraient suffire et qu'ils attendaient du Conseil fédéral et de l'Assemblée fédérale une aide plus substantielle, qui revêtirait non pas la forme d'une simple assistance, mais celle d'une réparation au moins partielle des dommages de guerre.

Le Conseil fédéral a fait connaître plusieurs fois à la commission d'experts, de vive voix et par écrit, son opinion sur la question de la réparation des dommages de guerre. Il lui déclara cependant aussi qu'il était prêt à proposer aux chambres que la somme revenant à la Suisse après la liquidation de l'accord de Washington soit affectée aux victimes suisses de la guerre à titre de prestation sociale. Le représentant du Conseil fédéral précisa les choses en ces termes : « Cela signifie qu'il ne saurait être question d'opérer entre les Suisses lésés une répartition en pour-cent. Cela signifie tout aussi clairement que la prestation ne saurait être une assistance
d'indigents . . . » La commission prit acte, le 15 juillet 1949, de cette déclaration formelle. Elle renonça alors à poursuivre l'examen de la question d'une réparation des dommages de guerre et voua son attention au problème de mesures nouvelles, consistant dans le fait que les sommes produites par la liquidation de l'accord de Washington .seraient réparties, selon certains critères sociaux, entre les rapatriés et les Suisses de l'étranger victimes du second conflit mondial et souffrant encore des suites de la guerre.

La commission pionière se prononça pour une solution dans ce sens et adressa, dans son rapport final, les recommandations suivantes au Conseil fédéral :

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1. Proposer aux conseils législatifs de nouvelles mesures consistant à remettre des fonds aux Suisses de l'étranger et aux rapatriés qui sont victimes de la seconde guerre mondiale ou qui souffrent, aujourd'hui encore, de ses conséquences ; utiliser à cet effet les montants provenant de la liquidation de l'accord de Washington touchés par la Suisse, sans imputer les versements effectués conformément aux dispositions de l'arrêté fédéral du 17 octobre 1946 concernant une aide extraordinaire aux Suisses de l'étranger; 2. Soumettre le projet ci-dessus aux chambres sans attendre la fin des négociations relatives à l'accord de Washington et mettre tout en oeuvre pour assurer une réalisation prochaine du projet; 3. Proposer aux conseils législatifs d'édicter pour l'exécution des nouvelles mesures des dispositions relatives à l'octroi d'avances permettant d'effectuer des versements partiels dans des cas dignes d'intérêt; 4. Proposer aux conseils législatifs que l'exécution des nouvelles mesures soit assurée par d'autres ressources au cas où les sommes provenant de la liquidation de l'accord de Washington seraient insuffisantes.

La commission recommanda en outre au Conseil fédéral, dans l'exécution des nouvelles mesures, d'appliquer certains principes concernant la délimitation du cercle des bénéficiaires, le mode de répartition, etc.

Elle releva expressément que les cas particuliers devraient être examinés sous les angles suivants: Situation antérieure à l'étranger, Situation actuelle (fortune, revenu, situation professionnelle, charges de famille, etc.)

Perspectives d'avenir, Pertes pécuniaires (dommages de guerre), Prestations reçues.

Les experts recommandaient en outre de confier la tâche à une commission indépendante de l'administration fédérale et de créer une autorité de recours.

Lorsqu'on avril 1951, on parvint finalement à une entente avec les Alliés au sujet de l'exécution de l'accord de Washington, on comptait que le résultat net s'élèverait pour la Suisse à 130 millions de francs environ.

Les représentants des rapatriés dans la commission d'experts déclarèrent qu'on ne saurait se contenter d'une telle somme pour les nouvelles mesures.

L'avis ayant été exprimé que la commission devrait recommander en tout cas le versement d'une somme de 250 millions, correspondant au montant attendu
primitivement comme part suisse du produit de la liquidation de l'accord de Washington, la commission refusa d'adopter une proposition dans ce sens. Elle voulait laisser la question ouverte. Dans la suite,

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le Conseil fédéral reçut diverses requêtes dans lesquelles les milieux intéressés le pressaient de demander aux chambres l'ouverture d'un crédit de 200 millions en chiffre rond pour l'exécution des nouvelles mesures.

Dans cet ordre d'idées, nous tenons à relever que la commission d'experts recommande encore d'autres mesures, qui représenteraient pour la Confédération de gros sacrifices d'argent en faveur des Suisses de l'étranger et des rapatriés. L'une d'entre elles consisterait en ce que les avoirs de toute sorte, actuellement non réalisables, appartenant à des Suisses à l'étranger, puissent faire l'objet d'avances par l'intermédiaire d'établissements bancaires suisses, jusqu'à un montant maximum à déterminer, la Confédération garantissant les pertes éventuelles. Une autre mesure résiderait dans l'ouverture d'un crédit spécial qui permettrait de verser aux Suisses qui auraient perdu leurs moyens d'existence par l'effet des mesures de nationalisation à l'étranger et se trouveraient dans la gêne certaines sommes qui seraient ensuite déduites de leur part du produit global. Enfin, on a proposé de créer un fonds de solidarité sur lequel seraient prélevées les sommes à verser aux Suisses de l'étranger victimes de catastrophes futures. Il devait s'agir là d'une mesure d'entraide incombant en premier lieu aux Suisses de l'étranger, mais la commission voudrait que la Confédération alimentât ce fonds par des subventions d'un montant correspondant au rendement de la taxe d'exemption du service militaire des Suisses à l'étranger, à moins que cette taxe ne soit supprimée pour eux.

