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FEUILLE FÉDÉRALE 84e année

Berne, le 21 septembre 1932

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Paraît une fois par semaine. Fris: 20 francs par an; 10 francs pour six mois, plus la taxe postale d'abonnement ou de remboursement.

Avis: 50 centimes la ligne on son espace; doivent être adressés franco à l'imprimerie des hoirs K.-J. Wyss, société anonyme, à Berne.

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MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur la convention internationale pour limiter la fabrication et réglementer la distrbution des stupéfiants, du 13 juillet 1931.

(Du 19 septembre 1932.)

Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous adresser un message sur la convention internationale pour limiter la fabrication et réglementer la distribution des stupéfiants conclue, à Genève, le 13 juillet 1931.

I.

Dans notre rapport, du 27 décembre 1929, sur les travaux de la Xe session de. l'assemblée de la Société des Nations (1), nous avions exposé à la suite de quelles circonstances le besoin s'était fait sentir de recourir à de nouvelles mesures pour combattre le trafic illicite des stupéfiants, dont on signalait un peu partout la recrudescence. L'abus des drogues faisant des ravages dans diverses régions du globe, force avait été de reconnaître que la convention de Genève du 19 février 1925, malgré la rigueur du contrôle qu'elle instituait sur la fabrication et le commerce des alcaloïdes et des matières premières, ne permettrait pas, à elle seule, d'enrayer le fléau.

Dé nombreux pays n'avaient pas donné suite, en effet, aux appels réitérés que leur avait adressés la Société des Nations en vue de les amener à participer à la convention; d'autres, qui étaient liés par l'accord de Genève, n'avaient peut-être pas mis, à l'appliquer, tout l'empressement qu'on eût pu souhaiter. L'effet de ces abstentions ou de ces tolérances était inévitable : Entravé, réprimé dans certains Etats, le trafic illicite des drogues pouvait s'organiser dans d'autres et, grâce à une contrebande pleine de ressources, stimulée par l'appât de profits considérables, s'infiltrer de préférence dans les pays où la toxicomanie se pratique sur une grande échelle.

(1) V. FF 1929, III, 887.

Feuille fédérale. 84» année. Vol. II.

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La convention de 1925 n'aurait pu donner les résultats escomptés qu'à la condition d'être strictement et universellement appliquée. Sans doute, elle n'est pas parfaite dans toutes ses parties; elle n'a pas armé les Etats contre toutes les possibilités de contrebande, -- il suffit de songer au cas de la codéine, dont nous parlerons plus loin; -- mais, comme le directeur de notre service de l'hygiène publique, le Dr Carrière, l'avait fait observer, à diverses reprises, à la commission consultative de l'opium, il n'en reste pas moins que, si tous les pays avaient assumé les obligations qu'elle prévoit et appliqué les mesures de contrôle qu'elle prescrit, la fabrication des alcaloïdes aurait probablement pu être ramenée, peu à peu, au niveau des besoins médicaux et scientifiques. Nous n'aurions pas connu un régime de surproduction qui a donné libre carrière au commerce clandestin et même encouragé ses entreprises. Les saisies pratiquées, ces dernières années, surtout dans les grandes places de commerce, portaient sur des quantités dont l'unité était la tonne. Encore les quantités saisies ne représentaient-elles qu'une faible fraction des drogues passées.

dans le trafic illicite.

Devant le danger que la contrebande faisait courir au monde et, en particulier, à des pays comme la Chine, l'Inde et l'Egypte, où l'armée des toxicomanes recevait de continuels renforts, la Société des Nations se devait d'agir. Elle n'aurait pu capituler en rejetant la responsabilité de la défaite sur les Etats restés en dehors de la convention du 19 février 1925. L'article 23 de son pacte l'a expressément chargée du contrôle général sur le trafic des drogues. Cette tâche, elle doit en poursuivre inlassablement l'accomplissement. Il importait donc qu'elle reprît l'examen de tout le problème et cherchât à remédier au mal par des moyens assez efficaces pour que la carence de certains pays n'en neutralisât pas les résultats.

Mais quels pouvaient être ces moyens ?

On avait pensé à l'origine qu'un contrôle strict de la distribution aurait pour effet de réduire progressivement la fabrication aux quantités nécessaires pour les besoins légitimes. De la sorte, le trafic illicite aurait été enrayé, puisqu'il n'aurait plus su où s'alimenter. Les prévisions avaient été malheureusement démenties par les faits. Les trafiquants de drogues
n'éprouvèrent pas de sérieuses difficultés à s'approvisionner, d'abord, parce que le contrôle n'était pas universel et, ensuite, parce que de nouvelles fabriques de stupéfiants avaient été créées dans des pays qui ne participaient ni à la convention de La Haye de 1912, ni à la convention de Genève de 1925. Le système présentait ainsi une double fissure par où passait le trafic illicite. Faute de pouvoir restreindre la fabrication par des moyens indirects, il ne restait plus qu'un parti à prendre: la restreindre par un régime de limitation directe.

D'aucuns pensaient que cette limitation directe devrait s'étendre, non seulement à la fabrication proprement dite des drogues, mais encore à

519 la production des matières premières, c'est-à-dire à la culture du pavot somnifère et de la feuille de coca. La limitation de la production des matières premières apparut cependant bientôt comme difficilement réalisable, du moins dans un proche avenir. Pour plusieurs pays, tels la Turquie, la Yougoslavie, l'Inde et la Perse, la culture du pavot constitue un facteur essentiel de l'économie nationale. Ce n'est qu'après plusieurs années d'études et de recherches qu'il serait peut-être possible de substituer à la culture du pavot d'autres cultures économiquement avantageuses. D'autre part, une limitation de la production suppose des relevés cadastraux; mais, comme dans certains des pays dont il s'agit, ils se révéleraient ou très sommaires ou inexistants, on ne se trouverait pas à pied d'oeuvre avant un long travail de géomètres et d'arpenteurs. Il y a lieu, enfin, de considérer qu'un plan de limitation ne serait guère concevable pour la feuille de coca puisque cette feuille, que l'on trouve en Bolivie, au Pérou, ainsi que dans les Indes néerlandaises, pousse sur un buisson qui croît à l'état sauvage. Ces difficultés -- et nous ne les avons pas toutes énumérées -- incitèrent à renoncer, pour le moment, à une restriction de la production pour ne s'arrêter qu'à une limitation directe de la fabrication (1).

C'est ce qui fut décidé par l'assemblée de la Société des Nations au cours de sa dixième session. La résolution qu'elle adopta à cet effet, le 24 septembre 1929, avait la teneur suivante: « L'assemblée, émue des révélations contenues dans le rapport de la commission consultative au sujet des quantités considérables de drogues nuisibles qui passent encore dans le trafic illicite ; « Rappelant les propositions formulées à l'occasion de la conférence de Genève de 1924-25, en vue de la limitation directe au moyen d'un accord conclu entre les gouvernements des pays fabricants, des quantités de drogues nuisibles fabriquées ; « Prenant acte de l'importante déclaration faite au cours de la présente réunion de l'assemblée par le représentant de la France et portant que son gouvernement a décidé d'imposer cette limitation à ses fabricants, ainsi que des déclarations faites par d'autres gouvernements quant à la limitation de la fabrication ; « Reconnaissant que la convention de Genève de 1925, dont l'application
effective devrait être assurée le plus tôt possible dans tous les pays, prévoit l'organisation indispensable pour le contrôle national et international du trafic des stupéfiants, mais que, par suite du retard apporté à la mise en vigueur de la convention, ses effets ne peuvent se réaliser dans un avenir prochain ; (*) L'idée d'une limitation de la production des matières premières a été reprise à la dernière assemblée de la Société des Nations. On a accepté, en principe, de convoquer ultérieurement une conférence chargée d'aborder ce problème. V. notre rapport sur cette assemblée, FF 1932, I, 305.

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« Désirant que, si possible, des mesures complétant la convention soient -prises sans délai en vue de limiter la fabrication des drogues nuisibles aux quantités requises pour les besoins de la médecine et de la science : <( I. Considère comme étant dès maintenant accepté le principe de la limitation par voie d'accord international de la fabrication des drogues mentionnées aux paragraphes b, c et g de l'article 4 de la convention de Genève ; « //. Invite la commission consultative à préparer des plans en vue de cette limitation en tenant compte des besoins mondiaux pour les fins médicales et scientifiques, ainsi que des moyens permettant d'empêcher une hausse des prix qui aboutirait à la création de nouvelles usines dans des pays qui ne sont pas actuellement des pays fabricants ; « III. Le rapport de la commission sera soumis au conseil, qui prendra une décision quant à la convocation d'une conférence des gouvernements des pays où sont fabriquées les drogues susmentionnées, ainsi que des gouvernements des principaux pays consommateurs dont le nombre ne devra pas dépasser celui des pays fabricants ; le conseil décidera également si certains experts proposés par la commission consultative du trafic de l'opium et par le comité d'hygiène devraient participer à cette conférence ; «IV. Recommande que le nombre des membres de la commission consultative soit augmenté, afin d'assurer au sein de cette commission une représentation plus effective des pays non fabricants; « V. Décide qu'une somme de 25,000 francs suisses sera inscrite au budget de la Société pour 1930 afin de couvrir les dépenses de ladite conférence. » Dans notre rapport sur les travaux de la XIe assemblée (*), nous avions indiqué quelle avait été la suite donnée, en premier lieu, à cette résolution.

