137

# S T #

Feuille Fédérale Berne, le 1er septembre 1967 119e année Volume II

N°35 Paraît, en règle générale, chaque semaine. Prix: 36 francs par an: 20 francs pour six mois, plus la taxe postale d'abonnement ou de remboursement.

# S T #

9716

Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant l'insertion d'articles 22ter et 22quater dans la constitution (Dispositions constitutionnelles sur le droit foncier) (Du 15 août 1967) Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous soumettre, avec le présent message, le projet d'un arrêté fédéral qui complète la constitution par des dispositions sur le droit foncier (art. 22 ter et quater).

CHAPITRE PREMIER LA situation initiale La constitution '. ne règle pas d'une façon expresse et systématique les questions relatives au droit de propriété et à la propriété foncière. Elle présuppose l'existence et la reconnaissance du droit de propriété. Notre ordre juridique et économique considère la propriété privée comme l'une de ses pièces maîtresse. La doctrine et la jurisprudence ont fait de la garantie de la propriété un élément du droit constitutionnel non écrit (cf. ATF 35,1, 571; 88, I, 255; 89, I, 98).

A l'échelon de la législation, il appartient, en vertu de l'article 64,2e alinéa, de la constitution, aux lois de droit civil -- code civil et diverses autres lois reposant sur la même base constitutionnelle -- d'établir le régime juridique de la propriété. Selon Antoine Favre (Droit constitutionnel suisse, p. 286), il y a trois raisons pour lesquelles la garantie de la propriété n'est pas mentionnée dans la constitution: le droit de propriété n'est pas contesté; le régime de la propriété était considéré comme objet de droit privé des cantons, la plupart des constitutions cantonales garantissent l'inviolabilité de la propriété ou (Zurich, Soleure et Baie-Campagne) la protection des droits acquis. En fait, presque toutes les constitutions cantonales contiennent une disposition Feuille fédérale. 119» année. Vol. II.

10

138

qui garantit expressément la propriété et la déclare inviolable en usant de formules diverses mais semblables par le fond. Cela vaut aussi pour la constitution du canton d'Unterwald-le-Bas, entièrement revisée en 1965, qui, il est vrai, parle non pas de la propriété mais des droits privés et des prétentions qui ne peuvent être retirées (unentziehbare Ansprüche). Seule la constitution du canton du Tessin fait exception, ce qui n'empêche cependant pas que la garantie de la propriété soit aussi reconnue comme une institution constitutionnelle dans ce canton.

Les droits de propriété acquis, en particulier le plus évident d'entre eux, la propriété foncière, sont au bénéfice de la garantie.

L'unique disposition ayant pour objet la protection de la propriété était déjà contenue dans la constitution de 1848 sous la forme d'un article 21, remplacé par une disposition concordante dans la constitution de 1874 (art. 23).

Il s'agissait du principe de l'expropriation contre juste indemnité. Les articles d'ordre économique insérés dans la constitution en 1947 mentionnèrent pour la première fois la propriété foncière en disposant (art. 31 bis, 3e al., lettre b) que la Confédération a le droit, en dérogeant, s'il le faut, au principe de la liberté du commerce et de l'industrie, d'édicter des dispositions pour «consolider la propriété rurale». Cette disposition forme, avec l'article 64 sur la compétence de légiférer en matière de droit civil, la base constitutionnelle de la loi fédérale du 12 juin 1951 sur le maintien de la propriété foncière rurale (RO 1952, 415). L'arrêté fédéral du 23 mars 1961 instituant le régime de l'autorisation pour l'acquisition d'immeubles par des personnes domiciliées à l'étranger (RO 1961, 209) faisait de l'article 64 sa base constitutionnelle essentielle. Nous fondions également sur cet article la proposition d'instituer un délai d'interdiction de revendre les terrains à bâtir que nous faisions dans notre projet du 9 avril 1963 concernant le droit de superficie et le transfert des immeubles (FF 1963, I, 993).

Plus le sol devenait une marchandise et se raréfiait par suite de l'augmentation de la population et des besoins de l'habitat^ plus les simples restrictions de droit civil et les possibilités d'interventions de police se révélaient insuffisantes pour parer aux inconvénients et
aux abus pouvant résulter de l'exercice illimité du droit de propriété foncière. Cela devint encore plus grave lorsque, après la seconde guerre mondiale, la spéculation chercha à tirer profit d'un accroissement de la demande dû à d'autres causes et de .la hausse des prix du sol qui en résulta. On réclama alors des mesures renforcées de droit civil et aussi de droit public pour remédier aux lacunes et abus existants et pour empêcher qu'il ne s'en produise de nouveaux.

Au cours des années écoulées, à mesure qu'augmentait la population et se développaient les transports et communications, on a prêté une attention accrue à la nécessité d'une planification de l'utilisation du sol disponible.

On reconnaît toujours davantage cette nécessité et le besoin d'une collaboration en matière de planification à l'échelon régional ou national est devenu

139

plus manifeste. Il en est résulté le désir de voir instaurer à cet effet des dispositions fondamentales de droit public. A vrai dire, les cantons ont déjà la compétence nécessaire. Point n'est besoin d'examiner dans quelle mesure ils en ont fait usage dans leur législation. Et la Confédération dispose, elle aussi, en vertu de la constitution, de diverses possibilités d'exercer une influence dans ce sens-là. C'est ce que signale déjà le rapport du 6 octobre 1966 de la commission instituée par le département de l'intérieur pour l'étude de l'aménagement du territoire (3.41. Compétences de la Confédération «de constitutione lata»). Mais il manque une règle de compétence claire et complète, qui donnerait à la Confédération le pouvoir de légiférer sur les plans de zones.