La commission n'a pas calculé les sommes qu'exigerait la réalisation de cette idée. Etant donnés les problèmes à résoudre, elle n'aurait d'ailleurs pas pu le faire. Il est cependant certain que quelques millions supplémentaires seraient nécessaires.

IV. LES NOUVELLES MESURES Pour le Conseil fédéral, il s'agit d'abord de savon* s'il doit proposer aux conseils législatifs de mettre à sa disposition des fonds supplémentaires en vue de l'exécution de ces nouvelles mesures, qui, d'après les dernières recommandations des experts, tiendraient à la fois d'une réparation des dommages de guerre et d'une aide sociale. L'examen des propositions des experts devait cependant montrer au Conseil fédéral que l'exécution des nouvelles mesures
dans le sens des recommandations serait administrativement impossible et que le but principal des intéressés -- régler d'une manière satisfaisante la question des dommages de guerre -- ne pourrait pas être atteint.

Il est clair que quelque 25 000 Suisses, qui ont subi des dommages de guerre, prétendraient bénéficier des nouvelles mesures. Or la justice élémentaire exigerait qu'on pensât aussi aux Suisses de l'étranger et aux rapatriés qui n'ont pas subi de dommages calculables, mais ont quand même durement souffert de la guerre et souffrent encore de ses effets. Si

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l'on réunit toutes les catégories de personnes entrant en considération, on constate que le nombre des personnes réclamant le bénéfice des nouvelles mesures serait probablement d'environ 30 000. Tous les cas devraient être examinés. Comme il s'agirait d'une réparation partielle des dommages de guerre, il serait indispensable de faire des recherches à l'étranger de façon à pouvoir évaluer, au moins dans une certaine mesure, les pertes réelles. Supposé que des évaluations soient encore possibles, il faudrait établir des tableaux comparatifs des pertes et considérer la situation sociale actuelle de chaque personne par rapport à ce qu'elle était autrefois.

Ce n'est qu'après ce travail qu'on pourrait décider si les requêtes peuvent être prises en considération ou doivent être écartées. Il faudrait ensuite constituer des catégories de requérants et fixer dans chaque cas le montant de l'indemnité.

Il suffit de penser au grand nombre des intéressés pour voir que la procédure serait interminable. Cela ne serait pas dans l'intérêt des victimes des dommages, qui désirent la solution rapide commandée par l'urgence des problèmes. Le volume de travail serait d'ailleurs le même si une commission indépendante était chargée de traiter les affaires au lieu de l'administration. La procédure étant longue et compliquée, l'exécution du plan de répartition coûterait en outre fort cher. Il serait en tout cas nécessaire d'engager un grand nombre de personnes pour une longue période.

Nous pensons aussi que le résultat matériel ne répondrait aucunement à l'attente des Suisses de l'étranger et des rapatriés. Certes, on pourrait admettre que, sur les quelque 30 000 réclamants présumés, il y en aurait un grand nombre qui, se trouvant dans une situation pas trop mauvaise, pourraient être éliminés au profit des personnes en plus mauvaise posture, de sorte que le chiffre de 30 000 se réduirait à quelque 25 000. La somme à répartir -- 120 millions en chiffre rond -- représenterait une indemnité moyenne de 4800 francs par bénéficiaire. Il est évident qu'un tel montant ne satisferait que peu de bénéficiaires et décevrait le plus grand nombre.

Le mécontentement subsisterait. Les Suisses lésés considéreraient la question des dommages de guerre comme non résolue. Le Conseil fédéral sait d'ailleurs que tout mode de répartition d'une
somme d'argent implique des causes d'erreurs et des conséquences trop rigoureuses et que, notamment si les intéressés sont nombreux et les circonstances très diverses, il est impossible de trouver un système de répartition qui puisse satisfaire un nombre plus ou moins élevé de personnes. Même si la somme à partager était portée à 180 ou à 200 millions, donnant mne indemnité moyenne de 7200 ou 8000 francs, les difficultés d'ordre pratique, technique et psychologique ne disparaîtraient pas pour autant.

Il faut considérer également que beaucoup plus de la moitié des Suisses de l'étranger victimes de la guerre n'ont subi que des pertes de fortune relativement faibles. Ils ne possédaient en effet, outre leur mobilier, que

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de modestes économies et vivaient principalement de leur travail ou de rentes d'assurances sociales. En perdant, du fait de la guerre, leur ancienne situation, les rapatriés notamment ont souffert des dommages qui ne peuvent guère être évalués en chiffres, mais qu'ils ressentent tout de même durement. Une répartition de fonds au prorata des pertes de fortune subies désavantagerait ces victimes de la guerre, quand bien même on tiendrait compte des critères sociaux prévus pour les nouvelles mesures. En d'autres termes, ceux qui vivaient dans l'aisance recevraient beaucoup, tandis que ceux qui se trouvaient dans des conditions modestes ne toucheraient que de faibles subsides. Même si l'on considérait la situation actuelle et les chances d'avenir de chaque bénéficiaire, cela ne changerait guère à cette constatation.

Dans ces conditions, nous estimons devoir vous proposer de renoncer à l'exécution des nouvelles mesures préconisées par la commission d'experts, comme aussi à tout système de répartition d'une somme d'argent.

Mais nous sommes convaincus que la situation de nombreux Suisses de l'étranger et rapatriés est encore si peu satisfaisante qu'une nouvelle aide fédérale se justifie. Après un examen attentif, nous avons par conséquent estimé que nous devions vous présenter un projet d'arrêté fédéral fondé sur d'autres bases que les propositions des experts.