Nous avions fait mention, en particulier, du plan de limitation établi par la commission consultative de l'opium dans sa session de janvier 1930, de la conférence des Etats manufacturiers qui s'était réunie à Londres du 27 octobre au 12 novembre 1930 (2), de la décision prise par l'assemblée de soumettre l'étude du problème de la limitation à une conférence universelle (3) et, enfin, de la résolution prévoyant la réunion de la conférence en mai 1931.

(1) y. FF 1931,1, 101.

(2) A laquelle nous étions représentés par le Dr Carrière, directeur du
service fédéral de l'hygiène publique, et par M. C. Gorgé, Ier chef de section au département politique.

(3) On se souviendra peut-être qu'il avait été décidé d'abord de n'y inviter que lea Etats fabricants et un nombre égal de pays non fabricants. V. notre rapport sur les travaux de la X<= assemblée, FF 1929, III, 887.

521 A sa session de janvier 1931, la commission consultative de l'opium élabora, en s'inspirant de ses travaux antérieurs et de ceux de la conférence de Londres, un projet de convention destiné à servir de base de discussion à la conférence de mai. Le projet était, quant à son économie générale, conforme au plan esquissé en 1930 par la commission. Il se fondait sur trois éléments que la commission définissait comme il suit dans son rapport au conseil: « 1. La fabrication mondiale des stupéfiants serait limitée chaque année à une quantité déterminée sur la base des évaluations à fournir far tous les pays des quantités de stupéfiants dont ils auraient besoin pendant cette année pour des usages médicaux et scientifiques.

« 2. La fraction de cette quantité globale à fabriquer par chacun des pays fabricants serait fixée à l'avance au moyen d'accords conclus entre eux selon un système de quotes-parts.

« 3. Les dispositions nécessaires seraient prises pour assurer à chaque pays les fournitures de stupéfiants jusqu'à concurrence des quantités indiquées dans ses évaluations, quel que soit le pays auquel le consommateur préfère s'adresser. » Le projet de convention était ainsi caractérisé par un système d'allocation de quotes-parts ou contingents de fabrication aux pays dits « exportateurs ». Ce' système devait toutefois s'avérer inapplicable dans la suite.

Comme il paraissait créer un monopole de fait en faveur de certains pays, il suscita une vive opposition auprès de ceux qui estimaient ne pas en avoir le bénéfice direct. Il donna, au surplus, naissance à des compétitions entre Etats manufacturiers sur la fixation des quotes-parts. Les déclarations qui avaient été faites à la commission consultative tant par les délégués du Japon, de la Turquie et de la Yougoslavie que par les représentants de pays « consommateurs » n'avaient guère laissé de doutes quant aux difficultés que rencontrerait la conférence à réaliser un accord général sur la base.

du projet de convention discuté à Genève et à Londres.

La conférence s'ouvrit le 27 mai à Genève sous la présidence de M. de Brouckère (Belgique). Cinquante-sept pays (*), dont onze n'appartenaient (*) Afghanistan, Albanie, Allemagne, Etats-Unis d'Amérique, Argentine, Autriche, Belgique, Bolivie, Brésil, Canada, Chili, Chine, Costa-Rica, Cuba, Danemark, Ville
libre de Dantzig, république Dominicaine, Egypte, Espagne, Estonie, Ethiopie, Finlande, France, Grande-Bretagne, Grèce, Guatemala, Hedjaz et Nedjed, Hongrie, Inde, Etat libre d'Irlande, Italie, Japon, Lettonie, Libéria, Lithuanie, Luxembourg, Mexique, Monaco, Norvège, Panama, Paraguay, Pays-Bas, Pérou, Perse, Pologne, Portugal, Roumanie, Saint-Marin, Siam, Suède, Suisse, Tchécoslovaquie, Turquie, U. R. S. S., Uruguay, Venezuela, Yougoslavie. ·-- Trois pays, Afghanistan, Brésil, Estonie, n'avaient envoyé que des observateurs.

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pas à la Société des Nations, s'y étaient fait représenter(1). La lutte s'engagea d'emblée entre partisans et adversaires du système de quotes-parts. Le représentant de la Grande-Bretagne, en particulier, dépensa de louables efforts pour sauver le projet établi par la commission consultative et- dont, en grande partie, la paternité lui revenait. Mais, après trois semaines d'échanges de vues publics et de conciliabules privés, force fut bien de reconnaître qu'une entente serait impossible. La délégation suisse était restée, pour sa part, en dehors de cette compétition qui faillit, à un moment donné, compromettre le succès de la conférence. Elle s'était prononcée nettement en faveur du principe de la limitation. Quant à la méthode à suivre, elle se fût ralliée de préférence à celle que la commission consultative et la conférence de Londres avaient longuement discutée, puis finalement approuvée; mais, comme M. Dinichert le déclara dès le début, au cours du débat général, elle était prête à examiner toute proposition raisonnable susceptible de conduire au but recherché.

Les systèmes de limitation opposés au système préconisé par la commission consultative ne manquaient pas. Il en est un qui devait finir par s'imposer. Prévoyant l'éventualité où la méthode des contingents succomberait devant les assauts répétés qui lui seraient livrés au sein de la commission consultative, le délégué de la France avait déjà esquissé les grandes lignes d'un projet qui tendait à limiter la fabrication pour chaque pays, d'une part, à la quantité dûment annoncée à l'avance comme étant nécessaire à ses besoins légitimes et au maintien de ses stocks de réserve, d'autre part, à la quantité nécessaire pour ses exportations, établie sur la base des commandes fermes reçues pour être exécutées sur certificats d'importation délivrés conformément à la convention de Genève de 1925. Ce système impliquait, entre autres, l'inconvénient de permettre à tout Etat de se livrer à la fabrication de stupéfiants et d'augmenter ainsi les risques de contrebande ; il avait, en revanche, sur le système des quotes-parts, l'avantage de ne reconnaître aucun privilège aux pays qui avaient alimenté jusqu'ici, pour des fins licites, le marché mondial. Cet avantage présentait une importance capitale aux yeux de la majorité des délégations. Le délégué du
Japon, qui s'était montré d'emblée réfractaire au projet de convention élaboré par la commission consultative, prit à son compte l'idée française et en saisit officiellement la conférence. Le projet, désigné communément, en raison de son origine, sous le nom de projet franco-japonais, fut finalement adopté par la conférence, sous réserve, bien entendu, des retouches de fond et de forme qu'il paraîtrait utile d'y apporter. Sa caractéristique essentielle résidait dans le fait qu'indépendamment des quantités requises pour la consommation intérieure, les manufactures ne pouvaient (*) La délégation suisse comprenait deux délégués :'M. Paul Dinichert, chef de la division des affaires étrangères, et le Dr Carrière, chef du service fédéral de l'hygiène publique, ainsi qu'un conseiller juridique, M. Camille Gorgé, Ier chef de section au département politique.

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fabriquer que les quantités commandées de l'extérieur avec l'assentiment du gouvernement du pays destinataire. La limitation de la fabrication s'opérait ainsi à l'aide d'un élément précis et contrôlable : le permis ou certificat d'importation délivré par le pays importateur. L'accumulation de quantités excessives, sans rapport avec les besoins à satisfaire, devenait impossible. C'est le risque que l'on voulait avant tout conjurer. Le système y parait pleinement; il était donc satisfaisant.

L'accord réalisé sur une méthode de limitation, la conférence, dont le travail avait été entravé par les divergences de vues qui l'avaient divisée dès le principe, put reprendre, selon un rythme plus accéléré, l'examen des stipulations d'ordre technique et juridique de la convention projetée.

Après avoir commencé son travail au sein de diverses commissions et souscommissions, où nos délégués jouèrent un rôle actif, la conférence, décidée à terminer sa tâche dans la première quinzaine de juillet, poursuivit, pour gagner du temps, ses délibérations en séances plénières. Cette méthode de travail, quelque peu insolite, avait pour elle l'excuse des délais, mais elle ne laissait pas de présenter de réels inconvénients. Nombre de questions furent réglées, si l'on peut dire, au pas de course. La discussion hâtive qu'on s'était imposée ne permettait pas toujours d'aller au fond de certains problèmes, et l'on peut se demander si, sur certains points, l'accord ne s'est pas fait parfois au prix de quelque confusion, voire de malentendus.

La conférence acheva ses travaux le dimanche 12 juillet, et, le lendemain, elle ouvrit à la signature des délégations une convention pour limiter la fabrication et réglementer la distribution des stupéfiants, un protocole de signature, ainsi qu'un acte final. Ces trois instruments, dont on trouvera le texte à l'annexe, furent immédiatement signés par nos délégués, conformément aux instructions du Conseil fédéral.