Une commission d'experts nommée par le département de justice et police en 1960 pour s'occuper de la revision du droit foncier rural avait mis sur pied un projet de modification de la loi du 12 juin 1951 (avant-projet V, de mars 1963). Nous avons ouvert une procédure de consultation au sujet de cet avant-projet, mais l'avons ensuite arrêtée, parce que nous ne pouvions que nous ranger à la manière de voir exprimée dans les conclusions d'un avis de droit du professeur Hans Huber, qui contestait en particulier que le plan de zones proposé dans l'avant-projet V eût une base constitutionnelle. Si l'on considère les choses sous cet angle également, on voit qu'il est nécessaire d'instaurer de nouvelles dispositions constitutionnelles concernant le droit foncier.

Sur ces entrefaites, plus précisément le 27 septembre 1962, le canton de Baie-Campagne a déposé une initiative rédigée en termes généraux, qui nous a été transmise pour rapport le 4 octobre 1962. Aux termes de cette initiative, l'Assemblée fédérale est invitée à mettre en train la revision de la constitution par l'insertion d'une disposition donnant à la Confédération le pouvoir de combattre par la loi les conséquences socialement et économiquement nuisibles de la spéculation foncière; dans le cas où la Confédération n'userait pas de son pouvoir de légiférer, les cantons devraient être autorisés à agir à sa place.

Le 10 juillet 1963, le parti socialiste suisse et l'union syndicale suisse ont déposé une initiative populaire contre ]a spéculation foncière. Cette initiative proposait
d'insérer dans la constitution un article 31sexie$ -- donc apparenté aux articles d'ordre économique -- qui instituerait un droit de préemption de la Confédération et des cantons en cas de vente d'immeubles entre particuliers, ainsi qu'un droit d'expropriation, le but étant d'empêcher une hausse injustifiée des prix des immeubles, de prévenir la pénurie de logements et de favoriser l'aménagement du territoire sur le plan national, régional et local.

Par rapport du 31 mai 1966 (FF 1966,1,898), nous vous avons recommandé de soumettre l'initiative à la votation du peuple et des cantons avec une proposition de rejet. Nous donnions, à cette occasion, l'assurance formelle de poursuivre sans aucune interruptions les travaux préparatoires d'un projet indépendant de revision constitutionnelle concernant le droit foncier, afin de pouvoir vous le soumettre le plus rapidement possible. Vous avez accepté notre propo-

140 sition. L'initiative a été rejetée dans la votation populaire du 2 juillet 1967 par 397 303 voix contre 192 991 et par 18 cantons et 6 demi-cantons contre 1 canton.

Déjà avant la clôture des délibérations parlementaires. sur l'initiative populaire, le département de justice et police chargea, en été 1966, un groupe de travail d'élaborer un projet de dispositions constitutionnelles sur le droit foncier, projet que nous pourrions ensuite soumettre aux conseils législatifs pour nous acquitter de notre promesse. Le groupe de travail était composé de MM. Claude Bonnard, conseiller d'Etat, à Lausanne, Antoine Favre, juge fédéral, à Lausanne, Thomas Gugenheim, avocat, à Wangen.s. l'Aar, Hans Huber, professeur, à Mûri près Berne, Adolf Maurer, conseiller municipal, à Zurich, Arthur Meyer-Hayoz, professeur, à Meilen, Paul Reichlin, juge fédéral, à Lausanne, Hugo Sieber, professeur, à Mûri près Berne, Hans Würgler, professeur, à Zurich, n était présidé par le chef du département de justice et police, occasionnellement remplacé par le chef de la division de la justice.

Le chef de l'office fédéral du registre foncier, M. Gerhard Eggen, participait également aux séances.

Le groupe de travail ou une délégation du groupe entendit divers exposés.

L'un portait sur la nécessité et la portée, du point de vue cantonal, d'une disposition attributive de compétence à la Confédération en matière d'aménagement du territoire (M. Alfred Kuttler, privat-docent, Baie). Un autre exposé concernait la création d'une zone agricole (M. Willy Neukomm, sous-directeur de l'union suisse des paysans, Brougg). Des informations furent en outre données sur le régime de la propriété et le droit doncier en vigueur dans d'autres pays. Le groupe de travail put aussi utiliser un rapport sur un projet de dispositions constitutionnelles déposé le 6 octobre 1966 par la commission d'experts instituée par le département de l'intérieur et présidée par le professeur Heinrich Gutersohn, Zurich. Il disposa en outre des nombreuses variantes de textes constitutionnels issues de la procédure engagée en 1965 pour connaître l'avis des partis politiques et des associations économiques.

Au début de 1967, le groupe de travail déposa un projet, qui fut publié le 1er mars 1967 et qui était rédigé comme il suit:

Art. 22 ter La propriété est garantie, a Dans la mesure de leurs attributions constitutionnelles, la Confédération et les cantons peuvent, par des motifs d'intérêt public et par voie législative, prévoir l'expropriation et des restrictions de la propriété.

1

3 En cas d'expropriation et de restrictions de la propriété équivalentes à l'expropriation, une juste indemnité est due.

Art. Zlquater 1

La Confédération peut édicter des dispositions légales de base sur l'aménagement du territoire et l'utilisation du sol, en'particulier sur la création par les cantons de plans de zones;

141 3

Elle encourage et coordonne les efforts des cantons dans ces domaines et collabore avec eux.