V. LE NOUVEAU PROJET 1. De même que les mesures prises après la première guerre mondiale et celles qui furent adoptées pendant la seconde, les dispositions à prendre par la Confédération en faveur des Suisses qui ont subi des dommages de guerre ne peuvent avoir que le caractère d'une aide sociale, les Suisses de l'étranger et les rapatriés n'étant moralement fondés qu'à réclamer des prestations de ce genre. Aussi ne peut-il être question que de continuer les mesures prises antérieurement, en les modifiant ici et là pour tenir compte des circonstances nouvelles. Nous tenons à spécifier que l'aide sociale que nous proposons d'instituer représentera une prestation volontaire de la Confédération, imposée par des événements extraordinaires.

2. Les mesures proposées reposent sur les mêmes considérations que celles que nous indiquions dans notre message du 10 mai 1946 concernant une aide extraordinaire aux Suisses de l'étranger (chap. 5, ch. 2). Nous
nous référons au chiffre 3 aussi en ce qui concerne la base constitutionnelle.

3. Le nouveau projet fait une distinction entre les mesures sociales en faveur des Suisses de l'étranger et rapatriés qui, en bonne santé, peuvent être réintégrés dans la vie économique et l'aide à ceux qui, par suite de l'âge, de la maladie ou d'une infirmité, ne sont plus capables de travailler

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et ont besoin de secours durables. L'aide prévue pour nos compatriotes valides devra leur permettre d'assurer leur avenir. Pour les Suisses de l'étranger et rapatriés âgés et incapables de travailler, nous envisageons une aide permanente, telle que le souci de l'existence leur soit enlevé.

4. A notre avis, l'aide prévue dans le projet d'arrêté ne devrait plus être subordonnée à la participation des cantons et communes; il faudrait que la Confédération la fournisse seule. Comme nous l'avons vu, les contributions des cantons et communes n'ont représenté jusqu'ici qu'une fraction relativement faible, environ le huitième, des dépenses de la Confédération et n'augmenteraient probablement pas à l'avenir. Les expériences faites lors de l'application de l'arrêté fédéral de 1946 montrent qu'une telle répartition des charges entraîne de grosses complications administratives.

Dans de nombreux cas, des négociations longues et souvent laborieuses avec certains cantons ou communes sont nécessaires pour obtenir d'eux la quotepart prévue.

Mais c'est surtout pour des raisons psychologiques qu'il serait particulièrement indiqué de ne pas astreindre juridiquement les cantons à participer à l'oeuvre envisagée. Ce serait la seule façon de faire taire enfin les critiques, notamment celles des rapatriés; ceux-ci estiment, non sans raison, que, malgré le caractère plus généreux de l'aide dont ils bénéficient, ils sont pratiquement dépendants de l'assistance publique. Si la Confédération accordait seule, à peu de chose près, l'aids ultérieure, cela favoriserait l'égalité de traitement entre les bénéficiaires; d'autre part, on serait mieux à même de veiller à ce que l'aide conserve le caractère particulier qui lui est attribué. Ce but ne pourrait être atteint isi les cantons et communes devaient participer aux mesures prévues; en effet, les fonds cantonaux et communaux consacrés à l'assistance publique diffèrent sensiblement d'un endroit à l'autre.

5. Dans notre message du 14 juin 1946 concernant l'approbation de l'accord financier conclu à Washington, nous avons exposé le compromis intervenu à cette occasion et selon lequel le produit de la liquidation des avoirs allemands reviendrait pour moitié aux victimes suisses de la guerre et servirait pour l'autre à la reconstruction de l'Europe, notamment à l'alimentation des
populations dans la gêne. Nous laissions entendre aussi qu'à notre avis cette solution répondait absolument aux circonstances et à l'équité. Les intéressés n'ont cessé par la suite d'invoquer cette déclaration pour fonder leurs revendications en matière de dommages de guerre.

C'est elle également qui, en été 1949, alors qu'il fallait encore prévoir que l'accord serait exécuté, nous détermina à déclarer devant la commission d'experts que nous étions disposés à utiliser le produit de la liquidation (sous réserve de l'assentiment des chambres fédérales) en faveur des victimes suisses de la guerre. Nous envisagions d'autant plus un tel mode

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de procéder qu'eu égard aux critiques suscitées à l'époque par l'accord, de Washington, nous ne pouvions juger opportun de verser simplement dans la caisse fédérale l'argent qui reviendrait à la Suisse. La situation n'est plus la même aujourd'hui. Ainsi qu'il ressort de notre message du 29 août 1952 concernant les avoirs allemands en Suisse, l'accord de Washington ne sera plus exécuté en ce qui concerne la liquidation desdits avoirs; il sera remplacé par un versement de la République fédérale d'Allemagne aux Alliés. L'accord germano-suisse concernant le règlement des créances d'Etat suisses à l'égard de l'ancien Reich allemand prévoit, d'autre part, que l'Allemagne versera à la Suisse, dans un avenir relativement proche, un premier acompte de 121,5 millions de francs. Le fait que cet acompte est égal à la somme qui sera payée aux Alliés, par la République fédérale d'Allemagne, pour liquider l'accord de Washington n'est pas dû au hasard.

Il résulte d'une évolution que nous résumerons comme il suit: De larges milieux croient que la Suisse devait toucher primitivement une somme de 250 millions de francs sur le produit de la liquidation de l'accord de Washington. Cette opinion est erronée. En 1945, les Alliés prétendirent, évidemment à tort, que des avoirs allemands d'une valeur de plusieurs milliards de dollars se trouvaient en Suisse; nos autorités leur répondirent que la somme en question s'élevait tout au plus à un milliard de francs suisses, dont la moitié seulement environ tomberait sous le coup de l'accord. On en déduisit tout d'abord que la part suisse du produit de la liquidation s'élèverait approximativement à 250 millions de francs. Mais on savait déjà, à ce moment-là, qu'il s'agissait d'une estimation provisoire tout à fait sommaire et qu'aux termes de l'accord la fortune de l'ancien Reich allemand (y compris la Reichsbank et la Reichsbahn) et l'arriéré du clearing ne seraient pas compris dans la liquidation.

