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FEUILLE FÉDÉRALE 109e année

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Berne, le 7 mars 1957

Volume I

MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'institution du suffrage féminin en matière fédérale (Du 22 février 1957) Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous adresser le présent message pour donner suite aux postulats Picot, du 17 septembre 1952, et Grendelmeier du 5 décembre 1952, qui posent la question des droits politiques de la femme suisse et spécialement celle de l'institution du suffrage féminin en matière fédérale.

INTRODUCTION 1, Le 17 septembre 1952, M. Picot déposa le postulat suivant: Après les débats et votations qui ont eu lieu en. 1951, devant les deux chambres de l'Assemblée fédérale, la question des droits politiques de la femme a continué à intéresser vivement l'opinion.

Le message du Conseil fédéral du 2 février 1951 (n° 5906) n'a étudié que quelques faces du problème et a laissé en suspens des questions importantes. Le Conseil fédéral est invité à présenter un rapport détaillé qui étudie d'une façon large le problème des droits politiques de la femme suisse, comme par exemple le message du 10 octobre 1944, qui a traité des droits de la famille.

Ce rapport contribuera à conduire les autorités et les citoyens vers une solution qui doit intervenir.

Ce postulat fut développé d'une façon détaillée le 16 décembre 1952.

Dans son exposé, M. Picot résuma en six points ce qu'il attendait de notre rapport : 1. Quelles expériences a-t-on faites en matière de vote des femmes dans les Etats analogues au nôtre?

2. Qu'en serait-il du suffrage féminin par rapport à la multiplicité des scrutins en Suisse et dans les cantons à landsgemeinde 1 Feuille fédérale. 109e année. Vol. I.

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3. Les faits spirituels, les bases religieuses, éthiques et économiques du problème doivent aussi être considérés, de même que 4. La situation économique de la femme dans le pays.

5. L'éventualité d'une consultation féminine peut-être par une autre voie que la votation d'essai, 6. Le suffrage féminin devrait-il être introduit d'abord sur le plan cantonal?

Le représentant du Conseil fédéral répondit que le Conseil fédéral était prêt à présenter le rapport demandé et qu'il avait décidé d'accepter le postulat, en vue de l'examen objectif d'un problème de la plus grande importance pour la vie politique et sociale de notre pays. Le postulat, n'étant pas combattu, fut adopté tacitement par le Conseil des Etats, Le 5 décembre 1952, M. Qr&ndelmeier, appuyé par 44 cosignataires, avait déposé un postulat ainsi rédigé: La votation d'essai qui a été organisée à Genève le 30 novembre 1952 a montré que l'argument principal avancé contre le droit de vote des femmes, à savoir qu'ellesmêmes n'en veulent pas, manque de fondement, II convient donc de donner au peuple et aux cantons, par voie d'une révision de la constitution et des dispositions légales sur la matière, l'occasion de se prononcer sur le principe de l'institution du droit de vote et d'élection des femmes suisses dans les affaires fédérales.

En conséquence, le Conseil fédéral est prié de présenter aux chambres un rapport disant si cette revision de la constitution et des lois ne devrait pas être entreprise.

Développant son postulat, M. Grendelmeier exposa qu'il le fondait sur le principe de l'égalité de traitement, qui est à la base de la démocratie, sur la situation faite à la femme dans d'autres pays et sur le fait qu'il paraissait établi que les femmes désiraient, en majorité, le suffrage féminin.

Ce postulat également fut accepté par le représentant du Conseil fédéral, après des explications analogues à celles qui avaient été données pour le postulat Picot. Il fut adopté sans opposition par le Conseil national le 24 mars 1954.

Les postulats Picot et Grendelmeier divergent par leurs motifs, mais ils concordent par le fond en ce sens qu'ils demandent tous deux un rapport du Conseil fédéral sur l'introduction du suffrage féminin en matière fédérale.

Le postulat Picot va cependant plus loin en exprimant le voeu tout général que le rapport étudie d'une façon large le problème des droits politiques de la femme. Il ne dit pas par quelle voie le problème devrait être résolu.

Le postulat Grendelmeier mentionne expressément la voie de la revision de la constitution fédérale et des dispositions légales sur la matière. H ne vise que les droits de vote et d'élection de la femme en matière fédérale, tandis que le postulat Picot concerne les droits politiques d'une façon toute générale.

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Ainsi se trouve de nouveau mis en discussion un problème qui a déjà donné lieu à de nombreuses interventions de membres de l'Assemblée fédérale (motions, postulats et interpellations) et d'autres milieux (une pétition et autres requêtes), interventions demeurées jusqu'ici sans succès.

Ces interventions antérieures sont aujourd'hui classées pour le parlement.

Aussi notre message ne se prononce-t-il que sur les postulats Picot et Grendelmeier. Les suggestions faites antérieurement devront cependant être prises en considération en tant qu'éléments de fait.

2. Nous regrettons de n'avoir pas pu présenter notre message plus tôt, comme l'eussent souhaité non seulement les femmes mais encore des milieux plus étendus. Le retard n'est pas dû uniquement au fait que le département de justice et police, chargé des travaux préparatoires, souffre d'un surcroît chronique de tâches de toute sorte, également très importantes et, parfois, très urgentes. Il est dû aussi et surtout aux raisons suivantes, qui se rapportent à la question elle-même.

L'association suisse pour le suffrage féminin avait annoncé le dépôt d'un avis de droit du professeur W. Kägi et exprimé le voeu que le rapport du Conseil fédéral discute les thèses qui y seraient contenues. Le département se vit ainsi amené à ajourner la suite de ses travaux jusqu'à la remise de cet avis de droit, de façon à éviter tout travail inutile. La consultation du professeur Kägi est une étude scientifique intéressante et très fouillée du problème essentiel, celui de savoir si la limitation des droits politiques aux hommes est encore compatible aujourd'hui avec le principe de l'égalité de traitement. La réponse donnée est nettement négative. La consultation ne put pas être remise avant la fin de juillet 1955, ce qui ne doit pas étonner étant donnée l'ampleur du sujet.

Il convient de considérer encore ce qui suit: Nous sommes devant une des questions les plus importantes qui se soient posées à notre Etat fédératif depuis qu'il existe. C'est avec raison que le professeur Cari Hilty écrivait, au début de ce siècle, qu'il y avait là un problème dont l'importance dépasse de loin celle de tous les autres problèmes politiques, puisqu'il ne s'agit rien moins que de savoir si l'on doit reconnaître à la moitié des Suisses adultes le droit d'exercer, en tant que citoyens
actifs, une action sur les destinées du pays. L'octroi de ce droit assiérait notre démocratie sur une plus large base, par une application plus générale de l'idée de l'égalité de traitement. L'innovation ne touche pas seulement les intérêts des femmes, auxquelles elle doit profiter. Elle peut avoir une importance décisive même pour l'avenir de la Confédération.

Il faut s'attendre en outre que la décision à prendre exercera une grande influence dans le domaine cantonal et communal. H est clair que des questions de cette portée doivent faire l'objet d'un examen particulièrement attentif.

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Ces problèmes suscitent d'ailleurs des difficultés toutes particulières.

Il est dans la nature des choses que la question touche à presque tous les domaines de notre ordre juridique, de notre droit public et privé, ainsi que de notre vie sociale et économique. Elle soulève une série de points d'ordre juridique, législatif, politique, social, psychologique, etc. La difficulté principale réside cependant dans le fait que nous n'avons que peu d'expérience, de sorte qu'il est difficile d'apprécier les conséquences qu'aurait pour la Confédération, les cantons et les communes l'institution du suffrage féminin ou l'application du principe de l'égalité complète des sexes en droit public et privé. Il est tout aussi difficile de prévoir quelles répercussions ce nouvel ordre politique aurait pour les femmes elles-mêmes, pour la famille, pour l'économie en général. Cela étant, nous sommes obligés de nous fonder dans une mesure particulièrement large sur les expériences faites par d'autres Etats, même si ces expériences, en raison de la diversité de l'organisation des Etats et des conditions sociales et économiques, ne peuvent être que partiellement concluantes pour nous. Encore que les écrits en faveur du suffrage féminin soient nombreux, nous n'avons, jusqu'à ces derniers temps, disposé que d'un petit nombre de documents sûrs, nous permettant de nous renseigner suffisamment sur les expériences faites jusqu'ici à l'étranger en matière de suffrage féminin. La raison en est que les expériences recueillies dans les principaux Etats étrangers se prêtant à une comparaison sont encore récentes.

Tout dernièrement ont paru trois publications, qui peuvent nous aider largement à éclaircir la question. L'un de ces ouvrages est particulièrement important. C'est le Lexikon der Frau, publié en 1953 et 1954, en deux volumes, par l'Encyclios Verlag AG à Zurich, sous la direction de Gustav Keckeis et Blanche-Christine Olschack et avec le concours de tout un groupe de collaborateurs appartenant à presque tous les pays civilisés. On y trouve des renseignements fort intéressants non seulement dans les nombreux articles sur les droits de la femme, mais aussi dans les exposés consacrés à tous les Etats qui entrent en considération pour les comparaisons à établir.

Ces exposés ont pour auteurs des spécialistes des différents pays
et donnent des informations détaillées et sûres. Nous ferons de nombreux emprunts à cet ouvrage, mettant à profit l'oeuvre d'exploration qu'ont accomplie ses auteurs.

Pour connaître les multiples conséquences du suffrage féminin, nous manquions jusqu'à présent d'une documentation fondée sur des études scientifiques systématiques. L'UNESCO s'est employée à combler la lacune en confiant à des commissions spéciales, disposant de collaborateurs scientifiques, le soin de recueillir des données dans quinze Etats et d'en tirer des enseignements. Ces travaux, qui eussent été très précieux pour la rédaction de notre message, ne sont pas encore terminés. Ceux qui ont été exécutés dans quatre Etats (France, Allemagne occidentale, Norvège et Yougoslavie) sous la direction du professeur Maurice Duverger ont cepen-

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dant déjà été publiés. Ces études faites avec beaucoup de compétence et de soin, et empreintes d'une remarquable objectivité, fournissent une quantité d'indications précieuses, qui peuvent être utilisées à titre comparatif précisément pour l'examen des questions qui nous occupent (cf. Maurice Duverger: La 'participation des femmes à la politique, ouvrage publié par l'UNESCO, Paris 1955). Un livre publié en même temps par Dogan et Narbonne sous le titre Les Françaises face à la politique renseigne de façon précise sur les recherches faites spécialement en France.

Dans l'entretemps, nous avons aussi pu profiter, pour la rédaction de notre message, des enseignements fournis par diverses votations populaires cantonales. Durant la période de 1952 à 1956, le corps électoral d'une série de cantons (Genève, Zurich, Baie-Ville, Baie-Campagne et Berne) a été appelé aux urnes, tandis que deux cantons (Genève et Baie-Ville) organisaient une consultation des femmes. Nous avons pu également utiliser le rapport concernant une statistische Befragung organisée le 25 août 1955 par la ville de Zurich. Ce rapport indique ce que les femmes, classées selon l'âge, l'état civil et l'activité professionnelle, pensent du suffrage féminin et contient un grand nombre d'informations importantes pour l'étude des problèmes qui nous occupent.

Les constatations faites sont traitées statistiquement dans une brochure qui a pour auteurs Käthe Biske et U. Zwingli et qui a paru sous le titre Zürcher Frauenbefragung 1955 en tirage à part des Zürcher Statistische Nachrichten (fascicule 4, 1935). Ces renseignements sont si importants que nous devions attendre de les connaître.

Cela étant, il était non seulement excusable mais justifié et utile de ne pas publier plus tôt le présent message, attendu par les milieux intéressés avec une impatience bien compréhensible. Notre façon d'agir était d'autant plus indiquée qu'il n'y a pas là matière à de simples considérations théoriques. Il s'agit en effet de l'adoption d'un principe constitutionnel qui doit répondre à la conscience juridique du peuple lui-même si l'on veut qu'il ne reste pas lettre morte.

3. Le département de justice et police commença ses travaux préparatoires tôt après l'adoption du postulat Picot, à un moment où le professeur Kägi n'avait pas encore déposé son rapport et où
le postulat Grendelmeier n'était pas encore adopté. Le département, qui avait déjà recueilli d'intéressantes informations de nos légations en 1934, s'adressa de nouveau à elles au début d'avril 1953 pour en obtenir des renseignements complémentaires.

Il demanda en particulier aux légations des précisions sur l'origine du suffrage féminin dans les différents pays, sur l'état actuel des droits politiques de la femme et sur les expériences faites jusqu'alors. Ce questionnaire permit de recueillir d'intéressantes informations. Ces dernières furent complétées par les rapports successifs fournis au sujet du travail accompli dans ce domaine par les Nations Unies, en particulier par la commission de la condition de la femme, qui s'occupait de tout le problème du statut juridique de

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la femme dans l'Etat et des droits politiques de la femme. Entre-temps, le département s'était adressé aussi aux gouvernements cantonaux pour en obtenir des informations supplémentaires sur l'évolution du mouvement féministe dans les cantons et l'état des droits politiques de la femme. H se mit également en rapport avec l'association suisse pour le suffrage féminin, lui demandant de lui procurer encore d'autres informations. Déjà au mois de mai 1953, cette association voulut bien fournir ce qui lui était demandé.

Une conférence, qui eut lieu le 1er juillet 1953, donna à l'association l'occasion d'exposer verbalement sa manière de voir. Quelques autres associations féminines, parmi lesquelles l'alliance de sociétés féminines suisses et l'union civique des femmes catholiques suisses nous adressèrent des requêtes recommandant l'institution du suffrage féminin.

4. Les deux postulats restreignent considérablement l'objet de nos investigations. Ni l'un ni l'autre ne touchent la question de l'égalité complète des sexes, ce qui paraît être la fin dernière du mouvement féministe.

Les deux postulats nous demandent d'étudier le problème des droits politiques de la femme. Le postulat Grendelmeier ne propose même que l'institution du droit de vote et d'élection. En principe, notre message n'abordera donc pas le problème de l'assimilation de la femme à l'homme en droit privé.

Bien que cette assimilation soit souvent réclamée -- au nom de l'égalité absolue des sexes -- il est indiqué de laisser cette question de côté, pour ne pas compliquer inutilement les problèmes, déjà très épineux, que suscite l'égalité politique. Aucune requête en ce sens n'a d'ailleurs jamais été présentée.

Il y aura lieu de se demander seulement si le fait que les femmes ne peuvent exercer aucune influence directe sur la formation du droit civil est pour elles si désavantageux qu'il y aurait là une raison de plus pour étendre leurs droits politiques. Nous pouvons ainsi laisser ouverte la question d'une future revision du code civil destinée à améliorer le statut de la femme. Qu'il suffise de signaler l'article du professeur Egger ( «Die Gleichberechtigung von Mann und Frau in der jüngsten familienrecJittichen Gesetzgebung» dans la Bévue du droit suisse, 1954, p. 1 s.).

Notre message ne s'occupe pas non plus des effets du mariage et
du divorce sur la nationalité de la femme.

Les libertés de l'individu vis-à-vis de l'Etat ne font pas partie des droits politiques, quand bien même elles relèvent du droit public et reposent sur l'idée de la dignité et de la liberté attachées à l'être humain en tant que doué de raison, au même titre que les principes du suffrage universel et de l'égalité des sexes. Les libertés individuelles ne comptent donc pas parmi les droits politiques dont nous nous occupons ici, car elles ne donnent pas à celui qui en bénéficie le droit de participer à l'exercice de la souveraineté.

Il ne s'agit pas non plus de traiter ici les revendications féministes qui s'inspirent de la formule «A travail égal salaire égal».

699 La même remarque vaut pour ce qui concerne le droit de la femme aux mêmes possibilités d'instruction, notamment à l'accès aux études et carrières universitaires.

Pour les mêmes raisons, nous devons laisser de côté -- bien qu'il s'agisse de droit public -- les questions de droit fiscal et de droit pénal.

5. Quel doit être, vu sous son aspect poaitif, le cadre de nos considérations ? Le postulat Picot nous demande «d'étudier d'une façon large le problème des droits politiques de la femme», tandis que le postulat Grendelmeier ne nous invite qu'à traiter celui du droit de vote et d'élection. Si l'on considère les choses de plus près, on voit cependant qu'il s'agit là d'une seule et même idée exprimée de deux façons différentes. Dans une démocratie, le droit de vote, l'électorat et l'éligibilité sont le fondement et la partie essentielle de tous les droits politiques du peuple : tous les droits politiques en dépendent. C'est ainsi que le droit d'initiative et de referendum est la conséquence naturelle du droit de vote. Nous pouvons concentrer notre étude sur la question du droit de vote, de l'électorat et de l'éligibilité (appelé ci-après en abrégé «droit de vote») et nous borner pour le reste à signaler les rapports avec des droits politiques spéciaux. Le terme «droit de vote» ou «suffrage féminin» doit cependant être compris dans son sens le plus large, qui embrasse le droit de participer aux élections et votations et l'éligibilité.

Notre message se bornera aussi à examiner la question de savoir s'il y a lieu de prendre des mesures de droit fédéral pour améliorer le statut politique de la femme. La compétence des autorités fédérales ne s'étend en effet pas au-delà. Le postulat Grendelmeier ne demande d'ailleurs que l'examen de la question du droit de vote en matière fédérale.

Relevons enfin que notre message ne saurait prévoir des solutions pour les différents cantons, qu'il s'agisse de l'institution du suffrage féminin en matière cantonale ou communale ou de l'établissement de l'égalité complète ou partielle des sexes. Nous devrons néanmoins nous occuper du développement et de l'état actuel des droits politiques de la femme dans les cantons et les communes. Nous ne le ferons pas seulement à titre d'étude de droit comparé, imposée par le lien étroit existant entre les questions.

Nous le ferons
aussi et surtout en raison de l'importante question d'ordre politique et «tactique» qui se pose: Le suffrage féminin ne devrait-il pas être institué dans les cantons et les communes avant de l'être dans la Confédération, de façon à préparer son instauration en matière fédérale ?

Le problème est donc le suivant: Faut-il édicter des dispositions de droit fédéral accordant le droit de vote à la femme suisse en matière fédérale de manière à la placer sur un pied d'égalité complète ou partielle avec l'homme ? Suivant la réponse, il y aura lieu de se demander de quelle manière cela devrait se faire et quelle voie devrait être suivie. .

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6. Ces questions seront traitées dans quatre chapitres. Le premier (A) renseignera sur l'histoire du droit de vote des hommes et des femmes et sur l'état actuel des droits politiques de la femme à l'étranger et en Suisse. Le deuxième chapitre (B) traitera la question cruciale, à savoir s'il est recommandable d'instaurer le suffrage féminin en matière fédérale. Le troisième chapitre (C) sera consacré à la question de savoir s'il faut prévoir l'égalité politique partielle ou totale des femmes. Dans le quatrième et dernier chapitre (D), nous nous occuperons des questions concernant la procédure à suivre pour instaurer, le cas échéant, le nouveau régime, en particulier du point de savoir si le moment est déjà venu pour légiférer en matière fédérale. Pour terminer, nous formulerons nos propositions et présenterons, en annexe, un projet d'arrêté fédéral.

A. APERÇU HISTORIQUE ET DROIT COMPARE Comme il s'agit de rechercher si l'égalité absolue ou partielle des sexes en matière politique est souhaitable, nous devons commencer par établir en quoi consistent les droits de vote des hommes. Pour déterminer si et comment il y aurait lieu de modifier l'ordre juridique actuel et d'accorder le droit de vote aux femmes, il est indispensable de considérer l'histoire et de comparer le droit positif suisse et celui des autres pays, en particulier de ceux qui sont proches de nous dans le domaine politique, social et culturel.

I. L'origine et l'état actuel du droit de vote des hommes 1. Evolution générale II ne peut être question de faire ici l'historique du suffrage universel des hommes. Pour cela, il serait nécessaire d'écrire l'histoire de la naissance et du développement de l'Etat démocratique, c'est-à-dire de l'Etat où le peuple est souverain et exerce sa souveraineté par le droit de vote. Pour atteindre le but que nous nous sommes proposé dans le présent message, il suffira d'indiquer parmi les lignes générales de cette -progression celles qui peuvent donner d'utiles informations concernant le suffrage féminin.

Tel qu'il existe actuellement en Suisse, le suffrage universel institué pour les hommes est le résultat d'une âpre lutte que le peuple a poursuivie, avec un succès variable mais toujours croissant, à travers les siècles et jusqu'à nos jours pour l'égalité des droits politiques sous la forme du droit de
vote et de l'éligibilité, Les démocraties étaient dans l'antiquité des démocraties directes, dans lesquelles le peuple manifestait directement sa volonté sans le truchement de représentants. Le droit de vote jouait alors un rôle relativement important, alors que l'électorat était en principe limité à l'élection des autorités administratives et judiciaires. On retrouve plus tard cette forme dans des cantons suisses. Ce genre de démocratie n'a pu s'implanter que dans de petits Etats de structure politique simple. H s'est maintenu notamment dans nos cantons à landsgemeinde.

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Aujourd'hui en revanche, la forme généralement reconnue de la souveraineté populaire est la démocratie représentative, dans laquelle le rôle du peuple est limité pour l'essentiel à l'élection de représentants qui, réunis en parlement, établissent en son nom la constitution et les lois par des décisions prises à la majorité et nomment les organes de l'Etat. Le concours du peuple dans la formation de la volonté de l'Etat et la conduite des affaires publiques s'épuise le plus souvent dans l'exercice du droit d'élire des représentants au parlement. Dans les Etats qui connaissent ce régime, l'électorat joue le rôle essentiel, le .droit de vote n'ayant qu'une importance secondaire, Dans les démocraties du type suisse, qui connaissent le referendum, le citoyen est aussi appelé à se prononcer souvent sur des questions matérielles, de sorte que le droit de vote y joue un rôle aussi grand que l'électorat.

On reconnaît la démocratie -- aussi la démocratie représentative -- au fait que l'électorat appartient au peuple entier. Elle se distingue de l'aristocratie et de l'oligarchie dans lesquelles ce droit est réservé à des milieux restreints et privilégiés par la naissance, les biens (surtout immobiliers), la profession et l'instruction. Le suffrage universel, égal et secret, a triomphé dans le monde à la suite de la Révolution française de 1789.

Celle-ci était inspirée de la théorie du droit naturel (Locke, Two treaties of civil government, 1689) et notamment de Rousseau (Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, 1753, et le Contrat social, 1762). Ce dernier auteur affirmait que les hommes naissent libres et égaux et que la souveraineté réside dans le peuple, de sorte que le droit de vote apparaît comme un droit naturel de l'homme et doit appartenir à chacun sans distinction. C'est ainsi que la Révolution inscrivit sur son drapeau la devise «Liberté, égalité et fraternité». Une des conséquences les plus importantes qui en furent tirées est le suffrage universel, égal et secret, devant appartenir au peuple entier. Notons, entre parenthèses, que l'on n'entendait alors par ce terme que l'ensemble des citoyens adultes du sexe masculin.

La déclaration de l'indépendance américaine de 1776 avait proclamé déjà ce qui suit: «Nous considérons comme des vérités évidentes par ellesmêmes
que les hommes naissent égaux; que leur Créateur les a dotés de certains droits inaliénables, parmi lesquels sont la vie, la liberté, la recherche du bonheur ; que les gouvernements humains ont été institués pour garantir ces droits, dérivant leur juste pouvoir du consentement des subordonnés.» La déclaration des droits de l'homme et du citoyen, d'août 1789, avait posé entre autres principes que «la loi est l'expression de la volonté générale», ajoutant ceci : «Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation ... Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toute dignité, places et emplois publics selon leurs capacités et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.» Ces idées ne purent se réaliser d'une façon assez large qu'à la faveur des révolutions de 1830 et de 1848. Les deux guerres

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mondiales et les événements qui suivirent contribuèrent puissamment à promouvoir l'idée démocratique et par là le suffrage universel.

Le suffrage universel est inscrit aujourd'hui dans la plupart des constitutions des Etats civilisés et indépendants. La charte des Nations Unies (art. 55c et 56) a prévu dans ses recommandations que les Etats membres doivent tant conjointement que séparément favoriser le respect universel et effectif des droits de l'homme sans distinction de race, de sexe, de langue ou de croyance. La tendance actuelle est d'accorder l'autonomie à des peuples (même encore peu civilisés) qui étaient jusqu'ici dans un état de dépendance, cette autonomie consistant dans la souveraineté du peuple et le suffrage universel.

2. Historique du droit de vote masculin en Suisse II y a quelque trois décennies l'éminent juriste anglais James Bryce écrivait dans son oeuvre Les démocraties modernes (volume l,p, 373) : «Parmi les véritables démocraties modernes, parmi ces démocraties qui n'en ont pas tellement l'enseigne, la Suisse a un tout premier titre à être étudiée. Elle est la plus ancienne. On y compte en effet des communautés dans lesquelles le gouvernement populaire remonte à des époques plus anciennes que nulle part ailleurs ; elle a poussé plus loin et poursuivi avec plus de persévérance ce régime qu'aucun autre pays de l'Europe. Enfin, constituée en Etat fédératif, la Suisse contient, dans des limites relativement étroites, une plus grande variété d'institutions basées sur des principes démocratiques que toute autre nation, et cette variété n'est même pas aussi grande dans des fédérations plus importantes d'Amérique et d'Australie.» Malgré cela, ajoute Bryce, le peuple issu de ces trois races est devenu l'un des plus unis et, sûrement, l'un des plus patriotes d'Europe.

L'origine de la démocratie helvétique remonte à l'époque germanique.

Dans les cantons.à landsgemeinde de l'ancienne Confédération, la souveraineté du peuple avait subsisté. Ce fut le cas dans les cantons d'Uri, Schwyz, Unterwald-le-Haut et lé-Bas, Appenzell Bh.-Int. et Ext., Glaris et, dans une très large mesure, dans le canton de Zoug. L'assemblée de tous les citoyens en état de porter les armes décidait de la guerre et de la paix, concluait les traités et les alliances, édictait les lois et élisait le gouvernement. Cette
catégorie de citoyens comprenait tous les hommes adultes possédant le Landrecht (indigénat cantonal), à l'exclusion de ceux qui étaient privés des droits civiques et du droit de porter les armes. Les Landleute étaient égaux en droit, tout au moins dans leur commune d'origine. Les Beisassen, c'està-dire les citoyens possédant l'indigénat cantonal mais non domiciliés dans leur commune d'origine, étaient soumis à certaines restrictions, alors que les Hintersassen, soit les hommes descendant d'étrangers et établis dans le canton, étaient privés de la plupart des droits politiques. Il en allait de

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même dans les Grisons, démocratie qui connaissait le referendum, et les dizains du Haut-Valais. Le suffrage universel existait donc dans nos montagnes bien avant que la théorie du droit naturel et la Révolution française aient rangé les droits politiques populaires au nombre des droits de l'homme.

L'aristocratie dominait dans la plaine comme la démocratie dans les montagnes. La vie politique se concentrait dans les cantons-villes, où l'on voyait une ville régner sur la campagne. C'est dans ces cantons-villes qu'on trouvait les aristocraties corporatives (Baie, Zurich, Schaffhouse et la ville alliée de Saint-Gali). Le droit de magistrature y était subordonné à l'appartenance à une corporation. Les cantons de Berne, Lucerne, Fribourg et Soleure formaient le groupe des Etats patriciens où le droit de magistrature était réservé à un nombre fixe de familles, alors que tous les autres habitants n'avaient que peu ou pas de droits politiques.

Les républiques campagnardes et urbaines avaient en outre des pays sujets, dont les habitants n'avaient pas de droits politiques et étaient encore, en partie, des serfs.

Ce régime fut supprimé en 1798 par la première constitution helvétique, votée dans les cantons par des assemblées nationales et autres représentations populaires, mais imposée par le gouvernement français. Cette constitution institua l'Etat unitaire et octroya les droits de citoyens (actifs) à tous les Suisses ayant accompli leur vingtième année. Ces droits ne dépendaient plus de la fortune, des obligations militaires, de l'assujettissement à l'impôt ou de l'appartenance à une confession déterminée. Ils pouvaient aussi être exercés par les anciens sujets, Hintersassen et Beisassen. En juin 1802, la seconde constitution helvétique fut soumise à la votation populaire.

Ce fut la première votation étendue à toute la Suisse. Après cette votation, la constitution fut déclarée acceptée, quoique le nombre des rejetants eût été supérieur à celui des acceptants. On s'était tiré d'affaire en comptant les abstentions comme des acceptations.

Déjà en 1803, cette constitution fut remplacée, sous la pression de la France, par l'acte de Médiation, le Sénat helvétique ayant approuvé la proposition du premier consul Bonaparte. La République helvétique fut de nouveau remplacée par une Confédération suisse composée
de 19 cantons égaux en droit. Les cantons démocratiques purent rétablir leurs anciennes institutions. Les cantons-villes à régime aristocratique durent en revanche respecter certaines conquêtes de la démocratie. Le droit de vote fut cependant de nouveau limité aux ressortissants du canton; il s'agissait, de plus, d'un régime censitaire. En outre, les élections n'étaient qu'en partie directes, un certain nombre de représentants du peuple étant désignés par le sort. Le Grand conseil élisait dans son sein le gouvernement. Les nouveaux cantons formaient un troisième groupe. Leur régime était représentatif et comportait aussi un cens électoral, mais moins élevé.

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Un mouvement rétrograde se produisit lors de l'abrogation de l'acte de Médiation, à fin 1813. Si les cantons à landsgemeinde purent rétablir intégralement leurs anciennes institutions, les cantons-villes retombèrent, sans que le peuple eût dit son mot, sous le régime aristocratique. Les nouveaux cantons conservèrent partiellement les conquêtes de la révolution, mais restreignirent les droits du peuple à un droit de vote indirect. Seuls les Grisons gardèrent la règle selon laquelle toute loi et toute revision constitutionnelle devaient être soumises au vote des communes.

Le pacte fédéral du 7 août 1815 rétablit l'ancien régime fédératif. Son acceptation fut votée par la Diète unanime. Les représentants des cantons votèrent selon les instructions reçues. H n'y eut pas de votations populaires.

La révolution de juillet 1830 suscita des luttes constitutionnelles dans les cantons. Dans les années 1830 à 1850, les radicaux s'employèrent à la réalisation de leur programme d'extension des droits populaires. Le peuple tessinois adopta déjà en 1830 une constitution démocratique instituant le système de la représentation directe. Des votations sur l'adoption de nouvelles constitutions instituant le système de la démocratie représentative eurent lieu en 1831 dans les cantons de Soleure, Lucerne, Fribourg, Baie, Zurich, Saint-Gall, Thurgovie, Argovie, Schaffhouse, Vaud et Berne. Par suite de l'opposition de milieux avancés, qui jugeaient les réformes insuffisantes, l'acceptation de certaines constitutions paraissait incertaine. Aussi les constituants décidèrent-ils, dans quelques cantons, que les abstentions seraient comptées comme acceptations, ainsi que cela s'était fait pour l'adoption de la première constitution helvétique. Dans les cantons de SaintGall, Bàie-Campagne, Lucerne et Thurgovie, un droit de veto fut en outre accordé au peuple. Ce droit fut refusé au peuple bernois, qui reçut en revanche celui de révoquer le Grand conseil. Pour la votation sur la constitution, une ordonnance spéciale accorda le droit de vote à tous les Bernois ayant accompli leur vingtième année, sans restriction d'ordre censitaire. La constitution fut acceptée à une forte majorité. Vingt ans plus tard, une révision constitutionnelle institua le referendum obligatoire et abolit le vote obligatoire.

L'adoption de la constitution
fédérale de 1848 rencontra des difficultés particulières, car il n'y avait pas de texte permettant de prendre une décision à la majorité relative. Les délibérations de la Diète une fois terminées, treize cantons et demi seulement votèrent la constitution. L'article premier des dispositions transitoires était ainsi rédigé: «Les cantons se prononceront sur l'acceptation de la présente constitution fédérale suivant les formes prescrites par leur constitution ou, dans ceux où la constitution ne prescrit rien à cet égard, de la manière qui sera ordonnée par l'autorité suprême du canton que cela concerne.» En vertu de cette disposition, le projet fut soumis aux cantons pour qu'ils prissent une décision définitive. Des votations populaires eurent lieu dans tous les cantons, sauf dans le canton de Fribourg,

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où une votation n'était pas nécessaire en l'occurrence. Seuls quinze cantons et demi acceptèrent la constitution, tandis que six et demi la rejetèrent.

La faible participation au scrutin s'explique par le fait que, dans lea cantons radicaux, de nombreux citoyens désiraient une centralisation plus poussée.

Le 12 septembre 1848, la Diète constata, par les voix de seize cantons et deux demi-cantons, sans opposition, que la constitution était acceptée.

Ainsi tout Suisse qui avait accompli sa vingtième année et n'était pas privé de ses droits politiques par la législation de son canton de domicile était admis à participer aux votations et élections fédérales. Il s'agissait alors du droit de vote en matière de revision de la constitution, de l'électorat et de l'éligibilité. La constitution donnait en outre à 50 000citoyens actifs le droit de demander la revision totale de la constitution par voie d'initiative.

La revision constitutionnelle de 1874 ajouta à ces droits le droit de referendum facultatif en matière législative, droit qui fut étendu en 1921 aux traités internationaux conclus pour une longue durée. Une revision de la constitution en 1891 étendit le droit d'initiative aux revisions partielles.

Le referendum législatif obligatoire, l'initiative législative et l'élection du Conseil fédéral par le peuple furent en revanche rejetés.

Depuis la création de l'Etat fédératif, toutes les modifications apportées aux droits politiques en matière fédérale eurent lieu par la voie ordinaire de revision de la constitution ou de la loi. Seule la transformation de la Confédération d'Etats en un Etat fédératif ne repose pas sur une base uniforme. Le pacte fédéral de 1815 ne contenait en effet pas de prescriptions à ce sujet. La disposition transitoire que nous avons mentionnée faisait partie de la future constitution fédérale et n'était applicable qu'après l'adoption de celle-ci. Comme il s'agissait de la modification du pacte fédéral de 1815, l'acceptation par tous les cantons était nécessaire. Dans cinq cantons (Uri, Schwyz, Zoug, Tessin et Valais) et trois demi-cantons (Unterwald-le-Haut et lé-Bas, AppenzellRh.-Int.), des majorités rejetantes s'étaient formées. Trois cantons et un demi-canton étaient disposés à se soumettre à la décision de la majorité. La Diète se déclara alors compétente pour voter
par une décision prise à la majorité des voix sur l'acceptation de la constitution. Dans la votation qui eut lieu sur ces entrefaites, seize cantons et deux demi-cantons acceptèrent la constitution, tandis que trois cantons et trois demi-cantons exprimèrent un avis négatif mais sans voter contre la constitution. Au vu de ce résultat, la Diète constata que la constitution était adoptée, quand bien même tous les cantons n'avaient pas voté «oui». Elle prit cette décision avec la conviction que la création de l'Etat fédératif répondait à une impérieuse nécessité. Elle.invoqua aussi le fait qu'une très forte majorité ·-- par têtes et par cantons -- s'était prononcée pour la nouvelle constitution, ce qui était suffisant d'après ses dispositions. Les cantons acceptants comptaient en effet 1 897 887 habitants, ce qui représentait la grande majorité de la population suisse. L'unanimité des cantons, requise

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par le droit alors en vigueur, ne fut cependant atteinte que grâce à l'appoint des abstentions, comptées comme acceptations. Chose à noter, la résistance ne portait pas sur l'extension des droits politiques. La nouvelle constitution donnait d'ailleurs aux citoyens la possibilité de demander par voie d'initiative constitutionnelle une modification des dispositions sur les droits politiques.

Les anciennes constitutions fédérales et leurs dispositions sur les droits politiques avaient été de courte durée et n'avaient été adoptées que pour obéir a un ordre ou à une pression de l'étranger.

En revanche, les modifications apportées aux constitutions cantonales à l'époque dite de la régénération et l'extension des droits populaires qui en résulta furent presque toujours l'objet de votations populaires. Il est vrai que la question ne fut jamais soumise pour elle-même à la votation populaire, mais le fut toujours dans le cadre d'une réforme plus générale. Ici aussi, on se contenta parfois, comme nous l'avons déjà dit, d'une majorité fictive.

Lorsqu'il s'est agi de l'extension des droits politiques du peuple, l'initiative a toujours appartenu aux cantons, sauf dans les cas de contrainte extérieure. La Confédération ne fit qu'adopter les innovations qui s'étaient révélées judicieuses dans les cantons.

II. L'émancipation politique de la femme dans d'autres Etats La famille est la cellule de la société en général et de l'Etat en particulier. Aussi le statut politique de la femme, c'est-à-dire son droit de participer à la formation de la volonté de l'Etat et à la gestion des affaires publiques, est-il en relation étroite avec la place qu'elle occupe dans la famille. Un coup d'oeil sur le passé montre cette interdépendance, 1. Jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle, on pensait que la famille avait toujours été soumise au pouvoir exclusif ou prépondérant du mari (patriarcat) et que la femme n'avait pas non plus son mot à dire dans les affaires de la collectivité. En 1861, le philosophe et historien bâlois Johann-Jakob Bachofen fit sensation en publiant un ouvrage en deux volumes intitulé Das Mutterrecht, eine Untersuchung über die Gynaikokratie der alten Welt nach ihrer religiösen und rechtlichen Natur. Dans la 3e édition de cet ouvrage (1948), nous lisons que la forme de la famille humaine est un phénomène variable, dépendant de la civilisation, de l'histoire et de la religion. Pour Bachofen, la forme la plus ancienne serait le Mutterrecht ou matriarcat et non le patriarcat. La promiscuité des sexes qui régnait au début se serait régularisée et transformée en union conjugale sous l'influence de la femme. C'est elle qui aurait commencé à cultiver les champs pour assurer sa subsistance et celle des siens. Elle serait ainsi devenue la pierre angulaire, la pièce maîtresse de la famille, qui se serait groupée autour d'elle.

Le Mutterrecht aurait été remplacé plus tard par le troisième et dernier stade sociologique, celui du patriarcat.

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Des recherches ultérieures n'ont confirmé que partiellement ces théories et leur ont apporté quelques rectifications sérieuses. Le Mutterrecht ne doit pas être identifié avec le matriarcat. Il signifie uniquement la filiation par les femmes, c'est-à-dire l'admission de l'enfant dans le clan de la mère et l'établissement de la descendance par les femmes, ce qui est particulièrement important pour le nom et le droit successoral. Il est clair qu'un tel régime avait sa place dans une société toute primitive, ne connaissant pas encore l'union conjugale, où l'on ne trouvait que des mariages de groupes (polyandrie), c'est-à-dire des conditions ne permettant d'établir la parenté que par les femmes. On prétend que certaine forme de Mutterrecht subsisterait dans certaines régions des Indes orientales. H n'est en revanche pas établi que le Mutterrecht ait existé autrefois en Valais.

Sous le régime du matriarcat, les droits de la femme étaient plus étendus. Le pouvoir était exercé dans la famille et la société par la femme et la mère. Lors de son mariage, l'homme entrait dans la maison et la famille de la femme. Celle-ci y occupait la première place. Elle était maîtresse de l'habitation et du sol. Cette circonstance avait ses répercussions sur la situation de la femme dans la collectivité, où elle jouissait d'une grande liberté et d'une grande indépendance et pouvait revêtir certaines charges, comme celle de prêtresse. On prétend que des femmes ont exercé la charge de chef dans des peuplades primitives. Ces droits étendus de la femme ne s'expliquent pas par le simple fait que le père était inconnu. Aussi a-t-on cherché une autre explication et on a cru la trouver dans le rôle économique de la femme, qui nourrissait sa famille en cultivant les champs. Ceux qui se sont livrés à de nouvelles investigations contestent maintenant ces théories et tiennent même pour douteux qu'il ait existé, dans une ère étendue, une civilisation fondée sur le matriarcat. Mais même dans la famille matriarcale, il y avait un homme important : l'oncle maternel, c'est-à-dire le frère de la mère. C'est lui qui exerçait la puissance paternelle. L'empire des amazones est un mythe, 2. Si l'on fait abstraction de ce régime de matriarcat qui a existé très peu de temps et dans une ère très limitée et qui appartient à un passé depuis longtemps
révolu, on constate que l'homme a toujours exercé, jusqu'à maintenant, un pouvoir nettement prépondérant, qui se manifeste dans la famille par la filiation masculine et dans la société par le pouvoir politique. Il est clair que la femme ne pouvait exercer aucun droit politique tant qu'elle n'était pas civilement émancipée et que la femme mariée demeurait soumise à la tutelle maritale. Mais cela ne signifie pas que la femme n'ait eu aucune part dans les affaires de l'Etat. Ne voit-on pas des femmes occuper un trône ?

Des femmes ont aussi exercé, ici et là, le droit de vote à une époque où l'exercice de ce droit était encore attaché à la propriété du sol. C'est ainsi que les femmes propriétaires d'immeubles purent participer aux élections dans les Etats américains de Virginie et de Massachusetts de 1691 à 1780. En Angle-

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terre également, les femmes qui possédaient des immeubles purent exercer le droit de vote jusqu'à ce que la loi sur les communes de 1835 le leur eût expressément retiré. Avant l'unification de l'Italie, les femmes avaient le droit de voter en matière communale en Lombardie, en Vénétie et en Toscane en vertu d'édits publiés dans la période de 1813 à 1816. En Autriche, les femmes contribuables purent participer aux élections communales depuis 1849 et à l'élection du Landtag depuis 1861. Elles perdirent ces droits entre 1880 et 1890. Mentionnons ici la loi bernoise de 1833 sur les communes, qui accordait le droit de vote en matière communale aux femmes payant l'impôt sur une certaine fortune. Elle les obligeait cependant à se faire représenter par un homme. Considéré comme incompatible avec la constitution fédérale, ce droit fut aboli au cours des années 1880 à 1890.

Dans la suite, toutes les constitutions et les lois ont prévu expressément que les femmes ne pouvaient voter et n'étaient pas éligibles. II convient de relever que cette exclusion alla de pair avec l'extension du droit de vote masculin à de nouvelles couches de la population, c'est-à-dire, chose paradoxale, avec les conquêtes faites, avec des succès changeants, par l'idée démocratique depuis la Révolution française. Le résultat en fut que la femme, au milieu du XIXe siècle, ne pouvait plus voter nulle part.

3. Le mouvement contraire, tendant à l'égalité des sexes et connu sous le nom de «féminisme», s'était amorcé déjà longtemps auparavant, c'està-dire à la fin du XVIIIe siècle. Il ne commença, il est vrai, à enregistrer des succès appréciables qu'au début du XXe siècle. La Révolution française avait proclamé les principes de la liberté et de l'égalité pour tous les êtres humains et les avait fondés sur l'égalité naturelle et sur la dignité humaine.

Il était donc normal qu'elle servît de point de départ pour les revendications concernant l'égalité des sexes. Déjà en 1789, la ^Française Olympe de Gouges avait, dans sa «déclaration des droits de la femme», réclamé l'égalité politique des sexes, c'est-à-dire le suffrage féminin et l'admission de la femme aux fonctions publiques. Une grande influence fut exercée par le livre de l'Anglaise Wollstonecraft intitulé Vindication of Bights of Women (1792). Ces revendications ne rencontrèrent
une audience générale que lorsque les femmes -- en partie par suite de l'industrialisation croissante -- furent entrées en plus grand nombre dans la vie professionnelle, et de partenaires devinrent ainsi désormais concurrentes des hommes. La lutte de la femme pour l'accès aux mêmes possibilités d'instruction se poursuivit parallèlement.

a. Les Etate anglo-américains et nordiques prirent la tête du mouvement.

Aux Etats-Unis d'Amérique, la constitution adoptée après la déclaration d'indépendance de 1776 avait laissé aux différents Etats le soin de régler la question du droit de vote. Les Etats commencèrent par exclure complètement la femme de l'exercice des droits politiques, ce qui n'empêcha pas les femmes de jouer un rôle de premier plan dans le mouvement antiesclavagiste

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déclenché autour de 1840. Ce fui pour elles l'occasion de se rendre pleinement compte de ce que signifiait le fait de n'avoir pas le droit de vote. Cette constatation provoqua la naissance d'une action en faveur du suffrage féminin. Des associations de femmes se constituèrent en vue d'obtenir la réalisation de ce voeu. Elles se groupèrent en 1869 dans la «National American Woman Suffrage Association». Il fallut cependant bientôt reconnaître que le suffrage féminin ne pourrait pas être institué sur le territoire de l'Union par la voie de l'interprétation de la constitution et qu'une modification de celle-ci serait impossible. Aussi l'effort se concentra-t-il sur l'instauration du suffrage féminin dans les divers Etats.

Durant la période de 1869 à 1917, le suffrage féminin fut institué sous une forme ou une autre dans quinze Etats. Dans la plupart des cas, il s'agissait tout d'abord d'un droit de vote restreint, accordé en général en matière scolaire et, beaucoup plus rarement, en matière communale. Jusqu'en 1910, les femmes n'avaient obtenu un droit de vote complet que dans quatre Etats, savoir le Wyoming (1869), l'Utah (1870), le Colorado (1893) et l'Idaho (1896). Sur le terrain fédéral, une nouvelle tentative n'aboutit qu'en 1920.

