04.018 Message concernant la garantie de la Constitution du canton des Grisons du 5 mars 2004

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons un projet d'arrêté fédéral simple accordant la garantie fédérale à la Constitution du canton des Grisons et nous vous proposons de l'adopter.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

5 mars 2004

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Joseph Deiss La chancelière de la Confédération, Annemarie Huber-Hotz

2003-2485

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Condensé En vertu de l'art. 51, al. 1, de la Constitution fédérale (Cst.), chaque canton doit se doter d'une constitution démocratique. Celle-ci doit avoir été acceptée par le peuple et doit pouvoir être révisée si la majorité du corps électoral le demande. Selon l'al. 2 de cet article, les constitutions cantonales doivent être garanties par la Confédération. Cette garantie est accordée si elles ne sont pas contraires au droit fédéral. Si une disposition constitutionnelle cantonale remplit ces conditions, la garantie fédérale doit lui être accordée; sinon, elle lui est refusée.

Le corps électoral du canton des Grisons a adopté, lors des votations populaires des 18 mai et 14 septembre 2003, la Constitution cantonale totalement révisée qui lui était soumise. La nouvelle Constitution est, dans sa forme et dans son contenu, une charte fondamentale moderne. Sa systématique est claire et son texte adapté aux réalités économiques et sociales de notre temps. Elle se caractérise en outre par les quelques innovations matérielles suivantes, qui font que la révision totale dépasse le simple toilettage: l'affirmation et la consécration du trilinguisme, le renforcement de la collaboration régionale, l'extension de la juridiction constitutionnelle et la simplification des compétences législatives. Il convient également de remarquer la réforme des droits politiques. Celle-ci porte en particulier sur le passage du référendum obligatoire au référendum facultatif, sur la réduction du nombre de signatures pour les initiatives, sur la possibilité pour les communes d'octroyer le droit de vote et d'éligibilité aux étrangers, sur le doublement du montant des dépenses soumises au référendum financier, ainsi que sur la possibilité de soumettre à des votes distincts le principe d'une révision législative et ses variantes.

L'examen auquel nous avons procédé a révélé que toutes les dispositions de la nouvelle Constitution remplissent les conditions requises pour l'octroi de la garantie. Nous ne considérerons, dans le présent message, que les dispositions qui ont un rapport direct avec des matières réglées par le droit fédéral.

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Table des matières Condensé

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1 Bref historique de la révision totale

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2 Structure et contenu de la Constitution

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3 Conditions de l'octroi de la garantie 3.1 Généralités 3.2 Acceptation par le peuple 3.3 Révisibilité 3.4 Constitution démocratique 3.5 Conformité au droit fédéral 3.5.1 Considérations générales 3.5.2 Structure du canton 3.5.3 Droits fondamentaux 3.5.4 Tâches publiques 3.5.5 Organisation des autorités et procédures 3.6 Résumé

998 998 999 999 999 1001 1001 1001 1002 1002 1003 1004

4 Constitutionnalité

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Arrêté fédéral accordant la garantie fédérale à la constitution du canton des Grisons (Projet)

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Constitution du Canton des Grisons

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Message 1

Bref historique de la révision totale

Lors de la votation populaire du 28 septembre 1997, le corps électoral du canton des Grisons a accepté le principe d'une révision totale de la Constitution cantonale du 2 octobre 1892. Le Gouvernement cantonal a alors constitué une commission de 30 membres qu'il a chargée d'élaborer un nouveau projet de Constitution cantonale.

