18.071 Message relatif à l'arrêté fédéral portant approbation et mise en oeuvre de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme et de son Protocole additionnel et concernant le renforcement des normes pénales contre le terrorisme et le crime organisé du 14 septembre 2018

Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons le projet d'un arrêté fédéral portant approbation et mise en oeuvre de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme et de son Protocole additionnel et concernant le renforcement des normes pénales contre le terrorisme et le crime organisé, en vous proposant de l'adopter.

Nous vous proposons simultanément de classer les interventions parlementaires suivantes: 2015

M

14.4187

Ratification immédiate de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (N 20.3.15, Glanzmann-Hunkeler; E 24.9.15)

2015

M

15.3008

Article 260ter du code pénal. Modification (E 10.9.15, Commission des affaires juridiques; N 10.12.15)

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

14 septembre 2018

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Alain Berset Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2018-0978

6469

Condensé Le terrorisme fait vaciller les fondements de nos sociétés plurielles. Il fait craindre pour la liberté, la sécurité et les droits fondamentaux de tout un chacun. Sous ses formes diverses, qu'il soit à visées nationalistes, religieuses ou politiques, il tue, blesse et traumatise chaque année des milliers de personnes à travers le monde.

Tout État a un intérêt majeur à passer régulièrement en revue l'arsenal juridique dont il dispose pour lutter contre le terrorisme afin de réagir à l'évolution de la menace qu'il représente. Le projet ci-joint permet à la Suisse d'adapter ses normes pénales aux enjeux actuels de la lutte contre le terrorisme et de développer sa capacité de coopération avec les autres États.

Contexte Les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis et ceux qui ont suivi dans de nombreux autres États ont renforcé la communauté internationale dans la conviction que seuls des efforts coordonnés permettraient de venir à bout du terrorisme.

L'Europe est loin d'avoir été épargnée par ce fléau, qui a touché sévèrement des pays comme l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la France, la Norvège, le Royaume-Uni, la Russie et la Turquie. C'est ce qui a conduit le Conseil de l'Europe à élaborer la Convention du 16 mai 2005 pour la prévention du terrorisme et son Protocole additionnel du 22 octobre 2015. La Convention impose aux Parties d'ériger l'apologie du terrorisme et le recrutement et l'entraînement pour le terrorisme en infractions. Le Protocole additionnel complète matériellement la Convention et reprend les exigences découlant de la résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 24 septembre 2014 quant à l'incrimination des voyages effectués à des fins terroristes, de leur financement et de toute autre activité visant à les soutenir.

La Suisse a signé la Convention le 11 septembre 2012 et le Protocole additionnel le 22 octobre 2015. Ses bases légales satisfont déjà largement aux obligations de punissabilité, de prévention et de coopération internationale inscrites dans les deux traités, mais le droit pénal en vigueur, bien que couvrant une partie de la matière (infractions contre la vie et l'intégrité corporelle, crimes ou délits contre la paix publique, loi fédérale interdisant les groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et les organisations apparentées), n'en
traduit pas explicitement l'essence. Le projet comprend dès lors une nouvelle disposition pénale pour les activités menées en amont d'un acte terroriste: recrutement et entraînement pour le terrorisme, voyages à des fins terroristes et financement de ces voyages.

La lutte contre le crime organisé et contre les organisations terroristes place les autorités suisses face à des défis bien plus grands que ceux qui résultent de la mise en oeuvre des obligations figurant dans les deux traités. Elles doivent appréhender des structures complexes, de vastes réseaux et la capacité considérable de ces organisations de s'imposer vis-à-vis de leurs membres et de l'extérieur. C'est justement de là qu'émane la menace extraordinaire que les organisations criminelles et terroristes font planer.

6470

Présentation du projet Le Conseil fédéral propose de réviser la norme pénale sur l'organisation criminelle en exécution de la motion 15.3008 de la Commission des affaires juridiques du Conseil des États. Cette révision lui permet notamment de modifier les éléments de la norme qui faisaient l'objet de critiques de la part des autorités de poursuite pénale, notamment du Ministère public de la Confédération. Le projet adapte certains des critères définitoires de l'organisation criminelle, avec pour conséquence une extension modérée de la punissabilité. Il prévoit aussi l'augmentation de la peine maximale encourue par les personnes exerçant une influence déterminante au sein d'une organisation criminelle ou terroriste et par toutes les personnes qui soutiennent une organisation terroriste ou qui y participent. Il accorde toute l'importance requise aux principes de proportionnalité et de précision de la base légale.

Le projet propose des adaptations de l'art. 74 de la loi fédérale sur le renseignement (interdiction d'organisations). Il établit une compétence fédérale en matière de poursuite et de jugement des infractions, telle qu'inscrite dans la loi fédérale interdisant les groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et les organisations apparentées, et reprend la peine figurant dans cette loi. Cette loi sera dès lors abrogée.

Il prévoit d'ajuster la loi sur l'entraide pénale internationale aux nouvelles exigences en matière de coopération internationale et y intègre de nouvelles dispositions pour, d'une part, simplifier la transmission anticipée d'informations et de moyens de preuve, en adéquation avec les exigences de la loi, et, d'autre part, consacrer le recours à des équipes communes d'enquête. Dans sa jurisprudence récente, le Tribunal fédéral reconnaît la nécessité d'instaurer une base légale fondant l'adoption de mesures d'entraide modernes.

Etant donné l'importance de la place financière suisse, il s'avère indispensable de renforcer la coopération entre les cellules de renseignements financiers principalement dans le domaine de la lutte contre le financement du terrorisme. Le projet étend à ce titre les compétences du Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent, qui ne pourra pas uniquement s'adresser aux intermédiaires financiers en se fondant sur une communication de soupçon,
mais également en se fondant sur des informations provenant d'homologues étrangers.

Ces changements revêtent une grande importance pour la coopération internationale. Plusieurs des mesures proposées permettront en outre de répondre à certaines critiques en lien avec le financement du terrorisme exprimées par le Groupe d'action financière dans le cadre de son évaluation 2016 du dispositif suisse de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

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Table des matières Condensé

6470

1

Grandes lignes de la Convention et de son Protocole additionnel 1.1 Contexte et élaboration de la Convention 1.2 Aperçu du contenu de la Convention 1.3 Élaboration du Protocole additionnel 1.4 Aperçu du contenu du Protocole additionnel 1.5 Appréciation 1.6 Autres standards internationaux

6475 6475 6475 6476 6476 6477 6478

2

Les dispositions de la Convention et du Protocole additionnel et leur relation avec la législation suisse 2.1 Les dispositions de la Convention 2.2 Les dispositions du Protocole additionnel

6478 6478 6499

3

La procédure de consultation

6505

4

Les nouvelles dispositions en droit suisse 4.1 L'art. 260ter P-CP: organisations criminelles et terroristes 4.1.1 Contexte 4.1.2 Commentaire du nouvel article 4.1.2.1 Généralités 4.1.2.2 Caractère secret et soutien de l'organisation dans son activité criminelle 4.1.2.3 Organisation criminelle: peine encourue 4.1.2.4 Punissabilité de l'appartenance?

4.1.2.5 Critères légaux supplémentaires?

4.1.2.6 Réglementation expresse pour les organisations terroristes 4.1.2.7 Maintien des règles de compétence 4.1.2.8 Inscription dans la loi d'une absence de punissabilité des organisations humanitaires?

4.1.2.9 Concours entre l'art. 260ter P-CP et les infractions de base 4.2 Art. 260sexies P-CP: recrutement, entraînement et voyage en vue d'un acte terroriste 4.2.1 Contexte 4.2.2 Commentaire du nouvel article 4.3 Adaptation de l'art. 74 de la loi sur le renseignement: interdiction d'organisations 4.3.1 Contexte 4.3.2 Commentaire du nouvel article

6506 6506 6506 6508 6508

6472

6508 6510 6511 6513 6514 6515 6516 6517 6519 6519 6520 6522 6522 6523

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4.4

4.5

4.6

EIMP: adaptations ayant trait à l'«entraide dynamique» 4.4.1 Objectifs des adaptations 4.4.2 Art. 80d bis P-EIMP: transmission anticipée d'informations et de moyens de preuve 4.4.2.1 Contexte 4.4.2.2 Commentaire de la nouvelle disposition 4.4.3 Art. 80d ter à 80d duodecies P-EIMP: équipes communes d'enquête 4.4.3.1 Contexte 4.4.3.2 Commentaire des nouvelles dispositions Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme: modification des compétences du Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS) 4.5.1 Renforcement des compétences du MROS 4.5.1.1 Évaluation du GAFI concernant les compétences du MROS 4.5.1.2 Principes du Groupe Egmont 4.5.1.3 Droit comparé 4.5.1.4 Nouvel al. 2bis à l'art. 11a LBA 4.5.1.5 Commentaire de l'art. 11a, al. 2bis, LBA 4.5.2 Obligation des négociants de communiquer les soupçons de financement du terrorisme 4.5.2.1 Complément des modifications de la LBA concernant les négociants 4.5.2.2 Commentaire des nouvelles dispositions Autres questions étudiées et autres adaptations 4.6.1 Concours d'infractions 4.6.2 Art. 260quinquies CP: financement du terrorisme 4.6.3 Norme pénale contre le terrorisme 4.6.4 Norme pénale contre la justification ou l'apologie du terrorisme 4.6.5 Autres adaptations 4.6.6 Remplacement de la loi Al-Qaïda

6526 6526 6527 6527 6529 6532 6532 6532

6536 6536 6537 6538 6539 6540 6541 6543 6543 6544 6544 6544 6545 6546 6548 6549 6550

5

Classement d'interventions parlementaires

6551

6

Conséquences 6.1 Conséquences pour la Confédération et les cantons 6.2 Conséquences économiques 6.3 Conséquences informatiques

6551 6551 6553 6554

7

Relation avec le programme de la législature

6554

6473

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8

Aspects juridiques 8.1 Constitutionnalité 8.2 Frein aux dépenses 8.3 Compatibilité avec les obligations internationales

6554 6554 6555 6555

Arrêté fédéral portant approbation et mise en oeuvre de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme et de son Protocole additionnel et concernant le renforcement des normes pénales contre le terrorisme et le crime organisé (Projet)

6557

Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme

6571

Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme

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6474

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Message 1

Grandes lignes de la Convention et de son Protocole additionnel

1.1

Contexte et élaboration de la Convention

La Convention du Conseil de l'Europe du 16 mai 2005 pour la prévention du terrorisme (ci-après «la Convention») vise à compléter les instruments internationaux existants en matière de lutte contre le terrorisme. Au coeur de la Convention figure l'obligation pour les Parties d'incriminer la provocation publique à commettre une infraction terroriste ainsi que le recrutement et l'entraînement pour le terrorisme. Les États veillent à garantir les principes du Conseil de l'Europe, c'est-à-dire le respect des droits de l'homme, de l'état de droit et des valeurs démocratiques.

En 2003, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a établi le Comité d'experts sur le terrorisme (CODEXTER)1. Celui-ci a présenté un projet de Convention en février 2005. Deux textes ont été particulièrement importants pour les travaux du CODEXTER: la Recommandation 1550 (2002) de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur la lutte contre le terrorisme et le respect des droits de l'homme et les Lignes directrices sur les droits de l'homme et la lutte contre le terrorisme, adoptées par le Comité des Ministres le 11 juillet 2002. La Convention a été ouverte à la signature le 16 mai 2005; elle est entrée en vigueur le 1 er juin 2007.

La Suisse a participé à l'élaboration de la Convention et l'a signée le 11 septembre 2012. En juin 2018, 39 pays du Conseil de l'Europe l'avaient ratifiée.

1.2

Aperçu du contenu de la Convention

La Convention s'inscrit dans la lignée des Conventions internationales dont le but commun est de réprimer et de prévenir le terrorisme. Elle vient compléter un cadre légal constitué en particulier des Conventions contre le terrorisme adoptées par les Nations Unies et ses organisations apparentées et par le Conseil de l'Europe, déjà mises en oeuvre et ratifiées par la Suisse (Conventions sectorielles en matière de navigation maritime, d'aviation civile, de terrorisme nucléaire ou de financement du terrorisme par exemple; voir le ch. 2 et les références citées). Contrairement à la majorité des traités internationaux en vigueur, la Convention ne définit pas de nouvelles infractions principales. Elle incrimine des comportements qui ne constituent pas des actes de terrorisme proprement dits mais qui sont de nature à encourager ou faciliter leur commission.

Toutefois, la Convention veut éviter l'incrimination obligatoire de chaînes d'évènements hypothétiques qui n'auraient qu'une connexion théorique avec des actes de terrorisme. Pour punir les personnes agissant en amont des infractions définies par

1

Aujourd'hui Comité du Conseil de l'Europe de lutte contre le terrorisme (CDCT).

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les Conventions internationales mentionnées ci-dessus, il reste nécessaire d'établir un lien suffisant avec l'une de ces infractions.

La notion d'«infraction terroriste» a une importance majeure pour l'application de la Convention. Comme le droit pénal international n'établit pas de définition générale du terrorisme, la Convention ne donne pas non plus de définition explicite mais se réfère dans l'art. 26 et dans l'annexe aux Conventions internationales contre le terrorisme déjà en vigueur. Même si la Convention ne l'exige pas, plusieurs États ont inscrit le concept de terrorisme dans une norme pénale de portée générale. La possibilité d'introduire une telle définition légale dans la législation suisse sera examinée indépendamment de la mise en oeuvre de la Convention (voir le ch. 4.6.3).

La Convention impose aux Parties d'ériger en infraction pénale la provocation publique à commettre une infraction terroriste ainsi que le recrutement et l'entraînement pour le terrorisme. Elle prévoit également d'autres mesures à prendre au niveau national ainsi que des règles de coopération internationale relatives notamment à l'entraide judiciaire et à l'extradition.

1.3

Élaboration du Protocole additionnel

Le 24 septembre 2014, le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) a adopté la résolution 2178 sur les menaces contre la paix et de la sécurité internationales résultant d'actes de terrorisme (résolution 2178)2. Dans la résolution, le CSNU exige notamment que les États érigent en infraction pénale le fait de se rendre à l'étranger dans le dessein de commettre, d'organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ainsi que de financer et d'organiser de tels voyages 3.

Par l'élaboration et l'adoption du Protocole additionnel du 22 octobre 2015 à sa Convention pour la prévention du terrorisme (Protocole additionnel), le Conseil de l'Europe répond à la menace terroriste croissante que font peser les personnes qui se rendent à l'étranger à des fins de terrorisme djihadiste par exemple, ou qui reviennent d'un tel voyage. Le Conseil de l'Europe démontre ainsi qu'il est capable d'intervenir en tant qu'organisation internationale dans la lutte contre de nouvelles formes de criminalité.

La Suisse a pris une part active à l'élaboration du Protocole additionnel, soumise à de grandes contraintes de temps. Elle fait partie des 17 premiers États à l'avoir signé le 22 octobre 2015. Le Protocole additionnel est entré en vigueur le 1 er juillet 2017 suite à la sixième ratification. En juin 2018, douze États l'avaient ratifié.

1.4

Aperçu du contenu du Protocole additionnel

Le Protocole additionnel applique d'une part les obligations définies au par. 6 de la résolution 2178 et comble d'autre part les lacunes de la Convention.

2 3

Accessible à l'adresse: www.un.org/fr/sc > Documents > Résolutions > S/RES/2178 (2014).

Par. 6 de la résolution.

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Le Protocole additionnel oblige les Parties à ériger en infraction pénale le fait: ­

de se rendre l'étranger à des fins de terrorisme;

­

de financer, d'organiser ou de faciliter des voyages à l'étranger à des fins de terrorisme, et

­

de recevoir un entraînement pour le terrorisme.

1.5

Appréciation

De nombreuses conventions internationales régissent la prévention et la répression des actes de terrorisme en tant que tels, comme la Convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile, le Protocole additionnel à la Convention pour la répression de la capture illicite d'aéronefs, la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif et la Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire4. Ces dernières années, la Suisse a pris les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre et ratifier ces traités et participe aujourd'hui à la lutte internationale contre le terrorisme en tant que Partie à ces Conventions. Elle salue à cet égard la démarche du Conseil de l'Europe qui a pour objectif, grâce à la Convention et au Protocole additionnel, d'uniformiser les droits internes sur le territoire européen et au-delà, de les développer si nécessaire et de renforcer la coopération internationale.

Alors que les Conventions internationales précédentes avaient habituellement pour objectif de réprimer les actes de terrorisme en tant que tels, les deux traités dont il est question ici vont plus loin. Ils n'imposent pas d'inscrire dans la loi et de punir les actes de terrorisme eux-mêmes mais les activités effectuées en prévision d'un tel acte et qui peuvent créer ou aggraver le risque qu'un attentat terroriste soit commis à court ou moyen terme.

Cette extension substantielle de la punissabilité à des actes commis en amont de l'infraction principale est une particularité en droit pénal international, comparable à la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme adoptée le 9 décembre 1999 (voir ch. 2). La Convention et le Protocole additionnel ne prétendent pas assurer la prévention du terrorisme de manière exhaustive pour autant5. Ils ne portent que sur les comportements concrets qui, selon la communauté internationale, doivent être punis de manière proportionnée. Il est d'autant plus important, lors de la mise en oeuvre des traités, d'accorder l'attention qu'il se doit aux principes de proportionnalité et de précision des normes pénales. En pratique, il s'agit de réprimer les infractions en veillant constamment au respect des droits fondamentaux, en particulier de la liberté d'expression, de la liberté de réunion, de la liberté religieuse et de la liberté de mouvement.

4 5

Voir les explications relatives à l'art. 1 de la Convention et les réf. citées.

Voir le ch. 25 du rapport explicatif de la Convention (ci-après RE), accessible à l'adresse www.coe.int/fr > Explorer > Bureau des Traités > Liste complète > STCE no 196.

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1.6

Autres standards internationaux

La problématique des voyages à des fins terroristes, de leur financement et de leur organisation est également encadrée par d'autres instruments de droit international.

Citons à cet égard les résolutions 2178 (2014) et 2368 du 20 juillet 2017 du Conseil de sécurité de l'ONU6 et les recommandations du Groupe d'action financière (GAFI)7, qui constituent les normes internationales de référence dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Tandis que la résolution 2368 assoit et actualise le régime de sanctions contre Al-Qaïda et l'État islamique, la résolution 2178 demande aux États membres de réprimer les voyages à des fins terroristes, ainsi que le financement et l'organisation de tels voyages. Suite à l'adoption de cette résolution, le GAFI a décidé de réviser ces recommandations, afin de préciser que le financement du terrorisme comprenait également le fait de «financer les voyages de personnes qui se rendent dans un autre État que leur État de résidence ou de nationalité, dans le dessein de commettre, d'organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d'y participer ou de dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme»8. Dans ce contexte, le GAFI a rappelé que ces voyages pouvaient être considérés comme la principale forme de soutien apporté aux organisations terroristes et que les besoins financiers des personnes concernées ­ destinés avant tout à financer le transport, le logement, les moyens de communication et la nourriture ­ étaient relativement modestes9. En 2016, le GAFI a effectué sa visite sur place en Suisse et a notamment examiné les dispositions pénales réprimant le financement du terrorisme et le soutien à une organisation terroriste. Il est arrivé à la conclusion que la Suisse était en grande partie en conformité avec la recommandation 5 (infraction de financement du terrorisme), tout en relevant une défaillance s'agissant du financement de voyages à des fins terroristes sans lien avec une organisation ou avec un acte terroriste quelconque.

2

Les dispositions de la Convention et du Protocole additionnel et leur relation avec la législation suisse

2.1

Les dispositions de la Convention

Art. 1

Terminologie

Les Parties renoncent dans cet article à établir une définition explicite du concept de terrorisme. Est qualifiée d'«infraction terroriste» toute infraction au sens des traités 6 7

8 9

Accessible à l'adresse: www.un.org/fr/sc > Documents > Résolutions > S/RES/2368 (2017).

Normes internationales sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et la prolifération, Les recommandations du GAFI, février 2012 (mises à jour en 2013 et 2016), accessibles à l'adresse: www.fatf-gafi.org/fr > Publications > Recommandations GAFI.

Ch. 3 de la note interprétative de la recommandation 5 du GAFI.

FATF Guidance, Criminalising terrorist financing (recommandation 5), October 2016, § 41, accessible à l'adresse: www.fatf-gafi.org/en > Publications > FATF Recommendations.

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internationaux énumérés en annexe de la Convention10, soit onze Conventions des Nations Unies pour la répression du terrorisme11.

Dans le cadre des délibérations relatives à la Convention, les Parties ont renoncé à la suite de débats approfondis à ne considérer comme pertinentes que certaines infractions principales12 telles qu'établies par les Conventions des Nations Unies mentionnées. Il s'agit plutôt d'ériger en infractions pénales la provocation publique au terrorisme ainsi que le recrutement et l'entraînement pour le terrorisme au sens global du terme. En conséquence, les infractions terroristes au sens de la Convention comprennent diverses infractions contre la vie et l'intégrité corporelle, la liberté ou la propriété d'autrui, liées par exemple à la prise d'otages, au détournement d'avions ou au vol et à l'utilisation de matières nucléaires ou d'explosifs. En vertu de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, fournir ou réunir des fonds dans l'intention de les voir utilisés ou en sachant qu'ils seront utilisés en vue de commettre un acte terroriste est également considéré comme une infraction terroriste13.

De ce choix découlent quelques particularités pour la mise en oeuvre de la Convention: ­ Extension de la punissabilité à des actes commis en amont de l'infraction: La Convention se base sur des infractions punissables en vertu d'autres Conventions, lesquelles font parfois à leur tour référence à d'autres Conventions. De ce système découle une chaîne de punissabilité renforcée par la nature des dispositions de la Convention14 et qui implique d'incriminer des personnes agissant bien en amont des infractions terroristes à proprement parler 15. La Suisse et d'autres États ont identifié ce problème au cours des délibérations. Compte tenu des réserves exprimées et de la nécessité de respecter le principe de proportionnalité, le texte de 10

11

12 13 14 15

Selon le ch. 46 RE, il s'agit des actes visant à intimider gravement une population, à contraindre indûment un gouvernement ou une organisation internationale ou à gravement déstabiliser les structures fondamentales politiques ou constitutionnelles.

La Suisse a mis en oeuvre et ratifié toutes les Conventions des Nations Unies mentionnées, en dernier lieu les Conventions internationales pour la répression du financement du terrorisme (RS 0.353.22) et pour la répression des attentats terroristes à l'explosif (RS 0.353.21) le 23 octobre 2003, ainsi que la Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire le 14 novembre 2008 (RS 0.353.23).

L'annexe à la Convention n'inclut pas encore la Convention du 10 septembre 2010 sur la répression des actes illicites dirigés contre l'aviation civile internationale (entrée en vigueur le 1er juillet 2018) ni le Protocole additionnel du 10 septembre 2010 à la Convention pour la répression de la capture illicite d'aéronefs (entré en vigueur le 1 er janvier 2018; RS 0.748.710.21). Ces instruments ont déjà été mis en oeuvre et ratifiés par la Suisse.

La Convention n'aurait alors porté que sur les infractions principales régies par chaque Convention des Nations Unies.

Art. 2, par. 1, de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, voir ci-dessus.

Art. 5 ss de la Convention.

Tenter d'inciter autrui à recruter une personne afin qu'elle aide à réunir des fonds en prévision de la commission d'un acte de terrorisme devrait par exemple être puni.

Une telle incrimination serait extrêmement problématique d'un point de vue politique et juridique (s'agissant des moyens de preuve) et donnerait lieu à des procédures qui ne respecteraient pas le principe de proportionnalité ou qui ne pourraient pas aboutir.

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la Convention et du RE établissent que seules les conduites pouvant mener à des infractions terroristes doivent être incriminées16. La Convention n'a pas pour but d'incriminer des conduites qui ont uniquement une connexion théorique avec une infraction terroriste, établie sur la base d'une chaîne d'évènements hypothétiques. La présomption d'innocence inscrite à l'art. 32, al. 1, de la Constitution (Cst.)17, qui s'applique jusqu'à ce qu'une personne fasse l'objet d'une condamnation entrée en force, revêt à cet égard une grande importance.

­ Précision du texte de la Convention: Puisqu'il n'existe pas de définition universelle du terrorisme 18, le texte de la Convention ne permet pas de déterminer avec précision jusqu'où la punissabilité peut s'étendre. Il incombe aux Parties de respecter le principe de légalité en droit pénal 19 lors de la mise en oeuvre de la Convention dans leur droit interne et de garantir les droits fondamentaux, notamment la liberté d'opinion et la liberté de réunion20. Toute restriction doit être soigneusement soupesée, en application du principe de proportionnalité, et garantir le respect de l'essence-même de ces droits21.

­ Réserves et déclarations: La Convention n'énumère pas explicitement les articles qui peuvent faire l'objet d'une réserve ou d'une déclaration restrictive de la part des Parties. La Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités22 est donc applicable. Cela dit, les États se sont mis d'accord lors de l'élaboration de la Convention pour désigner explicitement les domaines de la Convention qui peuvent faire l'objet de réserves ou de déclarations23.

Art. 2

Objectif

Les Parties accentuent leurs efforts pour prévenir le terrorisme et ses effets négatifs au niveau national et international.

16 17 18

19 20

21 22 23

Art. 12, par. 2, de la Convention et ch. 49 RE.

RS 101 Les travaux des Nations Unies visant à élaborer une Convention contre le terrorisme exhaustive sont interrompus pour le moment. L'objectif principal d'un tel accord serait d'établir une définition du terrorisme qui puisse s'appliquer à toutes les parties concernées (combattants pour la liberté, troupes militaires; voir les explications relatives à l'introduction dans la législation suisse d'une norme générale en matière de terrorisme, ch. 4.6.3).

Art. 1 CP Art. 16 et 22 Cst et art. 10 et 11 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH, RS 0.101). Notons que ces libertés fondamentales peuvent faire l'objet de restrictions.

Voir l'art. 36 Cst.

RS 0.111, art. 19 ss. Un État peut formuler une réserve à condition qu'elle ne soit pas incompatible avec l'objet et le but du traité.

Ch. 28 RE. Il s'agit de l'application de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (RS 0.353.22) et des art. 5, 9 et 14, par. 1, let. c, de la Convention.

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Art. 3

Politiques nationales de prévention

Les Parties prennent des mesures appropriées en vue de prévenir les infractions terroristes et de réduire leurs effets négatifs, en garantissant le respect des droits de l'homme. L'échange d'informations, les mesures de protection et de coordination ainsi que la formation spécialisée des autorités répressives doivent être renforcés.

L'art. 3, par. 2, prévoit que les Parties prennent les mesures nécessaires pour améliorer et développer la coopération entre les autorités nationales en vue de mieux prévenir les infractions terroristes et leurs effets.

Cette disposition doit être examinée en relation avec l'art. 4 de la Convention et tend à favoriser les échanges d'informations pour prévenir les infractions terroristes. Les informations obtenues tant au niveau international que national permettent d'améliorer l'efficacité de la lutte contre les infractions terroristes à ces deux niveaux.

Le dialogue social doit également être encouragé24 et la société civile peut participer aux efforts25. En Suisse, la Confédération et les cantons, entre autres par leurs polices cantonales, collaborent pour échanger les informations utiles en matière de sensibilisation du public au risque terroriste. Les cantons font remonter les informations de proximité. On peut évoquer dans ce contexte le Plan d'action national de lutte contre la radicalisation et l'extrémisme violent du 4 décembre 201726, adopté par la Confédération et les cantons, qui renforce la coordination et la coopération entre les deux échelons de l'État et met en place des structures efficaces contre le terrorisme. Afin de gérer les situations délicates, chaque canton applique sa stratégie en fonction des spécificités locales.

Art. 4

Coopération internationale en matière de prévention

Si nécessaire et selon leurs possibilités, les Parties se prêtent assistance pour la prévention du terrorisme. Cette coopération internationale en matière de prévention est l'un des éléments fondamentaux pour permettre la lutte la plus efficace possible contre le terrorisme. L'assistance que se prêtent les États parties est déjà mise en oeuvre dans divers instruments, notamment du Conseil de l'Europe ou de l'Organisation des Nations Unies. La Suisse dispose, par exemple, d'un procureur de liaison auprès d'Eurojust et d'agents de liaison ou attachés de police à l'étranger, et le contact direct entre les autorités judiciaires institué par les instruments du Conseil de l'Europe favorise la coopération au sens de cette disposition.

La lutte contre le terrorisme et contre la criminalité (organisée) qui est à sa source nécessite une action très rapide des autorités concernées. L'obligation de célérité instituée à l'art. 17a de la loi du 20 mars 1981 sur l'entraide pénale internationale (EIMP)27 et les principes développés par la jurisprudence, tels que le principe de 24 25

26

27

Par. 3 Par. 4. Il a été possible, au cours des délibérations, de contrer les États qui souhaitaient introduire dans la Convention l'obligation pour les citoyens de fournir leur aide à la lutte contre le terrorisme.

Élaboré sous la houlette du Réseau national de sécurité, voir le communiqué du 4 décembre 2017 à l'adresse: www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/ communiques.msg-id-69082.html. Le texte du plan d'action est accessible à l'adresse: www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/50667.pdf.

RS 351.1

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faveur, à savoir que la règle la plus favorable à l'entraide prévaut 28, améliorent la coopération.

Cette dernière a pour objectif de prévenir les activités terroristes, raison pour laquelle de nouvelles dispositions visant à mieux prévenir et à instruire plus rapidement les attentats terroristes, notamment en Europe, figureront dans la loi. Les détails des nouveaux art. 80d bis et 80d ter à 80d duodecies EIMP proposés sont développés dans les explications se rapportant à ces dispositions. Il s'agit essentiellement d'instituer une «entraide dynamique» permettant une rapidité d'intervention en faveur de la prévention et de la répression en particulier du terrorisme et des formes de criminalité qui y sont liées. Le projet propose un nouvel article relatif à la transmission anticipée d'informations et de moyens de preuve et de nouvelles dispositions sur les équipes communes d'enquête, lesquelles introduiront davantage d'efficacité et de rapidité dans la coopération judiciaire en matière pénale avec les autorités étrangères.

Art. 5

Provocation publique à commettre une infraction terroriste

Cet article, première disposition pénale de la Convention, impose aux Parties d'ériger en infraction pénale la diffusion d'un message avec l'intention d'inciter à la commission d'une infraction terroriste, lorsqu'un tel comportement crée un danger qu'une ou plusieurs de ces infractions puissent être commises. La provocation peut être directe ou indirecte; le risque doit être significatif et crédible29.

La provocation publique directe30 à commettre une infraction terroriste est couverte par l'art. 259 du code pénal (CP)31 en vigueur. Selon cette disposition, quiconque provoque publiquement à un crime ou à la violence est puni. L'auteur doit avoir l'intention d'exercer une influence sur le public. Que la provocation ait été comprise ou perçue n'est pas pertinent32. De même, l'acte de terrorisme ne doit pas avoir été effectivement commis ou avoir fait l'objet d'une tentative pour que l'infraction soit punissable33.

La provocation indirecte, qui consiste par exemple à présenter une infraction comme nécessaire et justifiée34, est également couverte par l'art. 259 CP. La provocation doit être univoque, mais l'infraction visée ne doit pas être décrite avec précision 35.

La législation suisse satisfait aux exigences de l'art. 5 de la Convention36.