Impressionnés par les expériences faites durant la première guerre mondiale et désireux de témoigner aux femmes de la reconnaissance pour leur comportement pendant la guerre, la Chambre des représentants et le Sénat votèrent un amendement à la constitution (19e amendement, du 26 août 1920) instituant le suffrage féminin. Cet amendement fut ratifié par les Etats à la majorité requise des trois quarts. Il est ainsi rédigé: «Le droit de vote des citoyens des Etats-Unis ne pourra être ni refusé ni limité par les Etats-Unis ni par aucun Etat pour raison de sexe.» Bien qu'il ait augmenté au cours des années, le nombre des femmes élues est demeuré faible jusqu'à nos jours.

En Grande-Bretagne, le mouvement féministe commença à prendre une forme concrète dans la seconde moitié du XIXe siècle. Un rôle important fut joué par le fait que des femmes participèrent activement aux oeuvres philanthropiques qui cherchaient à lutter contre la prolétarisation croissante des masses par suite des progrès de l'industrialisation. Les femmes se groupèrent sous la direction de personnes prêtes
aux plus grands sacrifices (comme Florence Nightingale, la célèbre réformatrice des soins aux malades) pour pratiquer d'abord la bienfaisance privée. Dans la suite, elles s'adressèrent à l'opinion publique, réclamant le droit de dire leur mot dans les affaires de l'Etat. Le mouvement prit ainsi une couleur politique. En 1866, des femmes, au nombre de 1446, signèrent la première pétition pour le suffrage féminin.

Elle fut remise à la Chambre des communes par le philosophe et économiste John-Stuart Mili, qui avait déjà réclamé l'institution de l'électorat et de l'éligibilité des femmes dans un livre publié en 1861 sous le titre Représentative, Government et qui était entré au parlement grâce à la popularité que lui avait value cet ouvrage. En 1869 déjà, un droit de vote en matière communale fut accordé aux femmes célibataires et inscrites au rôle de l'impôt. Une loi Feuille fédérale. 109e aimée. Vol. I.

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de 1870 sur l'instruction publique leur accorda l'électorat et l'éligibilité en matière scolaire. Bien que la participation des femmes aux délibérations des autorités communales se fût révélée utile, le parlement rejeta plusieurs fois, par exemple en 1883, 1884, 1887 et 1895, les initiatives prises en faveur de l'institution d'un droit de vote généralisé.

C'est à cette époque que prit naissance le mouvement des militantes connues sous le nom de suffragettes. Sous la direction de Mme Silvia Pankhurst et Mme M.-G. Fawcett se constituèrent des associations de suffragettes décidées à se faire reconnaître par des manifestations de protestation et des actes de violence. Les femmes continuèrent cependant, en très forte majorité, à vouloir obtenir leurs droits par la voie constitutionnelle. Malgré tout, de nouvelles interventions demeurèrent sans résultat en 1910 et 1911.

L'ouverture des hostilités en 1914 fut suivie d'un arrêt du mouvement pour le suffrage féminin. Le fait que de nombreuses femmes remplaçaient dans la profession leur mari combattant sur le front ou exerçaient un emploi public brisa cependant la résistance contre le suffrage féminin. La loi appelée Représentation of thé People Act, 1918 concéda le droit de vote aux femmes.

Comme le nombre des femmes excédait considérablement celui des hommes, on craignit cependant le pouvoir prépondérant de la femme et limita le droit de vote aux femmes qui avaient dépassé l'âge de trente ans et avaient leur propre ménage. Aucune femme ne fut cependant élue au parlement.

Ce ne fut qu'une élection complémentaire de 1919 qui fit entrer la première femme au parlement (Lady Astor). Lorsque le parti conservateur, qui s'était prononcé pour l'égalité politique des sexes, accéda au pouvoir en 1924, il s'employa à faire adopter une nouvelle loi électorale. La loi de 1928 reconnut la pleine égalité politique des sexes. Elle fut votée à la chambre des communes par 387 voix contre 10. La crainte d'un pouvoir prépondérant de la femme se révéla vaine. L'influence féminine se manifesta par le fait que les candidats masculins prenaient davantage en considération les propositions et les voeux émanant des milieux féminins.

Des Dominions avaient précédé la métropole : la Nouvelle-Zélande (1893) et le Commonwealth australien (1902), après que l'Australie du sud avait
déjà instauré le suffrage féminin en 1895. Le Canada accorda le droit de vote aux femmes, pour l'ensemble de son territoire, durant la première guerre mondiale. En 1917, ce droit était limité aux femmes et mères de soldats.

Mais déjà deux ans plus tard, le suffrage féminin généralisé fut instauré pour l'élection de la Chambre basse. En 1928, les femmes furent déclarées éligibles au Sénat.

Le mouvement féministe s'était déclenché déjà bien avant dans les pays nordiques. La suffragette Frederike Bremer, revenue d'Amérique, s'employa en 1845 à créer des associations féministes en Suède. L'idée de l'égalité des sexes suscita un vif intérêt dans les pays nordiques et fut fortement défendue dans les oeuvres de quelques écrivains célèbres (par ex. Ibsen, Björnson et Camilla Collet).

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La Norvège fut le premier Etat européen qui institua le suffrage féminin (1901). Le droit était d'abord censitaire et limité aux affaires communales.

En 1907, il fut étendu à l'élection du parlement. Un droit de vote généralisé, indépendant de tout cens, fut accordé aux femmes en 1910 pour les élections communales et en 1913 pour l'élection au parlement. Le nombre des élus du sexe féminin demeura cependant faible.

En Finlande,, les femmes, qui avaient participé activement à la résistance passive contre le régime tzariste au tournant du siècle, reçurent le droit de vote en même temps que les hommes, en 1906. Ce droit fut inscrit dans la constitution de 1919.

En Suède, les premières tentatives en faveur du suffrage féminin (1884 et 1889) se terminèrent par un échec. Ce ne fut qu'après la première guerre mondiale que les femmes suédoises se virent accorder le droit de vote, limité aux affaires communales. Ce droit restreint fut remplacé en 1921 par un droit de vote sur le terrain national et communal.

Au Danemark, les femmes étaient déjà électrices et éligibles en matière communale depuis 1908. Elles se virent encore accorder, en 1915, le droit de vote et l'éligibilité pour les élections aux deux chambres du Reichstag.

b. La première guerre mondiale fut la cause d'un premier changement radical des opinions et des dispositions légales.

Le premier Etat où s'accomplit une telle transformation fut la Russie.

Déjà en 1917, la constitution révolutionnaire de l'U.R.S. S. proclama l'égalité complète des sexes, conformément à la doctrine communiste.

Comme les droits politiques de l'homme n'avaient qu'un caractère théorique, le statut politique de la femme ne changea cependant que fort peu.

Le suffrage féminin fit tôt après son entrée dans les pays voisins: la Lettonie (1920), la Pologne (1921) et la Lithuanie (1922).

Le mouvement féministe s'était, entre-temps, aussi développé en Allemagne. Au début du XXe siècle, une série d'associations féminines, qui se réunirent en un «Bund deutscher Frauenvereine», commencèrent à déployer une grande activité en vue d'obtenir l'égalité des droits. Certaines femmes jouèrent un rôle important par leurs écrits (par ex. Marie Braun, Gertrud Bäuraer, Marianne Weber, Julie Bassermann, Hélène Böhlau et Gabriele Reuter). Peu après, certains partis politiques, notamment
le parti socialiste, sous la direction d'August Bebel, se virent amener à inscrire le suffrage féminin dans leur programme. Aucun résultat positif n'apparut au début.

Seule la révolution de 1918 apporta le succès, conférant d'un coup aux femmes le droit de vote et l'éligibilité. Une disposition dans ce sens fut inscrite dans la constitution de Weimar du 11 août 1919 (art. 22) et reprise ensuite par les constitutions des Länder et des communes. Sous le régime nationalsocialiste, les droits politiques de la femme ne furent pas formellement abolis.

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Cela parut superflu, puisque la suppression de la démocratie avait vidé de son sens le droit de vote des hommes. De nouvelles associations féminines furent créées, mais elles étaient au service des aspirations totalitaires de l'Etat.

A la fin de la guerre, ces associations furent, à leur tour, remplacées par d'autres, qui s'occupèrent à nouveau de la question du droit de vote des femmes. La loi constitutionnelle du 8 mai 1949 votée par les autorités de Bonn va plus loin que la constitution de Weimar du fait qu'elle ne se borne pas à reconnaître l'égalité politique des sexes mais proclame leur égalité tout court. Cette égalité s'étend ainsi au droit civil. Pour l'application de ce principe dans la législation sur le droit civil, il fallut accorder un délai au législateur. Ce délai expira le 31 mars 1953, mais aujourd'hui encore la loi n'a pu être modifiée. La prolongation du délai eût nécessité un vote à la majorité des deux tiers des voix, mais cette majorité ne put être atteinte.

Le nombre des élus du sexe féminin est demeuré faible.

Dans la République démocratique d'Allemagne, la femme reçut d'emblée les mêmes droits que l'homme, conformément au système de la Russie soviétique.

En Hollande, quelques femmes avaient déjà essayé en 1883 de se faire porter sur les listes électorales. La cour suprême déclara cependant que cela était illicite, étant donné que les citoyens du sexe masculin étaient seuls éligibles. Les efforts des associations féminines (en particulier de l'association pour le suffrage féminin et de la ligue pour le suffrage féminin) eurent, au début, peu de succès, malgré l'appui des partis de gauche. Ce ne fut que pendant la première guerre mondiale (1917) que les femmes se virent conférer par la voie législative normale d'abord l'éligibilité, puis l'électorat en 1919.

Dans l'ancienne Autriche, le livre de Berta von Suttner Die Waffen nieder avait déclenché au début des années 1890 un mouvement pacifiste qui éveilla l'intérêt politique des femmes. L'association créée par Marianne Hainisch en 1899 sous le nom de «Bund österreichischer Frauenvereine» défendit la cause de l'égalité des sexes. Parmi les partis politiques, seul le parti socialiste inscrivit cette égalité dans son programme. Comme en Allemagne, le succès ne vint qu'après l'effondrement de la monarchie. La loi électorale
du 12 novembre 1918 accorda à la femme l'électorat et l'éligibilité et reconnut en principe l'entière égalité des sexes. Ce régime fut confirmé par la loi constitutionnelle fédérale du 1er octobre 1920. Le parti socialiste, qui avait lutté particulièrement pour le suffrage féminin, subit un échec lors des premières élections auxquelles participèrent les femmes.

Le suffrage féminin fut introduit à la même époque en Tchécoslovaquie par la première constitution de 1918 qui donna à la femme les mêmes droits politiques qu'à l'homme. Déjà lors des premières élections, des femmes furent élues au parlement.

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En Hongrie, les femmes n'obtinrent, pour commencer, que l'éligibilité (1925 et 1938), et encore avec certaines restrictions. N'étaient éligibles que les femmes qui avaient accompli leur 30e année et possédaient une fortune propre ou exerçaient une activité professionnelle. Cette dernière condition n'était pas requise pour les femmes ayant un certificat de maturité. La république populaire communiste proclama (1949) la complète égalité des sexes.

Une série d'autres Etats instituèrent le suffrage féminin dans la période de 1918 à 1934: le Luxembourg, le Kenya, la Rhodésie, Terre-Neuve, l'Afrique du Sud, l'Inde, là Turquie, l'Uruguay et le Brésil.

c. Après la seconde guerre mondiale, durant laquelle les femmes avaient rendu de grands services, le suffrage féminin fut instauré dans la plupart des Etats qui ne le connaissaient pas encore.

En France, comme nous l'avons dit, le mouvement féministe se manifesta déjà en 1789, au moment où éclata la révolution, sous la forme d'une déclaration des droits de la femme, d'Olympe de Gouges, déclaration qui appliquait le principe de l'égalité à la situation de la femme. Le sociologue SaintSimon et ses disciples reprirent l'idée mais n'eurent, au début, que peu de succès. Ce ne fut qu'au début de la première guerre mondiale que l'opinion publique se préoccupa un peu plus de la question du suffrage féminin.

Entre les deux guerres, l'idée en fut défendue notamment par deux associations féminines: l'«Union française pour le suffrage des femmes» et la «Ligue nationale». Une première concession aux revendications féminines fut faite en 1936, lorsque le front populaire fit entrer deux femmes dans le cabinet Léon Blum. L'électorat et l'éligibilité ne furent accordés aux femmes qu'à l'époque où le général do Gaulle fut président du gouvernement provisoire. La constitution du 27 octobre 1946 reconnut en principe l'entière égalité des sexes.

Le mouvement féministe rencontra des difficultés particulières en Italie, où il devait lutter notamment contre une opinion publique attachée à la tradition. Bien que les femmes fussent électrices en matière communale déjà au début du XIXe siècle dans diverses provinces de l'Italie du nord, les Italiennes manifestèrent peu d'intérêt pour le mouvement féministe.

Plusieurs tentatives eurent lieu entre 1872 et 1920, mais elles demeurèrent
sans succès. Mussolini se montra adversaire du suffrage féminin, encore qu'il eût laissé entrevoir dans un discours prononcé en 1923 l'institution d'un droit de vote «administratif». Dans la suite, le fascisme cantonna la femme dans son rôle traditionnel de mère et supprima les associations féminines.

Lorsque les partisans eurent réussi, avec l'aide des femmes, à faire tomber le régime fasciste, l'électorat et l'éligibilité furent reconnus à la femme. Cela se fit, sur la proposition du conseil des ministres, par un décret royal daté du 1er février 1945. Ce décret fut sanctionné par la constitution, qui reconnut l'égalité des sexes.

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En Belgique, il se forma à la fin du XIXe et au commencement du XXe siècle une série d'associations féminines qui constituèrent le «Conseil national des femmes belges», mais n'obtinrent toutefois qu'un succès limité.

Ce ne fut qu'en 1919 que l'électorat fut accordé aux veuves de soldats tués et de civils exécutés pendant la guerre, aux veuves dont les file avaient été tués ou exécutés pendant la guerre, ainsi qu'aux femmes condamnées pour des actes de patriotisme. Mais une loi de 1920 conféra aux femmes en général l'électorat, limité toutefois aux élections communales. Une loi du 14 février 1921 accorda en outre aux femmes, sous certaines conditions, l'éligibilité dans les communes. Enfin, le parlement vota à une forte majorité en 1948 l'institution d'un suffrage féminin généralisé pour les élections au parlement.

En Grèce, un décret de 1930 accorda l'électorat en matière communale aux femmes de plus de 30 ans sachant lire et écrire. L'âge minimum fut ensuite abaissé à 25 ans. Une loi spéciale de 1952 institua pour les femmes l'électorat et l'éligibilité.

En Espagne, sous le régime républicain, les femmes furent mises en 1931 sur le même pied que les hommes et participèrent avec ardeur aux élections. Aujourd'hui, elles n'exercent pratiquement plus les droits politiques qu'elles ont encore formellement.

Au cours de la même année, le Portugal accorda un droit de vote restreint aux femmes. Ne sont électrices que les femmes qui ont un certain degré d'instruction ou qui paient au fisc au moins 100 escudos sur le produit de leur travail ou le rendement de leur fortune. Les femmes devant en outre être «majeures», un grand nombre d'entre elles sont privées du droit de vote: les femmes mariées et les filles secourues par des parents.

Au Japon, les femmes sont électrices et éligibles exactement comme les hommes.

Il y a lieu de mentionner encore les Etats qui, passés au communisme, instituèrent le suffrage féminin. Mais même dans ces Etats, le nombre des femmes qui furent élues est faible.

Depuis 1940, neuf Etats de l'Amérique du sud et de l'Amérique centrale et quelques autres pays ont instauré le suffrage féminin.

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Le tableau qui suit donne une vue d'ensemble de cette évolution: P

^s

Albanie Allemagne Amérique, Etats-Unis Argentine Australie Autriche Belgique Brésil Bulgarie Burma Canada Ceylan Chili Chine Corée Costa-Rica Cuba Danemark Equateur Finlande France Grande-Bretagne et Irlande du Nord . . .

Grèce Hongrie Indes Irlande Islande Israël Italie Japon Libéria Luxembourg Mongolie Norvège .

Nouvelle-Zélande Pakistan Panama Pays-Bas .

Philippines Pologne

Droit de vote Droit de vote en matière politique communale intégral depuis depuis

1946 1918 1869-1918 1920 1921-1927 1947 1861-1886 1902 1919 1920 1948 1932 1947 1922 1947 1884-1892 1917 1931 1931 1949 1947 1948 1949 1934 1908 1915 1929 1907 1944 1918 1925-1949 1952 1920-1949 1919-1935 1935 1907 1918 1902 1915 1948 1925 1945 1946 1945 1918 1924 1910 1913 1893 1951-1952 1946 1917 1937 1929 1919

716 jiayB

Droit de vote Droit de vote en matière politique communale intégral depuis depuis

République Dominicaine . . .

Roumanie San Salvador Sarre, Territoire de la Suède Tchécoslovaquie Thaïlande Turquie Union de l'Afrique du Sud Union soviétique Ukraine, U.R.S.S Uruguay . . .

Venezuela Yougoslavie

1942 1946 1862-1918 1946-1950 1919 1917 1921 1930 1919 1932 1934 1930-1946 1917 1917 1932 1947 1946

4. L'état actuel du droit de vote des femmes est le suivant: Sur les 83 Etats indépendants qui existent dans 1? monde, 61 accordent à la femme le même droit de vote qu'à l'homme. Parmi ces Etats j nous trouvons tous les grands Etats et les grands pays voisins de la Suisse. La femme jouit d'un droit de vote différentiel dans six Etats moins grands. Au Portugal et au Guatemala, les femmes doivent fournir la preuve d'une certaine instruction, alors qu'aucune preuve de ce genre n'est exigée des hommes.

Au Portugal, elles doivent eu outre être à la tête d'une famille. Dans d'autres Etats, elles ne peuvent participer qu'aux élections locales (Monaco, Haïti et Pérou).

Dans quinze pays, la femme n'a aucun droit de vote, alors que les hommes en ont un. Ce groupe ne comprend, en Europe, que la Suisse et la principauté de Liechtenstein. Hors d'Europe, les pays en question sont l'Abyssinie, l'Egypte, l'Afghanistan, le Cambodge, la Colombie, le Honduras, l'Iran, l'Irak, la Jordanie, le Laos, la Libye, le Nicaragua et le Paraguay.

Mentionnons également les pays où les hommes n'ont pas non plus le droit de vots (comme l'Arabie Séoudite et le Yemen).

Sur le terrain international, le pacte de la Société des Nations avait déjà proclamé dans sa charte de 1919 (art. 7) que toutes les fonctions de cet organisme sont également accessibles aux hommes et aux femmes. La charte des Nations Unies de 1945 (art. 8) déclare aussi qu'aucune différence ne sera faite quant à l'accès des hommes et des femmes à toutes les fonctions; elle recommande même à tous les Etats membres l'égalité des sexes, en invoquant les droits fondamentaux de l'homme. La «Déclaration générale des droits de

717

l'homme», proclamée par l'assemblée générale des Nations Unies du 10 décembre 1948 (art. 2), pose à nouveau le principe de l'égalité politique des sexes.

5. On voit ainsi que le droit de vote fut presque exclusivement réservé à l'homme jusqu'au début du XXe siècle. Mais l'émancipation politique de la femme commença alors à prendre une rapide extension.

Quelques Etats américains et certains pays nordiques instituèrent le suffrage féminin par la voie de la législation ordinaire. Le mouvement devint extrêmement puissant à l'époque de la première guerre mondiale, si bien que les femmes disposent actuellement, dans la plupart des Etats, des mêmes droits politiques que les hommes. Cette évolution est la conséquence des expériences faites durant les deux guerres mondiales et de la victoire des conceptions démocratiques. Le suffrage féminin fut fréquemment instauré par un acte révolutionnaire et non par la voie ordinaire d'une revision constitutionnelle ou légale.

III. Historique et état actuel des droits politiques de la îemmc en Suisse 1. Les associations féminines qui s'intéressent aux questions touchant les droits de la femme ne virent le jour en Suisse que vers la fin du XIXe siècle. Au début, elles ne visaient pas directement des buts politiques et s'occupaient de tâches d'utilité publique, de l'amélioration des possibilités d'instruction de la femme (arts et métiers et hautes études) et de la situation sociale des ouvrières. C'est ainsi que fut créée en 1888 la «société d'utilité publique des femmes suisses», qui se voue à des tâches pratiques d'intérêt général et compte actuellement 202 sections. Dans la suite furent fondées de nombreuses associations s'occupant des intérêts particuliers des femmes.

En 1900, elles se groupèrent en une «alliance de sociétés féminines suisses», notamment due à l'initiative d'Hélène von Mülinen, première présidente, et de son amie Emma Pieczynska-Reiehenbach. Cette organisation faîtière de la plupart des sociétés féminines suisses, à laquelle sont actuellement affiliées quelque 240 associations suisses, cantonales et locales, et 17 centres de liaison féminins, est une société politiquement et confessionnellement neutre, qui a pour but de défendre les intérêts de la femme devant le peuple et le gouvernement. Elle vise principalement à améliorer la situation politique
de la femme. La première association qui s'était donné pour tâche de revendiquer le droit de vote pour les femmes fut l'«Union für Frauenbestrebungen» à Zurich, fondée en 1884. Au cours des premières années du siècle, d'autres groupements de ce genre furent créés à Berne, Genève, Lausanne, Neuchâtel, La Chaux-de-Fonds, au Locle et à Olten. En 1909, elles se groupèrent en une «association suisse pour le suffrage féminin». Indépendante des partis politiques, cette association compte actuellement 33 sections et cherche à obtenir pour la femme les mêmes droits que l'homme dans tous les domaines de la vie publique sur le plan fédéral, cantonal et communal et, notamment, le droit de vote, l'électorat et l'éligibilité des femmes suisses.

718

Depuis longtemps déjà, l'idée de conférer à la femme les mêmes droits politiques qu'à l'homme avait été examinée en Suisse dans de nombreux écrits et mémoires. Bodmer fut un des premiers, à la fin du XVIIIe siècle, à qualifier d'injuste l'exclusion de la femme de la vie publique. En 1830, le Bernois J. von Lerber prit une première initiative en adressant au Grand conseil du canton de Berne une requête tendant à mettre les femmes sur le même pied que les hommes. Il ne convient pas, disait-il, de priver la mère de famille des droits que peut exercer son jeune fils. Presque un siècle plus tard, le philosophe lausannois Charles Secrétan étudia de façon approfondie la question du suffrage féminin et se prononça en faveur de l'égalité des sexes dans ses écrits Le droit de la femme (1886) et Le droit de l'humanité (1892). Dans ses Mélanges féministes (1897), le Genevois Louis Bridel s'exprimait dans le même sens. L'idée du suffrage féminin fut également défendue par le spécialiste du droit public Jakob Dubs, qui devint conseiller fédéral, dans son ouvrage Das öffentliche Recht Aar Schweiz (1878), et par le Bernois Carl Hilty, professeur de droit public, dans le Politisches Jahrbuch der schweizerischen Eidgenossenschaft de 1897. Se fondant sur les droits de l'homme et tenant pour injuste le fait que les femmes soient soumises aux lois sans avoir aucune part à leur préparation, Auguste Morsier rompit une lance en faveur du suffrage féminin dans son écrit Pourquoi nous demandons le. droit de vote pour la femme? (Genève, 2e édition 1916). Dans son ouvrage La démocratie et son évolution (1905), Virgile Rössel, écrivain jurassien qui fut plus tard juge fédéral, s'exprima pour le suffrage féminin, invoquant les conceptions démocratiques. Dans ses écrits Kulturbestrebungen der Gegenwart (1910) et Les Etats unis de la Terre (1915), le philosophe Auguste Forel déclara que l'inégalité politique était une grande injustice et insista sur la nécessité d'une collaboration des deux sexes sur le plan social.

L'idée du suffrage féminin fut propagée par les associations féminines fondées entre-temps, ainsi que par les deux revues dont elles assuraient la publication. Signalons en particulier l'ouvrage de la Bernoise Emma Graf, qui, en sa qualité de rédactrice de la Schweizer Lehrerinnenzeitung, de la revue Die Bürgerin,
du Jahrbuch der Schweizerfrau (1915 à 1919) et de la revue Geschichtliche Grundlagen der Schweizerfrauenbewegung, lutta pour l'égalité politique de la femme. Mais ce n'est qu'au cours des trente dernières années que les écrits féministes se sont multipliés. Des femmes sont intervenues en faveur du suffrage féminin dans des thèses, brochures, articles de journaux et de revues, etc. La plus importante de ces publications est, on l'a vu, le Lexikon der Frau, récemment paru à Zurich.

Dans nombre de pétitions et de requêtes ou par l'intermédiaire de parlementaires, les associations féminines, notamment l'«association suisse pour le suffrage féminin» et l'«alliance de sociétés féminines suisses», demandèrent maintes fois aux conseils législatifs et au Conseil fédéral, ainsi qu'aux parlements et gouvernements cantonaux, d'instituer le droit de vote et l'éligi-

719

bilité des femmes sur le plan fédéral, cantonal ou communal, le cas échéant sur la base d'une autorisation des communes, ou d'organiser des votations d'essai parmi les femmes.

2. Les tentatives faites en vue d'instaurer le suffrage féminin en matière cantonale remontent à l'époque de la fondation de l'Etat fédératif. Comme il est dit plus haut, Beat von Lerber proposa au gouvernement bernois, déjà en 1830, de mettre les femmes sur le même pied que les hommes lors de l'institution du suffrage universel. Sous l'influence du mouvement démocratique qui se manifestait alors, le canton de Berne conféra en principe aux femmes, par la loi sur les communes de 1833 édictée en vertu de la première constitution démocratique, le droit de voter dans les mêmes conditions que les hommes. Comme ceux-ci, elles avaient notamment le droit de voter dans la commune lorsqu'elles y possédaient certains biens ou y étaient assujetties à l'impôt. Elles n'étaient pas autorisées à assister aux assemblées communales, mais pouvaient s'y faire représenter par des hommes qui devaient voter selon leurs instructions. La loi sur les communes de 1852 restreignit cependant ce droit, en le limitant aux femmes qui étaient assujetties à l'impôt et qui n'étaient pas sous la puissance d'autrui, c'est-à-dire aux célibataires et aux veuves. Ce suffrage féminin fut entièrement aboli en 1887, le Conseil-exécutif ayant ordonné aux communes, par une circulaire, de ne plus reconnaître le droit de vote aux femmes. Le gouvernement bernois alléguait que ce droit n'était plus compatible avec le principe de l'égalité de traitement établi par l'article 4 de la constitution fédérale et que cet article l'avait supprimé. Le fait, ajoutait-il, qu'une partie des femmes peuvent voter et d'autres pas constitue une inégalité de traitement. Il ne nous appartient pas d'examiner si les raisons invoquées étaient pertinentes ou non.

Une réclamation au Grand conseil n'eut pas de succès et aucun autre moyen de droit ne fut utilisé, de sorte que les choses en restèrent là. A noter à ce propos qu'au Tessin les ressortissantes des communes ont, depuis 191S, le droit de vote, l'électorat et l'éligibilité dans les corporations possédant des biens-fonds (patriziati).

La première guerre mondiale et la transformation des conditions politiques et sociales qu'elle suscita
dans les pays belligérants firent, pour la première fois, avancer sérieusement la cause du suffrage féminin. Dans nombre de ces pays, parmi lesquels l'Allemagne et l'Autriche, ainsi que la Grande-Bretagne, la Russie et les Etats-Unis d'Amérique, les femmes avaient été mises au bénéfice des mêmes droits politiques que les hommes.

Entre les deux guerres mondiales, dix votations populaires eurent lieu, dans sept cantons, au sujet du droit de vote des femmes, intégral ou restreint.

Leur résultat fut chaque fois négatif.

Après la seconde guerre, une nouvelle vague se forma chez nous sous l'effet des événements, des bouleversements sociaux et politiques et du triomphe du suffrage féminin dans le reste du monde. Elle amena neuf can-

720

tons à organiser quinze consultations populaires, dont le résultat fut également négatif. Il y a eu jusqu'à présent 25 votations se répartissant entre neuf cantons et deux demi-cantons.

Aucune votation populaire sur le vote des femmes n'a eu lieu, en revanche, dans neuf cantons (Lucerne, Uri, Schwyz, Zoug, Schaffhouse, Grisons, Argovie, Thurgovie et Valais) et dans quatre demi-cantons (Unterwald-le-Haut, Unterwald-le-Bas, Appenzell Rh.-Est. et Appenzell Rh.-Int.).

Une motion tendant à l'instauration du suffrage féminin avait été acceptée dans le canton de Lucerne en février 1946, mais elle n'eut aucune suite.

Le même sort fut réservé dans le canton de Fribourg à une motion déposée en novembre 1945 et à une seconde de novembre 1950. Il en fut de même d'une motion déposée au Grand conseil valaisan. Le Grand conseil argovien rejeta par 88 voix contre 67 une proposition que le Conseil d'Etat lui avait adressée en janvier 1947 au sujet de l'introduction du droit de vote des femmes en matière communale. Une motion déposée au Grand conseil du canton de Thurgovie fut retirée par son auteur, eu égard au résultat négatif de diverses votations cantonales. Une proposition faite au Grand conseil du canton de Baie-Campagne en mars 1951, visant à saisir les autorités fédérales d'une initiative cantonale pour l'instauration du suffrage féminin, n'eut aucun succès. Est encore en suspens la requête, formulée sous la forme d'une simple suggestion, que le conseil de ville de Zurich a adressée le 7 octobre 1955 au Grand conseil, à la suite d'une consultation des femmes, tendant à ce qu'un projet relatif au suffrage féminin fût de nouveau soumis à une votation populaire. II en est de même de la requête par laquelle, à Baie, le «weiterer Bürgerrat» demanda au Conseil d'Etat, au début de juillet 1956, d'être autorisé à instituer le suffrage féminin.

Dans d'autres cantons, une votation populaire n'eut lieu qu'après l'échec de propositions. Ainsi, le Grand conseil bernois avait rejeté, en février 1943, une proposition relative à l'institution du vote des femmes dans les communes. Une pétition, déposée en mai 1945 et visant au même but, qui contenait 50118 signatures (dont celles de 38263 femmes) n'eut d'abord aucune suite. Un scrutin populaire ne fut ordonné qu'à la suite du dépôt 1s 7 juillet 1953 d'une initiative,
appuyée par 33 655 signatures valables, demandant l'instauration du droit de vote des femmes en matière communale. Le Grand conseil adopta un projet de loi qui se contentait de laisser aus communes la faculté d'instituer le suffrage féminin en matière communale. Ce projet fut rejeté, en votation populaire du 4 mars 1956, par 63 051 non contre 52 927 oui.

Comme on ne cessait d'objecter, dans les campagnes relatives à l'institution du suffrage féminin, que la très grande majorité des femmes ne 1s désiraient pas, il fut proposé d'organiser parmi les femmes des votations dites d'essai. De telles consultations furent organisées dans les cantons de Genève (les 29/30 novembre 1952) et de Baie-Ville (les 20/21 février 1954).

Une autre votation d'essai avait été également proposée pour le canton de

721

Zurich, mais elle n'eut pas lieu, les associations féminines ayant elles-mêmes adopté une attitude négative. En liaison avec le recensement fédéral des entreprises du 25 août 1955, et aux fins de statistique, la ville de Zurich demanda en revanche aux femmes entrant en considération pour le droit de vote ce qu'elles pensaient du suffrage féminin.

Les tableaus ci-après donnent des renseignements précis sur les résultats des votations réservées aux hommes et des consultations des femmes.

Ces renseignements ont été tirés, avec l'assentiment des auteurs, de la brochure susmentionnée de Käthe Biske et U. Zwingli.

722

Yotations populaires et consultations des lemmes Date

Projets Votations

1920 1923 1947

8 févr.

18 févr.

30 nov.

1954

5 déc.

1956

4 mars

1921

1er mai

1948

14 nov.

1920 1927 1946 1954

8 févr.

15 mai 16 juin 5 déc.

1926 1946 1955

11 juillet 7 juillet 15 mai

1921 1925

4 sept.

13 sept.

1946

3 nov.

1951

25 févr.

1919 1941 1948

29 juin 9 nov.

14 mars

1921 1940 1946 1953

16 octobre 1er déc.

29 sept.

30 nov.

Canton de Zurich Droit de vote intégral Electoral et éligibilité pour les autorités des districts et des communes . . . .

Droit de vote Intégral Electoral et éligibilité pour les autorités des districts et des communes . . .

Droit de vote intégral Canton de Berne Institution facultative du droit de vote et de l'éligibilité dans les communes Canton de Claris Droit de vote intégral , Canton de Soleure Droit de vote et éligibilité en matière communale Canton de Baie-Ville Droit de vote intégral Droit de vote intégral Droit de vote intégral Droit de vote intégral Canton de Baie-Campagne Droit de vote et éligibilité en matière scolaire et d'assistance (') Droit de vote Intégral Introduction graduelle du droit de vote Canton de Saint-Gai!

Droit de vote intégral Droit de vote et éligibilité en matière ecclésiastique Canton du Tessin Droit de vote intégral Canton de Vaud Introduction facultative du droit de vote et de l'éligibilité en matière communale Canton de Neuchâtel Droit de voto intégral Droit de vote et éligibilité en matière communale Droit de vote et éligibilité en matière communale Canton de Genève Droit de vote intégral Droit de vote intégral Droit de vote Intégral Droit de vote Intégral Consultation

1955

25 août

1954

21 févr.

1952

30 nov.

Ville de Zurich Droit de vote intégral Droit de vote, éligibilité en matière scolaire, ecclésiastique et d'assistance . .

Canton de Baie-Ville Droit de vote intégral Canton de Genève Droit de vote intégral l1) En pour-cent des votants -- (a) En 4pour-cent des oui et des non -- ( ) Ausai en matière ecclésiastique

723

concernant l'introduction du suffrage féminin Suffrages exprimés Votants Total

Oui

Non

I1) (s) Participation Rejetants Bulletin» en pour»cent en poui'cent bianca et nuls

Date

pour les hommes 135 751 140636 228 564 228564 248 043

112983 109 569 177 484 177484 177 717

21631 28615 39018 61360 48143

88 595 76 413 134 599 112176 119 543

2757 4541 3867 3948 10031

83,2 77,9 77,7 77,7 71,6

80,4 72,8 77,5 64,6 71,3

8 février 1920 18 février 1923 30 nov. 1947

250 485

119 087

52927

63051

3109

47,5

54,4

4 mars 1956



(">

1er mal 1921

·

5 déc. 1954

50378

20 315

9353

9535

1427

40,3

50,5

14 nov. 1948

29119 35 855 53568 62361

19392 21 283 31 795 38699

6711 6152 11 709 17321

12455 14917 19892 21 123

226 214 194 255

66,6 59,4 59,4 62,1

65,0 70,8 62,9 54,9

8 février 1920 15 mal 1927 16 juin 1946 5 déc. 1954

22788 30249 35282

7276 14468 12882

3164 3784 5496

3332 10480 7070

780 204 316

31,9 47,8 36,5

51,3 73,5 56,3

11 Juillet 1926 7 juillet 1946 15 mai 1955

66629 68673

43932 49209

12114 18227

26166 23 867

5652 7115

65,9 71,7

68,4 56,7

4 sept. 1921 13 sept. 1925

50905

19168

4174

14093

901

37,7

77,2

3 nov. 1946

113 027

59453

23127

35890

436

52,2

60,8

25 février 1951

33893 36 836 39827

17605 23197 22442

5365 5589 7316

12 058 17068 14982

182 540 144

51,9 63,0 56,2

69,2 75,3 67,2

29 juin 1919 9 nov. 1941 14 mars 1948

38437 50883 54783 61303

21 012 27284 25230 32169

6634 8439 10930 13419

14169 17894 14076 17967

209 951 224 783

54,7 53,6 46,1 52,5

68,1 68,0 56,3 57,2

16 octobre 1921 1er déc. 1940 29 sept. 1946 30 nov. 1953

157 800

132 800

f 52 865 152722

} 25655

1 662

84,2

76701

45593

33 166

12327

100

59,4

27,1

21 février 1954

72516

42865

35972

6436

457

59,1

15,0

30 nov. 1952

des femmes

(*) Rejeté à une grande majorité par la landsgemeinde pour la confession protestante

/ 32,7 \32,7

25 août 1955

724

La plus forte participation fut atteinte dans les cantons de Zurich, Baie-Ville et Genève, qui comptèrent chacun quatre votations (réservées aux hommes). Trois scrutins eurent lieu dans les cantons de Baie-Campagne et de Neuchâtel. H y en eut deux dans le canton de Saint-Gali et un dans les cantons de Berne, Glaris, Soleure, Tessin et Vaud. Dans tous les autres cantons, le peuple n'a pas encore été appelé à s'exprimer BUT la question.

Les électeurs ont chaque fois rejeté, à une nette majorité, les projets relatifs à l'instauration du droit de vote des femmes. Tel fut le cas non seulement lorsqu'il s'agissait de mettre les femmes au bénéfice d'une complète égalité des droits, mais aussi Iprsqu'il était question de leur conférer un droit de vote restreint dans certaines affaires relevant du canton, des districts ou des communes (par exemple en matière d'école et d'assistance). M l'idée d'un droit de vote limité aux affaires communales, ni celle d'un droit de vote que les communes auraient la faculté d'instituer ne recueillirent en votation populaire la majorité simple nécessaire.

Les chiffres enregistrés dans les cantons où le peuple a été consulté montrent cependant nettement que le suffrage féminin y a gagné du terrain.

Il ne faut cependant pas comparer le résultat d'un scrutin concernant l'institution du droit de vote intégral avec celui d'un scrutin concernant un droit de vote limité. Pour le droit de vote intégral, le nombre des rejetants est tombé, dans le canton de Zurich, de 80,4 pour cent en 1920 à 71,3 pour cent en 1954. La dernière consultation populaire avait trait à une initiative du parti du travail, dont les associations féminines elles-mêmes recommandaient le rejet, ce qui doit avoir largement contribué à accroître le nombre des rejetants. Durant la même période, le nombre des rejetants tomba de 65 à 54,9 pour cent dans le canton de Baie-Ville et de 68,1 à 57,2 pour cent dans celui de Genève. C'est sur le terrain communal que le suffrage féminin rencontra le moins de résistance. Les rejetants ne furent que 50,5 pour cent dans une votation soleuroise concernant l'institution du vote des femmes en matière communale. Dans une votation bernoise portant sur l'institution facultative du suffrage féminin dans les communes, les rejetants ne représentèrent que 54,4 pour cent des votants. Dans
le canton de Baie-Campagne, l'introduction d'un droit de vote restreint ne fut rejetée en 1926 que par 51,3 pour cent des votants (la participation au scrutin étant de 31,9%).

En chiffres absolus, la différence ne fut, dans cette dernière votation, que de 168 voix, alors qu'elle était encore de 182 dans la votation soleuroise de 1948 concernant l'instauration du suffrage féminin en matière communale (participation à la votation: 40,3%). Nous voyons ainsi que le suffrage féminin n'a cessé de gagner de plus en plus d'hommes à sa cause, même si la progression est lente.

Dans ces votations, la participation varia entre 83,2 pour cent et 31,9 pour cent, la moyenne étant de 57,8 pour cent. La votation organisée dans le canton de Berne pour régler la question de l'institution facultative

725

du suffrage féminin dans les communes n'attira aux urnes que 47,5 pour cent des électeurs. Moins de la moitié des citoyens se sont ainsi prononcés. Ceux qui ont voté oui représentent 21,37 pour cent du corps électoral, tandis que les rejetants en forment 25,22 pour cent.

Les consultations des femmes ont donné, en revanche, un résultat nettement favorable au suffrage féminin, si l'on fait abstraction des femmes qui n'y ont pas participé. Dans le canton de Genève, la consultation (qui attira aux urnes 59,1 pour cent des femmes) révéla que 15 pour cent des votantes étaient opposées au suffrage féminin, tandis que 85 pour cent lui étaient favorables. Rapporté au nombre total des avis entrant en considération, le nombre des avis favorables représente 49,5 pour cent. Dans le canton de Baie-Ville, la consultation (participation: 59,4%) donna le résultat suivant: 27,1 pour cent des votantes étaient défavorables au suffrage féminin et 72,9 pour cent favorables. Au total le nombre des avis favorables est donc de 43,3 pour cent.

La consultation des femmes dans la ville de Zurich ne revêtit pas la forme d'une votation d'essai comme dans les cantons de Genève et BaieVille. Elle consista en un relevé statistique, ce qui permit d'obtenir une participation particulièrement élevée (84,2%). Le résultat fut le suivant: 19,3 pour cent des avis contre, 79,5 pour cent pour le suffrage féminin.

Le nombre des avis favorables à l'institution du süffrage féminin en matière cantonale (39,8%) et en matière communale (39,7%) sont à peu près les mêmes. Rapporté au nombre total des femmes consultées, le nombre des avis favorables au suffrage féminin sous une forme ou une autre représente 66,9 pour cent, c'est-à-dire plus des deux tiers, l'opposition étant de 16,2 pour cent.

3. Les efforts faits sur le terrain fédéral pour instituer le droit de vote des femmes allèrent de pair avec les initiatives prises dans les cantons.

Déjà lors des travaux préparatoires pour la revision totale de la constitution fédérale de 1874, il fut proposé -- mais sans succès -- d'accorder une complète égalité politique à la femme. Une nouvelle tentative -- également infructueuse--ne fut faite qu'en 1913, sous la forme d'une motion déposée au Conseil national par le député socialiste Johannes Huber, motion qui demandait que la force représentée par
les femmes fat mise au service de la vie publique. Le mouvement en faveur du suffrage féminin fut fortement stimulé, aussi sur le plan fédéral, par les expériences faites durant la première guerre mondiale, par les transformations sociales et politiques qui en résultèrent à l'étranger et par le fait que quelques grands pays, comme l'Allemagne et l'Autriche, avaient accordé l'égalité aux femmes. Lorsque le comité de grève réuni à Olten. en 1918 eut revendiqué l'institution du suffrage féminin, l'association suisse pour le suffrage féminin appuya la demande dans un télégramme adressé au Conseil fédéral. La grève générale s'étant Feuille fédérale. 109e année. Vol. I.

50

726

terminée par un échec, il ne fut donné aucune suite à cette revendication.

Immédiatement après, une série d'initiatives furent prises, mais elles ne donnèrent aucun résultat. Déjà en 1918, la motion ScJierrer-Fullemann réclama une revision totale de la constitution, avec institution du suffrage féminin. Au mois de décembre de la même année furent déposées au Conseil national les motions Oöttisheim et Greulich, qui demandaient que la femme fût mise au bénéfice des mêmes droits politiques que l'homme par la voie d'une revision partielle de la constitution. Les deux motions, appuyées par une pétition déposée en juin 1919 par 158 associations féminines, furent ensuite adoptées par le Conseil national.

Comme nous l'avons dit dans notre rapport de 1951, des tentatives d'origine privée furent faites, quelques années plus tard, pour obtenir l'institution du suffrage féminin par la voie de l'interprétation de l'article 74 de la constitution. En 1923 à Berne et en 1928 à Genève, le conseil municipal fut saisi d'une demande tendant à l'inscription des femmes dans le registre civique, parce qu'elles étaient aussi «Suisses» au sens de cet article constitutionnel. Ces deux requêtes furent rejetées, en dernier lieu par le Tribunal fédéral. Peu de temps après, L. Jenny à Genève demanda au Conseil fédéral d'édicter une ordonnance prescrivant que les femmes fussent inscrites au rôle des électeurs. Mais le Conseil fédéral refusa et le recours adressé à l'Assemblée fédérale n'eut pas non plus de succès.

Entre-temps, la commission centrale d'agitation féministe du parti socialiste suisse avait fait énergiquement campagne pour gagner l'opinion publique à la cause du suffrage féminin. Cette campagne aboutit au dépôt d'une pétition à l'Assemblée fédérale, du 6 juin 1929, signée par 170397 femmes et 78 840 hommes (notamment des cantons de Berne, Zurich, Vaud, Baie et Genève). La pétition était rédigée comme suit: «Les soussignés, hommes et femmes suisses majeurs, persuadés qu'il est injuste dans une démocratie d'écarter les femmes des affaires publiques auxquelles elles apporteront une participation utile, demandent à notre haute Assemblée fédérale d'introduire dans la constitution une disposition reconnaissant aux femmes les droits politiques (électorat et éligibilité) aux mêmes conditions qu'aux hommes. » La commission
des pétitions du Conseil national invita le Conseil fédéral, par une motion, à présenter un rapport et des propositions sur les motions Greulich et Göttisheim, sur la décision des conseils législatifs du 28 septembre/21 décembre 1928 et sur la pétition qui venait d'être déposée.

Les deux chambres adoptèrent la motion.

On entendit aussi un son de cloche contraire. La ligue suisse contre les droits politiques de la femme adressa, le 4 décembre 1931, une requête au Conseil fédéral. Elle déclarait que les femmes suisses ne devaient pas être mêlées aux luttes politiques et que, dans les conditions existant en Suisse, l'égalité politique des sexes ne répondait ni à l'équité ni à la nécessité. La requête demandait en revanche au Conseil fédéral de chercher de quelle

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manière on pourrait donner à la femme suisse la possibilité de faire entendre davantage son opinion au sujet des projets de dispositions constitutionnelles et des projets de loi. De son côté, la commission centrale d'agitation féministe du parti socialiste suisse demanda, le 13 février 1932, que la pétition fût bientôt traitée.