Les enquêtes longues et difficiles effectuées au cours des années suivantes permirent peu à peu de se faire une idée plus exacte des résultats probables de la liquidation. Ainsi, le plan d'exécution convenu entre la Suisse et les Alliés, au printemps 1951, reposait sur les données suivantes: Résultat probable de la liquidation . . . . 417 millions de francs A déduire les avoirs
d'Allemagne orientale.

30 » » 387 millions de francs A déduire les avoirs jusqu'à 10 000 francs . 27 » » Reste 360 millions de francs Les Alliés déclarèrent vouloir réduire leurs prétentions d'un quart, à condition que la Suisse en fît autant, ce qu'elle ne pouvait refuser. Ce quart, de 90 millions au total, aurait dû être mis à la disposition de la République fédérale d'Allemagne sous forme de devises. On admettait Feuille fédérale. 105« année. Vol. I.

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donc que le produit de la liquidation s'établirait à 270 millions de francs; 135 millions reviendraient ainsi aux Alliés, et la même somme à la Suisse.

La République fédérale d'Allemagne rejeta le plan établi par la Suisse et les Alliés et proposa de le remplacer par le versement d'une somme destinée à régler définitivement toutes les prétentions découlant de l'accord.

·Elle put convenir assez rapidement avec les Alliés que ce versement s'élèverait à la somme prévue de 135 millions, sous déduction d'un escompte de 10% pour paiement immédiat, soit, en définitive, à 121,5 millions de francs.

La Suisse renonça à toute participation au produit de la liquidation; elle estima cependant que les victimes suisses de la guerre devaient bénéficier d'un traitement spécial dans les accords concernant les créances d'Etat suisses à l'égard de l'ancien Reich allemand. Elle réclama à cet effet une somme équivalente à celle qui était destinée aux Alliés, à savoir 121,5 millions de francs, et obtint satisfaction.

Cette somme remplace donc également la part suisse du produit de la liquidation, telle qu'elle était envisagée dans le plan établi au printemps 1951. Cette solution visait à mettre à la disposition des victimes suisses de la guerre, sous réserve de l'approbation des chambres fédérales, une somme égale à celle qu'ils auraient touchée si ledit plan avait été exécuté.

On pourrait objecter qu'il n'existe, juridiquement, aucun lien entre l'accord de Washington et le versement de la République fédérale d'Allemagne, puisque celui-ci sert à amortir une ancienne dette du Reich allemand à l'égard de la Confédération. Pour le même motif, les assurances que nous avions données en nous fondant sur l'accord susmentionné seraient devenues sans objet.

Nous tenons cependant à répéter qu'au cours des négociations avec la République fédérale d'Allemagne au sujet des créances d'Etat suisses, nous avons insisté, en invoquant la situation de nos ressortissants victimes de la guerre, pour recevoir rapidement une somme de 121,5 millions de francs, soit l'équivalent du versement à effectuer par la République fédérale aux Alliés en vue de la liquidation de l'accord de Washington.

Aussi les Suisses de l'étranger et les rapatriés n'ont-ils pas entièrement tort de prétendre que le versement de la République fédérale d'Allemagne
est en rapport avec l'accord _de Washington. Le Conseil fédéral ne saurait se fonder sur une interprétation formaliste du texte des accords pour réfuter cette opinion.

Par ces motifs, nous vous prions de bien vouloir mettre à notre disposition de nouveaux fonds qui, eu égard à la corrélation existant entre les deux questions et aux assurances données, devraient s'élever à 121,5 millions de francs, soit à une somme équivalente au versement anticipé de la République fédérale d'Allemagne.

En revanche, il s'agit de savoir ce qu'il doit advenir, après l'entrée en vigueur du nouvel arrêté, du solde non utilisé des 75 millions de francs

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mis à disposition par l'arrêté fédéral du 17 octobre 1946 concernant une aide extraordinaire aux Suisses de l'étranger. Ce solde s'élevait, à la fin de 1952, à 7,4 millions de francs en chiffre rond. La liquidation de l'accord de Washington ayant déçu les espoirs des Suisses de l'étranger victimes de la guerre, le Conseil fédéral estime qu'il ne serait pas justifié de priver ceux-ci des fonds en question, qui leur étaient destinés'. Il vous propose dès lors d'ajouter le reliquat probable à la somme susmentionnée de 121,5 millions de francs.

On ne peut encore se faire une idée suffisamment nette des effets de la loi allemande concernant la péréquation des charges pour être à même de juger de son influence sur l'aide sociale prévue par le projet ci-joint.

Nous n'avons dès lors pas lieu de réduire la somme proposée.

Selon des calculs minutieux, l'aide sociale envisagée requerra des sommes très considérables. L'office central chargé des questions relatives aux Suisses de l'étranger assiste actuellement, à l'intérieur et hors du pays, conformément à l'arrêté fédéral de 1946, environ 2500 personnes tombées dans le dénuement par l'effet de la guerre et totalement incapables de travailler. Ce nombre augmentera encore, pour diminuer ensuite progressivement; il tombera vraisemblablement à zéro dans une vingtaine d'années ou un peu plus tard. Si l'on admet que le nombre initial maximum de personnes à secourir, sera de 1800 rapatriés et de 1500 citoyens suisses demeurés à l'étranger et qu'il reculera peu à peu, il faudrait, en faveur des rapatriés, 55 millions de francs et, en faveur des Suisses de l'étranger, 36 millions; les sommes nécessaires pour venir en aide aux personnes dont l'incapacité de travail est permanente atteindraient donc 91 .millions de francs au total.

