14.307 / 14.316 Initiatives cantonales Iv. ct. ZG. Rétablissement de la souveraineté des cantons en matière de procédure électorale. Modification de la Constitution fédérale / Iv. ct. UR. Souveraineté en matière de procédure électorale Rapport de la commission des institutions politiques du Conseil des Etats du 16 novembre 2017

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Par le présent rapport, nous vous soumettons le projet d'une modification de la Constitution fédérale que nous transmettons simultanément au Conseil fédéral pour avis.

La commission propose d'adopter le projet de l'acte ci-joint.

16 novembre 2017

Pour la commission: Le président, Peter Föhn

2017-3272

1

Condensé Conformément à l'art. 39, al. 1, de la Constitution fédérale (Cst.), les cantons règlent l'exercice des droits politiques aux niveaux cantonal et communal. Par conséquent, ils sont également chargés de régler la procédure applicable à l'élection de leurs autorités. Ce faisant, ils doivent toutefois respecter les principes énoncés dans la Constitution, en premier lieu l'art. 34, al. 2, selon lequel la garantie des droits politiques protège la libre formation de l'opinion des citoyens et des citoyennes et l'expression fidèle et sûre de leur volonté.

Dans la jurisprudence ­ contraire à certains arrêts antérieurs ­ qu'il a développée ces quinze dernières années, le Tribunal fédéral (TF) a considéré que, pour pouvoir mener des élections selon le système proportionnel dans le respect de l'art. 34 Cst., il fallait accorder une grande importance à l'équivalence d'influence sur le résultat.

Cette notion signifie que les voix de tous les électeurs contribuent dans une même mesure au résultat de l'élection et sont prises en considération au moment de la répartition des mandats. Pour que cette équivalence soit garantie, comme l'exige le TF, au niveau de toutes les circonscriptions électorales, c'est-à-dire sur tout le territoire, le tribunal estime qu'un quorum naturel de 10 % de toutes les voix ne doit pas être dépassé; en d'autres termes, dans chaque circonscription, au moins 9 sièges doivent être attribués.

C'est pour cette raison que le TF a défini un cadre restrictif aux cantons pour l'organisation de leurs procédures électorales, ce qui a froissé certains cantons. Les deux initiatives qu'il s'agit de mettre en oeuvre sont l'expression de ce mécontentement. L'incertitude a encore été renforcée après que le TF, dans deux arrêts, a estimé que le système majoritaire n'était lui aussi acceptable qu'à certaines conditions particulières.

La présente modification constitutionnelle vise à lever cette incertitude en contribuant à la sécurité du droit.

L'art. 39 Cst. est modifié de sorte que les cantons organisent la procédure d'élection de leurs autorités de manière autonome. Il implique clairement que le TF ne peut plus définir de règles concernant la taille des circonscriptions.

La modification en question ne remet pas en question le principe de l'égalité des droits inscrit à l'art. 8 Cst.;
cependant, les cantons auront désormais toute compétence pour déterminer de quelle manière ils prendront en compte cette exigence constitutionnelle. Enfin, il y a lieu de souligner que la modification constitutionnelle concerne exclusivement les procédures électorales et non le droit de vote et d'éligibilité.

2

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Rapport 1

Genèse du projet

1.1

L'initiative du canton de Zoug du 28 mars 2014

Le 28 mars 2014, le canton de Zoug a déposé l'initiative 14.307 «Rétablissement de la souveraineté des cantons en matière de procédure électorale. Modification de la Constitution fédérale», qui vise à modifier la Constitution (Cst.) «de sorte que les cantons puissent organiser leur procédure électorale de manière autonome».

Dans le développement de l'initiative, les auteurs soulignent que c'est particulièrement l'interprétation de l'art. 34 Cst. par le Tribunal fédéral (TF) qui est problématique. Selon cette disposition, la garantie des droits politiques protège la libre formation de l'opinion des citoyens et l'expression fidèle et sûre de leur volonté. Or, les auteurs estiment que cette disposition est interprétée de manière trop stricte: selon eux, «force est de constater que la jurisprudence récente du TF dans le domaine de la procédure électorale cantonale tend de plus en plus à restreindre la marge de manoeuvre des cantons et à les empêcher de prendre des décisions de façon autonome». Ils considèrent que cette pratique va à l'encontre de la conception suisse du fédéralisme, qui accorde une grande importance à l'autonomie des cantons. C'est pourquoi l'initiative vise «une formulation plus précise de l'art. 34 Cst. de sorte que l'autonomie des cantons soit à nouveau affirmée».

Les auteurs de l'initiative estiment que leur texte envoie «un signal selon lequel le TF doit faire preuve de retenue dans l'interprétation de la Constitution lorsqu'il traite des affaires relevant de la procédure électorale, sans pour autant remettre en question le système d'Etat fédéral de la Confédération suisse».

1.2

L'initiative du canton d'Uri du 7 juillet 2014

Le 7 juillet 2014, le canton d'Uri a déposé l'initiative 14.316 «Souveraineté en matière de procédure électorale», dont la teneur est identique à celle de l'initiative du canton de Zoug.

Le développement de l'initiative fait référence à des arrêts du TF dans lesquels les systèmes d'élection des parlements des cantons de Zoug, de Nidwald et de Schwytz ont été pointés du doigt. Le TF reprochait au système proportionnel mis en place par ces cantons de ne pas donner le même poids aux voix exprimées en raison des différences dans la taille des circonscriptions. Etant donné que, dans le canton d'Uri, les grandes communes organisent leurs élections selon le système proportionnel et les petites communes appliquent le système majoritaire, on ne peut pas exclure que ce canton soit lui aussi visé par le TF.

Comme le canton de Zoug, le canton d'Uri critique le fait que le TF, dans sa jurisprudence récente, a continuellement renforcé les exigences relatives aux systèmes électoraux: «[il] y a encore quelques années, le Tribunal fédéral se montrait relativement souple lorsque étaient invoqués des motifs liés à la protection de minorités 3

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ou à la préservation d'une identité territoriale spécifique, historique et encore vivante, que ces motifs soient inhérents à l'histoire, au fédéralisme, à la culture, aux langues, aux origines ethniques ou aux religions. A l'heure actuelle, il estime que de tels motifs ne sont plus suffisants [...]». Par conséquent, les auteurs de l'initiative estiment qu'il convient de rétablir la souveraineté des cantons en matière de procédure électorale: «le canton d'Uri souhaite, au moyen de la présente initiative, signaler son opposition aux restrictions inappropriées que le TF impose aux cantons dans ce domaine. Par conséquent, l'initiative vise une formulation plus précise de l'art. 34 Cst. de sorte que l'autonomie des cantons soit à nouveau affirmée».

