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Rapport du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale relatif à la demande d'initiative populaire sur la question des étrangers.

(Du 6 juin 1921.)

Par arrêté fédéral du 28 janvier 1921, l'Assemblée fédérale a constaté que la demande d'initiative populaire concernant la .question des étrangers, appuyée par 59 812 signatures valables de citoyens suisses jouissant de leurs droits civiques, avait abouti. A cette occasion, il fut décidé de diviser l'initiative en deux parties et de les soumettre chacune séparément (initiative I et II) à la votation populaire.

Nous avons l'honneur de vous faire rapport sur cette demande d'initiative.

La première initiative a la teneur suivante : « L'alinéa 2 de l'article 44 de la constitution fédérale du 29 mai 1874 est abrogé et remplacé par les dispositions ciaprès : «Art. 44bis. L'étranger obtient la nationalité suisse en se faisant recevoir citoyen d'une commune et d'un canton.

Il doit demander à cet effet l'autorisation préalable du Conseil fédéral. Celle-ci ne pourra être accordée que si, au cours des quinze années qui ont précédé sa demande, l'étranger a eu en Suisse son domicile effectif, pendant au moins douze ans, dont deux immédiatement avant le dépôt de la demande.

Cette restriction ne s'applique ni à la femme mariée, la-

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quelle acquiert de plein droit la nationalité du mari, ni aux enfants âgés de moins de quinze ans, lorsqu'ils sont naturalisés en même temps que leurs parents.

Les étrangers naturalisés qui n'ont pas eu en Suisse leur domicile effectif pendant au moins douze ans depuis l'âge de cinq ans révolus jusqu'à la majorité ne sont pas éligibles comme membres des autorités politiques fédérales, cantonales et communales. En autorisant la naturalisation, le Conseil fédéral recherche si cette condition est réalisée et décide si par conséquent le nouveau citoyen suisse est éligïhle.

Pour le surplus, la législation fédérale fixera les conditions auxquelles les étrangers peuvent être naturalisés. Elle facilitera la naturalisation des étrangers nés et élevés eu Suisse; elle pourra décréter leur naturalisation de plein droit.

La législation fédérale fixera également les conditions auxquelles un Suisse peut renoncer à sa nationalité poiir acquérir la naturalisation dans un pays étranger ».

Le texte de cette initiative comprend trois points que nous avons à examiner séparément, à savoir : l'aggravation des conditions de domicile, l'exclusion des naturalisés de l'éligibilité et l'acquisition du droit de cité suisse par incorporation. ' 1. Conditions de domicile.

Lorsqu'on juin 1876, le Conseil fédéral soumit pour la première fois aux Chambres le projet d'une loi fédérale sur les naturalisations, il proposa d'exiger des candidats un domicile ordinaire dans notre pays d'au moins une année.

L'Assemblée fédérale estima cette condition insuffisante et, dans la loi sur les naturalisations qu'elle adopta le 3 juillet suivant, fixa à deux ans le délai d'assimilation (condition de domicile à exiger des requérants). Lors de la revision de la loi en 1903, cette disposition fut reprise telle quelle sans aucune discussion dans le texte de la nouvelle loi du 25 juin 1903.

La grande laffluence des candidats à notre indigénat -- résultat de la crise engendrée par la guerre mondiale -- nous conduisit à prendre en date du 30 novembre 1917 une décision portant provisoirement à quatre ans le domicile requis des candidats à notre inddgénat; puis, par message du 28 juin

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1919, nous vous avons soumis un projet de loi qui élevait à six ans le domicile préalable exigé dans notre pays. La loi fédérale issue de ce projet, adoptée le 26 juin 1920 et entrée en vigueur le 15 octobre de la même année, pose les conditions de domicile suivantes : « L'autorisation (de se faire naturaliser en Suisse) n'est accordée que si l'étranger, muni d'un permis de séjour ou d'établissement délivré par l'autorité compétente, a résidé effectivement en Suisse pendant au moins six années au cours des douze années qui précèdent sa requête.