Les propositions du groupe de travail ne firent pas l'objet d'une procédure de consultation mais elles furent portées à la connaissance des partis politiques, comme aussi des promoteurs de l'initiative contre la spéculation foncière pour leur donner l'occasion de se prononcer sur la question d'un retrait avant la fixation de la date de la votation populaire. Les personnes habilitées à faire la déclaration de retrait reconnurent que ces propositions répondaient largement à leurs idées concernant la réglementation du droit foncier, mais constatèrent qu'elles ne pouvaient retirer l'initiative au vu d'un projet qui n'était pas encore adopté par le Conseil fédéral ni discuté par les conseils législatifs.

Ceux-ci ayant fixé définitivement dans la session dé décembre 1966 leur attitude à l'égard de l'initiative, nous ne pouvions différer davantage la fixation de la date de la votation.

Le projet que nous vous soumettons est semblable, quant au fond, aux propositions du groupe de travail institué par le département de justice et police. Pour l'article 22 quater^ 1er alinéa, nous proposons une rédaction qui précise la compétence qu'ils s'agit d'attribuer à la Confédération.

«La Confédération peut établir par la voie de la législation des règles générales sur l'aménagement du territoire et l'utilisation du sol, en particulier sur la création de plans de zones par les cantons.» Nous motivons notre projet et commentons ses dispositions dans les chapitres suivants.

CHAPITRE

DEUXIÈME

Les fondements du projet

I. LES BUTS DE LA REVISION CONSTITUTIONNELLE Les explications données dans le chapitre 1er ont déjà indiqué quels sont les buts des dispositions à introduire dans la constitution. Dans notre rapport du 31 mai 1966 concernant l'initiative populaire contre la spéculation foncière nous nous sommes référés à l'idée, très répandue, selon laquelle on ferait actuellement trop peu en Suisse pour lutter contre la hausse des prix du sol, pour prévenir la pénurie de logements et pour favoriser l'aménagement du territoire sur le plan national, régional et local. Nous nous sommes alors exprimés de façon détaiUée sur ces questions, en déclarant qu'une nouvelle disposition constitutionnelle n'était pas nécessaire pour diminuer la pénurie de logements et que des mesures pour freiner la hausse des prix du sol pouvaient déjà être prises, partiellement, sur la base du droit constitutionnel actuel (FF 1966, I, 898s. en particulier 903s., 907, 910 et 912). Pour instaurer un régime satisfaisant de la propriété foncière, il est nécessaire de définir les conditions dans lesquelles il devrait être permis de restreindre exceptionnellement la propriété quand bien même elle est garantie par la constitution. Ces

142

restrictions se rapportent surtout à la planification, ce qui rend nécessaire l'attribution à la Confédération d'une compétence délimitée par rapport à celle des cantons dans le domaine de l'aménagement du territoire, en particulier dans celui des plans de zone.

Nous désirons saisir l'occasion qui se présente pour consacrer expressément la garantie de la propriété privée, ce droit fondamental qui existe déjà, mais qui n'est pas encore inscrit dans la constitution. La disposition que nous proposons pour garantir la propriété ne tend pas à imposer une nouvelle tâche à l'Etat sous la forme d'une compétence nouvelle. Son but est de garantir expressément une liberté individuelle et d'assurer le maintien de la propriété privée. Ainsi qu'il ressort des considérations du chapitre 1er, même en tant que droit fondamental non écrit, la garantie de la propriété tracerait une limite à la réalisation de ces fins.

En ce qui concerne la systématique, notre projet mentionne la garantie de la propriété avant les attributions à conférer à la Confédération, étant donné qu'elle déborde largement le cercle de ces attributions. D'ailleurs, elle est de nature toute générale, puisqu'elle protège la propriété tant mobilière qu'immobilière et non seulement la propriété elle-même, mais encore les droits réels restreints, comme aussi tous les droits privés patrimoniaux et même certains droits de l'individu dérivant du droit public. Enfin, placer au premier rang la garantie de la propriété paraît aussi de nature à tranquilliser ceux qui craignent que les nouvelles attributions de la Confédération ne portent atteinte au principe même de la propriété privée ou ne la limitent outre mesure.

La doctrine et la jurisprudence reconnaissent que la garantie -- expresse ou tacite -- de la propriété ne protège celle-ci que dans les limites de l'ordre juridique. Mais la garantie de la propriété impose des limites aux restrictions que l'ordre juridique, c'est-à-dire l'ensemble des règles de droit de la Confédération, dés cantons et des communes (ATF 91, I, 420), peut apporter à la propriété: Ces restrictions ne sont admissibles que si elles reposent sur une base légale, répondent à l'intérêt public et donnent lieu à une indemnité dans la mesure ou leurs effets sont équivalents à ceux d'une expropriation (ATF 90, ï, 340, parmi beaucoup
d'autres). Il ne serait donc pas possible de faire rentrer toutes les restrictions admissibles dans une seule réserve formulée au sujet de la garantie de la propriété et de les énumérer ainsi dans la constitution.

Il importe, au contraire, de se fonder sur l'ordre juridique du moment qui précise l'objet de la propriété telle qu'elle est garantie.

Dans notre projet de texte constitutionnel, nous tenons à ne restreindre les droits privés et leur exercice que dans la mesure où cela est indispensable dans l'intérêt général et où l'exige le rôle social généralement attribué aujourd'hui à la propriété. Si nous renvoyons à la législation d'exécution pour préciser la portée des dispositions constitutionnelles, c'est afin d'indiquer aujourd'hui déjà jusqu'où cette législation pourra aller et où ses limites devront être tracées.

143

Sauf en matière de commerce et de courtage professionnels des immeubles, la liberté du commerce et de l'industrie n'est pas touchée. Dans ces deux cas, la Confédération n'a cependant pas besoin d'une autorisation expresse pour déroger à ce droit fondamental, étant donné qu'on peut admettre, comme dans le cas d'autres articles constitutionnels (art. 23 bis, TAquinquies, 26), que cette autorisation est implicitement contenue dans les nouvelles dispositions attributives de compétence.