Les Suisses de l'étranger et les rapatriés totalement ou partiellement aptes au travail -- ces derniers ne eont pas très nombreux -- ont besoin d'une aide temporaire. Certains autres rapatriés, dont le nombre ne saurait être évalué pour l'instant, qui, après avoir été secourus par la Confédération aussi longtemps qu'elle pouvait le faire, ont dû être confiés aux soins de l'assistance publique cantonale pourraient, eux aussi, bénéficier de la nouvelle aide fédérale. Pour tous ces cas, les dépenses présumées seraient de 20 millions de
francs. Il faudrait en outre 3 à 4 millions pour continuer l'octroi de prêts sur la même base que jusqu'ici.

La nouvelle aide sociale exigerait donc vraisemblablement les ressources suivantes: Aide permanente aux personnes incapables de travailler en Suisse ou à l'étranger 91 millions Aide temporaire aux personnes capables de travailler en Suisse ou à l'étranger 20 » Aide sous forme de prêts 4 » Total .115 millions

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Si l'on tient compte d'une réserve générale de 6 millions, les charges totales doivent être supputées à 121 millions de francs en chiffre rond.

6. Par rapport aux « nouvelles mesures », la solution proposée a l'avantage de ne pas exiger la création d'un appareil administratif excessif.

Si, conformément au projet, l'exécution des tâches prévues dans le nouvel arrêté fédéral est confiée à l'office central chargé des questions relatives aux Suisses de l'étranger, ledit office sera vraisemblablement à même de s'en acquitter au moyen de son personnel actuel, bien versé dans la matière. Tout au plus pourrait-il avoir besoin, le cas échéant, de deux ou trois employés supplémentaires qui seraient engagés à titre temporaire au début de l'application des mesures.

Enfin, nous croyons devoir commenter ci-après les diverses dispositions de notre projet en ajoutant quelques précisions sur certains points importants du projet de règlement d'exécution.

Article premier. Cet article contient les dispositions générales. L'aide doit être accordée aux Suisses victimes de la guerre restés à l'étranger aussi bien qu'aux rapatriés. Le projet de règlement d'exécution prévoit que les anciennes Suissesses pourront également bénéficier de certaines prestations. Pour fixer le montant de l'aide, on considérera entre autres l'ancienne situation sociale du Suisse de l'étranger; un voeu important de la commission d'experts sera ainsi réalisé.

Sont réputés victimes de la guerre non seulement les Suisses de l'étranger qui ont souffert des effets directs de la guerre, mais aussi ceux qui ont subi des dommages dus aux conditions économiques ou politiques de l'avant-guerre ou de l'après-guerre.

Article 2. Cet article définit les formes que prendra l'aide prévue en faveur des diverses catégories de Suisses de l'étranger. Une aide suffisante, mais en principe temporaire, sera accordée aux personnes capables de travailler, afin de leur permettre de consolider leur situation ou de s'en créer une nouvelle.

L'aide permanente aux personnes incapables de travailler a déjà été commentée au chapitre V, chiffre 3. Le projet de règlement d'exécution subordonne cette aide à des conditions plus rigoureuses que celles qui régissent l'alio Cation de secours aux personnes aptes au travail. Pour pouvoir bénéficier d'une aide à vie, le Suisse de
l'étranger doit avoir vécu, avant la guerre, au moins cinq ans (au lieu de deux seulement) sans interruption à l'étranger. Il faut en outre que son existence y eût été assurée dans des circonstances normales. Le Suisse qui maintenant déjà ne peut plus travailler doit obtenir une aide permanente. Ceux qui deviendront plus tard entièrement incapables de travailler obtiendront une telle aide s'ils ont atteint un âge avancé au moment de l'entrée en vigueur du nouvel

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arrêté fédéral. Pour empêcher des conséquences trop rigoureuses, on pourra mettre les Suisses de l'étranger au bénéfice de l'aide durable même s'ils ne remplissent pas entièrement les conditions prévues, lorsque des raisons particulières le justifient. En insérant de telles dispositions dans le règlement d'exécution, nous croyons avoir trouvé une formule judicieuse permettant, d'une part, d'empêcher que l'aide permanente ne prenne des dimensions excessives et, d'autre part, de comprendre tout de même dans l'oeuvre prévue les personnes âgées ou invalides qui,, en raison de leur sort, méritent d'être mises au bénéfice des nouvelles mesures. Les exemples suivants, tirés de la pratique, montreront quand une aide durable pourra être accordée ou non.

Cas A. Un Suisse rentré au pays en 1950 a maintenant 50 ans. A l'étranger, où il avait vécu de nombreuses années, il travaillait en qualité d'ouvrier de fabrique. Il n'a pas tardé à trouver un emploi semblable en Suisse. Il est père de trois enfants. La famille a été assistée généreusement pendant une année. Aujourd'hui, ce rapatrié est financièrement indépendant. Il pourrait tout au plus obtenir, en cas de besoin,. des prestations complémentaires. Il se trouve de nouveau dans une situation égale à celle qui était la sienne à l'étranger.

