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Contacts entre les autorités fédérales et les entreprises Lonza et Moderna concernant la production et l'acquisition de vaccins contre le Covid-19 Rapport de la Commission de gestion du Conseil national du 16 novembre 2021

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Table des matières 1

Introduction

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Objet du rapport

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Démarches de la CdG-N

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Bases légales relatives à l'approvisionnement en produits thérapeutiques en période de pandémie

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Présentation des faits 5.1 Février à avril 2020: Premières démarches des autorités fédérales concernant la vaccination 5.2 Mars et avril 2020: Lancement des travaux de Moderna et de Lonza, premiers contacts entre Lonza et les autorités fédérales 5.3 Mai 2020: Rencontre entre les autorités fédérales et Lonza 5.4 Mai à août 2020: Négociations entre les autorités fédérales et Moderna 5.5 Août 2020 à février 2021: poursuite des échanges entre la Confédération et Moderna 5.6 Mars et avril 2021: poursuite des échanges entre la Confédération, Lonza et Moderna 5.7 A partir d'avril 2021: Projet «Leute für Lonza» 5.8 A partir d'avril 2021: Soutien à la production de produits thérapeutiques liés au Covid-19

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Appréciation des acteurs concernés 6.1 Echanges du printemps 2020 entre les autorités fédérales et les entreprises Lonza et Moderna 6.2 Echanges du printemps 2021 entre les autorités fédérales et les entreprises Lonza et Moderna, projet «Leute für Lonza»

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Appréciation de la CdG-N 7.1 Légalité 7.2 Opportunité 7.3 Efficacité 7.4 Projet «Leute für Lonza»

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Conclusions et suite de la procédure

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Abréviations

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Liste des personnes auditionnées

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Rapport 1

Introduction

Fin mai 2020, les Commissions de gestion des Chambres fédérales (CdG) ont décidé, en leur fonction d'organe de haute surveillance parlementaire, de lancer une inspection visant à analyser la gestion de la crise du coronavirus Covid-191 par le Conseil fédéral et l'administration fédérale2. Depuis lors, les CdG et leurs sous-commissions procèdent à des clarifications concernant de nombreux aspects de la gestion de crise3.

Dans le cadre de cette inspection, la Commission de gestion du Conseil national (CdGN) a approfondi la thématique de la gestion des biens médicaux4 par les autorités fédérales durant la crise du Covid-19. Elle s'est notamment penchée sur la commande, l'acheminement et la distribution de biens médicaux par les unités fédérales compétentes5, les structures mises en place par l'administration à cet effet, ou encore l'organisation de l'approvisionnement économique du pays.

En mars 2021, des critiques publiques ont été exprimées concernant la stratégie poursuivie par la Confédération en matière d'approvisionnement en vaccins contre le Covid-19 au début de la crise. Divers médias ont laissé entendre que les autorités fédérales auraient, au printemps 2020, décliné une offre de l'entreprise suisse Lonza, portant sur le financement par la Confédération d'une ligne de production de vaccins à ARN messager (ARNm) de la marque Moderna sur le site de Viège (VS), et aurait ainsi manqué une occasion stratégique de mettre en place une production de vaccins sur sol suisse réservée à la Confédération6. Ces révélations ont provoqué de nombreuses réactions politiques, alors qu'au même moment des incertitudes régnaient concernant le respect du calendrier de livraison des vaccins en Suisse.

Dans ce contexte, la CdG-N a décidé à l'unanimité, lors de sa séance du 30 mars 2021, d'approfondir la thématique des contacts ayant eu lieu entre les autorités fédérales et les entreprises Lonza et Moderna concernant la production et l'acquisition de vaccins contre le Covid-19. La gestion de cet aspect par la Confédération revêt une importance particulière du point de vue la haute surveillance parlementaire. En effet, les décisions stratégiques en matière d'acquisition de vaccins prises par les autorités fédérales dans 1 2 3

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Ci-après: «crise du Covid-19», «crise» ou «pandémie».

Les CdG lancent une inspection visant à analyser la gestion de la pandémie de Covid-19 par les autorités fédérales, communiqué de presse des CdG du 26 mai 2020.

Un aperçu des thèmes abordés par les CdG est disponible dans le Rapport annuel 2020 des Commissions de gestion et de la Délégation des Commissions de gestion du 26 janvier 2021, chap. 4 (FF 2021 570).

Le terme générique de «biens médicaux» englobe l'ensemble des biens nécessaires à la gestion de crise sanitaire, c'est-à-dire les produits thérapeutiques (médicaments, vaccins, etc.), les moyens et appareils médicaux (respirateurs, etc.), mais également le matériel de protection (masques, gants, etc.).

La CdG-N a notamment approfondi la question de l'approvisionnement en masques de protection durant la première vague de pandémie.

Cf. notamment: «Bund wollte keine eigene Impfstoffproduktion», in: Berner Zeitung, 11 mars 2021; «Verloren auf dem Impfbasar», in: Blick, 14 mars 2021; «Wie Berset eine Chance verpasste», in: NZZ am Sonntag, 28 mars 2021.

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les premiers mois de la pandémie, alors que de nombreux pays, confrontés à des perspectives de pénuries, tentaient de s'assurer un accès prioritaire aux biens médicaux contre le Covid-19, ont eu une influence déterminante sur la gestion de la pandémie en Suisse.

La CdG-N a chargé sa sous-commission DFI/DETEC7 de procéder aux investigations dans ce dossier, d'établir les faits pertinents et de s'informer sur les réflexions stratégiques menées à l'époque à ce sujet par le Département fédéral de l'intérieur (DFI) et l'Office fédéral de la santé publique (OFSP)8.

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Objet du rapport

La CdG-N a concentré son examen sur les échanges ayant eu lieu entre les autorités fédérales compétentes et les entreprises Lonza et Moderna entre les mois de mars 2020 et d'août 2021 concernant la production et l'achat de vaccins à ARNm de la marque Moderna.

Conformément à leur mandat légal, les CdG exercent leur haute surveillance au regard des critères de légalité, d'opportunité et d'efficacité. Dans le cas présent, la commission a cherché à apporter une réponse aux questions suivantes: ­

Légalité: Les décisions et mesures des autorités fédérales concernant la commande de vaccins de Moderna étaient-elles conformes à l'ordre juridique?

­

Opportunité: Dans leurs échanges avec Lonza et Moderna, les autorités fédérales ont-elles utilisé de manière adéquate la marge d'appréciation qui leur revenait pour assurer un accès rapide et élargi de la Suisse au vaccin de Moderna?