Une large consultation a permis à toutes les personnes et organisations intéressées de s'exprimer sur le projet de la commission constituante. Sur la base de ces résultats, le Gouvernement cantonal a préparé un avant-projet de Constitution cantonale. Le Grand Conseil a consacré quatre de ses sessions, en 2002, à ce projet et décidé, par 90 voix contre 1, de soumettre la nouvelle Constitution cantonale au vote du peuple grison. Les débats parlementaires ayant révélé que le mode d'élection du parlement cantonal constituait une pierre d'achoppement, le Grand Conseil a décidé de soumettre au vote du peuple une variante, de façon à lui permettre de décider s'il voulait conserver le mode électoral actuel (système majoritaire) ou s'il lui préférait le nouveau «modèle grison». Il a donc procédé de la même manière que lorsqu'il oppose un contre-projet à une initiative. Une claire majorité de oui s'est dégagée du vote sur les deux questions principales. La variante «Constitution cantonale et système majoritaire» a obtenu 26 814 oui contre 13 368 non, la variante «Constitution cantonale et modèle grison» 26 622 oui contre 13 195 non. A la question subsidiaire, le «modèle grison» l'a emporté d'une très courte majorité de 12 voix (20 441 suffrages contre 20 429). Un nouveau décompte des bulletins de vote, ordonné suite à un recours, a fait basculer le résultat en faveur de la variante «Constitution cantonale et système majoritaire», par un écart de 24 voix. Saisi d'un recours contre la décision de recomptage, le Conseil d'Etat l'a annulée et a ordonné une deuxième votation populaire sur la seule question subsidiaire. C'est finalement le statu quo qui a gagné: le «système majoritaire» l'a emporté sur le «modèle grison», par 16 498 voix contre 14 318, lors de la votation du 14 avril 2003.

Par lettre du 26 septembre 2003, la Chancellerie d'Etat du canton des Grisons demande la garantie fédérale.

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Structure et contenu de la Constitution

La nouvelle Constitution a pour ambition d'instaurer une organisation de l'Etat proche des citoyens, de répartir efficacement les compétences à tous les niveaux de l'Etat (canton, régions et communes) et de garantir des processus de décision démocratiques, corrects et rapides. Adaptée aux exigences de notre époque, elle est rédigée de manière structurée et dans un langage compréhensible pour les citoyens.

Comparée à la Constitution de 1892, la nouvelle loi fondamentale est plus qu'un simple toilettage. Les innovations de fond les plus significatives qu'elle apporte peuvent se résumer comme suit: ­

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Le trilinguisme est clairement affirmé par la consécration de l'allemand, du romanche et de l'italien en tant que langues nationales et officielles équivalentes, par la protection des langues minoritaires (romanche et italien) et par

la consécration de l'autonomie des communes et des régions dans le choix des langues officielles et d'enseignement.

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Les droits populaires sont renforcés et rééquilibrés par divers moyens. Les communes ont la faculté d'octroyer aux étrangers le droit de vote et d'éligibilité pour les affaires communales. Un droit commun d'initiative est reconnu à un certain nombre de communes, de façon à renforcer les secteurs peu peuplés et les régions périphériques. Du fait de la substitution du référendum facultatif au référendum obligatoire, les seuils des signatures requises sont abaissés. Pour garder la même cohérence, le montant des dépenses soumises au référendum financier obligatoire est en revanche doublé. Enfin, le Parlement peut désormais soumettre à des votes distincts le principe d'une révision législative et ses variantes.

­

La collaboration régionale est renforcée.

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La base légale nécessaire pour suspendre ou destituer des membres des autorités est inscrite dans la nouvelle Constitution.

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Les compétences législatives sont simplifiées. Du chef du passage au référendum facultatif, la compétence réglementaire du Grand Conseil est limitée, ce qui contribue à renforcer la démocratie.

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L'indépendance des autorités judiciaires est renforcée.

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L'extension de la juridiction constitutionnelle consolide la protection juridique des citoyens.

­

L'autonomie des communes est désormais inscrite dans la Constitution.

­

Les tâches les plus importantes et les plus durables de l'Etat sont mentionnées, en particulier l'urbanisation décentralisée du territoire cantonal, la protection des territoires faiblement urbanisés et des régions périphériques.

Contrairement à l'ancienne, la nouvelle Constitution a un préambule qui traduit son esprit et fixe une ligne de conduite à l'Etat. Les 107 articles qui suivent sont divisés en 10 titres qui traitent successivement des dispositions générales et des principes de l'activité de l'Etat; des droits fondamentaux et des buts sociaux; des droits politiques; des autorités et des tribunaux; de l'organisation du canton; des tâches publiques, du régime des finances; de l'Etat et des Eglises; de la révision de la Constitution cantonale et, enfin, des dispositions finales.