Cas B. Un vieillard de 81 ans a été victime, à l'époque de la première guerre mondiale, d'un accident (non causé par la guerre), qui l'a rendu totalement incapable de travailler. Depuis des années, il doit être assisté par sa commune d'origine. Il n'entrerait pas en ligne de compte pour la nouvelle aide durable, car son état n'est pas imputable à la seconde guerre mondiale ou à ses conséquences. Son indigence doit être attribuée à des causes ordinaires.

Cas C. Un Suisse possédait en Prusse orientale un grand domaine agricole. Il est décédé en 1944 d'une pneumonie. La même année, sa veuve est rentrée en Suisse avec ses huit enfants. Elle a été secourue par la Confédération. Comme elle était capable de travailler, l'aide fédérale a été suspendue après un certain temps, mais le canton d'origine a dû l'assister ultérieurement. Pour l'instant des secours sont nécessaires, quatre des enfants étant encore mineurs. Si cette veuve, de 55 ans, devait un jour être incapable de travailler sans que ses enfants puissent l'entretenir
dans une mesure suffisante, il serait possible de la faire bénéficier de l'aide durable accordée par la Confédération, les conditions requises étant remplies. En tout état de cause la Confédération pourra, en vertu des dispositions prévues, lui accorder l'aide temporaire dont elle a encore besoin.

Cas D. Un rapatrié a actuellement 67 ans. A l'étranger, il vivait, en qualité de monteur de lignes électriques aériennes, dans des conditions relativement modestes, mais son existence y eût été assurée grâce à une rente suffisante. Après son retour au pays, en 1943, il a travaillé comme

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ouvrier auxiliaire dans une entreprise du gèniti civil. Sa santé s'étant affaiblie par suite de l'âge, il 'doit, depuis quelque temps, être assisté en permanence. Bien que îes dommages de guerre qu'il a subis ne fussent pas très importants, son âge ne lui a plus permis de se créer en Suisse une situation équivalente à celle qu'il avait à l'étranger. Il continue donc de souffrir du fait que la guerre lui a fait perdre sa, situation. Aussi la Confédération lui vient-elle en aide de façon durable, conformément à l'article 14 de l'ordonnance d'exécution de l'arrêté fédéral de 1946; il pourrait également bénéficier de l'aide permanente prévue par le nouvel arrêté, puisqu'il en remplirait les conditions.

Cas E. Un citoyen suisse, vacher dans un grand domaine agricole en Prusse orientale, a été déporté lors de l'arrivée des Russes; il est absent depuis lors et probablement décédé. Sa femme, âgée de 38 ans, a cinq enfants nés entre 1933 et 1943. L'un d'eux peut exercer une profession lucrative.

Bien que relativement jeune et capable de travailler, cette femme, qui doit soigner ses enfants, ne peut se procurer aucun gain. L'aide fédérale a dû être supprimée après avoir été accordée le plus longtemps possible et le cas transmis à l'assistance publique du canton d'origine. Il pourrait également être repris par la Confédération dans les limites de la nouvelle aide temporaire.

Cas F. Un Suisse, âgé de 72 ans, est revenu au pays en 1941, à l'âge de 61 ans. Il possédait en Allemagne un commerce d'exportation et d'importation occupant 60 employés et vivait dans l'aisance. Juif, il a été peu à peu ruiné à la suite des mesures ordonnées méthodiquement par le troisième Reich. Au moment de son rapatriement, il était complètement dénué de ressources. Malgré son âge, il chercha sans cesse à se tirer d'affaire sans l'aide d'autrui en acceptant tous les emplois auxiliaires possibles.

Ce rapatrié a subi un grave préjudice non seulement par l'effet de la guerre, mais, auparavant déjà, par suite de mesures d'ordre politique et économique prises par un pays étranger. Son indigence actuelle est encore une conséquence de ces mesures, car l'intéressé, après son retour en Suisse, n'a plus eu la possibilité de se créer une situation stable. Les conditions requises pour une aide durable sont donc remplies. Il sera tenu compte
de sa situation ancienne.

Le 4e alinéa prévoit qu'au lieu des formes d'aide susmentionnées, le Suisse de l'étranger pourra recevoir un versement unique. En règle générale, le montant de ce versement ne dépassera pas les prestations qui seraient vraisemblablement nécessaires dans le cas particulier. Cette mesure répond à une proposition formulée par le comité central de la nouvelle société helvétique et approuvée par la commission d'experts. Elle doit permettre, dans des cas appropriés, de mettre à la disposition du Suisse de l'étranger des fonds qu'il pourra employer à sa guise pour affermir sa situation ou

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s'en créer une nouvelle. De par sa nature, un tel versement exclut toute prestation ultérieure de la Confédération.

Article 3. Comme par le passé, une aide sera également accordée aux Suisses de l'étranger qui retourneront dans leur ancien pays de résidence ou qui s'établiront dans un autre Etat.

Article 4. L'octroi d'avance sur des avoirs résultant d'accords bilatéraux relatifs à l'indemnisation des intérêts suisses est une forme spéciale d'aide aux Suisses de l'étranger victimes de la guerre; il convient dès lors d'en faire mention dans l'arrêté fédéral. Le versement des indemnités dues par les Etats étrangers s'échelonne en partie sur plusieurs années.

L'octroi d'avances aux Suisses de l'étranger et aux rapatriés qui ont droit à des dédommagements et se trouvent dans le besoin constituerait donc une aide importante. Accordées aux conditions prévues dans le projet, ces avances n'impliqueraient que des risques minimes. Une telle disposition permettrait aussi de réaliser, dans la mesure du possible, un des voeux formulés par la commission d'experts.