­

Efficacité: La stratégie suivie par la Confédération a-t-elle permis d'atteindre l'objectif poursuivi, à savoir un accès rapide et élargi au vaccin de Moderna?

Une autre stratégie aurait-elle permis un accès plus rapide ou plus élargi?

Dans le cadre de ses clarifications, la CdG-N a également abordé certains aspects plus généraux liés à la stratégie d'approvisionnement en vaccins de la Confédération et au projet «Leute für Lonza», lancé par la Confédération au printemps 2021 afin de soutenir l'entreprise dans le recrutement de personnel supplémentaire pour la production de vaccins sur le site de Viège.

En revanche, la CdG-N ne se prononce pas, dans le présent rapport, sur les négociations menées par les autorités fédérales avec d'autres producteurs de vaccins ou sur la mise en oeuvre par la Confédération de la stratégie de vaccination.

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La sous-commission DFI/DETEC de la CdG-N se compose des conseillères nationales et conseillers nationaux Thomas de Courten (président), Angelo Barrile, Katja Christ, Alois Huber, Christian Imark, Matthias Samuel Jauslin, Priska Seiler Graf, Marianne StreiffFeller et Michael Töngi.

Approvisionnement en vaccins: la CdG-N se penche sur les contacts entre les autorités fédérales et l'entreprise Lonza, communiqué de presse de la CdG-N du 30 mars 2021.

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Démarches de la CdG-N

Entre mars et août 2021, la sous-commission DFI/DETEC de la CdG-N a procédé à des clarifications approfondies concernant ce dossier. Elle a prié le DFI de lui remettre l'ensemble des informations et documents pertinents concernant les échanges menés avec Lonza et Moderna depuis le printemps 2020 et a adressé une série de questions écrites au chef du DFI. Dans un deuxième temps, elle a procédé à l'audition d'une délégation du DFI et de l'OFSP pour approfondir divers aspects du dossier. Le chef du DFI a également pris position oralement face aux deux CdG en mai 2021, dans le cadre du traitement du rapport de gestion 2020 du Conseil fédéral. Enfin, la CdG-N s'est entretenue avec les dirigeants des entreprises Lonza et Moderna, afin de connaître leur interprétation des faits et de bénéficier de leur expertise technique. La CdGN adresse ses remerciements aux acteurs concernés pour leur collaboration constructive dans ce dossier, ainsi que pour les réponses détaillées et transparentes qui lui ont été apportées.

En août 2021, la sous-commission DFI/DETEC de la CdG-N a décidé d'élaborer un rapport succinct afin de présenter une synthèse des faits à sa connaissance et de faire part de ses conclusions. Ce rapport a été soumis à consultation auprès des entités et entreprises concernées. Lors de sa séance plénière du 16 novembre 2021, la CdG-N a examiné et approuvé la version finale du rapport et a transmis celui-ci au Conseil fédéral. Lors de cette même séance, elle a également décidé de publier ce rapport.

Le chapitre 4 présente les principales bases légales relatives à l'approvisionnement en produits thérapeutiques en période de pandémie. Au chapitre 5, la CdG-N détaille la chronologie des principaux faits pertinents portés à sa connaissance dans ce dossier.

Le chapitre 6 présente l'appréciation des faits livrée à la commission par les différents acteurs concernés. Enfin, au chapitre 7, la commission fait part de sa propre appréciation du point de vue de la haute surveillance parlementaire. Le chapitre 8 est consacré aux conclusions.

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Bases légales relatives à l'approvisionnement en produits thérapeutiques en période de pandémie

Selon l'art. 44 de la loi sur les épidémies (LEp)9, le Conseil fédéral assure ­ subsidiairement aux dispositions liées à l'approvisionnement du pays ­ l'approvisionnement de la population en produits thérapeutiques les plus importants en matière de lutte contre les maladies transmissibles, dont les vaccins font partie10. Il peut notamment édicter des dispositions concernant l'attribution, la distribution, l'importation, l'exportation et les réserves de ces produits.

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Loi fédérale du 28 septembre 2012 sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme (Loi sur les épidémies, LEp; RS 818.101).

Selon le message du Conseil fédéral du 3 décembre 2010 sur la révision de la LEp (FF 2011 291 375) «sont notamment considérés comme importants [au sens de l'art. 44 al. 1 LEp] des médicaments indispensables (comme les vaccins et les antiviraux) [...]».

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L'art. 51 LEp prévoit que la Confédération peut allouer des aides financières pour encourager la production en Suisse de produits thérapeutiques lorsqu'il n'est pas possible de garantir autrement l'approvisionnement de la population en cas de situation particulière ou extraordinaire. Les conditions assorties à ces aides financières (art. 51, al. 3 LEp) impliquent notamment que la production ait lieu en Suisse et que les autorités bénéficient d'une livraison prioritaire.

L'ordonnance sur les épidémies (OEp)11 précise différents aspects relatifs à la vaccination et à l'approvisionnement en produits thérapeutiques. Elle règle notamment le plan national de vaccination (art. 32), les devoirs des différents acteurs de la santé (art.

33 et 34) ainsi que les tâches de l'OFSP et des cantons en matière de vaccination (art.

35, 39 et 40). Elle contient également des prescriptions sur l'attribution (art. 61), la fixation des quantités (art. 62) ou le transport et la distribution des produits thérapeutiques (art. 63 et 64). Enfin, l'art. 60 présente une liste des produits thérapeutiques de lutte contre les épidémies dont la disponibilité doit être assurée par le Conseil fédéral.

Le vaccin contre le Covid-19 ne figure pas dans cette liste et n'y a pas été ajouté durant la pandémie; il a par contre été intégré en juin 2020 dans l'ordonnance 3 Covid-19 (cf. ci-après et chap. 5.4).

Le 3 avril 2020, dans le contexte de la première vague de la crise du Covid-19, le Conseil fédéral a intégré dans l'ordonnance 2 Covid-1912 une section relative à l'approvisionnement en biens médicaux importants. Celle-ci prévoit notamment que l'OFSP, en accord avec le domaine «produits thérapeutiques» de l'organisation de l'approvisionnement économique du pays, est responsable de l'acquisition des médicaments (art. 4f, al. 3, let. b) et que la Confédération préfinance l'acquisition des biens médicaux importants (art. 4i)13. Elle prescrit également que le Conseil fédéral peut obliger des fabricants à produire des biens médicaux importants si l'approvisionnement ne peut pas être garanti autrement (art. 4k, al. 1) et que la Confédération peut verser des contributions si les fabricants subissent des préjudices financiers suite au changement de production (art. 4k, al. 2). Lors du retour à la «situation particulière», le 19 juin 2020,
ces dispositions ont été transférées dans l'ordonnance 3 Covid-1914 (art. 11 et suiv.). A cette occasion, les vaccins contre le Covid-19 ont été ajoutés à la liste des biens médicaux importants, figurant dans l'annexe 4 de l'ordonnance.