28

29 30

31 32 33 34

35

Voir notamment la jurisprudence du Tribunal fédéral par ex. dans les ATF 140 IV 123 (126) consid. 2; 137 IV 33 (41) consid. 2.2.2; 135 IV 212 (215) consid. 2.3 ou 122 II 140 (142), consid. 2, explicitant le principe de faveur («Günstigkeitsprinzip»), selon lequel la règle la plus favorable à l'entraide prévaut, que cette règle soit nationale ou internationale.

Ch. 100 RE Une provocation est considérée comme directe lorsque le message mentionne explicitement l'acte de terrorisme ou ses buts ou qu'il est possible de les déduire du contenu du message.

Provocation publique au crime ou à la violence.

Voir Fiolka, in Basler Kommentar, 2013, no 10 ad art. 259 CP.

Voir Trechsel/Vest, in StGB PK, 2e éd. 2013, no 5 ad art. 259 CP.

Selon les ch. 99 s. RE, il faut prouver que la personne concernée avait l'intention expresse d'inciter à la commission d'une infraction terroriste et que son acte a créé un risque significatif.

Fiolka, in Basler Kommentar, 2013, no 12 ad art. 259 CP.

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Art. 6

Recrutement pour le terrorisme

Cet article exige des Parties d'ériger en infraction pénale le fait de solliciter37 une autre personne pour commettre ou participer à la commission d'une infraction terroriste, ou pour se joindre à un groupe afin de contribuer à la commission d'une infraction terroriste. Les États sont libres d'interpréter le terme «solliciter» conformément à leur droit interne. L'infraction est accomplie lorsque le recruteur a fait le nécessaire, selon lui, pour que le recrutement soit un succès et que la personne ou le groupe de personnes déterminé, pour le moins, prend acte de la démarche et des intentions de l'auteur38.

Solliciter une personne afin qu'elle se joigne à un groupe en vue de perpétrer des actes de terrorisme est une infraction partiellement couverte par l'art. 260ter CP39.

Outre la participation à une organisation criminelle, cette disposition réprime également le soutien à une telle organisation40. Les tribunaux qualifient régulièrement d'organisations criminelles les organisations terroristes qui réunissent les éléments constitutifs de l'infraction, c'est-à-dire qu'elles maintiennent le secret et qu'elles disposent d'une structure suffisante41. Est considérée comme soutien toute contribution essentielle qui renforce l'organisation, par la mise à disposition de ressources logistiques ou humaines par exemple42. Un membre de l'organisation qui procède au recrutement peut être poursuivi au titre de la participation à l'organisation43. La poursuite pénale relève de la compétence des autorités suisses si le recrutement est effectué sur le territoire suisse, même si l'organisation ne mène ses activités criminelles qu'à l'étranger44.

En ce qui concerne les groupes Al-Qaïda et État islamique et les organisations apparentées, l'art. 2 de la loi fédérale du 12 décembre 2014 interdisant les groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et les organisations apparentées45 (ci-après loi AlQaïda); s'applique. Est puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire quiconque, entre autres, encourage les activités d'une telle organisation de quelque manière que ce soit, y compris en recrutant des adeptes.

36 37 38

39 40 41

42 43 44 45

Cet article peut faire l'objet d'une réserve ou d'une déclaration.

Selon le terme utilisé dans la version française de la Convention.

Voir les ch. 109 et 112 RE. Il n'est pas nécessaire que le destinataire participe effectivement à la commission d'une infraction terroriste ou qu'il se joigne à un groupe dans ce but.

Organisation criminelle, en particulier le ch. 1, par. 1.

Il peut s'agir de personnes non membres de l'organisation.

Dans la jurisprudence, la notion d'organisation criminelle englobe entre autres aussi les groupes islamistes (État islamique, Martyrs pour le Maroc, le réseau Al-Qaïda), l'organisation albanaise ANA au Kosovo, le TKP/ML ­ TIKKO en Turquie, les Brigades rouges en Italie et l'ETA au Pays basque (ATF 132 IV 132 ss, arrêt du 23 février 2016 du Tribunal fédéral (1C 644/2015), arrêt du 18 mars 2016 du Tribunal pénal fédéral (SN.2016.5).

Voir Baumgartner, in Basler Kommentar, 2013, no 12 ad art. 260ter CP.

Le fait d'être membre d'une organisation inclut ainsi le soutien apporté à celle-ci.

Les autorités suisses sont compétentes en cas de recrutement effectué à l'étranger si l'organisation compte exercer son activité criminelle en Suisse, art. 260ter, ch. 3, CP.

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Par contre, l'incrimination de la tentative de recrutement exigée par la Convention 46 n'est que partiellement couverte par le droit en vigueur. La doctrine dominante et le législateur excluent la punissabilité de la tentative et de la participation à l'infraction prévue à l'art. 260ter CP et l'extension de la punissabilité à la tentative de soutien d'une organisation criminelle qui en résulterait. Ces actes ne sont pas punis par le droit suisse47, sauf en cas de tentative de recrutement pour le compte d'une organisation interdite en vertu de la loi Al-Qaïda.

Une réserve de la Suisse concernant cette disposition pourrait, après une analyse approfondie, être considérée comme incompatible avec l'objet et le but de la Convention et être jugée irrecevable48.

Au vu de l'impunité partielle de certaines activités réalisées en amont d'une infraction et afin de règlementer de façon claire et spécifique le recrutement à des fins de terrorisme, le Conseil fédéral propose d'introduire une nouvelle disposition pénale qui régira explicitement l'infraction dont il est question (voir le commentaire des nouvelles dispositions au ch. 4.2). La création d'une disposition distincte permettra non seulement de respecter le principe de précision en droit pénal mais aussi de garantir l'application des normes de portée générale qui régissent la participation et la tentative à la nouvelle disposition.

L'étude de droit comparé du 22 janvier 2016 sur la pénalisation du recrutement et de l'entraînement de terroristes effectuée par l'Institut de droit comparé à Lausanne 49 révèle que le Danemark, l'Allemagne et l'Italie pénalisent explicitement le recrutement pour le terrorisme. Ces trois pays prévoient une peine privative de liberté. Le recrutement pour le terrorisme est également punissable en Autriche sans que la législation de ce pays ne le règle explicitement. Enfin, le droit français prévoit également une infraction relative au recrutement pour le terrorisme, qui diffère des autres pays puisque l'auteur ne doit pas seulement solliciter la personne mais la persuader de participer à un groupement ou de commettre un acte de terrorisme en lui proposant des avantages ou en la menaçant. Un nouvel article a par ailleurs été adopté en 2017, lequel sanctionne spécifiquement le recrutement d'un mineur par une personne ayant
autorité sur lui50.

D'autres dispositions qui ne régissent pas exclusivement le recrutement pour le terrorisme peuvent être applicables dans ces pays. Il s'agit par exemple de celles consistant à réprimer le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes en France, ou encore de diffuser le matériel de propagande d'organisations anticonstitutionnelles en Allemagne.

46 47 48 49

50

Art. 9, al. 2, de la Convention.

FF 1993 III 269, 296; Baumgartner, op. cit., no 12 ad art. 260ter; Trechsel/Vest, op. cit., no 15 ad art. 260ter.

Voir les explications relatives à l'art. 1 de la Convention.

L'étude comprend le Danemark, l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Autriche. Elle est accessible sur le site Internet de l'Institut suisse de droit comparé à l'adresse: www.isdc.ch > Publications > E-Avis > Strafbarkeit der Rekrutierung und Ausbildung von Terroristen. La newsletter no 42 de l'institut en fait un résumé, accessible à l'adresse:

www.isdc.ch > Publikationen > ISDC Letter > 2017 > ISDC'S LETTER No 42.

Art. 421-2-4-1 du code pénal français.

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Les autorités de poursuite pénale de la Confédération signalent qu'elles rencontrent des difficultés dans le cadre des enquêtes pénales ouvertes pour des actes effectués antérieurement à des activités terroristes. En particulier, elles ne peuvent pas ordonner de mesures de surveillance au sens du code de procédure pénale (CPP)51 si elles ne sont pas en mesure de prouver un lien avec une organisation criminelle ou si ce lien est inexistant. L'introduction d'une nouvelle norme pénale qui n'impose pas d'établir un lien avec une organisation terroriste permettra d'engager des procédures sur la base d'une législation plus appropriée.

La Convention n'incrimine pas le fait d'être recruté pour le terrorisme (recrutement passif). Les États peuvent toutefois introduire une telle infraction dans leur droit interne en veillant au respect des principes de proportionnalité et de l'état de droit.

Certains États ont fait usage de cette possibilité alors que d'autres y ont renoncé.

Le Danemark et l'Italie ont explicitement pénalisé le recrutement passif, dans la même norme pénale que le recrutement actif. Dans ces deux États, la peine prévue est plus légère que pour le recrutement actif. L'Allemagne, la France et l'Autriche ne disposent d'aucune règle spécifique pour le recrutement passif. Suivant les cas et la législation en vigueur, l'acte peut être puni au titre de la participation à une organisation terroriste. En Autriche, le simple fin de consentir à soutenir une organisation remplit déjà les éléments constitutifs de cette infraction.

La criminalisation du fait d'être recruté implique de punir des actes commis bien en amont de l'infraction principale et pose de grandes difficultés en ce qui concerne les preuves. Premièrement, il est presque impossible de prouver qu'une personne a décidé en son for intérieur d'accepter de participer à une activité criminelle ou de devenir membre d'une organisation. Deuxièmement, la personne recrutée est dans l'incertitude quant à ce qu'elle accepte. Enfin, on peut se demander s'il est vraiment opportun d'incriminer ce comportement: le seul fait qu'une personne accepte en son for intérieur, sans adopter de comportement concret et observable par une personne extérieure, de participer à une activité qui n'est pas toujours définie représente-t-il une menace suffisante qui
justifie l'ouverture d'une poursuite pénale?

Le Conseil fédéral estime qu'il n'est pas nécessaire d'incriminer le seul fait d'accepter d'être recruté pour le terrorisme52 et de modifier le CP à cet effet53. Au moment où une personne accepte d'être recrutée, la menace que ce comportement représente pour la sécurité publique et pour la population est faible. La Suisse dispose d'autres mesures et possibilités légales, en particulier grâce à la nouvelle loi fédérale du 25 septembre 2015 sur le renseignement (LRens) 54, pour s'informer davantage sur la situation générale et garantir ainsi la sécurité intérieure et extérieure du pays. Par contre, une personne qui prend des mesures concrètes visant à organiser une infraction ou à participer à une organisation dans le but de commettre une infraction est 51 52

53

54

RS 312.0 Soulignons qu'une personne recrutée pour commettre une infraction concrète et planifiée est punissable. Les tribunaux contrôlent alors si elle a commis un acte préparatoire délictueux ou si elle est complice de la tentative de commettre une infraction principale.

C'est l'ultima ratio. Durant cette période, il peut être d'autant plus important d'utiliser le renseignement et de s'informer le plus possible sur les évènements, les structures et les individus ainsi que d'échanger des informations avec les services compétents à l'étranger.

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punissable conformément au droit en vigueur. Si la personne concernée montre qu'elle a accepté d'être recrutée en participant à une formation terroriste ou à un voyage à des fins terroristes, le nouvel art. 260sexies P-CP proposé s'appliquera55.

Le Conseil fédéral propose d'introduire une nouvelle norme pénale pour punir explicitement le recrutement pour le terrorisme, mais de renoncer à l'incrimination du fait d'être recruté pour le terrorisme puisqu'une telle norme établirait une punissabilité encore plus anticipée.

Art. 7

Entraînement pour le terrorisme

Cet article impose aux Parties d'ériger en infraction pénale le fait de donner des instructions pour la fabrication ou l'utilisation d'explosifs, d'armes ou de substances dangereuses, ou pour d'autres méthodes et techniques spécifiques en vue de commettre une infraction terroriste ou de contribuer à sa commission, sachant que la formation dispensée a pour but de servir à la réalisation d'un tel objectif. Sont considérées comme des armes au sens de la Convention toute arme ou tout engin conçu pour provoquer la mort, des dommages corporels graves ou d'importants dégâts matériels par l'émission de produits chimiques toxiques, d'agents biologiques, de rayonnements ou de matières radioactives56. Punir le fait de donner des instructions «pour d'autres méthodes et techniques spécifiques» paraît peu compatible avec le principe de précision des normes pénales puisque cette infraction n'est pas liée à un moyen d'action ou à une conduite concrets. L'art. 7 ayant un champ d'application très large, le principe de proportionnalité établi à l'art. 12, par. 2, de la Convention et l'essence-même de l'article57 doivent revêtir une importance accrue lors de la mise en oeuvre.

N'est par exemple pas considéré comme un entraînement au sens de l'art. 7 la publication non sollicitée de plans permettant de fabriquer un explosif ou d'instructions pour l'utilisation d'armes sur Internet, sans que l'auteur ait connaissance du destinataire ou de l'intention de se servir de l'information pour commettre une infraction58.

Dans la mesure où l'infraction peut être rattachée à un groupe terroriste, la disposition relative à l'organisation criminelle et au soutien à celle-ci s'applique. Former une personne ou lui donner des instructions pour un acte de violence criminel suffisamment spécifique contre des personnes ou des installations59 peut être considéré comme un acte préparatoire délictueux au sens de l'art. 260bis CP. L'activité préparatoire doit être menée de manière systématique et sur une certaine durée; elle doit atteindre un stade assez avancé pour que l'intention criminelle puisse être objectivement constatée et doit viser la commission de l'un des actes énumérés dans la

55

56 57 58 59

Voir le ch. 4.2 et les explications relatives à l'art. 7, où il est proposé de punir la personne qui reçoit un entraînement pour le terrorisme au même titre que celle qui dispense l'entraînement.

Ch. 120 RE Soit donner des instructions pour des activités directement dangereuses ou pour la fabrication ou l'utilisation de substances ou de moyens dangereux.

Cet aspect découle de la formulation de la disposition («sachant que») et du principe de la Convention selon lequel un risque hypothétique ne constitue pas une infraction.

On part du principe que ces critères sont remplis dans le cas d'infractions terroristes.

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disposition60. Y avoir simplement réfléchi ne suffit pas 61. Cependant, le lieu et l'heure de la commission de l'infraction ainsi que la manière dont elle sera réalisée ne doivent pas être précisés.

L'entraînement pour un acte de terrorisme planifié peut également entrer dans le champ d'application des dispositions relatives à l'instigation et à la complicité62. La complicité, en tant que simple contribution à une infraction principale, est punissable même si le lien de causalité n'est pas établi de manière stricte et que l'infraction principale n'est pas effectivement commise. La tentative de complicité n'est pas punissable63.

L'art. 7 de la Convention est donc couvert par plusieurs dispositions dans le CP en vigueur. Par contre, si l'entraînement pour le terrorisme n'est ni effectué dans le cadre ou au profit d'une organisation terroriste, ni effectué en prévision d'une infraction planifiée ou dont le but est reconnaissable mais plutôt pour former des combattants de réserve, sans lien avec une infraction terroriste qui puisse être précisée, alors il n'est pas punissable. La punissabilité au sens des art. 224 et 226, al. 3, CP ne recouvre que partiellement celle établie par la Convention64.

Afin de remédier aux lacunes constatées, le Conseil fédéral propose de créer une nouvelle norme pénale qui incrimine explicitement l'entraînement pour le terrorisme. Il paraît naturel d'introduire cette norme dans la partie relative aux crimes ou délits contre la paix publique65. Étant donné la similarité de leur contenu, rien ne s'oppose à ce que le recrutement et l'entraînement pour le terrorisme soient réunis dans une même disposition. Les demandes des autorités de poursuite pénale de la Confédération66 pourront être satisfaites à l'occasion de la mise en oeuvre de l'art. 7 de la Convention. On accordera une importance particulière à ce que la formulation de la nouvelle norme limite de manière appropriée la punissabilité d'actes commis antérieurement à une infraction principale et respecte le principe de précision.

De manière analogue au recrutement, la Convention ne rend pas punissable le fait de recevoir un entraînement pour le terrorisme. L'art. 3 du Protocole additionnel définit cependant une infraction correspondante67. Plusieurs États européens l'ont mise en oeuvre dans leur droit interne.
Le Danemark, l'Italie et l'Autriche ont explicitement érigé en infraction pénale non seulement le fait de dispenser un entraînement pour le terrorisme mais aussi de recevoir un entraînement pour le terrorisme. L'Autriche pénalise de plus la mise à disposition d'instructions et l'apprentissage autonome; l'Italie et la France incrimi60

61 62 63 64 65 66 67

Trechsel/Vest, op. cit., no 5 ad art. 260bis. Il s'agit en particulier du meurtre, de l'assassinat, des lésions corporelles graves, de la séquestration et de l'enlèvement, de la prise d'otages, de l'incendie intentionnel et du brigandage.

Baumgartner, op. cit., no 11 ad art. 260bis.

Art. 24 et 25 CP Voir Trechsel/Vest, op. cit., no 8 ad art. 25. Par contre, la tentative d'instigation est punissable.

Emploi, avec dessein délictueux, d'explosifs ou de gaz toxiques; indications pour l'emploi d'explosifs ou de gaz toxiques.

Art. 258 ss CP; inscrire cette infraction parmi les crimes ou délits créant un danger collectif (art. 221 ss CP) paraît moins adapté.

Voir les explications relatives à l'art. 6 de la Convention.

Voir le ch. 3.

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nent l'entraînement individuel pour la commission d'actes terroristes. L'entraînement en tant que tel n'est cependant punissable en France que s'il contribue à la diffusion de procédés permettant la fabrication d'engins de destruction. En Allemagne, l'entraînement actif et passif ne sont que partiellement pénalisés. Il n'existe pas d'infraction unique et explicite, mais plusieurs infractions qui recouvrent chacune certains aspects68.

En rendant punissable le fait de recevoir un entraînement pour le terrorisme, on introduit de nouveau une punissabilité anticipée. Contrairement à l'aspect passif du fait d'être recruté, cet acte ne se limite pas à une décision propre à son auteur mais repose sur un comportement observable de la personne qui s'entraîne pour le terrorisme69. Outre ces critères objectifs, on peut également partir du principe que les personnes concernées reçoivent des indications successives sur le type, le contenu, l'orientation et le but de l'entraînement et qu'elles peuvent donc se faire une idée des conséquences de leurs actions70. Celui qui s'entraîne pour le terrorisme présente une menace accrue qui justifie l'intervention du droit pénal.

Afin de mettre en oeuvre l'art. 3 du Protocole additionnel et l'art. 7 de la Convention, le Conseil fédéral propose d'ériger en infraction pénale le fait de dispenser un entraînement pour le terrorisme mais aussi de recevoir un tel entraînement.

Art. 8

Indifférence du résultat

Selon l'art. 8 de la Convention, il n'est pas nécessaire que l'infraction terroriste soit effectivement commise pour qu'un acte constitue une infraction au sens des art. 5 à 7.

La mise en oeuvre de cette disposition ne pose pas de difficultés particulières en ce qui concerne la provocation publique à commettre une infraction terroriste71, punie en droit pénal suisse même si l'infraction principale n'est pas commise. La nouvelle norme pénale relative au recrutement et à l'entraînement pour le terrorisme sera également applicable indépendamment du résultat de l'infraction. Le droit en vigueur et les modifications proposées satisfont aux exigences de l'art. 8 de la Convention.

Art. 9

Infractions accessoires

Les Parties sont tenues d'ériger en infraction pénale la participation en tant que complice à une infraction au sens de la Convention et l'organisation de la commission d'une telle infraction72. De même, la tentative de commettre une infraction au sens des art. 6 et 7 doit être érigée en infraction pénale73, tout comme la contribution

68

69 70 71 72 73

Sont par exemple punies les activités d'espionnage à des fins de sabotage (Agententätigkeit zu Sabotagezwecken) ou la mise à disposition d'instructions en vue de la commission d'un acte de violence mettant l'État gravement en danger (Anleitung zur Begehung einer schweren staatsgefährdenden Gewalttat).

En utilisant des substances dangereuses ou des armes ou d'autres techniques dangereuses, voir l'art. 7 de la Convention.

Contrairement à l'aspect passif du recrutement.

Art. 5 de la Convention.

Art. 9, par. 1, let. a et b Art. 9, par. 2

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à la commission d'une infraction au sens de la Convention par un groupe de personnes.

L'incrimination de la participation à l'infraction définie à l'art. 5 de la Convention ne pose pas de difficultés puisque cette infraction est déjà inscrite dans la législation suisse74. Si, comme proposé, une norme pénale spécifique est créée pour mettre en oeuvre les art. 6 et 7 de la Convention, les règles générales du droit interne régissant la tentative et à la participation lui seront applicables. Les exigences de la Convention au sens de l'art. 9 seront remplies75.

Selon l'art. 9, par. 1, let. c, la contribution à la commission d'une infraction au sens de la Convention par un groupe de personnes doit être érigée en infraction pénale.

La contribution doit être délibérée et soit viser à servir le but de l'activité criminelle du groupe (i), soit être apportée en sachant que le groupe a l'intention de commettre une infraction (ii)76. Le droit en vigueur et les modifications proposées dans le projet satisfont à ces exigences. La disposition relative aux organisations criminelles77 n'est pas seulement efficace pour lutter contre les structures de type mafieux; selon la doctrine et une jurisprudence constante, elle s'applique également aux organisations terroristes78. Outre la participation à une telle organisation, la loi punit aussi le soutien, notion qui comprend toute contribution pouvant renforcer l'organisation, tant qu'il n'y a pas contribution à une infraction concrète. Une activité neutre et légale en soi peut être considérée comme un soutien punissable79.

L'infraction de participation et de soutien au sens de l'art. 260ter CP recouvre déjà une grande diversité d'actes. On étendra modérément la punissabilité en modifiant le texte de l'article et en incriminant explicitement le soutien et la participation à une organisation terroriste80. Les exigences de l'art. 9, par. 1, let. c, de la Convention seront ainsi remplies.

Art. 10

Responsabilité des personnes morales

Les Parties sont tenues d'établir la responsabilité des personnes morales qui participent aux infractions visées par la Convention. La responsabilité peut être pénale, civile ou administrative et ne saurait exclure la responsabilité de la personne physique ayant commis l'infraction.

De nombreuses Conventions pénales internationales prévoient des règles similaires ou identiques concernant la responsabilité des entreprises. Par exemple, la Convention pénale du Conseil de l'Europe sur la corruption conclue le 27 janvier 1999 81 74 75 76

77 78 79 80 81

Art. 259 CP Le droit en vigueur, sans création d'une norme pénale spécifique, satisferait majoritairement mais pas complètement aux exigences de l'art. 9.

Cette disposition se fonde sur la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et sur la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif, RS 0.353.22 et RS 0.353.21.

Art. 260ter CP Voir les explications au ch. 4.1.

Par exemple procurer un service informatique à un groupe en sachant qu'il mène des activités criminelles.

Voir le ch. 4.

RS 0.311.55, STE no 173, art. 18

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prévoit la responsabilité des personnes morales, sans toutefois préciser son caractère civil, administratif ou pénal. Les États doivent veiller à ce que les personnes morales fassent également l'objet de sanctions et de mesures appropriées, y compris de sanctions pécuniaires82. En dépit d'une tendance contraire sur le plan international, la Convention défend le principe encore largement répandu qui veut que les entreprises ne puissent assumer la responsabilité que de manière limitée.

La responsabilité pénale des entreprises figure dans le droit suisse depuis 200383.

Ces dispositions prévoient une responsabilité primaire de l'entreprise pour certains types d'infractions s'il peut lui être reproché de ne pas avoir pris toutes les mesures d'organisation raisonnables et nécessaires pour empêcher l'infraction.

Les infractions mentionnées recouvrent partiellement celles visées par la Convention. La responsabilité primaire de l'entreprise est engagée en cas de criminalité organisée ou de financement du terrorisme84.

Parallèlement à cette responsabilité primaire, la Suisse a instauré une responsabilité subsidiaire générale des personnes morales qui s'étend à tous les crimes et délits.

Elle s'applique aux cas où une infraction est commise dans l'exercice d'activités commerciales conformes aux buts de l'entreprise et ne peut être imputée à aucune personne physique déterminée en raison du manque d'organisation de l'entreprise.

La peine est une amende de cinq millions de francs au plus.

Outre la responsabilité pénale, le droit suisse définit aussi la responsabilité administrative et les sanctions prévues à ce titre, par exemple le retrait d'une autorisation ou le refus de délivrer une autorisation à une entreprise pour un segment du marché ou un domaine d'activité déterminé. L'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers peut par exemple retirer l'autorisation d'exercer à une banque qui ne remplit plus les conditions ou qui a gravement enfreint ses obligations légales 85. En outre, les sociétés et les établissements qui ont un but illicite ne peuvent pas acquérir la personnalité juridique. Ils doivent être dissous et leur fortune dévolue à la corporation publique86. Si l'organisation d'une société présente des carences et que la situation légale n'est pas rétablie dans les délais, le juge
peut prononcer la dissolution de la société87. Enfin, il existe des moyens de droit civil permettant d'établir la responsabilité d'une entreprise pour le compte de laquelle un employé exerçant une fonction dirigeante a commis une infraction ou a négligé les devoirs de surveillance qui lui incombaient.

On peut conclure que le droit suisse remplit les conditions fixées à l'art. 10 de la Convention. Outre la responsabilité subsidiaire générale, la responsabilité primaire des entreprises est applicable aux infractions en lien avec une organisation criminelle et le financement du terrorisme. Il n'y a pas de nécessité, ni juridique ni pratique, d'étendre la liste des infractions qui déclenchent la responsabilité primaire des entreprises88. Il y a peu de risque qu'une entreprise classique recrute ou forme des 82 83 84 85 86 87 88

Voir l'art. 11 de la Convention.

Art. 102 CP Art. 260ter et 260quinquies CP Art. 23quinquies de la loi du 8 novembre 1934 sur les banques, RS 952.0.

Art. 52 et 57 du code civil, RS 210.

Art. 731b du code des obligations, RS 220.

Seuls quelques participants à la consultation ont demandé que la liste soit étendue.

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personnes pour qu'elles commettent des actes terroristes. L'inscription de ces infractions dans la liste précitée aurait peu d'incidences pratiques.

Les moyens de droit civil et administratif prévus par la Convention figurent également dans le droit suisse.

Art. 11

Sanctions et mesures

Les États Parties doivent prévoir des peines effectives, proportionnées et dissuasives pour sanctionner les infractions visées par la Convention. Le droit suisse en vigueur répond à cette exigence puisque ces infractions sont passibles de peines privatives de liberté. Selon l'art. 11, par. 3, les personnes morales doivent aussi faire l'objet de sanctions ou de mesures appropriées, pénales ou non pénales, y compris de sanctions pécuniaires. Le droit suisse remplit ces conditions.

Art. 12

Conditions et sauvegarde

Cette disposition oblige les États à respecter les droits de l'homme 89 et établit les principes de proportionnalité et de nécessité 90 que les État doivent appliquer lors de l'incrimination des infractions et de la prévention du terrorisme. Ces deux principes ont une importance accrue pour la mise en oeuvre des art. 6 et 7 de la Convention, raison pour laquelle les nouvelles dispositions proposées ont un champ d'application clairement défini et prévoient une punissabilité anticipée qui reste proportionnée.

Art. 13

Protection, dédommagement et aide aux victimes du terrorisme

Les Parties sont tenues d'adopter des mesures pour protéger et soutenir les victimes du terrorisme. Ces mesures peuvent notamment comprendre l'aide financière et le dédommagement des victimes et de leurs proches.

Selon la loi du 23 mars 2007 sur l'aide aux victimes (LAVI) 91, toute personne qui a subi une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle du fait d'une infraction commise en Suisse a droit à une aide, que l'auteur de l'infraction ait été découvert ou non. Les proches de la victime ont également droit à cette aide 92. Les cantons sont chargés de l'exécution de la loi. En cas d'évènements extraordinaires, la Confédération peut coordonner la collaboration entre les cantons et accorder des indemnités au canton concerné93. L'aide aux victimes comprend les conseils, l'aide immédiate, l'aide à plus long terme, la contribution aux frais pour l'aide à plus long terme fournie par un tiers, l'indemnisation et la réparation morale94. Les exigences de l'art. 13 de la Convention sont satisfaites.

89 90 91 92 93 94

Par. 1 Par. 2, voir aussi le ch. 150 ss RE.

RS 312.5 Art. 1 LAVI Art. 32 LAVI Art. 2 LAVI

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Art. 14

Compétence

Chaque Partie est tenue d'établir sa compétence à l'égard de toute infraction pénale établie par la Convention lorsque l'infraction est commise sur son territoire, à bord d'un de ses navires ou d'un de ses aéronefs, ou par un de ses ressortissants.

Le droit suisse en vigueur est conforme à cet article puisqu'il établit le principe de territorialité, le principe du pavillon et le principe de personnalité active95. Ce dernier est applicable à une infraction commise à l'étranger si l'acte est aussi réprimé dans l'État où il a été commis96. Toutefois, la Convention ne prévoit pas de limiter la compétence aux conduites punissables là où elles ont été commises. Le législateur suisse a déjà renoncé à appliquer le principe de la double incrimination à des infractions concernées par la Convention97, et le Conseil fédéral propose de faire de même dans les nouvelles dispositions relatives au recrutement, à l'entraînement et au voyage à des fins de terrorisme98. Les tribunaux suisses seront ainsi compétents pour les infractions au sens de la Convention commises à l'étranger, si l'auteur se trouve en Suisse, ou pour les infractions qui visent la Suisse. En conséquence, il n'y a pas lieu de déposer une réserve pour cet article.

Selon la Convention, les Parties peuvent aussi établir leur compétence dans d'autres cas, notamment lorsque l'infraction a été commise par un apatride ayant sa résidence habituelle sur leur territoire99. Le droit suisse en vigueur fait usage de cette possibilité100.

Le fait d'établir la compétence de la Suisse dans les cas où l'auteur présumé d'une infraction au sens de la Convention se trouve sur son territoire et n'est pas extradé ne représente pas une nouveauté. Différents instruments, notamment contre le terrorisme, prévoient déjà l'obligation soit d'ouvrir une procédure d'extradition, soit d'entamer des poursuites pénales, ceci en application du principe «aut dedere aut iudicare», à savoir «extrader ou poursuivre». En ce sens, l'art. 14, par. 3, présente un lien avec l'art. 18 de la Convention, qui régit le principe précité «extrader ou poursuivre»101.

95

Art. 3 CP (en relation avec l'art. 97 de la loi fédérale du 21 décembre 1948 sur l'aviation, RS 748.0, et l'art. 4 de la loi fédérale du 23 septembre 1953 sur la navigation maritime sous pavillon suisse, RS 747.30).

96 Principe de la double incrimination, art. 7, al. 1, let. a, CP. Le principe de personnalité active s'applique également si le lieu de commission de l'acte ne relève d'aucune juridiction pénale.

97 Voir par ex. les art. 5, 185 ou 264m CP.

98 Voir le ch. 4.2.

99 Les États n'ont cependant pas d'obligation contractuelle, art. 14, par. 2.

100 Art. 4, 6 et 7 CP 101 La référence aux développements présentés avec l'art. 18 vaut en particulier concernant a) le besoin d'informations, pour la Suisse, de la part de l'État requérant, lorsque la Suisse commence une procédure d'extradition ainsi que lorsque notre pays ouvre des poursuites pénales, b) lorsque la personne à extrader est suisse et ne consent pas à son extradition selon l'art. 7 EIMP, c) lorsque les standards minimaux résultant de la Convention européenne des droits de l'homme ou du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, RS 0.103.2, ne sont pas garantis et d) relativement au fait que, même sans la Convention, la Suisse peut, à la demande de l'État dans lequel l'infraction a eu lieu et si l'extradition est exclue, réprimer à sa place une infraction (délégation de la poursuite pénale selon les art. 85 ss EIMP).