On s'est demandé si des avances devaient également être accordées sur les droits découlant de législations étrangères relatives à la réparation des dommages de guerre; on songeait en particulier à la loi allemande sur la péréquation des charges. En ce qui concerne ces droits, la situation est toute différente de celle qui résulte des indemnités versées à la suite de la nationalisation de biens suisses. Ces dernières sont fondées sur un traité international en vertu duquel la Confédération est créancière à l'égard de l'Etat tenu à la réparation ; de plus, les versements sont effectués en Suisse. Le remboursement des avances est donc relativement assuré.

En revanche, les droits découlant de dispositions prises par un Etat étranger dans la question des dommages de guerre reposent sur la législation autonome de cet Etat ; la Confédération n'a pas le pouvoir d'intervenir. D'autre part, les versements sont faits à l'étranger, ce qui les soustrait dans une large mesure au contrôle. En particulier, l'exécution de la loi allemande sur la péréquation des charges s'étendra sur une période de 27 ans; les versements ne débuteront que dans quelques années. Par conséquent, les effets de cette loi ne peuvent être appréciés de façon suffisante ; ils dépendent
d'éléments encore incertains. Aussi le Conseil fédéral doit-il renoncer à proposer, dans les limites du présent arrêté, l'octroi d'avances sur les droits nés d'une réglementation étrangère en matière de dommages de guerre.

Article 5. Cet article précise notamment que l'aide fédérale aux Suisses de l'étranger, conséquence d'événements extraordinaires, est une mesure de caractère exceptionnel. Elle ne vise pas à dégager les cantons et communes des obligations d'assistance qui leur incombent en principe.

Article, 6. Le 2e alinéa dispose que, conformément au principe de l'universalité dû budget, les sommes nécessaires à l'exécution des mesures pré-

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vues devront être inscrites chaque année au budget. Cela ne constitue pas, en quelque sorte, une réserve autorisant les chambres à refuser après coup, lors de la votation du budget, les fonds nécessaires. Le budget de la Confédération n'a pas caractère de loi, de sorte que des arrêtés fédéraux de portée générale ne sauraient être modifiés ou limités de cette façon. Au contraire, le 2e alinéa donne mandat aux conseils législatifs d'ouvrir chaque année, par la voie du budget, le crédit qu'exigera l'exécution de l'arrêté fédéral.

Article 7. L'arrêté fédéral du 17 octobre 1946 ne comprenait, comme motif d'exclusion, que l'exercice d'une activité contraire aux intérêts publics de la Suisse; il laissait au Conseil fédéral le soin de régler cette question de façon plus détaillée dans l'ordonnance d'exécution. Le projet actuel énumère en revanche limitativement tous les faits qui entraînent le refus de l'aide fédérale.

Relevons que la lettre a de cet article visse également les violations graves des obligations militaires, par exemple le service militaire étranger non autorisé.

Article 8. Nous renonçons à proposer des dispositions pénales particulières, bien que l'arrêté fédéral de 1946 en contienne. Ces dispositions n'ont jamais été appliquées, car les actes délictueux en cette matière répondent pratiquement sans exception à la notion de l'escroquerie et pourraient être réprimés en vertu du code pénal; on a déjà procédé ainsi dans quelques cas isolés.

En revanche, il est nécessaire d'insérer da.ns l'arrêté une disposition prévoyant que les prestations obtenues de façon illicite doivent être restituées.

Article 9. Répondant à un voeu formulé par la. commission d'experts et aux efforts déployés actuellement en vue de l'extension de la juridiction administrative, nous proposons de confier à une commission indépendante de l'administration fédérale le traitement des recours formés contre des décisions de l'administration.

Article 10. Outre les prescriptions relatives aux catégories de bénéficiaires, ainsi qu'à l'étendue et à la durée des subsides, le règlement d'exécution contiendra les dispositions nécessaires sur l'organisation de l'aide et le contrôle.

Article 11. Cet article concerne notamment les obligations de restitution souscrites sous le régime de l'arrêté fédéral de 1946. Il faudra examiner,
à la lumière des dispositions plus libérales du nouvel arrêté, si ces engagements doivent subsister.

Article 12,. Selon la pratique actuelle des autorités fédérales, les arrêtés financiers sont pris sous forme d'arrêtés fédéraux simples, non soumis

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au referendum. Il ne s'agit cependant pas, en l'espèce, d'un arrêté purement financier. Il est vrai que notre projet met à disposition une somme de 121,5 millions de francs pour l'aide ultérieure aux Suisses de l'étranger.

Mais il contient en outre, notamment aux articles premier et 2, des dispositions qui, sous certaines conditions, créent pour la Confédération une obligation directe de verser des subsides. Cette obligation ne repose ni sur une loi, ni sur la constitution. Enfin, l'article 9 est une règle d'organisation instituant une commission de recours. Dans sa forme actuelle, le projet d'arrêté ne contient donc aucune disposition de portée générale au sens de l'article 89, 2e alinéa, de la constitution ; aussi n'est-il pas absolument indispensable de prendre un arrêté fédéral de portée générale au lieu d'un arrêté simple. Etant donné toutefois que le projet n'est pas un arrêté purement financier, mais qu'il impose à la Confédération des obligations non prévues dans la législation et la constitution, il est recommandable de lui donner la forme d'un arrêté fédéral de portée générale soumis au referendum. En tout état de cause, le Conseil fédéral propose cette forme d'arrêté.