La loi Covid-1915, adoptée par le Parlement en septembre 2020, prévoit diverses mesures dans le domaine des capacités sanitaires, qui reprennent en partie les dispositions des ordonnances 2 et 3 Covid-19. Le Conseil fédéral est notamment autorisé à obliger les fabricants à communiquer leurs stocks de produits thérapeutiques et d'autres biens

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Ordonnance du 29 avril 2015 sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme (Ordonnance sur les épidémies, OEp; RS 818.101.1).

Ordonnance 2 du 13 mars 2020 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (Covid-19) (Ordonnance 2 Covid-19; RS 818.101.24).

A ce moment, les vaccins contre le Covid-19 ne figuraient pas encore dans la liste des biens médicaux importants (art. 4d et annexe 4 de l'ordonnance); ils y seront ajoutés lors de l'entrée en vigueur de l'Ordonnance 3 Covid-19, en juin 2020.

Ordonnance 3 du 19 juin 2020 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (Covid-19) (Ordonnance 3 Covid-19; RS 818.101.24).

Loi fédérale du 25 septembre 2020 sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l'épidémie de Covid-19 (Loi Covid-19; RS 818.102).

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médicaux importants (art. 3, al. 1). Il peut, pour garantir un approvisionnement suffisant, prévoir des dérogations en matière d'importation, d'autorisation de mise sur le marché ou d'évaluation de la conformité, prévoir l'attribution et la vente directe ou ordonner la confiscation de biens médicaux importants, et obliger les fabricants à produire certains biens médicaux importants (art. 3, al. 2).

Le 19 mars 2021, le Parlement a complété l'art. 3, al. 2 de la loi Covid-1916 en y ajoutant la possibilité pour le Conseil fédéral d'«acquérir lui-même ou faire produire des biens médicaux importants; dans ce cas, il règle le financement de l'acquisition ou de la production et le remboursement des coûts [...]». Sur cette base, le Conseil fédéral a chargé le DFI17, en avril 2021, d'examiner les possibilités d'investissement de la Confédération dans la production de produits thérapeutiques liés au Covid-19, vaccins inclus, ainsi que l'encouragement de la recherche, la production et l'achat de ces produits (cf. chap. 5.8).

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Présentation des faits

Dans ce chapitre, la CdG-N présente les faits portés à sa connaissance dans ce dossier.

Ceux-ci sont essentiellement issus des documents qui lui ont été remis par le DFI et l'OFSP et des déclarations des représentantes et représentants de l'administration et des entreprises Lonza et Moderna. La commission s'est également basée sur les procès-verbaux de la taskforce Covid-19 de l'OFSP et sur les décisions pertinentes du Conseil fédéral relatives à l'acquisition de vaccins. L'appréciation des acteurs concernant ces faits est consignée dans un chapitre séparé (cf. chap. 6).

A titre de remarque préalable, la commission souligne l'importance de considérer les faits ci-après dans leur contexte spécifique. Au printemps 2020, la Suisse ­ à l'instar de la majorité des pays du monde ­ était confrontée à la première vague de la pandémie de Covid-19, caractérisée par un climat de grande incertitude, notamment au sujet de l'évolution du virus et les moyens de lutter contre ce dernier. Dans de nombreux pays, des démarches étaient en cours afin de garantir un accès prioritaire aux biens médicaux contre le Covid-19, et notamment un potentiel vaccin, considérant que des situations de pénurie étaient à attendre. De grandes incertitudes régnaient concernant la technologie vaccinale la plus appropriée pour lutter contre la pandémie et les délais

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Nouvelle teneur selon le ch. I de la LF du 19 mars 2021 (Cas de rigueur, assurance-chômage, accueil extra-familial pour enfants, acteurs culturels, manifestations), en vigueur du 20 mars 2021 au 31 décembre 2022 (RO 2021 153; FF 2021 285).

En collaboration avec le Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche (DEFR) et le Département fédéral des finances (DFF).

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d'élaboration, de production et d'approbation d'un vaccin. Parmi les technologies envisagées, celle de l'ARNm18 était encore peu connue du public et n'avait bénéficié jusque-là d'aucune approbation de mise sur le marché. Les pronostics concernant l'aboutissement de cette technologie, son efficacité contre le Covid-19 et sa validation par les autorités sanitaires étaient très incertains. En outre, au-delà de l'approvisionnement en vaccins, le DFI et l'OFSP, en leur fonction de département et d'office chargés des questions sanitaires, étaient extrêmement sollicités par les nombreux aspects de la gestion de crise (préparation et application des mesures sanitaires, suivi de la situation épidémiologique, gestion des capacités hospitalières, etc.).

5.1

Février à avril 2020: Premières démarches des autorités fédérales concernant la vaccination

Au sein de l'OFSP, les premières discussions portant sur la vaccination contre le Covid-19 ont lieu dès mi-février 2020, dans le cadre du groupe de travail (GT) «Stratégie» de la taskforce Covid-19 de l'office. Le 12 mars 2020, lors d'une réunion avec des experts externes, le GT «Stratégie» aborde diverses questions, dont celle des mesures de rationalisation à prévoir dans le cas où un vaccin serait mis à disposition. Le 19 mars 2020, un GT «Vaccination» est créé. Celui-ci est chargé de traiter les trois aspects prioritaires suivants: le soutien fédéral pour la recherche et le développement de vaccins contre le Covid-19, la garantie que la population suisse ait rapidement accès à des vaccins efficaces et la répartition équitable des doses de vaccin à l'échelle internationale.