La grave crise économique des années 1930 à 1940 avait commencé sur ces entrefaites. Peu à peu se manifestèrent aussi, dans le domaine international, les tensions politiques qui aboutirent à la seconde guerre mondiale.

Les autorités se virent ainsi placées devant les nouvelles tâches qu'imposaient impérieusement la sauvegarde de notre économie tout entière et même la conservation de l'Etat. C'est ainsi que le Conseil fédéral se vit obligé de différer une fois encore l'examen de la question du suffrage féminin, même après que le Conseil national l'eut, en 1938, invité de nouveau à présenter aussitôt que possible un rapport et des propositions sur la question du droit de vote des femmes.

De nouvelles interventions eurent cependant lieu avant même la fin de la guerre. Un postulat du conseiller national radical Urs Dietechi, du 20 septembre 1944, demanda une plus large participation des femmes aux commissions extraparlementaires. Û fut adopté et ne resta pas lettre morte.

Le 16 juin 1944, N..0precht, conseiller national socialiste, déposa un postulat qui avait l'appui de trente-huit associations féminines. H était rédigé comme suit: «Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il n'y aurait pas lieu d'insérer dans la constitution une disposition prévoyant le droit de vote et l'éligibilité des femmes. » Le postulat ne fut adopté qu'après la fin de la guerre, le 12 décembre 1945.

A l'occasion du centenaire de la constitution fédérale, des femmes suisses organisèrent le 2 mai 1948 une manifestation commemorative appelée «Cent ans de démocratie suisse». Elles votèrent une résolution réclamant l'égalité politique des sexes et émettant une série d'autres voeux concernant l'amélioration du statut de la femme. Le comité suisse pour le suffrage féminin transmit la résolution au Conseil fédéral.

Dans une requête du 27 octobre 1949, le comité suisse d'action pour le suffrage féminin demanda au Conseil fédéral de recommander à l'Assemblée fédérale de conférer aux femmes le seul droit
de vote, sans l'électorat, ni l'éligibilité, ni le droit de signer une initiative ou une demande de referendum.

Peu après, le 21 décembre 1949, le conseiller national conservateurcatholique von Roten déposa le postulat suivant: «Le Conseil fédéral est invité à présenter aux chambres un rapport sur les moyens les plus appropriés pour étendre aux femmes suisses l'exercice des droits politiques.» La requête adressée au Conseil fédéral le 25 novembre 1950 par l'association suisse pour h suffrage féminin donna aux choses une tournure nouvelle. S'inspirant des tentatives faites antérieurement pour instaurer le suffrage féminin non par la voie d'une revision de la constitution, mais au

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moyen d'une nouvelle interprétation, l'association proposa de préciser la portée de l'article 10 de la loi du 17 juin 1874 concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux, en ajoutant simplement les mots «homme ou femme» après le mot «Suisse». L'article aurait alors eu la teneur suivante: «A droit de voter tout Suisse, homme ou femme, âgé de vingt ans révolus et qui n'est du reste point exclu du droit de citoyen actif par la législation du canton dans lequel il a son domicile.» En dépit des multiples initiatives prises par les femmes pour l'institution du droit de vote féminin, on ne savait pas encore si les femmes elles-mêmes désiraient, en majorité, ce droit. Le département de justice et police constata qu'il serait juridiquement admissible d'éclaircir la chose en procédant à une statistique sous la forme d'un vote d'essai parmi les femmes. Pour établir si une telle consultation serait opportune, il demanda, par circulaire, l'avis des gouvernements cantonaux, auxquels eût incombé le soin de l'organiser. Huit cantons (Zurich, Lucerne, Glaris, Fribourg, Schaffhouse, Saint-Gali, Thurgovie et Tessin) et cinq demi-cantons (Unterwald-le-Haut et lé-Bas, Baie-Ville et Appenzell Éh.-Ext. et Int.) s'exprimèrent d'une manière nettement négative, déclarant en particulier qu'une telle votation donnerait une idée inexacte de la situation du fait qu'une grande partie des femmes opposées au suffrage féminin ne participeraient probablement pas à la consultation. Seuls les cantons de Vaud, Uri, Schwyz et Baie-Campagne exprimèrent l'avis qu'une telle votation serait désirable. Les deux derniers firent cependant quelques réserves, Le gouvernement du canton du Valais fit remarquer que les femmes valaisannes ne montraient, d'une façon générale, pas beaucoup d'intérêt pour cette question. Eu égard à ces réponses, le Conseil fédéral décida de recommander aux conseils législatifs d'abandonner l'idée d'un vote d'essai.

Dans son rapport du 2 février 1951 «sur la procédure à suivre pour instituer le suffrage féminin», le Conseil fédéral exposa que ce suffrage ne pourrait être institué que par la voie d'une revision de la constitution et qu'il ne suffirait ni d'interpréter autrement la constitution, ni de compléter la loi fédérale. Il ajoutait: II serait, certes, plus conforme à la structure de notre
Confédération d'accorder aux femmes le droit de vote d'abord dans le canton et la commune en matière ecclésiastique, de tutelle et d'assistance publique et d'éducation. Etant données leur expérience, leurs connaissances et leurs aptitudes naturelles dans ces matières précisément, il serait tout indiqué qu'elles aient le droit de vote et soient éligibles dans ces domaines-là.

Pour ces raisons, le Conseil fédéral estima que le moment n'était pas venu de trancher la question fondamentale de savoir s'il y a lieu d'instituer en matière fédérale le droit de vote et l'éligibilité des femmes. Il serait plus juste, disait-il, de l'introduire d'abord en matière communale et cantonale. Une fois que des expériences auront pu être faites dans ce domaine-là, on pourra songer avec quelques perspectives de succès à instituer le droit de vote et l'éligibilité des femmes dans la législation fédérale.

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La priorité de discussion fut attribuée au Conseil national. Dans sa séance du 15 mars 1951, la commission du Conseil national, présidée par M. Wick, donna l'occasion à quelques porte-parole de l'association pour le suffrage féminin d'exprimer oralement leur opinion. Elle proposa ensuite de recommander au conseil de prendre acte, avec approbation, du rapport du Conseil fédéral. Elle vota en même temps la motion suivante: «Afin de permettre au peuple et aux cantons de se prononcer en principe sur le droit de vote et l'éligibilité des femmes en matière fédérale, le Conseil fédéral est invité à présenter aux chambres un rapport à l'appui d'un projet do revision partielle de la constitution. » Déjà quelques jours après, c'est-à-dire le 26 avril 1951, le conseiller national von Boten déposa une motion «invitant le Conseil fédéral à soumettre aux chambres un projet pour reviser la loi du 17 juin 1874 concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux aux fins d'accorder les droits politiques aux femmes». Le Conseil national traita d'une manière approfondie le rapport du Conseil fédéral le 13 juin 1951 ; il ne se borna pas à discuter la question de procédure, mais entama largement le fond du problème. Au terme des débats, il prit acte du rapport avec approbation par 128 voix contre 11. Il adopta en outre la motion de la commission par 85 voix contre 56, mais rejeta la motion von Roten par 114 voix contre 8.

A son tour, la commission du Conseil des Etats, sous la présidence de M. Picot, siégea le 5 septembre 1951 et donna aux représentantes de l'association pour le suffrage féminin l'occasion d'exposer oralement leurs thèses.

Elle approuva à l'unanimité le rapport du Conseil fédéral, mais n'accepta la motion du Conseil national que par 4 voix contre 3.

Dans sa séance du 20 septembre 1951, le Conseil des Etats décida également, par 36 voix contre 1, de prendre acte avec, approbation du rapport du Conseil fédéral, mais il rejeta la motion du Conseil national par 19 voix contre 17.

Peu avant l'ouverture des délibérations du Conseil des Etats, le président de la commission, M, Picot, avait déposé son postulat du 18 septembre.

1951 concernant un vote d'essai. Le postulat était rédigé comme suit: Le Conseil fédéral est invité à examiner si -- préalablement à toute votation des électeurs
masculins sur le suffrage féminin -- il n'y aurait pas lieu de procéder à une consultation des femmes majeures de nationalité suisse domiciliées en Suisse pour savoir si elles veulent exercer le droit de vote en matière communale, cantonale ou fédérale. Ce postulat fut cependant rejeté par 18 voix contre 15.

Une année plus tard, le 17 septembre 1952, le même député libéraldémocrate déposa le postulat Picot concernant les droits politiques de la femme, postulat qui fut adopté le 16 décembre 1952 et est l'objet du présent

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message. Au Conseil national, un postulat déposé en décembre de la même année par M. Grendelmeier, représentant de l'alliance des indépendants, fut adopté en mars 1954. Une proposition du conseiller national Nicole concernant l'organisation d'une consultation des femmes fut rejetée.

En mars 1955, le Conseil fédéral fut invité, par une interpellation Eodel, à dire quand paraîtrait le rapport sur le suffrage féminin. Il lui répondit qu'il avait dû attendre l'avis de droit du professeur Kagi, que cet avis avait été déposé à fin juillet 1955 et que le rapport pourrait être établi pour la fin de 1956 au plus tard.

4. Nous devons nous demander quel est le résultat de cette évolution, c'est-à-dire quel est l'état actuel des droits politiques de. la femme en Suisse.

Ni dans la Confédération, ni dans un canton, ni encore dans aucune commune politique, la femme ne jouit du droit de vote, de Pélectorat ou de l'éligibilité.

Certes, le canton de Zurich, a inséré déjà en 1911 dans sa constitution (art. 16, 2e al.) une disposition disant que la législation déterminera dans quelle mesure l'électorat et l'éligibilité peuvent être conférés aux femmes suisses pour l'exercice de charges publiques. Une loi d'exécution n'a cependant pas encore été édictée. Les femmes ne peuvent ainsi pas participer à des votations en matière fédérale, cantonale et communale (revision de la constitution, législation, traités internationaux, ouverture de crédits, etc.), ni exercer le droit d'initiative et de referendum. Elles ne peuvent pas davantage participer à l'élection du parlement (Conseil national, Conseil des Etats, Grand conseil, conseil communal, etc.), du gouvernement (Conseil fédéral, Conseil d'Etat, conseil municipal) ou des tribunaux. Des femmes ne peuvent pas non plus être élues dans ces autorités. Ce n'est qu'aux tribunaux de certains cantons que les femmes sont éligibles et parfois électrices.

Les femmes ne sont cependant pas exclues de toute participation aux affaires publiques. Depuis le début du siècle, mais surtout depuis les deux guerres mondiales, la tendance est non seulement d'appeler les femmes à jouer un rôle toujours plus grand dans la vie économique, mais de les faire participer toujours plus à la vie politique.

On constate la chose notamment dans les cantons et l&s communes.

C'est dans les paroisses
de l'Eglise réformée que les droits de la femme sont surtout reconnus. Dans sept cantons (Baie-Ville, Berne, Eribourg, Genève, Grisons, Neuchâtel et Vaud), les femmes jouissent d'un droit de vote illimité et sont électrices. D'une façon générale, elles y sont également éligibles à des charges ecclésiastiques. Dans le canton de Berne, par exemple, elles ne peuvent cependant pas accéder au pastorat. Quatre autres cantons (Appenzell Rh,-Ext., Soleure, Thurgovie et Schaffhouse) laissent aux communes la faculté de concéder le droit de vote aux femmes. Ajoutons que les femmes ont le droit de vote dans quelques paroisses de l'Eglise vieillecatholique.

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L'éligibilité des femmes aux tribunaux est largement reconnue. Dans le canton de Vaud, toutes les fonctions de juge leur sont accessibles depuis 1947. n en est de même dans le canton de Baie-Ville depuis 1954. Dans d'autres cantons, l'éligibilité des femmes n'est prévue que pour des tribunaux spéciaux. Dans les cantons d'Argovie, Berne, Genève, Lucerne, Neuchâtel, Saint-Gai! et Zurich, elles sont éligibles aux tribunaux de prud'hommes.

Dans quelques-uns de ces cantons (Berne, Genève, Baie-Ville), elles sont aussi électrices pour ces tribunaux. Dans le canton de Genève, les femmes peuvent faire partie du jury. Dix-sept cantons ouvrent aux femmes les tribunaux pour mineurs; dans quelques-uns de ces cantons, les femmes n'ont que voix consultative. Même là où les femmes sont éligibles, elles sont élues en nombre assez restreint, en particulier lorsqu'elles ne sont pas en même temps électrices.

La participation des femmes est la plus forte dans diverses commissions cantonales ou communales, où elles manifestent les aptitudes, goûts et expériences qui leur sont propres. Nous pensons ici particulièrement aux activités touchant l'éducation, l'assistance et autres domaines en relation avec le rôle que joue la femme comme maîtresse de maison et mère de famille (commissions scolaires, d'assistance, d'hygiène, tutélaires, des mineurs, etc.). Tous les cantons ont appelé des femmes à faire partie de commissions dans l'un ou plusieurs de ces domaines. Même là, la participation des femmes est cependant demeurée, jusqu'ici, assez modeste.

Dans les affaires de la Confédération, le rôle de la femme est demeuré encore plus effacé. Les autorités fédérales n'ont fait appel à des femmes que pour des commissions d'experts et commissions extraparlementaires s'occupant de projets intéressant particulièrement la femme. Nous mentionnons la présence de femmes dans les commissions d'experts constituées pour l'étude des problèmes suivants : revision des dispositions sur le cautionnement, revision partielle du code pénal (droit pénal des mineurs), assurance-maternité, revision de la loi sur l'assurance en cas de maladie et d'accidents, loi sur le travail dans les arts et métiers, loi sur l'assuraiice-chômage, loi sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse. Les femmes furent aussi représentées dans la commission
d'étude pour l'entrée de la Suisse dans l'Organisation des Nations Unies, Signalons encore que des femmes font partie de diverses commissions permanentes de l'administration fédérale qui exercent certaines fonctions administratives sans pouvoir exécutif. Aujourd'hui, nous trouvons des femmes (une ou deux) dans trente-deux commissions permanentes spéciales. Qu'il nous suffise de nommer la commission des fabriques, la commission du contrôle des prix, la commission consultative pour l'exécution de la loi sur l'agriculture, la commission de l'assurancevieillesse et survivants, la commission de l'UNESCO, la commission du contrôle des denrées alimentaires, la chambre suisse du cinéma et la commission pour les questions de télévision.

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B. FAUT-IL INSTAURER LE SUFFRAGE FÉMININ ?

Ainsi se trouve posée cette question importante: le suffrage féminin doit-il être institué en matière fédérale ? Si oui, la femme doit-elle avoir les mêmes droits politiques que l'homme ou faut-il prévoir certaines réserves et restrictions ? Tel est le problème cardinal que doit traiter notre message.

C'est là un problème dont la solution décidera du futur statut politique de la femme suisse et pourra ainsi avoir une influence décisive pour l'avenir politique du pays. La situation n'est pas assez claire pour que celui qui a étudié objectivement la question puisse sans hésitation répondre par oui ou par non. Le problème est beaucoup plus complexe. Un coup d'oeil dans les journaux montre d'ailleurs qu'il s'agit là d'une des questions les plus âprement controversées. Des arguments nombreux, parfois d'un très grand poids, sont avancés avec conviction et enthousiasme par des femmes comme aussi par des hommes favorables au suffrage féminin. Mais nous voyons aussi des femmes et des hommes soulever des objections tout aussi nombreuses et qui ne doivent pas être prises à la légère. Pour pouvoir juger les choses objectivement, il est nécessaire de confronter ces arguments, de les vérifier et de les peser.

I. Les arguments avancés on îaveur du suffrage féminin 1. Les partisans les plus ardents du suffrage féminin tiennent les conditions existant à l'étranger pour un des arguments les plus convaincants qui puissent être invoqués en faveur de leur cause, la comparaison étant parfois très peu flatteuse pour la Suisse. Le fait que la femme suisse demeure privée du droit de vote discréditerait notre démocratie et constituerait même un mépris de la femme, qui porterait atteinte à la liberté et à la dignité humaines, la Suisse apparaissant ainsi comme un point noir sur la carte de l'Europe.

a. Ces considérations par trop sommaires qui laissent de côté tous les autres éléments essentiels sont loin de donner une image objective de la situation. Au contraire, elles sont de nature à induire en erreur tous ceux qui ne connaissent pas les conditions de fait dans leur complexité et à faire apparaître la Suisse comme un Etat politique arriéré. Un mauvais service est ainsi rendu à la cause du suffrage féminin.

L'étranger dans le pays duquel le suffrage féminin est devenu une
institution toute naturelle peut s'étonner de ce que la Suisse soit un «îlot» où la femme n'a pas encore obtenu l'égalité politique, alors qu'elle est aussi le pays où l'idée démocratique, profondément enracinée dans la conscience populaire, s'est développée depuis plus longtemps et d'une façon plus complète que dans n'importe quel autre Etat européen. A part le Liechtenstein, la Suisse est en effet le seul Etat d'Europe où la femme n'ait pas même un droit de vote restreint en matière fédérale, cantonale et communale. Si l'on fait abstraction des pays où les hommes n'ont pas non plus le droit de vote,

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il n'y a, dans l'univers, que quinze Etats, à part la Suisse, qui n'aient pas accordé les droits politiques aux femmes. Parmi eux, nous ne trouvons aucun des grands pays de haute civilisation dont les conditions en matière politique, sociale et culturelle soient comparables à celles de la Suisse. Il s'agit notamment de pays de l'Amérique du sud et de pays de religion musulmane, laquelle n'est pas favorable à l'émancipation de la femme.

Ce sont là des faits qu'il ne faut ni oublier, ni prendre à la légère.

Certes la Suisse doit suivre, en matière politique, sa propre voie et n'a pas l'habitude de calquer ses institutions politiques sur celles de l'étranger, car elle a toujours constitué un «cas spécial». Néanmoins, elle ne saurait s'enfermer dans une tour d'ivoire et demeurer étrangère à ce qui se passe dans le reste du monde. Les grands courants politiques qui se sont produits dans les autres pays d'Europe ont toujours eu des répercussions chez nous et nous ont obligés à en tenir compte. Mais nous l'avons toujours fait à notre façon, compte tenu de notre situation et de nos particularités, sans jamais adopter telles quelles les idées étrangères.

Il convient cependant de ne pas oublier que l'exemple des autres Etats n'est pas déterminant à lui seul. Nous devons aussi considérer toutes les autres circonstances importantes, notamment nos particularités suisses.

Cela nous amène à nous demander pourquoi la Suisse est restée en retard sur les autres pays en matière de suffrage féminin et s'il y a des raisons pour continuer de refuser les droits politiques à la femme suisse.

b. La grande difficulté particulière à la Suisse -- difficulté qui subsistera, qui ne peut être éludée et qu'il faudra surmonter -- réside dans le fait que l'institution du suffrage féminin en matière fédérale nécessite une révision de la constitution. Comme on sait, une telle revision suppose son acceptation par la double majorité des hommes participant à la votation et des Etats.

Si cette majorité n'a pu être atteinte en Suisse, jusqu'à maintenant, notre pays ne représente pas pour autant un cas unique. L'histoire montre, abstraction faite de quelques cas isolés au début du mouvement, que le suffrage féminin n'a jamais été instauré par un vote du peuple, c'està-dire par un vote impliquant le consentement de la majorité des hommes.
Souvent, il a été institué par un acte révolutionnaire d'un gouvernement révolutionnaire, sans décision préalable du parlement. Dans ces cas, le parlement a tout au plus confirmé l'acte, alors qu'il n'était plus en mesure de revenir en arrière. Les choses se sont passées ainsi non seulement dans les cas de transformation d'un Etat (par ex. en Russie soviétique et dans les Etats satellites), mais encore dans d'autres circonstances (comme en France).

Mais même dans les pays où le suffrage féminin a été instauré par la voie constitutionnelle ou légale, il n'y a pas eu de votation populaire, mais une décision prise à la majorité par le parlement. Il en fut ainsi dans la plupart

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des Etats, en particulier en l'Allemagne, en Autriche, en Italie, en Angleterre et dans les Etata nordiques. Aux Etats-Unis d'Amérique, la décision du parlement dut être confirmée par une décision des Etats prise à la majorité qualifiée. Rien que pour obtenir la majorité dans les parlements, il fallut souvent des interventions répétées et une évolution de longues années.

Ces difficultés ne sont d'ailleurs pas particulières à l'institution du suffrage féminin et elles procèdent du fait qu'il appartient aux hommes de décider s'ils veulent partager leurs droits politiques avec les femmes. Déjà lors de l'instauration du suffrage universel pour les hommes, des difficultés de ce genre s'étaient en effet manifestées. Nous avons eu l'occasion de signaler qu'il avait fallu, en Suisse également, corriger le résultat négatif d'une votation populaire par la fiction que les abstentions signifiaient des acceptations. Ces difficultés ne constituent cependant que des empêchements de fait. Elles ne peuvent être invoquées contre l'institution du suffrage féminin qu'en tant que la décision négative des hommes appelés aux urnes prouverait que l'idée nouvelle ne s'est pas encore assez implantée dans la conscience populaire pour pouvoir être érigée en règle constitutionnelle.

c. Du fait que la femme suisse n'a pas le droit de vote, on tire souvent des conclusions concernant son statut en général. Maints partisans de l'égalité politique des sexes tiennent le refus de ce droit comme l'expression d'un manque général de considération pour la femme. Us en concluent que la femme suisse est désavantagée dans tous les autres domaines également et que sa condition est inférieure à celle de la femme dans les autres pays.

On est ainsi enclin à croire que la femme suisse a tout particulièrement besoin du droit de vote, puisqu'il représenterait pour elle la seule possibilité d'obtenir le même statut que la femme dans les autres Etats. Si cela était vrai, il y aurait là un très fort argument pour le suffrage féminin. Nous devons donc examiner si et, le cas échéant, dam quelle mesure il en est ainsi.

Dans plusieurs domaines, la législation suisse traite l'homme et la femme différemment. Mais cette différence n'est pas toujours au désavantage de la femme. Au contraire, on trouve des cas où la femme est mieux traitée; dans d'autres
elle est mise sur le même pied, tandis que dans d'autres encore elle est désavantagée.

aa. Les dispositions sur le service militaire obligatoire avantagent manifestement les femmes. Aux termes de l'article 18 de la constitution, tout Suisse est tenu au service militaire. Le mot «Suisse» ne signifie ici que l'homme de nationalité suisse. Ausai la femme ne peut-elle être astreinte au service militaire (dans le sens juridique du terme). Elle n'est pas même assujettie à la taxe d'exemption du service militaire. Certes, elle peut servir dans les services complémentaires, mais ce service est volontaire. Il importe peu, à cet égard, que la femme qui s'est engagée à servir ne soit plus libre d'accomplir ou de ne pas accomplir son service. L'obligation de servir dans la défense

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civile, qu'il est question d'imposer aux femmes conformément au nouvel article 22 bis de la constitution, n'est pas non plus comparable au service militaire des hommes.

D'une façon générale, le fisc traite de la même façon l'homme et la femme. Là où il fait des exceptions, c'est au profit de la femme. C'est ainsi que la femme mariée n'est généralement pas directement assujettie à l'impôt sur sa fortune et son revenu et n'est tenue que subsidiairement.

Dans quelques cantons, la veuve qui remplit certaines conditions peut même défalquer des sommes supplémentaires de sa fortune imposable.

Certaines lois fiscales cantonales permettent à la femme divorcée de ne pas déclarer comme revenu les aliments versés par son ancien conjoint.

Dans le domaine du droit du travail, des assurances sociales et de l'assistance, où la législation suisse pourrait souvent servir de modèle, nous trouvons aussi un très grand nombre de dispositions qui avantagent les femmes.

Nous nous bornerons à mentionner les plus importantes de ces lois, renvoyant, pour le reste, aux considérations contenues dans le rapport «Pour la famille» (FF 1944, 900 s., 962 s.).

Dans le domaine des assurances sociales, des égards particuliers sont témoignés à la femme. C'est ainsi que les dispositions sur l'assurance en cas de maladie et d'accidents prévoient que les hommes et les femmes paient les mêmes primes, mais étendent quelque peu les prestations de l'assurance en faveur des femmes. Le veuf d'une assurée victime d'un accident n'a droit à une rente que s'il est durablement incapable de travailler, tandis que le droit à la rente de la femme n'est pas subordonné à une telle condition. La femme divorcée d'un assuré victime d'un accident a droit à une rente de veuve, alors que le mari divorcé d'une assurée qui a subi un accident n'a pas droit à une rente. Chez nous, l'accouchement est assimilé, en matière d'assurance, à une maladie assurée et les prestations statutaires sont versées durant les six semaines qui suivent l'accouchement. Une prime d'allaitement est en outre prévue. L'assurance-maternité, actuellement en préparation, ira encore beaucoup plus loin. On doit reconnaître que les sommes versées à la femme sont plus faibles. Mais cela est dû au fait que les salaires féminins sont en moyenne moins élevés. Il convient de relever aussi que
les caisses-maladie sont légalement obligées d'accepter les femmes et de les traiter comme les hommes (art. 6 LAMA). Mentionnons encore le droit à la pension dont bénéficie la veuve d'un fonctionnaire fédéral ou d'un militaire assuré.

Les conditions sont semblables dans le domaine de l'assurance-vieillesse et survivants. Certains avantages pour la femme apparaissent déjà dans les cotisations. Alors que celles-ci sont en général les mêmes pour les deux sexes, les femmes mariées qui n'exercent pas d'activité lucrative, celles qui

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travaillent sans salaire en espèces dans l'entreprise du mari et les veuves sans activité lucrative sont dispensées des cotisations. Pour la femme divorcée, les années durant lesquelles elle a été mariée sont comptées dans le calcul de la rente de vieillesse même si elle n'a pas versé de cotisations. Les prestations de l'assurance sont en général les mêmes pour les deux sexes, mais la femme mariée a droit à la rente déjà à soixante ans, et non pas à soixantecinq ans seulement, lorsque le mari est de cinq ans plus âgé. La femme a en outre droit à une rente de veuve, tandis que le mari n'a droit à aucune rente de ce genre. Les femmes divorcées sont aussi avantagées, en ce sens que, à la mort de leur ex-mari, les aliments auxquels elles ont droit légalement comptent pour le calcul de la rente. Les améliorations récemment apportées à l'assurance-vieillesse et survivants favoriseront encore davantage la femme.

Dans l'assurance-chômage, la femme est mise exactement sur le même pied que l'homme.

La protection des travailleurs est aussi un domaine où la femme est avantagée. La législation suisse applique nettement le principe de la protection particulière de la femme et a ouvert la voie dans ce domaine. Les dispositions de droit fédéral qui tendent spécialement à protéger la femme sont contenues dans la loi sur les fabriques, la loi sur la durée du travail dans les entreprises de chemin de fer, la loi sur le repos hebdomadaire, la loi sur le travail à domicile, l'arrêté du Conseil fédéral sur le travail hors fabrique dans l'industrie horlogère et la loi sur l'emploi des femmes et des jeunes gens dans les arts et métiers. A côté de ces dispositions, nous rencontrons dans la plupart des cantons des lois instituant une protection spéciale pour la femme dans toutes les entreprises, donc aussi dans celles qui ne sont pas soumises à la loi sur les fabriques. Cette protection réside partiellement dans le fait que les femmes ne sont pas autorisées à exécuter certains travaux particulièrement dangereux ou pénibles ou de nature à compromettre la santé ou la moralité. Le personnel féminin bénéficie en outre de dispositions spéciales sur les heures supplémentaires, le repos nocturne et le travail de nuit et du dimanche dans les fabriques et, en particulier, dans les exploitations non soumises à la loi sur les
fabriques. Mentionnons à cet égard que la législation suisse protège spécialement les femmes en couches. La loi sur les fabriques interdit en effet le travail des accouchées pendant six semaines après la naissance et permet aux femmes enceintes d'abandonner temporairement le travail ou de demeurer absentes. Des dispositions analogues protègent les accouchées dans les petites entreprises horlogères et les femmes occupées au service des chemins de fer fédéraux. Pour les femmes occupées dans des entreprises non soumises à la loi sur les fabriques, douze cantons ont prescrit une période de quatre à six semaines durant lesquelles les accouchées doivent être ménagées. A part les enfants, les prescriptions sur le travail à domicile protègent aussi principalement la femme (art. 7, 3e al.).

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Comme la Suisse compte parmi les Etats les plus avancés sous l'aspect de l'assurance sociale et de la protection des travailleurs, nous constatons que les femmes suisses sont aussi bien, sinon sensiblement mieux traitées que celles de la plupart des pays qui ont institué le suffrage féminin.

Nous relevons enfin que, dans le code, pénal également, les différences faites pour les sexes sont toutes favorables à la femme. Le code contient diverses dispositions servant spécialement à protéger la femme. Mentionnons celles qui concernent l'enlèvement d'une femme (art. 183 et s.), le viol (art. 187), l'attentat à la pudeur (art. 189), l'attentat à la pudeur d'une personne faible d'esprit (art. 190), la séduction (art. 196), l'abus de la détresse ou de la dépendance où se trouve une femme (art. 197), la traite des femmes et des mineurs (art. 202), l'activité du souteneur (art. 201), la violation d'une obligation d'entretien (art. 217) et l'abandon d'une femme enceinte (art. 218).

Les dispositions réprimant le surmenage des enfants et des subordonnés (art. 135) tendent aussi à protéger le sexe féminin.

bb. Dans d'autres domaines les femmes ont les mêmes droits que les hommes, II en est ainsi avant tout des libertés individuelles envers le pouvoir de l'Etat, c'est-à-dire la liberté du commerce et de l'industrie (art. 31 s. Cst.), la liberté d'établissement (art, 45), la liberté de conscience et de croyance (art. 49 s.), le droit au mariage (art. 54), la liberté de la presse (art. 55), la liberté d'association (art. 56), auxquelles s'ajoutent d'autres garanties, comme l'interdiction d'expulser un citoyen suisse (art. 44), le droit de pétition (art. 57), la garantie du juge naturel (art. 59), l'interdiction de la condamnation à mort pour cause de délit politique, l'interdiction des peines corporelles (art. 65). Dans tous ces domaines, l'égalité des droits des deux sexes est indiscutable. Le principe de l'égalité devant la loi (art. 4) a aussi une valeur absolue pour la femme. Mais on admet que, selon le régime en vigueur, le sexe féminin est un élément qui justifie un traitement différent en matière de droits politiques. Le présent examen dira si l'on doit persévérer dans cette conception.

L'un des postulats importants du mouvement féministe consiste dans la possibilité pour les femmes d'avoir la même
instruction que les hommes, en particulier d'avoir accès aux études et professions universitaires. Il revêt une importance particulière du fait que sans cela la femme serait beaucoup moins bien armée et indépendante que l'homme dans sa lutte économique. La Suisse a pourtant pris l'initiative dans ce domaine. Après avoir déclaré en 1887 encore (AIT 13, I) qu'une ordonnance cantonale interdisant à une femme l'exercice du barreau ne constituait pas une atteinte aux principes de l'égalité devant la loi, le Tribunal fédéral jugea en 1923 que l'égalité de traitement exigeait le libre accès de la femme à l'exercice de toutes les professions, pour autant qu'elle n'en soit pas exclue

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par la nature même de la profession, l'exercice de la profession d'avocat ne devant pas dépendre du sexe (ATF 49,1, 16). Il ne subsiste plus aujourd'hui dans ce domaine d'inégalité de traitement envers la femme et il n'y a sans doute plus de revendication à réaliser.

La situation est pareille en ce qui concerne la femme qui veut exercer un métier, abstraction faite de dispositions du droit civil et du statut des fonctionnaires, dont nous parlerons ultérieurement.

ce. n existe en revanche des domaines dans lesquels la position de la femme est moins favorable.

La Suisse n'a pas jusqu'ici suivi le courant moderne dont dépend l'émancipation de la femme et d'après lequel le mariage ne doit avoir aucun effet sur sa nationalité. Cette solution se heurte à des difficultés particulières du fait qu'on trouve en Suisse un pourcentage élevé d'étrangers. Dans l'intérêt de l'unité de la famille, le droit suisse est resté fidèle au principe classique qui veut qu'une femme étrangère acquière la nationalité suisse par son mariage avec un Suisse et que la femme suisse perde la sienne par son mariage avec un étranger pour acquérir celle de son mari. Depuis quelques années, les femmes luttent contre cette tendance. La Suissesse devrait conserver sa nationalité, malgré son mariage avec un étranger.

La loi fédérale sur l'acquisition et la perte de la nationalité du 29 septembre 1952 a résolu le problème en ce sens que la femme suisse peut éviter de perdre sa nationalité en déclarant vouloir conserver la nationalité suisse lors de la publication ou à la célébration du mariage (art. 9). Les dispositions transitoires prévoient à l'article 58 que les femmes suisses par naissance, ayant perdu la nationalité suisse, seront sur simple requête rétablies gratuitement dans cette nationalité dans un délai d'une année à partir de l'entrée en vigueur de la loi. Cette faculté a été utilisée dans un très grand nombre de cas.

D'autres améliorations vont encore être apportées par la loi du 7 décembre 1956 actuellement soumise au referendum (FF 1956, II, 1036).

Si les femmes accèdent généralement aux études et à l'exercice d'une profession sans restrictions particulières, il n'en va pas de même dans l'administration. Dans l'administration fédérale, ces limitations ne s'appliquent en principe qu'aux femmes mariées, alors que les
célibataires sont éligibles à tous les emplois et ont droit au salaire égal. Dans la pratique, les femmes sont en minorité et occupent surtout les postes des classes inférieures de traitement, à quelques exceptions près. Cela s'explique en partie du fait que beaucoup de femmes quittent prématurément l'administration à l'occasion de leur mariage et que la main-d'oeuvre féminine qualifiée au courant de l'administration est rare.

Dans les cantons les restrictions imposées à la femme sont plus sévères dans certains d'entre eux et moins étendues dans d'autres. La femme se voit ainsi exclue de l'administration dans certains cantons, alors que la femme mariée est admise dans d'autres. L'exercice du ministère pastoral

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lui est refusé en principe dans la plupart des cantons, mais on l'admet à l'occasion et à bien plaire dans la pratique. En revanche, la femme trouve dans l'enseignement des possibilités très étendues, quoique certains cantons prévoient une exception pour les institutrices mariées ou en ce qui concerne les degrés supérieurs.

Il se peut que dans ce domaine la situation de la femme soit meilleure aussi dans quelques Etats non communistes, mais on ne saurait le prétendre à titre général.

Les salaires payés aux femmes dans l'économie privée sont aussi inférieurs. Une statistique de 1951 établit que, comparé au salaire des travailleurs qualifiés et non qualifiés (= 100%), le salaire des femmes atteignait environ le 62 pour cent, alors qu'il était de 84 pour cent pour des travailleurs non qualifiés. Mais c'est le résultat du libre jeu de l'offre et de la demande et non la conséquence d'une réglementation légale différentielle.

Aussi des mesures en faveur de la femme sont-elles réclamées dans ce domaine également. Elles sont cependant difficilement réalisables dans un régime de liberté du commerce et de l'industrie. La réglementation recherchée sur le plan international n'a pas non plus eu de succès (voir le rapport du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale du 12 décembre 1952 sur la 34« session de la conférence internationale du travail, FF 1952, III, 810, comme aussi sur les sessions ultérieures, FF 1953, III, 1021; 1954, II, 1105, et 1955, II, 1353). Durant la session de printemps 1953, les chambres fédérales n'ont pas approuvé la convention internationale du travail sur l'égalité de rémunération entre la main-d'oeuvre masculine et féminine pour un travail de valeur égale. Mais un postulat fut adopté qui charge le Conseil fédéral de présenter un rapport sur les conséquences de ce principe pour l'économie suisse. Ce rapport combiné avec le rapport sur les 38e et 39e sessions de la conférence internationale du travail a été soumis le 21 décembre 1956 par le Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale (FF 1956, II, 1019). Ses conclusions sont les suivantes: L'égalité de rémunération entre hommes et femmes pour un travail de valeur égale relève des efforts faits en vue d'établir la justice sociale. On ne pourra pas supprimer totalement les écarts de rémunération qui ne se justifient pas par la différence des
prestations, car la formation des salaires dépend toujours en partie de facteurs économiques.

Cela n'empêche pas qu'on s'eSorce d'atteindre une équité de plus en plus grande dans la fixation des salaires. A une époque où le sens social est vif, les inégalités notables qui subsisteraient encore ne peuvent rester cachées et sont éliminées, soit par le moyen d'une appréciation rigoureuse de l'emploi, du rendement personnel et de règlements de salaires appropriés, soit par la voie des contrats collectifs de travail.

L'Etat ne peut que se réjouir de l'évolution en cours, évolution favorisée par le fait que la formation professionnelle de la femme progresse et que sa personnalité est reconnue de plus en plus largement. Le changement qui s'est produit dans les conceptions régnant au sujet de l'activité professionnelle de la femme et l'idée plus haute qu'on se fait du travail féminin sont pleinement en accord avec le rôle que ce travail joue dans l'économie actuelle.

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La commission d'experts chargée d'examiner le projet de rapport de l'office fédéral de l'industrie, des arts et métiers et du travail comprenait aussi des femmes.

C'est en droit civil que le privilège masculin est le plus évident.

Dans le droit successoral on ne trouve plus, il est vrai, que quelques survivances isolées de l'inégalité de traitement de la femme. Il en est ainsi dans les cas où le droit cantonal précédemment en vigueur est tenu pour l'expression des usages locaux (art. 5 CC). L'actuel droit successoral préjudicie en outre les filles, qui ne se voient attribuer une exploitation agricole que lorsque aucun des fils ne veut se charger personnellement de l'exploitation (art. 621, 3e al. CC). Mais cette inégalité est atténuée en partie du fait que pour l'attribution l'aptitude non seulement des filles mais aussi celle de leur mari est déterminante. Ce qui est plus important, c'est que les droits successoraux du conjoint survivant sont plus favorables dans le code civil que dans les lois de la plupart des autres Etats. Cette règle vaut pour les deux époux, mais elle a pratiquement plus d'importance pour la femme. Elle a non seulement droit à une part légale de la succession du mari, mais elle a une réserve comprise entre le quart et la moitié de la succession. L'époux survivant peut, par disposition pour cause de mort et en concours avec des descendants communs, être encore plus avantagé. Outre la propriété des trois seizièmes de la succession, il peut se voir encore attribuer l'usufruit viager de tout le reste. Si l'époux fait usage de cette possibilité, la femme aura non seulement sa propre fortune, mais encore la propriété des trois seizièmes de la fortune du mari et le reste en usufruit. Cette possibilité trop peu connue est de plus en plus utilisée.

Il en va autrement des dispositions relatives au mariage et aux enfanta.

Là, le problème du rapport entre l'homme et la femme doit être considéré sous un angle particulier, la famille étant la cellule de la société humaine.

La famille embrasse la personne des époux et des enfants, ainsi que leur patrimoine. Elle est selon les conceptions chrétiennes la pierre angulaire de l'Etat. A côté des intérêts des membres de la famille, il y a lieu de tenir aussi compte de l'intérêt que présente pour l'Etat une famille saine et forte.

Jusqu'à la
fin de la première guerre mondiale, le régime autoritaire hérité de l'ère patriarcale n'était contesté nulle part : le mari était le chef de la famille. Il lui donnait son nom et son droit de cité. Il avait seul la charge de pourvoir aux besoins de la famille, de la représenter et de prendre en dernier lieu les décisions la concernant. Sous sa forme extrême, ce régime plaçait la femme sous la tutelle du mari. La Suisse et d'autres pays ont connu un pareil régime jusqu'au XXe siècle.

Le code civil apporta au statut de la femme une amélioration qui fit sensation par sa hardiesse et créa un régime inconnu de tous les autres pays. Eugen Huber, le père de notre code, estima que sa tâche consistait à coordonner les droits de la personne des deux époux, en particulier de

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la femme, avec les intérêts de l'union conjugale. C'est ainsi que le code civil libéra la femme de la tutelle de l'homme et lui conféra même des droits égaux dans la mesure compatible avec les intérêts de l'union conjugale, selon la conception qui régnait alors. La femme se vit reconnaître (en principe et avec quelques restrictions) la capacité civile, le droit d'ester en justice, celui de représenter l'union conjugale, le droit d'exercer une profession ou une industrie, le droit à l'entretien convenable et à la protection de l'union conjugale, une part de la puissance paternelle, le droit à la conservation et à la garantie de ses apports (avec privilège dans la faillite), un droit limité de représentation et d'administration, le droit de faire du produit de son travail un bien réservé dont elle peut disposer librement, la liberté de conclure ou de modifier le contrat de mariage, protégée par la collaboration obligatoire de l'autorité tutélaire. La situation de la femme fut aussi améliorée matériellement par le droit à une partie (%) du bénéfice, alors que le mari supporte seul le déficit s'il ne peut prouver qu'il est dû à une faute de la femme. Un contrat de mariage, conclu avant ou après le mariage, peut instituer le régime de la séparation des biens. La conclusion d'un tel contrat rend la femme financièrement indépendante du mari, puisqu'elle peut alors administrer et employer librement ses biens et même les aliéner à sa guise. La femme peut obtenir la séparation de biens, même contre la volonté du mari, lorsque des actes de défaut de biens existent contre lui au moment du mariage, lorsque le mari néglige de pourvoir à l'entretien de la femme et des enfants ou ne fournit pas les sûretés requises pour les apports de la femme ou enfin en cas d'insolvabilité de la communauté.

Rappelons, dans cet ordre d'idées, que le code des obligations (art. 494) prévoit que les personnes mariées ne peuvent cautionner valablement sans l'assentiment de leur conjoint. Get assentiment est nécessaire non seulement lorsque c'est le mari qui cautionne, mais aussi lorsque c'est la femme.

Cette prescription, qui crée un régime plus rigoureux que dans d'autres pays, tend principalement à protéger la femme et la famille et exerce surtout ses effets dans ce sens.

H faut reconnaître que le code civil a maintenu le régime
autoritaire, encore qu'il l'ait fait moins que les codes antérieurs ou contemporains d'autres Etats, Le législateur a cru devoir procéder ainsi dans l'intérêt de l'union conjugale et de l'unité de la famille, n a tenu compte des intérêts particuliers de la femme en accordant à celle-ci, dans nombre de cas, la possibilité de requérir une décision du juge ou l'aide de l'autorité tntélaire.

Sous cette réserve, le principe traditionnel de l'autorité prépondérante du mari trouve son application dans les cas suivants : La famille reçoit le nom et le droit de cité de l'homme, qui choisit également le domicile. Le mari est le chef de la famille. C'est lui qui décide en dernier ressort dans toutes les affaires intéressant la vie commune, pour autant qu'un recours au juge n'est pas prévu, et il représente aussi l'union conjugale envers les tiers.

Feuille fédérale. 109e aimée. Vol. I.

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C'est d'autre part à lui qu'incombé en premier lieu l'entretien de la femme et des enfants et il est personnellement responsable de ses dettes et de celles de l'union. Certes les père et mère exercent en commun la puissance paternelle sur les enfants, maie si les parents ne peuvent se mettre d'accord, c'est alors le père qui décide. Dans le régime légal de l'union des biens, l'homme a l'administration et la jouissance des biens de la femme et a droit aux deux tiers du bénéfice, tandis qu'en principe -- on Ta déjà relevé -- il est seul à supporter un déficit. La femme a besoin du consentement de son mari pour disposer de ses apports. Dans l'ensemble, l'homme joue ainsi un rôle prédominant, qui ne s'étend cependant pas seulement à ses droits mais également à ses devoirs.

Les tenants d'une opinion extrême ne veulent plus même admettre cette prééminence restreinte de l'homme. La pleine égalité civile des femmes a souvent été exigée conjointement avec l'égalité politique. Dans les affaires personnelles comme dans les affaires communes, la femme devrait avoir les mêmes droits, mais également les mêmes devoirs que l'homme.

Dans les questions d'intérêt commun, les époux devraient décider d'un commun accord, et lorsqu'une entente est impossible chacun d'eux devrait pouvoir s'adresser au juge ou à l'autorité administrative compétente. On ne s'en tient même plus à l'unité de la famille quant au nom et au droit de cité. Cette conception est déjà celle du droit positif en U. R. S. S. et dans d'autres Etats communistes où le mariage n'est qu'un contrat de droit privé entre partenaires juridiquement égaux. Elle est réalisée d'une manière si logique que la législation ne prend même pas en considération les différences naturelles et les besoins de protection qui en découlent. Mais d'une manière absolue, la situation de droit privé des femmes dans ces Etats n'est pas meilleure qu'en droit suisse. Au contraire, car l'avantage de l'égalité juridique est plus que compensé par le fait que l'ordre juridique de ces Etats accorde également à l'homme beaucoup moins de droits et de libertés que notre droit; songeons par exemple aux restrictions de la propriété privée et du droit de succession. Il ne faut pas non plus oublier que dans ces pays l'égalité des droits est liée à l'égalité des devoirs, souvent au détriment de
la femme. Ainsi par exemple un époux n'a, même pendant le mariage, une obligation d'entretien qu'en cas d'incapacité de travail ou d'absence de ressources du conjoint. De même, la liberté de divorcer joue unilatéralement au détriment de la femme.