VI. REMARQUES FINALES En tant qu'elles ne peuvent être considérées comme réglées par le nouvel arrêté, les recommandations de la commission d'experts seront examinées par le Conseil fédéral et, en partie aussi, par la nouvelle société helvétique. Le Conseil fédéral se prononcera directement à l'égard de la commission, sur les diverses recommandations. Si certaines propositions devaient nous obliger à nous adresser aux chambres fédérales, nous vous soumettrions un projet spécial. En revanche, nous estimons qu'il est urgent de régler, conformément au présent message, la poursuite de l'aide aux Suisses de l'étranger victimes de la guerre.

En vous recommandant d'adopter le projet d'arrêté ci-joint, nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 27 mars 1953.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Etter 9686

Le chancelier de la Confédération, Ch. Oser

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(Projet)

ARRÊTÉ FÉDÉRAL concernant

une aide extraordinaire aux Suisses de l'étranger victimes de la guerre

L'Assemblée fédérale de la Confédération suisse, vu le message du, Conseil fédéral du 27 mars 1953, arrête : Article premier Une aide extraordinaire sera accordée aux Suisses victimes de la guerre demeurés à l'étranger ou rentrés au pays s'ils sont dans le besoin. Pour fixer cette aide, il sera tenu compte de la situation ancienne et actuelle du Suisse de l'étranger, de son âge et de la durée de son séjour à l'étranger.

Sont réputées victimes de la guerre au sens du présent arrêté les personnes qui ont smbi, directement ou indirectement, des dommages considérables causés par la seconde guerre mondiale ou par des mesures politiques ou économiques, en corrélation avec le conflit, prises par des autorités étrangères, et qui, de ce fait, sont dans le besoin.

Art. 2 Les Suisses de l'étranger capables de travailler recevront, si cela est nécessaire, une aide temporaire. Les services compétents les mettront à même de se créer une situation convenable pai: leurs propres moyens, en leur procurant un travail approprié et un logement, en encourageant leur perfectionnement ou rééducation professionnels, en pourvoyant à l'instruction des enfants, en leur accordant des secours en argent ou des prêts, ou en prenant d'autres mesures.

Les Suisses de l'étranger qui sont totalement incapables de travailler, du fait de l'âge, de la maladie ou d'une infirmité, recevront une aide en rapport avec leurs conditions d'existence.

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Les Suisses de l'étranger qui sont partiellement incapables de travailler, malades ou qui doivent faire des cures recevront une aide appropriée à leur état et à leurs conditions d'existence.

Lorsque des circonstances particulières le justifient, l'aide pourra exceptionnellement consister en un versement unique, si le bénéficiaire le demande expressément et déclare renoncer à tout subside ultérieur de la Confédération. Les époux faisant ménage commun devront l'un et l'autre souscrire une telle déclaration.

Art. 3 Une aide pourra aussi être accordée aux Suisses de l'étranger qui retourneront dans le pays de leur ancien domicile ou qui s'établiront dans un autre Etat.

Art. 4 Des avances pourront être accordées aux Suisses de l'étranger qui se trouvent dans une situation précaire par suite des nationalisations à l'étranger et qui ont droit à des dédommagements en vertu d'accords internationaux relatifs à l'indemnisation d'intérêts suisses, si leurs prétentions sont juridiquement reconnues et que les paiements des Etats étrangers paraissent certains.

Le bénéficiaire doit céder sa créance à la Confédération dans les limites de l'avance reçue.

Art. 5 Les prestations prévues au présent arrêté constituent une aide extraordinaire.

Les autres ressources disponibles seront prises en considération.

Une obligation de restitution n'existe que si elle a été stipulée d'avance.

Art. 6 Une somme de 121,5 millions de,francs est mise à la disposition du Conseil fédéral pour l'exécution du présent arrêté. A cette somme s'ajouteront les montants qui, en vertu de l'arrêté fédéral du 17 octobre 1946 concernant une aide extraordinaire aux Suisses de l'étranger, seront encore disponibles au moment de l'entrée en vigueur du présent arrêté.

Les crédits nécessaires seront inscrits chaque année au budget.

Art. 7 Ne pourront pas bénéficier de l'aide prévue au présent arrêté les personnes a. Qui auront gravement porté atteinte aux intérêts publics de la Suisse ;

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6. Dont l'indigence aura été causée par leur propre faute, en particulier celles qui refuseront un travail pouvant être raisonnablement exigé d'elles ou qui ne chercheront pas un tel travail; c. Qui auront été privées de leurs droits civiques par jugement pénal; d. Qui auront été condamnées pour des actesi délictueux en rapport avec le présent arrêté, dès que le jugement sera exécutoire.

Art. 8 Les prestations obtenues de façon illicite devront être restituées.

Art. 9 Les décisions du service administratif de la Confédération chargé de l'exécution du présent arrêté peuvent être déférées à une commission de recours indépendante de l'administration fédérale, instituée par le Conseil fédéral; cette commission statue en dernier ressort.

Le Conseil fédéral fixera par un règlement l'organisation de la commission de recours et la procédure.

Art. 10 Le Conseil fédéral réglera par voie d'ordonnance l'exécution du présent arrêté. Il déterminera en particulier les catégories de personnes pouvant être mises au bénéfice des prestations, ainsi que l'étendue de celles-ci.

Art. 11 Est abrogé l'arrêté fédéral du 17 octobre 1946 concernant une aide extraordinaire aux Suisses de l'étranger.

Les anciens cas seront traités selon les dispositions du nouvel arrêté fédéral.

Art. 12 Le Conseil fédéral est chargé dé" publier le présent arrêté conformément à la loi du 17 juin 1874 concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux et de fixer la date de son entrée en vigueur.

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MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant une aide extraordinaire aux Suisses de l'étranger victimes de la guerre (Du 27 mars 1953)

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