Le GT «Vaccination» est placé sous la conduite de la responsable de la division Affaires internationales de l'OFSP. Initialement composé d'experts de l'office, le GT est ensuite renforcé par différentes personnes apportant des compétences spécialisées supplémentaires, notamment d'un négociateur disposant d'une grande expérience dans le domaine de l'industrie pharmaceutique , un ancien directeur de l'office, ainsi que des représentantes et représentants de l'Institut suisse des produits thérapeutiques (Swissmedic), de la Pharmacie de l'armée et de la Commission fédérale pour les vaccinations (CFV)19. Différents sous-groupes thématiques20 sont créés par la suite, associant des spécialistes supplémentaires ainsi que, dans certains cas, des représentants 18

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ARNm signifie «acide ribonucléique messager». Le corps humain en produit naturellement et en a besoin pour fabriquer des protéines vitales. L'ARNm présent dans le vaccin contre le Covid-19 fournit au corps des informations sur le coronavirus. Le corps peut ainsi produire des protéines du virus. Ces dernières sont ensuite détectées comme étrangères, ce qui provoque une réaction immunitaire: l'organisme se prépare à combattre le virus. En cas de contamination, les défenses immunitaires s'activeront plus rapidement, ce qui rendra vite le virus inoffensif et évitera la maladie. Source: OFSP, Coronavirus: questions fréquentes, www.bag.admin.ch/bag/fr > Maladies > Maladies infectieuses: flambées, épidémies, pandémies > Flambées et épidémies actuelles > Coronavirus (consulté le 14 septembre 2021).

La CFV est une commission extraparlementaire, composée de 14 experts indépendants, qui agit en tant qu'organe consultatif auprès du Conseil fédéral, du DFI et de l'OFSP pour toutes les questions en lien avec la vaccination.

Ceux-ci portent sur les thèmes suivants: aspects multilatéraux, communication, acquisition, évaluation, recommandations, implémentation, logistique.

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des cantons. Le lien avec le monde scientifique est essentiellement assuré à travers la CFV.

Le 20 mars 2020, le Conseil fédéral arrête un train de mesures en vue d'atténuer les effets de la propagation du Covid-19 sur l'économie et la société21. Dans sa proposition, le DFF prévoit un montant de 350 millions de francs pour l'acquisition de matériel médical, dont une tranche de 50 millions de francs pour l'acquisition de vaccins, tout en précisant qu'aucun vaccin n'existe pour l'instant.

Le 3 avril 2020, le Conseil fédéral complète l'ordonnance 2 Covid-19 en y ajoutant une section relative à l'approvisionnement en biens médicaux importants (cf. chap. 4). La compétence de coordination générale en la matière est attribuée à l'OFSP.

Le 7 avril 2020, dans une note de discussion adressée au Conseil fédéral, le DFI estime qu'une vaccination de l'ensemble de la population sera difficile à mettre en oeuvre, en raison de la quantité limitée de vaccins qui sera vraisemblablement disponible dans un premier temps. La note de discussion ne fait pas mention de technologies vaccinales ou de fabricants spécifiques.

5.2

Mars et avril 2020: Lancement des travaux de Moderna et de Lonza, premiers contacts entre Lonza et les autorités fédérales

Le 16 mars 2020, la start-up de recherche biopharmaceutique américaine Moderna, qui mène depuis 2010 des recherches sur les médicaments à base d'ARNm, annonce qu'elle est en mesure de commencer à tester un prototype de vaccin contre le Covid-19, dans le cadre d'essais cliniques de phase 122. Dans le mesure où elle ne dispose pas elle-même d'expérience dans la production industrielle et la commercialisation de produits médicaux, Moderna prend contact avec l'entreprise suisse Lonza, l'un des principaux fabricants sous contrat dans le domaine biopharmaceutique, qui dispose de divers sites de production à travers le monde, dont un à Viège (VS).

De son côté, Lonza indique avoir été convaincue, dès le printemps 2020, que la technologie ARNm constituait une solution potentielle pour le développement rapide d'un vaccin efficace contre le Covid-19. En conséquence, l'entreprise prend la décision stratégique de miser entièrement sur cette technologie plutôt que sur la production de vaccins recourant à des méthodes traditionnelles.

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Décision du Conseil fédéral du 20 mars 2020 sur des mesures supplémentaires pour lutter contre le coronavirus (COVID-19), sur la base de la proposition du DFF du 19 mars 2020.

Selon la pratique internationale en vigueur, les études cliniques portant sur des vaccins (ou d'autres méthodes diagnostiques ou traitements médicaux) comportent trois phases, qui constituent une condition indispensable à la demande d'autorisation de mise sur le marché. Lors de la Phase 1, portant sur le contrôle de la tolérance et de la sécurité, la préparation est testée sur un petit groupe de personnes saines. La Phase 2 vise à déterminer la posologie et les éventuels effets indésirables et prévoit des études sur des patients malades en nombre plus important. Enfin, la Phase 3 est l'étude comparative d'efficacité; elle a pour but la mise en évidence d'une action significative de la préparation sur un groupe de plusieurs milliers de personnes.

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Moderna et Lonza conviennent, le 30 avril 2020, d'établir une collaboration à long terme relative notamment à la production de vaccins. Le partenariat entre les deux entreprises est officialisé le 1er mai 2020. Il comprend la mise en place d'une ligne de production sur le site de PortsMoUth (Etats-Unis) et de trois lignes de production à Viège. Lonza est chargée de la production du principe actif des vaccins, qui est ensuite acheminé dans une autre entreprise pour être conditionné23. Sur le plan juridique, le principe actif issu des lignes de production de Viège appartient à Moderna. L'objectif est que la ligne de production sur le site américain de Lonza soit opérationnelle avant la fin de l'année 2020, sous réserve de l'approbation des autorités sanitaires.

Le 14 avril 2020 ­ alors que les négociations entre Moderna et Lonza sont encore en cours ­ le président du conseil d'administration de Lonza, Albert M. Baehny, adresse une lettre à la Présidente de la Confédération et au chef du DFI24. Dans celle-ci, il informe les autorités fédérales que Lonza a conclu un accord (agreement) avec Moderna pour la production de vaccins contre le coronavirus et que celle-ci devrait débuter au 3ème trimestre 2020 aux Etats-Unis et au 4ème trimestre 2020 à Viège. Il souligne que ce projet représente une grande opportunité pour la Suisse, mais requiert un investissement considérable de la part de Lonza, de l'ordre de 50 à 60 millions de francs. Il évoque la possibilité d'une participation financière de la Confédération dans le projet sous forme d'un investissement («raise the possibility of sharing our investment commitments») et indique que l'entreprise serait heureuse de procéder à un échange avec la Confédération à ce sujet. Face à la commission, le président du conseil d'administration a présenté les raisons qui l'ont incité à adresser cette lettre aux autorités fédérales (cf. chap. 6.1).