1.3

Examen préalable des initiatives par les Commissions des institutions politiques

1.3.1

Examen d'une solution au niveau de la loi

Le 16 avril 2015, la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats (CIP-E) s'est penchée une première fois sur les deux initiatives. Elle a alors auditionné des représentants des cantons d'Uri et de Zoug. Si la commission a eu une certaine compréhension pour les critiques formulées par ces deux cantons concernant la jurisprudence du TF, la majorité n'a pas souhaité lancer une modification constitutionnelle uniquement pour exercer une influence sur la pratique du TF. Par ailleurs, la commission n'a pas voulu que la Constitution donne toute latitude aux cantons pour organiser leur procédure électorale, et ce, sans qu'ils soient soumis à la moindre contrainte.

Cependant, la commission a considéré que le législateur fédéral devait, dans l'intérêt des cantons, procéder aux clarifications nécessaires et fixer dans la loi les exigences auxquelles les procédures électorales cantonales devaient satisfaire. C'est pourquoi elle a décidé, par 8 voix contre 1 et 1 abstention, de déposer une initiative en ce sens, de sorte notamment que la loi garantisse aux cantons la possibilité d'opter pour le système proportionnel, pour le système majoritaire ou pour un système mixte (15.429 Iv. pa. CIP-CE. Inscrire dans la loi les exigences relatives aux systèmes électoraux des cantons).

Dans la foulée, des voix se sont élevées dans la presse pour dénoncer l'absence de base constitutionnelle pour légiférer dans le domaine des systèmes électoraux cantonaux (par ex. dans un article de la Neue Luzerner Zeitung du 18.4.2015). La présidente de la CIP-E de l'époque a alors demandé au Département fédéral de justice et police (DFJP) de lui présenter un avis sur la question. Concrètement, il s'agissait de savoir si l'art. 51 Cst. pouvait constituer la base constitutionnelle permettant de préciser dans la loi les exigences auxquelles devaient répondre les systèmes électoraux cantonaux. L'art. 51, al. 1, Cst. prévoit que chaque canton se dote d'une «constitution démocratique». On pourrait alors préciser, au niveau de la loi, ce qu'il faudrait comprendre par la notion de «constitution démocratique». Dans son avis du 26 mai 2015, l'Office fédéral de la justice (OFJ) a estimé que l'art. 51 Cst. n'attribuait à la Confédération aucune compétence d'édicter des règles relatives aux systèmes électoraux cantonaux. Selon l'OFJ, l'art. 51 Cst. n'est pas une norme de compétence, mais contient une garantie fédérale. En pratique et en doctrine, précise4

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t-il, on s'accorde sur le fait que «la garantie d'un droit fondamental ne confère pas, à elle seule, une compétence nouvelle pour le législateur fédéral». En l'occurrence, l'OFJ ne voit aucune possibilité de considérer que la Constitution donne à la Confédération la compétence subsidiaire de préciser des notions juridiques indéterminées dans la Constitution: selon lui, l'art. 39, al. 1, Cst. trace une ligne claire entre les compétences fédérales et celles des cantons. Il lui semble donc «délicat, voire impossible, d'argumenter en invoquant une compétence subsidiaire de la Confédération dans ce domaine puisque la Confédération trace elle-même le contour des compétences respectives des cantons et de la Confédération».

Sur la base de ces considérations, la CIP-E a décidé à l'unanimité de ne pas élaborer de dispositions légales prévoyant des exigences relatives aux systèmes électoraux cantonaux.

1.3.2

Approbation des deux initiatives

Après avoir constaté qu'il était impossible de trouver une solution au niveau de la loi, la CIP-E devait décider si elle souhaitait suivre la voie d'une révision de la Constitution, donc donner suite aux initiatives. Cette question a donné lieu à des débats au sein de la commission. La majorité estimait qu'il y avait lieu de prendre des mesures en raison de la situation floue dans laquelle se trouvaient les cantons.

Une minorité, au contraire, considérait que l'art. 34 Cst. définissait déjà clairement les exigences auxquelles devaient répondre les systèmes électoraux à tous les niveaux de l'Etat, y compris au niveau cantonal. Le 23 juin 2015, la commission a finalement décidé, par 7 voix contre 4, de donner suite aux deux initiatives.

A sa séance du 5 novembre 2015, la commission du Conseil national (CIP-N) devait donc décider soit de se rallier à cette décision, soit de proposer à son conseil de ne pas donner suite aux initiatives. Par 14 voix contre 9, elle a proposé de ne pas donner suite aux initiatives. Le 18 mars 2016, le Conseil national ne s'est pas rallié à cette proposition et a décidé de donner suite à l'iv. ct. 14.307 du canton de Zoug (par 99 voix contre 87 et 4 abstentions) ainsi qu'à celle du canton d'Uri (par 98 voix contre 90 et 3 abstentions).

Les initiatives ont ensuite été transmises à la CIP-E, qui a été chargée d'élaborer un projet de modification constitutionnelle.

1.3.3

Elaboration du projet et mise en consultation

La commission a ensuite décidé d'élaborer deux variantes de projet de modification de la Constitution, l'une étant soutenue par la majorité de ses membres (8) et l'autre par une minorité (5 membres). La commission a adopté le projet contenant les deux variantes par 8 voix contre 2 et 3 abstentions en vue de la procédure de consultation, qui s'est déroulée du 22 juin au 13 octobre 2017. Outre les avis des 26 cantons, la commission a reçu ceux de sept partis nationaux et de cinq partis cantonaux. Par ailleurs, six associations et un particulier se sont exprimés. Parmi les 26 cantons, 17 se sont prononcés en faveur d'une modification de la Constitution, dont 13 (BE, LU, 5

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UR, SZ, OW, ZG, SO, AR, AI, GR, AG, TI, VS) ont préféré la variante de la majorité de la commission et 4 (ZH, SG, VD, GE) celle de la minorité. Neuf cantons (NW, GL, FR, BL, BS, SH, TG, NE, JU) se sont opposés à une modification de la Constitution.