« Les étrangers qui sont nés en Suisse et y ont résidé au moins dix années au cours des vingt premières années de leur vie, peuvent obtenir l'autorisation après une résidence effective en Suisse de trois années au cours des cinq années qui précèdent leur requête.

« Dans tous les cas, le requérant doit avoir résidé effectivement en Suisse sans interruption pendant les deux années qui précèdent sa requête. » Les motifs qui nous ont conduits à la nécessité de prolonger le délai d'assimilation ont été exposés en détail dans notre message susvisé du 28 juin 1919 auquel nous nous permettons de nous en rapporter.

La question qui se pose aujourd'hui est celle de savoir s'il existe des raisons de porter le domicile obligatoire à douze ans, ainsi que le proposent les signataires de l'initiative.

Parcourons tout d'abord les dispositions légales qui règlent cette matière dans les autres Etats.

En Allemagne, en Autriche et dans le Liechtenstein, la naturalisation n'est pas subordonnée à un domicile d'une certaine durée; le seul fait d'y avoir son domicile effectif permet à l'étranger de demander s.a naturalisation.

Le Portugal réclame un domicile préalable d'une année; plusieurs Etats de rAinérique du Sud exigent un domicile de deux ans. La Finlande, la Grèce, la Norvège et la Suède en exigent trois; la Grèce réduit d'ailleurs ce délai à deux :ans pour les étrangers de souche grecque.

Un grand nombre d'Etats ont fixé à cinq ans le domicile qui d'oit précéder la demande en naturalisation : c'est le cas en Belgique, au Danemark, en Angleterre, en Italie, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Russie, en Turquie, en Hongrie et aux Etats-Unis d'Amérique.

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En dehors de cette règle des cinq ans, l'Italie prévoit des exceptions abrégeant la durée du domicile préalable. Ainsi les étrangers qui ont rendu des services à l'Etat ou qui ont épousé une Italienne peuvent obtenir la naturalisation déjà ·après un séjour de trois ans. Le domicile exigé est réduit à une année pour les candidats qui auraient acquis la nationalité italienne de par la loi (jure soli) s'ils avaient requis cette nationalité dans les délais légaux. Certaines catégories de candidats sont dispensées de toute condition de domicile; telles les personnes qui. ont été, pendant au moins trois ans, ·au service de l'Etat à l'étranger ou qui, par leurs services, ont bien mérité du Royaume pu encore celles à qui la nationalité italienne est conférée par une loi spéciale du parlement. De même la législation des Etats-Unis d'Amérique prévoit des facilités, puisqu'un service de trois ans sur un bâtiment battant pavillon américain ou d'un an dans les rangs de l'armée suffisent pour l'acquisition de la nationalité.

La Serbie requiert un domicile de sept ans.

La France, la Bulgarie, la Roumanie et l'Espagne en réclament dix.

En France toutefois, le séjour peut être réduit à trois ans en faveur des candidats qui revendiquent au préalable et obtiennent l'«admission à domicile », laquelle leur confère la jouissance des droits civils au même titre qu'aux Français. Si le requérant épouse une Française ou s'il a rendu des services à l'Etat, un domicile d'une année est tenu pour suffisant.

La Bulgarie possède des dispositions analogues. Le requérant doit ou bien être domicilié dans le pays d'une façon ininterrompue depuis plus de dix ans, ou bien justifier qu'après avoir obtenu une « admission à domicile » analogue à celle que prévoit la législation française, il a résidé durant trois ans sur territoire bulgare. Enfin, ce délai peut être réduit à une année pour les personnes qui ont rendu des services signalés au pays.

En Espagne, le domicile exigé n'est plus que de cinq ans, lorsqu'il s'agit d'un -candidat qui a épousé une Espagnole ou qui s'est distingué par des services rendus à l'Etat.

La Roumanie fait abstraction de la condition de domicile pour les candidats nés et élevés dans le pays, de même

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que pour ceux qui ont rendu des services importants ait pays ou qui, pendant la gruerre, ont servi sous les drapeaux roumains.