Tant les représentants de Lonza que de Moderna ont confirmé à la CdG-N que cette lettre avait été envoyée à la connaissance et avec l'accord de Moderna. Moderna a expliqué qu'une question clé, à cette période, était de savoir comment financer une infrastructure de production et une chaîne d'approvisionnement et les mettre en place le plus rapidement possible. L'entreprise indique qu'elle a examiné de nombreux modèles de
financement et que, dans ce cadre, «la possibilité d'un investissement public de la Suisse dans les installations de production de Lonza a été brièvement envisagée», tout en précisant que cette possibilité «n'était qu'une des options [...] discutées» (pour l'appréciation détaillée, cf. chap. 6.1). Les deux entreprises ont aussi rappelé que de nombreuses inconnues subsistaient à l'époque: leur collaboration n'était pas encore décidée, les lignes de production n'étaient pas installées et les résultats de la phase clinique 1 du vaccin de Moderna n'étaient pas encore disponibles.

La lettre de Lonza est transmise pour traitement par la Chancellerie fédérale au DFI, qui la transmet à son tour à l'OFSP pour analyse. Un premier échange entre le direc-

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Pour la substance produite à Viège, il s'agit de l'entreprise espagnole Rovi. La collaboration entre Moderna et Rovi est rendue publique le 9 juillet 2020.

Une version caviardée de la lettre de Lonza est disponible sur le site Internet du DFI: Fakten zu allfälligen Investitionen des Bundes bei Lonza, www.edi.admin.ch > Documentation (page disponible uniquement en allemand) (consulté le 1er septembre 2021). Selon les informations du DFI, le président du conseil d'administration de Lonza a procédé au préalable à un entretien téléphonique avec le directeur de l'OFSP. Suite à celui-ci, l'entreprise a rédigé et envoyé la lettre du 14 avril 2020.

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teur de l'OFSP, deux autres collaborateurs de l'office et le président du conseil d'administration de Lonza a lieu le 23 avril 2020, afin de discuter de la suite de la procédure. Sur cette base, le directeur de l'OFSP transmet, le 24 avril 2020, une note au chef du DFI. Dans ce document, il évoque le caractère prometteur du vaccin de Moderna et le fait que la Suisse pourrait jouer un rôle clé dans le développement de cette technologie et être un des premiers pays à en bénéficier, dès fin 2020. Il souligne toutefois aussi que cette technologie présente certaines faiblesses et n'a jamais été utilisée jusque-là. Le directeur de l'OFSP estime que des investissements supplémentaires de l'ordre de 100 millions de francs seront nécessaires pour le développement de la production sur le site de Viège et indique qu'il «a été proposé à la Confédération de participer à ces investissements».

Le 28 avril 2020, le chef du DFI et le président du conseil d'administration de Lonza procèdent à un bref entretien téléphonique. Ils conviennent qu'un échange technique aura lieu entre les autorités fédérales et l'entreprise. Il ressort de la documentation remise à la CdG-N qu'à ce moment déjà, le DFI et l'OFSP étaient conscients des enjeux liés à un éventuel investissement de la Confédération dans une ligne de production, notamment concernant les risques d'un tel investissement, la propriété des vaccins produits par Lonza ou encore les alternatives à un financement direct.

5.3

Mai 2020: Rencontre entre les autorités fédérales et Lonza

Une rencontre entre les autorités fédérales et Lonza est organisée le 1er mai 2020 au Bernerhof, à Berne25. Celle-ci réunit le secrétaire général du DFI, le chef de l'étatmajor de crise du Conseil fédéral, le directeur et trois autres représentantes et représentants de l'OFSP, un consultant externe (négociateur) de l'OFSP ainsi que le président du conseil d'administration et cinq autres représentants de Lonza26.

L'OFSP présente l'avancée des travaux de la Confédération concernant l'approvisionnement en vaccins (organisation interne, lignes directrices, contacts internationaux).

De leur côté, les représentants de Lonza présentent le projet de vaccin à ARNm et le partenariat avec Moderna. Ils indiquent qu'il est prévu de créer trois lignes de production sur le site de Viège, pour un coût de 60 millions de francs chacune. Lonza annonce qu'elle prévoit d'investir dans une ligne de production et que des investisseurs externes sont cherchés pour les deux autres. Elle précise que la finalisation des vaccins se fera sur un autre site en Europe. Lonza indique que «la collaboration [avec Moderna] devrait être clarifiée d'ici deux semaines» et précise qu'elle souhaiterait une réponse du DFI concernant une éventuelle participation de la Suisse dans ce délai.

Face à la CdG-N, le président du conseil d'administration a affirmé qu'il avait demandé, à la fin de la réunion, si «le gouvernement suisse pourrait considérer réserver des capacités dans [les] futures lignes de production [de Lonza]». Il a précisé qu'il 25

26

Une version caviardée du procès-verbal de la séance est disponible sur le site Internet du DFI: Fakten zu allfälligen Investitionen des Bundes bei Lonza, www.edi.admin.ch > Documentation (page disponible uniquement en allemand), consulté le 1.9.2021.

Moderna a indiqué à la CdG-N qu'elle était au courant de la tenue de cette réunion.

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avait indiqué que Lonza n'attendait pas de réponse sur-le-champ, car il était clair qu'il s'agissait d'une offre à discuter, et qu'il espérait l'ouverture d'un dialogue. De son côté, le DFI estime que la question d'un éventuel investissement a bien été évoquée lors de la séance, mais qu'aucune offre concrète relative aux lignes de production n'a été soumise par Lonza (pour plus de détails et la signification de «réserver des capacités», cf. chap. 6.1).

Selon le DFI, il est ressorti de cet échange que Lonza n'était responsable que d'une partie de la chaîne de production et ne détenait pas les droits sur le vaccin de Moderna.

Pour ces raisons, le département est arrivé à la conclusion qu'un investissement direct dans la production sur le site de Viège n'était «ni possible, ni nécessaire» et que les négociations en vue de l'acquisition rapide de vaccins devaient être menées directement avec Moderna (pour plus de détails, cf. chap. 6.1).

Après la séance, le négociateur de l'OFSP et le chef de projet de Lonza procèdent à un échange verbal concernant la procédure ultérieure. Le chef de projet de Lonza renvoie l'OFSP à Moderna pour de plus amples discussions et assure qu'il fera en sorte que les portes de Moderna lui soient ouvertes. Le même jour, il transmet à l'OFSP par e-mail les coordonnées de la personne de contact chez Moderna, en indiquant que cette dernière a été avertie.