En ce qui concerne les partis politiques, le PDC et l'UDC se sont prononcés en faveur d'une modification de la Constitution, le premier préférant la variante de la majorité de la commission et le second, celle de la minorité. Le PLR, le PS, les Verts, le PVL et le PEV sont contre une modification de la Constitution. Le groupement VERDA ­ Grünes Graubünden, l'UDF du canton des Grisons et les sections du PS des cantons d'Uri, de Saint-Gall et de Schaffhouse s'y sont également opposés.

Les associations qui ont pris part à la procédure de consultation ont majoritairement émis des avis positifs: economiesuisse, l'Union suisse des arts et métiers, l'Union suisse des paysans et le Centre patronal ont approuvé la variante de la majorité de la commission, contrairement à l'Union des villes suisses, seule association à s'opposer à une modification de la Constitution, tout comme le particulier s'étant exprimé.

Par ailleurs, l'Organisation des Suisses de l'étranger a saisi l'occasion pour souligner le fait que tous les cantons ne permettent pas aux Suisses de l'étranger de participer aux élections du Conseil des Etats.

La majorité des participants à la consultation est d'avis que, sans modification de la Constitution telle qu'elle est proposée par la majorité de la commission, l'insécurité juridique actuelle demeurerait. En effet, les cantons seraient certes autorisés à disposer d'un système purement majoritaire, mais pas à y intégrer des éléments d'un système proportionnel si ces derniers ne répondent pas aux exigences en matière d'équivalence d'influence sur le résultat telles que définies par le TF. Cette situation est en contradiction avec la souveraineté des cantons en ce qui concerne la procédure électorale, estiment-ils.

Certains participants se sont prononcés en faveur de la solution de la minorité de la commission, estimant que la pratique actuelle du TF, consistant à vérifier que les règles cantonales en matière de procédure électorale sont conformes à la Constitution fédérale, était justifiée, mais que le TF ne devait pas aller au-delà. Ils considèrent
que la proposition de la minorité consacrerait la pratique actuelle et apporterait de la clarté au niveau du droit constitutionnel.

Les opposants au projet avancent que les principes établis par le TF contribuent à la légitimité des résultats électoraux et permettent ainsi qu'ils soient mieux acceptés.

Soulignant la nécessité de prendre en considération l'art. 34, al. 2, Cst., ils affirment que la pratique du TF permet de protéger les droits de chaque citoyen, raison pour laquelle la plupart des cantons ont d'ailleurs adapté leur réglementation aux exigences du TF.

En raison de ces retours, la commission s'est vue confortée dans son idée de proposer une modification constitutionnelle telle que préconisée par sa majorité [et a adopté le projet par 7 voix contre 3 et deux abstentions à l'intention du Conseil des Etats]. Elle maintient la teneur de la modification telle qu'elle avait été mise en consultation.

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1.4

Débats antérieurs

1.4.1

Débats concernant la garantie de la Constitution du canton de Schwytz

En 2012 et 2013, l'Assemblée fédérale avait déjà longuement examiné la question des procédures électorales cantonales, dans le cadre du dossier relatif à l'octroi de la garantie fédérale à la Constitution du canton de Schwytz (12.070). La disposition relative à l'élection du Grand Conseil schwytzois avait fait l'objet de débats controversés au sein des deux chambres. Alors que le Conseil des Etats, à deux reprises (par 24 voix contre 20 puis par 24 voix contre 18 et 1 abstention), s'était prononcé en faveur de la garantie de cette disposition, le Conseil national l'avait rejetée deux fois (par 94 voix contre 92 puis par 100 voix contre 91). Ainsi, la garantie fédérale n'avait pas été accordée au par. 48, al. 3, de la Constitution du canton de Schwytz (BO 2013 N 187 ss et 342 ss, BO 2012 E 957 ss et 2013 E 176 ss). La disposition concernée prévoyait des élections selon le système proportionnel au sein des circonscriptions électorales. Or, étant donné que chaque commune devait former une circonscription, le pourcentage des votes qu'une liste devait atteindre pour obtenir au moins un siège (quorum) aurait été nettement supérieur, dans les petites communes, au taux de 10 % fixé par le TF (cf. notamment ATF 136 I 376).

En refusant d'octroyer la garantie fédérale au paragraphe considéré, l'Assemblée fédérale s'était ralliée à la jurisprudence du TF, selon laquelle le système d'élection proportionnel devait être appliqué de manière cohérente lorsqu'il avait cours.

L'argument était qu'il ne saurait être question d'organiser de facto un scrutin majoritaire sous l'appellation de «scrutin proportionnel». Il s'agissait de respecter les prescriptions du droit fédéral qui découlaient des art. 34 et 8 Cst. Dans le système d'élection proportionnel, les différents groupements doivent être représentés conformément au pourcentage qu'ils représentent parmi les électeurs, ce qui n'est pas garanti lorsque la circonscription est trop petite et, partant, le pourcentage des votes qu'il faut atteindre pour obtenir au moins un siège (quorum) est trop élevé.

1.4.2

Débats concernant la garantie de la Constitution du canton des Grisons

En 2004, la CIP-E avait déjà souhaité, lors de l'examen de la garantie de la Constitution du canton des Grisons (04.018), que les cantons gardent leur marge de manoeuvre dans l'organisation de leur procédure électorale. Certes, la garantie de la constitution en question ne faisait l'objet d'aucune controverse; toutefois, la CIP-E s'était émue d'un passage du message concerné, dans lequel le Conseil fédéral avait exprimé des doutes quant à la constitutionnalité du système majoritaire s'agissant de l'élection d'un parlement (FF 2004 1000). Cela a conduit la CIP-E à présenter un rapport écrit concernant ce message, dans lequel elle a souligné que les cantons devaient continuer de pouvoir utiliser le système majoritaire, en tant que système électoral démocratique, lors des élections cantonales: «[si] la Confédération était amenée à déclarer que la proportionnelle est le seul système électoral autorisé, que ce soit dans le cadre de l'octroi de la garantie fédérale aux constitutions cantonales

7

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ou d'un recours touchant le droit de vote, cela constituerait une grave ingérence dans l'autonomie des cantons en matière d'organisation» (FF 2004 3432).