Le protocole de signature prévoit, en particulier, que, si la convention n'est pas entrée en vigueur le 13 juillet 1933, soit deux ans après son élaboration, le secrétaire général de la Société des Nations « soumettra la situation au conseil de la Société des Nations, qui pourra, soit convoquer une nouvelle conférence de tous les membres de la Société des Nations et Etats non
membres au nom desquels la convention aura été signée ou des ratifications ou des adhésions auront été déposées..., soit prendre les mesures qu'il considérerait comme nécessaires ». Chaque membre, de la Société des Nations, de même que chaque Etat non membre signataire ou adhérent s'engage, aux termes du protocole, à se faire représenter à la conférence ainsi convoquée. On comprend la raison de ces précautions. La convention répondant, de l'avis général, à un pressant besoin par suite de la recrudescence du trafic illicite, tout devrait être mis en oeuvre, le cas échéant, pour éviter qu'elle ne demeurât lettre morte faute des ratifications nécessaires.

Quant à la convention elle-même et à l'acte final, nous en examinerons rapidement ci-après les principales stipulations.

524 II.

La convention comprend trente-quatre articles, répartis en sept chapitres, consacrés aux définitions (article premier), aux évaluations (art. 2 à 5), à la limitation de la fabrication (art. 6 à 9), aux interdictions et restrictions (art. 10 à 12), au contrôle (art. 13 et 14), aux dispositions administratives (art. 15 à 19), enfin, aux dispositions générales (art. 20 à 34).

Nous allons les passer en revue; mais nous pensons pouvoir limiter cet examen aux dispositions principales, celles qui forment l'armature même de la convention, en laissant de côté les détails de caractère purement technique.

Rappelons d'emblée que la convention ne doit pas avoir pour effet d'abroger celles de 1912 (La Haye) et de 1925 (Genève). S'appliquant à un objet nettement défini, la limitation de la fabrication des stupéfiants et leur distribution, elle complète, ainsi que le dit expressément sonarticle 24, ces deux conventions, dont les dispositions demeurent en vigueur dans les rapports entre les parties contractantes. On peut toutefois se demander si, le moment venu, il ne conviendra pas de chercher à réunir en un seul instrument ces trois conventions, dont la coexistence pourra peut-être provoquer quelque confusion dans l'application des mesures qu'elles prescrivent.

Cela dit, nous passons à l'examen des divers chapitres de la convention.

Chapitre I. Définitions. -- Nous rappelons qu'on entend par stupéfiants, au sens des conventions internationales sur la matière, des produits ordinairement utilisés comme médicaments, mais dont la consommation finit par devenir, pour certains individus, un véritable besoin et provoque chez eux un ensemble de symptômes morbides, à la fois corporels et psychiques, réunis sous le nom de toxicomanie (morphinomanie, cocainomanie, etc.). Les conventions de 1912 et de 1925 ne s'appliquaient directement qu'aux produits dont le caractère nocif, en tant que stupéfiants, était déjà reconnu au moment de leur élaboration. Comme il fallait prévoir, cependant, l'apparition ultérieure sur le marché de nouveaux produits susceptibles d'engendrer une toxicomanie, la convention de 1925 a institué pour les atteindre, par son article 10, une procédure qui exige la coopération du comité d'hygiène de la Société des Nations et du comité permanent de l'office international d'hygiène publique de Paris,
ces deux organismes étant chargés d'examiner, avec le concours d'experts qualifiés, les propriétés de ces nouveaux produits et de dire si, à leur avis, ils doivent être considérés comme de véritables stupéfiants et soumis, de ce fait, aux effets des conventions. Or les expériences recueillies depuis le moment où les conventions sont entrées en vigueur ont montré les inconvénients d'une limitation trop stricte dans l'énumération des stupéfiants placés sous contrôle. Elle donne, en effet, aux fabricants la possibilité de lancer sur le marché des produits dont la vente ne sera soumise à aucune restriction jusqu'au moment où la procédure d'enquête rappelée plus haut, procédure

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de toute façon longue et compliquée, aura abouti à des conclusions et permis de décider du régime qui doit leur être appliqué. Cette situation peut, suivant les cas, avoir de fâcheuses conséquences, cela d'autant plus que la décision prise par le conseil de la Société des Nations au sujet de ces produits, sur le préavis des deux comités chargés de l'enquête, et transmise par lui aux Etats n'a que le caractère d'une simple recommandation.

Aussi la conférence, appliquant à sa manière l'adage des hygiénistes : mieux vaut prévenir que guérir, a-t-elle pensé qu'il fallait soumettre d'emblée aux dispositions de la nouvelle convention le plus grand nombre possible de produits, y compris ceux qui n'ont encore qu'une existence théorique.

Certains stupéfiants actuellement employés font partie, en effet, de séries presque indéfinies de corps chimiques, tels, par exemple, que les esters de la morphine -- auxquels appartient l'héroïne -- et de l'ecgonine -- parmi lesquels la cocaïne -- dont beaucoup n'ont été préparés jusqu'ici que dans les laboratoires scientifiques, mais dont la constitution permet de supposer qu'ils peuvent avoir les mêmes propriétés nocives que leurs homologues actuellement utilisés et dont on peut prévoir qu'ils seront fabriqués industriellement, un jour ou l'autre, pour des fins licites ou illicites. Pour parer à toute éventualité et à toute possibilité d'abus, la conférence a donc décidé que tous ces produits, présents ou futurs, devaient tomber sous le coup des dispositions de la convention. Elle les a réunis, dans la liste dont nous allons donner le détail, avec ceux qui sont déjà contrôlés en vertu des conventions précédentes, sous la dénomination générale de « drogues » ; elle n'a pas cru pouvoir continuer à leur donner le nom de stupéfiants, qui implique, au sens de ces conventions, la notion de nocivité, parce qu'elle leur adjoint encore, ainsi que nous le verrons plus loin, certains produits qui ne sont pas des stupéfiants, qui sont même des médicaments parfaitement inoffensifs et extrêmement utiles, mais qui peuvent cependant être employés pour certaines fins illicites.

La liste (art. 1er) comprend, tout d'abord, les drogues -- nous emploierons, dès maintenant, cette expression, devenue officielle -- visées par les conventions de 1912 et de 1925 en tant que stupéfiants proprement
dits, à savoir la morphine, l'héroïne et la cocaïne, ainsi que les préparations qui les contiennent dans certaines proportions déterminées. Si l'opium et la feuille de coca, matières premières employées pour la fabrication de la morphine (et de son dérivé l'héroïne) et de la cocaïne, ne sont pas mentionnés, c'est que la convention de 1931 ne vise que les drogues fabriquées; mais il va de soi qu'opium et feuille de coca demeurent soumis au contrôle institué par les conventions de 1912 et de 1925. Nous avons dit .plus haut comment et pourquoi la conférence avait renoncé à aborder le problème de la limitation de la production des matières premières, laissant le soin de le résoudre à une conférence ultérieure, et nous n'y reviendrons pas.

Vient ensuite une série de drogues qui ont vu le jour, si l'on peut dire, depuis la conclusion de la convention de 1925 et dont le caractère de

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stupéfiants dangereux a été reconnu après la procédure d'enquête rappelée plus haut. Ce sont -- nous ne donnons ici que leurs noms commerciaux, laissant de côté leurs noms chimiques, fort longs et compliqués, qui chargeraient inutilement notre exposé -- la benzoylmorphine et tous les dérivés analogues, ou esters, de la morphine, l'eucodal, le dicodide, le dilaudide et l'acédicone, tous produits dérivés, eux aussi, de la morphine ou d'un dérivé de celle-ci. La conférence a ajouté à ces drogues le paramorphan et la génomorphine, dont l'emploi est resté assez limité jusqu'ici et qui n'avaient pas encore été soumis à la procédure d'enquête, mais dont il semble bien qu'on puisse les assimiler aux drogues de caractère nocif.

La génomorphine appartient à l'une de ces séries de corps chimiques auxquels nous avons fait allusion plus haut, les composés N-oxymorphiniques, dont nous nous bornerons à dire ici qu'ils sont caractérisés par la position qu'occupé la molécule d'azote (N) dans leur formule. La conférence a estimé qu'il convenait, vu l'analogie de leur constitution avec celle de' la génomorphine, qui permet de conclure à l'analogie probable de leurs propriétés, de les soumettre aux dispositions de la convention.

Les diverses drogues que nous venons d'énumérer forment le sousgroupe a du groupe I établi par l'article premier de la convention; c'est, en fait, le sous-groupe des stupéfiants proprement dits, qui devaient tomber de toute façon sous le coup de la convention.

Dans un sous-groupe b du même groupe I, la conférence a réuni certains produits qui ne sont pas dangereux par eux-mêmes, mais qui peuvent être utilisés pour la fabrication de drogues stupéfiantes et auxquels elle a estimé que la convention devait, de ce chef, être appliquée. Ce sont l'ecgonine, un produit intermédiaire de la fabrication de la cocaïne, qui d'ailleurs n'est pas utilisé comme tel, mais peut servir pour la préparation, à côté de la cocaïne, qui est un de ses esters, d'autres esters suspects ; la thébaïne, un.

alcaloïde de l'opium, retiré directement de celui-ci et qui peut être utilisé pour la fabrication d'une drogue déjà mentionnée, l'acédicone ; enfin, certains dérivés de la morphine, dits éthers-oxydes, tels que la péronine ou benzylmorphine (qu'il ne faut pas confondre avec la benzoylmorphine, déjà mentionnée
également et qui est un ester), dont on a lieu de croire qu'elle pourrait être utilisée pour la fabrication de l'héroïne.