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Art. 15

Devoir d'enquête

Lorsqu'elles sont informées que l'auteur d'une infraction pourrait se trouver sur leur territoire, les Parties sont tenues d'enquêter sur les faits portés à leur connaissance, et le cas échéant d'assurer la présence de cette personne aux fins de poursuite ou d'extradition. L'art 15, par. 1, prévoit un devoir d'enquête pour les cas où l'État reçoit des informations, en règle générale par Interpol, sur l'auteur ou l'auteur présumé d'une infraction au sens de la Convention. Le par. 2 porte sur les mesures permettant d'assurer la présence de cette personne aux fins de poursuite ou d'extradition. Ces mesures ordonnées par l'État servent principalement à empêcher la fuite de la personne concernée. La Suisse remplit les conditions fixées par la Convention: la législation interne prévoit l'arrestation de la personne au cours de la procédure d'extradition102.

Art. 16

Non applicabilité de la Convention

Cet article limite l'application de la Convention dans les cas où aucun lien avec l'étranger ne peut être établi. La Convention ne s'applique pas, en particulier en ce qui concerne l'entraide judiciaire et l'extradition103, lorsque l'infraction est commise à l'intérieur d'un seul État, lorsque l'auteur présumé est un ressortissant de cet État et se trouve sur le territoire de cet État, et qu'aucun État n'a de raison d'établir sa compétence104.

Art. 17

Coopération internationale en matière pénale

Cet article porte sur la coopération judiciaire en matière pénale 105 dans les enquêtes et les procédures connexes concernant les infractions visées par la Convention.

L'art. 17, par. 1, impose l'obligation contenue dans la quasi-totalité des instruments multilatéraux et bilatéraux d'entraide judiciaire en matière pénale, y compris d'extradition, selon laquelle les États doivent s'accorder sur la coopération la plus large possible dans les enquêtes et les procédures pénales relatives aux infractions visées par la Convention.

L'art. 17, par. 2, prévoit que les Parties coopèrent en application des traités applicables ainsi que selon leur droit interne, selon le principe du droit international «pacta sunt servanda106». En Suisse, la coopération notamment en matière d'entraide judiciaire pénale et d'extradition est déjà possible sans traité sur la base de l'EIMP.

102 103 104 105

Art. 47 ss EIMP et en particulier l'ATF 111 IV 108.

Ch. 183 RE En vertu de l'art. 14, par. 1 ou 2.

Au sens de la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ; RS 0.351.1) et de son Deuxième Protocole additionnel (PA II; RS 0.351.12), ainsi que de la Convention européenne d'extradition (RS 0.353.1) et de ses quatre Protocoles additionnels (RS 0.353.11; RS 0.353.12; RS 353.13 et RS 0.353.14) ainsi que des accords multilatéraux et bilatéraux en vigueur entre les Parties régissant l'entraide judiciaire en matière pénale et l'extradition.

106 «Les Conventions doivent être respectées».

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En ce qui concerne l'art. 17, par. 3, régissant l'entraide se rapportant aux infractions dont une personne morale peut être tenue responsable selon l'art. 10 de la Convention, la Suisse coopère aussi au sens de sa jurisprudence constante, notamment dans le cadre de perquisitions, de blocages de comptes, de saisies de documents, de séquestres conservatoires d'objets ou de valeurs, et s'agissant d'informations recueillies au sujet desquelles l'autorité d'exécution suisse se prononce sur la remise aux autorités étrangères107. En ce sens, la Suisse satisfait aux obligations de la Convention.

Pour ce qui a trait à l'art. 17, par. 4, de la Convention selon lequel des mécanismes additionnels peuvent être envisagés pour partager des informations ou éléments de preuve, la Suisse dispose, sur la base d'instruments internationaux108 et déjà dans son droit interne109, de la possibilité, à certaines conditions, d'une transmission spontanée de moyens de preuve et d'informations. L'autorité de poursuite pénale suisse a ainsi le droit de transmettre spontanément à une autorité étrangère des moyens de preuve qu'elle a recueillis au cours de sa propre enquête, lorsqu'elle estime que cette transmission est de nature à permettre d'ouvrir une poursuite pénale ou peut faciliter le déroulement d'une enquête en cours. Les nouveaux art. 80d bis et 80d ter à 80d duodecies P-EIMP régissant la transmission anticipée d'informations et de moyens de preuve et instituant les équipes communes d'enquête représentent des mécanismes modernisant la coopération judiciaire internationale pénale suisse et accroissant son efficacité.

Art. 18

Extrader ou poursuivre

L'art. 18, par. 1, présente un lien avec l'art. 14, par. 3, de la Convention et consacre le principe bien établi au niveau international «aut dedere aut iudicare», selon lequel l'État requis doit soit ouvrir une procédure d'extradition110, soit lancer des poursuites pénales s'il n'extrade pas l'auteur présumé de l'infraction. Lorsque la Suisse reçoit une demande d'extradition, elle a besoin d'informations de l'État requérant dans les deux situations, tant si elle entame une procédure d'extradition111 que si elle refuse l'extradition et lance des poursuites pénales112.

107 108

109 110 111 112

Notamment ATF 137 IV 134; 133 IV 40; 129 II 269 consid. 2; 116 Ib 456 consid. 3b ou 107 Ib 260 consid. 2c.

Par ex. l'art. 19 de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, RS 0.311.54 ou l'art. 49 de la Convention des Nations Unies contre la corruption, RS 0.311.56.

Art. 67a EIMP Art. 47 ss EIMP La Suisse agit en application des accords internationaux (par ex. art. 12 ss de la Convention européenne d'extradition; CEExtr; RS 0.353.1) et des art. 28, al. 3, 32 ss et 41 EIMP.

Dans ce cas, l'autorité étrangère doit soumettre une demande de poursuite pénale et notamment transmettre à l'OFJ le dossier pénal ainsi que les preuves existantes.

L'OFJ transmet cette demande (et le dossier de l'enquête diligentée par l'État requérant) à l'autorité suisse compétente. Les poursuites pénales suivent les règles applicables dans notre pays.

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Une extradition n'est pas possible si la personne recherchée est de nationalité suisse et ne consent pas à son extradition113 ou que les standards minimaux de protection des droits individuels résultant de la Convention européenne des droits de l'homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne sont pas garantis 114.

L'obligation de poursuivre l'auteur présumé de l'infraction s'il n'est pas extradé ne représente pas une nouveauté pour la Suisse. D'ailleurs même sans la Convention, la Suisse dispose de la possibilité, si l'extradition est exclue ou inopportune, de réprimer à sa place une infraction à la demande de l'État dans lequel l'infraction a été commise115.

L'art. 18, par. 2, de la Convention vise les cas dans lesquels, en vertu de leur législation interne, les Parties extradent ou remettent un de leurs ressortissants «à la condition que l'intéressé lui sera remis pour purger la peine qui lui a été imposée à l'issue du procès ou de la procédure pour lesquels l'extradition ou la remise avait été demandée». Cette disposition ne s'applique pas à la Suisse, car l'art. 7 EIMP régit l'extradition de nationaux moyennant leur consentement écrit, qui est révocable tant que la remise n'a pas été ordonnée. Sans un tel consentement, il est procédé à la poursuite pénale de la personne réclamée au sens de l'art. 18, par. 1, de la Convention.

Art. 19

Extradition

L'art. 19, par. 1, représente une clause usuelle entérinée par de nombreux instruments de lutte contre le terrorisme et contre la criminalité internationale. Cette disposition enjoint aux Parties de considérer que les infractions au sens de la Convention constituent des infractions extraditionnelles selon les traités d'extradition applicables.

L'art. 19, par. 2, est une disposition potestative sans pertinence pour la Suisse qui n'a pas besoin d'un traité pour pouvoir extrader, car son droit interne116 lui en donne la faculté et précise les conditions légales.

L'art. 19, par. 3, exige des Parties ne subordonnant pas l'extradition à l'existence d'un traité qu'elles reconnaissent les infractions prévues par la Convention comme cas d'extradition entre elles, dans les conditions prévues par la législation de la Partie requise. L'EIMP règle la procédure d'extradition et assujettit cette dernière à diverses conditions, telles qu'une peine minimale, la double incrimination et le respect des garanties offertes par la CEDH et le Pacte ONU II117.

113 114 115 116 117

Art. 7, al. 1, EIMP Notamment l'ATF 124 II 140, consid. 3a.

Délégation de la poursuite pénale selon les art. 85 ss EIMP.

Art. 32 ss EIMP Art. 2 et 32 ss EIMP

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L'art. 19, par. 4, est une clause de compétence118 telle qu'il y en a dans plusieurs autres instruments internationaux119 visant à faciliter la coopération avec l'objectif d'éviter que l'auteur d'une infraction incluse dans la Convention puisse échapper à des poursuites pénales.

Enfin l'art. 19, par. 5, est lié à l'art. 26, par. 2. Il reprend une pratique développée dans le cadre de différents instruments internationaux en vue d'améliorer la coopération internationale en matière d'infractions terroristes. Il en résultera la modification de l'art. 3, par. 1, de la Convention européenne d'extradition (voir les développements relatifs à l'art. 20 ci-dessous) ainsi que des autres traités notamment bilatéraux incompatibles avec la présente Convention. La Suisse s'est adaptée à cette pratique depuis de nombreuses années.

Art. 20

Exclusion de la clause d'exception politique

L'art. 20 régit la «dépolitisation» des infractions terroristes selon la Convention en ce qui concerne l'entraide judiciaire et l'extradition. Cette clause correspond à une tendance qui existe depuis fin janvier 1977, lorsque le Conseil de l'Europe a adopté la Convention européenne pour la répression du terrorisme 120. L'ONU a confirmé cette évolution dans les instruments ultérieurs de lutte contre le terrorisme 121. En effet, les infractions terroristes sont si graves que le motif «infraction politique» ne peut pas empêcher l'extradition ni l'entraide judicaire entre les États. Une plus grande collaboration et un soutien mutuel interétatiques contre ces crimes sont nécessaires pour que la menace terroriste demeure faible.

La présente disposition modifie les instruments d'entraide judiciaire et d'extradition en vigueur relativement à l'appréciation de la nature des infractions visées par la Convention. En droit interne, l'art. 3, al. 2, EIMP confirme déjà la «dépolitisation» de certains actes graves122. Différents principes de coopération sont applicables et une telle règle est conforme au droit suisse123.

118 119

120 121

122

123

Art. 14 de la Convention.

Notamment à l'art. 11, par 4, de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme; RS 0.353.22 ou art. 13, par. 4, de la Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire; RS 0.353.23.

RS 0.353.3 Notamment la Convention pour la répression du financement du terrorisme et la Convention pour la répression des attentats terroristes à l'explosif; RS 0.353.21 contiennent également une telle réglementation; et voir aussi par ex. l'art. 3, par. 2, du traité d'extradition entre la Confédération suisse et les États-Unis d'Amérique (RS 0.353.933.6).

Certes, l'art. 20 excède la portée de l'art. 3, al. 2, EIMP, dans la mesure où il limite le pouvoir d'appréciation du Tribunal fédéral découlant de l'art. 3, al. 1, EIMP, notamment en matière d'extradition, lorsque la personne réclamée fait valoir qu'elle est poursuivie pour des motifs politiques.

Art. 1 EIMP, selon lequel le droit international est réservé; voir aussi l'ATF 122 II 485 consacrant la primauté du droit international dans le domaine de la coopération judiciaire internationale pénale (le droit international prime le droit interne, sauf si ce dernier est plus favorable à la coopération que le traité) et voir aussi le rapport additionnel du Conseil fédéral au rapport du 5 mars 2010 sur la relation entre droit international et droit interne (FF 2011 3401) ainsi que R. Zimmermann «La coopération judiciaire internationale en matière pénale, quatrième édition 2014», pp. 233­234.

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Un système de réserve avec ses limites est mis en place à l'art. 20, par. 2 à 6. La Suisse ne fait pas usage de cette possibilité, dans la mesure où de longue date elle ne fait pas valoir la clause d'exception politique pour des actes que les instruments onusiens qu'elle a ratifiés «dépolitisent». D'ailleurs, l'art. 20, par. 4, ne permet pas à l'État ayant émis une telle réserve de requérir que les autres États ne l'appliquent pas à son égard.

Art. 21

Clause de discrimination

L'art. 21 constitue une clause obligatoire de non-discrimination se rapportant au but déguisé de la poursuite pour des motifs de race, de religion, de nationalité, d'origine ethnique ou d'opinions politiques de la personne concernée. Cette disposition se trouve dans d'autres instruments internationaux124 et a pour objectif d'éviter que l'État requis coopère en cas de réalisation des motifs énumérés à l'art. 21. Il s'agit de garantir à la personne poursuivie un standard de protection minimale 125 correspondant à celui offert par le droit des États démocratiques, et ainsi de se protéger contre des demandes abusives.

L'art. 21 présente la particularité que la demande n'est pas examinée en fonction de la nature de l'acte, mais en relation avec le mobile de ladite demande. La personne concernée dispose de la sorte d'un droit opposable à l'État requis de ne pas coopérer avec l'État requérant si ce dernier dissimule la nature effective de sa demande. Ceci est souvent difficile à établir, à moins que l'État requérant ne présente les caractéristiques d'un régime despotique.

Il convient ici de rappeler, en application de l'art. 18 de la Convention, que si la Suisse n'extrade pas une personne, elle ouvrira des poursuites pénales à son encontre. D'autre part, la Suisse met en oeuvre différents principes dans son système juridique, dont notamment la sauvegarde du droit d'asile126 ainsi que la sauvegarde du non-refoulement lorsque les conditions en sont réalisées, de même que notre pays tient compte du risque d'être exposé à la torture ou à la peine de mort, ces risques sont d'ailleurs aussi combattus au sein du Conseil de l'Europe.

Art. 22

Information spontanée

L'art. 22 reconnaît la possibilité pour les Parties de transmettre spontanément des informations recueillies dans leurs enquêtes pouvant aider la Partie qui les reçoit à réaliser l'objectif commun de mieux lutter contre la criminalité. La présente disposition s'inspire notamment de l'art. 11 du Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale127 et porte sur l'entraide en général, suivant la tendance qui s'est développée dans la lutte contre le blanchiment, le crime organisé, la cybercriminalité ou la corruption. Les États Parties peu124

Notamment l'art. 3, par. 2, de la Convention européenne d'extradition, l'art. 5 de la Convention européenne pour la répression du terrorisme ou l'art. 16, par. 4, de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée.

125 Au sens du Pacte ONU II et de la CEDH.

126 L'art. 55a EIMP réglemente la coordination entre la procédure d'extradition et la procédure d'asile.

127 Voir les explications relatives à l'art. 17 de la Convention.

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vent ainsi se communiquer des informations, sans demande préalable, sur des enquêtes ou des procédures. Une telle disposition est déjà prévue dans le droit suisse à l'art. 67a EIMP régissant la transmission spontanée de moyens de preuve et d'informations et les conditions et les limites dont elle est assortie.

Il importe pour la Suisse que les informations transmises puissent être assorties de conditions, ce que l'art. 22, par. 2, consacre. L'art. 22, par. 3, dispose que l'État destinataire est dans ce cas tenu de respecter ces conditions. En ce sens l'information spontanée et ses conditions sont «à prendre ou à laisser»: soit l'État destinataire respecte les éventuelles conditions, soit il ne peut faire usage de l'information communiquée. Il convient de préciser que dans certains États, le droit national impose aux autorités d'intervenir si elles ont accès à une information. Ces pays peuvent faire usage de l'art. 22, par. 4, qui leur permet de déclarer que des informations ne peuvent pas leur être transmises sans leur accord préalable. La Suisse devra par conséquent prêter attention aux déclarations émises par les États concernés128 en application de l'art. 22, par. 4, de la Convention129.

À l'instar de l'art. 22 de la Convention, les dispositions législatives proposées aux art. 80d bis P-EIMP régissant la transmission anticipée d'informations et de moyens de preuves et 80d ter à 80d duodecies P-EIMP instituant les équipes communes d'enquête ont pour but de renforcer une coopération judiciaire interétatique prompte et efficiente.

Art. 23

Signature et entrée en vigueur

La Convention est ouverte à la signature des États membres du Conseil de l'Europe, de la Communauté européenne et des États non membres qui ont participé à son élaboration130. Les dispositions relatives à l'entrée en vigueur reprennent le libellé habituel des Conventions du Conseil de l'Europe. La Convention est entrée en vigueur le 1er juin 2001 après la ratification par le sixième État131. Elle entrera en vigueur en Suisse au début du mois qui suivra l'expiration d'une période de trois mois après la date de dépôt de l'instrument de ratification.

Art. 24

Adhésion à la Convention

Le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe peut, après avoir obtenu l'assentiment unanime des Parties, inviter d'autres États non membres à adhérer à la Convention. Cette possibilité n'a pas encore été exploitée; pour l'instant, toutes les Parties à la Convention sont membres du Conseil de l'Europe.

128

En ce qui concerne le Deuxième Protocole, notamment l'Allemagne, la Belgique, le Royaume-Uni, la Norvège ou l'Ukraine ont émis une telle déclaration.

129 Une éventuelle déclaration émise par un État se rapporte au fait qu'il ne se soumettra pas aux conditions émises par les autres États (et non pas au fait que les informations transmises par ses autorités seront soumises à une ou plusieurs conditions, comme pour la Suisse en application de la règle de la spécialité).

130 Les États non membres du Conseil de l'Europe sont le Saint-Siège, le Canada, le Japon, les États-Unis d'Amérique et le Mexique; voir le ch. 249 du RE.

131 Voir le ch. 1.1.

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Autres dispositions (art. 25 à 32 et annexe) Les clauses finales suivent le libellé habituel des Conventions du Conseil de l'Europe. Elles concernent l'application territoriale, les effets de la Convention, les amendements à la Convention132, la révision de l'annexe133, le règlement des différends134, la consultation des Parties, la dénonciation et la notification.

Le comité d'experts du Conseil de l'Europe compétent, sous présidence suisse, a adopté en 2010 le mécanisme d'examen de la Convention. Ce mécanisme ne représente pas un surcroît de travail notable puisqu'il ne prévoit que deux réunions par an135 et qu'il se base sur des contributions écrites et thématiques des États.

2.2

Les dispositions du Protocole additionnel

Art. 1

But

Cette disposition se fonde principalement sur la Convention et n'appelle pas de commentaires particuliers en ce qui concerne la mise en oeuvre dans le droit interne.

Art. 2

Participer à une association ou à un groupe à des fins de terrorisme

Cette disposition impose aux Parties d'ériger en infraction pénale le fait de participer aux activités d'une association ou d'un groupe afin de contribuer à la commission d'une infraction terroriste par l'association ou le groupe. L'infraction concernée étant déjà commise en amont de l'infraction principale, les rédacteurs ont renoncé à incriminer la tentative, la complicité et l'instigation136, un choix qui permet également de garantir une précision suffisante de la norme et la possibilité de prouver le comportement visé.

Durant les délibérations, les Parties ont examiné la possibilité d'étendre l'infraction définie à l'art. 6 de la Convention137 au recrutement passif. Il est rapidement apparu que, pour la majorité des États, «se faire recruter pour le terrorisme» est un processus intérieur qui n'est pas assez précis pour pouvoir être incriminé. Les rédacteurs ont donc décidé de se baser sur un comportement concret et de punir la participation à une association ou à un groupe, puisque cet acte satisfait au critère de précision et peut être observé par une personne extérieure.

132 133

134 135 136 137

Aucun amendement n'a encore été proposé, et aucun travail préparatoire dans ce sens n'est en cours pour le moment.

En vertu de l'art. 28, la liste des traités en annexe de la Convention peut être modifiée ou complétée sur décision majoritaire (une Partie peut formuler une objection).

Voir les explications relatives à l'art. 1 de la Convention.

À ce jour, aucun mécanisme de règlement des différends n'a été déclenché.

Les réunions se tiennent toujours juste avant celles du CODEXTER (aujourd'hui CDCT).

Voir l'art. 9 du Protocole.

Recrutement pour le terrorisme, voir ci-dessus.

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Les conduites visées dans cet article sont vraisemblablement déjà punissables dans la majorité des États membres du Conseil de l'Europe. En Suisse, l'art. 260ter CP pénalise le soutien et la participation à une organisation criminelle. Selon la doctrine et une jurisprudence constante, cette infraction comprend le soutien et la participation à une organisation terroriste138. Indépendamment de l'infraction proprement dite, le droit suisse punit également les actes visant à préparer une infraction terroriste139, la tentative de la commettre140 ou la participation à sa commission141. En ce qui concerne les groupes Al-Qaïda, État islamique et les organisations apparentées, l'art. 2 de la loi Al-Qaïda142 s'applique.

Le droit suisse en vigueur ne doit pas être modifié pour mettre en oeuvre l'art. 2 du Protocole additionnel.

Art. 3

Recevoir un entraînement pour le terrorisme

Les Parties sont tenues d'ériger en infraction pénale le fait de recevoir des instructions pour la fabrication ou l'utilisation d'explosifs, d'armes ou de substances dangereuses, ou pour d'autres méthodes ou techniques spécifiques, afin de commettre une infraction terroriste ou de contribuer à sa commission.

L'infraction passive visée par cette disposition fait pendant à l'entraînement pour le terrorisme défini à l'art. 7 de la Convention143. Comme pour l'art. 2 du Protocole additionnel, les rédacteurs ont renoncé à incriminer la participation à cette infraction.

L'art. 260ter CP ou l'art. 2 de la loi Al-Qaïda peuvent s'appliquer à cette infraction à condition qu'un lien avec une organisation terroriste soit établi. Si les instructions concernent un acte de violence suffisamment précis, les tribunaux contrôlent s'il y a eu commission d'un acte préparatoire délictueux144, instigation ou toute autre forme de participation145. Toutefois, selon le droit suisse, le fait de recevoir un entraînement n'est pas un acte punissable s'il est effectué indépendamment d'un groupe, d'une organisation ou d'une infraction terroriste prévue146.

Comme pour la mise en oeuvre de l'art. 7 de la Convention, le Conseil fédéral propose de créer une norme pénale qui érige explicitement en infraction pénale le fait de recevoir un entraînement pour le terrorisme147. L'infraction est constituée lorsque le comportement de la personne concernée peut être observé par une personne extérieure. Le nouvel article qu'il est prévu d'introduire dans la législation suisse répond aux exigences de la Convention et réunira les règles relatives au fait de dispenser et de recevoir un entraînement dans une même norme pénale148.

138 139 140 141 142 143 144 145 146 147 148

Voir les explications relatives à l'art. 6 de la Convention.

Art. 260bis CP Art. 22 CP Art. 24 ou 25 CP Voir les explications relatives à l'art. 6 de la Convention.

Voir les explications relatives à l'art. 7 de la Convention.

Art. 260bis CP Art. 24 ss CP Voir aussi les explications relatives à l'art. 7 de la Convention.

Voir les explications au ch. 2 et l'art. 260sexies P-CP proposé au ch. 4.2.

Voir le ch. 4.2 relatif à l'art. 260sexies P-CP.

6500

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Art. 4

Se rendre à l'étranger à des fins de terrorisme

L'art. 4 constitue la pièce maîtresse du Protocole additionnel. Il se base dans une large mesure sur les exigences du par. 6 de la résolution 2178149 et oblige les États à ériger en infraction pénale le fait de se rendre à l'étranger à des fins de terrorisme 150.

En raison de l'aspect restrictif du concept de «combattants terroristes étrangers», le Protocole additionnel et la résolution ne s'appliquent pas aux personnes qui se déplacent au sein d'un même État ou qui se rendent dans leur État de résidence ou de nationalité, c'est-à-dire dans un État où elles ne sont pas «étrangères» au sens de la résolution. Les Parties sont cependant libres de renoncer à ce critère restrictif tant qu'elles respectent la souveraineté des autres pays151.

Les États peuvent établir d'autres conditions exigées par leurs principes constitutionnels afin de limiter la punissabilité. Le Protocole additionnel incrimine aussi la tentative de se rendre à l'étranger à des fins de terrorisme152.

L'art. 4 suppose de punir des actes commis bien en amont de l'infraction principale, ce qui peut entrer en contradiction avec les principes de liberté personnelle, de liberté de circulation et de liberté de voyager établis au niveau national et international.

En conséquence, le Protocole additionnel laisse la possibilité aux États de restreindre et de préciser l'application de cette disposition.

En Suisse, de nombreuses procédures pénales en rapport avec le djihadisme radical sont en cours. Elles sont notamment menées à l'encontre de «voyageurs du djihad» pour infraction à l'art. 2 de la loi Al-Qaïda, pour avoir soutenu une organisation criminelle ou pour avoir participé à celle-ci153. Les autorités compétentes ont procédé à des arrestations de voyageurs du djihad en Suisse comme à l'étranger. Le 22 février 2017, le Tribunal fédéral a prononcé la condamnation exécutoire de l'homme arrêté à l'aéroport de Zurich alors qu'il s'apprêtait à prendre un vol pour la Turquie154. Pour la première fois en décembre 2014, le Ministère public de la Confédération (MPC) a condamné par ordonnance pénale un voyageur du djihad revenu en Suisse155.

Au vu de la base légale en vigueur et des efforts des autorités de poursuite pénale compétentes visant à faire preuve de fermeté envers les voyageurs du djihad et à poursuivre leurs actes, la Suisse remplit
majoritairement les exigences de l'art. 4 du Protocole additionnel à ce jour. Ce point de vue trouve sa justification en particulier dans le préambule de la résolution 2178 du CSNU qui souligne l'importance des libertés fondamentales, et par le Protocole additionnel qui met en exergue les principes de proportionnalité et de précision des normes pénales ainsi que la liberté de 149 150

151 152 153 154 155

Voir le ch. 1.3 relatif à l'élaboration du Protocole.

Fait de se rendre dans un État afin de commettre, de contribuer ou de participer à une infraction terroriste, ou afin de dispenser ou de recevoir un entraînement pour le terrorisme.

Voir également l'art. 94 du code pénal militaire du 13 juin 1927 sur le service militaire étranger.

Art. 4, par. 3, du Protocole.

Art. 260ter CP Arrêt du Tribunal fédéral du 22 février 2017 (6B_948/2016).

La personne concernée n'a été condamnée qu'à 600 heures de travail d'intérêt général avec sursis en raison de sa situation personnelle et du degré d'illicéité faible de l'infraction commise. L'autorité a également prononcé une mesure thérapeutique ambulatoire.

6501

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circulation et la liberté de voyager entérinées par le droit international et le droit interne. L'acte de se rendre à l'étranger ne doit être déclaré comme infraction pénale que dans certaines conditions très particulières156 et lorsque la personne concernée a l'intention de commettre une infraction terroriste.

Pour déterminer si une norme pénale spécifique qui érige en infraction pénale le fait de se rendre à l'étranger à des fins de terrorisme doit être introduite, il convient de relever que la loi Al-Qaïda, limitée dans le temps, sera remplacée par une version révisée de l'art. 74 LRens157. L'introduction d'une norme pénale spécifique présente surtout l'avantage qu'il n'est pas nécessaire qu'elle mentionne des organisations répertoriées au niveau national ou international; elle aurait une portée générale, ce qui améliore la sécurité du droit et la prévisibilité du droit pénal.

Quatre158 des cinq pays étudiés punissent le fait de se rendre à l'étranger à des fins de terrorisme. Seul le Danemark ne dispose pas d'une telle interdiction générale, mais les citoyens danois et personnes domiciliées au Danemark ont interdiction d'entrer ou de séjourner sans autorisation dans certaines zones dans lesquelles des groupes terroristes sont impliqués dans un conflit159. L'Allemagne et l'Italie ont explicitement inscrit l'interdiction de voyages à visées terroristes dans leurs codes pénaux respectifs. Si l'Autriche ne dispose pas d'une disposition légale explicite contre les voyages à des fins de terrorisme, la jurisprudence considère que ces voyages sont une forme de participation à une association terroriste et sont punissables à ce titre.

Au vu du nombre encore élevé de cas, de la comparaison avec le droit interne d'autres pays et en particulier des exigences des organisations internationales envers leurs États membres, le Conseil fédéral propose d'introduire une norme pénale spécifique qui érige en infraction pénale le fait de se rendre à l'étranger à des fins de terrorisme. Rien ne s'oppose à ce que cette norme soit combinée à celle qui érige en infraction pénale l'entraînement et le recrutement pour le terrorisme, au contraire: sur le plan de la systématique et sur le plan du contenu, les associer donnerait une meilleure vue d'ensemble et améliorerait la lisibilité de la législation.

Art. 5

Financer des voyages à l'étranger à des fins de terrorisme

L'art. 5 du Protocole additionnel vise également à mettre en oeuvre l'obligation contenue dans le par. 6 de la résolution 2178 et impose aux États d'ériger en infraction pénale le financement, par la fourniture ou la collecte de fonds, de voyages à l'étranger au sens de l'art. 4. L'auteur doit savoir que les fonds servent à financer des voyages à l'étranger pour que les conditions de l'infraction soient réunies 160.

D'après le rapport explicatif du Protocole additionnel, les États n'ont pas l'obligation de prévoir une norme pénale distincte pour punir le financement de voyages à des fins de terrorisme. Ils peuvent incriminer cette infraction comme un acte prépa156 157 158 159 160

Ch. 47 du rapport explicatif du Protocole (ci-après RE PA), accessible à l'adresse: www.coe.int/fr > Explorer > Bureau des Traités > Liste complète > STCE no 217.

Voir le ch. 4.3.

L'Allemagne, la France, l'Italie et l'Autriche.

Art. 114j du code pénal danois.

Et pas seulement s'accommoder de cette éventualité.

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ratoire ou comme une complicité à l'infraction principale161. Ils sont cependant libres d'adopter des normes séparées s'ils considèrent que ce mécanisme est approprié.

De manière analogue au fait de se rendre à l'étranger à des fins de terrorisme, les droits allemand et italien punissent explicitement le financement de tels voyages.

L'Autriche, le Danemark et la France incriminent quant à elles le financement du terrorisme sans prévoir une disposition autonome pour le financement des voyages à des fins de terrorisme. Au Danemark, le financement des voyages est compris dans la disposition sur le financement du terrorisme 162. En Autriche et en France, le financement d'un voyage à des fins de terrorisme n'est punissable que si le voyage en lui-même est considéré comme une activité terroriste dans la législation de ces pays.

Comme pour la mise en oeuvre de l'infraction principale définie à l'art. 4 du Protocole additionnel, le Conseil fédéral propose d'introduire une disposition distincte qui régirait le financement des voyages à l'étranger à des fins de terrorisme. Elle pourrait également s'intégrer dans la nouvelle disposition qui érigera en infraction l'entraînement, le recrutement et le voyage à des fins de terrorisme 163. L'adoption d'une telle disposition pénale permettrait également de supprimer une défaillance identifiée par le GAFI dans le cadre de l'examen de la Suisse en 2016. Dans son rapport, le GAFI a en effet relevé que: «le financement [de voyages à des fins terroristes] ne serait pas incriminé dans l'hypothèse (...) où le voyage serait sans lien avec une organisation, ni avec un acte terroriste quelconque»164. Cette préoccupation faisait écho à l'apparition de «loups solitaires», à savoir de personnes qui déploient des activités terroristes sans être membres d'une organisation terroriste ou sans avoir au préalable contacté un membre d'une telle organisation.