1.5

Droit en vigueur et pratique du TF

1.5.1

Dispositions constitutionnelles pertinentes

Aux termes de l'art. 39, al. 1, Cst., les cantons règlent l'exercice des droits politiques aux niveaux cantonal et communal. Cette compétence s'exerce dans le cadre de la garantie prévue à l'art. 34 Cst. et conformément aux exigences minimales visées à l'art. 51, al. 1, Cst.: la garantie des droits politiques protège la libre formation de l'opinion des citoyens et des citoyennes et l'expression fidèle et sûre de leur volonté (art. 34, al. 2) et chaque canton se dote d'une constitution démocratique (art. 51, al. 1). Enfin, l'art. 8, al. 1, prévoit que tous les êtres humains sont égaux devant la loi.

1.5.2

Exigences du TF concernant le système proportionnel

Le TF a compétence pour juger des recours contre les procédures électorales, notamment en ce qui concerne la garantie des droits politiques prévue à l'art. 34 Cst. Cette garantie implique que le résultat d'une élection ne peut pas être reconnu s'il n'est pas l'expression fidèle et sûre de la libre volonté des citoyens. Depuis une quinzaine d'années, le TF a développé une pratique par laquelle il a de plus en plus précisé les exigences applicables aux systèmes proportionnels.

Le premier arrêt déterminant en la matière date du 18 décembre 2002: le TF a constaté que les différences dans la taille des circonscriptions électorales de la ville de Zurich, qui impliquent que certaines circonscriptions s'écartent de la moyenne s'agissant du nombre de voix nécessaire pour obtenir un mandat, ne sont plus compatibles avec le principe d'égalité de traitement1.

Dans d'autres arrêts (par ex. ceux du 7.7.2010 et du 20.12.2010 sur des recours contre les procédures électorales des cantons de Nidwald et de Zoug2), le TF a fixé à 10 % des voix le «quorum naturel» maximal pour les élections au système proportionnel. Cela signifie qu'on ne peut définir une circonscription électorale dans laquelle il faudrait plus de 10 % des voix pour obtenir un mandat. Dans les cas précités, les recourants ont invoqué des violations de la garantie des droits politiques prévue à l'art. 34 Cst., notamment parce que de petites circonscriptions, ou des circonscriptions de tailles différentes, pouvaient nuire au système proportionnel. Dans les deux cas, le TF a estimé que les procédures d'élection des parlements cantonaux ne satisfaisaient pas aux exigences du système proportionnel. Il a critiqué le fait que, dans certaines communes, il fallait plus de 25 % des voix pour obtenir un mandat.

Dans l'arrêt concernant le canton de Zoug, on peut lire que les quorums naturels 1 2

8

ATF 129 I 185, consid. 7.6.3 ATF 136 I 352, ATF 136 I 376

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dépassent 10 %, à l'exception des circonscriptions de Zoug, Baar et Cham. La jurisprudence du tribunal avait déjà qualifié d'anticonstitutionnels les quorums auparavant considérés comme naturels de 33,33 %, 20 % et 16,66 %. Dans la lignée de cette jurisprudence, et pour garantir la sécurité du droit, le TF a considéré que les quorums naturels (tout comme les quorums légaux) dépassant la limite des 10 % n'étaient généralement pas compatibles avec un système proportionnel3.

Dans des arrêts ultérieurs (par ex. dans son arrêt du 19.3.2012 portant sur plusieurs recours contre le canton de Schwytz4), le TF a confirmé cette pratique qui consiste à interdire, dans des systèmes proportionnels, la constitution de circonscriptions dans lesquelles le quorum nécessaire pour obtenir un siège serait supérieur à 10 %. Le TF a estimé qu'il était certes tout à fait possible de considérer les communes comme des circonscriptions électorales. Il a toutefois précisé que, pour respecter l'esprit du système proportionnel, les procédures électorales devaient obéir à certaines règles: par exemple, le regroupement de circonscriptions électorales ou la méthode de la répartition biproportionnelle (aussi appelée système «double Pukelsheim5») contribuent à la protection des minorités vu qu'elles permettent aux habitants des petites circonscriptions d'être eux aussi représentés de façon adéquate au parlement cantonal6.

La pratique plus restrictive menée par le TF a également conduit à ce que ce dernier n'a plus donné son aval, dans des arrêts postérieurs, à certains découpages de circonscriptions qu'il avait considérés admissibles par le passé. Ainsi, il avait estimé, dans un arrêt de 2005, que la taille inégale des arrondissements électoraux dans le canton du Valais était objectivement fondée7. Par contre, dans un arrêt de 2014, il a jugé, à la lumière de la nouvelle jurisprudence, que la procédure électorale en vigueur dans le canton du Valais était contraire à la Constitution8.

Dans son arrêt le plus récent à ce sujet, le TF a réaffirmé la nécessité que les circonscriptions atteignent une certaine taille sous le système proportionnel: dans son arrêt du 12 octobre 2016 concernant le canton d'Uri, le tribunal a estimé que, dans les communes qui connaissent le scrutin proportionnel, la procédure d'élection du Landrat (le
parlement du canton d'Uri) ne tiendrait pas le coup face à la Constitution9. Ce n'est donc pas le système mixte (selon lequel certaines communes uranaises ont le système majoritaire et d'autres ont le système proportionnel) que le TF a critiqué, mais uniquement le fait que, à son avis, certaines circonscriptions connaissant le système proportionnel étaient trop petites.

3 4 5

6 7 8 9

ATF 136 I 376, consid. 4.5 1C 407/2011, 1C 445/2011, 1C 447/2011 Cette répartition «biproportionnelle» des mandats prévoit que les circonscriptions sont représentées proportionnellement à la population et que les groupements de candidats sont représentés proportionnellement aux voix qu'ils ont obtenues. Le processus se déroule en deux étapes: une répartition «principale», puis une répartition «secondaire». Pour de plus amples informations: Weber, Anina: Schweizerisches Wahlrecht und die Garantie der politischen Rechte. Zurich 2016, ch. marg. 357 ss.