S'agissant de l'aménagement du territoire, il manque une définition claire et uniforme de la compétence fédérale. Les cantons disposent de pouvoirs dans ce domaine. Nous considérons donc que la réglementation constitutionnelle doit avoir pour but essentiel d'attribuer une compétence à la Confédération, compétence qui soit délimitée par rapport à celle qui est laissée aux cantons.

La planification doit servir à faciliter et à améliorer l'utilisation rationnelle du sol. Un tel but est irréalisable dans les limites du territoire d'un canton.

Une compétence doit être attribuée à la Confédération si l'on veut l'atteindre dans une mesure satisfaisante. Nous nous rallions ici à l'idée développée par Arthur Meyer-Hayöz (Zum Bodenproblem, Schweizerische Zeitschrift für Beurkundungsrecht, 45 [1964], p. l ss), idée selon laquelle la planification doit tenir compte de notre régime libéral de la propriété privée et ne doit pas aboutir à une immixtion des pouvoirs publics étrangère à son but. La planification doit comporter la création de plans de zones adaptés à nos besoins et à exécuter par les cantons. On aura ainsi la base constitutionnelle nécessaire pour créer la zone agricole.

Ces buts ne sont pas uniquement du domaine de la politique économique.

Ils concernent aussi le droit de propriété et son exercice en général et doivent être réalisés au moyen de mesures coordonnées et conçues dans un esprit de prévoyance en vue de l'équipement des terrains, de l'urbanisme et de l'utilisation du sol. C'est pourquoi nous rangeons les nouvelles dispositions constitutionnelles non pas parmi les articles d'ordre économique, mais parmi les articles attributifs de compétence à la Confédération. Nous les plaçons immédiatement avant l'article 23, qui est actuellement la seule disposition constitutionnelle traitant --· d'ailleurs sous une
forme négative -- du droit de propriété.

II. RÉPARTITION DE LA COMPÉTENCE ENTRE LA CONFÉDÉRATION ET LES CANTONS Dans les domaines qui lui sont attribués, la Confédération est déjà autorisée à planifier. C'est notamment le cas en matière de transports et communications (chemins de fer, routes nationales, installations de transport à distance). D'autres attributions de la Confédération, telles qu'elles existent en matière de protection des eaux, de protection de la nature et des sites, d'agriculture et de protection de la famille, sont en rapport étroit avec une utilisation bien ordonnée du sol. Mais la Confédération n'a pas le pouvoir de

144

procéder à un aménagement général. Certes, elle a déjà encouragé l'aménagement du territoire à l'échelon national, régional et local en se fondant sur l'article constitutionnel qui protège la famille (art. 34quinquies) et sur la législation concernant la construction de logements, qui repose sur cet article.

Mais l'article 34quinquies n'est pas une base constitutionnelle süffisante pour l'élaboration d'une conception suisse de l'habitat, avec des idées directrices.

La Confédération a besoin pour cela d'une compétence générale en matière d'aménagement du sol. Cette compétence garantirait la coordination des nombreux aménagements partiels opérés par la Confédération et faciliterait largement l'exercice d'autres attributions fédérales (agriculture, protection des eaux, etc.).

Les milieux agricoles réclamant la création de zones agricoles et forestières, il importe que les cantons soient tenus de pourvoir à ce que des surfaces suffisantes soient réservées à la construction. De son côté, la Confédération doit libérer, aux fins des constructions, les terrains sis dans la zone réservée à la construction. Ces terrains ne doivent pas demeurer soumis à des restrictions, par exemple, en faveur de l'agriculture. Ce lien entre les mesures à prendre pour assurer le maintien de l'aire agricole et la nécessité de mettre suffisamment de terrain à disposition pour les constructions montre de façon particulièrement nette que la constitution fédérale doit contenir une norme attributive de compétence à la Confédération.

Les dispositions de droit public des cantons concernant les constructions seraient, au fond, suffisantes pour régler les choses dans nos villes et autres localités. Mais l'état de la législation varie beaucoup d'un canton à l'autre.

D est indispensable que la Confédération pourvoie à ce que le droit cantonal soit complété. Les mesures à prendre pour assurer l'utilisation planifiée du sol (remembrement des terrains à bâtir, équipement de ces terrains, etc.)

doivent rester du domaine des cantons en tant qu'elles se rapportent à la zone des constructions, n conviendra toutefois d'examiner encore si la Confédération ne devrait pas, par des dispositions générales visant à assurer l'urbanisation, obliger les cantons à instituer une procédure efficace de remembrement dans les zones de constructions. L'article
22quater, 1er alinéa, que nous proposons conférerait le pouvoir nécessaire. La Confédération devra-t-elle en faire usage? C'est une question qui devra être résolue lors de l'élaboration de la législation d'exécution.

Si la Confédération oblige les cantons, par des dispositions générales, à planifier et, le cas échéant, à développer les instruments juridiques qu'ils ont en main, la question de l'indemnité revêt une importance particulière.

L'attribution d'un terrain à la zone réservée pour le moment à l'agriculture et à la sylviculture ne donne pas lieu, en règle générale, à une indemnité. On peut cependant concevoir des exceptions lorsque des parcelles sont entièrement équipées et que l'érection de bâtiments sur ces parcelles n'entraverait pas le développement normal des constructions dans la commune. Les conditions sont différentes lorsqu'un terrain est l'objet d'une interdiction per-

145

pétuelle de bâtir. Comme une telle interdiction constitue habituellement un cas d'expropriation matérielle, la question de l'indemnité doit être résolue en principe suivant les règles régissant l'expropriation. Des prix répondant à un dessein de spéculation n'entrent cependant pas en considération (ATF 91, I, 329), Au reste, il ne conviendrait pas de faire une différence entre l'expropriation matérielle et l'expropriation formelle, car, ce faisant, on créerait un cas d'inégalité de traitement qui serait contraire à la règle de l'article 4 de la constitution et à la garantie de la propriété.