Toujours le 1er mai 2020, le chef du DFI est informé par oral du contenu de la séance avec Lonza. Aucune mention de la séance ne figure dans les procès-verbaux de la taskforce Covid-19 de l'OFSP.

A partir de début mai, les négociations relatives au vaccin de Moderna sont menées exclusivement entre la Confédération et Moderna27. Le DFI a indiqué à la CdG-N qu'aucune réponse formelle n'avait été donnée à Lonza par rapport à la proposition d'investissement formulée le 1er mai, dans la mesure où Lonza elle-même avait invité la Confédération à poursuivre les discussions directement avec Moderna. Le président du conseil d'administration de Lonza, de son côté, a indiqué qu'il avait considéré que «l'affaire était réglée s'il n'y avait pas de réaction après une, deux ou trois semaines» et qu'il en avait conclu que la Confédération ne souhaitait pas mener de négociations concernant un investissement direct dans Lonza. Moderna a indiqué
à la CdG-N que ni l'entreprise ni la Confédération n'avaient poursuivi l'option d'un investissement direct de la Confédération suisse dans la production de principes actifs. Moderna a finalement décidé de financer elle-même la deuxième et troisième ligne de production sur le site de Viège.

Le 18 mai 2020, Moderna publie certains résultats intermédiaires positifs des essais cliniques de phase clinique 1 et annonce ses essais de phase 2.

27

Face à la CdG-N, M. Baehny a affirmé qu'il était normal que Lonza ne participe pas aux négociations relatives à la commande de vaccins, dans la mesure où l'entreprise ne fournit qu'une partie du vaccin, et que ce dernier est propriété de Moderna.

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5.4

Mai à août 2020: Négociations entre les autorités fédérales et Moderna

Le 4 mai 2020, un premier projet de protocole d'accord (Memorandum of Understanding, MoU) est transmis à la Confédération par Moderna, sur la base d'un modèle standard. A travers ce document, Moderna propose aux pays intéressés de «précommander des doses de vaccin à un stade précoce et s'assurer une livraison prioritaire [...] en versant un acompte de 25% de la quantité précommandée». Le document sera adapté par la suite lors des négociations (cf. ci-après).

Lors de sa séance du 20 mai 2020, le Conseil fédéral se prononce sur la stratégie d'approvisionnement en vaccins. Le projet soumis par le DFI au Conseil fédéral évoque trois pistes afin d'assurer cet approvisionnement: premièrement, la participation de la Suisse à des projets multilatéraux de recherche, de coordination et de distribution de futurs vaccins, deuxièmement la réservation et l'acquisition auprès de producteurs potentiels sur le marché mondial, et troisièmement le soutien à la recherche, au développement et à la production d'un vaccin suisse.

Le Conseil fédéral est informé à cette occasion des différentes technologies vaccinales envisagées et des négociations avec les candidats. Le DFI considère que l'obtention d'un vaccin efficace et sûr contre le Covid-19 est «en principe très probable», mais précise que l'incertitude règne en ce qui concerne les chances de réussite des différentes techniques de production et le succès des différentes entreprises. Le Conseil fédéral est également informé du projet de MoU avec Moderna, cette piste étant présentée comme l'une des plus prometteuses. L'option d'un éventuel soutien direct de la Confédération à la production de Lonza n'est pas évoquée dans le document; de l'avis du DFI, cela s'explique par le fait que cette proposition n'avait pas été jugée pertinente et que le département avait donc décidé de ne pas y donner suite.

Dans son projet au Conseil fédéral, le DFI consacre un chapitre aux bases légales relatives à l'acquisition de vaccins. Le département arrive à la conclusion qu'une telle acquisition est possible sur la base des art. 44 et 51 LEp. Il reconnaît que le vaccin contre le Covid-19 ne figure pas encore dans la liste des produits médicaux pouvant être acquis par la Confédération (art. 60 OEp, cf. chap. 4), mais considère que cette liste n'est pas exhaustive et qu'elle couvre
également l'acquisition de vaccins, même lorsque ceux-ci ne sont pas explicitement mentionnés28. Le DFI indique que la liste prévue à l'art. 60 OEp devra être complétée au plus vite. Dans les faits, cet article n'a toutefois finalement pas été modifié. L'ajout correspondant a été effectué dans l'annexe 4 de l'ordonnance 3 Covid-19, lors de son entrée en vigueur le 19 juin 2020.

Toujours le 20 mai 2020, le Conseil fédéral charge le DFI, en collaboration avec le Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), d'entamer des négociations contractuelles avec des fabricants concernant l'achat de

28

Le DFI se réfère à cet effet au message du Conseil fédéral du 3 décembre 2010 sur la révision de la LEp (FF 2011 291 375). Selon ce message, «sont notamment considérés comme importants [au sens de l'art. 44 al. 1 LEp] des médicaments indispensables (comme les vaccins et les antiviraux) [...]».

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vaccins. Le but visé est d'acquérir une quantité de vaccins permettant d'approvisionner 60% de la population suisse. Le Conseil fédéral adopte également un plan de financement pour l'acquisition de vaccins, à hauteur de 309 millions de francs.

Par ailleurs, l'option de la production d'un vaccin suisse est évoquée, avec possibilité d'un soutien par la Confédération. Le DFI indique au Conseil fédéral que l'évaluation des propositions est en cours et qu'une décision à ce sujet sera prise en juin, après une analyse des risques. Le département a précisé à la CdG-N que les clarifications à ce sujet avaient déjà débuté avant le 20 mai; l'OFSP a chargé un groupe d'experts externes de procéder à une analyse de marché globale afin d'identifier les entreprises prometteuses pour la production de vaccins, tant sur le plan national qu'international.

Les informations remises à la commission montrent que la piste de la production d'un vaccin suisse ne s'est toutefois pas concrétisée au cours des mois suivants (cf.

chap. 5.5).

Le 9 juin 2020, le MoU entre l'OFSP et Moderna ­ contraignant sur le plan juridique ­ est signé. La Suisse est alors le troisième pays au monde à conclure un tel accord.

Celui-ci porte en particulier sur 6 millions de doses et règle les aspects principaux suivants: définition du volume de la commande, prix de la commande, responsabilité, modalités de la procédure d'homologation, calendrier de livraison et mise en oeuvre.

Il régit également les mécanismes de réductions des quantités en cas de retards de livraison et les remboursements partiels dans le cas où l'autorisation de mise sur le marché n'est pas octroyée. Les représentants de l'OFSP ont présenté à la CdG-N, en mai 2021, les principaux éléments abordés lors des négociations avec Moderna.