Déjà dès la fin de la première guerre mondiale, les Etats Scandinaves, la Suède (en 1920), le Danemark (en 1925), la Norvège (en 1927) et la Finlande (en 1929), ont accordé aux femmes l'égalité en matière civile, mais en conservant cependant l'unité de la famille en ce qui concerne le nom, le droit de cité et le domicile. A la même époque, un mouvement semblable vit le jour en Allemagne. La loi fondamentale de la République fédérale d'Allemagne du 23 mai 1948 dispose à l'article 3: «L'homme et la femme sont égaux en droit.» Le pouvoir législatif aurait dû, on.l'a vu, adapter

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également la législation civile à la loi fondamentale. Mais ce nouvel ordre juridique n'a pas été promulgué jusqu'à présent; aussi la jurisprudence a-t-elle entrepris cette tâche. On constate des efforts sembables dans d'autres pays. Ainsi par exemple des travaux préparatoires pour une revision du code civil sont en cours en France.

En Suisse, le statut juridique de la femme s'inspire tout particulièrement -- on peut le dire -- du principe moderne de la reconnaissance de la personalité juridique de la femme. Une revision de notre code civil accentuant cette tendance est à l'étude. Dans son étude sur «Die Gleichberechtigung von Mann und Frau in der jüngsten familienrechtlichen Gesetzgebung» (Bevile de droit suisse 1954, p. 47), le professeur Egger expose ce qui suit: «Nous reconnaissons ainsi que ce nouveau droit, si étrange qu'il puisse paraître à première vue à bien des Suisses, est tout à fait dans la ligne du droit suisse et peut être considéré comme un développement organique de ses conceptions fondamentales du droit de la famille. Ainsi notre droit de la famille peut s'adapter aux idées nouvelles sans rompre avec sa tradition, mais il doit en même temps s'ouvrir à la notion de l'égalité juridique.» D'une manière générale, il faut constater qu'abstraction faite des droits politiques, la Suissesse ne se trouve pas, du point de vue juridique, en moins bonne posture que ses soeurs dans d'autres pays, même si elles y jouissent du droit de vote. Lors de l'ouverture de la «Saffa» en 1934, la présidente de la grande commission de l'exposition déclara même que les femmes suisses jouissaient d'une liberté économique que jusqu'à présent les autres pays, où les droits politiques sont plus étendus, n'ont pas accordée aux femmes. Aussi apprécient-elles hautement le droit de cité suisse. On ne saurait donc prétendre que l'institution du suffrage féminin serait nécessaire parce que seul il permettrait d'obtenir que la Suissesse ne soit pas plus mal traitée que les femmes dans d'autres Etats.

d. Une comparaison avec d'autres Etats ne peut en outre avoir qu'une signification limitée pour une raison particulière résultant du système politique de notre pays, soit la différence essentielle qui existe entre le droit de vote en Suisse et les droits politiques dans d'autres Etats. A l'étranger ces droits se limitent
très souvent à l'électorat et à l'éligibilité, c'est-à-dire au droit d'élire ou d'être élu au parlement -- souvent à une seule chambre -- de l'Etat central, ou éventuellement d'un Etat particulier. Quelques Etats ont également institué des élections pour nommer les représentants d'autorités législatives locales ou encore pour nommer le chef de l'Etat.

En revanche, en Suisse, les droits politiques des citoyens sont notablement plus étendus, puisqu'elle constitue une démocratie référendaire, qui se manifeste sur troie plans. En outre, les citoyens suisses jouissent non seuleméat du droit d'élire ou d'être élu, mais encore du droit de vote en matière fédérale, cantonale et communale.

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Dans la Confédération, les députés au Conseil national et les jurés fédéraux sont élus par le peuple et, dans les cantons, les députés au Grand conseil, les conseillers d'Etat et, dans la plupart des cas, les députés au Conseil des Etats, Souvent -- en particulier dans les cantons à landsgemeinde -- d'autres autorités administratives et judiciaires sont élues par le peuple, de même que certains organes de l'administration et de la justice, notamment les autorités judiciaires suprêmes et les fonctionnaires cantonaux supérieurs. En règle générale, les organes cantonaux inférieurs, notamment les autorités administratives, les tribunaux et les fonctionnaires de district, sont élus par le peuple. En outre, dans le cadre de la commune, il faut mentionner l'élection des autorités communales, telles que le conseil communal et le conseil municipal. Souvent les fonctionnaires communaux, et parmi eux les instituteurs et les pasteurs, sont également élus par le peuple.

Outre l'électorat les citoyens remplissent une fonction extrêmement importante en exerçant le droit de. vote sur les questions essentielles.

En matière fédérale, ce droit inclut celui de se prononcer sur les modifications de la constitution, chacune d'elles nécessitant en effet, outre l'accord de la majorité des cantons, celui de la majorité des citoyens prenant part à la votation. Le droit d'initiative populaire permet en outre à 50 000 citoyens de demander la revision de la constitution. De plus, 30000 citoyens peuvent, par la voie du referendum, exiger que toute loi ou modification de loi soit soumise à la votation du peuple. Le même principe vaut pour les arrêtés fédéraux de portée générale non munis de la clause d'urgence, pour les traités à long terme et dans une certaine mesure pour les arrêtés fédéraux urgents. Etant donné que la démocratie suisse non seulement a atteint un degré de perfection plus grand que n'importe où ailleurs, mais encore que ses effets pratiques y sont plus accentués, on doit admettre que les possibilités d'influence de la femme ont plus de poids aujourd'hui déjà.

Lé droit de vote en matière cantonale a encore une portée plus grande.

Pour l'essentiel nous reprenons ici les considérations de Giacometti dans son ouvrage Staatsrecht der schweizerischen Kantone (p. 281 s. et 537 s.).

Conformément à l'esprit de la
démocratie directe, les cantons connaissent, outre le referendum constitutionnel obligatoire, le referendum législatif obligatoire ou au moins facultatif. L'initiative populaire n'est pas limitée aux seules modifications constitutionnelles; tous les cantons connaissent, sous une forme ou sous une autre, l'initiative législative. L'initiative formulée est presque partout autorisée, mais dans certains cantons seulement pour l'adoption et non pour la modification ou l'abrogation d'actes législatifs. Dans plusieurs cantons, la ratification des traités internationaux et intercantonaux est aussi soumise au referendum. Dans quelques cantons, il existe même un referendum général en matière administrative, parfois même obligatoire. Les décrets du Grand conseil de portée générale ou de

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nature non personnelle sont soumis, sauf en cas d'urgence, au referendum.

Dans d'autres cantons le Grand conseil a la faculté de soumettre ses décrets à la votation populaire. Mais dans la majorité des cantons ce referendum est limité quant à son objet. L'exemple pratiquement le plus important est le referendum financier qui, dans quelques cantons, est institué à titre général. Dans les cantons à landsgemeinde, les droits des citoyens sont particulièrement étendus, C'est naturellement dans la commune que les droits populaires sont le plus développés. C'est à raison qu'on appelle la commune la source de la démocratie. Ordinairement c'est l'assemblée de commune qui décide de toutes les affaires communales importantes. Ce principe vaut non seulement pour la constitution communale, mais pour tous les actes législatifs.

C'est de même l'assemblée de commune qui est compétente pour toutes les tâches administratives les plus importantes, spécialement en matière financière (impôts, emprunts, compte annuel, propriété foncière, etc.). Les grandes communes, particulièrement les grandes villes, ont un parlement communal, organe intermédiaire entre le corps électoral et la municipalité. Le referendum facultatif ou obligatoire existe également non seulement en matière constitutionnelle, mais également en matière législative et financière. Souvent le droit d'initiative populaire est aussi prévu.

Il est notoire que notre démocratie à trois degrés exige notablement plus du citoyen que n'importe quel autre Etat, déjà à cause du temps à consacrer aux affaires publiques. Tous les quatre ans le citoyen suisse doit élire le Conseil national; en outre, au cours des six dernières années (1951 à 1956), il a été appelé 22 fois à se rendre aux urnes pour des votations proprement dites. A cela s'ajoutent des élections et votations cantonales et communales. Dans le canton de Zurich, par exemple, 18 votations et 12 élections cantonales eurent lieu entre 1951 et 1955; dans le canton de Berne, 22 votations et 10 élections cantonales pour la même période. La fréquence des scrutins n'est pas moindre dans les communes. En plus du seul temps nécessaire pour se rendre aux urnes, il faut tenir compte du temps consacré à étudier l'objet, à s'informer, particulièrement de votations proprement dites (lecture des discussions dans les
journaux, réunions de partis, etc.), sans parler des initiatives populaires et des référendums.

Les votations proprement dites requièrent une très grande expérience politique, alliée à beaucoup de maturité de jugement.

Dans la plupart des pays étrangers, les votations proprement dites n'existent pas et le citoyen n'est appelé aux urnes que pour des élections.

Dans maints Etats il n'a l'occasion de participer à une élection qu'une fois tous les trois ou quatre ans, dans certains pays aussi pour des élections provinciales ou communales.

Ces différences fondamentales sont des faits tout particulièrement importants dans le domaine ici considéré, même s'il est exact, d'autre part,

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que les femmes qui s'intéressent à la politique doivent ressentir d'autant plus fortement la privation de droite populaires si étendus.

e. Il apparaît ainsi que la démocratie référendaire suisse exige de ses citoyens un plus grand effort que les autres Etata. Cette constatation » également son importance pou? l'introduction du suffrage féminin. Qu'un tel droit ait été Introduit et s'exerce effectivement dans d'autres pays ne permet donc pas de conclure purement et simplement qu'il devrait en être de même en Suisse. On ne peut pas non plus prétendre que le statut juridique général de la femme serait moins favorable en Suisse que dans les Etats ayant adopté le suffrage féminin et qu'il faudrait introduire pour cette raison le droit de vote dea femmes en Suisse. On peut au contraire affirmer sans exagération que dans l'ensemble la Suissesse possède autant de droits et de libertés que la femme dans d'autres pays. Gela ne veut pourtant pas dire que tout soit pour le mieux chez noue et que noua n'ayons aucune raison de travailler à l'amélioration du statut juridique de la femme.

La question se pose de la manière suivante: l'introduction du droit de vote des femmes s'impose-t-elle en Suisse pour d'autres raisons, compte ténu des conditions politiques et sociales particulières a notre pays ? À ce propos on ne saurait ignorer que parmi les 260 millions d'adultes des Etats libéraux du monde occidental« les quelque 1 500 000 Suissesses sont les seules femmes auxquelles l'égalité politique n'est pas reconnue.

2. Alors qu'au début de ce siècle il apparaissait presque partout comme naturel que la femme fut privée des droits politiques, aujourd'hui au contraire elle est reconnue Comme l'égale en droit de l'homme à peu près dan« tous lös pays civilisés. Cette évolution ne s'explique que par les importanis changements survenus dang ces pays quant aux conditions économiques et sociales, surtout de la femme, et quant aux circonstances politiques en général. De tels changements Be sont-ils aussi produits en Suisse, en sorte que le moment serait venu d'accorder à la femme le même statut politique qu'à l'homme, ainsi que le prétendent les partisans du suffrage feminin \ a. L'histoire du mouvement féministe montre que le vote des femmes commença seulement à prendre pied lorsque les circonstances contraignirent les
femmes à exercer une activité rémunérée indépendante en dehors de leur ménage -- en fabrique, dans l'industrie ou le commerce. Jusqu'alors la femme n'avait exercé une activité professionnelle que dans le cadre d'une exploitation familiale (par ex. ferme, petit Commercé et hôtellerie), puis l'importance de la femme comme main-d'oeuvre indépendante sur le marché du travail s'accrut considérablement. Ce processus s'établit dans la seconde moitié du siècle dernier -- tout d'abord eh Angleterre - lorsque la machine (plue particulièrement le métier à tisser) évinça de plus en plus le travail manuel et que l'on construisit dés fabriques offrant à la main-d'oeuvre

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féminine des possibilités de gain bienvenues. Les femmes mariées elles-mêmes entrèrent en grand nombre dans les fabriques, lorsque le gain de leur mari ne permettait pas de subvenir aux besoins mêmes modestes de la famille.

Plus l'industrialisation et avec elle la prolétarisation des masses progrès* soient, plus d'autre part la main-d'oeuvre faisait défaut et plus la femme se voyait contrainte de combler les vides et de s'intégrer dans le processus général du travail. C'est ce qui se paasa surtout durant et après les deux dernières guerres mondiales dans les pays belligérants. Mais une transformation radicale s'était ainsi amorcée dans la répartition traditionnelle du travail, selon laquelle l'homme seul supportait le fardeau de l'entretien de la famille, tandis que la femme ne connaissait d'autres activités que les taches familiales, La femme dut dès lors contribuer également à l'entretien du ménage, souvent en plus des travaux domestiques. Cela lui donna non seulement une plus grande confiance en elle-même, mais lui assura également une position plus forte dans la famille et dans la vie publique. Elle acquit de cette manière une plus grande compréhension et un intérêt immédiat pour les questions politiques. Mais elle commença en même temps à ressentir comme une diminution son exclusion de la vie politique. Dans la mesure où elle assumait la tâche de pourvoir à l'entretien de la famille, la femme revendiqua le droit de dire son mot dans les questions intéressant la famille et l'Etat. Une condition essentielle de son égalité politique se'trouva ainsi réalisée.

Une telle intégration de la femme dans la vie économique s'est-elle aussi produite en Suisse En 1923 déjà le Tribunal fédéral constatait ce qui suit dans un arrêt (Mlle Boeder contre Conseil d'Etat du canton de Fri bourg ATF 49,1, 14 s,): «Par suite detransformationsBd'ordre économique et social qui se sont produites au coure des dernières décennies) les femmes ont été obligée» d'étendre leur activité à des domaine! qui autrefois paraissaient réservés aux hommes et elles y sont mieux que par le passé préparées par leur éducation et leur instruction qui tendent à se rapprocher de celles que reçoivent le«hommes» Il en concluait qu'une disposition limitant aux citoyens actifs l'accès de la professiond'avocatt et de notaire était tenu l'opinion
contraire dans la causé Kempin (ATT 13, 1s.).

Le tableau ci-après, emprunté au Lexikon der Frau (vol. II p. 1338), montré l'évolution en Suisse depuis 1888 (voir page suivante).

On peut en tirer les conclusions suivantes: Jusqu'en 1920 la Suisse a subi la tendance générale. Tandis que le chiare de la population féminine n'augmentait que de 34 pour cent depuis 1888, le nombre de femmes exerçant une activité professionnelle atteignait 46 pour cent. Cette dernière augmentation était environ d'un tiers supérieure à celle de l'ensemble de la population féminine. Mais la comparaison de ces chiffres avec les chiffres relatifs aux hommes ne donne qu'une légère différence à l'avantage des

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Population résidente et population exerçant une profession 1888-1950 Population résidente Sexo masculin 1888 1900 1910 1920 1930 1941 1950

1417 574 1 627 025 1 845 529 1 871 123 1 958 349 2 060 399 2 272 025

Population exerçant une profession Sexe Sexe Total féminin masculin Chiffres absolus

Sexe féminin

Total

1 500 180 1 688 418 1 907 764 2 009 197 2 108 051 2 205 304 2 442 967

2917 754

3315443 3 753 293

3 880 320 4 066 400 4 265 703 4 714 992

870 389 1 057 534 1 178 782 1 236 281 1 331 358 1 422 272 1 515 232

434 445 497 713 604 413 635 444 611 268 570 215 640 424

1 304 834 555 247 783 195 871 725 942 626 992 487 2 155 656

100 115 139 146 141 131 147

100 119 137 143 149 153 165

Index (1888= 100) 1888 1900 1910 1920 1930 1941 I960

100 115 130 132 138 145 160

100 113

127 134 141 147 163

100 114 129

133 139 146 162

100 122 135 142 153 163 174

femmes. Pour les hommes, l'augmentation se monte à 32 pour cent de la population résidente et à 42 pour cent de la population exerçant une profession. Entre 1920 et 1941, l'activité professionnelle de la femme ne s'est plue développée. Elle a diminué, même en chiffres absolus, en dépit de l'augmentation simultanée de la population féminine. Tandis qu'en 1920 635 444 femmes exerçaient une activité professionnelle, il n'y en avait plus que 570 215 en 1941. En d'autres termes, en 1941 il y avait 65 229 femmes de moins qu'en 1920 à exercer une activité professionnelle, bien que durant la même période la population féminine ait augmenté de 196 107 unités. Entre 1888 et 1941^ l'augmentation de la population féminine a été de 47 pour cent, celle des femmes exerçant une activité lucrative de 31 pour cent seulement. Pour les hommes, les chiffres correspondants sont de 45 pour cent et de 63 pour cent. En tout, jusqu'en 1941, le pourcentage des hommes exerçant une activitié professionnelle a augmenté de 63 pour cent, celui des femmes de 31 pour cent seulement.

L'accroissement proportionnel du nombre des personnes exerçant une activité professionnelle n'atteint ainsi pour les femmes même pas la moitié de ce qu'il est pour les hommes. Entre 1941 et 1950 le nombre absolu des femmes exerçant une activité professionnelle remonta de nouveau à 640 424. Bien que depuis 1888 l'ensemble des personnes du sexe féminin ait augmenté de 63 pour cent, l'accroissement du nombre des femmes exerçant une activité

749

professionnelle n'a été que de 47 pour cent. Pour les hommes, les chiffres correspondants sont de 60 et 74 pour cent.

Le tableau montre que le nombre des hommes exerçant une activité professionnelle a toujours augmenté proportionnellement d'une manière plus forte que le chiffre de la population masculine totale (74% en 1950 contre 60%). En ce qui concerne les femmes, ce n'est le cas que jusqu'en 1920. Par la suite, un renversement de la situation se produit, en ce sens que pour toute la période postérieure l'accroissement du nombre des femmes exerçant une profession (47%) est dépassé de beaucoup par celui de la population féminine en général (63%). La situation reste à peu près la même si on se base sur la seule population suisse et non sur la population totale.

L'affirmation que l'activité professionnelle de la femme se serait sensiblement développée n'est pas confirmée par les données de la statistique -- pour la période comprise entre 1888 et 1950 en tout cas -- si l'on tient compte de l'augmentation simultanée de la population féminine totale. L'accroissement de l'activité professionnelle de la femme est resté proportionnellement inférieur à l'augmentation de la population féminine, de même qu'à l'évolution concernant la population masculine. Point n'est besoin d'étudier ici les causes de cette situation et de rechercher si elle est due au marché du travail, à la politique d'immigration, aux progrès de la mécanisation, à des motifs psychologiques ou à une amélioration des conditions sociales des classes inférieures. Dans l'examen du problème du suffrage féminin, seule importe la participation effective des femmes aux activités professionnelles en dehors du foyer.

En revanche, il peut être intéressant de jeter un coup d'oeil sur la répartition des activités professionnelles féminines selon les diverses branches de l'économie. Le tableau ci-après (voir page suivante) donno les renseignements voulus.

Il résulte de ce tableau qu'en 1950 2 155 656 personnes exerçaient en Suisse une activité professionnelle, dont 640 424 femmes ; en d'autres termes, 29,7 pour cent de toutes les personnes exerçant une activité professionnelle étaient des femmes. Le nombre des femmes de 20 ans et plus était alors de 1 734 907, dont 534 740, soit le, 30,8 four cent, exerçaient une activité professionnelle. 110 700
femmes travaillaient à domicile ou en qualité de journalières; elles constituaient le 94,9 pour cent des personnes composant ce groupe professionnel. Elles représentaient le 26 pour cent de toutes les personnes occupées dans les autres groupes de profession.

Le travail des femmes dans les fabriques accuse l'évolution suivante : les personnes occupées en Suisse dans des fabriques étaient des femmes dans la proportion ci-dessous : 1888 1895 1901 1911 1923 1929 1937 1944 1950 1954 46% 40% 38% 36% 38% 36% 35% 30% 32% 32%

01

o

Bipartition d« ta population masculin* et féminin« d'après los groupes Ì944

1930

Hommes

Femme«

Femmes

HsmnHs

Exploitation du sol

360 441

51 377.

12j2

392 143

· Ifidustrifi et métiers

638 071

228969

26,4

655969

· Commence, banque, assurances .

122803

67410

35,4

1279S2

63324 " 67 1

2S190

30992 Transports et eomiBnaicatioBa .

77486

Services publies et professions libérales

68616

31778 · 33»0

Etablissements

15258

27237

7 512

8,8;

04.1

Cbpmeurs . . . . . . . . . . .

Ensemble

TS425

I960

Feiniuss

Fommas

. HM ·'tam.

Femmes

7,2

331 »18

3&172

8,3

304559

23,a

766002

233099

23,2

7» 530

35,6

1369(17

9S574

37,9

5&7IS ' 69 2.

28 3JS

61473

67,7

'

«310 '.

8,2

10,2

M)J 1«6

46238

31,4

1096Ì6

54036

33,3

18 783

344SS

64 7

21 540

49 282

66,8

237*7

4073

*

6432

2520

28,2

t 416 394

455280

24,3 1508338

52» 734

26,0

95 1

5 904

113 780

94,9

28,6

15? m

840434

29,7

1 322 607

47» 609

8691

131. 650

93>8

5 878

1 331 358

OU 26«

3J.6

1433252

Service de maison Total

' *

510215

751

B apparaît ainsi que la proportion des femmes travaillant en fabrique eet en régression constante. Mais on constate une tendance à la régression aussi dans les autres professions, tandis que la proportion des femmes occupées dans l'économie domestique a légèrement augmenté.

Lé tableau suivant permet une comparaison entre la Suisse et les autres Etats.

PersOAne§ exerçant une activité professionnelle paf rapport à la population totale Paya

AnnS»

Roumanie

1930

U. R. S. S Bulgarie . < . .

Finlande.............

France.

Allemagne (zona soviétique) . . . .

1926 1934 1950 1946 1946

Pologne

1931

Autriche Tchécoslovaquie Danemark Allemagne (République fédérale) . .

Yougoslavie Ûfande-BfetBgfte

1931

Bvieaé ïtâlie

1950 1936

Suède

Etats-Unie Belgique Mexique

1951 1947 1950 1950 1953

1980

. .

1950 1947 1950

Hommes %

Femmes %

Ensemble %

6é,0 63,8 62,3 60,5 67,1 61,0 58,5 63,9 64,2 64,5 63,2 62,8 69,0 00,7 63,8 65,2 58,1 63,3 56,3

52,0 51,6 50,7 43,7 37,5 37,3 36,3 35,1 33,9 32,2 31,4 30,8 26,9 26,2 24,8 23,2 31,8 19,0 8,6

67,9 57,3 56,5 51,9 51,6 47,4 47,0 48,5 48,1 48,2 46,3 46,3 47,0 45,7 44,6 44,1 39,7 40,9 32,1

II ressort de ces chiffres que l'activité professionnelle des femmes est notablement inférieure en Suisse à ce qu'elle est dans les Etats communistes, mais qu'elle est comparable à celle de la Grande-Bretagne, de la République fédérale d'Allemagne et de l'Italie, tandis qu'elle est plus considérable qu'aux Etats-Unis ou en Belgique. L'activité professionnelle des hommes n'en est pas moins environ deux fois et demi« plus considérable que celle qu'exeroent les femmes en dehors de la famille. Et l'évolution de ces dernières décennies n'a pas accusé une augmentation de l'activité professionnelle de la femme; c'est bien plutôt le contraire qui est exact (quant aux causes de cette évolution, cf. rapport «Pour la famille», FF 1944, 884 s,).

752

H est intéressant à ce propos de connaître également la répartition d'après l'état civil des femmes exerçant une activité professionnelle. En 1950, 71 pour cent d'entre elles étaient célibataires; pour les hommes, la proportion est de 34 pour cent. 72 pour cent des femmes célibataires à compter de l'âge de 15 ans exerçaient une profession, alors que pour les femmes mariées ce pourcentage est de 10 pour cent seulement.

b. L'évolution de Vfltat en un Etat social s'accompagne d'un relâchement des liens de la famille. Au cours de cette évolution l'Etat a repris de plus en plus les tâches incombant autrefois à la famille. Pour mémoire, mentionnons ici la tutelle, aujourd'hui presque entièrement du domaine de l'Etat, l'éducation et l'instruction des enfants, l'assistance des indigents, l'aide à la vieillesse, la protection de la jeunesse, les soins aux malades, les mesures d'hygiène, etc.

La tenue du ménage s'est en outre simplifiée. De nombreux produits, qui autrefois étaient préparés au foyer, par exemple le pain, sont aujourd'hui livrés tout fabriqués. Le travail restant est considérablement simplifié par suite de la mécanisation et de l'électrification. La famille d'aujourd'hui -- sauf peut-être la famille paysanne -- n'est, la plupart du temps, plus qu'une communauté d'éducation, de culture, d'acquisition et de consommation, et non plus une communauté de production (cf. rapport «Pour la famille», FF 1944, 882 s.).

La femme a ainsi perdu une partie essentielle de ses tâches domestiques.

Cela ne peut que favoriser la tendance à l'exercice d'une activité hors du foyer, la tenue du ménage laissant à la femme davantage de temps. La femme s'intéresse en outre dans une mesure accrue aux choses de l'Etat, qui l'a déchargée d'une partie des tâches répondant le mieux à sa nature.

Ce phénomène peut être observé non seulement dans les pays communistes et socialistes, niais aussi dans d'autres pays. Point n'est besoin de prouver davantage que la Suisse a participé à ce mouvement et n'est en aucune manière restée derrière les Etats qui lui sont comparables (cf. rapport du Conseil fédéral «Pour la famille», FF 1944, 825; professeur Egger: Die heutige rechtliche Lage der Familie, FF 1944, 1037).

c. Mais la femme elle-même n'est pas restée ce qu'elle était il y a cent ans. Avant tout, son niveau culturel moyen
est plus élevé qu'autrefois.

Non seulement à titre absolu, mais aussi par rapport à l'homme. Il était autrefois à peu près exclu qu'une femme reçoive une formation scolaire dépassant le niveau primaire et apprenne une profession. Aujourd'hui, c'est à peine s'il subsiste quelque différence de principe. De nos jours sa formation politique ne le cède plus beaucoup à celle de l'homme. La presse quotidienne, les périodiques, les livres, les conférences, la radio, etc., ont

753

familiarisé la femme avec tous les problèmes de la vie publique. De nombreuses associations féminines contribuent à encourager ce développement.

Aussi n'y a-t-il aucun doute qu'à cet égard la Suissesse n'est pas non plus en retard sur les femmes d'autres Etats. Son niveau d'instruction moyen est très élevé, même s'il est exact que depuis quelques années la proportion des femmes étudiant dans les universités est plus forte dans l'Allemagne de l'Ouest et en Autriche qu'en Suisse (cf. Lexikon der Frau, vol. I, p. 1167 s.). Mais tandis que d'autres Etats ont tenu compte de cette situation non seulement dans le droit privé, mais également en ce qui concerne l'égalité politique de la femme, nous n'avons pas encore en Suisse tiré cette conséquence.

d. Depuis la première guerre mondiale, une modification importante est également survenue, à l'étranger et en Suisse, en ce qui concerne la situation des femmes par rapport au service militaire. Jetons d'abord un coup d'oeu sur les pays étrangers, en suivant les commentaires du Lexikon der Frau (vol. I, p. 215 s.). Si jusqu'à cette époque la femme n'avait servi que dans les infirmeries et les hôpitaux, elle commença alors à être incorporée dans l'armée régulière.

Ce fut d'abord le cas en Angleterre. Après que les femmes eurent servi comme volontaires en accomplissant des travaux d'intérieur ou comme conductrices de véhicules, un service auxiliaire féminin de l'armée fut organisé en 1916 déjà, pour être dissous après la fin de la guerre. Immédiatement avant la seconde guerre mondiale, le service auxiliaire féminin fut à nouveau mis sur pied et soumis aux prescriptions de service de la législation militaire. L'obligation de servir reçut un adoucissement en ce sens que les femmes purent choisir entre le service auxiliaire féminin et d'autres formes du service auxiliaire. De nombreuses femmes furent incorporées dans l'armée de l'air mixte ou remplacèrent des officiers dans des services spéciaux (par ex. ordonnances, service de renseignements, de radar ou de ravitaillement), souvent à l'étranger et même outre-mer. En 1946 fut décidée la création d'un corps féminin indépendant de l'armée régulière («Women's Royal Army Corps»), qui accomplit de temps à autre des cours de répétition et est tenu en temps de guerre au service obligatoire complet. Il s'agit d'une
carrière professionnelle avec droit à une pension.

Cette troupe sert dans la défense antiaérienne, les services de subsistance, le service de bureau, les transports routiers, le service de signalisation et de l'intendance. Les femmes ont aussi le grade d'officier et portent les titres correspondants (colonel, capitaine, etc.).

Pendant la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis ont également mis sur pied une importante armée féminine, le «Women's Army Corps», dont les membres servirent sur tout le globe. Dans ce corps également les femmes peuvent aussi recevoir le grade d'omcier.

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Pendant la guerre, des troupes féminines ont aussi été constituées au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud, en Rhodésie du Sud, aux Indes et en France En Israël, les femmes sont astreintes depuis 1948 au service militaire pour une durée de deux ans.

On est allé moins loin en Allemagne, dans l'idée que la guerre était l'affaire des hommes. Lee femmes n'y eurent pas de tâches de combattantes proprement dites, mais seulement des fonctions auxiliaires, soit dans l'ar« mée comme infirmières, téléphonistes, télégraphistes, secrétaires, etc., soit comme auxiliaires ne dépendant pas de l'armée. Le service auxiliaire féminin purement volontaire prit naissance ea Finlande, où les lotta jouèrent un rôle particulier. D'autres pays, notamment les Etats nordiques, suivirent cet exemple.

En revanche, la Russie soviétique a appliqué dans toute sa rigueur logique le principe de l'égalité de la femme et de l'homme aussi ea ce qui concerne les devoirs et notamment le service militaire. Dans l'armée rouge, les femmes furent même engageas comme combattantes sur le front, Elles servirent comme pilotes, parachutistes, conductrices de chars, dans les unités de mitrailleurs ou de protection antiaérienne ou même dans la cavalerie.

Après la guerre, le service militaire féminin subsista, le service des armes proprement dit étant facultatif. La femme porte le même uniforme que l'homme et peut fréquenter une académie spéciale pour les femmes.

Cette participation de la femme à la défense du pays et à la lutte contre l'ennemi ne pouvait rester sans influence sur le développement de ses droits politiques.

En Suisse aussi, on commença durant la seconde guerre mondiale à mettre les femmes à contribution pour la défense du pays, en créant le service complémentaire féminin. Mais on ne voulut pas leur imposer de nouvelles et lourdes tâches envers l'Etat, précisément aussi parce qu'elles ne jouissaient pas du droit de vote, et l'on institua ce service à titre volontaire. D'autre part, pour éviter dans la mesure du possible une militarisation des femmes, on confia au service complémentaire féminin des tâches non spécifiquement militaires, des missions mieux appropriées à la nature féminine, telles que le service de repérage et de signalisation d'avions, du matériel, de presse et de publicité, de liaison,
des automobiles, de protection antiaérienne, de santé, de cuisine et d'assistance. En moyenne, 20 000 femmes firent du service. Dans le cadre du service complémentaire féminin, les femmes apportèrent une contribution importante à la défense de notre pays, en permettant d'affecter à des tâches purement militaires un nombre correspondant d'hommes astreints au service militaire. On n'a pas oublié que les femmes accomplirent ce service avec une joie patriotique, avec beaucoup d'habileté et d'esprit de sacrifice. Non moins importante a été leur contribution à l'arrière, au foyer et à la ferme, aux champs, à la filbrique, dans l'industrie, au bureau, dans les services de protection civils,

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au .ravitaillement du peuple et de l'armée, en contribuant à l'aide aux militaires, » l'assistance aux internée et aux réfugiés, ainsi qu'à d'autres oeuvres nécessaires à l'indépendance et à la prospérité du pays.

Les femmes ont ainsi mérité la gratitude, du pays. S'il est exact que le service militaire proprement dit ne s'applique vraisemblablement qu'aux hommes aussi à l'avenir, les faits qui viennent d'rappelés n'en parlent pas moine en faveur du suffrage féminin. Car non seulement les femmes ont .acquis une plus grande expérience de la vie, mais elles ont encore prouvé leur volonté de servir la collectivité. Qu'elles l'aient feit à titre volontaire ne peut que rehausser la valeur de leur action.

Tout récemment, la question de la contribution des femmes à la défense du pays est entrée dans une nouvelle phase. Dans son message du 15 mai 1956 (FF 1956,1, 1105 s.), le Conseil fédéral a en effet proposé de compléter la constitution fédérale par un article 22bis sur la protection civile.

L'alinéa é de cet article prévoyait oe qui suit: «L'obligation du service de protection ne peut être établie que sous la forme d'une loi ou d'un arrêté pour lequel le vote du peuple peut être demandé.» Comme l'explique le message, il appartiendra à la loi de décider si les femmes devront être misée à contribution-à titre volontaire seulement ou si.elles pourront être tenues d'accomplir certains services (par ex. garde d'immeubles). Un service obligatoire se limiterait ainsi à la, garde d'immeubles. L'Assemblée fédérale a décidé le 21 décembre 1356 d'insérer dans la constitution elle-même une telle obligation ainsi limitée.

Ces décisions ont reçu un accueil mitigé de la part des femmes. Tandis que certaines d'entre elles (par ex. la communauté de travail «femme et démocratie», ainsi que la présidente de la société d'utilité publique des femmes suisses) se sont prononcées favorablement, d'autres y ont fait opposition. C'est ainsi que l'«alliance de sociétés féminines suisses» et la «ligue suisse des femmes catholiques» ont déclaré qu'elles approuvaient la participation exclusivement volontaire des femmes à la protection civile et qu'elles s'opposaient à tout service obligatoire, même limité à la garde d'immeubles. Elles ont motivé leur opinion comme suit: La femme suisse étant encore privée des droits politiques,
un accroissement de ses obligations légales serait incompatible avec le principe de l'égalité de traitement. Comme les femmes n'ont pas la possibilité de se prononcer par un bulletin de vote sur ce service obligatoire, seule reste ouverte la voie du service volontaire. Chaque femme devrait être libre de s'annoncer pour ce service ou de refuser son aide. Ces deux associations se déclarent toutefois convaincues que les femmes suisses ont conscience de leur devoir envers la patrie et participeraient volontairement en grand nombre à la garde d'immeubles et aux autres organismes de protection civile.

Du moment que ces associations ont ainsi lié le service de garde d'immeubles au auftrage féminin, une brève mise au point s'impose, d'autant plus que le nombre de leurs membres représente presque 40 pour cent de

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toutes les femmes auxquelles reviendrait le droit de vote. Comme l'indique le message susmentionné, la protection civile constitue avec l'armée et la défense économique l'un des trois piliers de la défense du pays. Cela signifie clairement que le service de protection civile n'est pas un service militaire. Ce qu'on exigerait des femmes en leur imposant un service de garde d'immeubles ne serait pas l'accomplissement d'un service militaire au sens de l'article 18 de la constitution fédérale. Comme le nom l'indique, il s'agirait d'un service purement civil, destiné à protéger la population elle-même, soit d'un service établi aussi dans l'intérêt de la collectivité et qui doit par conséquent pouvoir au besoin être imposé par l'Etat. C'est une erreur de croire que le principe de l'égalité do traitement ne permettrait d'imposer ce service qu'aux personnes qui auraient eu la possibilité de se prononcer à son sujet au moyen du bulletin de vote. Sinon il faudrait soit dispenser les étrangers de ce service, soit leur reconnaître le droit de vote.

L'obligation décidée par l'Assemblée fédérale se limite à la garde d'immeubles, tâche qui est en rapport étroit avec les occupations de maîtresse de maison et ne l'oblige pas à sortir de l'immeuble. On ne saurait prendre la responsabilité d'aller plus loin et d'abandonner ce secteur important de la défense nationale au hasard d'un service volontaire. En outre, pareille solution serait inéquitable puisque seules les femmes de bonne volonté feraient un sacrifice. La garde d'immeubles obligatoire ne constitue pas plus une marque de méfiance envers les femmes que le service militaire obligatoire envers les hommes.

Le mémoire des deux associations féminines susmentionnées précise que les femmes ont conscience de leur devoir envers le pays aussi en ce qui concerne le service de garde d'immeubles. H n'y a aucune raison d'en douter. Les expériences faites permettent au contraire de prévoir qu'un grand nombre de femmes se mettraient à la disposition du pays, en cas de danger. Mais cela ne saurait justifier une renonciation à l'obligation du service féminin de garde d'immeubles. Il est erroné de lier cette obligation au droit de vote féminin. Que cette participation à la défense nationale sous la forme d'un service dans les gardes d'immeubles ne représente pas une prétention
injuste envers les femmes, c'est ce qu'admettront certainement la grande majorité d'entre elles.

D'une manière générale on doit constater qu'une modification sensible s'est produite dans la position de la femme suisse envers l'Etat, du fait aussi que sa participation à la défense nationale est considérablement plus importante qu'il y a une centaine d'années. En revanche, la femme suisse n'accomplit pas de service militaire obligatoire, contrairement aux femmes de nombreux autres pays. Sa contribution est ou bien volontaire ou bien en relation avec la défense civile du pays. Cela suffit-il pour réfuter l'objection contre le suffrage féminin, tirée du fait que les femmes n'accomplissent pas de service militaire ? Ce point sera examiné plus bas.

757

3. C'est en revanche à tort qu'on a essayé de présenter l'institution du suffrage féminin comme une obligation de droit international public.

Une telle obligation ne résulte ni de la charte des Nations Unies, ni des principes généraux du droit des gens. Certes, la charte des Nations Unies du 26 juin 1945 a admis (al. 2 du préambule, art. 1, ch. 3, art. 8) le principe de l'égalité de l'homme et de la femme et la convention sur les droits politiques de la femme, du 20 décembre 1952, l'a confirmé et précisé. Mais la Suisse n'a pas adhéré à cette convention. Une telle obligation ne résulte pas non plus des principes généraux du droit des gens, bien que la plupart des Etats reconnaissent le suffrage féminin. Le rapport du professeur Kägi (p. 31 s.) ne laisse subsister aucun doute sur cette question.

4. Les protagonistes du suffrage féminin insistent surtout sur l'argument tiré de la justice, de l'égalité de traitement et de la démocratie. Il est en effet surprenant que précisément la Suisse, où la démocratie existe depuis le plus longtemps à l'état le plus prononcé, soit à peu près le seul Etat européen à ignorer le suffrage féminin. N'est-il pas injuste de persister à refuser les droits politiques aux femmes, en dépit de l'évolution intervenue depuis la fondation de l'Etat fédératif et de les empêcher de participer à la formation de la volonté de l'Etat ? L'égalité de traitement, l'un des fondements de notre Etat, n'exige-t-elle pas que les femmes, qui depuis longtemps ont presque les mêmes obligations que les hommes, reçoivent également les mêmes droits ? On peut se borner à ce sujet aux considérations suivantes, eu égard aux développements approfondis du rapport Kägi (p. 48 s.).

a. La tâche de toute organisation étatique consiste dans la réalisation de l'idée du droit, soit de la justice. Qu'est-ce que la justice ? A cette question chaque Etat répond lui-même pour ses ressortissants en fixant dans sa constitution au moins les principes fondamentaux. Dans un Etat démocratique, la justice est liée à deux principes: la liberté individuelle et l'égalité de traitement. Ces deux principes dépendent l'un de l'autre, car ils reposent tous deux sur l'idée de la dignité de l'être humain doué de raison. Us ne sont donc pas des postulats indépendants de la justice, mais ils en sont les fondements. Aussi la
question est-elle de savoir si le refus du suffrage féminin porte atteinte à la liberté individuelle et à l'égalité de traitement et par là viole le sens de la justice. En répondant à cette question on tranchera en même temps le point de savoir si l'idée démocratique implique l'introduction du suffrage féminin. Car la démocratie ne veut rien d'autre que réaliser la justice dans le sens de la liberté et de l'égalité de traitement telle que la comprendront la majorité des membres de la collectivité.

b. L'égalité de traitement, dont les racines remontent au stoïcisme et au christianisme, n'est pas restée pour nous une simple exigence du droit naturel, mais elle est devenue une règle positive de notre constitution.

L'article 4 de la constitution déclare clairement et sans réserve: «Tous les Feuille fédérale. 109» année. Vol. I.

52

758

Suisses sont égaux devant la loi.» Et il ajoute : «H n'y a en Suisse ni sujets, ni privilèges de lieu, de naissance, de personnes ou de familles.» Il peut paraître surprenant que cette disposition ne fasse pas de distinction entre les sexes, à l'encontre des constitutions modernes de différents Etats. De plus, la désignation «Suisse» dans d'autres dispositions de la constitution ne se rapporte qu'à l'homme et non à la femme, ainsi l'article 18 sur le service militaire ou l'article 74 sur les élections et votations. H n'y a cependant aucun doute que l'article 4 de la constitution (de même que les art, 43 et s., 56 et 59 et s.) englobe également les Suissesses; même l'étranger domicilié à l'étranger peut, sans égard aux traités internationaux, recourir pour déni de justice au Tribunal fédéral en se réclamant de l'article 4 de la constitution (ATF 40, I, 15).

Personne ne conteste en outre que cette disposition lie non seulement les tribunaux et l'administration, mais également les autorités législatives de la Confédération et des cantons. Sa portée est cependant plus large dans les cantons que dans la Confédération. Dans les cantons en eifet, le constituant lui-même, c'est-à-dire le peuple, est lié par le principe de l'égalité de traitement (cf. art. 6 Cst.), ainsi que l'a établi le Tribunal fédéral en jurisprudence constante. Mais dans la Confédération ce principe ne sort pas du cadre de la législation proprement dite (loi et arrêté fédéral).

En effet, le constituant n'est pas lié par ses propres prescriptions puisque la constitution peut être revisée «en tout temps, totalement ou partiellement» (art. 118). Nous nous retrouvons ainsi devant la question très controversée des limites matérielles de la constitution fédérale, que nous avons discutées en détail dans le rapport du 4 mai 1954 sur l'initiative de Rheinau (FF 1954, I, 716 s.). A l'encontre de l'opinion souvent exprimée selon laquelle il existerait des droits constitutionnels intangibles, perpétuels, parmi lesquels le principe de l'égalité de traitement, nous avons exposé que notre droit constitutionnel positif ne contient pas de limites matérielles.

Les deux chambres se sont ralliées à cette manière de voir. Et malgré les objections soulevées, il n'y a aucune raison de s'en écarter ; on sortirait aussi du cadre du présent message en
examinant ici les considérations contenues à ce sujet dans le rapport du professeur Kagi (p. 8 et 46). Le principe de l'égalité de traitement n'a par conséquent effet en droit positif que sous les réserves prévues par la constitution elle-même. Cela signifie que l'article 74 de la constitution, qui exclut les femmes du droit de prendre part aux élections et aux votations, n'est pas en contradiction avec l'égalité de traitement prévue à l'article 4 de la constitution. Sinon l'article 51 sur les jésuites et l'article 52 sur l'interdiction de fonder des couvents seraient aussi inopérants, eu égard à l'article 4 (cf. art. 75). Le fait que les circonstances ont changé ne saurait en rien modifier cette situation. C'est pourquoi le suffrage féminin ne peut être institué qu'au moyen d'une revision constitutionnelle, comme nous le montrerons plus bas. La constitution fédérale va même encore plus loin dans cette direction et ne prévoit aucun moyen

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de droit permettant d'attaquer la violation de l'égalité de traitement par une loi ou un arrêté fédéral de portée générale; ces actes législatifs lient en effet le Tribunal fédéral (art. 113, 3« al, Cst.).

Le fait que le droit constitutionnel positif s'écarte du principe de l'égalité de traitement et peut en limiter valablement la portée n'empêche pas que ce principe a effet en tant que norme du droit naturel et qu'il lie même le constituant, soit le peuple et les cantons. Cette règle n'a cependant pas la force d'une nonne de droit positif. Le respect d'une norme du droit naturel ne peut pas être juridiquement imposé et la validité d'une règle de droit ne dépend pas non plus de son observation. Il s'agit là d'une question de conscience que chaque citoyen doit se poser.

L'égalité de traitement en tant que manifestation du droit naturel est loin d'être un simple principe formel exigeant l'égalité absolue de tous les individus. Pareille conception ne serait pas conciliable avec l'idée de la justice, mais en serait plutôt la négation et conduirait à une uniformisation contraire au principe de la liberté individuelle. L'égalité de traitement ne découle pas non plus de la dignité égale en principe de tous les êtres humains.

A l'idée de la justice ne correspond au contraire que la seule égalité de traitement matérielle, c'est-à-dire le traitement égal de tous les sujets de droit se trouvant dans les mêmes conditions. Cela signifie que les mêmes situations doivent être traitées de la même manière et les situations différentes de manière différente, comme le Tribunal fédéral l'a constaté dans sa jurisprudence constante, relative à l'article 4 de la constitution. Le traitement égal des situations différentes viole donc aussi bien le principe de l'égalité devant la loi que le traitement inégal de situations identiques.

Par conséquent des états de fait différents non seulement peuvent, mais doivent -- dans le cadre de l'égalité devant la loi -- être traités de manière différente. En principe cette règle vaut également pour le droit de vote. Hais ici les intérêts de la collectivité jouent aussi un rôle. Certes, l'ordre juridique ne peut pas prendre en considération chaque disparité de fait. Seules les différences importantes peuvent justifier une inégalité de traitement. Ce sont les circonstances existant
au moment de l'élaboration de l'acte législatif et la notion dominante du droit et de la justice à ce moment qui permettent de déterminer ce qui est important.