Le titre I (art. 1 à 6) définit le canton des Grisons, ainsi que ses rapports avec la Confédération, les cantons et l'étranger, traite des langues, de la séparation et de l'équilibre des pouvoirs, pose les principes de l'Etat fondé sur le droit ainsi que celui de la responsabilité individuelle.

Le titre II (art. 7 et 8) garantit les droits fondamentaux dans les limites de la Constitution fédérale et des traités internationaux contraignants pour la Suisse. Il consacre de la même manière les garanties de procédure et la protection juridique.

Le titre III (art. 9 à 20) réglemente les droits politiques. Il détermine le droit de vote et d'éligibilité, de même que les principes qui prévalent en matière d'élections et de votations. Il traite de l'initiative populaire et du référendum. Il reconnaît le rôle des partis politiques.

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Le titre IV (art. 21 à 59) instaure les règles d'éligibilité et les cas d'incompatibilités et d'immunités, ainsi que la durée des différentes fonctions. Il règle l'organisation et les tâches du parlement (Grand Conseil), du gouvernement (Conseil d'Etat) et des tribunaux. Il régit également l'exercice des droits de participation au niveau fédéral (élection au Conseil des Etats, référendum et initiative cantonaux).

Le titre V (art. 60 à 74) établit les fondements de l'organisation du canton. Il énumère les types de communes (communes politiques et bourgeoisies), pose des principes généraux en matière de fusion et encourage la collaboration intercommunale.

Il consacre l'autonomie des communes, énumère les organes dont elles doivent se doter et détermine la portée de la surveillance de l'Etat sur les communes et les organismes de coopération intercommunale. Il concrétise la base de la division territoriale du canton en cercles et en districts et autorise la création de syndicats régionaux. Il réglemente sommairement le statut, les tâches, l'organisation et la surveillance des cercles, des districts et des syndicats régionaux.

Le titre VI (art. 75 à 92) est consacré aux tâches publiques. Il en fixe d'abord les principes généraux, puis les précise en les rattachant aux domaines suivants: maintien de l'ordre public; aménagement du territoire, environnement, énergie, transports et communications; économie; affaires sociales, santé et famille; éducation, culture et loisirs; coopération internationale.

Le titre VII (art. 93 à 97) a trait au régime des finances. Il pose le principe de l'économie et de l'efficacité, consacre les compétences fiscales respectives du Canton et des communes et arrête les principes de l'imposition et de la péréquation financière.

Il confie la surveillance en matière financière au Grand Conseil, sous réserve de l'assistance d'un organe de contrôle indépendant.

Le titre VIII (art. 98 à 100) reconnaît l'Eglise évangélique réformée et l'Eglise catholique romaine comme collectivités de droit public. Il leur reconnaît une autonomie dans les limites du droit cantonal, en particulier celle de prélever des impôts auprès de leurs membres.

Le titre IX (art. 101) règle la révision totale et partielle de la Constitution.

Le titre X (art. 102 à 107), enfin, contient les dispositions transitoires et finales.

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Conditions de l'octroi de la garantie

3.1

Généralités

En vertu de l'art. 51, al. 1, Cst., chaque canton doit se doter d'une constitution démocratique. Celle-ci doit avoir été acceptée par le peuple et doit pouvoir être révisée si la majorité du corps électoral le demande. Selon l'al. 2 de cet article, les constitutions cantonales doivent être garanties par la Confédération. Cette garantie est accordée si elles ne sont pas contraires au droit fédéral. Si une disposition constitutionnelle cantonale remplit ces conditions, la garantie fédérale doit lui être accordée; sinon, elle lui est refusée.

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3.2

Acceptation par le peuple

La nouvelle Constitution a été soumise au vote du peuple le 18 mai 2003; le vote sur la variante a été répété le 14 septembre 2003. Les votants ont adopté la nouvelle Constitution (cf. ch. 1).

L'art. 51, al. 1, Cst., qui pose l'exigence de l'acceptation de la Constitution par le peuple, est donc pleinement respecté.

3.3

Révisibilité

L'art. 101, combiné aux art. 9 et 12 de la nouvelle Constitution, règle les procédures de révision constitutionnelle. La révision totale ou partielle de la Constitution cantonale peut être demandée soit par le Grand Conseil, soit par le peuple (art. 101, al. 3).