Il résulte de ce qui précède que la plupart, des Etats secontentent d'un délai d'assimilation de cinq ans et que les.

pays dans lesquels ce délai est de dix ans prévoient de nombreuses exceptions qui en abrègent la durée. Aucun Etat ne va au delà de dix années. Pour ce qui est de la Suisse, nous, constatons que lors de la discussion de la loi du 26 juin 1920, aucun voeu n'a été émis au sein de l'Assemblée fédérale en vue de porter à plus de six ans la durée du domicilerequis. A cette occasion déjà, et vu l'initiative lancée, on avait relevé combien il importait de ne pas tomber d'un extrême dans l'autre en passant de deux à douze ans. Nous sommes du même avis. La fixation d'un certain délai pour la naturalisation quel qu'il soit renferme en soi quelque cbose d'arbitraire, et nous ne prétendons nullement que le chiffre de six années ne soit pas susceptible de modification. Peutêtre pourrait-on augmenter quelque peu la durée du domicile de six ans et la porter par exemple à huit ans, ainsi que le proposait la commission consultative qui siégea à Montreux en octobre 1919, pour examiner la revision de la loi sur les naturalisations. Par contre, nous estimons qu'on ne devrait en tout cas pas aller au delà d'un domicile de dix ans. Depuis une dixaine d'années les efforts qui tendent à résoudre la question des étrangers d'ans notre pays n'ont cessé d'être à l'ordre du jour; la Suisse n'a aucun intérêt à entraver par trop la naturalisation des étrangers établis sur son territoire et à dépasser la limite maximale admise pour l'assimilation des candidats à la naturalisation par d'autres Etats dont le pour-cent des étrangers est bien inférieur à celui qu'accusent nos statistiques.

Selon nous d'ailleurs, la durée du domicile à exiger des candidats à la naturalisation ne doit pas être fixée par la constitution fédérale, mais, comme cela a été le cas jusqu'ici, par la, législation. Il faut éviter d'alourdir la constitution par des détails de cette nature qui peuvent être sujets à modifications suivant les circonstances. La question de savoir si le délai d'assimilation de six ans, tel que nous l'avons maintenant, est suffisant, sera examinée à nouveau lors dte la revision totale de la loi sur les naturalisations où les propositions tendant à la prolongation de ce délai pourront être

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présentées; de toute façon, nous n'estimons pas opportun de fixer ce délai dans la constitution.

2. Inéligibilité des naturalisés.

Les auteurs de l'initiative proposent une disposition constitutionnelle, d'après laquelle les étrangers naturalisés qui n'ont pas eu en Suisse leur domicile effectif pendant au moins douze ans depuis, l'âge de cinq ans révolus jusqu'à la majorité ne sont pas éligibles comme membres des autorités politiques fédérales, cantonales et communales. En d'autres termes, tous, les naturalisés venus en Suisse après leur huitième année seraient exclus leur vie durant de toute fonction ou mandat politiques dans les trois domaines de la Confédération, des cantons et des communes.

Si nous consultons les législations étrangères, nous voyons que les anciennes lois distinguaient entre la petite et la grande naturalisation, cette dernière conférant seule les droits politiques complets. Tel était le cas pour l'Italie où, sous l'empire du code civil jusqu'en 1912,la naturalisation normale dite « petite naturalisation » conférait aux naturalisés le droit de vote et; l'éligibilité en matière communale seulement, tandis que le droit de vote et l'éligibilité au parlement (grande naturalità) devaient dans chaque cas faire l'objet d'une loi spéciale. La loi italienne sur les naturalisations du 13 juin 1912 a fait disparaître cette distinction, de sorte .qu'actuellement chaque naturalisé entre immédiatement en possession des droits politiques complets.

Cette distinction entre la petite et la grande naturalisation existe aujourd'hui encore en Belgique où le naturalisé n'entre en possession du droit de vote passif et actif qu'après avoir obtenu la grande naturalisation. La petite naturalisation peut être accordée après un séjour de cinq ans, tandis que pour la grande naturalisation il faut un domicile de dix ans, voire même de quinze ans, lorsqu'il s'agit de célibataires ou de veufs sans enfants.