L'attribution d'une nouvelle compétence à la Confédération ne privera les cantons d'aucune de leurs attributions. Mais celles-ci seront limitées et précisées, du fait que les cantons seront obligés d'appliquer les principes .que la Confédération posera. Cette dernière aura en outre à exercer une action coordinatrice, particulièrement en matière de planification entre cantons.

D'une façon générale, ceux-ci seront invités et encouragés à user des pouvoirs qu'ils détiennent.

HI. NÉCESSITÉ ET ÉTENDUE DE LA COMPÉTENCE FÉDÉRALE La Confédération a de nombreuses attributions qui lui permettent de procéder à des aménagements dans certains domaines déterminés ou dont la réalisation judicieuse exige une utilisation rationnelle du sol. Aussi apparaît-il nécessaire de lui reconnaître le pouvoir de prendre des mesures pour l'aménagement général du territoire. Cet aménagement général coordonnera les aménagements spéciaux assumés par la Confédération et servira de ligne directrice aux aménagements régionaux prévus par les cantons. Il ne suffit pas de déclarer que «la Confédération encourage . . . ». Il importe, au contraire, qu'elle puisse obliger les cantons à adapter leurs planifications aux buts de l'aménagement général et qu'elle puisse aussi adapter les unes aux autres les planifications des cantons.

Comme la Confédération a pour tâche de conserver une forte population paysanne, d'assurer la productivité de l'agriculture et de consolider la propriété rurale (art, 3l bis, 3e al, lettre b, Cst.), on attend d'elle qu'elle s'occupe de là protection de l'aire agricole. Or il est indispensable pour cela de déterminer les zones de construction. Etant donné que la disposition constitutionnelle susmentionnée ne suffit pas pour établir un plan de zones, une norme attributive de compétence à la Confédération est nécessaire aussi à cet effet. Cette compétence devra servir non seulement à protéger les intérêts de l'agriculture, mais tendre aussi à assurer le fonctionnement du marché des terrains à bâtir.

Lorsqu'il s'agira de délimiter les attributions de la Confédération et celles des cantons, il importera de se rappeler les particularités régionales et la diversité des structures qu'on rencontre dans le pays et d'en tirer les conséquences. Il arrivera que l'interdiction d'ériger des constructions non agricoles

146

ne puisse pas être aussi rigoureuse dans une zone agricole de la montagne que dans une même zone de la plaine. Le texte constitutionnel que nous proposons permettra à la législation d'exécution de régler les choses comme il convient.

Pour que la Confédération puisse s'acquitter convenablement des tâches qui sont déjà les siennes et pour tenir compte de la responsabilité qu'elle partage dans la solution du problème du logement, il faudra encore examiner si, en raison de la grande diversité des législations cantonales, elle peut se borner à obliger les cantons, par des dispositions générales, à créer des plans de zones ou si elle doit leur prescrire aussi de créer les instruments juridiques et les procédures propres à accroître l'offre de terrains équipés. .On devra se demander aussi s'il y aura lieu de régler la question des indemnités à verser en relation avec les plans de zones et arrêter des dispositions fédérales pour la protection juridique.

IV. LES PROBLÈMES JURIDIQUES QUE POSE LA PLANIFICATION Le principe directeur est que la planification, à l'échelon local, régional et national, doit mettre de l'ordre dans l'utilisation du sol.

Pour obtenir une utilisation planifiée du sol, il est nécessaire de disposer d'instruments juridiques qui permettent, dans l'intérêt de la collectivité et dans celui des propriétaires, d'exercer sur les biens-fonds et les modalités de la propriété l'action de nature économique et juridique que commandent les buts de la planification. Il s'agit d'une action qui rappelle les mesures à prendre en matière de remaniements parcellaires, de rectification de limites et d'expropriation cantonale.

Tant les pouvoirs publics que les propriétaires doivent avoir enfin les instruments nécessaires pour affecter les terrains à l'utilisation prévue par la planification. Les dispositions prises par les cantons et les communes pour l'équipement des terrains jouent, en l'occurrence, un rôle capital.

V. LES INSTRUMENTS ET LES BUTS DE LA PLANIFICATION Les collectivités publiques disposent aujourd'hui déjà d'instruments juridiques très variés pour exercer une influence sur l'utilisation d'une zone déterminée et sur la façon dont elle doit être bâtie ou exploitée. Comme moyens d'action directs, il convient de citer en première ligne l'expropriation, y compris l'expropriation préventive,
les interdictions de bâtir et les obligations de bâtir. Parmi les moyens d'action indirects, nous nommerons les obligations d'entretien de la propriété foncière, l'allocation de subventions, l'entretien de routes, les parcours imposés aux moyens de transports publics et la politique fiscale.

147

La législation fédérale contient une série de dispositions qui permettent à la Confédération de tenir compte des exigences de l'aménagement du territoire. Par des contacts internes et des procédures de consultation de formes diverses, les organes de la Confédération s'efforcent d'assurer une certaine coordination. Mais on ne saurait parler d'une conception générale.

Un aménagement général doit tendre notamment à améliorer les conditions d'existence dans les régions défavorisées, à assainir la situation dans les zones de forte concentration, avec le souci d'éviter des mesures artificielles qui provoqueraient une nouvelle surcharge, à la prise en considération du milieu (maintien de la pureté des eaux et de l'air) et des exigences de la défense nationale.