Pour ses négociations avec Moderna, l'OFSP bénéficie du soutien d'experts de KMPG (pour les aspects juridiques et les clauses de responsabilité) ainsi que d'un négociateur disposant d'une grande expérience dans le domaine de l'industrie pharmaceutique. Les aspects financiers sont coordonnés avec le DDPS, responsable du crédit d'acquisition.

Selon Moderna, «grâce à [la] confiance [des autorités suisses] dans le produit de Moderna et à l'acompte de réservation versé par la Confédération [lors de la signature du MoU], Moderna a pu mettre en place
la chaîne de production et d'approvisionnement». Suite aux discussions avec les autorités suisses, l'entreprise a «réinvesti une part importante du montant du contrat en Suisse, en particulier à travers le financement de cinq des six lignes de production finalement construites sur le site de Lonza à Viège et à travers le développement de Moderna Switzerland, le siège européen de l'entreprise et actuellement sa plus grande représentation en dehors des Etats-Unis».

Le 11 juin 2020, Moderna annonce que l'entreprise débutera les essais de phase clinique 3 au mois de juillet.

Durant les mois de juin et juillet 2020, les négociations sur le contrat définitif (Supply Agreement) sont menées. Celui-ci est signé le 5 août et porte finalement sur l'achat de 4,5 millions de doses29. La réduction du nombre de doses s'explique, selon l'OFSP, 29

Vaccin contre le COVID-19: la Confédération signe un contrat avec l'entreprise Moderna, communiqué de presse du 7 août 2020. Plus précisément, le contrat prévoit la livraison de 1 350 000 doses pour le premier trimestre 2021 et 3 150 000 doses pour le deuxième trimestre 2021.

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par le fait que les experts consultés par l'office estimaient à l'époque que ce vaccin ne serait utilisé que pour les groupes à risque et non pour l'entier de la population. La livraison est prévue pour les 1er et 2ème trimestre de 2021.

Début juillet, le président du conseil d'administration de Lonza s'informe auprès de l'OFSP et du Secrétariat général du DFI (SG-DFI) de l'avancée des négociations avec Moderna. Le 7 août 2020, l'OFSP informe le président du conseil d'administration de Lonza de la conclusion du contrat avec Moderna. Il n'y a ensuite plus de contacts entre la Confédération et Lonza jusqu'en janvier 2021 (cf. plus bas).

En juillet 2020, les experts externes chargés de l'analyse de marché relative à la production de vaccins (cf. page précédente) rendent leurs conclusions au GT «Vaccination» de l'OFSP. Ils lui remettent également un catalogue de critères pour l'évaluation des producteurs candidats au niveau national et international30. Selon le DFI, la liste des candidats potentiels a été établie et actualisée en continu sur cette base.

5.5

Août 2020 à février 2021: poursuite des échanges entre la Confédération et Moderna

Dans une note du 24 septembre 2020, le DFI informe le Conseil fédéral sur la stratégie d'acquisitions de vaccins et l'état d'avancement des achats. Le département indique qu'il est prévu de poursuivre les négociations en parallèle pour 3 méthodes de vaccination distinctes (vaccins à ARNm, vaccins à vecteur, vaccins à protéines), en concluant si possible des contrats avec au moins deux partenaires pour chaque méthode31.

L'option du soutien à la production à un vaccin suisse ne figure alors plus explicitement dans les orientations stratégiques évoquées par le DFI. Il ressort des explications fournies par le département à la CdG-N qu'aucun producteur de vaccin suisse ne s'est imposé à cette période sur la base des critères de sélection établis par l'OFSP (cf. chap.

5.4). Le DFI a indiqué à la commission que le soutien à des projets et groupes de recherche (suisses) avait certes été envisagé au début de la pandémie, mais que les discussions à ce sujet avaient été suspendues lorsqu'il s'était avéré que les délais ambitieux de ces projets ne pourraient pas être concrétisés. Selon le DFI, comme il a été clair assez tôt que les premiers vaccins à l'échelon mondial seraient disponibles plus rapidement que prévu, il a été décidé d'accroître les efforts concernant l'acquisition sur le marché international. Le département a toutefois souligné que la Confédération avait passé en août 2020 un contrat de réservation avec une entreprise suisse, Molecular Partners, portant sur un médicament contre le Covid-1932.

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Selon le DFI, les critères considérés étaient les suivants: efficacité, sécurité, risques liés au développement et à la production, disponibilité, applicabilité (en lien avec la stratégie prévue), compétences du fabricant, coûts.

Au final, en plus de Moderna, la Confédération a passé des contrats avec cinq fabricants de vaccins: AstraZeneca (vaccin à vecteur), Pfizer/BioNTech (vaccin à ARNm), Curevac (vaccin à ARNm), Novavax (vaccin à protéines) et Janssen (vaccin à vecteur). Source: OFSP, Coronavirus: vaccin, www.bag.admin.ch/bag/fr > Maladies > Maladies infectieuses: flambées, épidémies, pandémies > Flambées et épidémies actuelles (consulté le 7 octobre 2021).

La Confédération signe un contrat pour un médicament contre le COVID-19, communiqué de presse de l'OFSP du 11 août 2020.

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Le 11 novembre 2020, le Conseil fédéral procède à un nouveau point de situation. Il décide d'augmenter le crédit d'acquisition pour les vaccins et fixe les principes relatifs au prix de vente des vaccins et à leur prise en charge. Les orientations stratégiques pour l'acquisition demeurent inchangées.

La production de vaccins sur le site de Viège débute en novembre 2020. Le 13 novembre, Moderna soumet la demande d'autorisation de mise sur le marché de son vaccin pour la Suisse à Swissmedic. Le 30 novembre, l'entreprise annonce que l'analyse de l'efficacité primaire de l'essai de phase clinique 3 pour son vaccin a montré une efficacité de 94,1%. Le 4 décembre, un amendement est apporté au contrat de la Confédération avec Moderna, portant sur l'achat de 3 millions de doses supplémentaires33.

Le 11 janvier 2021, le chef du DFI et divers représentants du département et de l'OFSP ainsi qu'une délégation du gouvernement valaisan procèdent à une visite sur le site de production de Lonza à Viège. Dans ce cadre, des entretiens ont lieu avec les dirigeants de Lonza et de Moderna. La question d'investissements de la Suisse dans la production de Lonza n'est pas évoquée.