Selon l'art. 12, al. 1, de la nouvelle Constitution, 4000 électeurs peuvent demander une révision totale ou partielle de la Constitution. La possibilité de réviser librement la Constitution cantonale au sens où l'exige l'art. 51, al. 1, Cst. est donc conférée aux citoyens.

3.4

Constitution démocratique

Une constitution cantonale satisfait à l'exigence du caractère démocratique dès lors qu'elle prévoit un parlement élu par le peuple et respecte le principe de la séparation des pouvoirs (FF 1997 I 221). En vertu de l'art. 39, al. 1, Cst., la réglementation de l'exercice des droits politiques par le peuple relève, au niveau cantonal, de la compétence des cantons; dans l'exercice de cette compétence, ils sont toutefois tenus de respecter certaines règles matérielles fédérales et, en particulier, le principe de l'égalité inscrit à l'art. 8 Cst. et celui du suffrage universel et égal (FF 2001 2359; ATF 129 I 185 ss; Ulrich Häfelin/Walter Haller, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 5e éd., Zürich 2001, n° 1016). Quant au principe de la séparation des pouvoirs, les cantons disposent d'une importante marge de manoeuvre puisque la manière dont ils le concrétisent dans leur droit constitutionnel relève de leur compétence (FF 1995 I 965).

L'art. 11, ch. 1, de la nouvelle Constitution prévoit que les membres du Grand Conseil et leurs suppléants sont élus par le peuple, à savoir par toutes les personnes détentrices des droits politiques telles qu'elles sont définies à l'art. 9 de la nouvelle Constitution. Cette dernière disposition accorde le droit de vote en matière cantonale aux Suissesses et aux Suisses qui sont domiciliés dans le canton, qui sont âgés de dix-huit ans révolus et qui ne sont pas interdits pour cause de maladie mentale ou de faiblesse d'esprit (al. 1 et 2). Le droit de vote des Suisses de l'étranger sera réglé dans la loi (al. 3).

L'art. 9, al. 1, de la nouvelle Constitution correspond à la solution consacrée dans presque toutes les constitutions cantonales, laquelle est pratiquement dictée par l'art. 39, al. 3, Cst., qui dispose que nul ne peut exercer ses droits politiques dans plus d'un canton.

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Parmi les droits politiques que la nouvelle Constitution confère au corps électoral grison en matière cantonale, il y a lieu de mentionner, en sus du droit d'élire les membres du Grand Conseil (art. 11, ch. 1), le droit d'élire les membres du Gouvernement (art. 11, ch. 2) et les représentants du canton des Grisons au Conseil des Etats (art. 11, ch. 3), le droit d'initiative qui peut avoir pour objet la Constitution, une loi ou un décret (art. 12), ainsi que le référendum obligatoire (art. 16) et le référendum facultatif (art. 17).

Quant à la réglementation de l'organisation des autorités du canton des Grisons, telle qu'elle ressort des art. 21 ss de la nouvelle Constitution (voir également, à ce propos, infra ch. 3.5.5), force est de reconnaître qu'elle répond en tout point au principe de la séparation des pouvoirs, lequel y est d'ailleurs expressément rappelé (art. 4).

Selon l'art. 27, al. 2, de la Constitution du canton des Grisons, les membres du Grand Conseil sont élus au scrutin majoritaire; de plus, selon l'al. 2 de cette même disposition, les cercles tiennent lieu de circonscriptions électorales. A l'occasion du vote sur la variante, qui a été répété le 14 septembre 2003, le corps électoral a refusé de renoncer au scrutin majoritaire en vigueur et a rejeté le «modèle grison», qui consistait en un compromis entre le système majoritaire et le système proportionnel.