Aussi le constituant fédéral se trouve-t-il aujourd'hui devant la question de savoir si le refus des droits politiques aux femmes est encore compatible avec le principe de l'égalité de traitement, bien que les circonstances et les conceptions aient changé; en d'autres termes, la différence de sexe peut-elle être toujours considérée comme suffisamment importante pour justifier l'infériorité politique des femmes ou l'égalité des sexes est-elle aujourd'hui un postulat de la justice.

La plupart des Etats reconnaissent maintenant l'égalité des sexes après avoir refusé les droits politiques aux femmes et ont introduit le

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suffrage des adultes. Cela prouve que, d'après les conceptions juridiques admises dans ces pays, le sexe féminin n'est plus considéré comme un motif justifiant un traitement moins favorable en matière de droits politiques. Aussi digne d'attention que soit ce fait, il ne permet cependant pas à lui seul de conclure, comme on l'a déjà exposé, que le principe de l'égalité de traitement exigerait l'institution en Suisse du suffrage féminin.

La question doit en effet être appréciée uniquement à la lumière des conditions propres à la Suisse.

Or il est évident que depuis la confirmation, dans la constitution revisée de 1874, du refus du suffrage féminin, la situation de la femme dans la famille, la société et l'économie a subi une importante évolution aussi dans notre pays. La femme elle-même a d'ailleurs évolué également, quant à sa formation, son expérience, ses activités dans la vie publique ainsi que par rapport à son comportement envers la collectivité. Cette émancipation de fait, qui dépasse la législation, est à certains égards plus poussée en Suisse que dans d'autres pays, mais moins accentuée à certains autres.

La Suissesse réunit aujourd'hui, en tout cas autant que ses soeurs d'autres pays lorsqu'elles obtinrent le droit de vote, toutes les qualités et conditions requises ou nécessaires pour son exercice. Nous songeons avant tout à l'instruction générale, à l'éducation, au caractère, à la sûreté du jugement, à l'expérience générale de la vie et en particulier à la connaissance des problèmes politiques. Cela ressort déjà de la situation faite à la femme par le code civil, ce qui lui a valu une plus grande indépendance dans la famille et la vie civile et un prestige accru dans la société. D'autre part l'intégration de la femme dans le processus économique et l'autonomie qu'elle a ainsi acquise sont comparables avec celles tout au moins des Etats voisins. En revanche le service militaire des femmes est resté chez nous purement volontaire. Leurs prestations volontaires ne le cèdent pourtant guère à celles des femmes de quelques autres pays. Mais l'assimilation de la femme à l'homme dans le sens d'une virilisation n'est -- heureusement -- pas encore aussi prononcée en Suisse que dans beaucoup d'autres Etats, C'est une des raisons -- à côté du fait que notre pays n'a pas connu la guerre, de notre
niveau de vie élevé et des exigences de notre démocratie -- pour lesquelles le suffrage féminin n'a jusqu'à présent pas trouvé beaucoup d'écho chez nous.

En conclusion, on doit constater qu'en Suisse également il n'existe plus guère de la part de la femme de motif justifiant, au regard du principe de l'égalité de traitement, de la tenir à l'écart des affaires politiques. L'introduction du suffrage féminin serait en outre la conséquence logique de l'évolution de notre constitution, comme l'expose le rapport Kägi (p. 19 s.).

Mais les différences qui subsistent entre la femme et l'homme ne sont -elles pas importantes au point que le refus du suffrage féminin reste conciliable avec le principe de l'égalité de traitement ? Et l'intérêt de la collectivité

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ne ferait-il pas obstacle à l'institution du suffrage féminin, même si cette innovation était justifiée du point de vue de l'égalité de traitement et de la justice ? Nous examinerons ces questions en passant en revue les objections soulevées contre le suffrage féminin et nous renvoyons en outre aux explications contenues dans le rapport Kägi (p. 7 s. et 48 s.).

c. Venons-en à la question de la liberté individuelle. Le concept de la liberté, que l'Etat démocratique garantit à l'individu, comprend d'une part les libertés individuelles envers l'Etat (liberté de la presse, de réunion et d'association, de croyance et de conscience) et d'autre part la liberté dans l'Etat, c'est-à-dire la liberté politique, d'après laquelle la puissance publique appartient en principe à l'ensemble des citoyens, soit au souverain.

Dans le régime démocratique, chaque individu ne devrait être soumis qu'aux normes juridiques à la formation desquelles il a lui-même eu l'occasion de prendre part par le libre exercice de son droit de participer aux élections et aux votations. Ainsi s'exprime sa participation à la souveraineté.

C'est pourquoi ce droit est qualifié à juste titre de racine de la démocratie.

Ce droit de libre décision compte aujourd'hui parmi les droits individuels généralement reconnus. Ne participe pleinement à la liberté politique que celui qui possède ce droit, c'est-à-dire le citoyen actif.

Or cette liberté démocratique, l'idée démocratique, exige que le nombre des personnes participant à la puissance publique, plus particulièrement à la formation de la volonté de l'Etat, soit aussi grand que possible. La démocratie a un caractère d'autant plus accentué que le nombre des électeurs est plus grand et qu'est plus restreint le nombre des personnes privées de cette collaboration. L'idée de la démocratie consiste dans l'identité aussi complète que possible entre les gouvernants et les gouvernés, c'est ce qu'exprime ce mot de Jakob Burckhardt: «La raison d'être d'un petit Etat consiste en ceci qu'il constitue une parcelle de la terre sur laquelle le plus d'êtres humains possible jouissent de la plus grande liberté possible. C'est pourquoi en démocratie le droit de vote doit autant que possible être accordé à tous les ressortissants domiciliés dans le pays, qui sont capables et dignes de remplir les devoirs
correspondants.» Cela présuppose avant tout la capacité d'avoir une volonté politique.

Le droit de vote est dès lors subordonné à un âge déterminé (dans la Confédération la 20e année révolue). Il existe d'autre part certains motifs d'exclusion. Sont privées du droit de vote les personnes déchues des droits civiques. Le droit fédéral prévoit la privation des droits civiques envers les condamnés à la réclusion ou les délinquants d'habitude renvoyés dans une maison d'internement; elle peut être prononcée envers une personne condamnée à l'emprisonnement, si l'infraction dénote chez son auteur une bassesse de caractère (art. 52 CP). Les cantons ont de plus la faculté de priver de leurs droits civiques les faillis et les débiteurs faisant l'objet d'une saisie infructueuse, lorsque leur faute est grave. De

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même ils peuvent prononcer la privation des droits civiques à titre de peine accessoire en matière d'infraction à des dispositions cantonales de droit administratif, de procédure ou de droit fiscal (art. 335 CP). Citons à ce propos l'interdiction de fréquenter les auberges. En vertu du droit cantonal sont enfin privées de leurs droits civiques les personnes ne jouissant pas des facultés indispensables à la conduite de leurs propres affaires.

Ainsi en est-il des personnes mises sous tutelle pour certains motifs (par ex. l'aliénation mentale et la faiblesse d'esprit, condamnation pénale, prodigalité). Le fait d'être à la charge de l'assistance publique ou le défaut d'indépendance personnelle sont également dans plusieurs cantons des motifs de privation des droits civiques. La privation des droits civiques prononcée en vertu du droit cantonal est aussi applicable en matière d'élections et de votations fédérales (art. 2 de la loi du 19 juillet 1872 sur les élections et votations fédérales).

Selon le droit suisse en vigueur, les femmes sont également exclues du droit de vote. Avant la première guerre mondiale, cela répondait aux conceptions juridiques générales aussi dans les Etats démocratiques. En Suisse la ohoae paraissait si naturelle qu'on ne jugea pas nécessaire de la préciser dans la constitution, pas plus au moment de la création de l'Etat fédératif que lors de la revision totale de la constitution. Maintenant que la plupart des Etats ont adopté le suffrage des adultes, on se demande si l'introduction du suffrage féminin aussi en Suisse n'est pas une exigence de la démocratie.

D'après ce qui précède, il n'y a aucun doute qu'il faut en principe répondre affirmativement à cette question. D'après les constatations du bureau fédéral de statistique, le droit de vote n'appartient aujourd'hui qu'à 42,8 pour cent de la population adulte. Il s'agit donc d'une minorité de notre peuple. Avec l'institution du suffrage féminin, le nombre des électeurs représenterait au moins la majorité de la population totale. Il n'est pas conforme à l'idée démocratique d'admettre que la moitié des adultes soient privés des droits politiques, alors qu'ils remplissent les conditions exigées des hommes et ne font l'objet d'aucun motif d'exclusion. Car nul ne prétendra que les motifs d'exclusion seraient plus fréquents pour
les femmes que pour les hommes. Si l'institution du droit de vote a néanmoins été à l'époque limitée aux hommes, ce fut dans l'idée que cela suffisait pour réaliser l'idéal de la démocratie. Par Etat on n'entendait alors que l'Etat masculin. Les femmes elles-mêmes admettaient comme évident que la politique fût exclusivement l'affaire des hommes, tout comme son corollaire le métier des armes. C'est pourquoi il paraissait impensable que les femmes, sauf quelques exceptions, pussent s'intéresser aux questions politiques ou prétendre dire leur mot et jouer un rôle dans l'Etat, On ne discuta même pas de la question du suffrage féminin. Toute une série d'opinions et de considérations ont joué leur rôle dans cette manière de voir. Si elles n'ont plus cours à l'étranger, on les invoque encore chez nous pour combattre l'institution du suffrage féminin. Ces

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objections seront traitées plus bas, quand nous examinerons si, malgré les modifications intervenues entre-temps, elles constituent encore un motif suffisant de renoncer chez nous à ce perfectionnement de la démocratie. Le sens de la communauté, dont vit la démocratie, serait considérablement renforcé par l'institution du suffrage féminin. Nous nous référons à ce propos au rapport Kägi (p. 58 s.).

Mais ici déjà il faut relever deux points. S'il est exact que l'instauration du suffrage féminin assiérait notre démocratie sur une base plus large et la compléterait, on ne saurait en conclure pour autant que la Suisse, comparée à d'autres Etats, ne serait aujourd'hui qu'une demi-démocratie et le resterait aussi longtemps que les femmes n'obtiendront pas la pleine égalité politique. Ce que notre démocratie a ainsi perdu en largeur elle l'a plus que regagné en profondeur par l'intensité et l'efficacité de son fonctionnement, ce qui la distingue pas seulement des pseudo-démocraties.

Or cet état de fait profite également dans une large mesure aux femmes.

L'influence indirecte que la femme exerce sur l'Etat par l'intermédiaire de son mari, de son fils ou de son frère est ainsi plus efficace. Ensuite, toutes les fonctions qu'aujourd'hui déjà elle exerce -- dans une mesure très limitée -- en qualité de membre de commissions, de tribunaux ou autres institutions acquièrent également une importance accrue. Tout compte fait, la Suissesse ne se trouve guère en matière politique en moins bonne posture que la plupart des étrangères. Cela ressort aussi du fait que le droit de cité suisse est coté très haut non seulement par les Suissesses, mais aussi par les étrangères.

Un autre point ne doit pas non plus être passé sous silence. L'institution du suffrage universel pour les hommes fut le but et le résultat d'âpres combats entre les classes sociales. Mais les femmes ne constituent pas entre elles une classe sociale distincte dans le même sens. Elles sont au contraire représentées dans toutes les classes sociales presque dans la même proportion que les hommes. Ce que les hommes obtiennent pour leur classe, en particulier la quote-part du revenu national, cela profite aux femmes à peu près dans la même mesure. C'est pourquoi le refus des droits politiques à la femme est moins, ainsi que Max Huber l'a constaté, une
injustice sociale qu'une méconnaissance de sa dignité humaine. En revanche, il est exact que les femmes comme telles ont également à faire valoir envers l'Etat des intérêts communs qui s'opposent à ceux des hommes. Ces oppositions ne doivent toutefois pas être aussi marquées qu'entre les différentes couches sociales. Cela ressort déjà, comme nous l'exposerons plus bas, du fait que les femmes ne créent pour ainsi dire pas de partis politiques indépendants, avec leur propre programme et leur propre but, mais se repartissent aux côtés des hommes, et dans la même proportion à peu près, entres les différents partis existants et cherchent à y défendre les intérêts particuliers de leur sexe.

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II n'en reste pas moins que la participation de la femme aux affaires de l'Etat est une exigence de l'idée démocratique et par conséquent de la justice. Sans cette participation, le principe de la démocratie ne peut pas être entièrement réalisé. Les femmes ont le même droit que les hommes de bénéficier de la pleine liberté politique.

Il faut d'emblée faire une réserve très importante. Bien que l'idée démocratique soit incontestablement en Suisse le fondement de l'Etat et que son principe même ne puisse pas être mis en doute, il serait erroné de vouloir en déduire qu'elle devrait être réalisée sans égard à d'autres principes, ni même à la sûreté et à l'existence de l'Etat. Le principe fiât justitia, pereat mundus serait en l'occurrence un bien mauvais conseiller du législateur. Dans un article paru dans la Staatsbürgerin (1951, 5), le professeur Max Huber a relevé à raison que la politique est non seulement l'art du possible, mais avant tout l'art du réel; un acte politique, c'est-à-dire une loi, importe non seulement par sa justification et son but théoriques, mais avant tout par ses effets. Et il faut entendre par là l'ensemble de ses effets dans les circonstances données. C'est pourquoi le problème à examiner ici se pose de la manière suivante : Eu égard aux données juridiques, politiques et sociales, l'instauration du suffrage féminin en Suisse est-elle .aujourd'hui souhaitable ou non dans l'intérêt de la collectivité dans son ensemble ?

d. En résumé, on peut constater ce qui suit : La dignité de la personne humaine, qui caractérise la femme non moins que l'homme, exige en principe l'égalité des sexes aussi en matière de droits politiques. Mais comme l'égalité devant la loi, sainement comprise, ne postule l'égalité de traitement que si les conditions sont les mêmes, il faut encore examiner si sur certains points -- par exemple le service militaire --· il n'y a pas, quant à la situation de l'homme et de la femme envers l'Etat, des différences si accusées qu'une disparité de leurs droits politiques serait compatible avec le principe de l'égalité devant la loi, voire imposée par lui. On a vu en outre que si l'extension aux femmes du droit de vote est bien conforme à l'esprit de la démocratie, le perfectionnement de la démocratie est cependant limité par les exigences du bien commun, telles que
l'existence et la sûreté de l'Etat et la sécurité juridique. Y a-t-il en Suisse des motifs suffisants pour maintenir la discrimination actuelle en dépit des exigences de l'égalité de traitement et de la démocratie ? C'est ce que nous examinerons en même temps que les objections soulevées contre le suffrage féminin.

II. Les objections contre le suffrage féminin Les objections soulevées contre le suffrage féminin procèdent de deux idées: Les femmes ne remplissent pas les conditions requises (a). Les effets probables du suffrage féminin seraient défavorables (ß).

765 a. Les femmes remplissent-elles les conditions requises?

A cet égard, les objections suivantes ont notamment été formulées: Les femmes elles-mêmes ne désirent pas le droit de vote (1); l'Etat, c'est l'homme (2) ; les femmes ne font pas de service militaire (3) ; les femmes ne comprennent rien à la politique (4) ; la femme doit rester au foyer (5) ; l'institution du suffrage féminin ne répond pas à un besoin (6).

1. L'opinion des femmes elles-mêmes. L'objection le plus souvent opposée en Suisse au suffrage féminin consiste à prétendre que les femmes elles-mêmes ne désirent nullement le droit de vote ; la grande majorité des femmes suisses seraient non pas pour, mais contre son institution. Ce serait un non-sens d'accorder aux femmes une chose qu'elles ne demandent pas, mais refusent même directement. Cette objection n'est pas avancée seulement par les adversaires qui ont une opinion préconçue contre le suffrage féminin pour s'épargner la peine de chercher d'autres motifs. Même des gens qui se donnent sincèrement la peine d'examiner et de poser le pour et le contre s'achoppent à cet argument, car, s'il est établi que les femmes elles-mêmes ne désirent pas le droit de vote, toute autre discussion leur paraît superflue.

Ils donnent ainsi à cet élément le caractère d'une question préliminaire, à trancher avant toute autre. Un examen du problème ne s'imposerait dès lors que si la majorité des femmes souhaitaient l'innovation envisagée. Aussi convient-il d'examiner d'abord si cette manière de voir est exacte.

Ceux qui pensent que la question d'instituer le suffrage féminin ne se poserait pas si la majorité des Suissesses adultes n'en veulent point partent de l'idée qu'il s'agirait uniquement de témoigner aux femmes la gratitude du pays pour le rôle qu'elles ont joué pendant la guerre. S'il en était ainsi, la question serait en effet résolue par le refus de la majorité des femmes.

Elle serait même liquidée définitivement, puisque ce refus émanerait de la génération même qui s'est acquis la gratitude du pays. La reconnaissance des services rendus joue certainement aussi un rôle, du moins psychologique.

Ce n'est cependant pas l'élément décisif, et en tout cas pas le seul élément décisif. Comme on l'a exposé plus haut, deux autres points sont au contraire déterminants: L'égalité de traitement et le perfectionnement de la démocratie. Ces deux points sont
indépendants de la question de savoir si la majorité des personnes qui doivent obtenir le droit de vote y sont favorables ou opposées. Le droit à l'égalité de traitement appartient à chaque femme prise isolément, même si la majorité ne lui attribue aucune valeur. Et le perfectionnement de la démocratie n'est limité que dans l'intérêt supérieur de la collectivité. Il ne dépend pas non plus de l'opinion de la majorité des intéressés. Le droit de vote constitue d'ailleurs ime fonction organique ; il est non seulement un droit individuel, mais aussi un devoir civique, quand bien même le vote n'est pas obligatoire. C'est pourquoi on ne saurait régler la question du suffrage féminin en constatant que la

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majorité des femmes elles-mêmes n'en veulent pas. Même si cela était prouvé, la question resterait ouverte.

Aussi l'institution du suffrage féminin n'a-t-elle jamais été subordonnée à la preuve que la majorité des femmes y serait favorable. On n'a pas même fait dépendre l'instauration du suffrage masculin de l'assentiment de la majorité. H fallut ici aussi vaincre la résistance d'une partie de ceux qui devaient bénéficier de ce nouveau droit. Les choses ne se passèrent pas en Suisse autrement qu'à l'étranger. C'est d'ailleurs un fait d'expérience que l'initiative en faveur des progrès politiques et sociaux n'émane pas de la majorité. Ce sont toujours des précurseurs qui lancent une idée et cherchent à gagner d'autres personnes à leur cause. Souvent il a fallu de longs et difficiles combats et de grands sacrifices jusqu'à la victoire. Ainsi l'abolition du servage et de l'esclavage -- du reste en rien comparable à l'institution du suffrage féminin -- se heurta souvent à l'opposition de ceux qu'il s'agissait de libérer. L'institution du suffrage féminin ne tend pas à libérer la femme socialement ou politiquement, et l'avantage que les femmes en retireraient n'est pas aussi manifeste, mais beaucoup plus difficile à apprécier et plus problématique. Cela est tout particulièrement vrai en Suisse, où même sans suffrage féminin le statut général de la femme est très élevé.

C'est pourquoi il est si difficile de gagner chez nous les femmes à cette nouvelle idée. L'avis de la majorité des femmes n'a cependant pas la même portée que celui des hommes, puisqu'une revision de la constitution est nécessaire.

Cela ne veut naturellement pas dire que l'avis de la majorité des femmes adultes n'ait pas d'importance. Au contraire, il a une grande signification pour l'information du législateur. Il n'est pas indifférent pour l'Etat de savoir si le groupe de personnes qui doit être appelé à participer dorénavant à la formation de la volonté de l'Etat se désintéresse dans sa majorité des affaires publiques ou refuse même le droit de vote. Cela d'autant moins que les femmes formeraient probablement la majorité absolue du corps électoral. Il importe également d'être au clair sur cette question à cause de la procédure à suivre pour l'institution du suffrage féminin, car on peut raisonnablement supposer qu'une grande partie
des électeurs feraient dépendre leur décision de la question de savoir si la majorité des femmes désirent ou non le suffrage féminin.

Quel est en réalité l'avis des femmes elles-mêmes ? Nous manquons à cet égard de documents sûrs. H n'est pas douteux qu'encore après la première guerre mondiale la grande majorité des Suissesses ne manifestaient aucun intérêt pour les questions politiques. Les associations féminines qui luttent pour le suffrage féminin ont toujours dénoncé ce manque d'intérêt.

Mais en signant la pétition de 1929, un nombre considérable de femmes -- 170397 -- ont déjà marqué leur sympathie pour la cause du suffrage féminin. Même si certaines d'entre elles désiraient seulement que la ques-

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tion fût examinée, les signatures restantes correspondent au nombre de celles d'une initiative populaire ; mais ce nombre ne constitue cependant qu'une petite partie de la population féminine adulte. Il est en revanche manifeste que l'activité des protagonistes du suffrage féminin n'est pas restée sans succès. Cela ressort déjà du fait que l'association suisse pour le suffrage féminin, fondée en 1909, comprend aujourd'hui 33 sections, alors que l'alliance de sociétés de femmes suisses, fédération créée en 1900 et groupant la plupart des associations féminines, compte aujourd'hui environ 240 associations suisses, cantonales et locales et 17 centres de liaison.

Les trois consultations féminines auxquelles ont procédé ces dernières années les cantons de Genève et de Baie-Ville et la ville de Zurich donnent également certaines indications à cet égard. Comme on l'a vu plus haut, la grande majorité des participantes se sont prononcées en faveur du suffrage féminin (85%, 72,9% et 79,5%). Cela représente à Zurich plus des deux tiers des Suissesses adultes domiciliées, dans le canton de Genève et de Bàie-Ville en revanche pas tout à fait la moitié (soit 49,5 et 43,3%).

On peut néanmoins admettre qu'aujourd'hui la majorité des femmes de ces deux cantons sont également favorables au suffrage féminin. Mais il serait certes excessif de vouloir considérer la moyenne de ces trois consultations comme règle pour l'ensemble du pays. Kien ne permet de croire que le nombre des femmes favorables au suffrage féminin serait aussi élevé dans les autres cantons. Une statistique serait nécessaire pour fournir des chiffres précis.

Quoi qu'il en soit, il ne serait pas juste de subordonner l'instauration du suffrage féminin à la condition que la majorité des femmes le réclament.

2. La plupart des autres objections relèvent de la conception suivant laquelle l'Etat c'est l'homme. Il faut reconnaître que dès les origines et jusqu'en plein XIXe siècle, les affaires publiques ont été entre les mains de l'homme. La Révolution française n'avait rien changé à cet état de choses.

La prépondérance de l'homme dans la famille et l'Etat était considérée comme voulue par la nature, comme une loi de la nature. H fallut les deux guerres mondiales pour qu'un coup fût porté à l'idée selon laquelle la politique ne peut être que l'affaire
de l'homme. Ces deux guerres firent triompher l'idée du droit naturel que chaque être humain a droit à la même dignité.

La plupart des Etats en tirèrent la conclusion qu'il fallait accorder à la femme les mêmes droits politiques qu'à l'homme. Le droit naturel, pensaient-ils, s'oppose non seulement à ce qu'il y ait des sujets, des privilèges de lieu, de naissance, de personnes et de familles, mais aussi à ce que les sexes soient traités différemment. Nous avons cependant déjà relevé que l'idée de l'égalité de traitement proclamée par la doctrine du droit naturel -- et reprise par l'article 4 de la constitution fédérale -- n'exclut pas toute discrimination juridique. Une telle discrimination, si elle est fondée sur une différence importante des conditions de fait, est conciliable avec le principe de

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l'égalité de traitement. Le sexe peut être une de ces conditions de fait déterminantes dans la question des droits politiques. La femme doit-elle être ou non l'égale de l'homme dans l'exercice de ces droits ? Cela dépend de Bavoir si, malgré la reconnaissance des droits de l'être humain, la différence de sexe doit être considérée aujourd'hui encore comme un fait suffisant pour justifier une différence du statut politique.

3. Nous arrivons ainsi à l'argument qui consiste à dire que la femme ne fait pas de service militaire. H est aussi lié à l'idée selon laquelle les droits et les devoirs politiques sont réservés aux hommes. Ceux qui usent de cet argument pensent que la femme ne peut revendiquer le droit de dire son mot dans les affaires de l'Etat puisqu'elle n'est pas astreinte aux obligations militaires. Us lient ainsi le droit de vote au service militaire, conformément à une conception qui trouvait déjà son expression dans la landsgemeinde de l'époque ancienne, où seuls les citoyens en état de porter les armes avaient le droit de prendre la parole. Cette restriction paraissait d'autant plus naturelle que les décisions de la landsgemeinde étaient, au début, principalement de nature militaire. L'homme étant seul considéré comme capable de porter les armes, il pouvait seul être considéré comme habilité à voter. Le fait que, dans les deux cantons d'Appenzell, seuls les citoyens porteurs d'une épée ont accès à la landsgemeinde montre combien cette idée est encore vivante chez nous. Il est aussi hors de doute que notre armée de milices repose sur l'idée démocratique ·-- défendue par Rous^ seau -- selon laquelle chaque citoyen (mais seulement chaque citoyen actif) doit être soldat. On ne voulait, en principe, astreindre au service militaire que le citoyen actif, dans l'idée que le service militaire et le droit de vote sont liés l'un à l'autre. Et c'est dans ce sens que furent confondues, dans la suite, les notions de soldat et de citoyen et de peuple et d'armée.

Le professeur Kägi (p. 38 s. de son rapport) relève que cette corrélation n'existe plus et que l'introduction du suffrage féminin ne dépend pas de la question de savoir si la femme fait du service militaire. Il est exact que la plupart des cantons ont supprimé déjà avant 1848 le lien juridique entre le service militaire et l'exercice des droits
politiques et que ce lien n'a jamais existé dans l'Etat fédératif ; juridiquement parlant, le droit de vote ne dépend pas des obligations militaires, comme celles-ci ne dépendent pas de celui-là. Et cela demeure vrai si l'on comprend le mot «service militaire» non pas au sens étroit de l'article 18 de la constitution (service personnel), mais dans un sens large embrassant le paiement de la taxe d'exemption. L'exercice des droits politiques et le service militaire ne coïncident d'ailleurs pas dans le temps. Certes, l'exercice du droit de vote part du jour de la vingtième année et le service militaire part au commencement de l'année dans laquelle la vingtième année est accomplie.

Mais l'exercice des droits politiques continue sans restriction, même après la fin du service militaire. Il est dès lors exact, juridiquement parlant, que l'exercice des droits politiques ne dépend pas du service militaire.

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Mais ce fut toujours le cas. Jamais les citoyens exemptés du service militaire ou réformés ne furent privés du droit de vote. Ce n'est qu'à titre de principe qu'on a toujours considéré le droit de vote comme le corollaire du service militaire. Aujourd'hui d'ailleurs de nombreux Etats ne se soucient pas de ce principe et accordent le droit de vote aux femmes sans les astreindre au service militaire. D'autres Etats au contraire, consacrant cette corrélation, incorporent les femmes dans l'armée.

Il est juste de se demander, du point de vue de politique législative, quelles sont les tâches des femmes envers la collectivité, comparativement aux hommes astreints au service militaire. Car ce principe de l'indivisibilité des droits et des devoirs est encore valable aujourd'hui. En vue de l'introduction du suffrage féminin, le législateur doit donc tenir compte des tâches que les femmes accomplissent effectivement pour la défense nationale, en les comparant à celles dévolues aux hommes. Notre enquête a montré qu'en Suisse les femmes ne sont pas tenues au service militaire, comme en maints autres Etats. Leurs obligations ne se rapportent qu'à la protection civile et se limitent de plus à la garde d'immeubles ; à titre volontaire toutefois, les femmes peuvent accomplir un service militaire proprement dit. On voit par là que la défense du pays n'est plus confiée aujourd'hui aux seuls hommes comme autrefois. Les femmes également y prennent part. Outre cela, elles ont à remplir d'autres devoirs tout aussi importants pour la collectivité, mais que les hommes ne connaissent pas. Mentionnons par exemple les devoirs de la femme comme mère et comme maîtresse de maison. La tendance actuelle à la guerre totale exigera peut-être qu'à l'avenir les femmes soient encore mises plus fortement à contribution pour la guerre. Aujourd'hui déjà, l'article 202 de l'organisation militaire dispose qu'en temps de guerre les Suisses non astreints au service militaire doivent mettre leur personne à la disposition du pays et le défendre dans la mesure de leurs forces.

Dans ces conditions, l'objection que la femme ne fait pas de service militaire ne peut plus être considérée aujourd'hui comme un argument de poids contre l'institution du suffrage féminin.

4. Alléguer que les femmes ne comprennent rien à la politique, c'est soulever
une question de nature fondamentale. Cela revient à dire -- idée très répandue chez nous --- qu'elles n'ont pas les qualités intellectuelles indispensables à l'exercice des droits politiques, qu'elles n'ont pas les aptitudes psychiques et de caractère requises pour la politique et ne s'intéressent pas aux problèmes de cet ordre ; il leur manquerait en outre les connaissances et l'expérience nécessaires.

S'il devait être prouvé que ces particularité sont inhérentes au sexe féminin, il y aurait là une raison suffisante pour refuser aux femmes le droit de vote. Comme le reconnaît la consultation Kägi (p. 41), nous serions là en présence d'une inégalité de fait assez importante pour justifier l'inégalité politique tant du point de vue de l'égalité devant la loi que de celui

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de la démocratie. Mais existe-t-il vraiment de telles différences entre les deux sexes ?

Il convient de faire ici abstraction de toutes les particularités de la femme qui ne sont pas inhérentes à son sexe, à sa nature propre, mais qui ont leur origine dans les conditions historiques ou sociales. Ces particularités ne peuvent servir d'arguments de principe contre le suffrage féminin. Il en est ainsi par exemple du prétendu manque de formation et d'expérience politiques de la femme. Même si ces défauts étaient réels (ce qui pourrait être le cas pour l'inexpérience politique), ils ne seraient cependant pas irrémédiables. L'inexpérience politique est précisément un défaut que l'institution du suffrage féminin supprimerait assez rapidement. Elle ne peut donc être déterminante pour la question de principe et ne joue un rôle que dans la question du régime transitoire ou des modalités d'introduction (introduction graduelle par ex.). La même remarque vaut aussi, jusqu'à un certain point, pour le prétendu manque d'intérêt de la femme.

La femme prendrait plus d'intérêt pour les problèmes politiques au fur et à mesure qu'elle s'en occuperait davantage. Il faut en revanche accorder une importance de principe aux particularités inhérentes au sexe féminin, notamment à celles qui concernent l'intellect, le psychique et le caractère.

Aussi faut-il les examiner de plus près.

Ce serait nier l'évidence que de méconnaître que l'homme et la femme se distinguent fondamentalement l'un de l'autre au point de vue non seulement psychique, mais aussi intellectuel. H y a une façon féminine de penser, de sentir et de réagir qui diffère de celle de l'homme, encore qu'il soit souvent difficile de dire et même de discerner en quoi consiete la différence et que celle-ci apparaisse plus ou moins nettement suivant les individus.

Cstte différence des sexes peut se manifester en toute circonstance, notammsnt aussi devant les problèmes politiques. Il ne s'agit par conséquent que de savoir comment ce caractère particulier de la femme ferait sentir ses effets si la femme se voyait accorder l'égalité politique.

Les adversaires du suffrage féminin insistent beaucoup sur le fait que la femme n'est intellectuellement pas capable de s'occuper des problèmes de la vie politique. Ils affirment qu'elle est incapable de penser objectivement
et logiquement, ce qui est pourtant nécessaire à toute politique raisonnable. La thèse la plus extrême qui ait été défendue, dans cet ordre d'idées, à une époque relativement récente est celle du neurologue allemand Dr P.-J. Möbius, dans une brochure fort discutée qui parut en 1900 sous le titre Physiologischer Schwachsinn des Weibes et fut rééditée pour la huitième fois en 1907. Möbius essayait de prouver scientifiquement que la femma serait plus commandée par l'instinct que l'homme, qu'elle serait moins capable de discerner le bien du mal et que l'idée de justice détachée de la personne lui serait étrangère, notamment quand son propre intérêt est en jeu. La femme comprendrait et retiendrait bien, mais elle serait

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incapable d'un jugement indépendant et n'aurait pas un esprit créateur; de ce fait, comme aussi du fait de sa constitution physique et de son caractère, la femme serait tout naturellement subordonnée à l'homme. Les revendications du féminisme représenteraient pour la femme un effort intellectuel trop considérable, qui deviendrait source de nervosité et de maladie. Un peuple féministe devrait toujours céder devant un peuple sain. Möbius étaye sa thèse sur le fait que le poids absolu et le poids spécifique du cerveau de la femme sont inférieurs à ceux du cerveau de l'homme. A une époque plus récente, on a opposé à la thèse de Möbius celle de la supériorité de la femme (cf, A. Montague, The Naturai Superiority of Women, New York 1953).

Ni l'une ni l'autre de ces conceptions ne sont justes. On reconnaît aujourd'hui qu'il ne saurait être question d'une faiblesse intellectuelle innée de la femme, de cette imbecillitas sexiis, qui était invoquée autrefois pour justifier la tutelle exercée par l'homme sur la femme. La médecine paraît admettre aujourd'hui que l'intelligence ne peut se mesurer uniquement d'après le poids relatif du cerveau. La femme n'est plus traitée en mineure et possède la pleine capacité civile. Cette capacité est limitée tout au plus pour la femme mariée, mais pour des raisons inhérentes à l'unité de la famille. Dans la plupart des Etats, la femme a les mêmes droits politiques que l'homme, sans qu'il en soit résulté jusqu'à présent (comme nous le démontrerons plus loin) des conséquences fâcheuses. On a raison de dire que la femme pense souvent d'une autre façon que l'homme. La pensée de l'homme est plus abstraite, plus réfléchie, plus logique et objective ; celle de la femme est plus commandée par le sentiment, davantage concentrée sur la personne que sur la chose, sur le concret que sur le principe. Si la femme manque peut-être ici et là de logique, elle compense ce défaut par son bon sens pratique, qui lui permet souvent de discerner plus aisément ce qui est juste et essentiel. Si elle est plus exposée à tirer des conclusions subjectives, elle court moins le danger de sacrifier une solution juste à une conclusion ayant l'apparence de la logique. Il faut reconnaître que l'homme a joué jusqu'à présent un plus grand rôle dans la production intellectuelle et manifesté plus d'esprit
créateur. On peut l'expliquer, en partie historiquement, par le fait que la femme avait jusqu'à présent une situation subordonnée et était accaparée par ses tâches familiales. Mais on peut l'expliquer en partie aussi par le fait que la femme est de nature plus réceptive. Cette particularité lui vaut de craindre davantage les risques et d'être moins portée à la spéculation. Mais cela n'empêche pas que les femmes qui ont perdu leur équilibre sont plus extrémistes que les hommes qui se trouvent dans la même condition.

On ne peut donc pas dire que seul l'homme pense d'une manière politique et utile à l'intérêt général. En politique, comme dans d'autres domaines, l'homme et la femme se complètent l'un l'autre. Et cela devient toujours plus vrai, à mesure que l'Etat s'occupe davantage des problèmes

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sociaux, c'est-à-dire à mesure que les décisions a prendre obéissent moins aux exigences de la logique.

On ne saurait objecter à cela que les hommes sont, en Suisse, plus compétents en politique que les femmes. Certes, il en est ainsi en fait, mais cela est dû à la plus grande expérience de l'homme et non pas à sa nature propre. Appelé dès sa jeunesse, et sa vie durant, à s'occuper d'affaires et de problèmes politiques, l'homme est, naturellement, plus, expérimenté en ces choses que la femme, restée en dehors.

Il n'est pas contestable que la femme manifeste, en moyenne, moins d'intérêt pour la politique que l'homme et que son intérêt se limite à certains domaines. Cela provient partiellement du fait que la femme suisse a été jusqu'à présent tenue à l'écart de la politique. Mais même dans les Etats où la femme exerce les mêmes droits politiques que l'homme, on constate qu'elle témoigne en général moins d'intérêt pour la politique. Cette constatation vaut pour les femmes de tout âge, pour les célibataires comme pour les mariées.

Mais le phénomène est particulièrement prononcé chez les jeunes filles et les femmes d'un certain âge; il l'est moins chez les veuves et les divorcées.

On ne peut l'expliquer que partiellement par le manque de temps (accaparemont par les devoirs ménagers) et par une expérience insuffisante. Il faut reconnaître que les femmes s'intéressent en général peu à la politique, ce qui peut s'expliquer par le fait que des domaines importants de la politique sont étrangers à leur nature propre et ne touchent guère leiir sphère d'intérêts. Dans les pays qui ont instauré le suffrage féminin, on a pu constater que les femmes appelées à faire partie d'autorités limitent leur activité à des domaines bien déterminés: questions concernant la jeunesse, la femme, l'éducation, l'assistance et l'hygiène. Elles s'intéressent beaucoup moins aux problèmes concernant la défense nationale, la politique extérieure, les finances, les transports et les questions techniques. Il faut toutefois aussi constater que l'intérêt de l'homme pour la politique est souvent très faible --· ce que montre le pourcentage peu élevé de la participation aux scrutins -- et qu'il varie aussi d'un domaine à l'autre. Le cercle des intérêts est cependant encore plus limité chez la femme que chez l'homme.

C'est sans doute
un inconvénient, mais ce n'est pas une raison suffisante pour renoncer à faire participer la femme à la vie poh'tique. N'oublions pas d'ailleurs que les hommes marquent souvent peu d'intérêt pour les questions auxquelles les femmes vouent de préférence leur attention.

Il n'est ainsi pas établi que la femme ne serait pas préparée intellectuellement à l'exercice du droit de vote. Au contraire, la pensée féminine représenterait un complément appréciable.

La femme a-t-elle les aptitudes psychiques et le caractère que requiert la politique ? Il est très difficile dans ce domaine de juger d'une façon objective et de discerner l'apparence de la réalité. Aussi constatons-nous que les opinions sont fort divisées et que le choc des thèses est particulièrement violent.

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Nous ne pouvons pas traiter ici le sujet illimité des particularités du caractère féminin, sujet qui a occupé de tout temps les auteurs des différents pays et sur lequel la science se penche aussi depuis quelque temps.

Mais cela n'est pas non plus nécessaire, car on peut considérer comme périmée cette conception de l'infériorité morale et psychique de la femme.

Certes, des auteurs de renom (comme Schopenhauer, Nietzsche, Zola, Tolstoï et Lombroso) ont défendu, à notre époque, la thèse de l'infériorité de la femme avec une véhémence confinant au mépris. Néanmoins, l'idée chrétienne de la pleine dignité de la femme, à considérer comme un être humain de même valeur que l'homme quoique différent par le côté psychique et par le caractère, a prévalu dans toute la chrétienté et ailleurs encore. Cette idée a trouvé son expression dans le fait que la femme a conquis l'égalité politique dans presque tous les pays du monde.

Etant donné le but du présent message, il suffit d'examiner si l'on a raison de soutenir que la femme manque, dans le domaine psychique et dans celui du caractère, des aptitudes indispensables à l'exercice des droits politiques. Les objections de cet ordre peuvent être réduites à un dénominateur commun, qui est la thèse selon laquelle la femme n'agit pas uniquement d'après la raison et se laisse souvent conduire par les impressions du moment, ce qui fait qu'elle est particulièrement exposée au danger de subir le pouvoir de suggestion de personnalités fortes. Les tenants de cette thèse ne cessent de rappeler que ce sont les femmes allemandes qui ont porté Hitler au pouvoir, Cette particularité du caractère féminin expliquerait le manque de fermeté des décisions de la femme, accru encore par leur versatilité d'humeur. Ce manque de fermeté et d'indépendance du jugement ferait craindre que la femme ne favorise les partis extrêmes, n'attache une importance excessive à l'Eglise et ne cherche à assurer par des moyens inappropriés le triomphe d'idées acceptées sans esprit critique (mouvements pacifistes, etc.). Il y aurait ainsi lieu de redouter que les femmes n'acceptent une initiative populaire uniquement parce qu'elle serait lancée sous prétexte de servir la cause de la paix ou d'accomplir des progrès d'ordre social.

Il est évident que ce sont là des arguments de poids, qui devraient conduire
à rejeter l'idée du suffrage féminin s'ils étaient pertinents. Mais sont-ils vraiment pertinents ?

Nous avons déjà dit que la femme obéit moins à la raison que l'homme et qu'elle se laisse davantage conduire par le sentiment. Il faut ajouter que cette prédominance du sentiment se manifeste non seulement dans la pensée, mais aussi dans le caractère. C'est là un avantage appréciable, mais qui, comme toute qualité, peut devenir un mal et un danger en cas d'exagération. Il peut conduire aux conséquences extrêmes signalées par les adversaires du suffrage féminin. Mais les faiblesses de la femme sont compensées Feuille fédérale. 109e année. Vol. I.

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par des qualités qui sont aussi spécifiquement féminines. Mentionnons son sens pratique et concret. Elle est moins que l'homme, qui se fie à sa force, disposée à accomplir un acte téméraire ou à tirer les conséquences d'une théorie sans se soucier beaucoup des effets pratiques. On peut affirmer que le type féminin décrit par les adversaires du suffrage féminin n'est pas un pur produit de la fantaisie, mais qu'il représente quand même l'exception. Tout considéré, la participation de la femme aux affaires de l'Etat ne susciterait ni inconvénients ni dangers pour la collectivité. Elle constituerait plutôt un complément utile.

Les expériences faites jusqu'ici en Suisse quant à l'activité politique des femmes ne permettent en tout cas aucunement de dire que la femme ne serait pas douée pour la politique. Mais ces expériences sont cependant trop limitées -- notamment quant aux cercles des personnes --- pour qu'on puisse affirmer que les femmes ont, dans l'ensemble, les aptitudes et qualités requises pour la politique. Nous en sommes réduits ici aux expériences de l'étranger. Or les Etats qui ont instauré le suffrage féminin ont passé outre à toutes les objections. Ils n'ont pas rencontré de difficultés dans l'application. Leurs expériences semblent même montrer que les craintes exprimées sont vaines. Cela est vrai en particulier de l'objection selon laquelle les femmes se laisseraient plus fortement impressionner par les personnalités marquées.

Il n'est dès lors pas fondé de prétendre que la femme ne serait pas faite pour la politique.

5, II y a un lien intrinsèque entre ces questions et l'objection selon laquelle la place de la femme serait à la maison, objection qui est l'argument habituel des adversaires du suffrage féminin et auquel ils attachent le plus grand poids.

On entend dire par là d'une part que la femme devrait limiter son activité au foyer et à la famille, ce qui serait sa tâche et répondrait à ses aptitudes, et d'autre part que la femme ne devrait pas s'occuper de politique.

Comme l'expose le professeur Kägi (p. 44 s.), cette assertion repose sur l'idée que chaque sexe aurait son activité propre, l'homme s'occupant des affaires professionnelles et publiques, la femme vaquant aux travaux de la maison (ménage, éducation des enfants, etc.). On invoque à ce propos le droit naturel et des
raisons d'ordre historique et religieux.

Historiquement, telle fut bien la répartition du travail dans tout le monde et d'une manière presque exclusive jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.

Il n'a pas été prouvé que les femmes aient une fois joui de l'égalité politique avec les hommes ou qu'elles aient eu la haute main dans les affaires de l'Etat, abstraction faite du rôle joué par des reines et de l'influence de fait exercée par des femmes sans droit de vote. Ce n'est que dans la seconde

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moitié du XIXe siècle que cette répartition du travail a subi ses premières modifications appréciables, du fait que des femmes toujours plus nombreuses se vouaient à une activité professionnelle hors de la maison et que des droits politiques leur étaient accordés. Ce furent cependant les deux guerres mondiales qui apportèrent un changement radical en faveur du suffrage féminin.

Si l'on voit ainsi, d'après l'histoire, que la répartition traditionnelle du travail «a toujours existé», on doit aussi constater, en considérant les temps présents, qu'elle ne doit pas nécessairement demeurer ce qu'elle est. L'égalité politique des sexes n'a-t-elle pas été instaurée dans la presque totalité des pays civilisés ? Cette évolution est attribuée aux causes suivantes: la femme -- en particulier la femme seule -- est de plus en plus obligée d'exercer une profession hors du domicile ; d'importantes fonctions de la famille ont passé à l'Etat ; la femme s'émancipe progressivement dans divers domaines ; la femme est mieux préparée à exercer des activités hors de la famille. Nous avons déjà exposé que ces conditions sont aussi réalisées chez nous, dans une large mesure.

Les arguments d'ordre religieux que l'on avance pour défendre ou combattre l'idée du suffrage féminin méritent une attention particulière. Les adversaires du suffrage féminin invoquent surtout la parole bien connue de l'apôtre Paul: «Comme dans toutes les Eglises des saints, que les femmes se taisent dans vos assemblées; il ne leur est pas permis d'y parler, mais elles doivent être soumises, comme aussi la loi le dit. Si elles désirent s'instruire sur quelque chose, que chacune d'elles interroge son mari à la maison; car il n'est pas convenable pour une femme de parier dans l'Eglise» (1 Corinthiens 14:34 à 35). A cette parole biblique on en oppose parfois une autre, tirée de l'épître aux Galates (3:28), où il est dit: «II n'y a plus ici ni Juif ni Grec; il n'y a plus ni esclave ni libre; il n'y a plus ni homme ni femme, car, tous, vous êtes un en Jésus-Christ.» Comment faut-il interpréter ces assertions apparemment contradictoires ? On ne peut certainement pas affirmer qu'elles sont réellement contradictoires ou que, par la dernière, l'apôtre a voulu révoquer toutes les autres.