Art. 6

Organiser ou faciliter par quelque autre manière des voyages à l'étranger à des fins de terrorisme

L'art. 6 du Protocole additionnel se fonde lui aussi sur la résolution 2178 du Conseil de sécurité165 pour imposer aux États d'ériger en infraction pénale tout acte consistant à organiser ou faciliter d'une autre manière des voyages à l'étranger à des fins de terrorisme. Comme pour l'article précédent, le rapport explicatif établit que les États peuvent punir cette infraction comme un acte préparatoire ou comme une complicité à l'infraction principale, sans créer de norme pénale spécifique.

161 162

Ch. 58 RE PA Art. 114b, ch. 3, du code pénal danois; voir le critère 5.2 bis du rapport 2017 d'évaluation du Danemark publié par le Groupe d'action financière (GAFI), Anti-money laundering and counter-terrorist financing measures, Mutual Evaluation Report, Danemark, août 2017, p. 150, accessible à l'adresse: www.fatf-gafi.org > Publications > Mutual Evaluations > Country > Denmark.

163 Voir les explications relatives à l'art. 260sexies, al. 2, P-CP au ch. 4.2.

164 GAFI, Mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, Rapport d'évaluation mutuelle de la Suisse, Décembre 2016, Annexe 2, Critère 5.2bis, p. 180, accessible à l'adresse: www.fatf-gafi.org > Publications > Evaluations mutuelles > Pays > Suisse.

165 Voir aussi les explications relatives à l'art. 5 du Protocole.

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Comme pour le financement des voyages à l'étranger à des fins de terrorisme et en conformité avec les exigences de la résolution 2178, le Conseil fédéral propose d'inclure explicitement l'incrimination de l'organisation de ces voyages et du recrutement à cette fin dans la disposition relative aux voyages à l'étranger à des fins terroristes166. Si les conditions additionnelles sont remplies, les actes de facilitation pourront également être couverts par la disposition sanctionnant les organisations criminelles ou terroristes167 ou être considérés comme infraction à la loi Al-Qaïda.

Comme pour le financement de voyages à l'étranger à des fins de terrorisme, les cas où aucun lien avec une organisation terroriste ne peut être établi ne seront pas couverts.

Art. 7

Echange d'informations

Selon l'art. 7 du Protocole additionnel, les États sont tenus de prendre les mesures nécessaires, conformément à leur droit interne, pour renforcer l'échange rapide entre les États concernés de toute information pertinente relative aux personnes se rendant à l'étranger à des fins de terrorisme. À cet effet, les États désignent des points de contact disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Le but de cette disposition, tel que précisé par le rapport explicatif et exprimé de manière univoque par les États au cours des délibérations, n'est pas d'échanger des informations dans le cadre de l'entraide judiciaire168, mais de communiquer le plus rapidement possible des informations pertinentes pour la police.

Il existe déjà un tel point de contact en matière d'échanges policiers internationaux en Suisse. Il s'agit de la Centrale d'engagement de fedpol (CE fedpol), joignable 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour les organisations partenaires en Suisse et à l'étranger. La CE fedpol garantit en outre le contact immédiat avec les autorités suisses compétentes en cas de nécessité. Les tâches prévues dans cet article seront prises en charge par la CE fedpol. Il n'est pas nécessaire de créer un point de contact distinct.

Art. 8

Conditions et sauvegardes

Cet article impose aux États de garantir le respect des droits de l'homme et établit les principes de proportionnalité et de nécessité lors de la mise en oeuvre du Protocole additionnel. Bien que la disposition correspondante de la Convention169 s'applique de manière automatique au Protocole additionnel, les Parties ont décidé au cours des délibérations de rappeler explicitement la place centrale que ces principes occupent dans le Protocole additionnel.

166 167 168

Voir le ch. 4.2.

Art. 260ter P-CP Il existe une différence conceptuelle avec les points de contact disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 au sens de la Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité, art. 35, RS 0.311.43, à laquelle la Suisse est Partie, qui porte dans une large mesure aussi sur l'échange d'informations dans le cadre de l'entraide judicaire.

169 Art. 12 de la Convention en relation avec l'art. 9, 2ème phrase, du Protocole.

6504

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Art. 9 à 14

Relation entre le Protocole et la Convention, signature et entrée en vigueur, adhésion au Protocole, application territoriale, dénonciation, notifications

Etant donné que les clauses finales reprennent le libellé de tous les instruments pénaux du Conseil de l'Europe, elles n'appellent pas de commentaires particuliers.

Comme pour la Convention, six États doivent ratifier le Protocole additionnel pour qu'il entre en vigueur170. Le Protocole additionnel peut être signé par les États membres du Conseil de l'Europe, par l'Union Européenne et par les États non membres qui ont participé à son élaboration171. Un État ne peut ratifier le Protocole additionnel sans avoir auparavant ou simultanément ratifié la Convention.

Les dispositions relatives à l'entrée en vigueur correspondent au libellé habituel des Conventions du Conseil de l'Europe172. Le Protocole additionnel est entré en vigueur le 1er juillet 2017173. En Suisse, il entrera en vigueur au début du mois suivant l'expiration du délai de trois mois après le dépôt de l'instrument de ratification.

Le Conseil fédéral se base sur l'art. 7 du Protocole additionnel pour informer le Conseil de l'Europe que le point de contact compétent est l'Office fédéral de la police (fedpol).

3

La procédure de consultation

La procédure de consultation relative à l'avant-projet d'arrêté fédéral portant approbation et mise en oeuvre de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme et de son Protocole additionnel et concernant le renforcement des normes pénales contre le terrorisme et le crime organisé s'est tenue du 21 juin au 20 octobre 2017. Les cantons, les partis politiques représentés à l'Assemblée fédérale, les associations faîtières des communes, des villes, des régions de montagne et de l'économie, le Tribunal pénal fédéral et d'autres organisations intéressées ont été invités à y participer174.

25 cantons, six partis politiques, le Tribunal pénal fédéral175 et 28 organisations et autres personnes intéressées ont pris position, ce qui fait 60 avis en tout176.

La grande majorité des participants à la consultation ont approuvé l'avant-projet. Ils sont nombreux à reconnaître son importance et sa nécessité dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Il importe à de nombreux participants que le surplus de sécurité visé et le durcissement des bases légales préventives et répressives n'aillent pas de pair avec une restriction disproportionnée des droits fondamentaux.

170 171 172 173 174 175

Art. 10, par. 1 et 2 Sous réserve d'avoir signé la Convention.

Voir aussi les explications relatives à l'art. 23 de la Convention.

Voir aussi le ch. 1.3.

Le cercle des participants à la consultation était toutefois plus vaste.

Le Tribunal pénal fédéral a fourni un avis le 2 mars 2018 dans le cadre d'une consultation ultérieure.

176 Voir la synthèse des résultats de la consultation (avril 2018), accessible à l'adresse: www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2017 > DFJP.

6505

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Ils soulignent que le droit pénal n'est qu'un moyen parmi d'autres de lutter contre le terrorisme et le crime organisé, au même titre que la prévention et la coordination.

Les critiques exprimées et les points discutés se limitent en règle générale à des éléments clairement déterminés. Ces éléments ont été examinés et en partie pris en compte lors de l'élaboration du projet de loi et du message. On se reportera au commentaire des dispositions pour plus de détails.

4

Les nouvelles dispositions en droit suisse

4.1

L'art. 260ter P-CP: organisations criminelles et terroristes

4.1.1

Contexte

Le 10 décembre 2010, dans son rapport sur d'éventuelles modifications ou extensions des normes pénales contre le crime organisé177, le Conseil fédéral a confirmé l'adéquation de l'art. 260ter CP à la lutte contre le crime organisé. Il a situé les difficultés non pas dans le fait que les normes pénales existantes ne suffiraient pas à appréhender ces formes de criminalité, mais plutôt dans les obstacles qui s'opposent, à l'échelon local ou cantonal, à leur poursuite ou rendent celle-ci compliquée et empêchent notamment qu'elle porte sur l'ensemble des faits et qu'elle produise ses effets à long terme. Il a rappelé combien le travail accompli et l'expérience des cantons en matière de poursuite pénale étaient indispensables à la poursuite des réflexions.

Les années qui ont suivi ont été consacrées à l'optimisation de la collaboration interne en matière de poursuite des formes de criminalité complexes, dont le crime organisé. La Convention entre le DFJP et la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP) concernant la coopération policière entre la Police judiciaire fédérale (PJF) et les corps de police cantonaux et municipaux178, conclue les 14 et 15 novembre 2013, règle la collaboration entre la PJF et les cantons en particulier pour les tâches de police judiciaire. Elle énonce les mesures propres à renforcer l'efficacité de la coopération policière entre la Confédération et les cantons dans la poursuite de toutes les formes de criminalité complexe.

Elle se fonde notamment sur le partage des compétences entre autorités de poursuite pénale et tribunaux établi par le CPP. Elle comporte une liste de prestations de soutien (par ex. aide aux investigations) que la PJF peut fournir aux corps de police cantonaux.

C'est également dans un objectif d'efficacité que la Conférence des autorités de poursuite pénale de Suisse (CAPS)179 a adopté le 21 novembre 2013 la Recommandation relative à la coopération en matière de lutte contre la criminalité com-

177

Accessible à l'adresse: www.ofj.admin.ch > Actualité > News > 10.12.2010 > La norme pénale contre les organisations criminelles est efficace.

178 Accessible à l'adresse: www.kkjpd.ch > Nouvelles > 2014.

179 Aujourd'hui la Conférence des procureurs de Suisse (CPS).

6506

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plexe180. Elle complète la Convention conclue entre la CCDJP et le DFJP en intégrant la perspective des autorités de poursuite pénale et des ministères publics. Elle vise l'optimisation de la collaboration entre les ministères publics cantonaux et le MPC sur les formes complexes de la criminalité, notamment la traite des êtres humains, sans exclure pour autant une collaboration dans d'autres domaines du crime organisé.

Le 10 février 2015, la Commission des affaires juridiques du Conseil des États a déposé une motion dans laquelle elle chargeait le Conseil fédéral de proposer une modification de l'art. 260ter CP181. Cette motion faisait suite à l'important écho médiatique des enquêtes pénales sur des soupçons de participation et de soutien à des organisations criminelles182 et demandait la prise en compte des difficultés énoncées au cours des années écoulées par les autorités chargées de la lutte contre le crime organisé. Elle exigeait qu'on examine l'opportunité d'adapter la définition de l'organisation criminelle, les éléments constitutifs de l'infraction et la quotité de la peine. Le Parlement a adopté la motion.

Lors de sa séance du 3 septembre 2015, la Commission des affaires juridiques pénales de la CCDJP, a décidé d'instituer un groupe de travail placé sous la direction du procureur général de la Confédération qui serait chargé d'élaborer une proposition quant au contenu du futur art. 260ter CP. Fort de son expérience pratique, ce groupe de travail a suggéré des adaptations matérielles de la norme pénale. Ses travaux se sont déroulés indépendamment de ceux du Parlement et de l'administration. Le président de la CCDJP a transmis la proposition du groupe de travail à la cheffe du DFJP (département compétent) le 8 septembre 2016, en la priant de tenir compte de ces adaptations.

Le groupe de travail souhaite, en particulier, que l'appartenance à une organisation criminelle, sans contribution tangible à ses activités, suffise à fonder la punissabilité.

Il propose aussi une infraction qualifiée pour punir plus durement les figures centrales du crime organisé. La peine maximale encourue passerait de cinq à dix ans pour l'infraction de base et même à 20 ans pour l'infraction qualifiée. Il y aurait également une peine minimale de six mois pour l'infraction de base et de trois ans pour l'infraction
qualifiée. Le groupe de travail a élaboré une définition légale des éléments composant une organisation criminelle et une réglementation explicite du concours d'infractions, qui implique que le juge ne prononce plus de condamnation fondée sur l'art. 260ter CP à titre subsidiaire, mais que l'auteur écope toujours d'une peine supplémentaire s'il commet une infraction pour une organisation criminelle.

La Commission des affaires juridiques pénales a également proposé une nouvelle infraction de participation et de soutien à une organisation terroriste, structurée de la même manière que pour les organisations criminelles. Elle suggère d'énumérer quel-

180

Accessible à l'adresse: www.ssk-cps.ch > Recommandations > Recommandation relative à la coopération en matière de lutte contre la criminalité complexe.

181 Motion 15.3008 182 Voir par ex. le communiqué du 18 mars 2016 de l'OFJ annonçant la mise en détention en vue de leur extradition de quinze membres présumés d'une organisation mafieuse, accessible à l'adresse: www.ofj.admin.ch > Actualité > News > 8.3.2016 > 15 membres présumés de la 'Ndrangheta en détention en vue de leur extradition.

6507

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ques organisations terroristes183 à la suite de la définition légale. La peine minimale proposée est d'un an.

4.1.2

Commentaire du nouvel article

4.1.2.1

Généralités

La norme pénale contre le crime organisé a fait la preuve de son efficacité. Le Conseil fédéral n'en a pas moins entendu les besoins et les propositions des autorités de poursuite pénale, notamment du MPC, d'où les adaptations proposées dans le projet.

Il importe de noter que l'art. 260ter CP suppose une punissabilité en amont. Le simple fait de participer à une organisation ou de la soutenir, sans lien aucun avec une infraction commise en son sein, justifie une sanction. Un comportement qui, pris isolément, serait légal devient répréhensible. L'extension de la norme pénale demande qu'on prête une attention particulière aux principes de proportionnalité et de précision de la base légale, dans l'intérêt de la sécurité du droit. Il faut éviter toute atteinte aux droits fondamentaux qui serait disproportionnée et dont les contours ne seraient pas suffisamment nets.

La nouvelle norme est conçue de la même manière que celle en vigueur. Sur le plan de la systématique, elle continuera de figurer parmi les crimes ou délits contre la paix publique184.

Dans le droit en vigueur, l'organisation criminelle est définie par son caractère secret et par son but criminel. La doctrine, la jurisprudence et le message introduisant la punissabilité de l'organisation criminelle en droit suisse185 ont développé d'autres critères qui ne doivent pas forcément tous être réunis, mais qui doivent atteindre un degré qualitatif et quantitatif tel qu'il prouve la dangerosité extraordinaire de l'organisation et qu'il peut être la cause des difficultés rencontrées dans la poursuite pénale.

4.1.2.2

Caractère secret et soutien de l'organisation dans son activité criminelle

Le critère du secret ne signifie pas forcément que l'organisation cache son existence entière. Il peut se référer au maintien du secret à l'interne186 sur sa structure et ses effectifs. On considère que la dissimulation doit être systématique. Ce critère se fonde sur l'idée que le maintien du secret renforce le pouvoir exercé à l'intérieur et à l'extérieur de l'organisation et sa dangerosité. La dissimulation complique aussi considérablement le travail des enquêteurs et des autorités de poursuite pénale. On

183 184 185 186

Al-Qaïda, État islamique et les organisations apparentées.

Art. 258 ss CP Voir Engler, in Basler Kommentar, 2013, no 5 ss ad art. 260ter et FF 1993 III 269, 287 ss.

Pas seulement de la discrétion vis-à-vis des personnes extérieures ou des représentants des autorités de poursuite pénale.

6508

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ne saurait occulter que la doctrine et la jurisprudence ont critiqué l'inapplicabilité de cette exigence légale187.

Le Conseil fédéral propose de renoncer à ce critère jusque-là impératif, puisque statué dans le droit en vigueur. Cela ne signifie pas pour autant que cet élément deviendra insignifiant lorsqu'il s'agira de déterminer si l'on est ou non en présence d'une organisation criminelle. Il continuera d'être employé dans l'évaluation du potentiel criminel de l'organisation, tout comme d'autres caractéristiques telles que la hiérarchie, le partage des tâches, la durée d'existence, le professionnalisme et la capacité à imposer le pouvoir à l'interne, signes de sa dangerosité (ces caractéristiques ne doivent pas toutes être réunies; l'existence de critères isolés peut suffire pour conclure qu'il s'agit d'une organisation criminelle).

La suppression du critère du secret à l'al. 1 a recueilli l'adhésion de la majorité des participants à la consultation qui se sont exprimés à son sujet 188. Cette adaptation facilitera le travail des autorités de poursuite pénale sur un point essentiel et donnera plus de poids à cette disposition dans le domaine de l'entraide judiciaire internationale en matière pénale, sans pour autant étendre de manière disproportionnée le champ d'application de la norme ni réduire sa précision. L'art. 260ter P-CP continuera de s'appliquer à des groupes de personnes dont émane une dangerosité extraordinaire et qu'il est difficile, du fait de leur structure, de leur importance ou de leur pouvoir, d'atteindre avec les moyens usuels du droit pénal, qui s'attachent à la commission d'actes isolés.

Une personne qui ne participe pas à une organisation criminelle peut être punissable si elle soutient l'organisation depuis l'extérieur. Le soutien englobe toute contribution notable au renforcement de l'organisation, sans qu'il faille là non plus prouver une quelconque contribution à une infraction concrète. Il peut aussi consister en une activité qui, prise isolément, est légale189.

Par contre, selon la teneur de l'article en vigueur, il faut que l'organisation ait été soutenue dans son activité criminelle pour fonder la punissabilité. D'après la jurisprudence du Tribunal fédéral, le soutien suppose une contribution consciente à l'activité criminelle même de l'organisation, par la
livraison d'armes, l'administration de biens patrimoniaux ou une aide logistique. D'un point de vue subjectif, il faut que la personne sache que sa contribution pourrait servir la poursuite du but criminel de l'organisation, ou qu'elle prévoie cette éventualité et l'accepte si elle se réalise190.

En revanche, il n'est pas nécessaire de démontrer un lien de causalité entre l'acte de soutien et un acte criminel. Il y a toutefois un risque que le texte en vigueur soit mal interprété, comme l'a montré l'examen du GAFI. Le Tribunal fédéral est récemment arrivé à la conclusion que la mise à disposition de sites Internet pour favoriser la propagande d'une organisation terroriste191 ou la gestion de forums sur Internet en relation avec des réseaux djihadistes étaient des actes de soutien au sens de l'art. 260ter CP. De cette interprétation de la notion de soutien, on peut déduire que 187 188 189

Voir Engler, Basler Kommentar, 2013, no 8 ad art. 260ter et les références citées.

Voir le ch. 4.1.2 de la synthèse des résultats de la consultation (avril 2018).

Location de locaux, mise à disposition de substances légales aux fins de transformation, etc.

190 ATF 133 IV 58, consid. 5.3.1; ATF 132 IV 132, consid. 4.1.4; ATF 128 II 355.

191 Arrêt du Tribunal fédéral du 2 mai 2008 (6B_645/2007), consid. 7.3.3.2.

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tout acte susceptible de renforcer la capacité de nuisance de l'organisation suffit déjà pour entraîner l'application de l'art. 260ter CP. Ce nonobstant, le GAFI est arrivé à la conclusion que le droit suisse présentait une lacune mineure du fait de l'exigence d'un lien (au moins indirect) entre le financement et l'acte criminel ou terroriste ou l'activité de l'organisation192.

Compte tenu du fait que les praticiens, lorsqu'ils interprètent la notion de soutien, n'exigent pas de lien direct avec le but criminel de l'organisation, le Conseil fédéral propose de supprimer la condition liée à l'«activité «criminelle» de l'organisation.

Cette modification permettra aux autorités de poursuite pénale de se limiter à déterminer si l'acte de soutien est propre à renforcer l'organisation en tant que telle et à accroître la menace qui en émane. Un nombre important de participants se sont exprimés en faveur de la suppression de cette caractéristique193. D'autres ont dit craindre une extension démesurée de la punissabilité. Il faut rappeler que la modification proposée, loin de représenter une extension notoire, est essentiellement une codification de la pratique. Pour tracer la limite entre un comportement non punissable et un comportement qui réunit les éléments constitutifs du soutien à une organisation criminelle, on pourra, comme on le fait actuellement, en fonction de la volonté de la personne et de son degré de savoir, se reporter à l'importance qualitative et quantitative du soutien qu'elle fournit et à la nature de son action concrète.

L'acte de soutien devra, comme actuellement, être propre à accroître la menace émanant de l'organisation. Tel ne saurait être le cas du soutien apporté à des individus pour des motifs humanitaires. Pas plus qu'aujourd'hui une personne qui soutient une organisation sans savoir qu'elle a des desseins criminels ou qui agit en faveur d'un membre d'une organisation sans que l'action en question ait un lien avec l'activité de l'organisation ne sera punissable194.

4.1.2.3

Organisation criminelle: peine encourue

Dans le droit en vigueur, la participation ou le soutien à une organisation criminelle sont passibles d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire. Ces infractions sont par conséquent qualifiées de crimes au sens du CP195. Cette peine maximale semble appropriée et justifiée si on la compare à celle fixée pour d'autres infractions du CP et du droit pénal accessoire et à celle prévue dans diverses législations étrangères. Elle tient compte du fait que ces infractions sont commises en amont et indépendamment d'un acte criminel concret. Aucun lien avec un acte commis par des membres de l'organisation n'est requis, et si une telle infraction est perpétrée, les membres sont poursuivis et punis en tant qu'auteurs ou complices. Une peine maximale dépassant les cinq ans serait disproportionnée par rapport au degré d'illicéité de ces infractions. Cette conclusion théo192

GAFI, Mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, Rapport d'évaluation mutuelle de la Suisse, décembre 2016, p. 255.

193 Voir les ch. 4.1.1 et 4.1.2 de la synthèse des résultats de la consultation (avril 2018).

194 Par ex. défendre au pénal une personne accusée d'être membre d'une organisation criminelle.

195 Art. 10 CP, la conséquence étant qu'il peut s'agir d'une infraction préalable au blanchiment d'argent (art. 305bis CP).

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rique reste valable nonobstant le fait que certains participants à la consultation ont exigé un geste fort contre le crime organisé sous la forme d'une peine maximale de dix ans196.

Il n'en est pas de même s'agissant d'organisations terroristes197. Le degré d'illicéité est beaucoup plus grand, les actes terroristes sont particulièrement ignobles, menaçants pour la vie et l'intégrité corporelle des individus et ressentis comme tels par la population et suscitent l'aversion de la société.

On peut considérer que la faute est plus lourde lorsqu'il s'agit de personnes exerçant une certaine influence au sein de l'organisation, c'est-à-dire de membres dirigeants.

Ces personnes ne font pas que soutenir l'organisation ou y participer. Quiconque exerce une influence déterminante au sein d'une organisation a également une responsabilité accrue puisqu'il a, de fait, le droit d'exprimer son avis sur l'ampleur des activités criminelles de l'organisation et sur ses tentatives d'étendre son influence et son pouvoir. Les personnes en question apportent une plus-value à l'organisation et accentuent la menace qui en émane. Une participation de cet ordre est d'autant plus grave. De plus, les membres dirigeants exercent en général un fort effet de corruption sur les autres personnes qui participent à l'organisation et sur l'entourage de celle-ci. Le Conseil fédéral propose donc d'inscrire à l'al. 3 une infraction qualifiée de participation à une organisation, fondée sur l'exercice d'une influence déterminante, avec une fourchette de peines s'échelonnant entre trois et 20 ans198199.

Le juge pourra dès lors prononcer des peines adaptées à la faute dans les cas graves de participation à une organisation criminelle. Il ne sera pas nécessaire de prouver que l'auteur a pris part à un crime concret. Il suffira que la personne concernée occupe une fonction dirigeante lui permettant de faire valoir son avis au sein de l'organisation pour qu'elle puisse être punie plus sévèrement. Il ne sera pas utile qu'elle exerce un contrôle absolu sur l'organisation ni qu'elle ait un pouvoir supérieur aux autres personnes dirigeantes.

La possibilité qu'a le juge d'atténuer la peine si l'auteur s'efforce d'empêcher la poursuite de l'activité de l'organisation demeurera 200.

4.1.2.4

Punissabilité de l'appartenance?

Lors des travaux préliminaires, certains ont exprimé la volonté de rendre punissables la participation formelle en qualité de membre, voire la simple appartenance à une organisation criminelle, sans qu'on puisse prouver la moindre activité de la personne 196 197

Voir le ch. 4.1.2 de la synthèse des résultats de la consultation (avril 2018).

Voir le ch. 4.1.2.6 concernant la peine encourue en cas de participation ou de soutien à une organisation terroriste.

198 Conformément à l'art. 40 CP. L'avant-projet prévoyait une peine minimale d'un an.

Le Conseil fédéral, au vu des résultats de la consultation et après comparaison avec d'autres infractions graves, a fait passer la peine minimale à trois ans dans le projet.

199 Art. 260ter, al. 3, P-CP, applicable aux organisations au sens des al. 1 et 2.

200 Al. 4 du projet. On renonce à la qualification de l'activité comme criminelle, comme à l'al. 1. Cette disposition s'appliquera aussi aux organisations terroristes au sens de l'al. 2.

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visée. Cette proposition, bien que compréhensible si l'on se place du côté des autorités de poursuite pénale et si l'on prend en compte l'immense complexité des procédures, élude au moins deux aspects.

Premièrement, il n'est pas sûr qu'une simple appartenance à une organisation, sans qu'un acte soit commis en rapport avec elle, ait une quelconque importance pratique.

La participation à une organisation criminelle au sens de la loi consiste à s'intégrer en son sein, puis à entrer en action201, ce qui n'implique pas forcément la commission d'actes illégaux. Des actes légaux tels que la mise à disposition de matériel, de locaux ou de services peuvent être considérés comme des activités servant l'organisation. Il n'est pas nécessaire, si l'on se réfère à l'intention du législateur et si l'on garde à l'esprit la menace extraordinaire qui émane de l'organisation, de fixer des exigences particulières s'agissant de l'importance de ces actes. Un membre même «passif» contribue au réseau de l'organisation et lui apporte ainsi une plus-value. Il est souvent impossible pour les membres de sortir de l'organisation et de communiquer librement avec l'extérieur. Pour qu'une personne soit punissable, il n'est pas nécessaire que sa participation à l'organisation soit essentielle, ni même qu'elle présente un lien avec un acte criminel concret. On peut prouver la participation à une organisation criminelle202, par exemple en la déduisant de la présence active et constante à des rencontres, de l'acceptation des rites, des structures et de la hiérarchie ou de l'obéissance exprimée et démontrée de manière répétée à l'égard de l'organisation et de ses représentants.

La jurisprudence ne fait nullement état d'une interprétation étroite des notions de participation et de soutien, bien au contraire. Le Tribunal fédéral a confirmé que la notion de participation à une organisation criminelle avait une acception large, qui ne nécessitait pas de fonction déterminante au sein de l'organisation et ne devait pas forcément revêtir de caractère formel203. Il a précisé que la participation à une organisation criminelle n'était pas circonscrite aux personnes qui faisaient partie de son noyau dur. Elle incluait quiconque appartenait au cercle étendu de l'organisation et se montrait prêt, sur le long terme, à se conformer aux ordres
qui lui seraient donnés.

La position formellement occupée au sein de l'organisation était sans pertinence à cet égard. Le 15 juillet 2016, le Tribunal pénal fédéral a rendu un arrêt, confirmé par le Tribunal fédéral le 22 février 2017, dans lequel il qualifiait le comportement d'une personne arrêtée à l'aéroport de Zurich, alors qu'elle s'apprêtait à prendre l'avion pour Istanbul afin de partir combattre comme djihadiste, de soutien, voire d'encouragement. Il a condamné cette personne à une peine privative de liberté avec sursis et a ordonné une assistance de probation pour infraction à la loi Al-Qaïda. Le Tribunal fédéral a aussi considéré que la mise à disposition de sites Internet pour une organisation criminelle (terroriste) réalisait l'élément constitutif de soutien à une organisation criminelle204.

Deuxièmement, le législateur n'a jamais eu la volonté, et pour cause, de qualifier la simple expression d'une sympathie ou le pur fait de partager en son for intérieur les 201 202 203

L'entrée en action est requise, notamment à des fins de preuve.

Par ex. une organisation mafieuse.

Arrêt du Tribunal fédéral du 7 mars 2017, 6B_1132/2016 (ATF 143 IV 45) consid 6.2.3 (ce considérant n'est pas publié au recueil officiel).

204 Arrêt du Tribunal fédéral du 5 mai 2008, 6B_645/2007.

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idées d'une organisation, au demeurant difficile à prouver, de participation au sens du droit pénal. Il faut faire fi de l'idée qu'une personne qui fait cause commune avec une organisation criminelle doive «payer» comme elle, tout comme on se garde de condamner une personne en raison de son appartenance à une famille dont certains membres sont liés au crime organisé. L'État et la société doivent combattre le soutien idéologique à une organisation criminelle ou la simple déclaration d'appartenance à une telle organisation, certes critiquables, par d'autres moyens que le droit pénal205. Celui-ci ne saurait réprimer des convictions, pas plus dans le domaine du crime organisé que dans d'autres domaines. La majorité des participants à la consultation qui se sont exprimés sur cette question sont de cet avis 206. Certains d'entre eux étayent cette opinion en se référant à l'interprétation large qu'il convient de donner aux notions de soutien et de participation à une organisation. Cette interprétation large doit être maintenue. Étendre la disposition pénale contre le crime organisé aux personnes qui déclarent appartenir à une organisation criminelle ou qui en sont de simples membres serait contraire aux principes de la précision de la base légale et de la proportionnalité. Une telle extension aurait d'ailleurs peu de conséquences en pratique. Il convient donc d'y renoncer.

4.1.2.5

Critères légaux supplémentaires?

On renoncera à introduire des critères légaux supplémentaires pour décrire l'organisation criminelle et notamment à fixer un nombre minimal de personnes concernées. Des éléments de ce type accentueraient certes les contours de la disposition pénale et préciseraient son interprétation et son application, mais il importe de relever que les praticiens ne les appellent pas de leurs voeux207. Ces critères pourraient même compliquer la tâche déjà ardue des autorités de poursuite pénale, puisqu'elles devraient réunir des preuves aussi pour ces aspects. Les exigences de ce type se révèlent contre-productives.

Dans le même ordre d'idées, il convient de renoncer à une définition légale exhaustive de l'organisation criminelle. L'approche utilisée jusque-là, avec un nombre limité de caractéristiques (qui ne doivent pas toutes être réunies; l'existence de critères isolés peut suffire pour conclure qu'il s'agit d'une organisation criminelle) 208, a permis de conserver la flexibilité nécessaire pour inclure de nouveaux types d'organisations. La sécurité juridique et la précision résultent de la jurisprudence relative aux dispositions pénales et de la pratique de l'entraide judiciaire, qui s'est étoffée dans l'intervalle. Les résultats de la procédure de consultation ne permettent 205

Le cas de figure n'est pas le même lorsqu'une personne prend part, une seule fois ou régulièrement, à des rencontres avec les dirigeants de l'organisation consacrées à la glorification de l'appartenance à l'organisation et à des échanges personnels et de fond.

206 Voir le ch. 4.1.2 de la synthèse des résultats de la consultation (avril 2018). Certains participants défendent l'idée selon laquelle la simple appartenance à une organisation, sans même prendre une initiative ou exercer une activité en son sein, devrait être punissable.