Cf. également ATF 136 I 352, consid. 5.1 ATF 131 I 89 ATF 140 I 107 1C 511/2015, arrêt du 12.10.2016, consid. 7

9

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1.5.3

Avis du TF concernant le scrutin majoritaire

Dans l'arrêt de 12 octobre 2016 mentionné ci-dessus concernant le système électoral dans le canton d'Uri, le TF a confirmé que l'élection des parlements selon le scrutin majoritaire n'était pas obligatoirement contraire à la Constitution: le fait que l'équivalence d'influence sur le résultat n'est pas atteinte dans un système purement majoritaire ne signifie pas pour autant qu'un système électoral dans lequel les membres d'un parlement cantonal sont élus au scrutin majoritaire est incompatible avec l'art. 34, al. 2, Cst.10 Il a toutefois souligné que le système majoritaire, pour les élections des parlements cantonaux, n'était pas optimal au regard de l'égalité en matière de droit de vote11. Toutefois, un tel système est acceptable, selon le TF, lorsque l'autonomie des communes formant les circonscriptions électorales est particulièrement élevée, lorsque les communes connaissant le système majoritaire comptent très peu d'habitants et lorsque les partis politiques n'occupent pas une place très importante.

Le TF a ainsi confirmé le scepticisme qu'il avait affiché vis-à-vis des élections organisées selon le système proportionnel dans son arrêt du 26 septembre 2014 concernant le système électoral du canton d'Appenzell Rhodes-Extérieures. Le tribunal avait alors déclaré que les systèmes mixtes devaient obligatoirement être organisés de façon totalement équilibrée et objectivement compréhensible. Il avait ajouté que la coexistence d'éléments des deux systèmes devait répondre à des critères raisonnables et qu'il fallait en particulier pouvoir justifier pourquoi certains sièges étaient répartis selon le système majoritaire et d'autres, selon le système proportionnel12.

1.6

Adaptation des cantons à la pratique du TF

Selon le TF, pour respecter l'esprit du système proportionnel, il n'est pas nécessaire de créer de grandes circonscriptions électorales: si l'on prévoit des mécanismes de compensation qui englobent l'ensemble des circonscriptions électorales, on peut renoncer à créer de nouvelles circonscriptions, qui ne correspondraient pas à la réalité historique des lieux. Il explique qu'on peut par exemple regrouper des circonscriptions électorales ou procéder à une répartition centralisée des mandats des partis selon la méthode de la répartition biproportionnelle. Cette procédure a été appliquée pour la première fois à l'occasion des élections municipales zurichoises de février 200613.

Récemment, plusieurs cantons ont adapté leur procédure électorale aux exigences du TF. Ainsi, la répartition biproportionnelle a été introduite en 2008 par les cantons d'Argovie et de Schaffhouse, en 2014 par les cantons de Nidwald et de Zoug et en 2015 par le canton de Schwytz. Ces cantons disposent désormais d'une procédure électorale acceptée par le peuple et reconnue par le TF. Il faut cependant aussi sou-

10 11 12 13

10

1C 511/2015, arrêt du 12.10.2016, consid. 6.1 1C 511/2015, arrêt du 12.10.2016, consid. 6.1 ATF 140 I 394, consid. 11.2 Weber, Rz. 356

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ligner que le TF n'a pas laissé d'autre choix aux citoyens, puisqu'il avait considéré que le système choisi initialement par le peuple était contraire à la Constitution.

Ainsi, la pression exercée par le TF a incité les cantons à respecter plus systématiquement l'esprit du scrutin proportionnel.

1.7

Appréciation dans la littérature spécialisée

1.7.1

Constitutionnalité du système majoritaire

Plusieurs spécialistes du droit constitutionnel ont critiqué avec véhémence le scepticisme affiché par le TF vis-à-vis des élections organisées selon le système majoritaire. Dans son avis relatif à l'arrêt du TF concernant la procédure électorale dans le canton d'Appenzell Rhodes-Extérieures, Georg Müller est arrivé à la conclusion que le TF avait outrepassé les limites du développement de la Constitution et avait pris une décision d'ordre constitutionnel. Il explique qu'une interprétation harmonisée des art. 34 (égalité en matière de droit de vote) et 51 (constitutions cantonales démocratiques et conformes au droit fédéral) Cst. doivent plutôt mener à ce que les cantons puissent choisir entre système majoritaire et système proportionnel. Selon Georg Müller, s'ils optent pour le système majoritaire, ils doivent garantir l'égalité numérique (chaque voix compte) et l'égalité de la force électorale (les voix ont le même poids à l'échelle des circonscriptions), mais pas l'équivalence d'influence sur le résultat14.

Giovanni Biaggini estime lui aussi qu'étendre l'équivalence d'influence sur le résultat aux élections selon le système majoritaire constitue un développement du droit opéré par le TF, développement qui atteint ses limites: il appartient au pouvoir constituant, non au tribunal, de prendre des décisions déterminantes dans le domaine constitutionnel15. Giovanni Biaggini explique que, par comparaison avec ce que l'on observe dans d'autres pays, le développement du droit par une autorité judiciaire suprême semble être un processus très singulier. Il précise que lui-même ne connaît aucun ordre constitutionnel dans lequel une autorité similaire au TF déclarerait que l'équivalence d'influence sur le résultat serait applicable aux élections selon le système majoritaire16.

Au contraire, d'autres auteurs doutent de la constitutionnalité des élections aux parlements cantonaux selon le système majoritaire. Le plus virulent d'entre eux, Andreas Auer, estime que, dans sa conception actuelle, le système majoritaire n'est plus à même d'assurer l'exercice des droits politiques de façon représentative ou démocratique et viole la liberté de vote visée à l'art. 34 Cst. ainsi que le principe

14 15 16

Müller, Georg: Sind Wahlen von Parlamenten nach dem Majorzsystem verfassungswidrig? In: Revue suisse de jurisprudence 11/2015, 104 [en allemand].

Biaggini, Giovanni: Majorz und majorzgeprägte Mischsysteme: Parlamentswahlverfahren mit Verfalldatum? In: ZBl 117/2016, 413 [en allemand].

Biaggini, 415

11

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d'égalité politique visé à l'art. 8, al. 1, Cst., du moins lorsqu'il entraîne des quorums naturels de plus de 10 %17.