Si la conférence a jugé nécessaire d'assimiler entièrement aux drogues le groupe général des éthers-oxydes de la morphine, elle a estimé cependant qu'il convenait de faire une exception pour deux de ces produits, la codéine ou méthylmorphine et la dionine ou éthylmorphine, dont elle a fait un groupe spécial, le groupe II, et d'admettre pour eux un régime moins sévère.

La question de la codéine est depuis longtemps à l'ordre du jour. Quoique dérivée de la morphine, elle n'est pas un stupéfiant ; elle est, au contraire, un médicament parfaitement inoffensif, en particulier un précieux calmant de la toux, que les médecins emploient de plus en plus largement, en la substituant à la morphine partout où ils le peuvent. Il semble donc qu'on

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devrait en favoriser la "fabrication plutôt que la réglementer et la restreindre. Mais, si la codéine est inoffensive par elle-même, elle peut être utilisée pour la fabrication de certaines drogues, telles que le dicodide. Elle peut aussi servir de manteau à certaines manipulations illicites; comme elle est fabriquée avec la morphine, un fabricant pourrait, par exemple, prétendre avoir employé à cette fabrication telle quantité de morphine, alors qu'il aurait en réalité importé ou acheté sa codéine et employé sa morphine à de toutes autres fins. Il y aurait là un véritable camouflage. Aussi le délégué de la Suisse dans la commission consultative du trafic de l'opium de la Société des Nations avait-il déjà soutenu au sein de cette commission l'opinion que, pour parer à de tels abus, il fallait soumettre à un contrôle précis la fabrication, l'importation, l'exportation et la vente en gros de la codéine. La délégation suisse a repris cette idée devant la conférence et soumis à celle-ci une proposition qui fixait dans tous ses détails le régime de la codéine. Ce régime instituait le contrôle de la fabrication, de l'exportation, de l'importation et de la vente en gros, contrôle que la délégation suisse estimait suffisant pour prévenir les abus possibles. Il ne limitait pas la fabrication de la codéine pour cette raison que, l'emploi de ce médicament s'amplifiant toujours davantage et variant d'autre part dans des proportions considérables, d'une année à l'autre, suivant les conditions météorologiques et la fréquence des affections respiratoires qu'elles provoquent, il était impossible de déterminer à l'avance les quantités de ce médicament dont les Etats auraient besoin, évaluation qui est, comme nous allons le voir, la condition première de la limitation de la fabrication; d'autre part, les médecins ne pourraient pas admettre d'être étroitement limités dans la dispensation d'un médicament d'emploi journalier. La conférence, sans entrer complètement dans les vues de la délégation suisse, a cependant admis, après des débats par moments assez vifs, au cours desquels s'est manifestée une forte opposition des délégués de certains Etats fabricants au contrôle de la codéine, que celle-ci devait bénéficier d'un régime spécial en ce sens que les évaluations des besoins des Etats en codéine pourraient se faire
avec une marge beaucoup plus large que pour les autres drogues, ce qui voulait dire, en d'autres termes, que la fabrication de la codéine serait moins strictement limitée, étant bien entendu que cette fabrication serait soumise au contrôle général, de même que l'importation, l'exportation, et la vente en gros. Le même régime a été adopté pour la dionine ou éthylmorphine, un dérivé inoffensif, comme la codéine, de la morphine, mais d'un emploi beaucoup plus restreint.

En établissant la liste des drogues dont elle limitait la fabrication et en incorporant dans cette liste des produits qui ne sont pas encore sur le marché, la conférence a voulu prévoir l'avenir. Elle a voulu, en même temps, entourer la fabrication et l'emploi de ces drogues encore hypothétiques de toutes les précautions nécessaires et a institué pour cela une procédure détaillée qui figure à l'article 11 du chapitre IV. Comme cette

528 question est en rapport étroit avec celle que nous examinons ici, il nous a paru que nous pourrions anticiper, pour plus de clarté, sur l'examen de ce chapitre et résumer, dès maintenant, les dispositions de l'article 11.

D'après cet article, la fabrication et le commerce de tout dérivé de l'opium et de la feuille de coca qui n'est pas utilisé à l'heure actuelle pour des besoins médicaux et scientifiques ne pourront être permis, dans un pays quelconque, que si la valeur médicale ou scientifique du produit a été expressément constatée par le gouvernement intéressé. Premier point: Un produit nouveau ne peut être fabriqué que s'il a une réelle utilité. Celaétant fait, si le gouvernement du pays où le produit est apparu ne croit pas pouvoir décider que celui-ci est inoffensif à tous les points de vue, il en limitera la fabrication aux quantités nécessaires à sa consommation intérieure et pour satisfaire aux commandes d'exportation. Second point: Limitation d'emblée. En même temps, ce gouvernement avisera le secrétariat de la Société des Nations, qui saisira le comité d'hygiène; celui-ci décidera, sur le préavis du comité permanent de l'office international d'hygiène publique, si le produit est une drogue, c'est-à-dire s'il est susceptible d'engendrer la toxicomanie, ou s'il peut être transformé en une drogue et s'il doit être placé de ce fait, soit dans le sous-groupe a du groupe I, soit dans le sous-groupe 6 de ce même groupe ou dans le groupe II. Dans ce dernier cas, la question du régime à appliquer au produit sera soumise à un comité d'experts qualifiés; deux de ces experts seront désignés, respectivement, par le gouvernement intéressé et par la commission consultative du trafic de l'opium et désigneront à leur tour le troisième. La décision prise sera communiquée par le secrétaire général de la Société des Nations aux membres de la Société et aux Etats non membres, qui soumettront la drogue, le cas échéant, au régime prévu par la convention, suivant qu'elle sera comprise dans le groupe I ou dans le groupe II.

Cette procédure, que nous n'avons fait que résumer, présente une différence fondamentale avec celle qu'a instituée la convention de 1925 par son article 10. Tandis que, sous le régime de cette dernière, la fabrication et le commerce d'un nouveau produit, utile ou non, restent complètement
libres jusqu'au moment où le comité d'hygiène de la Société des Nations et celui de l'office de Paris ont décidé s'il doit être mis sous contrôle, la convention de 1931 saisit le produit dès son apparition sur le marché et en limite d'emblée la fabrication. Nous avons là un véritable régime préventif qui supprime cette période d'attente, de carence, pendant laquelle l'absence de contrôle rend tous les abus possibles, et il ne nous paraît pas superflu d'insister sur les progrès qu'il réalise.

Chapitre II. Evaluations. -- La convention de 1931 a pour but de limiter la fabrication des drogues visées par elle aux besoins médicaux et scientifiques des divers pays. Il faut donc que ces besoins soient connus d'une façon aussi exacte, aussi complète que possible et c'est ce point que règlent

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les articles du chapitre II, qui est, en fait, le plus important et comme la clef de voûte de tout le système.

Aux termes des dispositions contenues dans ce chapitre, les parties contractantes devront fournir annuellement (art. 2 et 5) au comité central permanent de l'opium, -- organisme institué par la convention de 1925 pour examiner les statistiques du trafic des drogues-communiquées périodiquement par les Etats, -- pour chaque drogue, l'évaluation des quantités dont elles auront besoin au cours de l'année suivante: 1° pour leurs besoins médicaux et scientifiques proprement dits et pour la fabrication des préparations pour lesquelles il n'est pas exigé d'autorisation, que ces préparations soient destinées à la consommation intérieure ou à l'exportation; 2° pour la transformation d'une drogue en une autre, tant pour la consommation que pour l'exportation; 3° pour le maintien des stocks de réserve; 4° pour le maintien des stocks d'Etat.

Cette énumération appelle quelques explications.

Les préparations mentionnées sous le chiffre 1 ci-dessus et pour l'exportation desquelles il n'est pas exigé d'autorisation (nous rappelons que les autorisations d'importation et d'exportation sont à la base du système de contrôle institué par la convention de 1925) sont celles dont la teneur en drogue est inférieure à une proportion déterminée ou celles encore qui renferment une drogue associée à des substances dont la nature et les propriétés rendent impossible toute consommation abusive. Ces préparations, qui sont l'objet d'un commerce important, sont souvent fabriquées dans des pays qui ne produisent pas les drogues nécessaires; ils doivent donc importer celles-ci et les faire figurer dans leurs évaluations.

La transformation mentionnée sous le chiffre 2 est la transformation d'une drogue en une autre, plus particulièrement de la morphine en codéine.

Cette industrie de transformation ne s'exerce pas uniquement dans les Etats producteurs de la drogue qui en est le point de départ ; il faut donc, ici encore, que les Etats non producteurs de cette drogue puissent l'importer, d'où la nécessité de la faire figurer également dans leurs évaluations.

Les stocks mentionnés sous le chiffre 3 sont ceux qui doivent être constitués et maintenus à un niveau suffisant pour faire face à certaines éventualités, telles
qu'une épidémie.