Dans d'autres Etats, la législation prévoit pour les naturalisés un délai d'attente pendant lequel ils ne peuvent remplir un mandat au parlement; l'Autriche, jusqu'à la révolution de 1918, prévoyait un délai semblable de trois ans et la Hongrie, un de cinq ans. En France, l'éligibilité au parlement n'est accordée que dix ans après la naturalisation, sauf

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les exceptions qui font l'objet d'une loi spéciale. Aux EtatsUnis d'Amérique, les néophytes ne sont éligibles à la Chambre des représentants que sept ans après leur naturalisation.

La loi américaine prévoit de plus cette autre restriction ·qu'un naturalisé ne peut jamais être élu président de la République.

En ce qui concerne la Suisse, la Constitution fédérale de 1848 renfermait en son article 64, 2e alinéa, la disposition suivante : « Les Suisses devenus citoyens par la naturalisation ne sont éligibles au Conseil national qu'après cinq ans de possession du droit de cité ». Cette disposition fut reproduite par l'article 13, 2e alinéa, de la loi fédérale du 19 juillet 1872 sur les élections et votations fédérales. Mais il y a Heu de la considérer comme étant aujourd'hui abrogée, puisqu'elle n'a pas été reprise par l'article 75 de la constitution fédérale de 1874 qui règle l'éligibilité au Conseil national.

Dans notre message du 9 novembre 1920 concernant la revision de l'article 44 de la constitution fédérale, nous avons eu l'honneur de vous proposer de reprendre cette disposition de la constitution fédérale de 1848 et de lui donner la forme plus générale que voici : « Pendant les cinq années qui suivront leur naturalisation, les étrangers naturalisés ne seront pas éligibles aux autorités législatives et executives de la Confédération et des cantons ».

Si nous avons estimé qu'il était de l'intérêt de l'Etat de fixer aux naturalisés un certain délai de préparation avant de leur permettre de revêtir un mandat politique, nous ne saurions par contre en aucune façon nous rallier à la proposition des auteurs de l'initiative qui aurait pour effet d'exclure la majorité des étrangers naturalisés (prés du 60 %) de la possibilité de siéger dans une autorité politique de la Confédération, d'un canton ou d'une commune.

On a relevé maintes fois ces dernières années que la situation privilégiée dont bénéficiaient, grâce aux traités d'établissement, les étrangers établis en Suisse aurait amoindri chez ces derniers le désir 'de se faire recevoir citoyens suisses et que cette circonstance constituait l'une des causes de l'accroissement du nombre -des étrangers dans notre pays.

Si vraiment on donnait suite au voeu des auteurs de l'initiative tendant à restreindre l'éligibilité, nous verrions diminuer

579 encore le nombre des candidats désireux de se faire naturaliser pour participer à la vie politique de notre démocratie, car la perspective de ne jamais pouvoir remplir aucun poste d'honneur ni dans l'Etat ni dans la commune serait propre à les rebuter complètement.

Mais c'est aussi pour des considérations de politique intérieure que la proposition des signataires de l'initiative nous semble inacceptable. Etablir une distinction entre des citoyens éligibles et d'autres exclus à vie de l'éligibilité, serait creuser un fossé entre ces deux catégories et abaisser les personnes non éligibles au rang de citoyens de second ordre. Une pareille atteinte au principe de l'égalité constitutionnelle équivaudrait à un recul de nos institutions démocratiques, fruit d'un développement séculaire. L'introduction d'un système politique prohibitif empreint d'un esprit exclusiviste et timoré paraîtrait étrange dans un pays qui, dès la première moitié du siècle dernier, n'a cessé de développer son droit constitutionnel dans un sens libéral et progressiste: Nous ne pouvons en aucune manière nous rallier à cette innovation et devons au contraire la repousser énergiquement.