A part le canton des Grisons, seul celui d'Appenzell Rhodes-Intérieures élit les membres de son Parlement au scrutin purement majoritaire; quelques cantons ont un système mixte (par exemple Appenzell Rhodes-Extérieures qui permet aux communes d'introduire le scrutin proportionnel [art. 71, al. 4, de la Constitution cantonale d'Appenzell Rhodes-Extérieures; RS 131.224.1] et Uri, où le système proportionnel n'est admissible que dans l'hypothèse de l'élection de trois conseillers au minimum dans une commune [art. 88, al. 1, de la Constitution du canton d'Uri; RS 131.21]) ou prévoient un scrutin proportionnel. Selon la jurisprudence et la doctrine majoritaire (ATF 129 I 185 ss, consid. 3.1; Yvo Hangartner/Andreas Kley, Die demokratischen Rechte in Bund und Kantonen der Schweizerischen Eidgenossenschaft, Zürich 2000, p. 578, n° 1418; Vincent Martenet, L'autonomie constitutionnelle des cantons, Bâle/Genève/Munich 1999, p. 359 ss;
Pierre Tschannen, Stimmrecht und politische Verständigung: Beiträge zu einem erneuerten Verständnis von direkter Demokratie, Basel/Frankfurt am Main 1995, p. 40, n° 57; Tomas Poledna, Wahlrechtsgrundsätze und kantonale Parlamentswahlen, Zürich 1988, p. 135), le droit fédéral n'interdit pas aux cantons de prévoir un système purement majoritaire pour l'élection de leur Parlement. La doctrine pointe en revanche du doigt les inconvénients du système majoritaire. Kölz (op. cit., p. 37) expose par exemple que, même si on ne peut qualifier le système majoritaire de non démocratique, il conduit néanmoins à ne pas prendre en considération des fractions très importantes du corps électoral et il ne concrétise ainsi que de façon insatisfaisante le principe de la représentativité, lequel devrait précisément constituer le principe directeur suprême de l'élection du Parlement. Kölz utilise précisément l'exemple du canton des Grisons pour illustrer ces conséquences (ibid. p. 37). Selon Tschannen, l'interprétation de l'art. 6 aCst. devrait tenir compte du fait que, depuis l'adoption de cette disposition, le système proportionnel est devenu le standard national qui représente désormais selon l'opinion générale les formes républicaines imposées par l'art. 6, al. 2, let. b, aCst. aux systèmes électoraux cantonaux. (Tschannen, op. cit. p. 500, n° 751). En résumé, l'adoption du système majoritaire pour les élections cantonales est certes considérée comme conforme au droit fédéral, mais cette opinion est critiquée par la doctrine, quelques auteurs réclamant même un changement de pratique. On peut en conséquence douter de la constitutionnalité du système majoritaire s'agissant de l'élection 1000

d'un Parlement cantonal même si les dispositions constitutionnelles cantonales qui consacrent le scrutin majoritaire pour l'élection du Parlement cantonal ont jusqu'à maintenant toujours obtenu une garantie sans réserve. Pour des motifs tirés de la protection de la bonne foi, une modification de cette jurisprudence ne saurait donc intervenir sans préavis. Au vu de ces circonstances, la garantie doit être accordée à l'art. 27, al. 2, de la Constitution du canton des Grisons.

L'art. 51, al. 1, Cst., en tant qu'il exige des cantons qu'ils se dotent d'une constitution démocratique, est donc respecté.

3.5

Conformité au droit fédéral

3.5.1

Considérations générales

L'un des problèmes qui se posent lorsqu'il s'agit d'examiner la conformité au droit fédéral d'une constitution cantonale intégralement révisée est que l'on doit confronter des dispositions fondamentales cantonales, en principe conçues pour durer plusieurs décennies, avec l'ensemble du droit fédéral, qui, lui, est sujet à de fréquents changements (surtout en ce qui concerne les lois). Par conséquent, il n'est pas exclu que des dispositions qui bénéficient aujourd'hui de la garantie fédérale deviennent, d'ici quelques années déjà, sans objet ou du moins voient leur portée limitée par des modifications ultérieures du droit fédéral.

Un canton ne peut réglementer un domaine dans lequel la Confédération possède une compétence exclusive. En revanche, il peut assumer des tâches qui relèvent d'une compétence fédérale concurrente, même là où elle n'est pas limitée aux principes, lorsque la Confédération n'a pas entièrement utilisé sa compétence. Dans cette hypothèse toutefois, les normes constitutionnelles cantonales ont, examinées à la lumière du droit fédéral, une portée plus limitée que ne le laisse supposer leur libellé. Mais, dans la mesure où, interprétées conformément au droit fédéral, ces normes peuvent se fonder sur une compétence cantonale résiduelle, elles doivent recevoir la garantie fédérale.