207 Les participants à la consultation n'ont pas non plus grandement évoqué l'introduction de critères légaux supplémentaires.

208 Voir le ch. 4.1.2.2.

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pas de parvenir à une autre conclusion209. La nécessité d'inscrire une définition de ce type dans la loi ne découle ni de la jurisprudence, ni de la doctrine, ni de la pratique.

4.1.2.6

Réglementation expresse pour les organisations terroristes

Le Conseil fédéral, renforcé dans cette idée par une approbation sans équivoque lors de la procédure de consultation, a par contre donné suite à la demande de la CCDJP de faire figurer expressément les organisations terroristes à l'art. 260ter P-CP. La jurisprudence constante210 a confirmé l'applicabilité de l'article sur les organisations criminelles aux organisations terroristes. Rien ne s'oppose dès lors au fait de consacrer cette interprétation jurisprudentielle et doctrinale dans la loi. Pour décrire le but terroriste de ces organisations, on peut se reporter à la formulation de l'article du CP sur le financement du terrorisme211. La définition du terrorisme qui y est donnée est conforme aux définitions internationales et donne un champ d'application suffisamment vaste à la disposition, dans le respect du principe de précision de la norme pénale. On pourra tenir compte dans l'application de la norme révisée des décisions de comités internationaux et des listes actualisées d'organisations terroristes. Il appartiendra au juge de prendre en compte d'autres considérations au moment de qualifier l'organisation considérée de terroriste ou non.

On renoncera à compléter cette définition générale et abstraite, fondée sur une formulation qui figure déjà dans la législation suisse et qui est conforme aux textes internationaux, par une liste d'organisations spécifiques telles qu'Al-Qaïda, l'État islamique ou d'autres organisations apparentées. Il ne fait nul doute que ces organisations terroristes qui menacent actuellement lourdement la sûreté intérieure et extérieure de la communauté internationale tombent sous le coup de l'art. 260ter, al. 2, P-CP212. Il est difficile de percevoir ce que le fait de les nommer pourrait apporter de plus, sinon que d'expliquer aux autorités chargées d'appliquer la loi ce qu'elles savent déjà. Il est par contre impossible pour elles de conclure d'une telle liste qu'une autre organisation, qui n'y est pas nommée, est une organisation terroriste. Elles risqueraient plutôt de considérer une telle organisation comme ne relevant pas du champ d'application de la disposition.

Le législateur serait de plus constamment confronté au problème de l'actualisation de cette liste d'exemples. Alors que l'art. 74 LRens213 permet au Conseil fédéral de désigner rapidement par voie de décision
les organisations qui menacent la sûreté intérieure ou extérieure, le CP, texte central de l'ordre juridique suisse, ne paraît pas être le contenant idéal pour ce genre de listes qu'il faut régulièrement mettre à jour en supprimant les organisations devenues obsolètes et, c'est là l'essentiel de la tâche, 209 210 211 212

Voir le ch. 4.1.2 de la synthèse des résultats de la consultation (avril 2018).

Voir le commentaire de l'art. 6 de la Convention.

Art. 260quinquies CP Tout comme, selon la jurisprudence constante, elles tombent, ainsi que d'autres organisations terroristes, sous le coup de l'art. 260ter CP en vigueur (voir le commentaire de l'art. 6 de la Convention).

213 Voir le ch. 4.3.

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en y intégrant les nouvelles organisations pour réagir aux menaces qui en émanent.

En droit pénal, le législateur a jusqu'ici toujours fait le choix de définir les faits, les groupes et leurs caractéristiques de façon générale et abstraite et de renoncer à citer spécifiquement certains faits ou organisations dans le CP. Il est judicieux de s'en tenir à cette pratique.

La peine privative de liberté prévue est calquée sur celle fixée à l'al. 1 dans le cas des organisations criminelles. La peine minimale sera là aussi une peine pécuniaire, du fait qu'un acte de soutien sans rapport avec un acte terroriste concret peut présenter un faible degré d'illicéité. La peine encourue pour l'infraction qualifiée pourra aller de trois à 20 ans (al. 3). Elle sera applicable aux personnes qui exercent une influence déterminante dans une organisation terroriste ou criminelle214. À la différence de l'al. 1, l'al. 2 prévoira une peine privative de liberté maximale de dix ans215 pour l'infraction de base. Cette peine plus élevée tient compte du fait que les nuisances et les conséquences directes des activités terroristes pour la population concernée, l'État et ses structures, quelle que soit la stabilité de ces dernières et quel que soit le taux de criminalité courant, peuvent être beaucoup plus graves. Le degré d'illicéité du but que se fixe une organisation terroriste est aussi plus grand. Les actes terroristes renferment une part d'ignominie. La population craint pour son existence et les actes terroristes suscitent l'aversion de la société.

4.1.2.7

Maintien des règles de compétence

Par rapport au droit en vigueur, la compétence du juge suisse pour connaître des infractions commises à l'étranger demeure inchangée 216. Est également punissable quiconque commet l'infraction à l'étranger si l'organisation criminelle ou terroriste exerce ou doit exercer son activité en tout ou en partie en Suisse217. Ces règles de compétence sont une extension de celles contenues dans la partie générale du CP 218; elles ne restreignent nullement l'application de ces dernières. Les Suisses qui soutiennent une telle organisation à l'étranger seront punissables au même titre que dans le droit en vigueur, et ce même si ladite organisation n'a pas l'intention de déployer ses activités en Suisse219.

214 215 216 217 218 219

Voir les explications données au ch. 4.1.2.3 concernant le durcissement de la peine maximale encourue et ses conséquences.

Contre cinq ans dans le cas des organisations criminelles.

Art. 260ter, al. 5, P-CP Contrairement au droit en vigueur, qui renvoie à l'art. 3 CP, on renvoie ici à l'art. 7, al. 4 et 5, CP, qui régit la prise en compte d'un éventuel jugement rendu à l'étranger.

Art. 3 ss CP; voir aussi les règles en grande partie analogues de l'art. 259, al. 1bis, CP.

Il faut tenir compte aussi des règles statuées à l'art. 7, al. 1 et 3, CP.

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4.1.2.8

Inscription dans la loi d'une absence de punissabilité des organisations humanitaires?

La lutte antiterroriste internationale a aussi laissé des traces sur les activités des organisations humanitaires et caritatives et dans le domaine de l'aide au développement. Divers pays, souvent en se basant sur des décisions d'organisations internationales220, ont édicté des règles étendues visant à interdire le soutien aux organisations terroristes et leur financement, règles assorties de lourdes peines. Les oeuvres d'entraide et autres organisations actives dans les zones de conflit sont dès lors confrontées à la tâche difficile de déployer des activités qui ne puissent pas être considérées comme un soutien à des groupes terroristes ou criminels afin de ne pas subir la condamnation des États.

Le Conseil fédéral tient à ce que les organisations humanitaires et autres oeuvres d'entraide puissent continuer à fournir leurs prestations en faveur des membres les plus faibles et les plus vulnérables de la société dans les zones de conflit et de crise.

Son projet ne s'y oppose nullement. Dans les situations de conflits entre États ou entre groupes au sein d'un même État, la tradition de la Suisse en tant qu'État dépositaire des Conventions de Genève veut que la priorité soit de soulager la détresse humaine.

Les organisations susmentionnées pourront continuer de fournir aux victimes de conflits une aide neutre, impartiale et indépendante de toute considération liée aux luttes de pouvoir et ne risqueront pas d'être frappées par une peine après l'entrée en vigueur des dispositions révisées sur les organisations terroristes et le crime organisé. Celles qui exercent leurs activités selon les principes susmentionnés et selon les règles du droit international applicables en cas de conflit armé, par exemple le Comité international de la Croix-Rouge, ne tomberont pas sous le coup des dispositions pénales. Leurs activités sont licites, puisqu'autorisées voire requises par la législation suisse. Ce principe s'applique même si l'on ne peut tout à fait exclure qu'une activité humanitaire finisse par renforcer indirectement une organisation ou un groupe interdits ou mis au ban.

Cette position est conforme à la Stratégie de la Suisse du 18 septembre 2015 pour la lutte antiterroriste221, selon laquelle l'action humanitaire (assistance et protection) n'est pas concernée par la lutte contre le terrorisme, pour
autant qu'elle respecte les principes de neutralité, d'impartialité et d'indépendance. Une politique de paix active et la coopération au développement contribuent à lutter contre la radicalisation.

Il ne semble pas approprié, par contre, d'exclure de manière générale la punissabilité des organisations humanitaires et d'inscrire une clause allant dans ce sens dans le CP, comme l'ont demandé certains participants à la consultation222. Des problèmes se poseraient en particulier lors de l'examen de la compatibilité de la législation nationale avec les normes internationales. Par ailleurs, il peut toujours arriver que des employés d'une organisation humanitaire ou caritative commettent des actes, le 220 221 222

Voir les explications relatives à l'ONU au ch. 4.3.2.

FF 2015 6843 Voir le ch. 4.1.2 de la synthèse des résultats de la consultation (avril 2018).

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cas échéant en violation de prescriptions et de directives internes, qui ne sont pas couverts par les buts de l'organisation et qui ne répondent pas aux principes de neutralité et d'indépendance. Le législateur ne peut exclure a priori que les représentants d'une organisation humanitaire commettent intentionnellement des actes (par ex. fournir des moyens financiers, payer d'importants montants en échange d'une protection ou des taxes élevées ou encore livrer du matériel ou des véhicules) qui relèvent du soutien à une organisation terroriste.

La question de la punissabilité peut également se poser lorsque des personnes fournissent un soutien financier à des membres de leur famille vivant dans une région en crise ou lorsque des journalistes exercent dans une telle région. Il faut examiner au cas par cas si une aide de cet ordre, par exemple l'envoi d'une somme d'argent à un fils se trouvant dans une zone de guerre, constitue un soutien présumé ou effectif à une organisation terroriste. Cet examen consiste, comme dans le cas des activités des organisations humanitaires, à éclairer les circonstances concrètes de l'acte et l'intention de son auteur. Une exclusion générale de la punissabilité de par la loi ne donnerait pas de bons résultats, d'autant qu'elle comporte un risque de sur- ou de sousréglementation. Le juge pénal doit avoir la possibilité d'examiner les circonstances concrètes de chaque cas et ne pas être limité par une exclusion générale, qui pourrait lui ôter tout pouvoir de décision.

4.1.2.9

Concours entre l'art. 260ter P-CP et les infractions de base

La question du concours entre l'art. 260ter CP et d'autres infractions ­ en particulier celles commises par l'organisation criminelle ­ fait l'objet de discussions depuis un certain temps déjà. Le projet est l'occasion d'examiner la question et de déterminer en particulier la nécessité de prévoir une règle spéciale en matière de concours.

La CCDJP propose une règle selon laquelle les autorités judiciaires appliqueront toujours de manière parallèle l'art. 260ter CP et d'éventuelles autres dispositions pénales223.

D'après la jurisprudence du Tribunal fédéral, «Il ressort [...]de la volonté du législateur que l'art. 260ter CP vise à punir celui qui participe ou soutient une organisation criminelle, alors qu'en raison de la division extrêmement poussée des tâches ou des mesures de dissimulation adoptées par l'organisation, il n'est pas possible de prouver sa participation à des infractions précises et, par conséquent, de le confondre224». Si, de plus, la personne concernée a commis une autre infraction, il n'est pas exclu qu'il y ait concours entre l'art. 260ter CP et d'autres dispositions pénales225. Cela recouvre en particulier les cas de figure suivants: 223

L'art. 260ter, al. 6, proposé par le groupe de travail de la CCDJP a la teneur suivante: «Begeht der Täter im Rahmen einer kriminellen Organisation weitere Straftaten, wird er dafür zusätzlich bestraft».

224 Arrêt du Tribunal fédéral du 20 juillet 2005, 6S.229/2005, consid. 1.2.3 et les références citées.

225 Voir FF 1993 III 269 296; ATF 128 II 355, consid. 2.4, p. 362; ATF 131 II 235, consid. 2.12.2, p. 242; ATF 133 IV 58, consid. 5.3.1, p. 71; ATF 142 IV 175, consid. 5.4.2, p. 189.

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­

l'auteur qui procure des fonds à une organisation criminelle en sachant que seule une partie de ceux-ci sera consacrée à un attentat déterminé alors que le reste servira à d'autres infractions, dans laquelle sa participation ne peut être établie;

­

l'auteur dont l'acte de soutien dépasse le cadre des infractions précises et démontrées commises par l'organisation (par exemple l'auteur qui fournit à l'organisation des fonds ou des biens qu'il se procure en commettant luimême des infractions226).

«En revanche, si la participation ou le soutien à l'organisation s'épuise dans une infraction concrète que l'on peut démontrer, l'auteur ne doit être puni que pour la participation à cette dernière infraction227».

Cette jurisprudence, bien qu'approuvée par une majorité de la doctrine228, a régulièrement été questionnée et critiquée par les praticiens. Au cours de la procédure de consultation, de nombreux cantons, la Conférence des procureurs de Suisse et le Tribunal pénal fédéral, entre autres participants, ont regretté que l'art. 260ter CP continuera d'être appliqué de manière subsidiaire. Ils exigent que cette disposition soit toujours appliquée parallèlement à celles relatives au trafic de stupéfiants, au brigandage ou au chantage. Il en résulterait une augmentation de la peine en application de l'art. 49 CP.

Le Conseil fédéral considère qu'il ne serait pas toujours proportionné d'appliquer simultanément l'art. 260ter CP et d'autres dispositions pénales. Il y aura toujours des cas dans lesquels le degré d'illicéité est déjà couvert par l'acte pour lequel l'auteur est poursuivi et condamné. En cas de blanchiment d'argent qualifié au sens de l'art. 305bis, ch. 2, let. a, CP, le fait que l'auteur ait commis cet acte en tant que membre d'une organisation criminelle est déjà pris en compte, raison pour laquelle la peine encourue est plus élevée que pour l'infraction de base de blanchiment d'argent229. Il n'est donc pas nécessaire de lui infliger en sus la peine prévue à l'art. 260ter CP. Il n'est dès lors pas indiqué d'inscrire à l'art. 260ter CP que cet article est toujours applicable en parallèle à d'autres dispositions pénales, comme l'ont demandé certains participants à la consultation. De plus, les questions de concours relèvent des autorités judiciaires, lesquelles déterminent au cas par cas, sur la foi de la doctrine, s'il y a concours ou concours imparfait. Le CP ne comporte pas, en conséquence, de règles de concours applicables de manière générale. Inscrire une telle règle à l'art. 260ter en briserait la cohérence.

Il faut admettre que les cas dans lesquels la participation et le soutien se limitent strictement à des infractions spécifiques sont des cas particuliers dans lesquels l'application subsidiaire de l'art. 260ter doit constituer l'exception. On peut par contre admettre de manière générale que la participation à une infraction accroît le potentiel d'une organisation criminelle, c'est-à-dire qu'elle renforce l'organisation.

226 227

Gestion déloyale, vols, etc.

Arrêt du Tribunal fédéral du 20 juillet 2005, 6S.229/2005, consid. 1.2.3 et les références citées.

228 Engler, in: Niggli/Wiprächtiger (éd.), Basler Kommentar, Strafrecht II, Art. 11­392 StGB, Bâle 2013, no 20 ad art. 260ter CP et les références citées.

229 Voir l'arrêt 6S.229/2005 du Tribunal fédéral du 20 juillet 2005, consid. 1.2.2 et 1.4 et les références citées.

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Les règles générales relatives au concours d'infractions s'appliquent dès lors 230 et le juge augmentera la peine en se fondant sur l'art. 49 CP. Cela se justifie par le fait que la commission d'un acte au sein d'une organisation criminelle accroît la dangerosité de cet acte pour l'État et sa population et augmente le degré d'illicéité.

Les nouvelles infractions qualifiées proposées (soutien ou participation à une organisation criminelle au sens de l'art. 260ter, al. 2, P-CP; exercice d'une influence déterminante au sein de l'organisation au sens de l'art. 260ter, al. 3, P-CP) montrent que l'art. 260ter ne couvre pas que des actes préparatoires qui, s'ils étaient pris isolément, auraient toute l'apparence de la légalité. Il est peu vraisemblable que d'autres dispositions pénales que le nouvel art. 260ter, al. 2 et 3, P-CP puissent couvrir tous les aspects de l'acte et toute son illicéité231. Il y aura donc concours. Le projet prend en compte les demandes formulées durant la procédure de consultation.

4.2

Art. 260sexies P-CP: recrutement, entraînement et voyage en vue d'un acte terroriste

4.2.1

Contexte

L'analyse des dispositions de la Convention et du Protocole additionnel du Conseil de l'Europe qui doivent être mises en oeuvre et la prise en compte d'autres normes internationales232 montrent que le droit suisse répond déjà dans une large mesure aux exigences. Il manque néanmoins encore certaines règles spécifiques de droit pénal pour traduire entièrement et explicitement l'essence des deux traités233. Le projet propose une nouvelle disposition pénale mettant en oeuvre les art. 6 et 7 de la Convention et les art. 3 à 5 du Protocole additionnel pour couvrir l'entraînement et le recrutement en vue d'un acte terroriste. Il propose aussi une disposition sur les voyages à vocation terroriste, y compris leur financement, leur organisation et le recrutement dans ce but. Les dispositions proposées sont censées combler les lacunes du dispositif pénal réprimant les actes préparatoires en dehors d'organisations telles qu'Al-Qaïda ou l'État islamique. Ce procédé correspond à l'appréciation du Conseil fédéral, telle qu'exposée dans le communiqué qu'il a publié le 14 octobre 2016 à l'occasion de la signature du Protocole additionnel234. Dans le contexte international et eu égard à l'évolution récente des législations d'autres États européens235, il est approprié de proposer une nouvelle norme pénale visant à renforcer la lutte contre le terrorisme, la sécurité du droit et le principe de précision des bases légales.

230 231 232 233 234

FF 1993 III 269 296 Voir les explications au ch. 4.1.2.3.

Voir aussi le ch. 1.6.

Voir aussi le ch. 2.

Accessible à l'adresse: www.ofj.admin.ch > Actualité > News > 14.10.2015 > Le Conseil fédéral veut renforcer la lutte contre les voyages à des fins terroristes.

235 Voir les résultats de l'étude de droit comparé intégrés aux ch. 2.1 et 2.2, résumé

disponible à l'adresse:www.isdc.ch > Publications > ISDC Letter > 2017 > ISDC'S LETTER No 42.

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4.2.2

Commentaire du nouvel article

La mise en place d'une disposition pénale spécialement consacrée au recrutement, à l'entraînement et aux voyages en vue d'un acte terroriste a pour effet d'étendre la punissabilité dans certains domaines par rapport au droit en vigueur. Elle permet néanmoins surtout de donner une base légale claire aux sujets de droit et aux autorités de poursuite pénale et contribue au respect des principes de précision et de prévisibilité. Chacun pourra déduire de la législation quels sont les comportements en amont d'un acte terroriste qui sont punissables.

Eu égard à la systématique de la loi, l'art. 260sexies P-CP sera placé sous le titre «Crimes ou délits contre la paix publique», où figurent déjà les dispositions régissant les organisations criminelles et le financement du terrorisme 236. La nouvelle infraction statuée est un crime, pour lequel l'auteur encourt une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou une peine pécuniaire, ce qui en fait une infraction préalable au blanchiment d'argent237. Les actes incriminés doivent être commis dans la perspective d'un acte terroriste concret. C'est là une différence fondamentale par rapport au champ d'application des normes pénales contre les organisations criminelles ou terroristes et à celui de la loi Al-Qaïda. L'art. 260sexies P-CP sera applicable qu'il y ait un lien ou non entre les actes et une organisation ou un groupement définis.

L'al. 1, let. a, sanctionne le recrutement d'une personne afin qu'elle commette un acte terroriste ou y participe. Le recrutement238 désigne un processus actif visant à mobiliser une ou plusieurs personnes définies pour une activité. Il n'est pas nécessaire, pour que l'auteur du recrutement soit punissable, que ce processus soit formel ni qu'il intervienne dans un cadre structuré. Il n'est pas nécessaire non plus que le recruteur participe lui-même à une organisation terroriste ou qu'il soit impliqué concrètement dans la préparation d'un acte terroriste239, ni que les contours d'un acte terroriste soient déjà perceptibles au moment du recrutement.

Le recrutement peut se faire directement, au moyen de contacts personnels, ou d'une autre manière, par exemple par l'intermédiaire des réseaux sociaux ou d'Internet.

Pour que le recrutement soit consommé, il faut au moins que le procédé et les intentions de l'auteur soient
perceptibles pour la ou les personnes qu'il cherche à enrôler.

Il n'est par contre pas nécessaire que cette dernière assume une activité en conséquence du recrutement, par exemple participer à un groupement ou entamer des préparatifs en vue d'un attentat240.

Subjectivement parlant, le recrutement doit toutefois avoir pour visée la commission d'un acte terroriste. L'art. 260sexies est une infraction intentionnelle. Il doit au moins s'agir d'un dol éventuel, c'est-à-dire que l'auteur doit sérieusement tenir les conséquences de ses actes pour possibles et les accepter.

236 237 238 239

Art. 260ter et 260quinquies CP Art. 305bis CP Voir la notion de recrutement dans le droit en vigueur aux art. 182, 197 et 272 CP.

Bien qu'il y ait souvent dans les faits une telle participation ou un tel soutien de la part de la personne recrutée.

240 Concernant l'ensemble de la problématique, voir les ch. 106 ss RE et le commentaire de l'art. 6 de la Convention.

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Il faut distinguer la justification des actes d'une organisation terroriste et l'apologie de l'organisation du recrutement punissable. Bien que critiquables, ces expressions d'approbation ne tombent pas sous le coup de la nouvelle disposition. L'État doit les contrer par d'autres moyens que ceux du droit pénal241.

Le recrutement en faveur d'une organisation terroriste pourra, en fonction de la manière de procéder de l'auteur et des caractéristiques de l'organisation, tomber sous le coup de l'art. 260ter P-CP ou de l'art. 74, al. 4, LRens242.

Le Conseil fédéral renonce à proposer d'ériger le recrutement passif en infraction243.

Ni la Convention ni le Protocole additionnel n'exigent une punissabilité en amont sur ce plan244. La simple décision prise par la personne recrutée est peu tangible et difficile à prouver. Les incertitudes quant à ce qu'elle savait au moment où elle a accepté le recrutement sont de nature à mettre à mal la sécurité du droit et à semer le doute quant au caractère punissable de l'acceptation. La personne recrutée pourra être considérée comme punissable aussitôt qu'elle prendra des dispositions en vue de préparer un acte, qu'elle participera à une organisation terroriste ou qu'elle la soutiendra. Il en est déjà ainsi dans le droit en vigueur.

L'al. 1, let. b, concerne l'entraînement en vue d'un acte terroriste et sanctionne quiconque se fait fournir ou fournit des indications dans la perspective d'un tel acte 245.

On érige en infraction à part entière des actes de participation commis en amont, dans l'optique de renforcer les instruments de droit pénal contre le terrorisme et les actes préliminaires associés. Selon la teneur de l'alinéa, les indications qu'une personne se fait fournir ou fournit doivent porter sur la fabrication ou l'utilisation d'armes, d'explosifs, de matériaux radioactifs, de gaz toxiques ou d'autres dispositifs ou substances dangereuses246.

Là aussi, les actes commis doivent, subjectivement parlant, l'être dans la perspective de la commission d'un acte terroriste. Il doit y avoir au moins dol éventuel, c'est-àdire que l'auteur doit avoir l'intention d'utiliser les compétences acquises à des fins terroristes. Le juge pourra tenir compte de la différence de degré d'illicéité des deux formes de l'infraction (rôle actif ou passif en matière d'entraînement)
au moment de fixer la peine.

La let. c sanctionne quiconque entreprend un voyage à l'étranger ou depuis l'étranger dans le dessein de commettre un acte terroriste, d'y participer ou de suivre un entraînement dans ce but. Il met en oeuvre le coeur même du Protocole additionnel et la résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations unis qui le fonde247. Cette norme est applicable indépendamment d'une organisation concrète, ce qui n'est pas 241 242 243 244 245 246 247

Voir les explications au ch. 4.6.4.

Voir le commentaire de l'art. 6 de la Convention et les explications relatives au concours d'infractions.

Voir le commentaire de l'art. 6 de la Convention, et en particulier les passages concernant le droit comparé.

Voir le commentaire de l'art. 2 du Protocole additionnel et les explications relatives aux négociations.

Concernant la notion de fournir des indications, voir les art. 144 bis, 179sexies et 226 CP.

Concernant le champ d'application et les notions, on se reportera au commentaire de l'art. 7 de la Convention et de l'art. 3 du Protocole additionnel.

Voir en particulier le commentaire des art. 4 à 6 du Protocole additionnel.

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le cas de la loi Al-Qaïda, limitée dans le temps, ni de l'art. 74 LRens248. Subjectivement parlant, la punissabilité est là aussi liée au fait que l'auteur agit dans la perspective de la commission d'un acte terroriste. Il n'est pas nécessaire, pour que l'infraction soit consommée, que le voyageur arrive à sa destination; il suffit qu'il en prenne le chemin.

L'al. 2, en conformité avec les engagements internationaux pris dans la lutte contre le terrorisme249, déclare punissable quiconque, connaissant ou supputant le but criminel d'un voyage, réunit ou met à disposition des fonds dans le dessein de le financer, l'organise ou recrute une personne pour l'effectuer. Conformément à l'art. 5 du Protocole additionnel, la disposition pénale doit non seulement réprimer la mise à disposition de fonds, mais également le fait de les réunir250. L'art. 260sexies, al. 2, P-CP couvre ces deux cas de figure, sur le modèle de l'art. 260quinquies CP. L'incrimination de la réunion de fonds permet à la Suisse de remplir ses obligations découlant de la résolution 2178 et des recommandations du GAFI 251.

4.3

Adaptation de l'art. 74 de la loi sur le renseignement: interdiction d'organisations

4.3.1

Contexte

En novembre 2009, le Conseil fédéral a chargé le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), en sa qualité de département compétent, d'élaborer une nouvelle loi sur le renseignement (LRens). La loi régit l'ensemble des activités de renseignement et attribue au Service de renseignement de la Confédération (SRC) le mandat d'évaluer la situation de manière exhaustive.

Le projet du Conseil fédéral a été complété par une nouvelle disposition dans le cadre des délibérations parlementaires. Le nouvel art. 74 LRens régit l'interdiction d'organisations. Le Conseil fédéral se voit attribuer la compétence strictement encadrée par la loi d'interdire une organisation par voie de décision si celle-ci menace concrètement la sûreté intérieure ou extérieure du pays, et ce sans devoir s'appuyer sur le droit de nécessité statué par la Constitution. L'interdiction doit se fonder sur une décision des Nations unies ou de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Le Conseil fédéral doit consulter les commissions compétentes en matière de politique de sécurité avant de prononcer l'interdiction. Celle-ci doit avoir trait à des organisations terroristes ou relevant de l'extrémisme violent et être prononcée pour cinq ans au plus. Elle peut être prolongée.

La LRens a été acceptée lors de la votation populaire du 25 septembre 2016. Elle est entrée en vigueur le 1er septembre 2017252.

248 249 250

Voir le ch. 4.3.

Voir le ch. 1.

La terminologie de cet article s'appuie sur celle de l'art. 260 quinquies CP sur le financement du terrorisme. La notion «mettre à disposition» signifie donner le pouvoir de disposer de valeurs patrimoniales à un tiers.

251 La résolution 2178 parle de fourniture et de collecte, tandis que les recommandations du GAFI parlent de fourniture et de réunion de fonds.

252 FF 2015 6597; RS 121

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L'art. 74 LRens ajouté par le Parlement est une base légale claire et durable permettant d'interdire des organisations ou des groupements terroristes ou relevant de l'extrémisme violent. Ce type d'interdiction figurait jusque-là dans des ordonnances du Conseil fédéral ou du Parlement directement fondées sur la Constitution253. Or il n'était plus possible de les prolonger, raison pour laquelle fin 2014, le Parlement a adopté la loi Al-Qaïda, déclarée urgente et n'ayant dès lors effet que jusqu'au 31 décembre 2018. Elle a depuis été prolongée jusqu'en 2022254.

Lors de l'élaboration du projet ci-joint, le Conseil fédéral a conclu à la nécessité d'harmoniser les règles de l'art. 74 LRens sur l'interdiction d'organisations et celles relatives aux organisations terroristes de la loi Al-Qaïda et de l'art. 260ter CP. La première restera en vigueur jusqu'à ce que l'art. 74 LRens révisé entre en vigueur à son tour. Le Parlement a décidé de prolonger cette loi dans un projet séparé 255, afin d'assurer une transition fluide entre elle et le nouvel art. 74 LRens.

4.3.2

Commentaire du nouvel article

La description des comportements punissables en rapport avec les organisations et groupements interdits, telle que fournie à l'art. 74 LRens, est identique à celle fournie à l'art. 2 de la loi Al-Qaïda et comprend le soutien, la participation, la propagande, le recrutement ou toute autre forme d'encouragement de leurs activités.

Il y a néanmoins deux différences de taille. Premièrement, l'art. 74 LRens ne fait pas état d'une compétence fédérale en matière de poursuite et de jugement des infractions. Il en découle en principe256 une compétence cantonale en cas d'interdiction fondée sur cet article. Deuxièmement, la peine encourue est une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire, soit une peine inférieure à celle prévue dans la loi Al-Qaïda (peine privative de liberté de cinq ans au plus).

Il semble approprié d'adapter l'art. 74 LRens sur ces deux points et de reprendre les règles fixées dans la loi Al-Qaïda. Les autorités spécialisées de la Confédération ont acquis de l'expérience en matière de poursuite des formes complexes de criminalité, des organisations terroristes et de ceux qui les soutiennent et sont en mesure de mener les procédures pénales avec efficacité. La jurisprudence des années passées parvient aux mêmes conclusions. Sur le plan matériel et sur le plan des ressources, il paraît tout à fait sensé de ne pas laisser une multitude d'autorités intervenir dans la poursuite et le jugement d'organisations et de groupements terroristes ou relevant de l'extrémisme violent, comme ce pourrait être le cas si on en attribuait la compétence aux cantons. Il est plus judicieux de laisser la PJF et le MPC se charger de la pour-

253

Voir le condensé du message concernant la loi fédérale interdisant les groupes «Al-Qaïda» et «État islamique» et les organisations apparentées, FF 2014 8755, 8756.

254 Vote final des deux Chambres du 15 juin 2018; la loi est sujette au référendum.

255 Voir le ch. 4.6.6.

256 Dans les cas où aucune infraction relevant de la compétence des autorités fédérales (par ex. l'art. 260ter CP sur les organisations criminelles) n'entre en jeu.

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suite et le Tribunal pénal fédéral du jugement257, en concentrant leurs forces, comme ils l'ont fait avec succès dans l'application de la loi Al-Qaïda.

La peine encourue en cas d'infraction au sens de l'art. 74 LRens est une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire, sous réserve de dispositions pénales plus sévères. Le Parlement a fixé une peine inférieure à celle prévue dans la loi Al-Qaïda (cinq ans au plus de peine privative de liberté). La peine plus élevée introduite à l'art. 74 P-LRens se justifie d'autant plus que le projet prévoit un plafond de peine de 20 ans en cas d'infraction qualifiée commise en rapport avec une organisation criminelle ou terroriste et une peine maximale de dix ans pour l'infraction de base de soutien ou de participation à une organisation terroriste258.