Dans un récent article, Julian Marbach critique lui aussi le système majoritaire.

Selon lui, la garantie des droits politiques prévue à l'art. 34 contient un droit à l'équivalence d'influence sur le résultat: les électeurs ont non seulement droit à ce que leur voix soit comptabilisée, mais également à ce qu'elle soit prise en considération comme les autres18. C'est pourquoi il conclut que le système majoritaire, qui ne peut garantir l'équivalence d'influence sur le résultat, viole les droits politiques.

1.7.2

Exigences du système proportionnel

Giovanni Biaggini critique également la jurisprudence du TF relative à l'application du système proportionnel. Le TF définit régulièrement l'équivalence d'influence sur le résultat, dans ce système, comme un principe applicable à l'échelle des circonscriptions. Ainsi, selon Giovanni Biaggini, le TF ne tient pas compte des cantons qui comprennent la notion constitutionnelle de «système proportionnel» non pas comme un système de représentation au niveau des circonscriptions, mais simplement comme une règle, propre à chaque circonscription, de conversion des voix en mandats19.

Dans la littérature spécialisée en sciences politiques, des voix critiques s'élèvent également concernant l'interprétation étroite de la notion de système proportionnel par le TF, en comparaison internationale. Par exemple, Georg Lutz estime que, s'il est globalement correct que les systèmes proportionnels doivent avoir un effet proportionnel, le quorum naturel de 10 % voulu par le TF est cependant arbitraire et ne repose sur aucune norme internationale reconnue20. D'ailleurs, une comparaison internationale montre que d'autres Etats reconnaissent les systèmes majoritaires (par ex. la France et le Royaume-Uni) et les systèmes mixtes (par ex. en Allemagne). Il y a lieu d'ajouter à ce sujet que, lors de l'élection du Conseil national suisse, les circonscriptions électorales sont de tailles très différentes.

Selon Georg Lutz, le TF se fonde sur une norme ­ laquelle consiste à donner la priorité absolue à l'équivalence d'influence sur le résultat ­ qu'il a lui-même créée.

L'accent mis sur une représentation qui soit le plus proportionnelle possible des partis est unilatéral: selon Georg Lutz, les systèmes électoraux ont encore d'autres objectifs légitimes, comme la représentation territoriale, la représentation de certains groupes sociaux (les femmes ou les minorités ethniques, par ex.), la prévention de la fragmentation et de la polarisation des systèmes des partis politiques ou la clarté des règles de conversion des voix en sièges21.

17

18 19 20 21

12

Auer, Andreas: Rechtsvergleichende Einordnung der neuen Verfassung. Die neue Verfassung des Kantons Graubünden im Rechtsvergleich: Traditionen, Innovationen und Besonderheiten. In: Bänziger et al. (éd.): Kommentar zur Verfassung des Kantons Graubünden. Chur/Glarus/Zürich 2006, ch. marg. 25 [en allemand].

Marbach, Julian: Ist der Majorz für kantonale Parlamentswahlen verfassungsgemäss?

In: Jusletter 28.11.2016 [en allemand].

Biaggini, 427 Lutz, Georg: Wahlsysteme: Proportionalität ist nicht alles. In: Parlament 3/12, 4 [en allemand].

Lutz, 6

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D'autres auteurs, au contraire, estiment que des quorums trop élevés limitent non seulement l'égalité en matière de droit de vote, mais également la liberté de vote des citoyens. Par exemple, Andrea Töndury estime que les électeurs sont de facto contraints de privilégier certains partis et leurs candidats. En effet, selon lui, si un citoyen vote pour un candidat d'un (trop petit) parti de minorité, sa voix est purement et simplement perdue22. Toutefois, Andrea Töndury critique aussi la proposition du TF de considérer la répartition des mandats à l'échelle de toutes les circonscriptions (selon la méthode de la répartition biproportionnelle) comme un moyen d'atténuer les effets négatifs de circonscriptions trop petites. Dans certains cas, c'est davantage le redécoupage du territoire qui lui semble incontournable, de manière à garantir l'équivalence d'influence sur le résultat à l'intérieur des circonscriptions également, et non seulement à l'échelle du territoire23.

Boris Müller critique lui aussi la méthode de la répartition biproportionnelle qui, déclare-t-il, vide totalement de sa substance la raison d'être des circonscriptions électorales: selon lui, il est alors possible qu'un candidat d'une circonscription soit «élu» sur la base des choix des électeurs d'autres circonscriptions, alors que les électeurs de la circonscription du candidat concerné n'avaient pas voté en sa faveur24.

Ainsi, la voix de l'électeur tombe au rang de simple voix pour un parti. En conséquence, dans les cas où le découpage des circonscriptions est objectivement injustifié et inégal, Boris Müller propose de le modifier de sorte qu'il satisfasse aux exigences constitutionnelles.

Anina Weber est d'un autre avis: elle estime que la procédure de répartition biproportionnelle est la seule méthode qui garantisse une proportion optimale25. Selon elle, les cantons doivent adapter leurs législations relatives aux droits politiques en introduisant la méthode biproportionnelle, en modifiant leurs circonscriptions électorales ou en regroupant des circonscriptions. Elle précise qu'une mise en oeuvre optimale de la garantie des droits politiques (et, partant, la garantie de la protection la plus complète des électeurs) doit avoir la priorité sur la sauvegarde de la souveraineté cantonale26.

Pierre Tschannen attribue lui aussi au TF
un rôle important dans l'application correcte du système proportionnel, considérant qu'il incombait essentiellement aux tribunaux de mettre en oeuvre la vision égalitaire des droits politiques et que les minorités n'ont, à elles seules, aucun poids contre les cartels du pouvoir27.

22

23 24 25 26 27

Töndury, Andrea: Der ewige K(r)ampf mit den Wahlkreisen, in: Direkte Demokratie: Herausforderungen zwischen Politik und Recht. Festschrift für Andreas Auer zum 65. Geburtstag. Bern 2013, 59 [en allemand].

Töndury, 66 Müller, Boris: Wahlkreisprobleme, in: AJP 2014, 1314.