Paul envisageait, semble-t-il, des circonstances différentes. Il entendait
dire qu'il n'y a aucune différence entre l'homme et la femme dans leurs rapports avec Dieu et qu'ils sont égaux devant lui. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre l'épître aux Galates. En revanche, il ressort des autres passages de l'Ecriture que l'homme doit être le chef de l'union conjugale et prendre seul la parole dans les assemblées. Cela répond en tout cas à la conception chrétienne de l'époque. Alors que toutes les principales religions non chrétiennes sont des religions masculines, le christianisme, comme nous l'avons dit, a reconnu l'entière dignité humaine de la femme. De nombreux passages de la Bible en font foi. Le christianisme considère néanmoins qu'il est dans l'ordre voulu de Dieu que l'homme soit le chef de toute

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la famille et dise seul son mot dans les assemblées. On peut tout au plus se demander si cet ordre doit être tenu pour immuable ou non et s'il faut comprendre par les assemblées seulement l'Eglise ou aussi l'Etat. L'opinion prédominante est que les passages en question entendent proclamer aussi la prééminence de l'homme dans l'Etat. Pour le reste, les avis diffèrent.

Selon la doctrine protestante, les paroles de l'apôtre Paul ne s'opposent pas aujourd'hui à l'instauration du suffrage féminin dans un monde complètement différent de ce qu'il était alors. Dans l'Eglise catholique, il ne semble pas que la question ait été résolue en haut lieu ; la plupart des théologiens sont d'avis que l'apôtre Paul a émis des considérations qui valent aujourd'hui encore contre le suffrage féminin. Mais l'Eglise catholique n'en tire pas la conclusion que les femmes ne doivent pas exercer le droit de vote si l'Etat le leur accorde. Au contraire, le pape Pie XII, recevant en audience des organisations féminines italiennes le 21 octobre 1945, s'est exprimé en ces termes (Acta apostolica^ sedie, vol. XXXVII, 1945, p. 291): «La vostra entrata in questa vita pubblica è avvenuta repentinamente, per effetto dei rivolgimenti sociali di cui siamo spettatori; poco importa voi siete chiamate a prendervi parte; lascerete forse ad altre, a quelle che si fanno promotrici o compiici della rovina del focolare domestico, il monopolio della organizzazione sociale, di cui la famiglia è l'elemento precipuo nella sua unità economica, giuridica, spirituale e morale? Le sorti della famiglia, le sorti della convivenza umana, sono in giuoco ; sono nelle vostre mani; tua res agitur! Ogni donna dunque, senza eccezione, ha, intendete bene, il dovere, lo stretto dovere di coscienza, di non rimanere assente, di entrare in azione (nelle forme e nei modi confacenti alla condizione di ciascuna), per contenere le correnti che minacciano il focolare, per combattere le dottrine che ne scalzano le fondamenta, per preparare, organizzare e compire la sua restaurazione, A questo motivo impeUente per la donna di entrare nella via, che oggi si schiude aUa sua operosità, se ne aggiunge un altro : la sua dignità di donna. Ella ha da concorrere con l'uomo al bene della civitas, nella quale è in dignità uguale a lui. Ognuno dei due sessi deve prendere la parte
che gli spetta secondo la sua natura, i suoi caratteri, le sue attitudini fisiche, intellettuali e morali. Ambedue hanno il diritto e il dovere di cooperare al bene totale della società, della patria. ...» On considère aussi la répartition des tâches dont nous avons parlé plus haut comme une chose naturelle, un élément de l'ordre de la création, une règle de droit naturel. C'est l'idée exprimée sous une forme poétique par Schiller dans son poème Ehret die Frauen. La femme a en effet pour vocation naturelle de mettre au monde des enfants, de les élever, de leur donner des soins et de former leur caractère et leur esprit. Ces tâches la retiennent à la maison, alors que le mari a l'obligation naturelle de pourvoir à l'entretien et à la protection de la famille. Dans ce sens, on peut parler de répartition naturelle des tâches. Cependant, seule la femme mariée est attachée à la maison, et non la femme célibataire, veuve ou divorcée, qui doit souvent

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gagner elle-même son pain. Ce phénomène a d'autant plus d'importance aujourd'hui que le cercle de la famille s'est rétréci et que les filles non mariées doivent plus qu'autrefois pourvoir elles-mêmes à leur entretien.

Mais les femmes mariées doivent aussi, plus souvent qu'autrefois, gagner hors du foyer. C'est pourquoi la femme n'est plus autant attachée à la maison qu'autrefois. On peut certes regretter la désagrégation croissante de la famille, déjà pour cette raison que la femme est de plus en plus enlevée à sa tâche naturelle, au détriment de la famille et de l'Etat et à son propre préjudice, étant donné qu'elle a ainsi une double tâche qui peut dépasser ses forces. Cette évolution est cependant un fait qui n'a rien à voir avec le suffrage féminin. L'un et l'autre sont la manifestation de l'émancipation de la femme et ont la même origine : les changements profonds qu'ont subis les conditions et conceptions politiques et sociales. Certes, on a raison de dire que l'instauration du suffrage féminin représenterait pour la femme non seulement des droits, mais aussi des devoirs nouveaux qui s'ajouteraient à ceux de la profession et du ménage. Mais jusqu'à présent, aucune difficulté ne s'est produite de ce fait dans les Etats qui ont institué le suffrage féminin. La démocratie suisse, il est vrai, met plus largement les citoyens à contribution. Il semble cependant que chez nous l'accomplissement des devoirs politiques ne représenterait pas pour la femme une charge telle qu'elle aurait vraiment de la peine à s'acquitter encore de ses obligations familiales.

Bien que la famille n'ait plus la même cohésion qu'autrefois, il demeure sooiologiquement vrai que la place de la femme est au foyer. Mais il serait faux d'en tirer la conclusion que le suffrage féminin doit être rejeté.

6, Nous devons enfin examiner ce que vaut l'argument de l'absence de besoin. Selon les adversaires du suffrage féminin, cette innovation ne répondrait en Suisse à aucune nécessité, étant donné que les femmes ont déjà la possibilité de manifester et de faire valoir leur volonté en matière politique; l'expérience montrerait d'ailleurs que la Suisse ne s'en est pas plus mal tirée sans le suffrage féminin que les Etats où la femme a les mêmes droits politiques que l'homme; il y aurait donc un risque qu'il serait sage de ne pas couru-.
n est possible que les femmes -- surtout les plus capables -- agissent indirectement sur la politique par l'influence qu'elles exercent sur leur mari, leurs fils ou leurs frères. Nos auteurs, tels que Pestalozzi, Gotthelf et Gottfried Keller, en donnent quelques exemples impressionnants. Il semble même que nos Suissesses influent plus sur les destinées de leur pays que les femmes de nombreux Etats qui ont instauré le suffrage féminin. A cela on objecte, avec raison, que l'idée de justice n'est pas satisfaite pour autant et qu'il s'agit de donner à la femme le droit de participer, sur pied d'égalité avec les autres citoyens actifs, à la formation de la volonté de l'Etat. Il y a lieu d'ajouter cette remarque, toute pratique, que les femmes

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célibataires ne peuvent guère exercer cette influence indirecte et que les femmes privées du droit de vote n'ont que peu la possibilité de faire aboutir les revendications spécifiquement féminines; le problème de l'institution du suffrage féminin en est précisément un exemple.

Il est plus difficile d'apprécier si l'intérêt général exige que la femme demeure à l'écart de la politique. Dire que la participation des femmes ne changerait pas grand-chose à la politique en général et n'apporterait probablement pas d'améliorations appréciables n'est en tout cas pas un argument suffisant .contre le suffrage féminin. Mais les constatations qu'on a pu faire et les expériences de l'étranger ne permettent guère non plus de dire que l'intervention des femmes dans la politique serait une cause d'inconvénients et de dangers. On doit, admettre, au contraire, que l'institution du suffrage féminin animerait fort utilement la vie politique dans les domaines où les femmes se montrent particulièrement qualifiées.

ß. Les effets

probables du suffrage

féminin

La question, que nous venons de traiter, de savoir si la femme remplit les conditions requises pour l'exercice du droit de vote est étroitement liée à celle des effets qu'aurait, en Suisse, le suffrage féminin, quelles conséquences il en résulterait en matière politique, pour la famille et pour la femme elle-même, et quelles difficultés pratiques se produiraient. Les expériences faites à l'étranger permettent de tirer quelques conclusions prudentes de portée générale, de nature à nous faciliter la décision à prendre.

1. Faut-il penser que l'institution du suffrage féminin exercerait une influence profonde sur la vie politique suisse ? Dans quel sens cette influence se ferait-elle probablement sentir ?

a. Dans un régime démocratique, où la majorité fait la loi, et où les suffrages sont comptés et non pas «pesés», la question de la proportion des femmes électrices par rapport aux électeurs masculins est de toute importance.

an. En décembre 1950, les hommes habiles à voter étaient au nombre de 1 403 731. Aucun dénombrement n'a cependant encore constaté le chiffre des femmes qui auraient le droit de vote au cas où le suffrage féminin serait institué. Le bureau fédéral de statistique a fait un calcul approximatif et est arrivé au chiffre 1 545 383.

Il en ressort que les femmes auraient chez nous, presque partout, la majorité absolue. Le pourcentage serait le suivant: femmes 52,4 pour cent, hommes 47,6 pour cent. Le tableau suivant, dont les chiffres (sauf pour la Suisse) sont empruntés au Lexikon der Frau (vol. I, p. 114), montre les proportions générales.

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Proportion dos femmes par rapport à la population totale Pour-cent masculin

Etat

Suisse 1950 Pologne 1949 France 1950 Angleterre et Wales 1948 Etats-Unis

. .

.

.

.

.

. . . .

.

.

.

, .

.

46 4 468 47,6 47,6 48,1 48,2 48,5 49,6

Pour-oei léminii

53,6 53,2 52,4 52,4 51,9 51,8 51,5 50,4

En matière fédérale, la majorité absolue est déterminante d'une manière tant positive que négative. Une majorité négative empêche toute modification de la loi ou de la constitution et toute adoption d'une loi nouvelle, tandis qu'une majorité positive impose n'importe quelle loi nouvelle ou revision de la loi. Une majorité positive peut même imposer des modifications de la constitution si elle se retrouve dans les cantons ou du moins s'il n'y a pas une majorité négative dans la plupart des cantons.

Cela ne signifie cependant aucunement que l'institution du suffrage féminin se traduirait par une hégémonie des femmes. Pour que les hommes soient majorisés par les femmes, il faudrait que la participation féminine soit au moins à peu près égale à la participation masculine et qu'il n'y ait pas une forte proportion de femmes qui votent pour des hommes, à l'inverse de ce qui se passe en réalité. Certes, ce sont là des choses qui peuvent arriver. Mais il n'est pas du tout sûr que ce soit habituel. Les expériences faites dans les autres pays montrent avi contraire que les femmes ne constituent pas entre elles une unité politique s'opposant aux hommes. Elles se rattachent aux différents partis que constituent le plus souvent les citoyens ayant les mêmes idées dans le domaine social ou économique ou les mêmes conceptions générales. La question de savoir auxquels de ces partis va la préférence des femmes est donc très importante.

bb. Qu'en est-il de la participation de la femme aux élections et votations ? Le rapport établi par le professeur Duverger à la demande de l'ONU (p. 15s.) constate d'une façon générale que les abstentions sont plus nombreuses chez les femmes que chez les hommes. Ce fait est apparu nettement en Allemagne, France et Norvège. En Yougoslavie où la différence oscille entre 0,66 et 1,56 pour cent il apparaît moins nettement que dans les Etats libéraux. En Allemagne occidentale, entre 1920 et 1930, la participation des femmes aux scrutins a été phis faible de 5 à 15 pour cent dans la plupart des cas et de moins de 5 pour cent dans un septième des cas seulement ; entre 1945 et 1953 en revanche, elle a été plus faible de 5 à 10 pour cent et de 5 pour cent dans un quart des cas. En Norvège, depviis 1901, la participation féminine n'a jamais été de moins de 6,38 pour cent

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plus faible lors des élections générales et de 7,7 pour cent lors des élections communales, l'écart allant parfois jusqu'à 19,39 et 24,1 pour cent. Pour la France, cet écart peut être estimé à environ 12 pour cent. Toutefois, il est aussi arrivé que la participation des femmes soit plus forte que celle des hommes; en Allemagne le fait ne se produisit que lors des élections de la constituante en 1919 et deux fois lors des élections au Landtag. En Norvège aussi la participation des femmes a parfois été dans quelques villes plus forte que celle des hommes, ce qu'expliquent des circonstances locales (absence de nombreux pêcheurs et marins). L'écart a plutôt tendance à diminuer.

Les abstentions chez les femmes sont plus fréquentes à la campagne qu'en ville, mais l'écart tend à s'équilibrer. L'âge moyen est celui de la participation la plus forte. En France ce sont les femm.es de 50 à 55 ans (hommes 60 à 70), en Allemagne les femmes de 51 à 60 ans (hommes 60 à 70) qui votent le plus. En Allemagne, la différence entre les hommes et les femmes est plus faible chez les jeunes que pour les autres classes d'âge. Le classement selon les professions révèle en Allemagne occidentale le taux de participation le plus fort chez les fonctionnaires (en particulier les institutrices), les femmes mariées sans profession et les femmes exerçant une profession libérale; le taux de participation le plus faible est celui des employées agricoles, des ouvrières, des employées et des paysannes. La situation est analogue en France, où la participation est là plus faible chez les retraitées et les pensionnées, les employées agricoles, les paysannes et les femmes sans profession, tandis qu'elle est la plus forte chez les fonctionnaires, les professions libérales et les employées de commerce. Le classement d'après l'état civil montre que c'est chez les femmes sans profession, les fonctionnaires célibataires, les veuves et femmes divorcées, qu'il y a le moins d'abstentions, tandis que chez les hommes la participation des veufs est la plus forte, puis vient celle des hommes mariés, des célibataires et des divorcés.

D'une manière générale, la participation des femmes aux scrutins était donc, dans ces pays, plus faible pour les femmes que pour les hommes.

Le fait que l'ensemble des femmes représente une force électorale plus grande
se trouve ainsi plus que compensé.

ce. Quelle est la représentation numérique des femmes au parlement, au gouvernement et dans l'administration ?

Voyons tout d'abord la représentation au parlement. Bien que les femmes constituent la majorité absolue du corps électoral, elles ne sont, et de loin, pas si fortement représentées que les hommes. Nous nous référons ici au rapport Duverger (p. 84 s. ) et aux indications du Lexikon der Frau (vol. 2, p. 850).

En France, l'Assemblée nationale élue en 1951 comprenait seulement 3,5 pour cent de femmes, tandis qu'en 1946 elle en comptait 6 pour cent.

La première constituante comptait 5,4 pour cent de femmes, la deuxième

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4,7 pour cent ; 22 femmes avaient été élues au Conseil de la République en 1946; il y en avait encore 13 en 1948 et 9 en 1952, soit moins 3 pour du cent. Ces femmes occupent environ 3 pour cent des sièges dans les conseils municipaux et à peine 0,5 pour cent dans les conseils généraux.

En Norvège, le nombre des femmes membres du Storting est d'environ 5 pour cent, celui des suppléantes en revanche atteint presque 19 pour cent. Dans les conseils municipaux, elles sont représentées dans une proportion de 6 pour cent (soit 13,5% dans les villes et 4% pour les campagnes).

Sous la république de Weimar, les femmes élues au Reichstag représentaient au début 9,6 pour cent, puis 8 pour cent en 1920 et 5,7 pour cent en 1924. Ensuite, cette proportion oscilla entre 6,6 et 7 pour cent, pour le Landtag entre 5 et 9 pour cent. La proportion des femmes élues au Bundestag de la république de Bonn est relativement élevée. Elle était de 9 pour cent en 1949 et atteignit 9,2 pour cent en 1953. Dans les Länder, elle passa en moyenne de 7,4 pour cent en 1950 à 8,2 pour cent en 1951.

Même en Yougoslavie on retrouve des pourcentages analogues, bien que les conditions politiques y soient essentiellement différentes. En 1945, le «Conseil fédéral» comptait 3 pour cent de femmes et le «Conseil du peuple» 7 pour cent, en 1949 respectivement 2,7 et 8,8 pour cent. Dans les comités populaires locaux, la proportion des femmes variait entre 5,75 et 14,05 pour cent.

A la «Chambre des Communes» de Grande-Bretagne, sur 625 députés 17 femmes (2,7%) furent élues en 1953 (contre 24 en 1945). Elles sont inéligibles à la Chambre dés Lords.

Aux Etats-Unis, le Congrès comptait 12 femmes en 1952, dont 11 siégeaient à la Chambre des représentants (531 membres) et une au Sénat.

Bien que l'égalité politique de la femme soit reconnue aux Etats-Unis, le parlement ne comprend que 2 pour cent de femmes.

L'Italie a élu en 1950 38 femmes à la Chambre des députés (7%) et 4 au Sénat (2%). La Chambre belge des représentants comprenait 6 femmes en 1949 et le Sénat 7. Aux Pays-Bas, en 1953, 9 femmes siégeaient dans la seconde chambre (9%) et deux dans la première (2%).

Les plus fortes représentations feminines sont celles des pays nordiques et de la Russie soviétique. Le Riksdag suédois comprend notamment 28 femmes (13,9%) et la première chambre 6
(4,2%). Depuis 1953, 22 femmes siègent au parlement danois (10%), tandis qu'en Finlande la représentation féminine varie entre 5,5 et 9,5 pour cent. Elle est de 17 pour cent au Soviet suprême de FU. R. S. S.

Ces chiffres montrent -- exception faite de la Russie soviétique et de la Suède -- que les membres féminins d'aucun parlement des pays sus-

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mentionnés ne détiennent plus de 10 pour cent des sièges, alors que le nombre des électrices dépasse 50 pour cent. La représentation des femmes paraît plutôt en baisse. Les chiffres ne donnent aucune indication sur les causes de cette faible représentation. Le manque de candidates qualifiées n'est sans doute qu'une des causes. Cela ressort du fait que la proportion des candidats élus est en fait sensiblement plus faible pour les femmes que pour les hommes. Il faut en déduire que les femmes elles-mêmes préfèrent les candidats masculins.

A la faible représentation des femmes au parlement correspond leur faible participation au gouvernement et dans les administrations. Le rapport Duverger (p. 98s.) montre que très peu de femmes accèdent au gouvernement. En Norvège, depuis l'instauration du suffrage féminin il y a une cinquantaine d'années, il n'y a eu que deux femmes ministres, leur activité se limitant à des questions sociales et n'ayant pas d'influence politique.

Jusqu'en 1954, quatre femmes avaient été élues ministres en GrandeBretagne (pour l'éducation, le travail et les assurances sociales), quatre aussi aux Etats-Unis, trois en Finlande, une au Danemark (justice), une également aux Pays-Bas, en Israël et en Yougoslavie, tandis qu'en Allémagne, en Italie et en France aucune femme n'a encore assumé pareille fonction. Dans plusieurs Etats, des femmes ont été nommées sous-secrétaires d'Etat, mais en nombre relativement restreint, par exemple en France, aux Pays-Bas et aux Etats-Unis.

Les femmes sont un peu mieux représentées dans l'administration.

En Yougoslavie, elles constituent même 40,1 pour cent de l'effectif, en Allemagne 25 pour cent, en Norvège 11,3 pour cent. En revanche, la proportion des femmes occupant des fonctions supérieures est partout beaucoup plus faible et n'atteint pas 5 pour cent en moyenne.

dd. Enfin, il faut encore relever que, d'après les expériences faites jusqu'à présent, le champ d'activité matériel des femmes au parlement et au gouvernement est également limité. Les femmes se voient presque toujours attribuer dans le gouvernement des postes relatifs à l'éducation et aux activités sociales. Au parlement, les femmes se confinent elles-mêmes à ces domaines. Duverger (p. 95) résume ainsi les constatations qu'il a faites à ce propos dans son enquête sur la question en
France et en Allemagne : Les femmes occupent très rarement la position de leader politique; il y eut cependant quelques exceptions, notamment en Allemagne Clara Zetkin, Rosa Luxembourg, Hélène Wessel et Louise Schröder. Au parlement, les femmes interviennent plus rarement que les hommes. Elles se spécialisent dans certaines questions déterminées (hygiène publique, famille, éducation et questions féminines). Il ressort de ces faits que la direction politique est restée l'apanage des hommes et que l'octroi du droit de vote aux femmes ne leur a pas donné, et de loin, une influence politique com-

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parafale à celle de l'homme. Les résultats que les femmes en attendaient n'ont ainsi été obtenus que dans une faible mesure.

6. La nature de, l'influence exercée par le suffrage féminin n'est pas moins importante que son intensité. H importe de savoir quel est dans les autres pays le comportement des femmes envers les partis politiques, l'Eglise, l'armée et les personnalités dirigeantes, ce qu'il en est de la stabilité de leur vote, comment leur collaboration influe sur le niveau politique et quelle est l'attitude des partis d'hommes à l'égard des femmes. Même si les femmes ne sont élues qu'en nombre restreint au parlement, au gouvernement ou à d'autres postes importants, il est cependant intéressant de connaître leur opinion sur les questions essentielles, car même sans participer en nombre aux scrutins, elles peuvent faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre.

aa. L'élément primordial est de savoir à quels partis politiques les femmes donnent la préférence, ce qui permet de connaître en même temps leur position envers les plus importantes questions de la politique et l'Etat en général. Dans ce domaine également, une comparaison avec l'étranger donne d'utiles renseignements (cf. Duverger p. 46 s., 85 s., 104 s.), sous une réserve toutefois. En Suisse, en effet, le citoyen actif a non seulement l'électorat, soit le droit de participer à l'élection de personnes, mais aussi le droit de vote, c'est-à-dire le droit de se prononcer sur des questions non moins importantes.

L'enquête des Nations Unies a montré qu'il est extrêmement rare que les femmes aient leurs propres partis politiques. Et lorsque de tels partis existent, comme par exemple le «parti des femmes allemandes» en Allemagne, ils ne défendent guère, par rapport aux hommes, d'autre intérêt particulier que celui de mieux réaliser l'égalité de droit que les femmes ont acquise. Seules les associations de femmes antifascistes de Yougoslavie avaient des buts politiques au sens large du terme. Pour l'essentiel, les femmes poursuivent les mêmes buts que les partis des hommes, auxquels elles se rallient. Elles sont toutefois peu portées à en devenir membres.

Elles constituent moins du quart des effectifs. Ce sont les partis à tendance confessionnelle qui présentent la plus forte participation féminine (Allemagne occidentale 30%, France
28%). En deuxième rang viennent les partis socialiste (18 à 20%) et communiste (en Prance 20%). Ce sont les maîtresses de maison, les catholiques et les femmes de plus de 50 ans qui deviennent le plus souvent membres de partis politiques. Au sein même du parti, les femmes jouent un rôle effacé. Bares sont celles qui se mettent en vedette.

Elles font aussi rarement partie des comités. En revanche, il y a dans presque tous les partis des comités particuliers et sections de femmes, qui possèdent toutefois rarement une réelle autonomie. Leur principale raison d'être est de recruter des femmes. Cette influence limitée et le manque de candidates expliquent pourquoi relativement peu de femmes figurent sur les listes électorales.

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H ne faut pas sous-estimer en revanche l'influence indirecte des femmes sur les partis et par là sur la politique. Comme les femmes forment la moitié du corps électoral, les partis ont un grand intérêt à les avoir pour membres ou du moins à pouvoir compter sur leurs suffrages aux élections, A cette fin, ils sont obligés d'avoir égard aux femmes et à leurs désirs dans la préparation de leurs programmes, lors du choix de leurs candidats -- même si ce sont des hommes -- et dans leurs prises de position sur des questions politiques en général. Cette influence indirecte n'est pas moins importante que quelques sièges au parlement.

Ont également leur importance les associations féminines qui ne sont pas constituées en parti politique, mais ont des buts professionnels, sociaux, religieux et analogues. Souvent elles ont cependant des affinités étroites avec un parti politique déterminé, en particulier le parti conservateur ou le parti communiste.

Ce qui est toutefois décisif, c'est de savoir pour quels partis les femmes votent. D est intéressant de constater tout d'abord à ce propos que d'une manière générale les femmes mariées votent pour le même parti que leur mari. C'est régulièrement le cas aux Pays-Bas dans 92 pour cent des cas, pour 88,9 pour cent en Norvège, 89 pour cent en France, soit en moyenne pour 90 pour cent environ. Cette concordance s'accentue avec l'âge. Elle est surtout accusée dans les partis communiste (96%) et paysan (90%), et un peu moins dans les partis conservateur (79%) et libéral (71%). La forte proportion des électeurs mariés (en Suisse, environ 66% pour les hommes et 60% pour les femmes) restreindrait dans une mesure considérable l'influence du suflrage féminin sur la formation des diverses tendances politiques. Le fait que la femme peut souvent faire pencher la balance ne paraît pas devoir y changer grand-chose. L'influence principale sera par conséquent exercée par les autres femmes, soit les célibataires, les divorcées, les veuves et 10 pour cent des femmes mariées.

Pour quels partis la femme vote-t-elle ? Lors des élections de la République, fédérale. d'Allemagne de septembre 1953, les deux sexes votèrent de la manière suivante pour les différents partis: Partii, Parti communiste allemand

Parti social-démocratique allemand Parti radical-démocratique allemand Gesamtdeutscher Block --· Bund der Heimatvertriebenen und Entrechteten Union chrétienne-démocratique Autres Blancs .

F

29

68

TMme8 2 27 10

s

°TM*es

M 35

32 11

6

6

45 7 3

38 8 2

100

100

63

785

Pour les élections parlementaires norvégiennes de 1949 les chiffres correspondants sont les suivants: r Femmes Hommes Partis Communistes . . , .

Socialistes Agrariens Libéraux Chrétiens démocrates Conservateurs . . . ,

%

50 50

3 47 10 14 8 18 100

% 6 58 52 11,5 16 42 3 11,5

100

Par conséquent, les différents partis norvégiens se composaient d'hommes et de femmes dans la proportion suivante: Foffimes HommeB Partie Communistes Socialistes Agrariens Libéraux Chrétiens démocrates Conservateurs

% 24 40 38 40 65 53

% 76 60 62 60 35 47

Pour la France, les chiffres correspondants sont les suivants (1952): , Partis Communistes . . . . . . . . . .

Socialistes Mouvement républicain populaire Rassemblement des gauches républ Modérés Rassemblement du peuple français . . . .

Femmes o//û

Hommes
39 41 53 36 53 53

61 59 47 64 47 47

D semble ressortir de ces chiffres que dans les pays considérés les femmes tendent plus que les hommes à soutenir les partis de droite. Le rapport Duverger (p. 51) exprime cette idée en ces termes: «Le caractère plus conservateur du vote féminin paraît difficilement contestable», pourvu que sous «conservateur» on comprenne partout la même chose. Zurkuhlen («Die Reichspräsidentenwahl und die Frauen», dans Jahrbücher für Nationalökonomie und Statistik, v. 83, p. 99) prétend même qu'en Allemagne lors des élections au Reichstag, le parti communiste aurait toujours inspiré une répulsion marquée aux électeurs féminins.

Les résultats de la consultation féminine de 1955 à Zurich confirment ce phénomène. Le rapport susmentionné fait observer à ce propos (p. 12): «Le résultat le plus surprenant de notre recensement par quartiers consiste en ceci que les adversaires du suffrage féminin intégral ou partiel sont plus nombreuses dans les quartiers typiquement ouvriers, tandis que ses

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adeptes se recrutent surtout dans les quartiers du Zürichberg, de Hottingen, de Fluntern et Witikon, de même que dans le quartier de Weinegg, dans le 8e arrondissement.» Une enquête faite en 1951 dans le canton de Vaud par le groupement romand pour l'étude du marché avait donné des résultats analogues. Hommes et femmes des milieux les plus aisés se sont montrés partisans du suffrage féminin, tandis que dans les milieux économiquement faibles on rencontrait relativement le plus d'opposants.-La consultation féminine de Baie a de même révélé que sur l'ensemble des femmes appelées à se prononcer, ce sont les employées et les femmes d'employés -- et non les femmes des milieux ouvriers -- qui se sont montrées le plus nettement favorables au suffrage féminin.

Ces resultate sont, de fait, surprenants, car ce sont toujours les partis de gauche qui ont préconisé le suffrage féminin et le défendent aujourd'hui encore, tandis que les autres partis se montrent plus réticents. En outre, dans les Etats qui ont adopté le suffrage féminin, ce sont les partis de gauche qui ont réalisé le mieux l'idée de l'égalité des femmes, comme nous le montrerons plus bas. L'influence des considérations religieuses, plus prépondérante chez les femmes, est peut-être une des raisons de leur tendance à rallier plutôt les partis de droite, comme l'indique le rapport Duverger (p. 50).

L'attitude particulièrement réticente de la population catholique sirisse envers le suffrage féminin paraît contredire dans une certaine mesure ce qui vient d'être dit; c'est d'ailleurs ce que relève aussi le rapport sur la consultation féminine zurichoise de 1955 (p. 16). La chose ne s'explique qu'en partie du fait que la population catholique est en majorité campagnarde. Elle est davantage le fait de l'attitude de l'Eglise catholique. Celleci désirerait éviter l'instauration du suffrage féminin dans l'intérêt de la famille, quand bien même les préférences des femmes vont plutôt au partis de droite.

Il reste encore à déterminer à quels partis profiterait l'institution du suffrage féminin. En effet, d'autres facteurs sont aussi en jeu, tout particulièrement le degré de participation des femmes aux scrutins dans les différents partis. Le rapport des forces des partis ne changerait pas si le recrutement des femmes était proportionnel pour chacun d'eux
à son effectif actuel. Seul le nombre absolu des suffrages exprimés serait modifié (à peu près doublé); le rapport des partis entre eux resterait exactement le même.

En revanche, leur force relative changerait si la répartition des femmes entre les partis n'était pas uniforme ou s'il se produisait entre eux un déplacement du taux de participation aux scrutins. Or la participation des femmes aux scrutins dans les différents partis dépendrait surtout de savoir s'ils appliquent ou non le vote obligatoire. Dans les partis qui pratiquent le vote obligatoire, le taux de participation aux scrutins se maintiendrait probablement malgré l'apport des femmes, tandis que dans les autres partis cet apport ferait baisser le taux de participation, au détriment de ces partis.

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II convient d'examiner ici dans quelle mesure les divers partis mettent les femmes à contribution. Nous nous limiterons à quelques indications sur le nombre des femmes-députés : En 1953 le Bundestag de l'Allemagne occidentale comptait: Parti social-démocrate 21 femmes = 46,7% » chrétien-démocrate 19 femmes = 42,2% de toutes les » libéral 3 femmes = 6,7% femmes élues » des réfugiés 2 femmes = 4,4% Total 45 femmes = 100 % En 1951, l'Assemblée nationale française comptait: Parti communiste . . . . . . 15 femmes -- 68,2% 1 3 femmes -- 13 6% de toutes les )> socialiste , ,.

3 femmes ~ 13 6% femmes élues » MRP . . . . . 1 femme -- 4.6% » RPF Total 22 femmes = 100 % Au Conseil national autrichien, en 1949 siégeaient neuf femmes. Sept d'entre elles appartenaient au parti populaire autrichien, les deux autres au parti socialiste.

Au parlement norvégien, presque toutes les femmes-députés sont membres du parti socialiste, tandis que le parti conservateur envoie proportionnellement le plus de femmes siéger dans les conseils municipaux.

Ainsi, dans la République fédérale d'Allemagne, en France et en Norvège ce sont les partis de gauche qui ont accordé à la femme la plus large représentation au parlement. En Autriche, c'est un parti bourgeois qui l'a fait.

66. Les expériences faites à l'étranger sont intéressantes non seulement du point de vue de la politique des partis, mais aussi parce qu'elles permettent de juger si, en matière d'élections, les femmes manquent de la stabilité nécessaire et en particulier se laissent influencer par les nouveaux partis, les leaders politiques et les slogans. A cet égard, on peut tirer les déductions suivantes de ces expériences.

En ce qui concerne la stabilité en général des suffrages exprimés par les femmes, le rapport Duverger (p. 68s.) relève que les statistiques établies en Allemagne et en Autriche seraient plutôt de nature à infirmer les craintes émises; à nombre d'égards ces suffrages seraient même moins variables que ceux des hommes.

En général, on serait enclin à admettre que les femmes se tournent davantage vers les nouveaux partis. En réalité, pas plus en France lors de l'avance du «Mouvement républicain populaire» de 1945/1946 et du «Ras-

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semblement du peuple français »en 1951 qu'en Allemagne lors de la montée du mouvement national-socialiste de 1930/1933, les femmes ne se seraient laissées entraîner plus que les hommes par ces mouvements; parfois même le contraire se serait produit.

Il est aussi intéressant de savoir si les femmes sont plus sensibles à l'influence de chefs politiques. C'est ici qu'il convient d'examiner de plus près l'allégation des adversaires du suffrage féminin selon lesquels les femmes surtout auraient contribué à l'ascension d'Hitler. Etant donnée l'importance de la question, il serait utile de disposer de documents statistiques à ce sujet. Mais une difficulté provient de ce qu'en règle générale, les suffrages exprimés par les femmes n'ont pas été comptés séparément de ceux des hommes. Dans quelques cas cependant, aussi bien en France qu'en Allemagne, ces suffrages ont été l'objet de dénombrements distincts.

Compte tenu de l'enquête faite par Duverger (p. 71), on peut cependant constater ce qui suit : Invités à dire si, en matière d'élections, ils tiennent plus compte de la personne du candidat que du programme du parti, les électeurs ont répondu de la manière suivante: chez les hommes, 32 pour cent considèrent la personne du candidat et 51 pour cent le programme du parti; chez les femmes la proportion a été de 39 et de 41 pour cent. Ces chiffres confirment, comme on l'admet généralement, que les femmes attachent plus d'importance que les hommes à la personne du candidat. Une telle constatation à elle seule ne suffit cependant pas pour juger de l'influence exercée sur les femmes par les leaders politiques et en particulier par des chefs visant à la dictature.

Par rapport à cette question spéciale, les résultats de l'enquête faite en France en 1947 au sujet du général de Gaulle présentent un intérêt particulier. Il s'agissait de savoir si le retour du général comme président du conseil était désiré ; 25 pour cent des électeurs et 33 pour cent des électrices répondirent par «oui». A la seconde question posée, à savoir comment les électeurs voteraient en cas de referendum si de Gaulle recommandait de voter «non», 35 pour cent des hommes déclarèrent qu'ils voteraient «oui» et 23 pour cent «non» (donc en majorité contre de Gaulle); chez les femmes, 24 pour cent se prononcèrent pour «oui» et 33 pour cent pour «non»
(donc en majorité pour de Gaulle). Ces deux résultats tendraient donc à établir que les femmes plus que les hommes suivent dès chefs politiques.

Mais le rapport de Duverger (p. 72) expose qu'on ne saurait tirer cette conclusion. Le rapport allemand, en effet, relèverait à juste titre que, d'après les dénombrements faits jusqu'en 1933, les femmes ont donné moins de voix que les hommes au parti national-socialiste; la légende très répandue, suivant laquelle ce parti devrait son succès aux suffrages féminins, ne se serait donc pas confirmée; en revanche, les femmes auraient peu à peu suivi les électeurs; ainsi à Cologne, au cours de la période de 1930 à 1933, la différence entre les suffrages exprimés par les électeurs des deux sexes serait tombée de 4,3 à 1 pour cent.

789

Ces constatations sont conformes à celles que faisait Alice Soherres clans son Wörterbuch der Politik (p. 206) en 1950 déjà, où il est dit que «les femmes ont subi l'envoûtement du national-socialisme après et non par avant les hommes». Lors de l'élection du président du Reich, les résultats officiels des localités où hommes et femmes votaient séparément auraient démontré qu'au premier tour de scrutin 51,6 pour cent des femmes se seraient prononcées pour Hindenburg et seulement 25,5 pour cent en faveur d'Hitler. Au second tour, 56 pour cent des suffrages féminins auraient été favorables à Hindenburg, 33,6 pour cent à Hitler. En vertu des suffrages exprimés par les femmes, Hindenburg aurait dono été élu. déjà au premier tour de scrutin. Mais les voix données par les hommes à Hitler auraient dépassé de 12 pour cent environ les suffrages féminins. En Rhénanie, 16,3 pour cent seulement des suffrages féminins seraient allés à Hitler, tandis qu'il aurait recueilli 21,4 pour cent des suffrages masculins environ.

En 1033 déjà, Zurkuhlen («Die Reichspräsidentenwahl und die Frauen», dans Jahrbücher für Nationalökonomie und Statistik, v. 83, p. 96s,) tirait des mêmes chiffres officiels des conclusions semblables. Si l'on considère, dit-il, les résultats de ce dénombrement comme caractéristiques pour l'ensemble des électeurs allemands, Hindenburg, compte tenu de la répartition des suffrages féminins, aurait déjà obtenu la majorité absolue au premier tourde scrutin avexc 51,6 pour cent des voix et serait devenu président duReichh sansqu'uns second tour soit nécessaire; la participation des femmes au scrutin a été très limitée, de sorte qu'elles n'ont que faiblement influencé l'élection. Les femmes auraient suivi les consignes de leurs partis, car les partis disposant de forts contingents de femmes («centre» et «parti populaire bavarois» comptant 63 femmes sur 100 membres) auraient donné comme directive de voter pour Hindenburg. En revanche, le candidat du parti communiste (Thälmann) n'aurait exercé aucun pouvoir d'attraction sur les femmes. A supposer que le nombre des votants ait été le même pour les hommes que pour les femmes, la proportion des suffrages exprimés par les hommes et les femmes se présenterait comme il suit : .

Hindenburg

Hitler

Thälmann

2" tour de scrutin; homme» fammes

100 115,5

100 94

100 70.9

2e tour de scrutin: hommes femmes

100 115

100 93,7

100 67,2

II ressort clairement de ces chiffres que dans les districts considérés les femmes ont préféré voter pour Hindenburg que pour Hitler. Si ce résultat partiel (qui est celui du 5,4% environ du corps électoral) est représentatif de l'ensemble des suffrages exprimés par le peuple allemand, il semble Feuille fédérale, 109« année. Vol. I.

54

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infirmer la thèse suivant laquelle les femmes subissent plus que les hommes l'influence des chefs politiques. Les constatations faites en France, en revanche, font plutôt apparaître les femmes comme plus influençables. Cependant, la question peut rester ouverte. Les chiffres cités permettent, en effet, de conclure que, dans ces deux pays, les femmes ne sont pas beaucoup plus que les hommes exposées au danger de subir l'influence des leaders politiques.

ce. Deux autres objections, aussi d'ordre politique, sont sans rapport avec la politique des partis. Elles ont trait à l'opposition entre la ville et la campagne, et à l'influence des Suissesses d'origine étrangère.

Les adversaires du suffrage féminin qui se recrutent dans les milieux campagnards prétendent qu'en accordant aux femmes le droit de vote on léserait les intérêts des populations campagnardes; il faudrait prévoir, en effet, que la participation des femmes au scrutin serait plus faible à la campagne qu'en ville; ainsi serait accentuée la prépondérance politique des villes. D'après le rapport Duverger (p. 29 s.), les statistiques établies en Norvège, en Allemagne et en France ont montré, en fait, qu'à la campagne les électeurs des deux sexes participent moins assidûment aux scrutins qu'en ville. Cela ne modifierait en rien la situation si, à la campagne, la participation des hommes et des femmes aux élections se faisait dans la même proportion qu'en ville. Mais tel n'est pas le cas, comme l'indique le tableau suivant, relatif aux élections fédérales qui ont eu lieu en Allemagne en septembre 1953.

Communes

De moins de 3000 h a b i t a n t s . . . .

3000 à 50 000 habitants De plus de 50 000 habitants. . . .

Participation aux scrutins Hommes % Femmes %

89,9 89,2 85,9

85,5 86,3 83,4

Différence

-- 4,4 -- 2,9 -- 2,5

II s'ensuit non seulement que la participation des femmes aux scrutins est partout plus faible que celle des hommes, mais aussi que la différence est le plus marquée dans les localités de peu d'importance. En Norvège et en France, on a fait les mêmes constatations. Du fait que dans les régions rurales les femmes se tiennent davantage à l'écart du scrutin, la campagne se trouve dans une situation quelque peu désavantagée par rapport à la ville. Cependant, on constate, dans les pays considérés, que ces différences tendent à s'équilibrer. La situation désavantagée des populations campagnardes ne saurait donc être considérée comme un élément important d'appréciation.

Enfin on fait remarquer qu'il y a en Suisse un fort pourcentage de femmes devenues Suissesses seulement par leur mariage; leur intervention contribuerait à enlever à notre politique son caractère national. Le cas échéant, une réserve pourrait être faite pour les femmes devenues Suissesses par leur mariage. Mais cette question sera traitée plus loin.

791

2. Aux dires des adversaires du suffrage féminin, le droit de vote des femmes présenterait des inconvénients non seulement dans le domaine politique, mais aussi pour la famille et les femmes elles-mêmes.

a. Pour la, famille, ces inconvénients seraient de deux sortes.

Tout d'abord, le droit de vote des femmes compromettrait l'unité et la paix dans la famille ; il serait une nouvelle source de tiraillements et de conflits; dans les cas où mari et femme ont des convictions politiques différentes ou même adhèrent à des partis dont les programmes sont opposés, le maintien même de l'union conjugale pourrait être mis en question.

À ces arguments il faut tout d'abord répondre que mari et femme n'ont pas aussi souvent qu'on pourrait le croire des opinions politiques différentes.

Nous avons déjà relevé que, d'après les expériences faites dans d'autres pays, dans plus de 90 pour cent des cas les deux époux votent de la même façon, tandis que dans quelques cas leurs opinions divergent occasionnellement et que, dans peu de cas seulement, il existe des oppositions de principe. De ce fait, le danger que l'on redoute est considérablement diminué.

Du reste, maintenant déjà, il se peut que les membres d'une famille (père et fils) votent différemment, sans que nécessairement la paix de la famille s'en ressente. Aujourd'hui déjà, mari et femme peuvent avoir des opinions politiques différentes. L'introduction du droit de vote des femmes ne saurait guère apporter de changement à ce sujet. Les expériences faites dans d'autres pays montrent que les craintes émises ne sont pas fondées.

b. Les adversaires du suffrage féminin sont d'avis que le droit de vote des femmes présenterait des inconvénients pour les femmes elles-mêmes, en leur imposant de nouveaux devoirs. Cela serait d'autant plus regrettable que ces nouveaux devoirs incomberaient à toutes les femmes, alors que peu d'entre elles seulement ont de l'intérêt pour cette innovation. La femme devrait en outre s'attendre à être entraînée dans les luttes politiques ; elle ne saurait espérer pouvoir rester en dehors ou bénéficier de la part des hommes des mêmes égards que jusqu'à maintenant.

Certes, le suffrage féminin apportera aux femmes non seulement des droits, mais aussi des devoirs et des charges. H est également incontestable que beaucoup de femmes montrent
peu d'intérêt pour le droit de vote et préféreraient laisser les hommes s'occuper de politique. A cela on répond que les femmes opposées au droit de vote n'ont aucun intérêt à empêcher l'institution du suffrage féminin, puisqu'il leur sera loisible de rester à l'écart; le fait que les autres femmes participent à la vie politique ne saurait en rien leur nuire. Cette argumentation n'est cependant pas fondée, pour cette raison déjà qu'il ne serait peut-être pas indifférent à ces femmes de ne pouvoir, à l'avenir, s'abstenir de voter sans enfreindre un devoir civique. En outre, dans quelques cantons, on connaît le vote obligatoire, valable également en matière d'élections et de votations fédérales. Enfin, ces femmes ne

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serviraient guère leur cause si, en restant à l'écart des scrutins, elles desservaient le parti qui défend leurs intérêts. D'autre part, comme noua l'avons déjà exposé, accorder les droits politiques aux femmes est un impératif de la justice.

Il est possible que les femmes qui se lancent dans la politique doivent aussi participer aux luttes de partis et s'attendre à ne plus être traitées par les hommes avec les mêmes égards que précédemment. Mais cela ne vise que les femmes qui prennent une part active aux campagnes politiques ou se laissent porter comme candidates. Ces femmes peuvent librement choisir d'avoir ou non une activité politique. Il est vrai aussi que dans les rapports d'ordre privé ou social qu'ils ont avec les femmes, les hommes ont souvent remplacé la courtoisie par une certaine camaraderie. Mais cette évolution est due moins au suffrage féminin qu'à l'émancipation sociale de la femme en général et à son activité professionnelle indépendante.