Elle correspond par ailleurs aux peines inscrites aux art. 260quinquies CP et 260sexies P-CP. Le comportement punissable décrit à l'art. 74 LRens constitue dès lors une infraction préalable possible au blanchiment d'argent au sens de l'art. 305bis CP. Ce point est particulièrement important pour la variante du soutien financier.

La réserve jusque-là inscrite à l'art. 74, al. 4, LRens («sous réserve de dispositions pénales plus sévères») peut être supprimée, comme l'indiquait déjà le message concernant la loi Al-Qaïda259. Conformément aux explications données s'agissant des concours d'infractions260, il peut arriver que l'art. 260ter CP, à titre de disposition pénale plus sévère, prime l'art. 74 LRens. Par contre, c'est à tort que l'on conserverait une apparence de subsidiarité générale de l'art. 74 LRens. Si une personne, en plus de participer à une organisation ou un groupement interdits, commet une infraction relevant du droit pénal commun punie d'une lourde peine (par ex. un enlèvement ou un homicide), il y a concours entre les deux dispositions pénales. L'applicabilité d'autres dispositions pénales est dès lors réservée conformément aux principes généraux du concours d'infractions.

Étant donné la diversité des infractions décrites à l'art. 74 LRens et de l'augmentation générale de la peine encourue, il sera d'autant plus important que le juge use de sa marge d'appréciation et prononce une peine qui tienne compte au mieux de la gravité des infractions commises261. L'augmentation
de la peine encourue devra surtout avoir des incidences sur les formes d'infractions que sont la participation, le soutien en personnel ou en matériel ou le recrutement. Pour les autres activités de soutien ou l'organisation d'actions de propagande, des peines du niveau des peines actuelles262 devraient suffire. Pour limiter quelque peu les nombreux comportements soumis à une peine au sens de l'art. 74 LRens, le juge pourra exiger qu'ils aient une certaine proximité avec les activités de l'organisation ou du groupement interdits 263.

257

258 259 260 261 262 263

Art. 74, al. 6, P-LRens, qui implique l'adaptation de l'obligation de communication figurant à l'al. 7 en vigueur. Pour la poursuite des infractions commises par des mineurs, on conservera la compétence cantonale, qui a fait la preuve de son efficacité. Dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, les aspects d'économie de procédure sont secondaires; priorité doit être donnée à une procédure pénale qui soit en adéquation avec la situation de l'auteur et qui poursuive des objectifs durables.

Voir le commentaire du ch. 4.1.

FF 2014 8755 8764 Ch. 4.6.1 L'avant-projet prévoyait un échelonnement des peines. Il a été critiqué en consultation pour son manque d'adéquation à la pratique.

Peine privative de liberté de trois ans au plus ou peine pécuniaire.

Voir l'arrêt du 22 février 2017 du Tribunal fédéral, 6B_948/2016.

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Le projet donne au juge la possibilité, appropriée en comparaison avec d'autres dispositions pénales, de prononcer des peines sévères dans les cas particulièrement graves de soutien, de participation ou d'encouragement d'organisations ou de groupements interdits. La peine qu'il prononce pourra ainsi refléter la gravité de l'acte et répondre au besoin de sécurité de la population et de l'État.

Conformément à l'al. 2 de la disposition en vigueur, l'interdiction prononcée par le Conseil fédéral se fonde sur une décision de l'Organisation des Nations Unies (ONU) ou de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

Divers intervenants, dont certains dans le cadre de la procédure de consultation, ont indiqué que ces deux organisations ne prononçaient pas d'interdictions au sens strict.

Le Conseil fédéral considère cette objection comme pertinente. Le Conseil de sécurité de l'ONU prononce des sanctions à l'encontre de groupements ou d'organisations terroristes. Ces décisions internationales peuvent contraindre les États à prendre des mesures législatives ou autres à l'encontre des organisations terroristes.

Le Conseil fédéral propose dès lors de clarifier la formulation de l'art. 74, al. 2, LRens, de manière à exprimer qu'il n'est pas impératif que l'ONU264 prononce une interdiction formelle pour que le Conseil fédéral puisse entrer en action conformément à l'art. 74 LRens. Il suffit que l'entité onusienne compétente oblige les États à prendre des mesures à l'encontre de l'organisation en question265.

Il est bien entendu que le Conseil fédéral, après l'adoption de ces nouvelles règles, continuera d'être libre de prononcer une interdiction après avoir consulté les commissions compétentes en matière de politique de sécurité.

Le projet266 permet au juge d'atténuer la peine si l'auteur s'efforce d'empêcher la poursuite de l'activité de l'organisation ou du groupement, comme le prévoit la norme pénale contre les organisations criminelles. Le Conseil fédéral avait déjà reconnu la nécessité d'adopter une telle règle dans sa réponse du 23 novembre 2016 à la motion Janiak «Introduction d'une réglementation relative aux repentis» (16.3735). Il étend à présent la forme atténuée de la règle des témoins de la Couronne, telle qu'elle figure déjà à l'art. 260ter CP, au champ d'application de
l'art. 74 LRens.

L'art. 74, al. 6, LRens tel qu'accepté par le peuple pourra être abrogé. On pourra se passer de la précision, difficilement compréhensible car axée sur la confiscation des valeurs patrimoniales, selon laquelle les dispositions générales du CP sont applicables. L'art. 333 CP statue en effet que lesdites dispositions générales sont applicables aux infractions prévues par d'autres lois fédérales. Les autorités compétentes

264

Il n'est pas exclu que le Conseil de sécurité de l'ONU par ex. prononce des interdictions au sens strict, raison pour laquelle on maintient la notion d'interdiction dans le texte de loi. On renonce par contre à mentionner l'OSCE, qui ne prononcera sans doute pas plus de sanctions ni d'interdictions à l'avenir.

265 On peut citer à titre d'exemples les résolutions 2396 du 21 décembre 2017 ou 2178 du 24 septembre 2014 du Conseil de sécurité des Nations Unies (www.un.org/fr/sc > Documents > Résolutions > S/RES/2396 (2017) et S/RES/2178 (2014)). Visant le terrorisme, elles évoquent expressément certaines organisations sans prononcer d'interdiction formelle.

266 Al. 4bis

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devront communiquer les jugements et autres décisions uniquement au SRC suite à la nouvelle compétence fédérale statuée267.

De manière générale, on complète le préambule de la LRens par l'art. 123 Cst.268, qui établit la compétence fédérale en matière de droit civil et de procédure civile.

4.4

EIMP: adaptations ayant trait à l'«entraide dynamique»

4.4.1

Objectifs des adaptations

La coopération judiciaire internationale en matière pénale doit mettre davantage l'accent sur la prévention du crime et devenir plus efficace. Il faut permettre une action plus rapide, afin notamment d'éviter des pertes de vies humaines et des dommages matériels importants causés par les attentats terroristes.

La mondialisation et les interactions croissantes entre États ont engendré une criminalité dont le terrorisme international n'est qu'une facette. L'«entraide dynamique» est la réponse la plus adéquate à cette problématique. C'est là l'objet des nouveaux art. 80d bis P-EIMP, régissant la transmission anticipée d'informations et de moyens de preuves, et 80d ter à 80d duodecies P-EIMP, régissant les équipes communes d'enquête269.

Les modifications proposées visent à permettre aux procureurs suisses et à leurs homologues étrangers de prévenir des actes criminels graves, d'accélérer la coopération et d'améliorer la poursuite pénale. Les nouvelles règles intégrées à l'EIMP permettront en particulier d'améliorer la lutte contre le terrorisme et toute forme de criminalité liée, telle que le crime organisé. La coopération aura aussi trait à toute infraction inhérente et antérieure aux attentats projetés. Si la révision a pour principal objectif la lutte contre le terrorisme, elle doit aussi renforcer la coopération judiciaire contre d'autres formes graves de criminalité, telles que notamment les crimes contre l'humanité, le blanchiment d'argent organisé ou la corruption.

Les nouvelles formes de coopération devront satisfaire aux exigences de l'art. 2 EIMP et respecter les garanties minimales exigées par la Suisse. La procédure à l'étranger devra notamment être conforme aux principes de la CEDH et du Pacte II de l'ONU et ne pas présenter de défauts graves270. Aucune coopération ne sera pos267 268 269

Al. 7. Le MPC et fedpol obtiennent déjà les décisions.

RS 101 L'avant-projet ne comportait que deux dispositions dans le domaine de l'entraide internationale en matière pénale, les art. 80d bis et 80d ter. L'art. 80d ter régissait les équipes communes d'enquête et reprenait l'essentiel du contenu de l'art. 20 du Deuxième Protocole additionnel à la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale. Ce contenu a été réparti dans plusieurs articles (80d ter à 80d duodecies) pour des motifs de technique législative.

270 Voir les conditions fixées aux art. 37, 38 et 80p EIMP et les trois catégories d'États définies par le Conseil fédéral, notamment dans l'ATF 134 IV 156, consid. 1.3.3 et 6; voir également les arrêts RR 2015 318, consid. 5.1 et les références citées, et RR 2010 56, consid. 6.4.2, du Tribunal pénal fédéral concernant le refus de l'entraide judiciaire en raison du risque purement «théorique» de violation des droits de l'homme et des garanties. La Suisse refuse toute collaboration avec les États de la troisième catégorie.

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sible avec les États qui ne donnent pas de garanties crédibles. L'entraide sera par ailleurs exclue s'il s'agit par exemple d'appliquer les nouvelles dispositions de manière discriminatoire pour combattre un ennemi politique. En raison de leur contenu, les dispositions seront applicables seulement si certaines conditions sont remplies. Elles répondent aux souhaits des autorités de poursuite pénale de se conformer aux exigences d'une collaboration internationale moderne et efficace271.

Certains participants ont exprimé la crainte de voir les nouvelles dispositions s'appliquer également avec des États avec lesquels l'entraide judiciaire s'avère problématique et trop éloignée de la conception suisse, notamment eu égard aux droits fondamentaux. Le Conseil fédéral aimerait souligner que les dispositions relatives à la transmission anticipée d'informations et de moyens de preuve et aux équipes communes d'enquêtes sont toutes formulées de manière potestative; il n'y aura aucune obligation pour les procureurs suisses de les appliquer. Par ailleurs, si l'entraide judiciaire en matière pénale est possible avec n'importe quel État aux termes des nouvelles dispositions, celles-ci visent principalement les États avec lesquels les ministères publics coopèrent de longue date. Les mesures d'entraide qui seront prises se fonderont donc pour la plupart sur un rapport de confiance existant.

L'Office fédéral de la justice (OFJ), en sa qualité d'autorité de surveillance de l'entraide judiciaire internationale en matière pénale, conseillera les ministères publics, notamment en cas de contacts directs avec leurs homologues étrangers.

Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral reconnaît l'utilité des mesures d'entraide modernes. Celles-ci doivent demeurer secrètes pendant un certain temps pour ne pas bloquer ni menacer les enquêtes étrangères. Le Tribunal fédéral note qu'une base légale est nécessaire à l'adoption de ce type de mesures d'entraide272.

4.4.2

Art. 80d bis P-EIMP: transmission anticipée d'informations et de moyens de preuve

4.4.2.1

Contexte

Le sens de la présente disposition est de permettre une prévention efficace dans des cas urgents et fondés (par ex. prise d'otages ou attentat terroriste). Elle comporte toutes les garanties assurant qu'elle ne soit utilisée de manière trop large.

L'art. 80d bis P-EIMP a pour but d'éviter que la réaction aux projets d'actes criminels ne soit trop tardive. La disposition contribuera à sauver des vies et à éviter des atteintes, tout en favorisant la coopération entre les autorités. Le maintien de la confidentialité statué dans la disposition permettra d'assurer l'efficacité des enquêtes conduites en matière de terrorisme, par exemple en vue de lutter contre la radicalisation. Il vise à empêcher toute divulgation précoce de l'enquête pénale, ceci en assurant le secret de l'instruction pour les besoins de l'enquête étrangère. La disposition tient compte des préoccupations et critiques de certains États (en particulier de 271

Rapport de gestion, Rapport établi par le MPC sur ses activités au cours de l'année 2016 à l'intention de l'autorité de surveillance, p. 7, accessible à l'adresse www.ministerepublic.ch > Rapports de gestion.

272 ATF 143 IV 186

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common law) et de l'une des huit actions prioritaires recommandées aux autorités suisses par le GAFI suite à son évaluation de 2016. Il s'agit de prendre les mesures nécessaires pour mieux assurer le maintien de la confidentialité des demandes d'entraide.

La confidentialité revêt une grande importance. Elle évite des entraves disproportionnées aux enquêtes et écarte en particulier le risque de collusion (art. 221, al. 1, let. b, CPP) dans les cas de terrorisme. Par exemple, dans ce domaine, la surveillance téléphonique a pour but d'empêcher les ententes secrètes entre membres d'un réseau. Elle n'a de chances de succès que si les personnes concernées n'en savent rien. La confidentialité doit également être préservée lorsque la transmission de données relatives au trafic informatique a été autorisée en vertu de l'art. 18b EIMP.

Troisième exemple, lorsqu'une perquisition a été annoncée au sein d'une équipe commune d'enquête273, il faut éviter, pour qu'elle porte ses fruits, que les personnes touchées apprennent qu'elle aura lieu. Citons aussi le cas où des documents sont saisis sans que la personne touchée le sache, par exemple parce que la saisie a eu lieu auprès d'une société fiduciaire, laquelle peut être tenue au secret en vertu de l'art. 80n EIMP. La transmission anticipée au sens de l'art. 80d bis P-EIMP est un instrument d'entraide et d'instruction que la Suisse n'a pas encore mis en place, contrairement à plusieurs États européens. Elle est aussi efficace lorsqu'un suspect risque de prendre la fuite, que des moyens de preuve pourraient être falsifiés ou détruits ou qu'une personne est influencée pour qu'elle cache la vérité. L'expérience pratique de divers cas d'entraide montre que l'art. 80d bis P-EIMP permettra une meilleure collaboration, par exemple grâce à l'échange, effectué en toute confidentialité, d'extraits de compte ou d'informations concernant les mouvements bancaires liés à des paiements par carte de crédit. On pourra en particulier visualiser plus rapidement les liens entre des faits a priori isolés. Il en résultera une accélération de l'instruction pénale qui, au final, renforcera l'efficacité de la lutte contre le terrorisme.

L'art. 80d bis P-EIMP doit être utilisé dans un cadre limité, avant que ne soit prononcée la décision de clôture statuant sur l'octroi et l'étendue de
l'entraide judiciaire. Il contient plusieurs protections afin de garantir que la personne touchée ne subira pas d'inconvénient majeur en raison de son utilisation274. L'art 80d bis P-EIMP se différencie de l'art. 67a EIMP275 en cela que la transmission prévue est anticipée et que l'objectif poursuivi par l'art. 67a EIMP est de transmettre des informations obtenues dans une enquête ouverte en Suisse pour aider un État étranger à présenter une demande d'entraide ou faciliter sa procédure d'enquête (caractère passif). Avec l'art. 80d bis P-EIMP, la transmission pourra avoir lieu avant que la personne touchée en ait connaissance, notamment pour prévenir un attentat (caractère actif). Le principe de proportionnalité s'applique.

273 274

Art. 80d ter à 80d duodecies P-EIMP S'agissant de la protection des droits des personnes touchées, voir le commentaire de l'art. 80d bis, al. 4, P-EIMP.

275 Qui règle la transmission spontanée de moyens de preuve et d'informations.

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4.4.2.2

Commentaire de la nouvelle disposition

Art. 80d bis, al. 1 à 4 Lors de la procédure de consultation, certains ont exprimé la crainte que la formulation de l'al. 1 («intérêt de la procédure») rende le champ d'application trop large. La formulation a été précisée dans le projet, qui mentionne la possibilité de transmettre des informations de manière anticipée, alternativement, soit afin de prévenir un danger grave et imminent, en particulier lié à la commission d'une infraction terroriste ou d'une autre infraction grave, soit afin d'éviter que, sans cette transmission anticipée, la prévention prenne des proportions démesurées.

Les faits punissables auxquels l'art. 80d bis P-EIMP s'applique sont graves, dans la mesure où, selon l'al. 2, ils peuvent donner lieu à extradition. Les infractions qui peuvent donner lieu à extradition sont celles qui sont frappées d'une sanction privative de liberté d'un maximum d'au moins un an ou d'une sanction plus sévère 276.

L'art. 80d bis P-EIMP permet un accès immédiat et très rapide à l'information requise sans que la personne touchée n'ait encore pu faire valoir ses droits. Elle pourra néanmoins les faire valoir ultérieurement, au plus tard en attaquant la décision de clôture prise dans la procédure d'entraide judiciaire (ou auparavant au moyen d'une prise de position auprès du procureur concerné s'il est possible d'informer la personne touchée plus tôt277).

Il importe, afin de favoriser une coopération la plus efficace possible, d'autoriser la transmission d'informations et de moyens de preuve sur requête, mais aussi de manière spontanée, cette dernière possibilité étant particulièrement importante. Les systèmes juridiques sont différents entre États, et souvent l'autre État ne connaît pas le système étranger dans le détail; en particulier, les spécificités du système suisse sont souvent peu connues de l'autorité étrangère concernée. Il arrivera bien des fois que des informations soient transmises de manière spontanée à un État qui n'a pas connaissance de cette possibilité, dont le procureur suisse fera usage après avoir reçu une demande d'entraide judiciaire dans une affaire dans laquelle une transmission anticipée améliorerait l'enquête étrangère. Il commencera par informer l'autorité étrangère de l'existence de cette possibilité, tout en précisant que les conditions de l'art. 80d bis, al. 4,
let. a à c, doivent être remplies avant la transmission anticipée, même si elle est spontanée. Le procureur suisse qui transmet les premières informations (par ex. relatives à un attentat terroriste planifié) veillera, par courriel, par fax ou par un autre moyen, à obtenir les garanties requises à l'art. 80d bis, al. 4, let. a à c, avant de fournir ces informations et moyens de preuve. Certes, en cas d'acte terroriste à éviter, les garanties devront être fournies très rapidement. À cet égard, il convient de rappeler que les nouvelles dispositions seront avant tout utilisées avec des États avec lesquels une longue tradition d'entraide judiciaire empreinte de confiance existe et qui sont habitués à une coopération en temps réel, et donc aussi à une coopération très rapide sous conditions.

276 277

Art. 35, al. 1, let. a, EIMP Voir le commentaire de l'art. 80d bis, al. 4, let. b, P-EIMP.

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La transmission anticipée, qu'elle se fasse sur demande ou de manière spontanée, permettra d'accroître considérablement l'efficacité d'enquêtes qui doivent pendant un certain temps rester secrètes. Les restrictions imposées à la position juridique de la personne touchée seront compensées par un certain nombre de garanties. Premièrement, cette dernière pourra recourir contre la décision de clôture avant que les pièces puissent être utilisées à titre de preuve par l'État étranger dans sa procédure pénale. Deuxièmement, les pièces communiquées par transmission anticipée serviront uniquement à des fins d'investigation jusqu'à l'entrée en force de la décision de clôture. Troisièmement, les garanties exigées à l'art. 80d bis, al. 4, let. a à c, fourniront une protection juridique accrue à la personne touchée, au même titre que le contrôle effectué par l'OFJ, en sa qualité d'autorité de surveillance. Si nécessaire, l'OFJ pourra aussi recourir contre la décision de clôture. Par ailleurs, la décision incidente statuant la transmission anticipée lui sera communiquée avant d'être effectuée (art. 80d bis, al. 6, P-EIMP). De la sorte, la personne touchée bénéficiera d'une protection juridique complète contre toute utilisation abusive des moyens de preuve par l'État étranger. En cas de recours admis, les pièces seront retirées du dossier étranger en application de l'art. 80d bis, al. 4, let. c, P-EIMP. La réglementation proposée concilie les impératifs de la poursuite pénale et la protection des intérêts légitimes de la personne touchée. L'art. 80d bis, al. 4, P-EIMP fixe les conditions dans lesquelles la transmission anticipée d'informations et de moyens de preuve est possible. Il existe une jurisprudence du Tribunal pénal fédéral selon laquelle les indications réunies en Suisse peuvent être utilisées par l'autorité étrangère uniquement à titre d'information et non comme moyens de preuve, tant que la décision qui clôt la procédure d'entraide n'est pas entrée en force278. L'utilisation pour des mesures d'enquête est autorisée.

Il convient de préciser, en rapport avec l'art. 80d bis, al. 4, let. a, P-EIMP que conclure un accord avec le prévenu reviendrait à prononcer une décision finale. Un tel accord ne peut être conclu qu'après la clôture de la procédure d'entraide et après l'entrée en force de la décision
finale. Or la transmission anticipée ne saurait être utilisée pour exercer une pression sur le prévenu afin qu'il accepte un accord; elle doit servir exclusivement à enquêter.

Seules les pièces devant rester secrètes ne seront pas portées à la connaissance de la personne touchée. Cette dernière en prendra toutefois connaissance avant que ne soit rendue la décision de clôture. Elle pourra faire usage de son droit de recours à ce moment-là, car la décision incidente relative à la transmission anticipée ne sera pas sujette à un recours immédiat279.

L'art. 80d bis, al. 4, let. a, a pour but d'éviter tout usage abusif des informations transmises et de permettre à la personne touchée par la transmission de faire valoir ses droits en la matière dans le cadre de la procédure d'entraide judiciaire, ceci avant que la décision de clôture ne soit prononcée. Pour le même motif, l'art. 80d bis, al. 4, let. b, P-EIMP prévoit que l'information concernée soit portée dès que possible à la connaissance de la personne touchée. Afin d'éviter tout malentendu, l'art. 80d bis, al. 4, let. b, P-EIMP rappelle le principe mentionné à l'art. 80m EIMP selon lequel 278 279

Arrêts du Tribunal pénal fédéral RR.2008.277 et RR.2015.10.

Voir l'art. 80d bis, al. 4, let. b, et 5, P-EIMP.

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les décisions rendues dans une procédure d'entraide sont uniquement notifiées aux ayant droits domiciliés en Suisse ou y ayant élu domicile (adresse de notification en Suisse).

Il est souhaitable que l'autorité requérante fasse dans la pratique un usage strict de l'art. 80d bis, al. 4, let. b et que la transmission anticipée soit portée à la connaissance de la personne touchée aussi rapidement que possible, afin qu'elle puisse se prononcer à ce sujet bien avant que ne soit rendue la décision de clôture. Ses éventuelles observations ne constitueront cependant pas un recours. En effet, seule la décision de clôture, et non pas la décision incidente prononçant la transmission anticipée, pourra être attaquée en application de l'art. 80d bis, al. 5, P-EIMP.

Selon l'art. 80d bis, al. 4, let. c, P-EIMP, l'autorité requérante devra s'engager avant la transmission anticipée à retirer du dossier de la procédure étrangère les informations ou moyens de preuve qui lui auront été remis de manière anticipée, si l'entraide est finalement refusée.

Cette condition permettra d'assurer d'une part que l'entraide ne sera pas contournée au moyen de la transmission anticipée d'informations et de moyens de preuve.

D'autre part, elle garantit que la personne touchée, qui n'aura pas encore pu s'opposer à la transmission anticipée selon l'art. 80d bis, al. 5, pourra faire valoir ses droits de manière effective avant la décision de clôture statuant sur l'octroi et l'étendue de l'entraide. L'exercice du droit d'être entendu de la personne touchée n'en sera que différé. Elle pourra contester la transmission anticipée au plus tard par recours contre la décision de clôture.

Art. 80d bis, al. 5 et 6 La transmission d'informations et de moyens de preuve avant la décision de clôture relèvera du procureur compétent. L'art. 80d bis, al. 5 et 6, P-EIMP permet à l'OFJ d'exercer un contrôle en sa qualité d'autorité de surveillance et de veiller à l'application correcte de la loi. Un éventuel recours de l'OFJ ou de l'ayant droit pourra uniquement être déposé contre la décision de clôture, afin de faire retirer du dossier de la procédure étrangère les actes ou moyens de preuve remis de manière anticipée (voir le commentaire de l'al. 4).

L'al. 6 tient compte de l'obligation de célérité à laquelle les autorités suisses compétentes sont
soumises et résulte d'une pesée proportionnée des intérêts en présence, comme dans les art. 20a, 78 et 79 EIMP, qui excluent également le droit de recours.

Dans la mesure où la décision de clôture pourra être attaquée, il n'en résultera aucun préjudice déterminant pour la personne touchée. Celle-ci pourra attaquer le nonrespect des conditions fixées à l'art. 80d bis, al. 4, let. a à c, P-EIMP. Les décisions incidentes antérieures peuvent, selon l'art. 25, al. 1, et l'art. 80e, al. 1, EIMP, être attaquées conjointement à la décision de clôture.

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4.4.3

Art. 80d ter à 80d duodecies P-EIMP: équipes communes d'enquête

4.4.3.1

Contexte

Les équipes communes d'enquête régies par les nouveaux art. 80d ter à 80d duodecies P-EIMP visent une action commune rapide et une coopération efficace. En matière de lutte contre le terrorisme notamment, ceci requiert la possibilité d'enquêter sur la dimension transfrontalière des infractions, lesquelles relèvent souvent du crime organisé. La participation d'autres États dans lesquels existent des liens avec l'infraction concernée ou avec lesquels la coordination est utile à d'autres égards est nécessaire.

À titre d'exemple de règles relatives aux équipes communes d'enquête, on peut citer l'art. 20 du Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale, l'accord consécutif aux attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis280, la Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative aux équipes communes d'enquête281 et la Résolution du Conseil relative à un modèle d'accord pour la création d'une équipe commune d'enquête, émise en 2017.

4.4.3.2

Commentaire des nouvelles dispositions

Art. 80d ter à 80d duodecies P-EIMP À l'instar du nouvel art. 80d bis P-EIMP, les nouveaux art. 80d ter à 80d duodecies P-EIMP sont des instruments d'entraide judiciaire «dynamique». Leur application pourra être requise par la complexité, la difficulté et le caractère transnational de l'affaire concernée ainsi que par la nécessité d'une intervention commune de plusieurs États. Les nouvelles dispositions fixent les conditions dans lesquelles une équipe commune d'enquête (ci-après «ECE») est créée et la manière dont elle s'acquitte de ses tâches. Les motifs pour lesquels l'art. 80d ter AP-EIMP (tel qu'envoyé en consultation) est remplacé par les art. 80d ter à 80d duodecies P-EIMP sont de nature rédactionnelle: l'application des dispositions doit être facilité par une formulation plus concise, sans excès de détail.

Art. 80d ter À l'origine d'une «ECE», il y a toujours une ou plusieurs demandes d'entraide judiciaire en matière pénale, comme le mentionne l'art. 80d ter, al. 3, P-EIMP, ainsi qu'une ou plusieurs enquêtes pénales, comme il ressort de l'art. 80d ter, al. 2. La demande d'entraide dans la procédure pénale concernée est une condition sine qua 280

Accord du 12 juillet 2006 entre le Département fédéral de justice et police et le Ministère de la Justice des États-Unis d'Amérique, agissant pour le compte des autorités compétentes de poursuite pénale de la Confédération suisse et des États-Unis d'Amérique concernant la constitution d'équipes communes d'enquête pour lutter contre le terrorisme et son financement; RS 0.360.336.1.

281 JO L 162 du 20.6.2002, p. 1 à 3, http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/ ?uri=celex:32002F0465.

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non de l'existence d'une ECE. L'institution de l'ECE est une mesure d'entraide judicaire qui sera adoptée par le procureur compétent et son pendant à l'étranger.

L'acte d'institution de l'ECE décrira clairement son but, par exemple en spécifiant un bref état des faits dont sont saisies les autorités judiciaires des États concernés (date et lieu des faits et qualification de l'infraction). Le but de l'ECE devra être précis et spécifié dans l'EIMP.

Un autre élément déterminant de l'ECE est sa durée limitée précisée à l'art. 80d ter, al. 4, EIMP, laquelle pourra, au besoin, être prolongée. Cet élément essentiel, au même titre que le but, mentionné à l'art. 80d duodecies P-EIMP, est lié à l'objectif de l'ECE, soit accroître l'efficacité des enquêtes pénales ou de parties de ces enquêtes282 dans les États concernés. La coordination d'enquêtes menées en parallèle dans plusieurs États s'en trouvera facilitée. Ces deux éléments fondamentaux (but précis et durée limitée) forment aussi le coeur de la réglementation des ECE à l'art. 20, par. 1, du Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale.

La réglementation relative à la nomination du responsable et des membres de l'ECE et à la participation d'experts ou d'auxiliaires externes à l'ECE figure à l'art. 80d ter, al. 5. L'ECE sera généralement instituée dans l'État dans lequel la majeure partie de l'enquête pénale a lieu. L'acte dans lequel le procureur suisse et son pendant à l'étranger instituent l'ECE revêtira la forme écrite et sera communiqué à l'OFJ en sa qualité d'autorité de surveillance (art. 80d ter, al. 6, P-EIMP).

Art. 80d quater à 80d sexies P-EIMP L'art. 80d quater P-EIMP détermine le droit applicable au sens de l'art. 20, par. 3, let. b, du Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale. Cette disposition prévoit que l'ECE mène ses opérations selon le droit de l'État sur le territoire duquel elle intervient. L'ECE doit respecter pleinement le droit applicable. L'art. 80d quater P-EIMP reprend cette règle, conforme aux art. 80a, al. 2, et 64, al. 1, EIMP (droit suisse applicable en Suisse).

Ceci permettra d'éviter des méprises car le droit de l'État concerné peut être très différent du droit suisse et présenter d'éventuelles spécificités
non souhaitées en cas d'enquête menée en Suisse.

En lien avec ce qui précède, l'art. 80d quinquies P-EIMP prévoit que les divers actes d'instruction relèveront de l'autorité pénale ou de l'autorité d'entraide de l'État dans lequel les actes d'enquête se déroulent. En Suisse, le procureur compétent assumera ce rôle. Quant aux actes exécutés à l'étranger, son pendant étranger en endossera la responsabilité.

L'art. 80d sexies P-EIMP régit la responsabilité pénale et civile des responsables et membres de l'ECE. Cette disposition usuelle reprend le contenu des art. 21 et 22 du Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale. Le principe est qu'un État est responsable du dommage causé par ses fonctionnaires lors de leur mission. L'État sur le territoire duquel le dommage est 282

Par ex., il arrive que l'Administration fédérale des finances soit associée à des enquêtes en qualité d'experte.

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occasionné par les fonctionnaires étrangers membres de l'ECE réparera le dommage, puis se fera rembourser par l'autre État.

Art. 80d septies P-EIMP L'art. 80d septies P-EIMP règlemente l'accès aux pièces. Cet accès pourra être limité selon le dossier pénal concerné. Les membres et le responsable étrangers de l'ECE auront accès aux pièces du dossier pénal nécessaires à leurs tâches. Il se pourra, selon l'art. 80d septies, al. 2, P-EIMP, que le procureur limite l'accès, par exemple lorsque la sécurité intérieure est engagée ou qu'une autre enquête pénale en cours le justifie. De même, il se pourra qu'il étende l'accès aux pièces d'un autre dossier pénal, afin de faciliter le travail de l'ECE. Le procureur qui institue l'ECE avec son pendant étranger examinera ces questions avant la création de l'ECE. Il pourra aussi donner accès à un dossier antérieur présentant un lien avec l'affaire dans laquelle l'ECE est mise sur pied ou au contraire restreindre l'accès à un dossier terminé.