3. Acquisition du droit de cité suisse par incorporation.

Nous avons exposé en détail dans notre message du 9 novembre 1920 la question de l'introduction d'e l'incorporation (jus soli) et avons proposé un texte constitutionnel qui, d'une part, règle le statut légal dans l'Etat des étrangers incorporés et donne, d'autre part, au peuple la garantie que la Confédération contribuerait aux frais d'assistance découlant de ces incorporations. Nous estimons indispensable d'insérer ces dispositions dans la Constitution, car il s'agit là de la situation juridique des citoyens et en outre d'une obligation de principe dont la Confédération aurait à se charger.

C'est pour cette raison que nous préférons le texte constitutionnel que nous avons proposé au texte de l'initiative ,qui, par trop bref, manque de précision quant à la portée des modifications qu'il envisage.

Il résulte de l'aperçu qui précède que le texte de l'article 44 de la constitution fédérale, tel que le proposent les

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auteurs de l'initiative, demeure trop vague en ce qui concerne l'introduction de l'incorporation et, d'autre part, va trop loin pour ce qui est de la fixation du délai d'assimilation (condition de domicile); de plus, ce texte apparaît comme absolument inacceptable en ce qui a trait à la limitation des droits politiques des étrangers naturalisés. Dans ces conditions, nous vous proposons le rejet de la demande d'initiative.

La demande d'initiative est présentée sous forme d'un projet rédigé de toutes pièces. Si l'Assemblée fédérale se prononce pour le rejet de la demande, il lui faudra décider si elle veut proposer au peuple le rejet pur et simple ou si elle entend soumettre un contre-projet à la votatioîi populaire.

La question se pose dès lors de savoir si le projet soumis aux Chambres par notre message du 9 novembre 1920 concernant la revision de l'article 44 de la constitution fédérale doit tenir lieu de contre-projet à la demande d'initiative.

Nous croyons devoir y repondre par la négative. Aux termes de l'article 8 de la loi fédérale concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale du 27 janvier 1892, les Chambres fédérales doivent décider, dans le délai d'une année, si elles adhèrent ou non au projet d'initiative. Suivant une jurisprudence constante, ce délai d'une année commence à partir'du jour où le Conseil fédéral soumet à l'Assemblée fédérale, avec les actes, le rapport prévu à l'article 5, dernier alinéa, de la loi précitée (Salis, Droit fédéral, tome II, n° 364). En l'espèce, cette communication a été faite le 20 août 1920. Or, si l'on voulait faire de notre projet de revision un contre-projet à la demande d'initiative, il faudrait que l'Assemblée fédérale discutât aussi le texte de cette contre-proposition jusqu'au 20 août 1921. Il serait peu recommandable de précipiter de telle façon les débats touchant une affaire aussi importante que la question des étrangers. Nous ne pouvons pas préconiser une telle manière de procéder. Pour permettre d'approfondir avec tout le soin désirable les travaux de revision, le seul moyen, consiste à recommander sans autre le rejet de la demande d'initiative et à la soumettre à la votation populaire. Si cette demande venait à être acceptée, le projet de révision annexé à notre message du 9 novembre 1920 tomberait, car alors les Chambres n'auraient plus qu'à modifier la législation sur les natu-

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ralisations conformément à l'article constitutionnel que le peuple aurait adopté.

Pour ces motifs, nous sommes d'avis qu'il importe de statuer en première ligne sur la demande d'initiative populaire, et nous avons l'honneur de vous prier de bien vouloir, en application de l'article 10 de la loi fédérale du 27 janvier 1892, sur le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, décider de rejeter l'initiative et de soumettre à la votation du peuple et des cantons une proposition de rejet sans contre-projet de l'Assemblée fédérale.

La seconde initiative a la teneur suivante : L'article 70 de la Constitution fédérale du 29 mai 1874 est modifié comme suit: «La Confédération a le droit et le devoir de renvoyer de son territoire les étrangers qui compromettent la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse ou la prospérité du peuple suisse.