3. Enfin, on fait encore valoir les difficultés d'ordre pratique qu'entraînerait le droit de vote des femmes.

Sur le plan fédéral, il s'agit de savoir si l'on ne doit pas augmenter le nombre de signatures requis pour le, referendum et l'initiative populaire. Le nombre des personnes ayant le droit de vote serait plus que doublé par l'institution du suffrage féminin, En conséquence, le nombre de signatures exigé pour le referendum (30 000) et pour l'initiative (50 000) devrait être au moins doublé ; on a déjà signalé de façon répétée que l'exercice de ces droits populaires a été grandement facilité par le fait que la population et, partant, le nombre des citoyens actifs ont augmenté depuis l'institution idu referendum et de l'initiative. liest évidemment bien plus facile de recueillir 30 000 et 50 000 signatures lorsque le nombre des personnes ayant le droit de vote est devenu beaucoup plus élevé. A noter aussi que le fait de devoir recueillir un nombre supérieur de signatures exige un plus grand effort, d'où des frais supplémentaires et de plus grandes difficultés. Il ne serait donc pas justifié -- du moins en l'occurrence -- de porter à plus du double les nombres de signatures nécessaires.

Mais on ne saurait soutenir que le fait d'augmenter les nombres de signatures (à 60000 et 100000) signifierait une entrave par trop sérieuse.

Aujourd'hui
déjà, ce chiffre de 100 000 est sensiblement dépassé lorsqu'il s'agit d'initiatives fortement appuyées. Mentionnons, à titre d'exemples, les initiatives suivantes déposées depuis 1935: celle de 1955 pour la protection des locataires et des consommateurs (202549 signatures); celle de 1952 pour le financement des armements (147092); celle de 1947 pour la réforme économique et les droits du travail (161 477); celle de 1946 pour la coordination du trafic (384 760); celle de 1945 pour la protection de la famille (168730); celle de 1942 pour l'élection du Conseil fédéral par le peuple (157 081); celle de 1939 pour la restriction de l'emploi de la clause

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d'urgtìnce (289 765) et, enfin, celle de 1935 potir la lutté contre la crise économique (334 699).

H n'y a pas non plus lieu de craindre qu'une augmentation du nombre des signatures ne favorise les grands cantons au détriment des petits, car, pour les uns comme pour les autres, le nombre des personnes ayant le droit de vote en matière fédérale augmenterait dans la même proportion si le suffrage féminin était institué. En matière de referendum, le droit en vigueur tient compte de l'intérêt des petite cantons en conférant à huit cantons la faculté de demander la votation populaire (art, 89, 2e al., et art. 89feis, 2e al., Cst.). H n'est pas question de modifier ces dispositions. Une autre facilité en faveur des petits cantons, qui a toutefois une plus faible importance, consiste en ce que chaque canton a le droit d'adresser des initiatives à l'Assemblée fédérale (art. 93, 2« al., Cst.).

Dans ces conditions, on peut, semble-t-il, admettre que le nombre nécessaire de signatures soit doublé, c'est-à-dire porté à 60 000 pour le refe^ rendum (art. 89, 2* ah, et art. 89 Us, 2e al., Cst.) et à 100 000 pour l'initiative populaire (art. 120 et 121 Cst.).

III. Récapitulation et conclusions tl reste à se prononcer sur la question de fond soulevée par les postulats du Conseil des Etats et du Conseil national et précisée au début du présent message (p. 7s.) : Convient-il d'édicter des dispositions de droit fédéral accordant anx femmes suisses le droit de vote en matière fédérale ?

Ayant discuté tout à l'heure les principaux arguments avancés pour ou contre le suffrage féminin, nous n'avons plus qu'à tirer une conclusion et à faire le bilan des arguments de l'une et de l'autre catégorie. Bans ces questions de pure appréciation politique, tout dépend de l'opinion personnelle de ceux qui doivent décider et prendre leurs responsabilités., c'està-dire les électeurs du sexe masculin.

1. Nous avons commencé par examiner les arguments invoqués en favewr du suffrage féminin et avons constaté que certains d'entre eux sont bien fondés et d'un grand poids, tandis que d'autres sont sans valeur ou du moins n'ont pas l'importance qu'on leur attribue habituellement.

Ce qui frappe, c'est ce fait que l'égalité politique des femmes a conquis presque toute la planète en quelques décennies, si bien que la Suisse et le Liechtenstein
font seuls exception en Europe. Le fait mérite d'autant plus attention que le suffrage féminin représente une extension de l'idée démocratique. Mais pour qu'il puisse être considéré comme capital, il faudrait au moins qu'il y ait égalité des conditions, c'est-à-dire que notre pays ait enregistré les mêmes changements que les Etats étrangers et se trouve dans la même situation qu'eux. Or qu'en est-il en réalité ?

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La marche triomphante du suffrage féminin est la suite indirecte des transformations que lea deux guerres mondiales ont causées dans les domaines politique, social et économique. Ces transformations ont entraîné une large émancipation de la femme dans les domaines les plus divers. Elles ont modifié sa situation par rapport à l'homme dans la famille, la vie économique et la société, et aussi par rapport à l'Etat. Elles ont conduit à l'égalité politique des sexes. Si l'on compare cette évolution avec ce qui s'est passé simultanément en Suisse, on constate ce qui suit: L'activité professionnelle féminine hors de la maison -- important facteur d'émancipation -- s'est développée chez nous également. Mais ce développement est dû principalement à l'accroissement de la population. Il ne dépasse pas ce que l'on constate pour les hommes et lui est même inférieur. Cela vaut en particulier pour le travail des femmes dans les fabriques. Dans la plupart des Etats comparables à la Suisse, la proportion des femmes exerçant une activité professionnelle est plus élevée que chez nous. Mais elle est plus faible en Italie, Suède et Belgique, ainsi qu'aux Etats-Unis et au Mexique. L'argument de l'accroissement de l'activité professionnelle féminine n'est ainsi guère pertinent pour la Suisse. Il n'a en tout cas pas le même poids qu'ailleurs.

Le cercle des devoirs que la vie de famille impose à la femme s'est en revanche rétréci chez nous autant si ce n'est plus qu'à l'étranger, du fait que l'Etat-Providence des temps modernes assume une série de fonctions incombant autrefois à la famille.

La femme suisse a d'ailleurs aussi fortement évolué. En ce qui concerne les conditions requises pour l'exercice des droits politiques -- notamment l'instruction et l'expérience politique -- on peut dire qu'elle est au moins aussi avancée que l'étaient les femmes étrangères au moment où le droit de vote leur a été accordé. Dans la vie de société, l'émancipation de la femme suisse ne le cède guère à celle de la femme étrangère.

Pendant le service actif, la femme suisse s'est mise volontairement à la disposition de l'armée et s'est dévouée pour le pays dans d'autres domaines encore. C'est là un argument de plus en faveur du suffrage féminin, encore que le service militaire féminin soit moins étendu que dans maint autre pays et ne puisse
être comparé au service militaire obligatoire des hommes en Suisse.

Lorsqu'il s'est agi d'instaurer le suffrage féminin à l'étranger, on a pris en considération certains faits qui jouent un moindre rôle en Suisse, Ainsi les femmes de maint Etat auraient plus besoin que les femmes suisses du droit de vote pour améliorer leur statut juridique, tant de droit privé que de droit public. Notre législation peut être considérée à cet égard comme avancée et ne le cède aucunement à celle des Etats qui ont institué le suffrage féminin. On fait cette constatation tout en reconnaissant que beaucoup d'améliorations sont encore désirables et nécessaires.

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La comparaison avec l'étranger est aussi quelque peu boiteuse parce que notre démocratie à trois degrés crée des situations plus compliquées et exige beaucoup plus du citoyen tant en ce qui concerne la préparation aux scrutins que le temps à consacrer à la chose publique. À cela s'ajoute que la Suisse est sans doute le seul pays où le suffrage féminin ne puisse pas être institué sans l'assentiment de la majorité des citoyens participant au scrutin.

Le nombre considérable de pays où la femme vote est un argument qui milite fortement pour l'instauration du suffrage féminin en Suisse, mais il n'est pas décisif, étant donné qu'il y a lieu de tenir compte des conditions particulières qui sont à cet égard moins favorables chez nous qu'ailleurs.

n est inexact d'affirmer que cette institution représenterait une obligation imposée par le droit des gens ou qu'elle n'enlèverait rien aux hommes.

La valeur du vote de chaque homme serait en effet réduite de moitié.

L'assujettissement de la femme à l'impôt ne peut pas non plus justifier l'institution du suffrage féminin.

L'argument déoisif, l'argument de poids en faveur de l'égalité politique de la femme consiste à invoquer les idées de justice, d'égalité de traitement et de démocratie. On reconnaît aujourd'hui que la dignité humaine -- à laquelle la femme a droit aussi bien que l'homme -- commande en principe l'égalité de traitement pour la femme. Comme cela vaut aussi pour les droits politiques, l'égalité politique de la femme prend l'aspect d'une exigence de l'égalité devant la loi et, partant, de la justice. H faut cependant pour cela que les autres conditions d'égalité soient remplies pour l'homme et la femme, car le principe de l'égalité de traitement ne vaut que là où il y a égalité des conditions. Pour savoir s'il y a des raisons juridiquement valables de faire une différence entre les sexes en matière de vote, ü faut considérer les conditions de fait, lesquelles peuvent varier d'un Etat à l'autre. On peut donc concevoir que le principe de l'égalité devant la loi implique dans un Etat l'égalité politique des sexes et pas dans un autre.

Ce qui compte, dans la question qui nous occupe ici, ce sont les conditions particulières à notre pays. Cela signifie que le principe de l'égalité de traitement commande que l'on accorde les droits politiques à la
moitié des ressortissants suisses adultes qui en est encore privée, à moins qu'il n'existe des circonstances particulières justifiant le maintien de l'inégalité de traitement. D'après ce que nous avons constaté jusqu'ici, de telles circonstances n'existent pas. Au contraire, les transformations qui se sont produites aussi dans notre pays militent pour l'octroi des droits politiques à la femme.

Notons aussi que l'idée de démocratie commande certainement que l'on accorde le droit de vote aux femmes et élargisse ainsi la base de notre démocratie, II faut cependant reconnaître qu'une telle considération ne peut plus valoir là où elle entre en conflit avec des considérations politiques d'un plus grand poids.

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: 2. C'est pourquoi il reste à examiner si les raisons militant canin U suffrage féminin commandent que les femmes demeurent privées, à l'avenir également, des droits politiques.-Ici aussi, il a fallu constater qu'une partie!

seulement de ces objections peuvent être soulevées. Il s'agit des objections qui consistent à dire que les femmes ne remplissent pas les conditions voulues et qu'il est à prévoir que l'octroi du droit de vote aux femmes aurait des conséquences fâcheuses.

a. L'objection qui consiste à dire que les femmes elles-mêmes ne désirent pas du tout le droit de vote n'est pas pertinente. C'est là une considération dont ne peuvent dépendre ni l'égalité de traitement, ni le perfectionnement de la démocratie. Il ne oérait donc pas juste de subordonnef l'institution du suffrage féminin à la condition que la majorité des femmes adultes lui soit favorable. Les chances d'une acceptation en votation populaire seront, il est vrai, plus grandes si le nombre des femmes opposées au suffrage féminin est petit.

· ·· . ' . . . . .

Il ne suffit pas non plus d'affirmer que l'homme seul doit pouvoir dire son mot dans les affaires de l'Etat. Ce qui importe, c'est de savoir s'il existe encore des raisons süffisantes pour refuser aux femmes le droit dévote.

L'une des raisons qu'on allègue dans ce sens consiste à dire que les femmes ne font pas de service militaire. Il est exact que les femmes suisses ne sont pas astreintes au service militaire comme les hommes et aussi comme les femmes dans d'autres pays. Et il est également vrai qu'il y a un lien politique (mais non pas juridique) entre le service militaire et le droit de vote. Mais on ne doit pas oublier que des femmes en très grand nombre se sont obligées volontairement à faire du service militaire et ont aussi rendu d'autres services à l'Etat.

Ceux qui affirment que les femmes ne comprennent rien à la politique contestent qu'elles aient les aptitudes intellectuelles et le caractère qui conviennent pour participer à la vie politique. Or on a cessé de penser que la femme est intellectuellement inférieure à l'homme et incapable de réfléchir aux questions politiques. Certes, la femme a une façon de penser et de juger qui n'est pas celle de l'homme. D'une façon générale, l'élément subjectif joue chez elle un plus grand rôle que l'élément objectif. Le
sentiment y a aussi une plus grande part. Si la femme n'obéit pas autant à la logique, elle compense ce défaut par un sens pratique qui lui permet de saisir l'essentiel. Les expériences faites en Suisse dans ce domaine sont rassurantes.

Affirmer que «la femme a sa place à la maison» ne constitue pas non plus un argument de poids contre l'égalité politique. Historiquement, il y a eu jusque tout récemment une division du travail qui assignait à la femme les travaux domestiques. La Bible déclare même que Dieu a voulu

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gué l'homme soit le chef de la famille et s'occupe seul des affaires de l'État.

Stolon la conception protestante, les passages de la Bible qui expriment cette idée valent pour les circonstances dans lesquelles ils ont été écrits.

Mais l'Eglise catholique considère qu'ils ont conservé leur valeur. Elle ne pense cependant pas pour autant que les femmes ne doivent pas se mêler à la vie politique si l'Etat lui donne le droit de vote. Au contraire. Jusqu'à un certain point, on peut parler d'une répartition naturelle des activités, résultant du fait que la femme, par vocation naturelle, est plus attachée au foyer que l'homme. Mais cela n'est vrai que pour la femme mariée. Et encore constate-t-on un certain assouplissement. C'est pourquoi il n'est plue permis de soutenir que l'accomplissement des devoirs civiques serait inconciliable avec celui des devoirs d'une bonne maîtresse de maison.

On objecte, enfin, que l'institution du suffrage féminin ne répondrait pas à un besoin, les femmes pouvant déjà exercer indirectement leur influence. Si cela est vrai jusqu'à un certain point, il faut cependant constater qu'il manque aux femmes le droit de participer aux affaires de l'Etat.

b. Un second groupe d'objections ont trait aux conséquences probables du suffrage féminin. Pour savoir qu'en penser, il convient ici de se fonder sur les expériences faites à l'étranger.

La chose principale à considérer est l'influence des femmes sur la politique. Elles auront probablement la majorité absolue (52,4%; 47,6%).

Le fait que leur participation aux votations sera plus faible (5 à 10%) diminue le risque de voir leurs voix l'emporter sur celles des hommes. Il arrive d'ailleurs souvent que les femmes votent pour des hommes. Cela ressort du fait qu'elles sont loin d'être représentées dans les parlements d'une manière correspondant à leur force électorale. Abstraction faite de l'Union soviétique (dont le parlement comprend 17 % de femmes) et de la Suède, on constate que les femmes ne forment dans les parlements que 10 pour cent à peine (au lieu de 52%). La représentation proportionnelle favorise plutôt les femmes. Celles-ci sont encore moins fortement représentées dans le gouvernement et les administrations. Le succès semble être partout resté bien inférieur à ce qu'on attendait. Notons aussi que l'activité des femmes dans
les parlements a été faible et s'est limitée le plus souvent aux questions sociales et aux problèmes touchant l'éducation et les droits de la femme.

Les expériences faites à l'étranger révèlent que les femmes se groupent rarement en partis féminins. Le plus souvent, elles entrent dans des partis existants. Contrairement à ce qu'on attendait, elles adhèrent moins que les hommes aux partis de gauche (en Allemagne occidentale par exemple, la proportion est de 29% pour les femmes et de 35% pour les hommes), quand bien même ce sont surtout ces partis qui défendent la cause du suffrage féminin et qui font la plus large place aux femmes lors des élections.

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En ce qui concerne la stabilité dans l'expression des suffrages et l'action exercée par les slogans, on n'a pas fait d'expériences défavorables aux femmes.

On affirme souvent que les femmes sont trop enclines à porter au pouvoir des personnalités ayant le goût du commandement. Cela est faux.

La question des répercussions du suffrage féminin sur la famille est importante. Les statistiques étrangères montrent cependant que dans 90 pour cent des cas les deux conjoints votent de la même façon. Il semble donc qu'on ne doive pas craindre une forte scission dans les familles. Il n'y a pas non plus lieu de penser que la politique gênerait plus les femmes dans l'accomplissement de leurs devoirs familiaux qu'elle ne gêne les hommes dans l'exercice de leur profession.

3. En pesant les arguments pour et contre on aboutit aux conclusions que voici: Depuis la revision totale de la constitution en 1874, notamment depuis les deux guerres mondiales, la place qu'occupé la femme dans le domaine économique et social, dans la vie de société et aussi, partiellement, dans la vie politique a subi, à n'en pas douter, des changements tels qu'on doit se demander si le moment n'est pas venu pour la Suisse d'accorder aux femmes l'égalité politique dont elles jouissent déjà dans presque tous les pays. On constate que les changements qui ont stimulé le mouvement féministe et conduit presque partout à la reconnaissance de l'égalité politique se sont, en grande partie, produits chez nous également.

Il est en outre établi que les objections faites contre le suffrage féminin et les craintes exprimées au sujet des répercussions qu'il pourrait avoir ne sont pas plus fondées pour la Suisse que pour les autres pays, où aucune suite fâcheuse n'a été constatée jusqu'à présent. A l'étranger, on a aussi remarqué que l'influence des femmes sur la politique demeure bien inférieure à ce qu'elle devrait être d'après le nombre de voix.

On à raison de dire que notre démocratie exige beaucoup du citoyen.

Mais la femme suisse devrait pouvoir satisfaire à ces exigences sans négliger pour autant ses devoirs de maîtresse de maison et de mère. Peut-être faut-il s'attendre, comme nous l'avons signalé, à des inconvénients dans d'autres domaines encore ? Nous pensons par exemple à une légère augmentation de l'influence exercée par les électeurs des
villes, à la nécessité de reviser les dispositions fédérales sur le referendum et l'initiative, à l'accroissement des frais. Mais tous ces inconvénients ensemble pèsent peu par rapport aux avantages du suffrage féminin. En effet, il ne s'agit rien moins que d'accorder à la moitié de la population adulte le droit de participer, sur un pied de parfaite égalité avec les hommes, à la formation de la volonté et à la conduite des affaires de l'Etat auquel elle appartient et dont elle supporte les charges. L'amélioration du statut de la femme ne représente pas seulement une meilleure réalisation de l'idéal démocratique

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que la Suisse a toujours défendu. Après les changements profonda qui se sont produits, la Suisse, elle non plus, ne peut plus considérer la différence des sexes comme assez importante pour justifier l'exclusion des femmes de l'exercice des droits politiques. En d'autres termes, la justice commande que le suffrage féminin soit institué en matière fédérale.

Nous répondons ainsi affirmativement à la question de savoir si le suffrage féminin doit être institué en matière fédérale.

G. LA QUESTION DE L'ÉGALITÉ PARTIELLE OU COMPLÈTE DES FEMMES Si l'on se prononce pour l'instauration du suffrage féminin, on doit se demander ensuite s'il convient d'accorder à la femme une égalité complète ou seulement partielle. Les principes de l'égalité de traitement et de la démocratie veulent que la femme ait, politiquement, exactement les mêmes droits que l'homme. Une exception n'entre en considération que si des raisons particulières le justifient. Nous allons examiner cette question de plus près.

Une restriction peut se faire de deux façons, soit que l'on rende plus sévères les conditions du droit de vote, soit que l'on n'accorde à la femme qu'une partie des droits exercés par l'homme.

1. Convient-il de rendre pliis sévères les conditions à remplir pour pouvoir voter, élire et être élîgible,? Constatons d'emblée qu'il ne saurait être question de revenir à l'institution -- depuis longtemps surannée -- du cens, ni d'exiger -- comme au Portugal et au Guatemala par exemple -- un certain minimum, d'instruction. Une restriction de ce genre, qui vise surtout les analphabètes, ne se justifierait pas à l'égard de la femme suisse, dont l'instruction est, en moyenne, bonne.

Nous ne croyons pas non plus qu'il faille exiger pour la femme un âge minimum plus élevé pour être politiquement majeure en général ou pour certains droits (tels que l'éligibilité). Quelques Etats avaient commencé par fixer un âge de majorité politique plus élevé pour les femmes, mais ils ont, par la suite, renoncé à cette différenciation. La Grèce en est un exemple. L'âge minimum y avait d'abord été fixé à 30 ans, puis à 25 ans.

H y eut ensuite complète égalité. On enregistra une évolution semblable en Angleterre et en Hongrie. Ces précautions s'expliquaient à une époque où l'on n'avait que peu d'expériences et ne savait pas ce que seraient les effets
du suffrage féminin. Il est probable que l'on craignait aussi l'inexpérience et le manque de maturité politiques des femmes. Aujourd'hui de telles considérations ne sont plus de mise, étant donné aussi les expériences faites à l'étranger. Notre conclusion est qu'il n'y a pas lieu de prévoir des restrictions de ce genre.

800

Pour des raisons semblables, il convient de rejeter les autres propositions tendant à restreindre les droite politiques de la femme. Des propositions de ce genre ont été faites notamment par des femmes, vraisemblablement dans le dessein d'obtenir par un tel sacrifice, qu'une partie des femmes au moins soient misée au bénéfice des droits politiques. La proposition de limiter le droit de vote aux femmes exerçant une activité lucrative devait faire tomber l'objection selon laquelle les femmes manquent d'expérience dans les affaires. C'est sans doute à une considération semblable que répond la proposition d'exiger des femmes un examen de connaissances civiques.

Une autre proposition tend à réserver le droit de vote aux femmes qui sont seules à la tête d'une famille. Elle vise à faire accepter l'idée du suffrage féminin par ceux qui prétendent que cette institution ne répond pas à un besoin, puisque l'homme défend les intérêts de la famille dans le domaine politique. On s'est aussi demandé s'il ne serait pas judicieux de n'accorder le droit de vote qu'aux femmes qui le demandent. Les hommes ne pourraient alors plus alléguer que les femmes manquent d'intérêt politique et le refus des droits Apolitiques ne serait ainsi plus une injustice politique.

Nous avons déjà dit que toutes ces restrictions ne sont pas fondées ou étaient tout au plus justifiées à un moment donné. Certes, on supprimerait l'inégalité des sexes en pratiquant de la sorte, mais on susciterait entre les femmes des inégalités qui seraient peut-être encore plus difficilement supportables. H en résulterait en outre de nouvelles complications dont il n'est pour le moment pas possible d'apprécier les conséquences. S'il n'était vraiment pas possible d'instaurer le suffrage féminin en matière fédérale sans le soumettre à ces restrictions, il vaudrait mieux, croyons-nous, laisser la priorité aux cantons.

2. Convient-il de n'accorder aux femme« qu'une partie des droits poKtiques? Faut-il ne leur conférer que le droit de participer aux votations proprement dites d'une manière générale ou dans certains domaines seulement (école, Eglise, assistance, etc.) ? Vaut-il mieux leur accorder le droit de participer aux élections sous la forme active et passive ou sous l'une de ces formes seulement ? Ou bien une autre combinaison serait-elle préférable ?
On a fait différentes propositions dans ce sens. La plus importante est celle qui fut faite le 25 novembre 1900 par l'association suisse pour le suffrage féminin : n'accorder aux femmes que le droit de participer aux votations proprement dites. D'autres propositions tendent à n'accorder le droit de vote aux femmes que pour des domaines particuliers. Il ne paraît en revanche pas qu'on demande de ne leur accorder que l'électorat ou même que l'éligibilité, comme cela a été primitivement le cas dans certains pays étrangers, comme les Pays-Bas et la France.

Ceux qui défendent de telles propositions semblent, eux aussi, obéir à des considérations d'ordre tactique: ils espèrent que l'idée d'un suffrage féminin restreint recueillera plus facilement le nombre de voix nécessaire.

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Leur fin dernière est certainement d'arriver à l'égalité complète des sexes, mais en procédant par étapes. Des raisons de fond ne peuvent guère être invoquées en l'occurrence. Les résultats de diverses votations cantonales montrent cependant que les considérations tactiques sont justes. Néanmoins, nous n'entendons pas, ici non plus, recommander d'instituer en matière fédérale un suffrage féminin qui serait restreint d'une manière ou d'une autre. Le droit de vote, l'électorat et l'éligibilité sont en effet à tel point liés dans leurs effets qu'il conviendrait d'éviter de les séparer, au moins dans le domaine du droit fédéral. Une telle solution serait d'ailleurs trop compliquée pour donner satisfaction. Mais s'il devait apparaître qu'un projet établissant la complète égalité des sexes en matière fédérale n'obtiendrait aujourd'hui pas le nombre de voix nécessaire, il vaudrait certainement mieux laisser la priorité aux cantons. Ils ont la possibilité d'aller encore plus loin et de prévoir des restrictions tactiquement plus efficaces en se bornant à conférer aux femmes le droit de vote en matière communale.

Bs peuvent aussi limiter les droits politiques de la femme au domaine .des votations et même aux votations sur des questions déterminées, plus accessibles aux femmes. C'est pourquoi il convient de ne pas prévoir de telles restrictions en matière fédérale.

3. Nous devons enfin aborder ici le problème des Suissesses d'origine étrangère. Est-il judicieux d'accorder à une ancienne étrangère le même droit de Vote qu'à là femme née avec l'indigénat suisse et de permettre ainsi à une Suissesse de fraîche date de participer aux votations et élections et mêttre'd'être éligible ? On doit se demander si elle remplirait vraiment les conditions requises, qui sont : être familiarisée avec le milieu suisse, connaître en particulier nos institutions et leur signification et avoir de fortes attaches avec le pays et ses habitants. Pour des considérations de ce genre, divers pays ont estimé que les femmes d'origine étrangère ne pourraient exercer des droits politiques qu'après un délai d'attente d'un certain nombre d'années.

La Suisse a diverses raisons pour porter une attention particulière à ces considérations. Ces raisons résident notamment dans les particularités et la complexité de nos institutions et de notre
vie politique, dans la grande influence qu'exercé le citoyen sur les affaires de l'Etat et dans le nombre relativement élevé de Suissesses d'origine étrangère. N'oublions pas que, dans la période de 1931 à 1955 par exemple, quelque 6500 femmes majeures ont acquis annuellement la nationalité suisse par mariage, naturalisation ou réintégration. Comme nous l'avons fait observer ailleurs, ce fait ne saurait justifier le refus d'instituer le suffrage féminin. Il ne saurait non plus être question d'exclure durablement les anciennes étrangères de l'exercice des droits politiques. Au contraire, il s'agit uniquement de savoir s'il convient de ne les autoriser à exercer ces droits qu'après un délai d'attente, c'est' à-dire à partir du moment où l'on peut admettre qu'elles seront suffisamment familiarisées avec notre milieu.

802

Pour les étrangères qui ont acquis l'indigénat par la naturalisation, U est clair qu'une telle restriction n'est pas nécessaire, puisque la naturalisation ne peut être demandée qu'après un séjour d'au moins douze ans en Suisse (art. 15 de la loi sur la nationalité suisse). L'autorité doit en outre examiner l'aptitude du requérant à la naturalisation (art. 14). L'adaptation est ainsi suffisamment garantie. C'est ce qui permet d'ailleurs de ne pas faire de réserves quant à l'exercice des droits politiques par les hommes qui obtiennent la naturalisation. Il doit en être de même pour les femmes naturalisées. Dans le cas de réintégration, il ne saurait être question de faire des réserves, étant donné que les femmes dont il s'agit avaient déjà eu l'indigénat.

La situation se présente autrement pour les femmes qui ont acquis la nationalité suisse par le mariage. On n'a pas toujours l'assurance qu'elles sont déjà assimilées au moment du mariage. Mais il faut reconnaître que ces femmes ne constitueraient qu'une petite partie du corps électoral. La statistique nous apprend que, durant les années 1951 à 1955, quelques 5000 étrangères ont acquis la nationalité suisse par le mariage. Gela représente un accroissement annuel d'environ 1,7 pour mille du corps électoral.

Un grand nombre de ces femmes étaient déjà domiciliées en Suisse. Les Suissesses non assimilées ne représenteraient guère plus de 1 pour cent du total des électeurs. La conclusion à en tirer est que l'influence exercée dans les votations et élections par les femmes devenues Suissesses par le mariage ne serait pas considérable. C'est pourquoi nous croyons qu'on pourrait renoncer à prévoir un délai d'attente pour l'exercice du droit de participer aux votations et élections. En revanche, d'aucuns pourraient trouver choquant qu'une étrangère fraîchement mariée -- et qui ne remplirait peut-être même pas les conditions requises pour la naturalisation -- soit éligible, par exemple au Conseil national. H serait donc justifié de prévoir un délai d'attente au moins pour l'éligibilité. Ce délai devrait être le même qu'en matière de naturalisation. La femme qui a acquis la nationalité suisse par le mariage ou la naturalisation ne serait ainsi éligible que si elle a été mariée ou domiciliée en Suisse pendant douze ans.

H conviendrait cependant de régler ces
points dans la loi, et non pas dans la constitution. Nous ne pensons pas que celle-ci doive donner une autorisation à cet effet.

4. Pour les motifs énoncés ci-dessus, nous vous recommandons de modifier la constitution afin de donner à la femme suisse, en matière fédérale, la pleine égalité politique avec l'homme.

D. LA VOIE A SUIVRE Si l'on admet que le suffrage féminin en matière fédérale doit être institué sans restrictions, on doit se demander comment il y a lieu de procéder, en particulier ce que doit faire le législateur et comment il doit le faire.

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1. H convient premièrement de régler la question des rapports avec U droit cantonal. Comme nous l'avons dit, on ne saurait songer à établir des dispositions de droit fédéral instituant aussi le suffrage féminin en matière cantonale et communale. La chose n'est juridiquement pas impensable. Cette façon de procéder aurait même des avantages incontestables, notamment ceux de la simplicité et de l'uniformité. Elle exclurait d'emblée les questions de délimitation de compétence entre la Confédération et les cantons, comme aussi le manque d'uniformité entre ceux-ci et celle-là, ainsi que les injustices qui en seraient la conséquence. Une réglementation uniforme empêcherait par exemple des différences dans l'élection des conseils législatifs de la Confédération. L'électorat et l'éligibilité seraient partout soumis aux mêmes règles pour les deux conseils. La femme pourrait ainsi participer à l'élection de chacun d'eux et être élue dans l'un et l'autre.

Si la Confédération renonce à aller aussi loin, les deux conseils seront soumis à des régimes différents, le Conseil national étant élu selon le droit fédéral et le Conseil des Etats selon le droit cantonal. Ainsi, l'institution du suffrage féminin en matière federale signifierait que les femmes peuvent participer à l'élection du Conseil national et être élues dans oe conseil, mais n'auraient les mêmes droits pour le Conseil des Etats que dans les cantons qui auraient instauré le suffrage féminin.

Cette réglementation uniforme serait cependant en contradiction flagrante avec une caractéristique essentielle de notre ordre public: la structure federative de l'Etat. On ne saurait imaginer que la Confédération puisse se borner à ne régler que pour les femmes l'exercice des droits politiques en matière cantonale et communale, laissant aux cantons le soin de régler l'exercice de ces droits par les hommes. La seule solution rationnelle serait de soumettre les deux sexes au même régime et d'en laisser le soin à la Confédération. Mais elle aurait l'inconvénient de porter une profonde atteinte à la souveraineté cantonale. Ce résultat ne serait pas désirable.

Nul ne demande d'ailleurs qu'on procède de telle manière. Nous en ferons donc abstraction.

Four la même raison, on ne saurait accepter la proposition selon laquelle une disposition de la constitution fédérale
obligerait les cantons à admettre les femmes au scrutin lors d'une votation sur l'instauration du suffrage féminin en matière cantonale et communale.

Reste la question de l'ordre chronologique à observer. Convient-il que la Confédération prenne les devants, sans se préoccuper de la réglementation cantonale ? Convient-il, au contraire, qu'elle laisse la priorité aux cantons et n'agisse que lorsqu'un certain nombre de cantons auraient instauré le suffrage féminin ? On faut-il que la Confédération oblige même les cantons à prendre des mesures dans ce sens ? Ce sont là des questions qui ont une grande importance pour le sort du problème en matière fédérale. À vrai dire, il ne s'agit là que de considérations tactiques. Mais le législateur ne saurait y demeurer étranger. H doit se demander quelle voie est la plus

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sûre pour faire accepter un projet qui satisfait la conscience juridique et sert l'intérêt de la collectivité. C'est là une chose dont il faut se préoccuper dans une démocratie plus que dans un Etat soumis à un autre régime.

Il faut écarter d'emblée la possibilité, mentionnée en dernier lieu, d'imposer aux cantons certaines dispositions concernant l'instauration dn suffrage feminin, dispositions qui pourraient peut-être se borner à instituer ce suffrage en matière cantonale et communale. Les arguments qui s'opposent à l'adoption d'un droit fédéral d'application générale militent également contre une telle solution. On se trouve ainsi placé devant cette alternative: ou bien la Confédération institue le suffrage féminin en matière fédérale sans s'occuper du régime en vigueur dans les cantons, ou bien elle attend qu'un certain nombre de cantons aient instauré ce suffrage.

Cette seconde façon de procéder correspondrait, à n'en pas douter, aux traditions éprouvées de notre Etat fédératif. On sait en effet que la Con^ fédération n'a adopté ses principales institutions qu'après avoir constaté qu'elles avaient fonctionné longtemps et de façon satisfaisante au moins dans quelques cantons. La remarque vaut, par exemple, pour le referendum facultatif ou obligatoire et l'initiative populaire pour la revision de la consti^ tution fédérale. Cette réception d'institutions cantonales par la Confédération répond aussi à la croissance naturelle de notre démocratie, qui commence en général dans la commune et «monte» ensuite dans les cantons et la Confédération. Dans le cadre plus étroit et plus familier des cantons et surtout des communes, une innovation implique beaucoup moins de risques.

Ses répercussions sont plus aisément prévisibles. Et si une modification se révèle nécessaire, en cas d'échec, elle est plus facile. Derrière la commune, il y a d'ailleurs le canton et, derrière le canton, la Confédération. Ces considérations s'appliquent aussi au suffrage féminin.

Nous voyons encore une antre raison importante de procéder par étapes pour l'institution du suffrage'féminin: Si l'on accordait le droit de vote aux femmes en matière fédérale avant que certains cantons aient institué le suffrage féminin, le corps électoral de la Confédération serait, au début, composé pour moitié de personnes sans expérience
politique. Certes, oe défaut se corrigerait en quelques années. H serait néanmoins inquiétant, si les expériences faites à l'étranger ne montraient pas qu'il est moins grand qu'on ne pourrait le croire. Il convient, il est vrai, de considérer que les conditions ne sont pas exactement les mêmes en Suisse et à l'étranger. C'est pourquoi il serait bon que les femmes de certains cantons au moins aient l'occasion de faire des expériences politiques avant que le suffrage féminin soit institué en matière fédérale. Ces expériences profiteraient probablement aussi aux femmes d'autres cantons. Procéder de cette façon aurait en tout cas cet avantage que seule une partie des femmes seraient politiquement inexpérimentées au moment où le suffrage féminin serait instauré en matière fédérale. Le passage d'un régime à l'autre en serait ainsi facilité.

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Pour des considérations analogues, le Conseil fédéral a déclaré dans son rapport du 2 février 1951 (FF 1951, I, 366) qu'il avait toujours été d'avis qu'il serait plus juste d'instituer le suffrage féminin dans les communes et les cantons. Ce n'est qu'après qu'on aura fait certaines expériences en matière cantonale et communale que l'on pourra songer avec quelques chances de succès à instaurer le suffrage féminin dans le domaine fédéral.

Les choses se sont-elles considérablement modifiées depuis la rédaction du rapport susmentionné ? Nous croyons pouvoir, d'une façon générale, répondre négativement. Mais il y a un point important sur lequel on voit maintenant plus clair : c'est la possibilité de l'institution du suffrage féminin dans les cantons. Six nouvelles votations populaires ont eu lieu dans des cantons, savoir: Vaud (1951), Genève (1953), Zurich (1954), Baie-Ville (1954), Baie-Campagne (1955) et Berne (1956). Elles ont montré que la proportion des hommes favorables au suffrage féminin tend à augmenter.

Par exemple, dans le canton de Baie-Ville, la proportion des citoyens s'étant prononcés pour l'institution du suffrage féminin sans restriction a passé de 35 pour cent en 1920 à 45,1 pour cent en 1954. Dans le canton de Berne, en 1956, 45,6 pour cent des citoyens voulaient que les femmes reçussent le droit de vote en matière communale seulement. Quelques années plus tôt, c'est-à-dire en 1948, la proportion des acceptants avait été de 49,5 pour cent dans le canton de Soleure. Le canton de Baie-Campagne avait déjà soumis en 1926 aux citoyens la question du suffrage féminin en matière scolaire et d'assistance; 48,7 pour cent s'étaient prononcés favorablement. C'est pourquoi il ne paraît pas impossible que, dans un avenir rapproché, tel ou tel canton institue d'une manière ou d'une autre le droit de vote des femmes, ainsi que le souhaitent les associations pour le suffrage féminin. En revanche, on n'a pas encore l'impression qu'un nombre élevé de cantons accorderont ces prochaines années aux femmes le droit de vote sans restriction.

Cela étant, nous devons nous demander s'il ne vaudrait pas mieux essayer d'ores et déjà d'instaurer le suffrage féminin en matière fédérale.

On pourra objecter qu'une telle tentative échouerait certainement. Et l'on raisonnera comme suit: S'il n'a été possible,
dans aucun canton, d'atteindre le but, il sera sûrement impossible de réunir la double majorité du peuple et des cantons qui serait nécessaire pour l'institution du suffrage féminin en matière fédérale. Une telle objection mérite considération. H faut cependant se demander si, malgré cela, une tentative sur le terrain fédéral ne servirait pas la cause du suffrage féminin -- en matière fédérale ou cantonale -- et, partant, les idées de justice et de démocratie. Les raisons suivantes nous engagent à répondre affirmativement. L'expérience nous apprend de longue date que les grandes innovations politiques qui exercent une action profonde sur la vie de la collectivité n'aboutissent pas toujours Feuille fédérale. 109e année. Vol. I.

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du premier coup, notamment pas dans les démocraties, où il s'agit de convaincre la grande masse des citoyens que le projet qui leur est soumis est juste et approprié aux circonstances. Il faut souvent plusieurs tentatives pour arriver au but. Cela est tout particulièrement vrai pour le suffrage féminin. L'histoire nous apprend qu'il n'a pu être instauré, dans nombre d'Etats, qu'à la faveur d'une révolution ou sous la pression de circonstances tout à fait extraordinaires. Mais presque partout où il a été instauré par la voie ordinaire de la revision de la constitution ou de la loi, il suffisait d'une décision du parlement. Malgré cela, il a fallu souvent plusieurs tentatives. Ce n'est que dans un petit nombre de cas que les autorités ont dû consulter le peuple. Et si le peuple a répondu affirmativement, ce n'est souvent qu'en raison de circonstances particulières et après plusieurs vaines tentatives.

Nous pensons qu'en Suisse une tentative d'instaurer le suffrage féminin en matière fédérale encouragerait le mouvement. La présentation d'un projet répondrait surtout à la nécessité de fournir aux citoyens des informations aussi précises que possible sur les problèmes difficiles, fort complexes et importants que soulève le suffrage féminin. Elle donnerait aux partisans et aux adversaires l'occasion de discuter leurs arguments en public (presse, radio, assemblées, etc.) ou en privé. Les partis politiques devront également s'occuper de la question et se déterminer. Les femmes elles-mêmes, et leurs associations, pourront faire entendre leur voix et user de leur influence. En tout cas, la votation permettra de tirer certaines conclusions utiles pour l'avenir.

Pour ces motifs, nous vous proposons d'engager la procédure que comporte l'institution du suffrage féminin en matière fédérale, sans attendre que quelques cantons aient pris les devants.

2. Deux voies entrent en considération: celle de l'interprétation et celle de la revision de In constitution et delà loi.

La voie de l'interprétation est évidemment la plus simple et celle qui paraît conduire le plus sûrement au succès. C'est probablement la raison pour laquelle on a sans cesse essayé de faire régler le problème de cette façon. Cette voie pourrait être recommandée si elle était juridiquement admissible. Or il s'agit de savoir si les dispositions
en vigueur peuvent être interprétées en ce sens qu'elles donnent le droit de vote aux femmes ou si elles doivent être modifiées pour donner ce droit.

Certaines dispositions figurent dans la constitution, d'autres dans les lois.

Dans la constitution, il est question deux fois du droit de vote : à l'article 74, 1er alinéa, et à l'article 43, 2e alinéa. La première de ces dispositions est ainsi rédigée: «A droit de prendre part aux élections et aux votations tout Suisse âgé de vingt ans révolus qui n'est du reste point exclu du droit de citoyen actif par la législation du canton dans lequel il a son domicile.»

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Les deux premiers alinéas de l'article 43 disent que «tout citoyen d'un canton est citoyen suisse» et qu'dl peut, à ce titre, prendre part, au lieu de son domicile, à toutes les élections et votations en matière fédérale, après avoir dûment justifié de sa qualité d'électeur. » La comparaison de ces deux dispositions montre que l'article 74, 1er alinéa, règle le droit de vote du citoyen suisse, tandis que l'article 43, 2e alinéa, se borne à reconnaître au citoyen habile à voter qui est domicilié hors de son canton d'origine le droit de prendre part aux scrutins dans son canton de domicile après avoir justifié de sa qualité d'électeur. L'article 74, 1er alinéa, est ainsi la disposition déterminante. On doit donc se demander s'il se prête, sans revision, à une interprétation permettant d'instaurer le suffrage féminin par la voie législative.

Les dispositions assurant l'exécution de la règle constitutionnelle sont éparses dans plusieurs lois. La loi du 17 juin 1874 concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux (ES 1, 162) contient un article 10 ainsi rédigé: «A droit de voter tout Suisse âgé de vingt ans révolus et qui n'est du reste point exclu du droit de citoyen actif par la législation du canton dans lequel il a son domicile.» L'article 2 de la loi du 19 juillet 1872 sur les élections et votations fédérales (ES 1, 148) a exactement la même teneur. La loi du 14 février 1919 sur l'élection du Conseil national se réfère à cette disposition quand elle parle de «citoyens demeurant dans l'arrondissement et possédant le droit de vote». On constate ainsi que le droit de vote au sens étroit du terme est réglé dans la loi de 1874 et l'électorat dans celle de 1872. Pour déterminer si les femmes ont déjà le droit de vote en matière fédérale, il faut donc interpréter la loi de 1874 et pour déterminer si elles sont électrices et éligibles, il faut se fonder sur la loi de 1872.

H est incontesté que le législateur, tant à l'article 74 de la constitution que dans les lois susmentionnées, n'a compris par le mot «Suisse» que les hommes. Il a donc sciemment et intentionnellement exclu les femmes de l'exercice du droit de vote. Telle a aussi été la pratique suivie jusqu'à présent. Ces derniers temps, on a essayé, ici et là, de faire reconnaître le droit de vote aux femmes par une nouvelle
interprétation des dispositions en la matière, Le mot «Suisse», dit-on, peut aussi être compris dans un sens large, englobant les femmes, et cela d'autant plus que la constitution lui donne souvent cette acception large. Les articles 4, 43, 1er et 4e alinéas, 44, 45 et 60 en sont des exemples. Depuis l'adoption des dispositions sur le droit de vote, ajoute-t-on, les circonstances ont considérablement changé. Autrefois, il était conforme à la conception générale du droit que les femmes n'exercent pas le droit de vote. Aujourd'hui, cette conception a changé et l'on admet que les femmes doivent pouvoir voter. On prétend aussi que la loi ne doit plus être interprétée selon la méthode historique, qu'une s'agit donc plus de savoir ce que le législateur a voulu, mais qu'il y a lieu d'établir uniquement comment le texte constitutionnel ou légal doit être compris dans les circonstances présentes. La conclusion que l'on en tire est que

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le droit de vote peut et doit être accordé aux femmes sans qu'il faille modifier la constitution ou la loi.

On a cherché par deux voies différentes à atteindre ce but. On a essayé, ici et là, d'amener les autorités administratives cantonales à inscrire les femmes dans les registres civiques. Des recours de droit public au Tribunal fédéral ont même été déposés à cet effet. Toutes ces démarches se sont cependant heurtées au refus des autorités. Statuant en dernière instance, le Tribunal fédéral rejeta deux recours de droit public, tandis que les chambres fédérales en rejetèrent un. La question de savoir si les lois fédérales se prêtaient à une nouvelle interprétation dans le sens du suffrage féminin fut ainsi résolue négativement. Nous renvoyons à ce sujet au rapport du Conseil fédéral du 2 février 1951 (FF 1951,1, 364).

Dans sa requête au Conseil fédéral du 25 novembre 1950, l'association suisse pour le suffrage féminin suivit une autre voie. Elle demanda que l'article 10 de la loi de 1874 fût rédigé comme suit: «A droit de voter tout Suisse, homme ou femme, âgé de ...» Cette requête allait moins loin que les précédentes, puisqu'elle ne demandait pour les femmes que le droit de participer aux votations et non celui de participer aux élections. En outre, il ne s'agissait plus d'une nouvelle interprétation de la loi, mais de la constitution. Dans son rapport du 2 février 1951, le Conseil fédéral a déjà dit ce qu'il pensait de cette proposition. II s'y est opposé, par le motif que l'article 74 de la constitution ne permet pas de modifier ainsi la loi. Les conseils législatifs se rangèrent à cet avis.