Dans son rapport (p. 123), la commission d'experts pour l'étude de l'aménagement du territoire envisage en première ligne des mesures d'encouragement prises par la Confédération pour atteindre ces buts. Nous nous rallions en principe à cette manière de voir, avec cette réserve qu'on devra déterminer dans la législation d'exécution quelles mesures entrent en considération et qu'il est bien entendu qu'elles ne devront pas toutes être appliquées immédiatement et simultanément. La commission d'experts pense à un encouragement sous la forme de conseils, de prises en charge d'intérêts, de cautionnements et de prêts, ainsi qu'à un soutien de la recherche, de la formation du personnel dans le domaine de l'aménagement du territoire. Elle voudrait aussi que la Confédération soit chargée d'une mission de coordination, qui embrasserait tant les tâches fédérales que celles dont l'exécution incombe à la fois à la Confédération, aux cantons et aux communes (sauvegarde et conservation du paysage y compris la forêt, protection de la flore et de la faune, protection des biens culturels, maintien de la pureté de l'air et de l'eau, etc.).

Pour assurer cette coordination, les experts envisagent la création d'une commission pour l'aménagement du territoire. La Confédération devrait aussi être autorisée à établir des dispositions générales, dans les limites desquelles elle élaborerait, avec le concours des cantons, une conception directrice de l'urbanisation pour l'ensemble du territoire suisse, ainsi que des directives pour l'aménagement du territoire à l'échelon
national, régional et local. La commission d'experts envisage l'établissement d'un plan fédéral de zones, qui comprendrait une zone agricole, dont la création ne donnerait en principe pas lieu à une indemnité. Elle prévoit en même temps des procédures de remembrement étendues, pouvant comporter une compensation des avantages.

La Confédération devrait-elle recevoir la compétence de pourvoir à la péréquation des charges entre les communes d'une même région et, si oui, quelle serait la portée de cette compétence? Ce sont là des questions qui doivent rester ouvertes jusqu'au moment de l'élaboration des dispositions législatives assurant l'exécution du droit constitutionnel.

148

CHAPITRE

TROISIÈME

Commentaire des nouveaux articles constitutionnels

Art. 22 ter er

Le 1 alinéa garantit la propriété sous son double aspect d'institution et de droit acquis.

La garantie de la propriété en tant qu'institution assure le maintien d'un régime libéral de la propriété, puisqu'elle tend à la conservation de la propriété privée comme institution du droit privé. Ce n'est pas seulement la propriété acquise par le particulier, qui est garantie, mais aussi la possibilité d'acquérir et d'aliéner librement la propriété. La garantie dresse ainsi une barrière contre l'action de l'Etat, tant qualitativement que quantitativement.

Du point de vue quantitatif, la garantie assure au particulier la possibilité de régler librement ses rapports juridiques avec autrui. L'instauration d'un monopole foncier de la collectivité publique -- cantonale ou communale -- serait donc contraire à la garantie de la propriété. Du point de vue qualitatif, la garantie s'oppose à ce que l'Etat s'arroge par la voie de la législation les principaux pouvoirs de décision du propriétaire, une partie de la liberté de disposer et d'utiliser que confère le droit privé doit subsister.

Sous son aspect de protection d'un droit acquis, la garantie de la propriété protège les droits patrimoniaux concrets d'une personne déterminée (propriété foncière, propriété mobilière, propriété de papiers-valeurs, droits immatériels, etc.) contre toute expropriation ou restriction illicite de la part de l'Etat.

Tenant compte de la jurisprudence, les 2e et 3e alinéas fixent les conditions dans lesquelles la garantie de la propriété admet des restrictions de la propriété.

Ces atteintes de l'Etat, pour être conformes au droit, doivent reposer sur un fondement légal, répondre à l'intérêt public et donner lieu à une indemnité si leurs effets sont analogues à ceux d'une expropriation.

Le principe de la légalité ne signifie pas que toute atteinte à la propriété privée doive reposer sur une loi au sens technique du terme. L'essentiel est que la règle ait un caractère général et abstrait (ordonnance génératrice de droit, décret communal, droit coutumier; cf. ATF 74, I, 41, en particulier 45 et les citations qui s'y trouvent; 88, I, 176 et 89, I, 470).

La condition de l'intérêt public n'autorise que les atteintes fondées sur le bien commun, à l'exclusion de celles qui répondent principalement à des intérêts privés ou fiscaux. Elle
concerne en première ligne le législateur. Un acte législatif qui ne serait fondé sur aucun intérêt général serait contraire à la constitution.

Si les atteintes de l'Etat touchent à des droits du propriétaire non inhérents à la propriété elle-même, elles ne donnent pas lieu à une indemnité.

149

Mais si elles ont pour résultat la perte totale de la propriété ou touchent à un élément essentiel de la propriété, une indemnité complète doit être versée.

Dans le cas de l'expropriation formelle, l'obligation d'indemniser a de tout temps été reconnue par la loi. Mais l'équité exige que les restrictions de la propriété qui ont des effets analogues à l'expropriation (expropriation matérielle) donnent aussi lieu à une indemnité complète. Le principe de l'indemnité complète ne signifie cependant pas qu'on doive tenir uniquement compte des intérêts de l'exproprié. Pour calculer .l'indemnité, on prend en considération les facteurs qui accroissent ou diminuent la valeur marchande de l'immeuble.