Quant aux stocks mentionnés sous le chiffre 4, ce sont ceux dont les Etats doivent pouvoir disposer pour les besoins de leur armée, de leur administration sanitaire et de leurs hôpitaux.

Il tombe sous le sens qu'un Etat ne pourra jamais, avec la meilleure volonté et la meilleure foi du monde, fournir des évaluations d'une précision absolue. En dehors des circonstances exceptionnelles auxquelles nous avons fait allusion, il est bien certain que la consommation de telle ou telle drogue peut varier dans un même pays, d'une année à l'autre, dans des pro-

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portions parfois assez marquées, suivant la fréquence plus ou moins grande de certaines maladies, comme nous l'avons déjà fait observer à propo's de la codéine. Pour tenir compte de ces fluctuations, la convention autorise très justement les Etats à ajouter à leurs évaluations une certaine marge et, le cas échéant, à présenter, en les justifiant, des évaluations supplémentaires.

Tout en admettant que ces évaluations seront établies et présentées en toute bonne foi, la conférence a estimé cependant qu'elles doivent être soumises à un certain contrôle (art. 5), qu'elle confie à un organe spécial dit « organe de contrôle », dont les membres seront désignés par la commis sion consultative du trafic de l'opium, le comité central permanent, le comité d'hygiène de la Société des Nations et le comité permanent de l'office international d'hygiène de Paris. Et c'est parce que l'évaluation des besoins d'un pays en médicaments, qu'il s'agisse de drogues ou d'autres produits, est une question d'ordre surtout médical que la conférence a voulu donner, dans cet organe de contrôle, une certaine prépondérance à l'élément médical représenté par les délégués de deux comités d'hygiène.

C'est en partie aussi pour la même raison qu'elle n'a pas cru pouvoir charger de ce contrôle le comité central permanent, dont la composition et, par conséquent, la compétence sont bien différentes.

Les évaluations lui ayant été communiquées par le comité central permanent, l'organe de contrôle les examinera, demandera, le cas échéant, toute indication ou précision supplémentaire qu'il jugera nécessaire, et il pourra, sur les renseignements ainsi recueillis, modifier les évaluations avec le consentement de l'Etat intéressé. Mais il aura, à côté de cela, une tâche encore plus délicate, celle d'établir des évaluations pour les Etats qui n'en auront pas donné. Les constatations recueillies en ce qui concerne les statistiques que les Etats sont tenus de fournir en application de la convention de 1925 ont montré combien il était difficile d'amener certains d'entre eux à accomplir régulièrement cette formalité. Il est donc permis de croire qu'il sera, peut-être, plus malaisé encore d'obtenir, surtout pendant les premières années d'application de la convention, les évaluations, de tous les Etats; les difficultés seront surtout grandes avec
les Etats qui ne seront pas parties à la convention. C'est l'organe de contrôle qui devra établir les évaluations des Etats défaillants, en se basant pour cela sur les renseignements dont il pourra disposer quant à l'importance de leur population et aux besoins de celle-ci en drogues et sur les probabilités qu'il aura tirées de la confrontation de ces facteurs de comparaison avec ceux que lui auront fournis les évaluations des autres Etats.

Une fois toutes ces évaluations réunies, l'organe de contrôle en dressera l'état, qui sera envoyé par le secrétariat de la Société des Nations à tous les membres de celle-ci et aux Etats non membres, en l'accompagnant, s'il le faut, de toutes les observations que l'organe de contrôle tiendra à présenter."

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Ainsi se trouvera accomplie la première étape de la limitation. Les quantités de drogues nécessaires aux besoins médicaux et scientifiques seront connues, sinon exactement, du moins avec une approximation qu'on peut espérer suffisante et c'est à ces quantités que la fabrication devra être limitée. Nous allons voir maintenant comment la convention règle cette fabrication et la distribution des drogues fabriquées.

Chapitre III. Limitation de la fabrication. -- Comme nous l'avons dit au commencement de ce message, l'avant-projet de convention élaboré par la commission consultative du trafic de l'opium et par la conférence préliminaire des Etats fabricants, réunie à Londres, prévoyait un système dit de « quotes-parts » qui répartissait les quantités totales de produits à fabriquer entre les Etats qui les fabriquent actuellement, sans exclure cependant la possibilité pour d'autres Etats de se livrer à cette fabrication moyennant certaines conditions. La conférence de Genève n'a pas cru pouvoir se rallier, pour les raisons que nous avons déjà exposées, à ce système et en a admis un autre, certainement plus compliqué, qui ne limite pas le nombre des pays fabricants et dont voici le mécanisme tel qu'il est fixé par les chapitres qui suivent. Pour plus de clarté, nous ne suivrons pas l'ordre strict des dispositions qui figurent dans ces différents chapitres ; nous les examinerons dans l'ordre qui paraît le plus utile pour la compréhension de la convention.

Nous venons de dire que celle-ci ne limite pas le nombre des pays fabricants. En effet, aux termes de l'article 20, tout pays qui se proposera d'autoriser sur son territoire la fabrication de drogues ou leur transformation enverra une notification au secrétariat de la Société des Nations, en indiquant si la fabrication ou la transformation sont destinées aux seuls besoins intérieurs du pays ou à l'exportation et à quelle époque elles commenceront; ce pays spécifiera, en même temps, quelles sont les drogues qui doivent être fabriquées ou transformées et indiquera le nom et l'adresse des personnes ou des maisons autorisées à se livrer à ces opérations. La convention institue ainsi un régime ouvert, en opposition au régime fermé qu'avait envisagé la commission consultative. Tout pays pourra, s'il le désire, autoriser d'emblée sur son territoire la fabrication
des drogues.

Force est de reconnaître que, si ce régime est de nature à satisfaire ceux qui redoutaient de créer un monopole en faveur de quelques Etats, il n'est pas fait pour faciliter le contrôle de la fabrication.

Comment, dans ces conditions, cette fabrication sera-t-elle limitée ?

Aux termes de l'article 6 de la convention, aucun pays ne pourra fabriquer, au cours d'une année, une quantité d'une drogue supérieure à celle qui lui est nécessaire, d'une part, pour faire face à ses besoins intérieurs tels qu'ils se trouveront indiqués dans ses propres évaluations (nous avons dit plus haut quelle devait être la teneur de celles-ci), d'autre part, pour exécuter les commandes destinées à l'exportation. Le principe de la limitation se

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trouve ainsi nettement fixé ; alors que, sous le régime actuel, un pays peut fabriquer des quantités illimitées de drogues, sa fabrication sera réduite, sous le régime de la nouvelle convention, aux quantités nécessaires à ses propres besoins et à ceux de ses clients, limités eux-mêmes par les évaluations des uns et des autres. Ainsi se trouvera écarté un des principaux risques auxquels a voulu parer la convention, celui de voir se créer dans certains pays des stocks importants de drogues qui pourraient alimenter le trafic illicite. Sur ce point, il n'est pas inutile de signaler que la délégation suisse s'était prononcée en faveur d'un système encore plus rigide; elle demandait que la fabrication fût limitée, pour la consommation intérieure, non pas aux évaluations, mais aux commandes reçues par les fabricants. De la sorte, on aurait réduit la fabrication de la marge, assez considérable peut-être, que comporte nécessairement toute évaluation. La majorité de la conférence n'a malheureusement pas cru devoir se rallier aux vues de la délégation suisse, en faisant valoir que ce système soulèverait certaines difficultés pratiques.

Nous avons vu que le comité central permanent élaborera un état des évaluations afférentes aux différents pays, état qui sera communiqué à toutes les parties contractantes. Les pays fabricants connaîtront ainsi les besoins des pays qui leur adressent des commandes et quelles sont, par conséquent, les quantités de drogues que ces pays peuvent importer et ils pourront les contrôler dans une certaine mesure. Mais ce contrôle ne suffira pas, le pays fabricant ne pouvant pas savoir si le pays qui lui adresse une commande n'a pas déjà obtenu son contingent. C'est ici qu'entre en jeu le contrôle du comité central permanent. Celui-ci reçoit déjà régulièrement le relevé des exportations et des importations des divers pays ; il connaîtra, d'autre part, par leurs évaluations, leurs besoins en drogues. Il pourra donc, en confrontant évaluations, exportations et importations, s'assurer si tel ou tel pays n'a pas dépassé son contingent. S'il y a dépassement, il avisera immédiatement les parties contractantes, qui ne pourront plus autoriser, pendant l'année en cours, de nouvelles exportations à destination du pays en cause, à moins que celui-ci n'ait fourni une évaluation supplémentaire
dûment justifiée ou qu'il s'agisse d'un cas exceptionnel dans lequel, de l'avis du gouvernement du pays exportateur, les intérêts de l'humanité se trouveront en jeu.