3.5.2

Structure du canton

La nouvelle Constitution reconnaît, comme entités territoriales du canton, les districts, les cercles et les communes. L'art. 62, al. 1, 2e phrase, permet au canton de contraindre les communes à coopérer. La Constitution n'énumère pas les communes, n'en fixe pas le nombre ni n'en délimite le territoire. La réglementation de la fusion des communes est déléguée au législateur (art. 63). L'autonomie communale, dont la portée est déterminée par le droit cantonal, est expressément garantie par la Constitution (art. 65). Les districts, circonscriptions de juridiction en matière civile et pénale (art. 71), et les cercles, subdivisions du district constituant des collectivités régies par le droit public cantonal et accomplissant les tâches déléguées par le canton ou les communes (art. 70), sont expressément mentionnés dans la Constitution (art. 68). Celle-ci mentionne les organes dont doivent être dotés les communes, les cercles et les syndicats régionaux (art. 66 et 73), pose les principes de la surveillance (art. 67 et 74) et renvoie au législateur la réglementation d'autres domaines tels que

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la garantie des droits de participation politique dans la coopération intercommunale (art. 62, al. 2) et le statut juridique des districts (art. 71, al. 2).

Toutes ces dispositions, qui ressortissent au domaine de compétences des cantons, ne contiennent aucun élément contraire au droit fédéral matériel.

3.5.3

Droits fondamentaux

Selon la doctrine et la jurisprudence, les droits fondamentaux garantis par les cantons ont une portée autonome dans la mesure où ils accordent une protection plus étendue que le droit fédéral (Andreas Auer/Giorgio Malinverni/Michel Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. II: Les droits fondamentaux, Berne 2000, p. 40 ss; Vincent Martenet, L'autonomie constitutionnelle des cantons, Bâle 1999, p. 420 ss; ATF 121 I 267/269; 119 Ia 53/55). Cela signifie que les cantons peuvent protéger les mêmes droits que la Confédération ou aller au-delà. Mais cela signifie aussi que la garantie fédérale ne saurait être octroyée si le canton accorde, expressément et de manière impérative, une protection moins étendue que la Confédération ne le fait par ses droits fondamentaux.

S'agissant des droits fondamentaux, des buts sociaux, des garanties de l'Etat de droit (garanties de procédure et garantie de la protection juridique), la Constitution du canton des Grisons se borne à renvoyer au droit supérieur que constituent la Constitution fédérale et les traités internationaux contraignants pour la Suisse (art. 7 et 8).

3.5.4

Tâches publiques

Selon les art. 3 et 43 Cst., les cantons exercent toutes les compétences qui ne sont pas attribuées à la Confédération. C'est pourquoi le droit fédéral n'exige pas que les législations cantonales aient une base expresse dans la Constitution du canton. La plupart des cantons ont ainsi renoncé à une énumération exhaustive des tâches publiques et de leur législation correspondante dans leur constitution. La Constitution du canton des Grisons suit quant à elle l'exemple des Constitutions des cantons de Berne, d'Uri, de Soleure, de Glaris et de Vaud (RS 131.212, 131.214, 131.221, 131.217 et 131.231) qui, pour des raisons tenant à la clarté, à la sécurité juridique et à la répartition des tâches entre canton et communes, contiennent un catalogue détaillé des tâches que devront remplir l'Etat et les communes. Ce catalogue s'adresse en réalité au législateur, qui devra les concrétiser par des lois en respectant à cet effet les limites fixées par le droit fédéral. La Constitution du canton des Grisons énumère les tâches les plus importantes et qui devront être accomplies à long terme, parmi lesquelles la protection de l'ordre public, l'aménagement du territoire, l'environnement, l'énergie, les télécommunications, l'économie, les affaires sociales, la santé, la famille, la formation, la culture, les loisirs et la coopération internationale.