L'art. 80d septies P-EIMP est à lire en lien avec l'art. 80d duodecies, al. 1, let. g, P-EIMP. Il précise que les experts et auxiliaires auxquels les membres de l'ECE au sens de l'art. 80d ter, al. 5, P-EIMP peuvent recourir n'ont pas le même statut que les membres et responsables de l'ECE. Cette règle correspond au contenu de l'art. 20, par. 12, du Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale. Au sens de l'art. 80d septies, al. 3, P-EIMP, ces personnes auront un rôle d'appui ou un rôle consultatif et ne seront pas autorisées à exercer les fonctions auxquelles sont habilités les membres ou les responsables de l'ECE, ni à utiliser les informations de l'ECE, sauf pour remplir les tâches qui leur sont confiées. Ces experts et auxiliaires fourniront une aide et des connaissances spécifiques. La prudence paraît de mise en cas de recours à des experts d'une administration fiscale étrangère, lorsque ces derniers seraient juridiquement obligés de poursuivre s'ils prennent connaissance d'un état de fait constituant une infraction fiscale dans l'État étranger; dans ce cas, un risque de contournement de l'entraide judiciaire existe.

La Suisse ayant une réglementation particulière en matière fiscale, l'al. 3 permet d'éviter que des experts ou auxiliaires étrangers qui auraient un
accès trop étendu à des actes pour lesquels l'entraide ne peut être accordée contournent cette voie.

L'art. 80d septies, al. 2, P-EIMP préserve des pièces pouvant représenter un secret d'État ou, plus généralement, les actes de la procédure suisse (rapports internes, prises de position, recours, décisions d'entrée en matière et de clôture, correspondance, notes internes, etc.) qui ont un caractère interne et ne doivent pas être remis à l'État requérant, ni à ses représentants dans l'ECE283 (voir également les explications relatives à l'art. 80d octies). Au sens des explications données ci-dessus, l'art. 80d septies, al. 3, prescrit que les experts et auxiliaires ont accès aux informations et moyens de preuve qui leur sont nécessaires pour exécuter leurs tâches, certaines pièces de la cause pénale concernée ne leur étant pas destinées.

283

Notamment l'arrêt du Tribunal pénal fédéral RR.2011.143, consid. 5, et les références citées.

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Art. 80d octies et 80d novies P-EIMP La coopération favorise les enquêtes dans les différents États concernés et la réglementation de l'art. 80d octies P-EIMP assure que l'entraide judiciaire ne soit pas contournée. La transmission anticipée est régie par l'art. 80d bis P-EIMP.

L'art. 80d octies P-EIMP est à lire en lien avec l'art. 80d novies P-EIMP, qui garantit la confidentialité également pour les procédures autres que celle à l'origine de l'ECE mais présentant des relations avec elle. L'art. 80d novies P-EIMP exige de l'ECE qu'elle applique et respecte les dispositions en matière de protection des données de l'État dans lequel elle intervient. Les mesures d'enquête déployées en Suisse, par exemple le recours à des moyens techniques de surveillance des télécommunications, répondront donc aux exigences du droit suisse de la protection des données.

Art. 80d decies à 80d duodecies P-EIMP L'art. 80d decies P-EIMP régit les éventuels contacts avec les médias dans le cadre d'une ECE. En 2014, le MPC, qui était en contact notamment avec l'OIA étasunienne («Office of International Affairs») a par exemple publié un communiqué concernant trois ressortissants irakiens présumés appartenir à l'organisation État islamique284. En 2017, le MPC a publié différents communiqués de presse en matière de lutte contre le terrorisme, dont l'un en rapport avec une ECE franco-suisse285.

L'art. 80d undecies P-EIMP relatif à la prise en charge des coûts s'inspire de l'art. 5 du Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale.

L'art. 80d duodecies, al. 1, let. a à k, P-EIMP fixe le contenu minimal de l'acte d'institution de l'ECE. Cette disposition fondamentale s'applique en lien avec les art. 80d ter à 80d undecies, qui régissent les autres points se rapportant aux ECE. Le contenu de l'acte d'institution pourra être complété par l'autorité fédérale ou cantonale d'entraide et par son pendant étranger et inclure, par exemple, une réglementation relative aux conditions se rapportant à l'utilisation de véhicules personnels, voire à un éventuel port d'arme.

L'art. 80d duodecies, al. 2, P-EIMP prévoit la possibilité que l'acte instituant l'ECE puisse être adapté selon les besoins de l'enquête. Seule l'autorité judiciaire suisse (procureur) et l'autorité judiciaire étrangère
qui ont établi cet acte, et par conséquent l'ECE, seront habilitées à le modifier, les responsables ou les membres de l'ECE n'en auront pas la compétence, car ladite adaptation représente une mesure d'entraide judiciaire en matière pénale. L'institution de l'ECE constituant elle aussi une mesure d'entraide judiciaire en matière pénale, elle pourra faire l'objet d'un recours en même temps que la décision de clôture de la procédure d'entraide judi-

284

www.ministerepublic.ch > Médias > Communiqués de presse > 31.10.2014 > Des projets d'attentat de l'EI en Europe déjoués.

285 www.ministerepublic.ch > Médias > Communiqués de presse > 21.9.2017 > «Mise en accusation par le Ministère public de la Confédération de trois membres du Comité du Conseil central islamique suisse (CCIS)»; et www.ministerepublic.ch > Médias > Communiqués de presse > 7.11.2017 > Lutte contre le terrorisme: Opérations coordonnées en Suisse et en France.

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ciaire, pour autant que la personne touchée ait qualité pour recourir au sens de l'art. 25 EIMP.

4.5

Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme: modification des compétences du Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS)

4.5.1

Renforcement des compétences du MROS

Dans la lutte contre le financement du terrorisme, les cellules de renseignements financiers (CRF) occupent un rôle important et central. Le législateur suisse adapte régulièrement les compétences du MROS afin de répondre aux défis auxquels ce dernier doit faire face. C'est ainsi que lors de la modification du 21 juin 2013286 de la loi du 10 octobre 1997 sur le blanchiment d'argent (LBA) 287, le MROS s'est vu, dans le cadre de son mandat d'analyse des communications de soupçons, attribuer la compétence de s'adresser à des intermédiaires financiers qui n'ont pas communiqué de soupçon, comme requis par la recommandation 29 du GAFI.

Entré en vigueur le 1er novembre 2013, l'art. 11a LBA a permis de renforcer les capacités d'analyse du MROS. En effet, avant l'introduction de cette disposition, notamment de son al. 2, le MROS ne pouvait pas s'adresser à un intermédiaire financier qui n'avait pas communiqué de soupçon, même si son nom figurait dans une communication de soupçon d'un autre intermédiaire financier. Dans ses analyses, le MROS se limitait à informer les procureurs de l'existence de ces transactions ou des relations d'affaires détectées. Cette impossibilité de contacter des intermédiaires financiers tiers afin de clarifier certaines situations se traduisait par un taux élevé de transmission des communications aux autorités de poursuite pénale.

Comme le montrent les statistiques du MROS, le nombre de demandes que ce dernier adresse aux intermédiaires financiers qui n'ont pas communiqué en vertu de l'art. 11a, al. 2, LBA est en hausse constante. Quant au taux de transmission aux autorités de poursuite pénale, il a diminué depuis l'entrée en vigueur de cet article.

Cela démontre l'utilité et les effets de cette disposition, qui contribue à clarifier différentes situations et évite ainsi de charger les autorités de poursuite pénale avec des communications de soupçon peu fondées.

Dans l'état actuel de l'art. 11a LBA, le MROS demande ainsi des informations supplémentaires seulement s'il a reçu une communication de soupçon dont l'analyse exige des approfondissements. Dans son message de 2012, le Conseil fédéral précise: «Le cercle des intermédiaires financiers tiers auxquels le bureau de communication peut s'adresser au sens de l'al. 2 est donc toujours en lien avec la communication de soupçon établie par un intermédiaire financier et les informations résultant de l'analyse de cette communication.» 286 287

RO 2013 3493; FF 2012 6449 RS 955.0

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L'art. 11a, al. 2, LBA ne permet néanmoins pas de répondre suffisamment efficacement aux défis actuels, notamment en matière de lutte contre le financement du terrorisme. L'exigence d'une communication de soupçons comme condition préalable à la demande d'information auprès d'un intermédiaire financier empêche le MROS d'utiliser toutes les informations disponibles, par exemple en cas de demande ou d'information spontanée en provenance d'un homologue étranger. Dans un tel cas, le MROS vérifie les informations dans sa base de données. Il ne peut approfondir son analyse en demandant des informations aux intermédiaires financiers et, le cas échéant, informer l'autorité de poursuite pénale compétente que s'il a reçu au préalable une communication,. Le problème se pose lors d'une demande ou d'une information spontanée étrangère, sans que le MROS n'ait reçu une communication de soupçons de la part d'un intermédiaire suisse en lien avec ladite demande ou information spontanée. Dans une telle situation, le MROS est en possession d'une information importante, potentiellement sensible, voire néfaste, pour la place financière suisse et sa réputation, mais qu'il ne peut transférer à une autorité de poursuite pénale sans l'autorisation préalable de l'homologue étranger288. Il s'ensuit que, sans une telle autorisation, l'information reste bloquée au MROS car ce dernier violerait aussi bien les normes du GAFI sur l'entraide administrative entre CRF289 que ses engagements au sein du Groupe Egmont s'il la transmettait à une autorité de poursuite en Suisse sans autorisation préalable. Or, s'agissant de renseignements échangés entre les CRF, l'autorisation étrangère de transmettre l'information à un procureur n'est pas toujours donnée. Par ailleurs, pour le procureur, il serait difficile d'ouvrir une instruction sur la seule base d'un numéro de compte et d'une information non corroborée par le MROS. Transférer systématiquement l'information à un procureur pourrait en outre mener à une situation contradictoire: le MROS servirait de filtre pour toutes les communications ou informations qui proviennent des intermédiaires financiers suisses, mais transmettrait aux autorités de poursuite pénale, sans effectuer de vérifications, les informations qui proviennent de l'étranger.

4.5.1.1

Évaluation du GAFI concernant les compétences du MROS

En 2016, la Suisse a fait l'objet d'une évaluation par ses pairs au GAFI. Du point de vue de la conformité technique, la recommandation 29 du GAFI, relative aux CRF, est considérée par les évaluateurs comme entièrement remplie. Le rapport met toutefois en évidence l'absence de compétence du MROS pour traiter les demandes étrangères de manière complète, dans la mesure où il ne peut s'adresser aux intermédiaires financiers sans communication de soupçon préalable. Le fait que le MROS puisse, sur la base des informations étrangères, s'adresser aux autorités de 288

Voir le message du 27 juin 2012 relatif à la modification de la loi sur le blanchiment d'argent, FF 2012 6462.

289 Voir le le ch. 3 de la note interprétative de la recommandation 40 du GAFI selon lequel «Les informations échangées devraient exclusivement être utilisées aux fins pour lesquelles elles ont été sollicitées ou fournies. Toute dissémination des informations à d'autres autorités ou à des tiers ou toute utilisation des informations à des fins administratives, judiciaires, d'enquête ou de poursuite dépassant celles initialement arrêtées devrait faire l'objet d'une autorisation préalable de la part de l'autorité compétente requise».

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surveillance ou de poursuite pénale en Suisse pour que ces dernières prennent les mesures adéquates, n'est pas suffisant selon le GAFI. Pour les évaluateurs, cette manière de procéder ne garantit pas au MROS l'accès aux informations demandées par un homologue étranger. Les évaluateurs constatent une différence de traitement entre les informations reçues via les communications de soupçon au niveau national et celles obtenues grâce à l'entraide administrative avec les CRF étrangères. Une recommandation importante du GAFI, la recommandation 40, qui traite de la coopération internationale autre que judiciaire entre les différentes autorités, est ainsi évaluée comme seulement partiellement conforme (donc insuffisante) pour la Suisse. Cela est en grande partie dû aux limites de la coopération que le MROS est en mesure de fournir.

Au-delà du manque de conformité technique avec la recommandation 40 du GAFI, l'impossibilité de s'adresser aux intermédiaires financiers sans communication de soupçon préexistante a également été considérée comme limitant l'efficacité de la coopération internationale accordée par le MROS. En raison du rôle de cette forme de coopération dans le contexte de la Suisse, en particulier compte tenu de l'importance de sa place financière, les évaluateurs ont considéré qu'il s'agissait en l'occurrence d'une défaillance notable et ont jugé que le niveau d'efficacité atteint par la Suisse au niveau de la coopération internationale n'était que modéré. Cette notation est également insuffisante.

Les évaluateurs ont expressément recommandé à la Suisse de lever les limites qui affectent l'étendue des échanges d'informations auxquels peut procéder le MROS.

La correction de cette défaillance quant à la recommandation 40 concernant la coopération internationale du MROS fait partie des huit actions prioritaires demandées à la Suisse par les évaluateurs, ce qui démontre l'importance accordée à la coopération du MROS. Il convient par conséquent d'agir rapidement pour lever les limites légales empêchant ce dernier de coopérer efficacement avec ses homologues étrangers, en particulier dans la lutte contre le financement du terrorisme, mais également s'agissant de lutter contre d'autres formes de criminalité financière, comme le blanchiment d'argent.

4.5.1.2

Principes du Groupe Egmont

Le Conseil fédéral s'est déjà exprimé sur les interactions entre le GAFI et le Groupe Egmont290. Ce dernier est un groupe opérationnel visant à faciliter l'échange d'informations entre les CRF des différents pays membres. Le MROS est membre du Groupe Egmont depuis 1998. Il utilise activement le canal sécurisé d'échange d'informations mis en place par le Groupe Egmont. Rien qu'en 2016, les échanges d'informations avec les homologues étrangers ont concerné plus de 7000 sujets (personnes physiques ou morales). Ces échanges sont d'une importance cruciale pour les analyses du MROS, dont une majorité des communications de soupçon contiennent un élément d'extranéité. Cela s'explique par l'importance de la place financière suisse et son caractère international.

290

Voir le message du 27 juin 2012 relatif à la modification de la loi sur le blanchiment d'argent, FF 2012 6457.

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L'échange d'informations au Groupe Egmont se base sur les principes du GAFI en les concrétisant. Concernant les critères de la recommandation 40, les principes du Groupe Egmont précisent: FIUs should be able to conduct queries on behalf of foreign FIUs, and exchange with these foreign FIUs all information that they would be able to obtain if such queries were carried out domestically. Ce principe revient à dire que le MROS devrait traiter les informations étrangères de la même manière que les communications de soupçons reçues de la part des intermédiaires financiers au niveau national. Or, en vertu de l'art. 11a, al. 2, LBA, le MROS peut s'adresser à un intermédiaire financier sur la base d'une communication de soupçons d'un intermédiaire financier suisse mais pas sur la base d'une information étrangère. Il s'ensuit que les deux sources d'informations (nationale et internationale) ne sont pas traitées sur un pied d'égalité comme l'exigent les principes du Groupe Egmont. De la pratique du MROS, il ressort aussi que l'absence d'application de ce principe a un impact fort sur les échanges internationaux, puisqu'il doit donner une réponse négative à environ 60 % des demandes étrangères.

4.5.1.3

Droit comparé

La quatrième directive anti-blanchiment du Parlement et du Conseil de l'Union européenne du 20 mai 2015 (2015/849)291 prévoit à son art. 53, par. 2, que lorsqu'elles répondent à une demande étrangère, les CRF sont tenues d'avoir recours à tous les pouvoirs et compétences qu'elles auraient utilisés pour répondre à une demande nationale. L'on retrouve ici le principe du GAFI et du Groupe Egmont qui exige que les demandes étrangères et nationales soient traitées sur un pied d'égalité.

Différentes CRF semblables au MROS, c'est-à-dire de type administratif, sont compétentes pour s'adresser aux entités assujetties sans la condition préalable d'une communication de soupçons existante.

Ainsi, en France, l'art. L. 561-25292 du Code monétaire et financier attribue à la CRF (Tracfin) la compétence de demander aux professions déclarantes tous les documents et pièces dont elle a besoin et dans les délais qu'elle fixe. Cette compétence appelée «droit de communication auprès des professionnels» est aussi expressément prévue par la disposition susmentionnée afin de répondre aux demandes des CRF étrangères.

La législation italienne prévoit les compétences de sa CRF (UIF) de manière plus générale. Ainsi, en vertu de l'art. 6, par. 5 et 6, du décret législatif 231/2007 modifié par le décret législatif 90/2017, l'UIF peut obtenir sur demande ou à travers des inspections auprès des entités soumises audit décret toutes les informations et don291

Directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) n o 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE), JO L 141 du 5.6.2015, p. 73 à 117.

292 Modifié par l'art. 5 de l'Ordonnance no 2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

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nées nécessaires pour exercer ses fonctions. Cette disposition ne prévoit pas de conditions (comme l'existence d'une communication de soupçons préalable). Il s'ensuit que l'UIF peut l'utiliser tant pour les demandes fondées sur ses analyses que pour celles en provenance des homologues étrangers.

En Belgique, la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme prévoit à son art. 22, par. 2, que la CRF belge (CTIF) est chargée de recevoir et d'analyser les informations transmises notamment par les organismes étrangers remplissant des fonctions similaires aux siennes, dans le cadre d'une collaboration mutuelle. Dans ce cadre, en vertu de l'art. 33, par. 1, de la loi, la CTIF peut demander des informations complémentaires aux intermédiaires financiers si elle les juge utiles à l'accomplissement de sa mission. Or la coopération internationale fait partie intégrante de ses fonctions selon l'art. 22, par. 2. Les informations transmises par une CRF étrangère sont d'office traitées comme une déclaration de soupçons, attribuant par conséquent à la CTIF tous les pouvoirs nécessaires dont elle dispose pour effectuer son analyse.

Le Liechtenstein attribue aussi une compétence générale à sa CRF (Stabstelle FIU).

En vertu de l'art. 5a, al. 1, let. b, de la loi du 14 mars 2002 sur la cellule de renseignements financiers, la Stabstelle FIU peut demander des informations selon l'art. 19a, al. 1, de la loi du 11 décembre 2008 sur les obligations de diligence. Cette dernière précise que les informations sont utilisées notamment à des fins d'analyse, qui est l'un des principaux domaines d'activité de la Stabstelle FIU. L'origine interne ou internationale des informations utilisées pour les analyses ne joue pas de rôle. L'existence d'une communication de soupçons n'est pas une condition préalable pour demander les informations nécessaires aux analyses de la Stabstelle FIU.

La loi allemande du 23 juin 2017293 prévoit explicitement que la CRF peut s'adresser à toutes les entités soumises à la loi pour leur demander des informations, même sans communication de soupçon préalable, dans le cadre de l'exercice de ses compétences (§ 30 al. 3). En outre, elle autorise la CRF à s'adresser tant aux autorités qu'à toutes les entités soumises à la loi, afin de répondre aux demandes étrangères (§ 35, al. 2).

4.5.1.4

Nouvel al. 2bis à l'art. 11a LBA

Les possibilités restreintes dont dispose le MROS concernent tant le financement du terrorisme que le blanchiment d'argent et ses infractions préalables. L'utilisation de ces informations est importante pour éviter que la place financière suisse soit utilisée pour placer des fonds d'origine criminelle. Dans les cas de financement du terrorisme, ces informations pourraient concerner la sécurité nationale et internationale.

Au vu de ce qui précède, il faut intervenir avec la présente modification afin d'attribuer au MROS la compétence de s'adresser aux intermédiaires financiers aussi sur la base d'une demande ou d'une information spontanée d'un homologue étranger.

Cette compétence est en effet nécessaire pour que le MROS puisse exercer ses 293

Accessible à l'adresse: www.gesetze-im-internet.de > Titelsuche > GwG.

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fonctions de manière optimale et contribuer ainsi efficacement à la lutte internationale contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

La nouvelle disposition doit être placée dans la section 3 «Remise d'informations» de la LBA. Il s'agit d'un sujet semblable à celui de l'art. 11a, al. 2, à savoir une demande d'informations adressée par le MROS à un intermédiaire financier qui n'a pas effectué de communication de soupçons préalable en lien avec la demande du MROS. La base utilisée par le MROS pour s'adresser à un intermédiaire financier est toutefois différente puisqu'il est question ici d'une information étrangère, par exemple une demande d'entraide administrative d'un homologue, et non pas d'une communication de soupçons d'un autre intermédiaire financier suisse. Vu cette différence de point de départ, mais aussi par souci de clarté du texte de l'art. 11a LBA, il est indiqué d'opter pour la création d'un nouvel alinéa plutôt que pour la modification de l'al. 2. Il est donc proposé d'introduire un al. 2bis à l'art. 11a LBA, qui étend les compétences du MROS en autorisant ce dernier à s'adresser aux intermédiaires financiers sur la base d'une information étrangère. Le MROS traitera ainsi de la même manière une information en provenance d'un intermédiaire financier suisse et celle en provenance d'un homologue étranger. Il pourra ainsi s'adapter aux défis actuels en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, ainsi qu'aux exigences internationales en la matière.

Un complément devra être ajouté à l'art. 11a, al. 3, concernant le délai fixé par le MROS pour la livraison des documents. Il s'agira d'ajouter le nouvel al. 2bis à l'al. 3 de l'art. 11a LBA.

4.5.1.5

Commentaire de l'art. 11a, al. 2bis, LBA

Cette nouvelle disposition complète les compétences du MROS en matière d'entraide administrative internationale. Elle se réfère aux demandes d'information étrangères que le MROS traite en vertu des art. 30 à 32 LBA.

Le nouvel art. 11a, al. 2bis, se réfère tout d'abord à une analyse du MROS. Il ne s'agit pas ici de l'analyse d'une communication de soupçons d'un intermédiaire financier. Ce cas est déjà réglé par l'art. 11a, al. 1, s'agissant d'un complément d'informations lors du traitement d'une communication de soupçons. Il est plutôt question de situations dans lesquelles le MROS reçoit une requête étrangère sans qu'aucune communication de soupçons de la part d'un intermédiaire financier en Suisse ne lui soit parvenue. Dans un tel cas, l'analyse consiste tout d'abord à vérifier les noms et à les enregistrer dans le système informatique prévu à l'art. 23, al. 3, LBA. Le MROS vérifie ensuite dans toutes les bases de données disponibles si les personnes physiques ou morales concernées par la demande de l'homologue étranger sont connues par les autres autorités en Suisse. À la fin de ces recherches et vérifications, la dernière étape de l'analyse du MROS consiste à évaluer les informations disponibles et à préparer le rapport de réponse pour son homologue étranger.

C'est de cette analyse dont il est question à l'art. 11a, al. 2bis, LBA. Les demandes étrangères et les communications du MROS seront dès lors traitées de la même manière. Dans le cadre de son activité, le MROS applique en outre directement les principes du Groupe Egmont.

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Cette disposition se réfère ensuite aux informations en provenance d'un homologue étranger. Les informations des homologues étrangers sont de deux sortes: les demandes d'informations et les informations spontanées. Les demandes d'informations des CRF étrangères peuvent avoir différents points de départ. Cette variété est due à la diversité des systèmes de communication294 et, par conséquent, aux compétences des CRF. Ces demandes peuvent ainsi trouver leur source notamment dans les communications de soupçons des intermédiaires financiers dans le pays en question ou dans les analyses effectuées par la CRF étrangère sur la base des informations qu'elle reçoit au niveau national ou international. Quant aux informations spontanées, elles se distinguent des précédentes dans le sens que la CRF étrangère ne demande pas de réponse. Elle se limite à fournir au MROS une information (dont l'origine est la même que les demandes d'informations susmentionnées) en lien avec la Suisse. Le MROS analyse de la même manière les deux sortes d'informations. En vertu du nouvel art. 11a, al. 2bis, les recherches du MROS dans le cadre de ces informations ne se limiteront plus aux bases de données ou à l'entraide administrative avec d'autres autorités suisses pour analyser et répondre aux demandes étrangères. Désormais, le MROS pourra aussi demander des informations aux intermédiaires financiers.

Le MROS adresse directement une demande de renseignements à l'intermédiaire financier. Les informations obtenues sont utilisées seulement dans le cadre des analyses se référant au blanchiment d'argent, à ses infractions préalables et au financement du terrorisme. Cette demande ne provoque pas automatiquement une communication de soupçons de l'intermédiaire financier au MROS. Comme le Conseil fédéral l'a précisé295, l'intermédiaire financier qui reçoit une telle demande doit y répondre. Il ne peut toutefois pas ignorer le fait qu'il s'agit d'une demande d'une autorité basée sur des soupçons de blanchiment ou de financement du terrorisme.

L'intermédiaire financier doit donc effectuer des clarifications supplémentaires et, en cas de soupçons, communiquer le cas au MROS.

L'échange d'informations est réglé par les art. 30 ss LBA. Pour accéder aux demandes étrangères, le MROS vérifie tout d'abord les conditions de l'art. 30 LBA. Il
s'agit notamment de l'application du principe de spécialité, de la réciprocité et du respect du secret de fonction. Les demandes des homologues étrangers doivent ensuite répondre aux exigences de l'art. 31 LBA. Ainsi, le MROS ne peut pas entrer en matière sur des demandes qui ne présentent manifestement pas de lien avec la Suisse (fishing expeditions). Il ne répondra pas non plus aux requêtes qui visent à contourner la voie de l'entraide internationale en matière pénale. Enfin, il ne fournira pas de réponse dans les cas où les intérêts nationaux ou la sécurité et l'ordre public suisse pourraient être compromis. Le MROS transmet des informations seulement sous forme de rapport (intelligence) et non des moyens de preuve. Le Conseil fédéral considère par conséquent que l'échange d'informations par le 294

Le système suisse de communication qui s'appuie sur une analyse des soupçons diffère de la plupart des systèmes de communication étrangers, qui s'appuient majoritairement sur les transactions suspectes (STR, «suspicious transaction report»), voire sur de simples montants limites fixés pour les transactions (CTR, «currency transaction report»), ou encore sur les transactions inusuelles (UTR, «unusual transaction reports»).

295 Voir le message du 27 juin 2012 relatif à la modification de la loi sur le blanchiment d'argent, FF 2012 6481.

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MROS est suffisamment encadré par la loi. Pour cette raison, les propositions reçues pendant la consultation des milieux intéressés visant à limiter l'application de l'art. 11a, al. 2bis, seulement à certaines infractions ne peuvent pas être prises en compte. En outre, cette limitation contreviendrait aux principes du Groupe Egmont, notamment au principe de disponibilité, à propos duquel le Conseil fédéral s'est déjà exprimé par le passé296.

L'intermédiaire financier requis mettra à disposition du MROS les informations dont il dispose. Comme le Conseil fédéral l'a précisé 297, dans le cadre de l'art. 11a LBA, «Sont considérées comme disponibles toutes les informations qui sont en possession des entités d'une entreprise ou qui peuvent être acquises, pour autant que ces entités relèvent de la juridiction suisse».

Selon l'art. 11a, al. 3, les intermédiaires financiers répondent aux demandes du MROS dans les délais fixés par ce dernier. Ces délais seront désormais fixés par le bureau de communication aussi pour les demandes en vertu de l'art. 11a, al. 2bis, LBA. De surcroît, le Conseil fédéral a déjà précisé que la violation de l'art. 11a peut remettre en question la garantie de l'activité irréprochable de l'intermédiaire financier. Pour cette raison, il n'a pas jugé nécessaire de prévoir des sanctions spéciales lors de l'introduction de l'art. 11a en cas de violation de ce dernier298. Cette position est entièrement applicable à l'art. 11a, al. 2bis.

Par ailleurs, en vertu de l'art. 11a, al. 5, l'exclusion de la responsabilité pour les intermédiaires financiers s'applique aussi pour les informations que ces derniers remettront au MROS selon le nouvel art. 11a, al. 2bis.

4.5.2

Obligation des négociants de communiquer les soupçons de financement du terrorisme

4.5.2.1

Complément des modifications de la LBA concernant les négociants

Lors de la modification de la LBA du 12 décembre 2014299, des dispositions ont été introduites pour les personnes physiques ou morales qui, à titre professionnel, négocient des biens et reçoivent des espèces en paiement de plus de 100 000 francs («négociants» au sens de l'art. 2, al. 1, let. b, LBA). Dans de tels cas, les négociants doivent se conformer aux obligations de diligence prévues à l'art. 8a LBA, comme identifier le client et l'ayant droit économique ou encore clarifier l'arrière-plan et le but de l'opération de négoce dans certaines circonstances. Ces obligations sont applicables même si le paiement en espèces est intervenu en plusieurs tranches.

Elles ne le sont pas par contre si le paiement se fait par le biais d'un intermédiaire financier.

296

Voir le message du 27 juin 2012 relatif à la modification de la loi sur le blanchiment d'argent, FF 2012 6649 6459.

297 Voir le message du 27 juin 2012 relatif à la modification de la loi sur le blanchiment d'argent, FF 2012 6649 6481.

298 Voir le message du 27 juin 2012 relatif à la modification de la loi sur le blanchiment d'argent, FF 2012 6649 6483 s.

299 RO 2015 1389; FF 2014 585

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En vertu de l'art. 9, al. 1bis, LBA, si, à la fin de ces clarifications, le négociant a des soupçons fondés que les espèces utilisées proviennent d'une organisation criminelle ou sont le produit du blanchiment d'argent, qu'elles proviennent d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié, ou encore qu'elles sont soumises au pouvoir de disposition d'une organisation criminelle, il a l'obligation d'informer immédiatement le MROS.

Comme les évaluateurs du GAFI l'ont relevé, cette obligation ne s'étend toutefois pas aux cas où le négociant soupçonne un lien avec le financement du terrorisme.

Dans un tel cas, le négociant doit actuellement s'adresser à la police. Les informations ne vont donc pas directement au MROS, qui pourrait les vérifier et les compléter, notamment en échangeant des informations avec ses homologues étrangers. Les soupçons de financement du terrorisme fondent déjà une obligation de communiquer pour les intermédiaires financiers (art. 9, al. 1, let. a, ch. 4, LBA). Il y a donc un manque de cohérence entre l'al. 1 et l'al. 1bis de l'art. 9 LBA. Cette différenciation entre les soupçons de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme pour les négociants n'est pas justifiée et doit être supprimée. L'art. 9, al. 1bis, doit par conséquent être complété par une nouvelle let. d faisant référence au financement du terrorisme. D'autres dispositions en lien avec les négociants, comme l'art. 8a et l'art. 15 LBA, doivent être complétées pour refléter cette modification.

4.5.2.2

Commentaire des nouvelles dispositions

La nouvelle let. d de l'art. 9, al. 1bis, LBA introduit l'obligation pour les négociants d'annoncer immédiatement au MROS les soupçons fondés de financement du terrorisme. Cette nouvelle lettre reprend le texte même de l'art. 9, al. 1, let. a, ch. 4, LBA relatif à l'obligation d'annonce du financement du terrorisme prévue pour les intermédiaires financiers.

Cette nouvelle obligation d'annonce des négociants ne vaut que pour les transactions en espèces de plus de 100 000 francs conformément à l'art. 8a LBA. Il s'ensuit que cette dernière disposition doit aussi être adaptée par l'ajout du financement du terrorisme à son al. 2, let. b.