Tel est, résumé dans ses dispositions fondamentales, le système admis par la convention de 1931 pour limiter aux besoins médicaux et scientifiques la fabrication des drogues. Il est complété par toute une série de dispositions secondaires destinées à fixer la procédure à suivre à l'égard des pays qui n'auront signé, ni la convention de 1925, ni celle de 1931, à prévenir toutes les possibilités d'accumulation dans un pays de stocks importants de drogues, à fixer les mesures que les gouvernements auront à prendre quand l'existence de ces stocks aura été constatée, et par d'autres

533 dispositions encore, de caractère technique, dans le détail desquelles il nous paraît superflu d'entrer.

Chapitre IV. Interdictions et restrictions. -- Parmi les drogues visées par la convention, il en est une, à côté de la codéine, qui a fait beaucoup parler d'elle à Genève: l'héroïne ou diacétylmorphine. L'héroïne, on ne le sait que trop, est un stupéfiant dangereux, sans doute même le plus dangereux des stupéfiants actuellement connus. On a donc pu se demander avec juste raison s'il ne convenait pas d'en interdire purement et simplement la fabrication. Mais il se trouve que l'héroïne est aussi un médicament, qui a été utilisé jusqu'ici avec avantage dans certains états morbides, dans la tuberculose en particulier. Aussi la prohibition a-t-elle rencontré, dans les milieux médicaux, en Suisse notamment, une certaine opposition.

Après de vifs débats, la majorité de la conférence, y compris la délégation suisse, s'est ralliée à l'avis de ceux qui ne voulaient pas priver les médecins d'un médicament utile, voire indispensable et demandaient, par conséquent, que sa fabrication ne fût pas totalement prohibée. Mais la conférence a adopté ensuite à son égard des mesures qui tendent à réaliser, ou peu s'en faut, une véritable prohibition (art. 10). Les parties contractantes devront, en effet, interdire, de façon générale, l'exportation de l'héroïne et de ses sels et de toutes les préparations qui en contiennent ; exceptionnellement, cette drogue pourra être exportée sur demande expresse émanant du gouvernement d'un pays où l'héroïne n'est pas fabriquée, pour les quantités que ce gouvernement jugera nécessaires pour les besoins médicaux et scientifiques du pays; cette demande devra être accompagnée d'un certificat d'importation et l'héroïne adressée à l'administration officielle indiquée dans ce certificat ; l'héroïne importée sera distribuée par le gouvernement importateur lui-même et sous sa responsabilité. Il va de soi, d'autre part, qu'un Etat aura le droit d'interdire sur son territoire l'emploi de l'héroïne.

·Par ces restrictions, la fabrication de l'héroïne sera réduite dans des pro^ portions telles que se trouvera sans doute supprimé tout risque de trafic illicite. D'ailleurs, la question de la prohibition de l'héroïne demeure à l'ordre du jour et la conférence a adopté, à la fin de ses
travaux, une recommandation par laquelle elle prie les gouvernements d'examiner avec le corps médical la possibilité d'abolir ou de restreindre son usage et de communiquer les résultats de cet examen au secrétariat de la Société des Nations.

Ce même chapitre, qui traite des restrictions et interdictions, fixe la procédure à suivre, que nous avons déjà exposée plus haut, à l'égard des .nouveaux produits qui apparaîtront sur le marché, et nous n'y reviendrons pas.

Chapitre V. Contrôle. -- Nous avons déjà dit que les conventions de 1912 et de 1925 demeureront en vigueur à côté de la convention de 1931, ·ces trois instruments formant un tout qui, en combinant le principe de la Feuille fédérale. 84e année. Vol. II.

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limitation et celui du contrôle, doit mettre à la disposition des gouvernements une arme efficace contre le trafic illicite des drogues.

Toutes les drogues visées par la convention de 1931 et définies à son article premier seront donc soumises aux prescriptions de contrôle stipulées par la convention de 1925, sous réserve des exceptions prévues par l'article 8 de celle-ci en faveur des préparations dans lesquelles la drogue est associée à des substances qui rendent tout abus impossible. La convention de 1925 a admis une autre exception encore pour les préparations contenant 0,2 pour cent ou moins de morphine ou 0,1 pour cent ou moins de cocaïne. La conférence de 1931 a examiné la question de savoir s'il ne convenait pas de supprimer cette tolérance ; elle n'a pas cru, en fin de compte, devoir le faire, mais elle a adopté, dans sa séance de clôture, une résolution par laquelle elle demande aux Etats de réaliser eux-mêmes cette suppression. Elle a décidé, en revanche, que les préparations constituées par une simple dilution d'une drogue dans une substance inerte indifférente liquide ou solide, eau, sucre, craie, etc., devaient être soumises au contrôle, quelle que fût leur teneur en drogue. Cette procédure, que nous appliquons déjà en Suisse et qui assimile ces dilutions à la drogue pure, a été dictée à la conférence par le fait que les drogues contenues dans ces dilutions peuvent être facilement récupérées et constituer ainsi des stocks plus ou moins importants qui pourraient alimenter le trafic illicite.

On a vu que la conférence avait décidé de faire bénéficier d'un régime spécial les produits qui forment le groupe II des définitions (codéine et dionine), et nous avons exposé les raisons qui justifient ce traitement exceptionnel. Celui-ci consiste en ceci (art. 13) que les évaluations relatives à la codéine et à la dionine pourront se faire avec une marge plus large que pour les autres drogues et que ces produits eux-mêmes, tout en restant sous contrôle en ce qui concerne, d'une part, la fabrication et le commerce intérieur en tant qu'il s'agit du commerce de gros, d'autre part, le commerce international, ne seront soumis à aucune restriction en ce qui concerne le commerce de détail, c'est-à-dire la dispensation par les pharmacies;.

en outre, les statistiques trimestrielles des importations et
des exportations exigées par la convention de 1925 seront remplacées, pour la codéine et la dionine, par des statistiques annuelles. Enfin, les préparations contenant de la codéine ou de la dionine seront exemptes de tout contrôle.

C'est dans ce chapitre que figure, à l'article 14, la disposition qui permet de contrôler la distribution des drogues fabriquées et que nous avons exposée à propos de la limitation. Elle est complétée par une autre disposition suivant laquelle le comité central permanent devra préparer chaque année un état indiquant pour chaque pays, pour l'année précédente, les quantités de drogues consommées, fabriquées, transformées, importées, exportées ou employées pour la fabrication de certaines préparations; ce sera, en un mot, le tableau résumé du trafic des drogues pendant une annés déterminée.

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S'il résulte des données réunies dans ce tableau que l'un des pays a manqué ou peut avoir manqué aux obligations que la convention lui impose, le comité central permanent aura le droit de lui demander des explications, non pas directement, -- car on ne saurait donner à ce comité une telle compétence à l'égard d'un gouvernement, -- mais par l'entremise du secrétariat de la Société des Nations; si ces explications ne paraissent pas suffisantes, sera applicable la procédure déjà prévue par la convention de 1925, à son article 24, pour le cas particulier d'un pays dont il aura été constaté qu'il accumule des quantités exagérées d'une drogue. Le comité central pourra, en vertu de cette procédure, attirer sur les faits constatés par lui l'attention des parties contractantes et recommander qu'aucune nouvelle exportation ne soit effectuée à destination dudit pays jusqu'à ce que le comité ait fait savoir qu'il a obtenu les éclaircissements nécessaires.

De son côté, le pays intéressé pourra porter la question devant le conseil de la Société des Nations. Cette disposition, qui donne au comité central permanent la qualité d'une véritable commission d'enquête, caractérise nettement le rôle que la convention a voulu lui donner dans le contrôle du trafic des stupéfiants. Ajoutons que ce même article 14 spécifie expressément qu'en publiant les statistiques et autres informations qu'il recevra, le comité central permanent ne devra faire figurer dans sa publication aucune indication susceptible de favoriser les opérations des spéculateurs ou de porter préjudice au commerce légitime.

Il convient de rappeler qu'une fois la convention de 1931 mise en vigueur, ce contrôle sera confié à trois organismes: la commission consultative du trafic de l'opium, qui est plus particulièrement chargée de rechercher et de signaler aux gouvernements les cas de ·trafic illicite, le comité central permanent, dont nous venons de résumer les attributions, enfin, le comité créé par la convention et dénommé « organe de contrôle », qui aura surtout pour mission d'examiner et de vérifier les évaluations des gouvernements. On a pu se demander s'il n'y aurait pas opportunité à fondre ces organismes en un seul ; mais on a dû reconnaître que cette fusion n'était pas possible pour des motifs d'ordre pratique résultant surtout de leurs modes de
constitution très différents et de la variété de leurs attributions, et pour d'autres de nature plus délicate. La commission consultative est, en effet, une création directe de la Société des Nations, tandis que le comité central permanent et le futur organe de contrôle ont leur origine dans des conventions, auxquelles sont ou seront parties des Etats qui peuvent n'être pas membres de la Société des Nations et pourraient, par conséquent, récuser l'autorité d'un organisme créé par celle-ci. On voit les complications qu'aurait provoquées sans aucun doute un essai de fusion des trois organismes et il est facile de comprendre qu'on ait voulu les éviter.

Tout ce que l'on peut demander, c'est une collaboration aussi étroite que possible entre ces organismes et il est permis de prévoir qu'elle pourra être réalisée sans trop de difficultés.