Cette disposition vise en particulier ceux qui participent à des mouvements anticonstitutionnels ou à des entreprises politiques de nature à troubler les bonnes relations de la Suisse avec des Etats étrangers, ainsi que ceux qui se livrent à une activité économique contraire aux règles de la loyauté commerciale et aux intérêts généraux de l'économie nationale.

Le Conseil fédéral est chargé de l'application de cette disposition. Les autorités cantonales de police lui signaleront par l'intermédiaire du Ministère public fédéral les étrangers à expulser. » Actuellement, l'article 70 de la Constitution est ainsi conçu : «La Confédération a le droit de renvoyer de son territoire les étrangers qui compromettent la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse. » En comparant ce texte à celui de l'initiative, on constate que es dernier renferme les innovations suivantes: 1. Il ne donne pas seulement le droit à la Confédération, mais lui impose l'obligation d'expulser.

2. Il indique comme nouveau motif d'expulsion le fait de compromettre la prospérité du peuple suisse.

3. Il nomme expressément comme constituant un motif d'expulsion la participation à des mouvements anticonstitutionnels ou à des entreprises politiques de nature à troubler

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les bonnes relations de la Suisse ayec des Etats étrangers, ainsi qu'une activité économique contraire à la loyauté en affaires et aux intérêts généraux de l'économie nationale.

4. Il oblige les autorités de police des cantons à signaler au Conseil fédéral les étrangers à expulser.

Le Conseil fédéral approuve pleinement les innovations proposées par l'initiative. H ne peut que s'applaudir de ce que l'on songe à l'armer puissamment pour l'expulsion d'étrangers dangereux. Mais nous estimons que pour donner satisfaction aux voeux exprimés par l'initiative, il suffira d'appliquer sans faiblesse l'article 70 actuel et que la revision partielle de la Constitution proposée par l'initiative est dès lors superflue.

H n'est ni utile ni opportun de statuer l'obligation d'expulser. Le Conseil fédéral prononce l'expulsion dès qu'il constate que les conditions dont cette mesure dépend sont réunies. Il n'est pas nécessaire de le stimuler en lui imposant en termes exprès l'obligation d'expulser. Cette obligation ne le dispenserait pas de constater dans chaque cas si les conditions sont réalisées et si l'expulsion est nécessaire pour la sauvegarde des intérêts publics. On ne gagnerait donc rien à inscrire dans la Constitution l'obligation d'expulser.

Le sens des mots «compromettre la sûreté intérieure ou extérieure» ne saurait être strictement fixé une fois pour toutes. Cette expression est au contraire susceptible à un haut degré d'une interprétation variant suivant les circonstances politiques qui régnent °à l'intérieur et à l'extérieur (voir Feuille fédérale 1879, II. 991.). Quand les circonstances sont extraordinaires, les intérêts publics demandent à être sauvegardés par d'autres mesures que celles dont on peut se contenter dans les temps calmes. Depuis 1916, le Conseil fédéral a, en se fondant sur l'article 70 de la Constitution, expulsé toute une série d'étrangers qui entravaient par leurs procédés le ravitaillement du pays et son approvisionnement en objets d'un usage courant et compromettaient ainsi la vie économique du peuple suisse, dans un moment où, pour la sauvegarder, on était forcé de recourir à des arrêtés d'urgence. L'article 28 de l'ordonnance du 21 novembre 1917 sur la police des frontières et le contrôle des étrangers, de même que l'article 27 de l'ordonnance revisée du 17 novembre 1919
statuent expressément: «L'expulsion des étrangers conformément à l'article 70 de la Constitution fédérale est prononcée par le Conseil fédéral. Les étrangers qui par leurs agisse-

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ments entravent, rendent difficile ou empêchent l'approvisionnement du pays en denrées alimentaires ou autres objets indispensables, doivent être signalés au Conseil fédéral en vue de leur expulsion.