L'obligation de communiquer des négociants doit aussi se répercuter sur leurs organes de révision. Si ces derniers constatent qu'un négociant n'a pas rempli son devoir de communiquer prévu au nouvel art. 9, al. 1bis, let. d, ils doivent en informer immédiatement le MROS. Pour cette raison, l'art. 15, al. 5, LBA doit être complété d'une nouvelle let. d qui vise ces situations.

4.6

Autres questions étudiées et autres adaptations

4.6.1

Concours d'infractions

Selon les situations, les champs d'application des nouvelles dispositions ou des dispositions révisées pourront se recouper. Les autorités de poursuite pénale et les tribunaux auront donc pour tâche de déterminer les dispositions pénales applicables dans le cas concret.

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Lorsqu'il faudra déterminer les relations entre les dispositions pénales, il faudra notamment avoir à l'esprit que pour interdire une organisation en application de l'art. 74 P-LRens, il faut que celle-ci menace concrètement la sûreté intérieure ou extérieure. Si l'on constate une telle menace et que le Conseil fédéral prononce une interdiction après avoir consulté les commissions parlementaires compétentes, il y a de fortes indications que l'art. 74 P-LRens sera applicable aux infractions commises.

Notons à cet égard que l'application de cet article ne se limite pas aux organisations qui remplissent les exigences de l'art. 260ter P-CP au niveau des structures et du degré d'organisation. Vu la menace qui émane des organisations et groupements au sens de l'art. 74 P-LRens, vu aussi la jurisprudence du Tribunal fédéral, il y a néanmoins lieu de croire que les organisations interdites en vertu de la LRens rempliront fréquemment les exigences fixées à l'art. 260ter P-CP, auquel cas cet article primera en tant que disposition pénale plus sévère.

Le nouvel article du CP relatif au recrutement, à l'entraînement et au voyage en vue d'un acte terroriste300 sanctionne quiconque joue un rôle actif ou passif en matière d'entraînement, recrute (activement) des personnes, entreprend un voyage en vue d'un acte terroriste ou soutient un tel voyage. Malgré sa conception et sa formulation spécifiques, il ne prime pas forcément les dispositions plus générales sur la participation et le soutien à une organisation criminelle, et ce d'autant moins que la nouvelle disposition relative aux organisations terroristes prévoira une peine plus élevée.

Pour que l'art. 260sexies soit applicable, il n'est pas forcément nécessaire que l'infraction commise présente un lien avec une quelconque organisation; il peut très bien s'agir d'auteurs isolés. Si le recrutement, l'entraînement ou le voyage en vue d'un acte terroriste ne représente qu'une partie du soutien ou de la participation à une organisation et que l'application d'une seule disposition ne suffit pas à couvrir toute l'illicéité de l'acte, il y a concours idéal entre les deux dispositions pénales (c'est-à-dire entre l'art. 260sexies et l'art. 260ter P-CP ou l'art. 74 P-LRens).

4.6.2

Art. 260quinquies CP: financement du terrorisme

La Convention et son Protocole additionnel n'ont aucun impact direct sur l'art. 260quinquies CP, qui réprime le financement du terrorisme. Le projet est néanmoins l'occasion de s'y intéresser. Avant toute chose, il sied de souligner ici que l'examen de l'art. 260quinquies CP par le GAFI n'a pas révélé de lacunes importantes.

De plus, même si aucune condamnation pénale n'a été prononcée en application de cette disposition, il n'en demeure pas moins qu'elle joue un rôle important dans le contexte de l'entraide judiciaire en matière pénale ­ qui soumet la mise en oeuvre de mesures de contrainte à l'exigence de la double incrimination301 ­ et qu'elle fait partie des infractions figurant à l'art. 9 de la loi fédérale concernant le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, relatif à l'obligation de dénoncer des intermédiaires financiers. Enfin, les critiques dont l'art. 260quinquies CP fait l'objet n'imposent pas de révision. En effet, si la plupart des auteurs sont d'accord pour dire que les al. 1 et 2 de l'art. 260quinquies excluent uniquement le dol éventuel, et pas en 300 301

Art. 260sexies P-CP Art. 64 EIMP

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plus le dol direct de second degré, certains d'entre eux se demandent si cette exclusion est justifiée, notamment au regard d'autres infractions réprimant la création d'une situation à risque302. Or, sur ce point, les arguments invoqués par le Conseil fédéral en 2002 gardent toute leur validité: l'infraction de financement du terrorisme étend le champ d'application du CP à un comportement situé en amont d'une infraction, de sorte qu'il faut poser des exigences plus strictes en ce qui concerne l'élément subjectif de l'infraction303. Quant aux al. 3 et 4, ils ne sont pas franchement contestés sur le fond. Certains auteurs estiment tout au plus qu'ils ne sont pas indispensables, car ils sont couverts par les dispositions générales sur les motifs justificatifs304. Par ailleurs, en niant l'admissibilité du caractère politique d'un acte en cas de recours à des actes de violence graves, le Tribunal fédéral a précisé que l'al. 3 ne pouvait s'appliquer qu'à des conditions exceptionnelles305 et, du même coup, confirmé qu'il n'entrait pas en conflit avec les obligations internationales de la Suisse, notamment celles découlant de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme. Comme rappelé plus haut, le GAFI n'a à juste titre relevé aucune insuffisance de l'art. 260quinquies CP sur ce point.

4.6.3

Norme pénale contre le terrorisme

Il n'existe pas en droit pénal suisse de norme générale contre le terrorisme. Ses dispositions n'en englobent pas moins tous les actes à motivation terroriste, tous sanctionnés par de lourdes peines. En dehors des dispositions concernant les infractions communes306, qui couvrent le terrorisme en tant qu'infraction principale (pouvant justifier jusqu'à une peine privative de liberté prononcée à vie) et la participation à des actes terroristes, il sanctionne aussi les actes préparatoires307, la participation et le soutien à des organisations terroristes et le financement d'actes terroristes.

Il n'est pas un cas où l'on a pu constater des lacunes juridiques dans la lutte contre le terrorisme, ni au niveau de la poursuite pénale (mesures de contrainte comprises) ou de l'entraide judiciaire internationale, ni dans la jurisprudence. Le droit pénal suisse a toujours constitué une base appropriée pour l'activité des autorités compétentes. Il ne semble donc nullement nécessaire d'instaurer une norme pénale spécifique contre le terrorisme, qui s'appliquerait en dehors de tout lien avec une organisation.

302

303

304 305 306

307

Sur l'ensemble de cette problématique, voir en particulier Fiolka, in: Niggli/Wiprächtiger, Basler Kommentar, Strafrecht II, Bâle 2013, no 21 ad art. 260quinquies CP et les références citées; Jositsch, Terrorismus oder Freiheitskampf?, ZStrR 2005, p. 462.

Message du Conseil fédéral du 26 juin relatif aux Conventions internationales pour la répression du financement du terrorisme et pour la répression des attentats terroristes à l'explosif ainsi que la modification du code pénal et à l'adaptation d'autres lois fédérales (FF 2002 5014, 5066).

Voir notamment Perrin/Gafner, Le droit de la lutte anti-terroriste, in: Rapports suisses présentés au XIXe Congrès international de droit comparé, Zurich 2014, p. 359.

ATF 131 II 235, consid. 3.3.

Par ex. les infractions contre la vie et l'intégrité corporelle, les infractions contre la liberté, les infractions créant un danger collectif, les infractions contre la paix publique et les dispositions du droit pénal accessoire.

Art. 260bis CP

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Les avantages d'une telle norme, d'ailleurs proposée dans le cadre de la mise en oeuvre des Conventions internationales pour la répression du financement du terrorisme et des attentats terroristes à l'explosif 308 et refusée par le Parlement en 2002, sont avant tout symboliques. Son adoption permettrait au législateur de poser un acte (supplémentaire) contre cette forme de criminalité et de réaffirmer vis-à-vis de la Suisse et du monde sa détermination à lutter contre le terrorisme. Plusieurs avis exprimés en consultation vont dans ce sens309.

Plus que cet aspect, ce sont les implications pratiques qui semblent importantes.

Contrairement aux infractions préalables proposées dans le projet, une norme pénale générale contre le terrorisme ne rendrait pas punissables des comportements jusqu'ici jugés non répréhensibles ou dont la punissabilité n'est pas manifeste. Une telle norme aurait pour effet d'accroître la pression s'agissant d'infractions déjà punissables, par exemple des atteintes à la vie et à l'intégrité corporelle d'un nombre important de personnes. Elle serait aussi source de redondances dans l'arsenal législatif.

La punissabilité en vertu de la nouvelle norme coexisterait avec la punissabilité des infractions communes au sens du CP et du droit pénal accessoire, de la participation à une organisation, d'une infraction à la loi Al-Qaïda ou d'une infraction au sens de l'art. 74 LRens. Lorsque plusieurs dispositions pénales sont applicables à un même acte ou à un nombre limité de comportements, les autorités de poursuite pénale et les tribunaux doivent tout d'abord déterminer les normes applicables en se référant aux règles relatives au concours d'infractions, et ensuite prononcer le verdict en conséquence. Mais en l'occurrence, une nouvelle norme pénale distincte sur le terrorisme n'entraînerait pas de peines plus élevées ni ne simplifierait l'application du droit.

Qu'il existe une norme pénale générale sur le terrorisme ou non, les peines en vigueur permettent déjà de tenir compte de la gravité de l'atteinte à un bien juridique, de l'illicéité de l'acte et, selon la capacité de discernement de l'auteur et par conséquent sa faute, des motivations et des objectifs de ce dernier.

Une telle norme ne protégerait pas davantage la population contre les crimes terroristes. Une majorité écrasante
de participants à la consultation sont de cet avis. La norme n'améliorerait sans doute pas non plus la coopération internationale ni l'entraide judiciaire. Il est bien plus important, comme le propose le projet, de rendre punissables les actes commis en amont d'un acte terroriste et de fournir des instruments spécifiques aux autorités de poursuite pénale afin de leur permettre d'intervenir à un stade précoce et de mener à bien les procédures. Tous ces éléments parlent en défaveur d'une norme pénale générale contre le terrorisme.

308 309

RS 0.353.22 et 0.353.21 Voir le ch. 8 de la synthèse des résultats de la consultation (avril 2018) et l'initiative parlementaire (15.407) déposée par le PLR le 4 mars 2015, demandant qu'on complète le code pénal par une disposition réprimant le terrorisme. L'initiative est en cours d'examen au Parlement. Le Conseil national lui a donné suite le 1 er mars 2018.

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4.6.4

Norme pénale contre la justification ou l'apologie du terrorisme

Ni la Convention ni le Protocole additionnel n'obligent les États parties à sanctionner la justification ou l'apologie du terrorisme. Ces traités ne leur attribuent pas davantage la mission d'examiner le bien-fondé de l'adoption de telles normes. Ils sont toutefois libres d'en adopter, ce qu'ont fait la France et l'Italie.

En France, suite à une réforme du code pénal du 14 novembre 2014, l'apologie du terrorisme est sévèrement punie. Conformément à l'art. 421-2-5 du code pénal, le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne. En Italie, l'apologie du terrorisme est traitée de la même manière que l'instigation. Elle est donc réprimée par l'art. 414 CP, qui réprime justement les actes d'instigation et expose son auteur à une peine privative de liberté pouvant aller jusqu'à sept ans et demi.

L'Allemagne a adopté une disposition pénale punissant quiconque approuve ou justifie le régime nazi ou encore en fait l'apologie310. Cette disposition forge l'identité du pays et se veut réhabilitatrice suite aux horreurs commises par ce régime.

L'apologie du terrorisme n'est quant à elle pas punissable. En Belgique, la tendance générale est de préserver le plus largement possible la liberté d'expression. Ainsi, l'apologie du terrorisme n'est pas punissable. En revanche, l'incitation à commettre des actes terroristes ou à entreprendre un voyage à des fins terroristes est réprimée par l'art. 140bis CP.

Les normes pénales contre la justification ou l'apologie du terrorisme entraînent inévitablement de fortes restrictions de la liberté d'expression. De telles dispositions sont souvent adoptées suite à des actes de violence tragiques. La description des actes répréhensibles y est presque forcément vague. Il se pose régulièrement des questions particulièrement difficiles à résoudre de délimitation entre les actes légaux et les actes punissables. L'apologie ne doit-elle être punissable que si elle contribue directement et de manière prouvée à provoquer un acte de violence ou suffit-il qu'elle vienne rompre le sentiment
commun d'injustice face à un certain comportement et la compassion à l'égard des victimes?

Il y a lieu de renoncer à mettre en place une disposition pénale réprimant la justification ou l'apologie d'actes terroristes ou d'autres infractions graves en général. Le droit en vigueur sanctionne déjà la provocation à la violence, l'instigation à une infraction, les actes préparatoires à certaines infractions et le soutien (au sens large311) à une organisation criminelle (terroriste). La loi Al-Qaïda et la LRens 312 punissent le soutien aux organisations et groupements interdits et l'organisation d'actions de propagande en leur faveur. Il n'est nécessaire, ni dans les faits ni sur le

310 311 312

§ 130, al. 4, du code pénal allemand.

Voir le ch. 4.1.2.4.

Sur décision du Conseil fédéral conformément à l'art. 74; voir le ch. 4.3.

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plan juridique, d'adopter des normes pénales plus poussées pour réprimer des propos qui ne sont pas de nature à susciter un acte terroriste.

Les propos faisant l'apologie du terrorisme, qui vont à l'encontre du ressenti général quant à la gravité de l'acte et quant à la compassion qu'il y a à avoir vis-à-vis des victimes, sont sans aucun doute déplacés et inacceptables. Il y a toutefois lieu de les combattre en priorité avec d'autres moyens que ceux du droit pénal. Le travail de prévention mené avec les jeunes et les adultes qui risquent de se radicaliser, la sensibilisation et la diffusion de versions contradictoires313 dûment étayées peuvent être des moyens efficaces d'éviter que de tels propos glorifiant la violence ne se répandent davantage, et de minimiser l'impact sur la population.

Un autre aspect, préventif cette fois et mis en avant dans le cadre de la consultation314, invite à renoncer à une disposition pénale contre l'apologie de la violence terroriste. Les premières expériences réunies à l'étranger quant à l'application à large échelle de normes pénales contre de tels propos, qui impliquent en général le prononcé de peines privatives de liberté de courte à moyenne durée, témoignent du risque au moins latent que la criminalisation de ces propos renforce les personnes désorientées, souvent jeunes, dans leurs convictions et fasse mûrir le germe de la radicalisation et du fanatisme. Ce risque exige qu'on recoure à des instruments autres que ceux de la législation et de la procédure pénale315.

4.6.5

Autres adaptations

Les modifications du CP (art. 260ter et 260sexies) et de l'art. 74 LRens proposées exigent qu'on complète les listes d'infractions et qu'on adapte d'autres dispositions sur le plan rédactionnel. Il faut notamment modifier les règles du CP sur la protection des sources316 pour qu'on ne puisse pas refuser de témoigner dans un cas au sens du nouvel art. 260sexies CP317. L'art. 66a, al. 1, P-CP prévoit en outre l'expulsion obligatoire de Suisse en cas d'infraction au sens de l'art. 260sexies CP ou de l'art. 74 P-LRens. La mention de cette dernière disposition implique une modification rédactionnelle à l'art. 317bis al. 1 CP.

On fait à l'art. 72 et à l'art. 305bis, ch. 2, al. 2, let. a, CP les modifications rédactionnelles nécessaires concernant respectivement la confiscation de valeurs patrimoniales d'une organisation criminelle ou terroriste et les cas graves de blanchiment

313 314 315

Voir le commentaire de l'art. 3 de la Convention.

Voir le ch. 8 de la synthèse des résultats de la consultation (avril 2018).

Le plan d'action national de lutte contre la radicalisation et l'extrémisme violent du 4 décembre 2017, axé sur la coordination, la coopération et le renforcement des structures, revêt une grande importance à cet égard. Voir le commentaire de l'art. 3 de la Convention au ch. 2.1.

316 Art. 28a, al. 2, let. b, CP 317 On renoncera par contre à inscrire les infractions à l'art. 74 P-LRens au rang des exceptions à la protection des sources statuées à l'art. 28a, al. 2, let. b, CP, car il y a une certaine réticence à inscrire de nouvelles exceptions dans la loi.

6549

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d'argent. Selon la doctrine et la jurisprudence318, la notion d'organisation criminelle au sens de l'art. 305bis, ch. 2, al. 2, let. a, CP est la même que celle visée à l'art. 260ter CP. Il semble donc indiqué d'y utiliser la même nouvelle terminologie qu'à l'art. 260ter P-CP et d'y intégrer les organisations terroristes. On complète par ailleurs les listes d'infractions du CPP concernant la juridiction fédérale (art. 24, al. 1), la protection des sources des professionnels des médias (art. 172, al. 2) et les mesures de surveillance secrètes (art. 269, al. 2, et 286, al. 2), pour tenir compte des modifications du CP et de la LRens.

L'art. 27a CPM319 est le pendant de l'art. 28a CP en matière de protection des sources. Tout comme cela a été fait pour cette dernière disposition, il faut ajouter dans le catalogue des infractions justifiant une dérogation à la protection des sources le nouvel art. 260sexies P-CP. Il faut également profiter du projet pour y ajouter l'art. 260quinquies CP, qui est absent de l'art. 27a, al. 2, let. b, CPM. En effet, dans le cadre de la mise en oeuvre des Conventions internationales pour la répression du financement du terrorisme320, le législateur a intégré l'art. 260quinquies CP dans la liste de l'art. 28a, al. 2, let. b, CP, mais a omis de faire la même chose dans l'art. 27a, al. 2, let. b, CPM. Il faut remédier à cette situation. On procède également aux adaptations nécessaires à l'art. 52 CPM, qui règle la confiscation des valeurs patrimoniales d'une organisation criminelle ou terroriste.

Outre les changements matériels déjà évoqués321, il faut faire les adaptations rédactionnelles résultant de la modification de l'art. 260ter CP322 dans la LBA.

4.6.6

Remplacement de la loi Al-Qaïda

La loi Al-Qaïda, entrée en vigueur le 1er janvier 2015, est limitée dans le temps 323.

Elle sera en vigueur jusqu'au 31 décembre 2018. La nouvelle LRens, comme exposé au ch. 4.3, est entrée en vigueur le 1er septembre 2017. Le Conseil fédéral peut donc émettre des décisions d'interdiction de groupements et d'organisations en se fondant sur l'art. 74 LRens et engager les suites pénales qui s'imposent pour participation, soutien, recrutement, propagande ou encouragement d'un autre type. Cependant, l'art. 74 LRens ne prévoit pas de compétence fédérale en matière de poursuite pénale et fixe une peine inférieure à celle inscrite dans la loi Al-Qaïda (trois ans au lieu de cinq). Il pourrait en résulter l'absence de compétence fédérale et une peine de trois ans au lieu de cinq dans les procédures pénales ouvertes après 2018. Pour éviter de tels problèmes, les Chambres fédérales ont décidé de prolonger la loi Al-Qaïda 318

319 320

321 322 323

Voir l'ATF 129 IV 271, consid. 2.3.1, et Trechsel/Pieth, in: Trechsel/Pieth (éd.), StGB PK, 3e éd., Zurich/St-Gall 2018, no 24 ad art. 305bis et M. Pieth, Basler Kommentar (2013), no 64 ad art. 305bis.

RS 321.0 Message du Conseil fédéral du 26 juin 2002 relatif aux Conventions internationales pour la répression du financement du terrorisme et pour la répression des attentats terroristes à l'explosif ainsi que la modification du code pénal et à l'adaptation d'autres lois fédérales (FF 2002 5014).

Voir le ch. 4.5.

LBA: art. 6, al. 2, let. b, art. 8a, al. 2, let. b, art. 9, al. 1 et 1bis, art. 15, al. 5, art. 16, al. 1, art. 23, al. 4, art. 27, al. 4, art. 29a, al. 1.

Voir les explications au ch. 4.3.1.

6550

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jusqu'au 21 décembre 2022324, assurant de la sorte une transition fluide de la loi AlQaïda à l'art. 74 LRens révisé. La loi Al-Qaïda deviendra obsolète aussitôt que le projet sera entré en vigueur et que le Conseil fédéral aura pris une décision d'interdiction fondée sur l'art. 74 LRens révisé et qu'elle sera entrée en force. Il le fera vraisemblablement peu de temps seulement après l'entrée en vigueur des dispositions légales proposées, mais avant que la loi Al-Qaïda cesse d'être en vigueur.

L'arrêté fédéral autorise dès lors le Conseil fédéral, à son art. 3, al. 2, à abroger cette loi après l'entrée en vigueur des modifications et avant la fin de sa validité.

5

Classement d'interventions parlementaires

Le Conseil fédéral demande au Parlement le classement de la motion 14.4187 (Glanzmann-Hunkeler; Ratification immédiate de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme), déposée le 11 décembre 2014 et adoptée, et de la motion 15.3008 (Commission des affaires juridiques du Conseil des États; Art. 260ter du code pénal. Modification), déposée le 10 février 2015, toutes deux adoptées par le Parlement.

6

Conséquences

6.1

Conséquences pour la Confédération et les cantons

La mise en oeuvre et la ratification de la Convention et du Protocole additionnel, l'instauration de nouvelles dispositions pénales et l'adaptation de dispositions pénales existantes n'étendent pas grandement la punissabilité. Le droit en vigueur permet déjà de poursuivre les auteurs d'actes terroristes, mais aussi d'actes préparatoires tels que le soutien au sens large d'une organisation terroriste ou un voyage en sa faveur.

La situation est par contre différente en ce qui concerne l'entraide judiciaire pénale.

Pour que les mesures d'entraide aboutissent, il faut qu'elles soient prononcées rapidement et exécutées avec célérité. La Convention et son Protocole additionnel prévoient que les Parties s'accordent un soutien réciproque. Cela nécessite en pratique une intensification de l'entraide judiciaire en matière pénale et de la procédure d'extradition.

Pour ce faire, deux nouveaux instruments figureront dans l'EIMP: l'entraide dynamique, qui implique un changement de paradigme puisqu'elle permettra la transmission anticipée d'informations et de moyens de preuve, et l'institution d'équipes communes d'enquête. Il s'agit de mesures d'entraide efficaces, qui s'avèrent nécessaires en matière de lutte contre le terrorisme. Leur adoption impliquera un surcroît de travail pour l'OFJ. Il sera confronté d'une part à une multiplication des demandes d'entraide judiciaire et à des cas plus complexes et il aura d'autre part une nouvelle fonction de conseil. Il pourra recourir à ces nouvelles mesures vis-à-vis de tous les États qui remplissent les conditions de l'entraide et pas seulement vis-à-vis de ceux 324

Vote final du 15 juin 2018; la loi est sujette au référendum.

6551

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qui ont ratifié les deux instruments internationaux. Il pourra par ailleurs, en cas de péril en la demeure, adopter lui-même des mesures provisionnelles permettant une coordination rapide et une exécution immédiate afin d'assurer l'aboutissement des mesures d'entraide.

À ce surcroît de travail en perspective, il faut ajouter que le nombre de cas d'entraide judiciaire internationale en matière pénale a augmenté au cours des dix dernières années. Le nombre de demandes d'entraide est passé de quelque 2850 en 2007 à quelque 3450 en 2017 (+21 %), tandis que le nombre de demandes d'extradition est passé dans le même temps de 670 à plus d'un millier (+51 %). Le personnel à disposition pour l'entraide et l'extradition a augmenté graduellement de 30 à 37,5 équivalents plein temps pour tenir compte de cette évolution. Les unités compétentes considèrent que le nombre de cas d'entraide augmentera à l'avenir dans les mêmes proportions et que ces cas deviendront plus complexes. Or elles sont aujourd'hui à la limite de leurs capacités et ne pourront pas faire face à l'intensification attendue en recourant à leurs seules ressources actuelles ou à d'autres ressources internes à l'OFJ ou au DFJP.

L'OFJ a jusqu'ici affronté ses tâches et la charge de travail supplémentaire avec les moyens existants, contrairement à d'autres unités de la Confédération qui, compte tenu de la situation actuelle en matière de lutte antiterroriste, ont été dotées de ressources supplémentaires considérables. Ne pas lui accorder de renforcement reviendrait à ralentir de manière disproportionnée la coopération internationale. L'OFJ estime devoir bénéficier de trois à cinq équivalents plein-temps supplémentaires. Il faudra évaluer précisément les ressources nécessaires et les modalités de leur augmentation graduelle d'ici à l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions.

Le nombre des demandes que les homologues étrangers adressent au MROS est de plus en plus élevé. Dans les années 2016 et 2017, le MROS a reçu un total de 8284 demandes étrangères. Étant donné qu'il répond négativement à environ 60 % des demandes étrangères, le MROS a donc donné des réponses négatives à environ 4970 demandes étrangères au total pour les deux années de référence. L'objectif de la nouvelle compétence prévue à l'art. 11a, al. 2bis, LBA du présent projet est
d'éviter ces réponses négatives à l'avenir.

Actuellement, les 21,60 FTE analystes du MROS traitent en parallèle les communications de soupçon des intermédiaires financiers et les demandes des homologues étrangers. Les deux tâches sont traitées en fonction de leur degré d'urgence respectif. Ainsi un analyste du MROS traite actuellement en moyenne 190 demandes étrangères par année. Or, ces demandes sont relativement simples et rapides à traiter car il s'agit de chercher et d'utiliser seulement les informations disponibles: l'analyste vérifie les bases de données et, en fonction des résultats, prépare la réponse pour l'homologue étranger.

La nouvelle compétence exigera que le MROS ne se limite plus à rechercher simplement sur les bases de données, mais demande activement des informations aux intermédiaires financiers. En effet, étant donné que les informations ne sont pas disponibles sur les bases de données internes, l'analyste préparera des demandes écrites adressées à différents intermédiaires financiers afin d'obtenir les informations demandées par les homologues étrangers. Une fois obtenues, ces informations 6552

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devront être introduites dans le système informatique et analysées de manière détaillée pour vérifier si elles correspondent à ce qui est demandé (le cas échéant, les demandes seront renouvelées).

Des recoupements devront être faits avec d'autres informations, disponibles ou à demander encore auprès d'autres acteurs (comme les autorités de poursuite pénale, les autorités de surveillance, ou encore les polices). En outre, si les informations s'avèrent pertinentes aussi pour les autorités pénales suisses, le MROS préparera une analyse supplémentaire à l'attention de ces dernières.

Les demandes qui devront être traitées sur la base de la nouvelle compétence seront donc bien plus longues et complexes à traiter que les demandes actuelles. Elles occuperont donc davantage les analystes qui pourront en traiter environ 150 à 170 par année.

L'objectif de la présente demande est d'essayer d'obtenir les résultats les plus optimaux avec le moins de ressources possibles. Il s'agit donc de commencer la mise en oeuvre de la nouvelle compétence en partant avec un minimum indispensable de dix collaborateurs supplémentaires à 100 %. Par ailleurs, étant donné le profil spécifique des collaborateurs du MROS et le temps de leur formation interne (environ 3 mois), un engagement en 2 étapes sur 2 ans est envisageable.

Dès le moment où la nouvelle compétence entrera en vigueur, les homologues étrangers attendront des réponses complètes de la part du MROS. Sans les ressources supplémentaires demandées, la nouvelle compétence resterait lettre morte. En outre, si l'on évoque le manque de ressources pour justifier des réponses négatives, incomplètes ou tardives, cela sera certainement interprété comme un obstacle que la Suisse aura créé pour éviter de fournir des informations. La pression internationale actuelle (GAFI, Groupe Egmont) pourrait être accentuée, car la nouvelle compétence serait vidée de son sens. L'augmentation des ressources devra donc se faire dès l'entrée en vigueur de la nouvelle compétence du MROS.

Les postes demandés par le DFJP résultent d'une évolution de droit et de fait dans les domaines de la lutte contre le terrorisme, contre le blanchiment d'argent et contre d'autres crimes graves. La coopération internationale dans ces domaines est indispensable, requise par le communauté internationale et dans
l'intérêt de la Suisse.

Puisqu'on propose le maintien de la compétence fédérale en matière de poursuite pénale des actes terroristes et que l'extension de la punissabilité est mesurée, le projet ne devrait pas avoir de conséquences notoires pour les cantons.

6.2

Conséquences économiques

Pour que l'économie suisse prospère, il est indispensable de protéger le territoire de manière visible et crédible contre des actes terroristes graves et les conséquences du crime organisé. Sans avoir d'effets directs, le projet a sur l'économie des conséquences positives notables à moyen et à long terme.

6553

FF 2018

6.3

Conséquences informatiques

La mise en oeuvre et la ratification de la Convention et du Protocole additionnel et les propositions de modification du droit pénal ne devraient pas avoir de conséquences sur l'informatique.

7

Relation avec le programme de la législature

Le projet est annoncé dans le message du 27 janvier 2016 sur le programme de la législature 2015­2019325 et dans l'arrêté fédéral du 14 juin 2016 sur le programme de la législature 2015­2019326.

8

Aspects juridiques

8.1

Constitutionnalité

L'arrêté fédéral repose sur l'art. 54, al. 1, Cst., qui autorise la Confédération à conclure des traités internationaux. L'art. 184, al. 2, Cst. attribue au Conseil fédéral la compétence de les ratifier. Conformément à l'art. 166, al. 2, Cst., ils sont soumis à l'approbation de l'Assemblée fédérale.

Les traités internationaux qui sont d'une durée indéterminée et ne sont pas dénonçables, qui prévoient l'adhésion à une organisation internationale ou qui contiennent des dispositions importantes fixant des règles de droit ou dont la mise en oeuvre exige l'adoption de lois fédérales sont sujets au référendum327. Tant la Convention que le Protocole additionnel sont de durée indéterminée, mais ils sont dénonçables et ne prévoient pas l'adhésion à une organisation internationale. Par contre, la ratification de ces traités requiert des adaptations du droit pénal. L'arrêté fédéral est donc soumis au référendum facultatif conformément à l'art. 141, al. 1, let. d, ch. 3, Cst.

L'art. 141a, al. 2, Cst. permet, lorsque l'arrêté portant approbation d'un traité international est sujet au référendum, d'y intégrer les modifications de lois liées à la mise en oeuvre du traité. Or les dispositions légales figurant dans le projet servent à la fois à la mise en oeuvre de la Convention et du Protocole additionnel et au renforcement des normes pénales contre le terrorisme et le crime organisé. Il ne serait pas judicieux d'un point de vue matériel de scinder ces deux objectifs. Le projet se fonde sur l'art. 54, al. 1, et sur l'art. 123, al. 1, Cst.

325 326 327

FF 2016 981 FF 2016 4999; objectif no 15 Art. 141, al. 1, let. d, Cst.

6554

FF 2018

8.2

Frein aux dépenses

Le projet n'est pas soumis au frein aux dépenses au sens de l'art. 159, al. 3, let. b, Cst., car il ne comporte pas de dispositions relatives aux subventions et ne fonde aucun crédit d'engagement ni plafond de dépenses.

8.3

Compatibilité avec les obligations internationales

L'adhésion à la Convention et au Protocole additionnel et les adaptations législatives proposées sont conformes aux obligations internationales de la Suisse 328. Notre pays s'engage clairement dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé et dans la coopération internationale, dans le respect de ses obligations liées aux droits de l'homme et au droit international humanitaire.

328

Voir le ch. 1.

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