536 Chapitre VI. Dispositions administratives. -- Ce chapitre comprend une série de dispositions dont quelques-unes pourraient tout aussi bien, figurer dans le chapitre du contrôle. Elles obligent les parties contractantes à prendre toutes les mesures législatives ou autres nécessaires pour donner effet aux dispositions de la convention (art. 15), à exercer une surveillance rigoureuse sur les matières premières ou les drogues fabriquées qui se trouvent entre les mains des fabricants et sur la manière dont il est disposé de ces drogues, à empêcher l'accumulation entre les mains d'un fabricant de matières premières en quantités dépassant celles qui sont requises pour le fonctionnement économique de la fabrique, en tenant compte des conditions du marché (art. 16). D'autre part, les parties contractantes exigeront de leurs fabricants (art. 17) des rapports trimestriels indiquant les quantités de drogues reçues ou fabriquées par eux et spécifiant la proportion de morphine, de cocaïne ou d'ecgonine qui peut en être retirée, les quantités de matières premières utilisées au cours du trimestre et les quantités restant en stock; un autre rapport, annuel, sera exigé des négociants en gros, qui devront spécifier, pour chaque drogue, la quantité de celle-ci contenue dans les préparations exportées ou importées au cours de l'année et dont l'exportation et l'importation ne sont pas soumises au régime de l'autorisation préalable.

Il est, dans ce chapitre, une disposition qui a donné lieu à de très vives discussions au sein de la conférence et qui a même amené certaines délégations à déclarer qu'elles ne signeraient pas la convention; c'est celle qui fixe le sort des drogues saisies. Certains auraient voulu que ces drogues fussent purement et simplement détruites, et cela aurait été sans doute avantageux pour les fabricants, qui n'ont aucun intérêt à voir rentrer dans la circulation les drogues saisies. Mais on a opposé à une manière de voir aussi radicale cette considération, que ces drogues constituaient cependant une valeur économique qu'il serait illogique de détruire, si l'on pouvait les utiliser sans qu'il en résultât un abus quelconque. Et c'est cette opinion, à laquelle la délégation suisse s'était ralliée, qui a fini par prévaloir. Il a été décidé, par conséquent, que les diverses drogues du groupe I
(qui sont, nous le rappelons, les stupéfiants proprement dits ou les substances susceptibles d'être transformées en stupéfiants sans avoir elles-mêmes une réelle valeur thérapeutique) saisies dans le trafic illicite seront, soit détruites, soit transformées en substances non stupéfiantes, soit encore réservées à l'usage médical ou scientifique par le gouvernement et sous son contrôle direct ; l'héroïne, cependant, ne bénéficiera pas de cette dernière disposition et devra être détruite ou transformée.

Nous arrivons ainsi au dernier chapitre de la convention.

Chapitre VII. Dispositions générales. -- C'est dans ce chapitre que figure, en particulier, sous l'article 20, la disposition que nous avons déjà commentée et qui fixe la procédure à laquelle devront se conformer les Etats qui dési-

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rent autoriser sur leur territoire la fabrication ou la transformation d'une drogue quelconque ; une disposition parallèle vise le cas où la fabrication ou la transformation d'une drogue viendrait à cesser sur le territoire d'un Etat et oblige celui-ci à en aviser le secrétariat de la Société des Nations.

Par l'article 21, les parties contractantes s'engagent à se communiquer, par l'intermédiaire du secrétariat de la Société des Nations, les lois et règlements promulgués par elles pour donner effet à la convention et à transmettre à ce secrétariat un rapport annuel relatif au fonctionnement de celleci. La convention de 1925 impose déjà semblable obligation aux Etats.

Par l'article 23, les parties contractantes s'engagent, d'autre part, à se communiquer, toujours par l'intermédiaire du secrétariat de la Société des Nations, des renseignements sur tous les cas de trafic illicite découverts par elles et qui pourront présenter de l'importance en raison, soit des quantités des drogues en cause, soit des indications que ces cas pourront fournir sur les sources qui alimentent le trafic illicite et les méthodes employées par les trafiquants. Cette disposition, qui institue expressément un service de renseignements réciproques entre Etats, -- jusqu'ici ce service n'a fait l'objet que d'accords bilatéraux entre certains Etats, entre la Suisse et les Etats-Unis d'Amérique, par exemple -- cette disposition, disons-nous, est d'une importance capitale pour la répression du trafic illicite, celle-ci ne pouvant être réellement efficace que si les Etats se prêtent mutuellement une entière assistance, et nous devrons lui accorder une attention toute particulière dans la revision, rendue nécessaire par la nouvelle convention, de notre loi fédérale sur les stupéfiants. Nous devrons sans doute, pour donner à cette disposition tout son effet, créer, à côté de l'organe préposé au contrôle administratif du commerce des stupéfiants qu'est le service fédéral de l'hygiène publique, un autre organe qui aura pour mission de réunir tous les renseignements de caractère policier et judiciaire et de les communiquer, suivant les circonstances, aux Etats intéressés. Nous pouvons ajouter ici que la commission internationale de police criminelle a déjà préparé et soumis à la commission consultative du trafic de l'opium uri « projet
de convention internationale pour la répression du trafic illicite des stupéfiants nuisibles », qui règle, en particulier, les modalités du fonctionnement de ces services de renseignements et d'assistance réciproques. Nous aurons à nous prononcer sur ce projet, qui a été signalé à l'attention des Etats dans une recommandation adoptée par la conférence, lorsqu'il nous aura été soumis officiellement.

Parmi les dispositions qui figurent dans ce chapitre, nous relèverons encore celle qui règle (art. 25) la procédure à suivre dans les cas où s'élèveront entre les parties contractantes des différends quelconques relatifs à l'interprétation ou à l'application de la convention. Cet article prévoit, pour le cas où s'avérerait impossible le règlement du différend par voie diplomatique ou par application des dispositions en vigueur entre les parties pour le règlement des différends internationaux, l'institution d'une procé-

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dure arbitrale ou judiciaire qui, à défaut d'un accord sur le choix d'un autre tribunal, sera confiée, à la requête d'une des parties, à la cour permanente de justice internationale ou à un tribunal d'arbitrage constitué conformément à la convention de La Haye, du 18 octobre 1907, pour le règlement pacifique des conflits internationaux. C'est sur la proposition de la délégation suisse et suivant un texte proposé par elle et amendé au cours de la discussion que cette clause compromissoire a été adoptée par la conférence.

Les articles 27, 28 et 29 fixent les conditions dans lesquelles les membres ou les Etats non membres de la Société des Nations représentés ou non représentés à la conférence peuvent participer à la convention.

L'article 30, enfin, stipule que la convention entrera en vigueur quatrevingt-dix jours après que le secrétaire général de la Société des Nations aura reçu les ratifications ou les adhésions de vingt-cinq membres de la Société des Nations ou Etats non membres, y compris quatre Etats parmi les suivants: Allemagne, Etats-Unis d'Amérique, France, RoyaumeUni de Grande-Bretagne et d'Irlande du nord, Japon, Pays-Bas, Suisse et Turquie. Toutefois, cette disposition ne s'applique qu'aux articles 2 à 5 de la convention, soit à ceux qui fixent la façon dont les évaluations devront être établies; les autres articles ne deviendront applicables que le 1er janvier de la première année pour laquelle les évaluations auront été fournies. Cette discrimination se comprend facilement, la limitation ne pouvant être appliquée sans évaluations préalables.

La convention est complétée par une série de recommandations qui sont insérées dans l'acte final; elles correspondent à des suggestions ou à des propositions formulées au cours des travaux de la conférence que celleci n'a pas cru pouvoir insérer dans la convention, mais qu'elle n'a pas voulu non plus laisser entièrement tomber. Nous avons déjà mentionné celles qui demandent aux Etats d'examiner la possibilité d'abolir ou de diminuer l'usage de l'héroïne (n° VI) et de soumettre au contrôle toute préparation contenant l'une des drogues comprises dans le groupe I, tel qu'il est défini à l'article premier de la convention, quelle que soit la teneur en drogue de cette préparation (n° VII), celle encore qui soumet aux Etats le voeu que, sur la base
des travaux entrepris par la commission consultative du trafic de l'opium, une convention soit conclue, dans le plus bref délai, pour la poursuite et la punition des infractions à la réglementation de la fabrication, du commerce et de la détention des drogues nuisibles (n° V).