Le 2e alinéa ne permettrait pas d'instituer un droit de préemption général de la collectivité publique par la voie législative. Le transfert forcé de la propriété du particulier à la collectivité doit se faire dans les formes de l'expropriation, l'exercice du droit de préemption conduit, comme l'expropriation, à la privation complète et durable de la propriété. C'est pourquoi on ne saurait le considérer comme une simple restriction de la propriété.

Le nouvel article 22 ter rend superflu l'article 23, 2e alinéa, de la constitution. Nous renonçons toutefois à proposer l'abrogation formelle de cette dernière disposition, pensant qu'on pourra l'éliminer à l'occasion d'une nouvelle rédaction de la constitution et qu'il est ainsi possible d'attendre sans inconvénients le résultat des travaux relatifs à une revision totale.

Art. 22quater er

Le 1 alinéa confère à la Confédération le pouvoir d'établir par la voie législative des règles générales concernant l'aménagement du territoire (en allemand: Erschliessung und Besiedlung des Landes, en italien: sistemazione e abitabilità del territorio) et l'utilisation du sol. Les termes «Erschliessung und Besiedlung des Landes» et «sistemazione e abitabilità del territorio» font mieux ressortir ce qu'on entend habituellement par «Landesplanung» et «pianificazione», mots que nous renonçons à employer dans la constitution à cause de leur imprécision. En français, rien ne s'oppose à l'emploi du terme «aménagement du territoire»; il est l'équivalent des termes employés dans les deux autres langues nationales.

Le projet du groupe de travail institué par le département de justice et police prévoyait que la Confédération peut édicter des dispositions légales de base sur l'aménagement du territoire. Nous préférons dire que la Confédération peut établir des règles générales par la voie législative. Cette formule fait ressortir que les dispositions fédérales seront des règles de droit au sens de l'article 5, 2e alinéa, de la loi sur les rapports entre les conseils, qu'elles devront revêtir la forme d'une loi ou d'un arrêté fédéral de portée générale et se borner à instaurer des règles générales qui lieront les cantons quand ils légiféreront.

150

La compétence fédérale qui est ici prévue correspond à la «haute surveillance» dont il est question dans divers articles constitutionnels. Le pouvoir d'instaurer des règles générales par la voie de la législation, d'établir une législation de base, est une notion suffisamment claire, depuis longtemps courante dans notre langage juridique. Cette notion doit être préférée ici à celle de la haute surveillance.

La notion allemande d'«Erschliessuhg» (comprise en français dans le terme aménagement) s'applique, pour les régions entières à la création de moyens de communication et, pour les terrains destinés à être bâtis, à la construction de voies d'accès et à l'installation de canalisations et de conduites.

Les règles générales à édicter concerneront en particulier les plans de zones, que les cantons seront tenus d'établir. Les dispositions légales -d'exécution préciseront ce qu'il faut entendre par zones et comment elles seront désignées. La disposition constitutionnelle proposée vise aussi la création de zones agricoles et doit constituer la base du nouveau droit foncier rural.

La Confédération peut aujourd'hui déjà ordonner de nombreux aménagements dits techniques, par exemple dans le domaine des transports et communications, de l'agriculture, de la protection de la famille, de la police des eaux et des forêts et de la protection des eaux. Nous l'avons déjà signalé plusieurs fois. Ces attributions ne suffisent cependant pas pour assurer une distribution judicieuse des zones d'habitation et une utilisation optimum du sol. La Confédération doit donc recevoir un pouvoir général de planifier.

Un tel pouvoir facilitera la coordination des divers aménagements du territoire et lui permettra de mieux s'acquitter de nombreuses autres tâches fédérales. De plus, l'attribution de ce pouvoir garantira.mieux la prise en considération de tous les points de vue.

2e alinéa: Les dispositions de droit public sur les constructions doivent en principe demeurer cantonales. Leur application doit rester du ressort des cantons et des communes. Le législateur devra cependant examiner si, pour assurer une construction rationnelle, il ne conviendrait pas de chercher à uniformiser quelque peu certaines dispositions d'un droit qui manque aujourd'hui beaucoup d'unité. La Confédération jouera un rôle particulièrement important
en encourageant et en coordonnant les efforts des cantons et en collaborant avec eux.

CHAPITRE Q U A TRIÈME Considérations finales 1. L'article 22 ter ne contient rien qui ne corresponde déjà au droit constitutionnel non écrit ou à. la jurisprudence constante du Tribunal fédéral.

La garantie expresse de la propriété est une condition des restrictions de la propriété, au sujet desquelles la nouvelle disposition constitutionnelle consacre

151

la jurisprudence constante du Tribunal fédéral selon laquelle ces restrictions et l'expropriation -- tant formelle que matérielle -- ne peuvent être ordonnées que pour des motifs d'intérêt public et sur la base d'une loi. En vertu de notre projet d'article constitutionnel, le Tribunal fédéral sera lié par sa jurisprudence selon laquelle l'expropriation, formelle ou matérielle, n'est possible que contre une juste indemnité. A noter qu'il s'agira, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, de compenser le dommage subi et non de permettre de réaliser un gain. Pour les restrictions de la propriété qui n'ont pas les effets d'une expropriation matérielle ou formelle, les cantons demeureront libres de décider qu'il n'y aura pas d'indemnité ou qu'il y aura une indemnité complète («juste») ou partielle.

2. L'article 22quater, qui s'applique au sol et, le cas échéant, à l'espace aérien, mais non à la propriété mobilière, est la plus importante des dispositions constitutionnelles que nous proposons.