Weber, ch. marg. 1292 Weber, Rz, 1295 Tschannen, Pierre: Die Schwyzer Kantonsverfassung, das Bundesgericht und die Bundesversammlung. Ein Lehrstück, in: Berner Gedanken zum Recht. Festgabe der Rechtswissenschaftlichen Fakultät der Universität Bern für den Schweizerischen Juristentag 2014, 425.

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Grandes lignes du projet

2.1

La procédure électorale «correcte»: une question politique

Les avis de spécialistes présentés ci-dessus montrent à quel point la question des systèmes électoraux est controversée. Cela s'explique par le fait que la représentation des forces politiques au sein d'un parlement change en fonction du système utilisé. La commission estime que c'est principalement au niveau politique qu'il appartiendra de répondre à ces questions controversées. En élevant au rang de norme des principes comme celui de la priorité absolue accordée à l'équivalence d'influence sur le résultat, puis en définissant des quorums arbitraires qu'il est nécessaire d'observer pour que ladite norme soit respectée, le TF s'est engagé sur la voie du développement du droit, comme l'ont fait remarquer différents auteurs.

Or, la majorité de la commission considère que l'évolution des procédures électorales devrait découler de la volonté des cantons et être décidée par ceux-ci plutôt que d'être imposée par le TF. Il appartient à chaque canton de mener la discussion politique sur la procédure électorale qui lui convient. Cela peut, et doit, conduire à des réformes des systèmes traditionnels. En fin de compte, il faut que la majorité de la population accepte, et surtout comprenne, la procédure électorale en vigueur dans son canton. En imposant des procédures opaques de répartition des mandats et en menaçant de sanctions le canton qui ne changerait pas sa procédure en ce sens, le TF ne contribue pas à la légitimation démocratique des procédures électorales.

La majorité de la commission n'est guère convaincue par l'argumentation selon laquelle des cartels de pouvoir formés par les majorités veulent rester sourds aux exigences justifiées des minorités en profitant du découpage des circonscriptions.

Souvent, ce découpage vise justement à protéger les minorités régionales. Les chantres de l'optimisation du système proportionnel partent du principe qu'il n'y a de minorités qu'au niveau des partis politiques; or, dans le système politique suisse, les partis jouent un rôle moins important que dans d'autres pays, et c'est encore plus le cas dans certains cantons.

2.2

Contribution à la sécurité du droit

La jurisprudence du TF exposée ci-dessus montre à quel point le tribunal interprète la notion d'«expression fidèle et sûre de [la] volonté». De manière péremptoire, il estime que l'équivalence d'influence sur le résultat doit se comprendre à l'échelle de toutes les circonscriptions.

Le TF justifie ces interprétations par son souci de garantir la sécurité du droit28. La commission partage l'avis selon lequel il est important d'assurer la sécurité du droit.

Toutefois, en critiquant le système majoritaire dans ses récents arrêts, le TF a plutôt contribué à une insécurité juridique. C'est la raison pour laquelle il n'incombe pas aux tribunaux, mais au législateur, de procéder à des interprétations élargies et sensibles sur le plan politique. Cependant, étant donné que l'OFJ est parvenu à la 28

14

ATF 136 I 376, consid. 4.5

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conclusion, dans son avis, que le législateur fédéral n'avait pas la compétence de définir des prescriptions légales à l'intention des cantons concernant leurs systèmes électoraux, il incombe au législateur cantonal d'édicter les règles en question. Pour que celui-ci puisse assumer cette responsabilité conformément aux intérêts de son canton, tout en tenant compte des spécificités locales, il faut de toute évidence une clarification d'ordre constitutionnelle au niveau fédéral.

2.3

Organisation autonome de la procédure d'élection (proposition de la majorité)

L'art. 39 Cst. est modifié de sorte que les cantons organisent la procédure d'élection de leurs autorités de manière autonome, selon le système majoritaire ou proportionnel, ou selon un système mixte. En outre, ils peuvent définir librement leurs circonscriptions électorales et leurs règles électorales particulières.

Cette modification permet de lever les incertitudes découlant des récents arrêts du TF concernant l'admissibilité des systèmes majoritaires ou mixtes. En outre, elle implique clairement que le TF ne peut plus établir de règles concernant la taille des circonscriptions électorales, ni prescrire aux cantons d'appliquer des mécanismes de compensation tels que la méthode biproportionnelle s'ils constituent des circonscriptions de taille modeste.

Le fait que les cantons organisent la procédure d'élection de leurs autorités de manière autonome ne signifie pas que les principes visés aux art. 8 et 34 Cst. ne s'appliquent pas à eux: il va de soi qu'ils doivent respecter ces principes. Les cantons doivent simplement déterminer eux-mêmes comment satisfaire aux exigences de ces deux dispositions constitutionnelles compte tenu de leurs spécificités locales.

Ainsi, ils doivent, d'une part, décider s'ils souhaitent recourir au système proportionnel au sein d'une circonscription électorale ou au niveau des circonscriptions et, d'autre part, déterminer quelles tailles les circonscriptions doivent avoir pour satisfaire aux règles du système choisi. Le TF ne pourra plus se fonder sur les deux dispositions constitutionnelles précitées pour déclarer qu'une procédure électorale cantonale est contraire au droit fédéral.

Les cantons sont donc autonomes pour organiser la procédure d'élection de leurs autorités, mais pas pour définir le droit régissant l'élection desdites autorités. Le présent projet ne change rien aux exigences que pose l'art. 8 Cst. au droit de vote et d'éligibilité.

2.4

Restriction des interventions du TF par l'ancrage de sa pratique actuelle dans la Constitution (proposition de la minorité)

L'art. 39 Cst. est modifié de manière à fixer la pratique actuelle du TF, à savoir que les cantons peuvent organiser leurs élections selon un système proportionnel, majoritaire ou mixte. Par conséquent, le TF ne pourra pas se démarquer de sa pratique actuelle et contester la légalité de certains systèmes électoraux. Cela permet de lever 15

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les incertitudes découlant des récents arrêts du TF relatifs à l'admissibilité des systèmes majoritaires ou mixtes.

En outre, les cantons pourront tenir compte de spécificités locales et régionales lorsqu'ils détermineront leurs circonscriptions électorales, là aussi conformément à la pratique actuelle du TF. Ils pourront ainsi déroger au principe de l'équivalence d'influence sur le résultat dans le système proportionnel si, par exemple, des motifs historiques justifient la constitution de petites circonscriptions ou s'ils prévoient des mécanismes de compensation qui englobent l'ensemble des circonscriptions électorales.