Nous relèverons encore, comme étant d'un intérêt immédiat, la recommandation (n° II) relative à l'adoption d'un code modèle, analogue à celui qui a été établi pour le contrôle administratif du trafic des stupéfiants et dont les Etats devraient s'inspirer pour l'établissement sur leur territoire d'une législation et de mesures administratives tendant à l'application de la convention de 1931, problème dont la commission consulta-

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tive s'est occupée au cours de sa dernière session, et celle qui recommande aux Etats d'envisager la possibilité de placer immédiatement sous contrôle celles des drogues visées par la convention de 1931 qui ne tombent pas sous le coup des conventions de 1912 et de 1925 (n° III). En ce qui concerne ce dernier point, nous rappelons que la Suisse est allée fort loin dans cette voie, en ce sens que nous avons déjà placé sous contrôle une série de produits qui n'étaient pas expressément visés dans les conventions antérieures et qui ont fait l'objet de la procédure prévue à l'article 10 de la convention de 1925, produits auxquels sont venus s'ajouter récemment la péronine, les esters de l'ecgonine, la codéine et la dionine. En fait, le contrôle institué par notre loi fédérale sur les stupéfiants s'applique actuellement à la presque totalité des drogues visées par la convention de 1931, et il ne s'agira plus, en revisant la loi, que d'ajouter à la liste des drogues contrôlées un alcaloïde de l'opium, la thébaïne, le groupe des éthers-oxydes de la morphine, dont font partie la péronine, la codéine et la dionine, déjà sous contrôle actuellement, et certains produits réunis sous la désignation de « composés N-oxymorphiniques » et de « composés morphiniques à azote pentavalent », dont un seul, la génomorphine, se trouve actuellement sur le marché, les autres n'existant encore qu'à l'état de possibilités, mais de possibilités dont les fabricants pourraient tirer parti un jour ou l'autre.

Dans une autre recommandation (n° IV), la conférence a demandé aux Etats d'envisager la question de savoir s'il serait désirable d'établir un monopole d'Etat sur le commerce et, si c'est nécessaire, sur la fabrication des drogues visées par la convention. Cette question avait déjà été soulevée au sein de la commission consultative. Il est hors de doute que le monopole d'Etat serait le moyen le plus efficace pour supprimer tout abus dans le domaine des stupéfiants; mais la solution de ce problème se heurterait, en Suisse en particulier, à de grosses difficultés sur lesquelles nous n'avons pas à nous étendre pour le moment. Une dernière recommandation, enfin (n° VIII), demande qu'en vue de faciliter l'application de mesures tendant à empêcher la toxicomanie et le trafic illicite, les gouvernements envisagent la possibilité
d'exclure du bénéfice de la nation la plus favorisée, dans les traités et accords commerciaux, les substances auxquelles s'appliquent les conventions ; la délégation suisse a déclaré -- et sa déclaration a été inscrite dans l'acte final -- ne pouvoir accepter cette recommandation, parce que la question de l'application de la clause de la nation la plus favorisée faisait actuellement l'objet de l'examen de divers organes de la Société des Nations et qu'il n'y avait pas lieu de se livrer à une manifestation de cette nature pendant que se poursuit cet examen.

Tel est, ramené à ses grandes lignes, le mécanisme de la nouvelle convention, qui vient s'ajouter à celles de 1912 et 1925, complétant ainsi un véritable arsenal de prescriptions dont on espère que, loyalement et strictement appliquées, elles permettront aux Etats d'atteindre enfin le but qu'ils se sont proposé depuis 1912 et de mettre fin à des abus qui ont soulevé l'opinion universelle.

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m.

Nous avons déjà dit, au début de cet exposé, que la nouvelle convention.

a souffert des conditions dans lesquelles elle a été élaborés et rédigée.

Une discussion moins hâtive que celle que la conférence a dû s'imposer vers la fin de ses travaux aurait sans doute permis d'améliorer et de simplifier certaines de ses dispositions et de supprimer quelques obscurités qui ne contribueront pas à faciliter son application. Nous regrettons surtout qu'on ait substitué, pour des raisons d'opportunité plus ou moins pertinentes, ce que nous avons appelé le régime ouvert, qui donne d'emblée à tous les pays la possibilité de fabriquer des drogues, au régime fermé adopté par la commission consultative du trafic de l'opium, qui limitait à la fois la fabrication et le nombre des pays fabricants. La multiplication des centres de fabrication doit nécessairement compliquer l'application de la convention et la rendre peut-être moins opérante; car, en augmentant le nombre des pays entre lesquels doit se répartir la fabrication d'une quantité fixée de produits, on diminue la part de chacun, d'où la tentation pour certains de fabriquer plus qu'il ne leur est permis. C'est là un danger auquel ne pourront parer les divers organes de contrôle institués par les conventions qu'en utilisant intégralement et strictement les pouvoirs qu'elles leur donnent. Nous pouvons ajouter que, depuis le jour où la convention a été signée, certains Etats, qui jusqu'ici n'avaient pas fabriqué de drogues ont fait usage de la possibilité qu'elle leur accorde et ont autorisé la création sur leur territoire de fabriques plus ou moins importantes, et l'on peut se demander si c'est bien là le résultat auquel devait aboutir la nouvelle convention. Mais, telle qu'est la nouvelle convention et malgré ses imperfections, nous ne pensons pas que nous ayons des raisons pour ne pas l'accepter. La Suisse a toujours déclaré, par l'organe de ses représentants dans les conférences internationales et dans la commission consultative du trafic de l'opium, qu'elle se rallierait à toute réglementation qui aurait pour effet de rendre mieux opérant le contrôle exercé sur la fabrication des drogues. Elle a ratifié les conventions de 1912 et de 1925; elle s'est donné une législation qui, malgré certaines lacunes, a considérablement assaini une situation dont on
avait pris prétexte dans certains milieux internationaux pour formuler à son égard de graves accusations qui, aujourd'hui, n'ont plus de raison d'être. On la convie maintenant à aller plus loin encore et à se rallier au principe de la limitation, formulé et développé dans la convention du 13 juillet 1931, principe qui doit resserrer les mailles du filet dans lequel on veut enfermer les trafiquants. La, Suisse, pays fabricant, ne saurait, malgré les nouvelles entraves qui en résulteront pour son industrie, dont le contrôle actuel a déjà fortement réduit et, on peut bien le dire, limité automatiquement la production, se refuser à accepter une convention qui fournira de nouvelles armes à la lutte contre le trafic illicite des drogues, et c'est pourquoi nous vous demandons de l'approuver.

541 Ajoutons que cette approbation n'entraînerait pas automatiquemsnt la ratification du Conseil fédéral. Nous nous réservons, au contraire, de surseoir, le cas échéant, à cette ratification jusqu'au momsnt où tels pays seraient prêts, eux aussi, à faire acte de ratification.

Nous avons déjà fait allusion au fait que l'adaptation de notre législation aux exigences formulées dans la nouvelle convention exigera une revision profonde, sinon une véritable refonts de notre loi fédérale sur les stupéfiants et de son ordonnance d'exécution. Cette revision, nous y songions depuis un certain temps pour faire disparaître de la loi les lacunes que l'expérience y a fait reconnaître; mais nous avons dû l'ajourner dans l'attente de la nouvelle convention. La complication de certaines des dispositions de celle-ci rend ce travail d'adaptation fort délicat et exige de longs travaux préparatoires, et c'est pour cela que nous n'avons pas pu vous soumettre notre projet de loi revisée en mems temps que la convention. Mais ces travaux sont en cours et nous pansons pouvoir vous saisir de notre projet dans les premiers mois de l'année 1933.

L'acte final de la conférence a été signé au nom de la Suisse en msme temps que la convention elle-même. Toutefois, comms il ne renferme pas de dispositions juridiquement obligatoires pour les Etats, mais seulement des recommandations, les chambres fédérales n'ont pas à approuver formellement cet instrument.

Au point de vue de notre droit public, la convention de 1931 doit être soumise logiquement au même régime que la convention de 1925 (*) et être assimilée, par conséquent, à une convention « en rapport avec la Sosiété des Nations ». Il s'ensuit qu'elle tomba sous le coup du chiffre I, 2e alinéa, de l'arrêté fédéral du 5 mars 1920 concernant l'accession de la Suisse à la Société des Nations et, partant, de l'article 89, 2e alinéa, de la constitution fédérale (referendum).

· Vu ce qui précède, nous vous demandons d'approuver la convention pour limiter la fabrication et réglementer la distribution des stupéfiants, du 13 juillet 1931, en faisant vôtre le projet d'arrêté fédéral ci-annexé.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 19 septembre 1932.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le 'président de la Confédération, MOTTA.

Le chancelier de la Confédération, KAESLIN.

f1) V. notre message du 5 décembre 1927, FF 1927, II, 537.

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(Projet.)

Arrêté fédéral approuvant

la convention pour limiter la fabrication et réglementer la distribution des stupéfiants, signée, à Genève, le 13 juillet 1931.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA

CONFÉDÉRATION SUISSE, vu le message du Conseil fédéral du 19 septembre 1932, arrête :

Article premier.

La convention pour limiter la fabrication et réglementer la distribution des stupéfiants, du 13 juillet 1931, est approuvée.

Art. 2.

Le présent arrêté est soumis, conformément à l'arrêté fédéral du 5 mars 1920 concernant l'accession de la Suisse à la Société des Nations, aux dispositions de l'article 89, 2e alinéa, de la constitution relatif à la promulgation des lois fédérales.

Art. 3.

Le Conseil fédéral est chargé de l'exécution du présent arrêté.

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MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur la convention internationale pour limiter la fabrication et réglementer la distribution des stupéfiants, du 13 juillet 1931. (Du 19 septembre 1932.)

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Bundesblatt

Dans

Feuille fédérale

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Jahr

1932

Année Anno Band

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Volume Volume Heft

38

Cahier Numero Geschäftsnummer

2869

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

21.09.1932

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517-542

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