Avant que les conseils législatifs aient eu l'occasion de traiter le rapport susmentionné, le conseiller national von Roten avait déposé, le 26 avril 1951, une motion demandant que la loi de 1874 fût revisée de manière que l'exercice des droits politiques fût étendu à la femme. Le Conseil fédéral s'opposa à cette motion, disant que l'article 74 de la constitution ne permettait pas une telle modification de la loi. Les chambres approuvèrent cette manière de voir.

De nombreux partisans du suffrage féminin continuent néanmoins à affirmer qu'il serait juridiquement possible d'instaurer ce suffrage par la voie d'une simple revision de la loi. Dans ces circonstances, il est nécessaire de traiter encore une
fois -- et plus à fond -- cette très importante question.

On n'affirme donc plus que la loi devrait être interprétée autrement.

On demande une revision de la loi. C'est reconnaître que celle-ci ne peut être l'objet d'une nouvelle interprétation. Les partisans de cette thèse soutiennent en revanche qu'il ne serait pas nécessaire de reviser la constitution, laquelle pourrait, aujourd'hui déjà, être interprétée en ce sens qu'elle donne le droit de vote aux femmes. Que cette opinion est mal fondée, cela ressort déjà du fait que le texte des deux dispositions légales est exactement le même que celui de la constitution (art. 74). L'identité n'est point fortuite.

Elle montre qu'on a voulu énoncer dans les deux lois et dans la constitution

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la règle que les femmes ne votent pas. Ce point n'est pas contesté. Mais il faut alors en tirer la conclusion que l'interprétation doit être la même pour toutes ces dispositions. Si l'on reconnaît que la loi ne se prête pas à une nouvelle interprétation, on doit le reconnaître aussi pour la constitution. Il en découle que, malgré les circonstances nouvelles, l'article 74 de la constitution ne peut pas être interprété d'une manière favorable au suffrage féminin et que la loi ne peut pas être modifiée dans le sens désiré. Certes, une loi modifiée dans ce sens serait valable, en vertu de l'article 113, 3e alinéa, de la constitution, mais il n'en reste pas moins qu'elle violerait la constitution.

Les conseils législatifs ne devraient pas prêter la main à cette violation.

D'autres considérations encore montrent qu'il est juridiquement impossible d'instaurer le suffrage féminin en donnant simplement une nouvelle interprétation à la constitution ou à la loi.

Ceux qui voudraient voir instituer le suffrage féminin par la voie de l'interprétation réclament l'application d'une nouvelle méthode d'interprétation. Ils demandent que l'article 74 de la constitution ne soit plus compris dans le sens que voulait lui donner et lui a incontestablement donné le législateur, mais dans le sens nouveau, qui, sans faire violence au texte, réponde au sentiment populaire actuel et aux conditions nouvelles. Il en est de même, est-il affirmé, pour l'interprétation de la loi. En termes juridiques, cela signifie remplacer l'interprétation historique par l'interprétation «objective». Le résultat en serait que l'article 74, qui jusqu'à présent excluait clairement les femmes du droit de vote, leur permettrait désormais de voter, dès que les autorités compétentes lui auraient donné cette nouvelle interprétation.

Le sens d'une disposition constitutionnelle changerait ainsi sans qu'il y ait eu revision formelle, c'est ce qu'on appelle en théorie une évolution de la constitution. Le juriste allemand Georg Jellinek est le premier qui ait soutenu qu'on pouvait modifier le droit de cette façon (cf. Verfassungsänderung und Verfassungsiwndlung, Berlin 1906). Cette thèse a été reprise, ces derniers temps, par l'Allemand Rudolf Smend (cf. Verfassung und Verfassungsrecht, p. 76 s.), ainsi que par Hsu-Dau-Lin (cf. l'art, dans les Beiträge
für ausländisches öffentliches Becht und Völkerrecht, Berlin 1933).

Elle pose en principe que les mesures prises pour la conservation de l'Etat peuvent être formellement en contradiction avec le droit constitutionnel positif, sans représenter pour autant une violation de la constitution.

Les tenants de cette théorie se fondent sur le fait d'expérience que l'interprétation d'une disposition subit souvent, dans la pratique, une certaine évolution, par adaptation aux circonstances nouvelles. Cette évolution se fait, dans biens des cas, graduellement d'une manière à peine perceptible et, parfois même, inconsciente. H y a lieu de mentionner ici l'interprétation donnée par le Tribunal fédéral à la notion de l'égalité devant la loi (art. 4 Cst.) et de la liberté du commerce et de l'industrie (art. 31 Cst.). L'inter-

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prétation s'adapte ici dans une certaine mesure aux conditions nouvelles et varie ainsi dans le temps. Le juge peut, certes, modifier ainsi son interprétation. Mais il est faux d'en déduire -- et c'est le point capital -- que l'Assemblée fédérale aurait le pouvoir de modifier de façon radicale, par un arrêté, le sens d'une disposition constitutionnelle. H s'agit en effet de deux choses tout à fait différentes. Dans un cas, le juge interprète la loi en l'appliquant ainsi qu'il en a l'obligation et le pouvoir. Dans l'autre, il s'agirait au contraire de décider, pour l'avenir, par une disposition de portée générale, que le texte constitutionnel a changé de sens. Ce serait non plus une application, mais une modification de la disposition constitutionnelle.

Or, selon le droit en vigueur, une telle décision ne peut être prise par la seule Assemblée fédérale. Il faut encore l'acceptation par le peuple et les cantons. Pour cette raison déjà, une modification de la constitution par la voie de la simple interprétation ne peut pas entrer en considération.

Une autre question est de savoir si le parlement, voire le gouvernement, a le droit, en cas d'urgence extrême, de prendre des mesures temporaires débordant le droit positif, même constitutionnel, si elles paraissent indispensables au maintien de l'existence de l'Etat. Il s'agit là du problème du droit de nécessité. Nous n'avons pas à nous en occuper ici, étant donné que les conditions requises pour l'adoption d'un arrêté fondé sur le droit de nécessité ne sont manifestement pas remplies en l'occurrence. Nous n'avons pas non plus à traiter la question des principes à appliquer, en général, pour l'interprétation de la constitution.

Dans la doctrine, H. Kelsen (Hauptprobleme der Staatsrechtslehre, Tübingen 1911, p. 50) et Maurice Hauriou (Précis de droit constitutionnel, 1929, p. 261) se sont déjà prononcés en principe contre la modification de la constitution par voie d'interprétation. Luchiiiger (cf. Die Auslegung der schweizerischen Bundesverfassung, Zürich1954, p. 81 s.) est du même avis.

Quant à la question spéciale de savoir si l'article 74 de la constitution et les dispositions légales précitées peuvent être interprétés d'une manière reconnaissant le droit de vote aux femmes, le Tribunal fédéral et les auteurs ont émis des avis très approfondis. Tous
ces avis sont négatifs.

Dans un arrêt, non publié, du 14 septembre 1923 (Lehmann contre conseil communal de Berne), le Tribunal fédéral a contesté formellement cette possibilité. Il s'est exprimé comme suit : «L'article 74 de la constitution est décisif en premier lieu pour déterminer qui possède le droit de vote en matière fédérale, et il accorde ce droit en général à tout «Suisse» âgé de 20 ans révolus. Cette désignation, comme les expressions analogues qui figurent dans la législation fédérale sur les élections et votations, ne vise que les citoyens suisses du sexe masculin. Déjà d'après l'ancien droit coutumier ou écrit et jusqu'à nos jours, les femmes sont généralement exclues du droit de participer aux votations et élections. La suppression de cette exclusion équivaut par conséquent à l'abolition d'un régime juridique profondé-

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ment enraciné; elle ne peut être réalisée que par une disposition constitutionnelle ou légale, édictée clairement à cet effet et ne saurait être simplement tirée d'une prescription en vigueur f 1 ), alors que ceux qui l'ont établie n'avaient pas envisagé une telle modification. Le fait aussi que jusqu'à maintenant les femmes n'ont jamais été admises à participer à des élections et votations fédérales montre clairement que l'article 74 de la constitution ne confère le droit de vote qu'aux hommes. Or, telle étant la portée de l'article 74 de la constitution, un droit de vote des femmes en matière fédérale ne peut pas non plus être tiré de l'article 4 ou d'une autre disposition de la constitution fédérale. » Dans son commentaire (p. 40), le professeur Walther Burckhardt s'exprime dans le même sens quand il écrit: «En ce qui concerne l'égalité des sexes en droit public et en droit privé, le Tribunal fédéral expose ce qui suit dans son arrêt du 29 janvier 1887 en la cause Kempin (ATF 13, p. 4) : «La recourante invoque l'article 4 de la constitution fédérale et en infère que la constitution garantit l'égalité absolue des sexes dans le domaine du droit public et du droit privé. Une telle interprétation est aussi nouvelle que hardie, mais elle ne saurait être adoptée (1). Tirer pareille conséquence serait en contradiction avec toutes les règles de l'interprétation historique. Le traitement inégal des deux sexes en matière de droit public ne paraît nullement, tout au moins actuellement, dénué de tout fondement intrinsèque.» Burckhardt a confirmé cette opinion dans son livre Methode und System des Rechts (p. 279).

Le conseiller national von Boten a déclaré (ES CN 1951, p. 516) que Burckhardt aurait soutenu ailleurs la thèse contraire (p. 40 du commentaire). Burckhardt y dit en réalité ce qui suit: «II n'est pas nécessaire d'accorder les droits politiques aux femmes, mais il n'est pas non plus contraire à la constitution de les leur accorder comme la constitution zurichoise permet de le faire par la voie législative.» Ainsi que cela ressort déjà de la mention de la constitution zurichoise, cette remarque concerne l'institution du droit du suffrage féminin dans les cantons, et non pas dans la Confédération. Burckhardt se borne ainsi à dire que la constitution fédérale n'empêche pas les cantons d'instituer le
suffrage féminin en matière cantonale et communale. II ne dit aucunement que le suffrage féminin puisse être institué en matière fédérale sans revision de la constitution.

Il importe de noter que même l'auteur du mémoire de l'association suisse pour le suffrage féminin, le professeur Kägi, déclare dans le mémoire (p. 64a) que la voie de la nouvelle interprétation de la constitution, en t 1 ) C'est nous qui soulignons. -- La consultation du professeur Werner Kägi a été publiée soua le titre Der Anspruch der Schweizer Frau auf politische Gleichberechtigung, avec un avant-propos du professeur Max Huber, par l'association suisse pour le suffrage féminin (Polygraphischer Verlag, Zurich 1956). Lorsque le présent message cite la consultation Kägi, il indique les pages du texte original remis au département do justice et police.

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particulier de l'article 74, ne lui paraît «ni juridiquement licite ni politiquement praticable». Il ajoute : Sous le régime de la constitution écrite «rigide», une révision partielle, en bonne et due forme, est nécessaire. (*).

Dans le discours prononcé lors de son accession à la charge de recteur, le professeur Liver a déclaré ce qui suit au sujet de l'article 74 de la constitution : « II est constant que le législateur ne visa que les Suisses du sexe masculin. Cette volonté compte encore aujourd'hui. Il faut rejeter une autre interprétation (1), quand bien même les termes de la loi la permettraient et même si l'on peut soutenir que l'institution du suffrage féminin serait un acte de raison et de justice» (Der Wille des Gesetzes, 1953, p. 23).

Plus récemment, Lüchinger (ibid., p. 145s.) a développé plus complètement la même idée en disant: «II ne serait pas admissible que l'Assemblée fédérale, par la voie de l'interprétation, aille au delà de ce qu'a voulu jadis le constituant et crée un nouveau droit constitutionnel sans le concours du pouvoir compétent pour reviser la constitution. Au reste, une modification du droit par la voie de l'interprétation serait particulièrement choquante en l'occurrence, parce que de nombreuses votations dans les cantons ont montré assez clairement que le constituant d'aujourd'hui est opposé à l'instauration du suffrage féminin et parce que les partisans d'une nouvelle interprétation à donner à l'article 74 de la constitution reconnaissent ouvertement qu'il s'agit simplement d'éviter le veto qu'émettrait certainement le pouvoir compétent pour reviser la constitution. C'est avec raison que le rapporteur de la commission du Conseil national a déclaré que ce serait user de cheminements dérobés.» Pour conclure, Lüchinger relève ce qui suit: «Tant que l'on reste sur le terrain de l'unité de l'ordre juridique et de la légitimité absolue du droit positif, il n'y a qu'une façon correcte de chercher à instituer le suffrage féminin en matière fédérale: c'est la revision de la constitution. Cette constatation ne saurait être infirmée par la considération -- politique -- que l'obligation de recourir à la voie de la revision constitutionnelle met malheureusement en question, pour aujourd'hui du moins, le triomphe du mouvement en faveur du suffrage féminin en matière fédérale.»
(*) C'est également l'avis du professeur Battelli (Recueil de travaux, publié par la faculté de droit de Genève, 1938, p. 20) et par trois femmes: Hortensia Zängerle (Die öffentlichrechtliche Stellung der Frau in der Schweiz, thèse Pribourg 1940, p. 39), Elisabeth Köpfli (Die öffentlichrechtlichen Rechte und Pflichten der Frau nach schweizerischem Recht, thèse Zurich 1942, p. 70) et Elisabeth Neumayer (Die Schweiz und das Frauenstimmrecht, Mannheim 1934, p. 49).

L'opinion du professeur Oiacometti n'est pas clairement exprimée.

Dans son livre Das Staatsrecht der schweizerischen Kantone (Zürich 1941, p. 188s.), il déclare qu'on peut se demander s'il est encore possible de (!) C'est nous qui soulignons.

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s'en tenir à l'interprétation historique des constitutions cantonales, de la constitution fédérale et des lois cantonales, selon laquelle le mot «Suisse» ne s'applique qu'aux citoyens du sexe masculin. Une note (n° 18) déclare ce qui suit : « Si les femmes ne sont exclues du droit de vote que par l'effet d'une interprétation de la constitution et de la loi, on pourrait formellement instaurer le suffrage féminin en interprétant simplement en sens contraire les dispositions en la matière, sans les reviser, en tout cas sans réviser les constitutions cantonales.» On peut cependant se demander si cela serait politiquement réalisable. Giacometti considère ainsi, au moins pour les constitutions cantonales, qu'une simple interprétation pourrait, le cas échéant, suffire. On ne voit cependant pas bien si la remarque vise aussi la constitution fédérale.

Les considérations que le même auteur exprime aux pages 432 et suivantes de l'ouvrage publié huit ans plus tard sous le titre Schioeizerisches Bundeastaatsrecht se rapportent en revanche manifestement à la constitution fédérale. On y lit ce qui suit: «La doctrine et la pratique tiennent pour évident que l'article 74 de la constitution et l'article 2 de la loi sur les élections et votations ne visent sous le terme de «Suisse» que les citoyens du sexe masculin. La démocratie suisse n'est pas bien disposée à l'égard du suffrage féminin. Juridiquement, le fait que la femme ne peut exercer les droits politiques peut se fonder sur l'interprétation historique des dispositions fédérales en la matière. Le législateur n'a certainement pas voulu conférer le droit de vote aux femmes. Mais on peut se demander si les circonstances nouvelles, notamment le fait que la femme prend de plus en plus part à l'activité professionnelle et remplit même des fonctions militaires (service complémentaire féminin, protection antiaérienne), permettent raisonnablement de maintenir cette interprétation historique de la constitution et de la loi et de la déclarer conciliable avec le principe de l'égalité de traitement et du suffrage universel. Il ne pourrait cependant être question d'instituer le suffrage féminin en donnant simplement une autre interprétation à la constitution et à la loi, c'est-à-dire en se passant d'une revision de la constitution, voire de la loi sur les élections et
votations fédérales (1).

Cette dernière phrase montre selon nous que Giacometti est d'avis que le suffrage féminin ne saurait être instauré par la voie de l'interprétation.

Quelques partisans du suffrage féminin invoquent l'avis du professeur Max Huber pour étayer la thèse selon laquelle il suffirait d'interpréter différemment les textes. Ils n'ont pas raison. Voici pourquoi: Dans son article, souvent discuté, publié dans la Neue Zürcher Zeitung du 14 mars 1951 (n° 563) sur la question du suffrage féminin, le professeur Huber s'est borné à dire: «J7 conviendrait par conséquent d'examiner^) si l'Assemblée fédérale, par une interprétation authentique, ne pourrait pas donner au texte actuel une interprétation fondée sur les circonstances ( !) C'est nous qui soulignons.

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qui se sont foncièrement modifiées depuis 1848. » M. Huber ajoutait que l'Assemblée fédérale aurait cette compétence.

Cela ne signifie pas que la voie de l'interprétation serait possible. Le professeur Huber s'est borné à dire qu'il y aurait lieu d'examiner ai l'on pourrait avoir recourt à l'interprétation authentique. Il faut constater, après examen, que tel n'est pas le cas. Selon l'opinion dominante, le procédé de l'interprétation authentique n'est pas du tout connu en droit fédéral. Le professeur Burckhardt pense que la constitution interdit une interprétation authentique, même lorsqu'il s'agit de dispositions légales (Kommentar, p. 668, note 3). Le Conseil fédéral a, lui aussi, statué plusieurs fois dans ce sens. Pour sa part, le professeur Giacometti (Bundesstaatsrecht, p. 762 et note 43) admet l'interprétation authentique pour les lois fédérales, mais constate qu'elle ne signifie pratiquement rien, du fait qu'elle se confond avec une modification formelle de la loi.

Même si l'on admettait la possibilité d'une interprétation authentique, le problème ne serait pas encore résolu. En effet, sauf disposition particulière, seule l'autorité qui a édicté un précepte légal est qualifiée pour lui donner une interprétation authentique. Cela revient à dire que l'interprétation donnée par l'Assemblée fédérale devrait être confirmée par le peuple et les cantons (cf. Luchinger, p. 146, note 57). Le professeur Huber lui-même fait observer que la voie de l'interprétation authentique conduirait sûrement à une votation populaire en raison de la possibilité d'un referendum. La règle selon laquelle la majorité des cantons est aussi nécessaire ne serait alors pas observée.

A côté du Tribunal fédéral, la doctrine conteste donc catégoriquement la possibilité juridique d'instituer le suffrage féminin par la voie d'une simple interprétation. Point n'est besoin, semble-t-il, d'insister sur le fait qu'on ne saurait invoquer en l'occurrence l'article 4 de la constitution, car l'article 74 représente une disposition spéciale qui prime l'article 4.

On ne peut pas non plus invoquer le droit coutumier. Quant au droit naturel, il ne peut l'emporter sur le droit positif. Les tentatives faites aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne pour instituer le suffrage féminin par cette voie échouèrent également.

Dans ces conditions,
il est évident que le Conseil fédéral doit s'opposer à nouveau à ce qu'il soit fait usage du procédé de la simple interprétation. Il tient à mettre sérieusement en garde contre le recours à ce procédé. Ce serait créer un précédent dangereux qui pourrait être plus tard invoqué par ceux qui voudraient, dans une question importante, reviser la constitution sans observer les formes légales.

3. Si le terme «Suisse» figurant dans l'article 74 de la constitution, de même que dans les dispositions légales qui s'y rapportent, n'englobe pas les Suissesses, force est de constater qu'il est nécessaire de suivre la procédure ordinaire de la revision si l'on veut modifier l'ordre établi. Une

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revision des lois ne suffit pas, elle devrait être précédée d'une revision de la constitution, car sans revision de la constitution les modifications législatives n'auraient pas de base constitutionnelle.

Il ne suffit cependant pas non plus de modifier la constitution, n faut encore que les dispositions légales, c'est-à-dire l'article 10 de la loi de 1874 et l'article 2 de la loi de 1872, soient adaptées au nouveau texte constitutionnel.

4. Nous devons nous poser ici la question de la participation des femmes à la votatimi. On a exprimé le voeu que les femmes aient elles-mêmes la faculté de participer à la votation sur la revision de la constitution, étant donné que leur futur statut de droit public en matière fédérale est en jeu et qu'il serait par conséquent injuste de leur refuser la possibilité de dire leur mot.

Juridiquement, il n'est pas douteux que les femmes ne seront habiles à voter qu'après l'entrée en vigueur d'un article constitutionnel modifié.

Selon la teneur qui sera donnée à cet article, elles devraient peut-être même attendre que les nouvelles dispositions légales aient été mises en vigueur. Si l'on veut que les femmes puissent participer à la votation sur l'institution du suffrage féminin, il faut donc leur en donner le droit. La votation sur le texte constitutionnel réglant le fond du problème devrait ainsi être précédée d'une votation sur une disposition donnant aux femmes le droit de participer à cette unique votation, c'est-à-dire conférant un droit de vote ad hoc. Seuls les hommes pourraient, cela va sans dire, prendre part à cette votation préliminaire. On ne saurait objecter que les hommes ont déjà été admis au scrutin lorsqu'il s'agissait de l'institution du suffrage universel. Le fait est, certes, incontestable. Mais la situation juridique était toute différente, puisque les autorités qui étaient alors compétentes pour reviser la constitution avaient déjà donné leur assentiment, ce qui aurait suffi. Si l'on a demandé en outre l'avis des citoyens qui n'avaient pas encore le droit de vote, on l'a fait à titre purement surérogatoire.

Pour procéder d'une façon parallèle, il faudrait, aujourd'hui, demander d'abord aux hommes de se prononcer sur le suffrage féminin et, en cas de réponse affirmative, inviter les femmes à en faire de même.

Si nous sommes bien renseignés,
aucun pays étranger n'a jamais procédé de cette manière. Au Danemark, dans une votation sur la question de savoir si l'âge de la majorité civique devait être réduit de 23 à 21 ans, on a toutefois également admis au scrutin les personnes de 21 à 23 ans. A fin octobre 1956 une initiative populaire a demandé dans le canton de BàieVille que les femmes soient admises à participer au scrutin concernant l'instauration du suffrage féminin.

H faut reconnaître qu'il y a une certaine différence entre la modification en question et d'autres modifications de la constitution qui s'imposeront plus tard. A regarder les choses de plus près, on constate cependant que la différence n'est pas fondamentale. Il s'agit d'une question

816

de degré. Lee modifications qu'il y aura lieu d'apporter plus tard à la constitution intéresseront aussi les femmes, mais la modification concernant le suffrage féminin les touchera plus directement et plus fortement. Il convient de noter en outre que la votation préliminaire pourrait préjuger partiellement le résultat de la votation définitive. Une telle votation préliminaire ne serait guère utile. Elle ne serait qu'une cause de complications et de frais.

Pour ces raisons, nous ne croyons pas pouvoir vous recommander pareille revision préliminaire de la constitution.

5. Autre chose est de savoir s'il y aurait lieu d'ouvrir une enquête parmi les femmes ou de les appeler aux urnes pour une votation d'essai.

Enquête et votation d'essai sont deux termes qui ont ici la même signification juridique. Dans l'un et l'autre cas, il ne s'agit pas d'une votation au sens juridique, étant donné que le résultat n'a pas d'effet obligatoire.

On a affaire à un simple relevé statistique, encore que la façon de procéder puisse revêtir plutôt la forme d'une votation que d'une enquête statistique.

La préférence sera donnée à l'un ou l'autre terme selon la forme prédominante.

Des propositions concernant une votation d'essai parmi les femmes ont déjà été faites en 1950. L'exécution d'une telle votation étant du ressort des gouvernements cantonaux, le Conseil fédéral leur demanda, par circulaire, de lui dire ce qu'ils pensaient de la chose. Huit cantons et cinq demicantons se déclarèrent nettement opposés, affirmant qu'une votation de cette sorte donnerait une fausse image de la situation. Seuls trois cantons et un demi-canton accueillirent favorablement l'idée, quelques-uns faisant cependant des réserves. Vu ce résultat, le Conseil fédéral renonça à recommander ou à envisager la procédure en question (rapport de 1951, FF 1951,1,359).

Depuis cette époque, de nouvelles suggestions ont été faites. Ce fut déjà le cas lors de la discussion du rapport précité. Nous faisons allusion ici au postulat Picot, au Conseil des Etats, et au postulat Nicole, au Conseil national, qui tous deux furent rejetés. Divers milieux continuèrent à exprimer des voeux favorables à une votation d'essai, auxquels les associations féminines se montrèrent toutefois plutôt opposées. Sur le terrain cantonal, de telles consultations eurent lieu à
Genève (1952) et Baie-Ville (1954); en 1955, la ville de Zurich, de son côté, a aussi interrogé les femmes sur leur attitude à l'égard du suffrage féminin en même temps qu'elle procédait à un autre relevé statistique.

Ces consultations ont eu, certes, des résultats intéressants. La consultation de Zurich, par exemple, a réfuté le grief principal, savoir qu'une grande partie des femmes -- notamment des adversaires du suffrage féminin ·-- ne peuvent être atteintes, ce qui donne une fausse idée de la situation. En effet, alors que les autres votations d'essai n'ont pu réunir 60 pour cent des personnes appelées à s'exprimer, cette nouvelle méthode permit d'atteindre 84,2 pour cent des femmes intéressées. La situation a été ainsi sérieusement élucidée en vue du moment où les électeurs seront appelés à s'exprimer.

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Nous ne pensons cependant pas qu'il soit opportun ou nécessaire de procéder, sur le plan fédéral, à une enquête statistique s'inspirant de la consultation cantonale; vu les circonstances, nous préférons proposer de faire trancher directement la question de principe.

6. Il faut enfin se demander quelles modifications devront être apportées au texte de. la constitution, en d'autres termes comment le principe du suffrage féminin devra être exprimé et dans quelle mesure les autres articles constitutionnels devront être adaptés.

a. La base de la réglementation des votations et élections étant fixée à l'article 74, 1er alinéa, de la constitution, c'est avant tout cette disposition qu'il s'agit de modifier. Mais cela entraînerait l'adaptation d'une série d'autres articles de la constitution; nous reviendrons sur ce point. Cette procédure pourrait être évitée si l'on adoptait, à l'artick 4 relatif à l'égalité devant la loi, un complément concernant l'égalité politique des femmes.

L'article 4 actuel dispose: «Tous les Suisses sont égaux devant la loi. Il n'y a en Suisse ni sujets, ni privilèges de lieu, de naissance, de personnes ou de familles.» Dans notre rapport du 2 février 1951 fFF 1951, I, 358), nous avons proposé d'insérer un deuxième alinéa ainsi rédigé : «En matière fédérale, les hommes et les femmes qui possèdent la nationalité suisse ont les mêmes droits et obligations politiques. Sont réservées les dispositions sur le service militaire obligatoire.» L'éventualité d'une adaptation du texte des articles 43 et 74 de la constitution avait été envisagée. Cette procédure aurait l'avantage d'éviter l'adaptation d'autres articles constitutionnels.

b. On obtiendrait toutefois des règles répondant mieux aux exigences de la systématique et de clarté en modifiant la disposition de base sur le droit de vote, soit l'article 74, 7er alinéa, et en adaptant d'autres articles.

Après un examen minutieux de la question, nous préférons cette dernière solution.

aa. La disposition fondamentale, c'est-à-dire l'article 74, 1er alinéa, de la constitution prévoit ce qui suit : «A droit de prendre part aux élections et votations tout Suisse âgé de vingt ans révolus et qui n'est du reste point exclu du droit de citoyen actif par la législation du canton dans lequel il a son domicile.» Conformément à une suggestion
présentée par l'association suisse pour le suffrage féminin en vue de la revision de la loi de 1874, il serait possible d'insérer après le mot «Suisse» l'expression «homme ou femme», ce qui donnerait: «A droit de prendre part aux élections et votations tout Suisse, homme ou femme, âgé de vingt ans révolus...» Nous préférons cependant un autre texte pour des motifs rédactionnels et proposons donc la teneur ci-après : « Ont droit de prendre part aux élections et votations fédérales tous les Suisses et toutes les Suissesses âgés de vingt ans révolus et qui ne sont du reste point exclus du droit de citoyen actif par la législation du canton dans lequel ils ont leur domicile.»

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bb. Cette modification entraîne l'adaptation de tous les articles de la constitution qui accordent aux «Suisses» et aux «citoyens suisses» des droits politiques. Ces dispositions doivent indiquer clairement que les femmes auront dorénavant aussi ces droits. Il s'agit des dispositions que nous reproduisons ci-dessous en opposant le nouveau texte proposé au texte actuel: Texte actuel Art. 43 1 Tout citoyen d'un canton est citoyen suisse.

2 II peut, à ce titre, prendre part, au lieu de son domicile, à toutes les élections et cotations en matière fédérale, après avoir dûment justifié de sa qualité d'électeur.

3 Nul ne peut exercer des droits politiques dans plus d'un canton.

4 Le Suisse établi jouit, au lieu de son domicile, de tous les droits des citoyens du canton et, avec ceux-ci, de tous les droits des bourgeois de la commune. La participation aux biens des bourgeoisies et des corporations et le droit de vote dans les affaires purement bourgeoisiales sont exceptés de ces droits, à moins que la législation cantonale n'en décide autrement.

5 En matière cantonale et communale, il devient électeur après un établissement de trois mois.

6 Les lois cantonales sur l'établissement et sur les droits électoraux que possèdent en matière communale les citoyens établis sont soumises à la sanction du Conseil fédéral.

Texte proposé Art. 43 1 Tous les ressortissants d'un canton, de l'un ou l'autre sexe, sont citoyens suisses.

2 Ils peuvent, à ce titre, prendre part, au lieu de leur domicile, à toutes les élections et votations en matière fédérale, après avoir dûment justifié de leur qualité d'électeur.

3 Sans changement.

4 Après un établissement de trois mois, les Suisses, de l'un ou l'autre sexe, peuvent exercer, au lieu de leur domicile, en matière cantonale et communale, les droits politiques reconnus aux ressortissants et ressortissantes de la commune de do* micile. (Ancien al. 5.)

s Pour le reste, les Suisses établis, de l'un ou l'autre sexe, jouissent, au lieu de leur domicile, de tous les droits des ressortissants et ressortissantes du canton et de la commune.

La participation aux biens des bourgeoisies et des corporations et le droit de vote dans les affaires purement bourgeoisiales sont exceptés de ces droits, à moins que la législation cantonale n'en décide autrement. (Ancien al. 4.)

6 Sans changement.

Art. 66 La législation fédérale fixe les limites dans lesquelles un citoyen suisse peut être privé de ses droits politiques.

Art. 66 La législation fédérale fixe les limites dans lesquelles une personne ayant le droit de voter peut être privée de ses droits politiques.

819

Texte actuel Art. 75 Est éligible comme membre du Conseil national tout citoyen suisse laïque et ayant droit de voter.

Texte proposé Art. 75 Est éligible comme membre du Conseil national toute personne laïque et ayant droit de voter.

Art. 89, 2e al.

Les lois fédérales et les arrêtés fédéraux de portée générale doivent être soumis à l'adoption ou au rejet du peuple lorsque la demande en est faite par 30 000 citoyens actifs ou par huit cantons.

Art. 89, 2e al.

- Les lois fédérales et les arrêtés fédéraux de portée générale doivent être soumis à l'adoption ou au rejet du peuple lorsque la demande en est faite par soixante mille personnes ayant le droit de voter ou par huit cantons.

Art. 89 bis, 2 al.

Lorsque la votation populaire est demandée par trente mille citoyens actifs ou par huit cantons, les arrêtés fédéraux mis en vigueur d'urgence perdent leur validité un an après leur adoption par l'Assemblée fédérale s'ils ne sont pas approuvés par le peuple dans ce délai; ils ne peuvent alors être renouvelés.

Art. SQbis, 2e al.

Lorsque la votation populaire est demandée par soixante mille personnes ayant le droit de voter ou par huit cantons, les arrêtés fédéraux mis en vigueur d'urgence perdent leur validité un an après leur adoption par l'Assemblée fédérale s'ils ne sont pas approuvés par le peuple dans ce délai; ils ne peuvent alors être renouvelés.

Art. 96, 1er al.

Les membres du Conseil fédéral sont nommés pour quatre ans, par les conseils réunis, et choisis parmi tous les citoyens suisses éligibles au Conseil national. On ne pourra toutefois choisir plus d'un membre du Conseil fédéral dans le même canton.

Art. 96, 1er al.

Les membres du Conseil fédéral sont nommés pour quatre ans, par les conseils réunis, et choisis parmi toutes les personnes ayant le droit de voter et éligibles au Conseil national. On ne pourra toutefois choisir plus d'un membre du Conseil fédéral dans le même canton.

Art. 108, 1er al.

Peut être nommé au Tribunal fédéral tout citoyen suisse éligible au Conseil national.

Art. 108, 1er ai.

Peut être nommée au Tribunal fédéral toute personne ayant le droit de voter et éligible au Conseil national.

Art. 120 Lorsqu'une section de l'Assemblée fédérale décrète la revision to-

Art. 120 Lorsqu'une section de l'Assemblée fédérale décrète la revision

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820 T&xte, actuel

tale de la constitution fédérale et que l'autre section n'y consent pas, ou bien lorsque 50 000 citoyens suisses ayant droit de voter demandent la revision totale, la question de savoir si la constitution fédérale doit être revisée est, dans l'un comme dans l'autre cas, soumise à la votation du peuple suisse, par oui ou par non.

2 Si, dans l'un ou dans l'autre de ces cas, la majorité des citoyens suisses prenant part à la votation se prononce pour l'affirmative, les deux conseils seront renouvelés pour travailler à la re vision.

Art. 121, 2« et 5» al.

L'initiative populaire consiste en une demande présentée par 50 000 citoyens suisses ayant le droit de vote et réclamant l'adoption d'un nouvel article constitutionnel ou l'abrogation ou la modification d'articles déterminés de la constitution en vigueur.

5 Lorsque la demande d'initiative est conçue en termes généraux, les chambres fédérales, si elles l'approuvent, procéderont à la revision partielle dans le sens indiqué et en soumettront le projet à l'adoption ou au rejet du peuple et des cantons. Si, au contraire, elles ne l'approuvent pas, la question de la révision partielle sera soumise à la votation du peuple; si la majorité des citoyens suisses prenant part à la votation se prononce pour l'affirmative, l'Assemblée fédérale procédera à la revision en se conformant à la décision populaire.

2

Texte proposé totale de la constitution fédérale et que l'autre section n'y consent pas, ou bien lorsque cent mille personnes ayant le droit de voter demandent la révision totale, la question de savoir si la constitution fédérale doit être revisée est, dans l'un comme dans l'autre cas, soumise à la votation du peuple suisse, par oui ou par non.

2

Si, dans l'un ou dans l'autre de ces cas, la majorité des personnes prenant part à la votation se prononce pour l'affirmative, les deux conseils seront renouvelés pour travailler à la re vision.

Art. 121, 2e et 5« al.

L'initiative populaire consiste en une demande présentée par cent mille personnes ayant le droit de vote et réclamant l'adoption d'un nouvel article constitutionnel ou l'abrogation ou la modification d'articles déterminés de la constitution en vigueur.

5 Lorsque ^'initiative est conçue en termes généraux, les chambres fédérales, si elles l'approuvent, procéderont à la revision partielle dans le sens indiqué et en soumettront le projet à l'adoption ou au rejet du peuple et des cantons. Si, au contraire, elles ne l'approuvent pas, la question de la revision partielle sera soumise à la votation du peuple; si la majorité des personnes prenant part à la votation se prononce pour l'affirmative, l'Assemblée fédérale procédera à la révision en se conformant à la décision populaire.

2

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Texte actuel

Texte proposé

Art. 123, 1« al.

La constitution fédérale revisée ou la partie revisée de la constitution entre en vigueur lorsqu'elle a été acceptée par la majorité des citoyens suisses prenant part à la votation et par la majorité des Etats.

Art. 123, 1er al.

La constitution fédérale revisée ou la partie revisée de la constitution entre en vigueur lorsqu'elle a été acceptée par la majorité des personnes prenant part à la votation et par la majorité des Etats.

1

1

Il n'est en revanche pas nécessaire de procéder à une adaptation de l'article 112 de k constitution relatif au jury, lequel peut comprendre aussi bien des femmes que des hommes.

ce. La désignation «Suisses» ou «citoyens suisses» figure encore dans quelques dispositions gui ne concernent pas les droits politiques, mais valent pour les citoyens des deux sexes. La nécessité .d'adapter ces articles si les droits politiques sont accordés aux femmes n'est pas absolue. Ces dispositions sont actuellement déjà interprétées en ce sens que les femmes peuvent se fonder sur elles dans la même mesure que les hommes. Pour plus de clarté, nous recommandons toutefois aussi une mise au point de ces articles, qui sont les suivants : Texte proposé Texte actuel

Art. 44, 1er al.

Aucun ressortissant suisse ne peut être expulsé du territoire de la Confédération ou de son canton d'origine.

Art. 44, 1" al.

Aucun ressortissant suisse, de l'un ou l'autre sexe, ne peut être expulsé du territoire de la Confédération ou de son canton d'origine.

Art. 45, 1er et 6« al.

Tout citoyen suisse a le droit de s'établir sur un point quelconque du territoire suisse, moyennant la production d'un acte d'origine ou d'une autre pièce analogue.

Art. 45, IM et 6e al.

Toua les ressortissants suisse«, de l'un ou l'autre sexe, ont le droit de s'établir sur un point quelconque du territoire suisse, moyennant la production d'un acte d'origine ou d'une autre pièce ayant une teneur équivalente.

6 Le canton qui accorde l'établissement à un Suisse, de l'un cm l'autre sexe, ne peut exiger aucun cautionnement ni imposer aucune condition particulière pour cet établissement. De même, les communes ne peuvent imposer, aux Suisses do56

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* Le canton dans lequel un Suisse établit son domicile ne peut exiger de lui un cautionnement, ni lui imposer aucune charge particulière pour cet établissement. ï)e même, les communes ne peuvent imposer, aux Suisses domiciliés sur Feuille fédérale. 109e année. Vol. I.

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Texte, actuel

Texte proposé

leur territoire, d'autres contributions que celles qu'elles imposent à leurs propres ressortissants.

miciliés sur leur territoire, d'autres contributions que celles qu'elles imposent à leurs propres ressortissants.

Il faudrait rattacher à ce groupe la première phrase de l'article 4, qui dispose: «Tous les Suisses sont égaux devant la loi». Cette disposition vise les Suisses des deux sexes. L'idée pourrait être exprimée en ces termes : «Tous les Suisses et toutes les Suissesses sont égaux devant la loi.» On est toutefois d'accord pour admettre que les étrangers peuvent aussi se prévaloir de cette disposition, même s'ils sont domiciliés à l'étranger (cf. ATF 51, II, 102). Cet article est interprété comme s'il était ainsi rédigé: «Tous les êtres humains sont égaux devant la loi. » Comme il s'agit d'une disposition fondamentale ayant donné naissance à une abondante jurisprudence, nous déconseillons tout amendement à ce texte à l'occasion d'une revision partielle.

dd Il reste encore les articles 18, 1er alinéa, et 19, lettre b, dans lesquels le terme de «Suisse» n'implique et continuera à n'impliquer que les hommes. Il n'est toutefois pas nécessaire de préciser l'expression puisque -- exception faite de l'article 4 -- les femmes sont expressément comprises dans tous les cas où la désignation «Suisse» ou «citoyen suisse» se rapporte aussi à elles. Nous préférons donc éviter une modification qui n'est pas indispensable, afin que la question du suffrage féminin ne donne pas lieu à une discussion oiseuse.

7, Une fois la constitution revisée, la modification de certaines lois fédérales, notamment de celles de 1872 et de 1874 concernant le droit de vote, sera inévitable. Mais le moment n'est pas encore venu de nous prononcer sur les modalités de ces revisions.

Vu ce qui précède, nous concluons qu'il faut accorder aux femmes suisses, en matière fédérale, exactement les mêmes droits politiques qu'aux hommes et que la constitution fédérale doit être revisée en ce sens Nous vous proposons donc d'adopter le projet d'arrêté ci-annexé, qui devra être soumis à la votation du peuple et des cantons.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 22 février 1957.

11448

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Streul Le chancelier de la Confédération, Ch. Oser

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(Projet)

ARRÊTÉ FÉDÉRAL sur

l'institution du suffrage féminin en matière fédérale

L'Assemblée, fédérale, de, la Confédération suisse, vu les articles 121 et suivants de la constitution; vu le message du Conseil fédéral du 22 février 1957,

I La constitution fédérale est modifiée comme il suit:

Art. 43, 1** al.

Tous les ressortissants d'un canton, de l'un ou l'autre sexe, sont citoyens suisses.

Art. 43, 2* al.

Ils.peuvent, à ce titre, prendre part, au lieu de leur domicile, à toutes les élections et votations en matière fédérale, après avoir dûment justifié de leur qualité d'électeur.

Art. 43, & al.

Après un établissement de trois mois, les Suisses, de l'un ou l'autre sexe, peuvent exercer, au lieu de leur domicile, en matière cantonale et communale, les droits politiques reconnus aux ressortissants et ressortissantes de la commune de domicile.

Art. 43, 5e a.

Pour le reste, les Suisses établis, de l'un ou l'antre sexe, jouissent, au lieu de leur domicile, de tous les droits des ressortissants et ressortissantes du canton et de la commune. La participation aux biens des bourgeoisies et des corporations et le droit de vote dans les affaires purement bourgeoisiales sont exceptés de ces droits, à moins que la législation cantonale n'en décide autrement.

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Art. 44, l** al, Aucun ressortissant suisse, de l'un ou l'autre sexe, ne peut être expulsé du territoire de la Confédération ou de son canton d'origine.

Art, 4o, lei al.

Tous les ressortissants suisses, de l'un ou l'autre sexe, ont le droit de s'établir sur un point quelconque du territoire suisse, moyennant la production d'un acte d'origine ou d'une autre pièce ayant une teneur équivalente.

Art. 45, 6e al.

Le canton qui accorde l'établissement à un Suisse, de l'un ou l'autre sexe, ne peut exiger aucun cautionnement ni imposer aucune condition particulière pour cet établissement. De même, les communes ne peuvent imposer, aux Suisses domiciliés sur leur territoire, d'autres contributions que celles qu'elles imposent à leurs propres ressortissants.

Art. 66 La législation fédérale fixe les Emîtes dans lesquelles une personne ayant le droit de voter peut être privée de ses droits politiques.

Art. 74, 7« al.

Ont droit de prendre part aux élections et votations fédérales tous les Suisses et toutes les Suissesses âgés de vingt ans révolus et qui ne sont du reste point exclus du droit de citoyen actif par la législation du canton dans lequel ils ont leur domicile.

Art. 75 Est éligible comme membre du Conseil national toute personne laïque et ayant droit de voter.

Art. 89, 2* al.

Les lois fédérales et les arrêtés fédéraux de portée générale doivent être soumis à l'adoption ou au rejet du peuple lorsque la demande en est faite par soixante mille personnes ayant le droit de voter ou par huit cantons.

Art. ASbis, & al.

Lorsque la votation populaire est demandée par soixante mille personnes ayant le droit de voter ou par huit cantons, les arrêtés fédéraux mis en vigueur d'urgence perdent leur validité un an après leur adoption par l'Assemblée fédérale s'ils ne sont pas approuvés par le peuple dans ce délai ; ils ne peuvent alors être renouvelés.

Art. 96, l^t al.

Les membres du Conseil fédéral sont nommés pour quatre ans, par les conseils réunis, et choisis parmi toutes les personnes ayant le droit de

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voter et éligibles au Conseil national. On ne pourra toutefois choisir plus d'un membre du Conseil fédéral dans le même canton.

Art. 108, lel al.

Peut être nommée au Tribunal fédéral toute personne ayant le droit de voter et éligible au Conseil national.

Art. 120 Lorsqu'une section de l'Assemblée fédérale décrète la revision totale de la constitution fédérale et que l'autre section n'y consent pas, ou bien lorsque cent mille personnes ayant le droit de voter demandent la revision totale, la question de savoir si la constitution fédérale doit être revisée est, dans l'un comme dans l'autre cas, soumise à la votation du peuple suisse, par oui ou par non.

Si, dans l'un ou dans l'autre de ces cas, la majorité des personnes prenant part à la votation se prononce pour l'affirmative, les deux conseils seront renouvelés pour travailler à la revision.

Art. 121, 2e al.

L'initiative populaire consiste en une demande présentée par cent mille personnes ayant le droit de vote et réclamant l'adoption d'un nouvel article constitutionnel ou l'abrogation ou la modification d'articles déterminés de la constitution en vigueur.

Art. 121, &al.

Lorsque l'initiative est conçue en termes généraux, les chambres fédérales, si elles l'approuvent, procéderont à la révision partielle dans le sens indiqué et en soumettront le projet à l'adoption ou au rejet du peuple et des cantons. Si, au contraire, elles ne l'approuvent pas, la question de la revision partielle sera soumise à la votation du peuple; si la majorité des personnes prenant part à la votation se prononce pour l'affirmative, l'Assemblée fédérale procédera à la revision en se conformant à la décision populaire.

Art. 123, 1er a£ La constitution federale revisée ou la partie revisée de la constitution entre en vigueur lorsqu'elle a été acceptée par la majorité des personnes prenant part à la votation et par la majorité des Etats.

II Le présent arrêté sera soumis à la votation du peuple et des cantons.

Le Conseil fédéral est chargé de son exécution.

mts

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MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'institution du suffrage féminin en matière fédérale (Du 22 février 1957)

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