Les Chambres fédérales ont admis sans objection que l'expulsion des étrangers de cette catégorie peut être prononcée en vertu de l'article 70, puisque le 26 avril 1918 le Conseil national et le 14 juin 1918 le Conseil des Etats, ont pris la décision suivante: «Le Conseil fédéral est invité, pour conformer sa pratique en matière d'expulsion aux nécessités actuelles, à faire usage de l'article 70 de la Constitution à l'égard : 1. de tout étranger qui participe à des manifestations politiques dangereuses pour l'ordre public -- notamment si elles sont dirigées contre l'armée ou si elles poursuivent des buts de politique intérieure -- ou qui contrevient à des mesures prises par l'autorité dans le domaine de l'économie de guerre; 2. des déserteurs et réfractaires étrangers qui se sont montrés indignes de la tolérance dont ils étaient l'objet. » (Feuille fédérale, 1919, I, 425.)

L'expulsion des étrangers qui compromettent la prospérité du peuple suisse est donc possible sous le régime de la disposition constitutionnelle actuellement en vigueur; dès lors, le complément que les initiants désirent apporter à la constitution sur ce point est superflu, tant pour le présent que pour l'avenir, quand l'ordonnance du 17 novembre 1919 sur le contrôle des étrangers édictée en vertu des pouvoirs extraordii naires, sera abrogée.

D'ailleurs les autorités n'ont, depuis un certain temps déjà, plus eu connaissance de nouveaux faits d'accaparement.

Le danger le plus menacent pour la prospérité du peuple suisse, celui-là même qui a fait naître l'initiative, a cessé d'exister.

A notre avis, il ne serait pas sage de prolonger en matière d'expulsion le régime institué pour le temps de guerre et maintenu pendant quelques années après l'armistice, de sorte qu'il s'appliquât à des agissements économiques autres que ceux de la période indiquée. Sans parler des autres inconvénients d'une telle prolongation, nous nous contenterons de relever qu'elle empiéterait sur les attributions des cantons dans le domaine de la police des étrangers.

Nous pensons qu'il est inutile de statuer expressément que les menées politiques anticonstitutionnelles et les dommages qui nous seraient causés au point de vue économique justi-

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fieront l'expulsion. La jurisprudence a toujours considéré que ces menées et mises en danger entraînent nécessairement cette mesure de défense. Mais en dehors des motifs d'expulsion mentionnés dans l'initiative, on en peut concevoir encore beaucoup d'autres (voir Burckhardt, Commentaire, page 648). Les raisons susceptibles d'engager l'autorité fédérale à prononcer l'expulsion par mesure politique sont si diverses et variées, qu'il est absolument impossible d'en faire l'énumération complète.

En comparant la nouvelle disposition proposée par l'initiative concernant la procédure d'expulsion aux lois fédérales du 28 juin 1889 sur le Ministère public de la Confédération, du 26 mars 1914 sur l'organisation de l'administration fédérale et à l'arrêté du Conseil fédéral du 17 novembre 1914 donnant aux départements et aux services qui en dépendent la compétence de régler certaines affaires (art. 19, chiffre 1 et 2), nous constatons qu'elle n'innove en réalité que sur un point: elle impose aux autorités de police cantonales l'obligation de signaler les étrangers dangereux. Or cette innovation ne saurait à elle seule justifier la révision de la Constitution, d'autant moins qu'on peut contester qu'une disposition de cette nature ait sa place dans la loi fondamentale du pays.

"En résumé, nous estimons qu'il est facile de faire droit en pratique aux voeux exprimés dans l'initiative, sans qu'il soit nécessaire de reviser la Constitution. Nous proposons donc aux conseils législatifs de refuser leur adhésion à la seconde initiative, laissant à l'Assemblée fédérale le soin de décider si elle entend joindre à son refus d'adhésion une pro.position de rejet formelle.

Berne, le 6 juin 1921.

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Au nom du Conseil fédéral suisse : Le président de la Confédération,

SCHULTHESS.

Le chancelier de la Confédération, STEIOER.

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Rapport du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale relatif à la demande d'initiative populaire sur la question des étrangers. (Du 6 juin 1921.)

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