3

Commentaire par article

3.1

Proposition de la majorité

Art. 39, al. 1 Cet alinéa est reformulé de sorte qu'il ne mentionne plus que la compétence de la Confédération, le nouvel al. 1bis étant uniquement dédié à la compétence des cantons.

Art. 39, al. 1bis L'al. 1bis est créé afin de renforcer et de consolider la souveraineté des cantons en matière de procédure électorale aux niveaux cantonal et communal. L'ajout de cet alinéa permet de rendre les cantons plus autonomes dans ce domaine.

En rendant les cantons libres («frei» en allemand), la portée des art. 8 et 34 Cst. sera fortement réduite en matière de procédure électorale aux niveaux cantonal et communal, et les cantons ne pourront a priori plus se voir imposer de restrictions quant à leurs choix.

L'autonomie des cantons est également existante pour les circonscriptions électorales et les règles électorales particulières, contrairement à la proposition de la minorité qui la soumet à certaines conditions («... tenir compte de spécificités historiques, fédéralistes, culturelles, linguistiques, ethniques ou religieuses»).

La commission a discuté de la possibilité de compléter l'al. 1bis en y mentionnant expressément les art. 8 et 34 Cst. Elle est arrivée à la conclusion que si, dans les travaux préparatoires, il a clairement été énoncé que par «en toute autonomie» il est entendu qu'aucune restriction motivée par les art. 8 et 34 Cst. ne peut être imposée aux cantons dans le choix de leurs systèmes électoraux, de leurs circonscriptions électorales et de leurs règles électorales particulières, il n'était pas nécessaire de mentionner les art. 8 et 34 Cst. dans l'al. 1bis. Ces restrictions s'arrêtent au domaine de la procédure électorale: il ne serait par exemple pas possible de priver les femmes du droit de vote.

Les règles électorales particulières font référence aux règles qu'un canton peut mettre en place afin de protéger une ou plusieurs de ses spécificités locales ou régionales. Nous pouvons citer par exemple le siège francophone lors de l'élection du 16

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Conseil-exécutif du canton de Berne ou la règle qui veut qu'il n'y ait pas plus d'un conseiller d'Etat par district dans le canton du Valais.

Cette proposition devrait inciter le TF à ne plus demander le groupement de circonscriptions électorales ou l'utilisation du système biproportionnel dit «double Pukelsheim» comme il le fait dans sa jurisprudence actuelle29.

Pour finir, l'al. 1bis nomme explicitement les députés au Conseil des Etats afin de s'assurer que cette disposition s'applique également aux élections des conseillers aux Etats.

3.2

Proposition de la minorité

Art. 39, al. 1 L'al. 1 est identique à celui de la proposition de la majorité.

Art. 39, al. 1bis Cette proposition est créée afin d'exprimer plus clairement la souveraineté des cantons en matière de procédure électorale aux niveaux cantonal et communal.

L'al. 1bis permet de réaffirmer l'autonomie des cantons pour leurs choix de système électoral, en citant les possibilités qui s'offrent à eux: système majoritaire, proportionnel ou mixte.

Il autorise les cantons à délimiter leurs circonscriptions électorales en tenant compte de leurs spécificités historiques, fédéralistes, régionales, culturelles, linguistiques, ethniques ou religieuses. Cette terminologie reprend les mêmes critères que la jurisprudence actuelle du TF30. Elle permet à des cantons de former de plus petites circonscriptions, au détriment de la représentation proportionnelle, afin de protéger une minorité et de lui permettre d'être représentée.

Finalement, des règles électorales particulières peuvent également être prévues en tenant compte des mêmes spécificités locales ou régionales que celles citées cidessus. Cet ajout vise à protéger, par exemple, le siège francophone lors de l'élection du Conseil-exécutif du canton de Berne ou la règle qui veut qu'il n'y ait pas plus d'un conseiller d'Etat par district dans le canton du Valais. Les règles électorales particulières ne sont pas explicitement citées dans les initiatives cantonales de Zoug et d'Uri, mais elles font a priori partie du terme général «procédure électorale» que les deux cantons utilisent.

La proposition a pour but de mettre à jour l'art. 39 Cst. au regard de la jurisprudence actuelle du TF. Celui-ci demande parfois aux cantons d'utiliser le groupement de circonscriptions électorales ou l'utilisation du système biproportionnel dit «double Pukelsheim» afin de faire respecter l'esprit du scrutin proportionnel, mais il laisse les cantons libres de leur choix de système électoral, qu'il soit majoritaire, propor29 30

ATF 140 I 394 et arrêts antérieurs ATF 136 I 352 consid. 4.1

17

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tionnel ou mixte31. Cet al. 1bis mentionne que les cantons «peuvent» choisir leur système électoral et leurs circonscriptions électorales et prévoir des règles électorales particulières, mais ne prévoit pas une autonomie complète. Elle n'impliquera donc a priori pas de revirement de jurisprudence, mais assurera que le TF ne puisse pas devenir encore plus strict dans son appréciation de l'autonomie des cantons en ce qui concerne leurs procédures électorales cantonale et communale au regard des art. 8 et 34 Cst.

4

Conséquences

4.1

Conséquences financières et effet sur l'état du personnel

La modification constitutionnelle n'a aucune conséquence sur les finances ni sur le personnel.

4.2

Mise en oeuvre

Comme dans le droit en vigueur, la disposition constitutionnelle laisse aux cantons le soin de déterminer leur droit électoral et celui de leurs communes. La mise en oeuvre incombe donc aux cantons. Vu que la disposition constitutionnelle étend la marge de manoeuvre des cantons et accroît la sécurité du droit, sa mise en oeuvre par les cantons devrait être relativement aisée.

5

Forme de l'acte

Les compétences dans le domaine du droit électoral doivent être réglées au niveau de la Constitution. Les investigations de la commission ont montré que la Confédération ne pouvait pas édicter de règles au niveau de la loi concernant l'organisation des systèmes électoraux cantonaux et communaux (cf. ch. 1.3.1).

31

18

ATF 140 I 394 et arrêts antérieurs