Notre projet tend à délimiter clairement les attributions de la Confédération et des cantons, en prévoyant que la Confédération peut, par ses prestations, notamment financières, encourager les efforts des cantons en matière de planification, mais en précisant qu'elle doit se borner à donner aux cantons des directives obligatoires au sujet de l'aménagement du territoire et de l'utilisation du sol. Ce n'est que lorsqu'il s'agira de coordonner les efforts de plusieurs cantons qu'elle pourra légiférer plus largement. Mais elle devra alors établir ses règles de droit avec le concours des cantons. La planification générale sera la tâche principale de la Confédération, l'exécution restant en principe du ressort des cantons. Lors de l'établissement de plans de zones, il s'agira en première ligne de délimiter les zones agricoles, les zones de construction et les zones de délassement de la population. Il y aura peut-être d'autres zones encore. Nous pensons en particulier à la question, parfois discutée aujourd'hui, de la distribution optimum des hôpitaux dans le pays.

On peut concevoir les dispositions générales que la Confédération édictera en vertu de son pouvoir de haute surveillance sous la forme d'une loi-cadre, contenant les principes directeurs que nous vous avons exposés en nous fondant sur le rapport de la
commission d'experts pour l'étude de l'aménagement du territoire (p. 115s., en particulier p. 123s.). Il serait cependant fort possible que, dans plusieurs lois futures, la Confédération, usant de sa nouvelle compétence, aille un peu plus loin qu'elle ne peut le faire aujourd'hui en matière de planification (rapport, p. 22 à 95), 3. Notre projet se distingue de l'initiative populaire contre la spéculation foncière principalement par le fait qu'il comprend .deux articles et qu'il renonce au moyen de planification que constituerait un droit de préemption légal en faveur des collectivités publiques. Ce droit de préemption très discuté dans la doctrine est un instrument qui, étant donnée l'insuffisance des ressources financières, n'aurait probablement que peu d'efficacité. Notre projet s'abstient en outre d'instaurer de nouvelles restrictions de droit public

152 de la propriété, puisque l'article 22 ter, 2e alinéa, ne permet à la Confédération et aux cantons de prévoir l'expropriation et des restrictions de la propriété que «dans la mesure de leurs attributions constitutionnelles». L'indication des buts de la planification n'est ainsi pas nécessaire. Enfin, à l'inverse de l'initiative, notre projet n'autorise l'expropriation formelle ou matérielle que contre une «juste» indemnité.

4. Comme le groupe de travail désigné par le département de justice et police, nous avons attaché du prix à disposer de quelques informations sur le droit foncier étranger: Le «Max Planck-Institut für ausländisches Recht» à Heidelberg, a bien voulu dresser une étude comparative des dispositions en vigueur dans divers Etats. Nous joignons cet intéressant tableau à notre message à l'usage du parlement. *) 5. Le principe de l'unité de la matière, consacré par l'article 121, 3e alinéa, de la constitution, ne vaut pas seulement pour les revisions partielles demandées par une initiative populaire. Il s'applique à toutes les revisions partielles (Burckhardt, Kommentar, p. 819). Bien que notre projet comprenne deux articles, il est hors de doute qu'il respecte ce principe. Nous nous référons à ce sujet à notre rapport du 31 mai 1966 (FF 1966, I, 899 et 900)..

6. Notre projet d'articles constitutionnels donne suite à l'initiative du canton de Baie-Campagne du 27 septembre 1962 concernant la lutte contre la spéculation foncière. Nous vous proposons de la classer.

Nous vous'recommandons d'adopter notre projet d'arrêté fédéral et de le soumettre à la votation du peuple et des cantons.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 15 août 1967.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Bonvin 17598

Le chancelier de la Confédération, Ch. Oser

*) Publié séparément.

153

(Projet)

Arrêté fédéral complétant la constitution par des articles 22ter et 22quater (Dispositions constitutionnelles sur le droit foncier)

L'Assemblée fédérale de la Confédération suisse,

vu les articles 85, chiffre 14, 118 et 121, 1er alinéa, de la constitution; vu le message du Conseil fédéral du 15 août 1967, arrête: I

Les dispositions ci-après sont insérées dans la constitution:

Art. 22 ter La propriété est garantie.

2 Dans la mesure de leurs attributions constitutionnelles, la Confédération et les cantons peuvent, pour des motifs d'intérêt public et par voie législative, prévoir l'expropriation et des restrictions de la propriété.

3 En cas d'expropriation et de restriction de la propriété équivalentes à l'expropriation, une juste indemnité est due.

1

Art. 22quùter 1

La Confédération peut établir par la voie de la législation des règles générales sur l'aménagement du territoire et l'utilisation du sol, en particulier sur la création de plans de zones par les cantons.

2 Elle encourage et coordonne les efforts des cantons dans ces domaines et collabore avec eux.

II Le présent arrêté sera soumis à la votation du peuple et des cantons.

Le Conseil fédéral est chargé de l'exécution.

17598

Feuille fédérale. 119' année. Vol. H.

Schweizerisches Bundesarchiv, Digitale Amtsdruckschriften Archives fédérales suisses, Publications officielles numérisées Archivio federale svizzero, Pubblicazioni ufficiali digitali

Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant l'insertion d'articles 22ter et 22quater dans la constitution (Dispositions constitutionnelles sur le droit foncier) (Du 15 août 1967)

In

Bundesblatt

Dans

Feuille fédérale

In

Foglio federale

Jahr

1967

Année Anno Band

2

Volume Volume Heft

35

Cahier Numero Geschäftsnummer

9716

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

01.09.1967

Date Data Seite

137-153

Page Pagina Ref. No

10 098 543

Das Dokument wurde durch das Schweizerische Bundesarchiv digitalisiert.

Le document a été digitalisé par les. Archives Fédérales Suisses.

Il documento è stato digitalizzato dell'Archivio federale svizzero.