La solution consacrée au titre VI de la Constitution grisonne n'implique aucune contradiction avec le droit fédéral, même si les dispositions de ce titre mentionnent certains domaines qui se recoupent avec les compétences de la Confédération, par exemple en matière d'infrastructure (art. 82), de politique économique (art. 82), d'intégration (art. 86) et d'aide humanitaire (art. 92, al. 2). En effet, même dans les domaines où la Confédération a légiféré, les cantons conservent d'importantes 1002

tâches d'exécution et des compétences résiduelles; une liste de ces tâches peut être de surcroît justifiée dans la mesure où la Constitution remplit une fonction d'information.

3.5.5

Organisation des autorités et procédures

Les règles sur la composition, les attributions et l'organisation des autorités cantonales et communales et les procédures prévues pour leur activité tiennent suffisamment compte des exigences du droit fédéral.

Les conditions d'éligibilité et les incompatibilités applicables aux membres des autorités cantonales (art. 21 et 22) sont conformes au droit fédéral. Le principe de la séparation des pouvoirs est exprimé dans l'art. 4 et trouve sa concrétisation dans les dispositions sur les incompatibilités (art. 22) et sur le partage des compétences entre le Grand Conseil, le Conseil d'Etat et les autorités judiciaires (art. 30 ss, 42 ss et 54).

La suspension et la destitution des membres des autorités sont renvoyées au niveau de la loi (art. 21, al. 3).

S'agissant de la procédure législative, les dispositions qui confèrent au Grand Conseil ­ sous réserve du référendum facultatif (art. 17) ou obligatoire (art. 16) ­ la compétence d'adopter les lois et les ordonnances et d'approuver les traités internationaux et les concordats ne relevant pas de la compétence exclusive du Conseil d'Etat (art. 45, al. 2), répondent aux exigences démocratiques fixées à l'art. 51, al. 1, 1re phrase, Cst. A cet égard, on relèvera que la délimitation des compétences normatives entre le Grand Conseil et le Conseil d'Etat s'opère de façon qu'il incombe au premier d'édicter les règles générales et abstraites importantes sous la forme de lois, tandis qu'il appartient au second d'adopter les dispositions moins importantes sous la forme d'ordonnances (art. 45, al. 1). Sont notamment considérées comme importantes et doivent en conséquence être édictées par le Grand Conseil les dispositions auxquelles la Constitution impose la forme de la loi ainsi que celles qui répondent à une série de critères dont la description correspond étroitement à celle de l'art. 164, al. 1, Cst. (art. 31, al. 2).

Les compétences des autorités judiciaires en matière civile et pénale sont sommairement réglées au niveau constitutionnel (art. 54), tandis que celles des juridictions constitutionnelles et administratives sont élargies (art. 55).

L'art. 3 de la Constitution du canton des Grisons régit les langues nationales et officielles. L'allemand, le romanche et l'italien sont équivalents (al. 1). Le canton et les communes soutiennent ou prennent les
mesures nécessaires à la sauvegarde et à l'encouragement du romanche et de l'italien (al. 2). L'al. 3 permet aux communes et aux cercles de choisir leurs langues officielles et les langues dans lesquelles l'enseignement est dispensé dans les écoles. Dans ce cadre, ils doivent collaborer avec le canton, tenir compte de la composition linguistique traditionnelle et prendre en considération les minorités linguistiques traditionnellement implantées sur leur territoire. Cette disposition est proche de l'art. 70 Cst. et ne contient rien qui soit contraire au droit fédéral.

Les différentes règles d'organisation de la Constitution du canton des Grisons sont conformes à la compétence des cantons en matière d'organisation (art. 3 et 39, al. 1, Cst.) et ne violent pas d'autres dispositions du droit fédéral.

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3.6

Résumé

La Constitution du canton des Grisons des 18 mai et 14 septembre 2003 satisfait aux exigences posées à l'art. 51, al. 2, 2e phrase, Cst.; la garantie doit dès lors lui être accordée.

4

Constitutionnalité

En vertu des art. 51 et 172, al. 2, Cst., il appartient à l'Assemblée fédérale d'accorder la garantie aux dispositions constitutionnelles cantonales.

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