Le 12 janvier 2021, le vaccin à ARNm de Moderna obtient une autorisation à durée limitée de Swissmedic34. Il s'agit du deuxième vaccin autorisé en Suisse, quelques semaines après le vaccin à ARNm produit par les entreprises Pfizer et BioNTech. Le même jour, les premières doses de vaccin de Moderna sont livrées à la Pharmacie de l'armée. Le 2 février, un nouvel amendement est apporté au contrat avec Moderna, portant sur l'achat de 6 millions de doses supplémentaires35.

5.6

Mars et avril 2021: poursuite des échanges entre la Confédération, Lonza et Moderna

En mars 2021, suite à la publication des articles de presse relatifs aux négociations passées entre la Confédération et Lonza, des clarifications internes sont menées au sein du DFI et de l'OFSP, afin de reconstituer les faits pertinents issus du printemps 2020. L'ancien directeur de l'office et la cheffe du GT «Vaccination» prennent notamment position vis-à-vis du département. Plusieurs échanges ont également lieu avec les responsables de Lonza et de Moderna à ce propos. Le 11 mars 2021, dans une lettre ouverte, six parlementaires fédéraux demandent au Conseil fédéral de vérifier si la Confédération pourrait ouvrir une ligne de production qui lui soit réservée36.

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36

Plus précisément, le contrat prévoyait la livraison de 1'900'000 doses supplémentaires pour le deuxième trimestre 2021 (portant le total à 5'050'000 doses pour ce trimestre) et 1 100 000 doses pour le troisième trimestre 2021.

Deuxième vaccin contre le Covid-19 autorisé en Suisse, communiqué de presse de l'OFSP du 12 janvier 2021 Plus précisément, le contrat prévoyait la livraison de 2 millions de doses supplémentaires pour le troisième trimestre 2021 et 4 millions supplémentaires pour le quatrième trimestre 2021.

Lettre ouverte des conseillères nationales et conseillers nationaux Lars Guggisberg, Léonore Porchet, Philipp Bregy, Marcel Dobler, Martin Bäumle et Franz Ruppen du 11 mars 2021 au Conseil fédéral.

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Le DFI informe le Conseil fédéral le 12 mars 2021 concernant les faits passés. Il fait également part de sa position publique (cf. chap. 6.1) à plusieurs reprises, notamment par le biais d'une prise de position écrite le 27 mars 2021 et d'interventions du chef du département lors des conférences de presse du Conseil fédéral des 12 et 31 mars 2021. Différents documents sont également publiés sur le site Internet du DFI.

Début avril 2021, suite aux interventions politiques invitant la Confédération à réexaminer l'option d'ouvrir une ligne de production réservée à la Suisse sur le site de Viège, divers contacts ont lieu entre l'OFSP, Lonza et Moderna. Les clarifications menées par les autorités fédérales montrent toutefois qu'une telle option n'obtiendrait pas l'aval de Moderna37. Courant avril, la Confédération échange également à plusieurs reprises avec Moderna concernant le respect des délais de livraison des vaccins.

5.7

A partir d'avril 2021: Projet «Leute für Lonza»

Dès la mi-mars 2021, le DFI signale à Lonza que la Confédération est prête à apporter un soutien à l'entreprise pour la production de vaccins si nécessaire. Le 16 avril 2021, le chef du DFI et le président du conseil d'administration de Lonza abordent lors d'un entretien la situation de la production sur le site de Viège. Le président du conseil d'administration informe que Lonza est confrontée à des problèmes de recrutement pour ses chaînes de production, qui ont une influence sur le délai de livraison des vaccins. Il laisse entendre qu'un soutien de la Confédération afin de trouver de la main-d'oeuvre supplémentaire serait le bienvenu. Le jour même, le SG-DFI élabore de premières pistes en vue du projet «Leute für Lonza» (trad.: des gens pour Lonza), visant à mettre à disposition de l'entreprise des spécialistes issus de l'administration fédérale. Ce projet est mis en oeuvre au cours des semaines suivantes, en collaboration avec différentes unités fédérales38. Des échanges ont également lieu à ce sujet entre la Confédération et les autorités cantonales valaisannes.

La CdG-N s'est informée plus en détail sur les travaux du DFI concernant «Leute für Lonza» et les modalités de ce partenariat. En mai et août 2021, elle a tiré avec le DFI un premier bilan de ce projet. Le département lui a également présenté les arguments ayant justifié une telle opération (cf. chap. 6.2).

Selon les informations transmises à la commission en août 2021, la Confédération est parvenue à trouver 25 collaborateurs ayant les connaissances professionnelles requises dans l'administration fédérale et les entreprises liées à la Confédération, ainsi que 100 collaborateurs dans le domaine des Ecoles polytechniques fédérales (EPF).

Lonza a ensuite comparé les qualifications de ces personnes avec les profils de postes 37

38

Dans un entretien du 14 avril 2021 avec la directrice de l'OFSP, Moderna indique notament que les machines appartiennent à Moderna, respectivement à Lonza, et qu'un investissement dans les lignes de production ne changerait rien à la situation en matière de livraison de vaccins. Le 16 avril 2021, dans un entretien au journal «Tages-Anzeiger», le vice-président de Moderna indique que l'entreprise «vend des vaccins et non des lignes de production».

En particulier: Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV), Secrétariat d'Etat à la formation, à la recherche et à l'innovation (SEFRI), Ecoles polytechniques fédérales (EPF). DDPS.

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recherchés. Sur cette base, 11 collaborateurs de l'administration et 15 collaborateurs des EPF ont été sélectionnés pour être employés à Viège depuis juin 2021 et jusqu'à la fin de l'année39. Début octobre 2021, le DFI a indiqué que le nombre total de personnes engagées était désormais de 29 et que l'entrée en fonction de 10 autres collaborateurs des EPF était planifiée mais n'avait pas encore eu lieu. Le DFI a indiqué que les services fédéraux concernés avaient redéfini les priorités pour certaines tâches et que certains projets avaient été ralentis ou interrompus pour un certain temps, dans le respect des principes de la gestion de la continuité des activités (business continuity management). Le département a précisé que les spécialistes concernés demeuraient engagés auprès de la Confédération et que Lonza prenait en charge l'intégralité des coûts relatifs à leur travail à Viège (coûts salariaux complets, charges sociales comprises, coûts relatifs aux repas, à la mobilité et au logement). Il a par ailleurs indiqué qu'un engagement au-delà de l'année 2021 n'était pas envisagé.

Tant Lonza que Moderna ont explicitement salué le soutien apporté par les autorités fédérales au recrutement. Le 29 avril 2021, les deux entreprises annoncent leur volonté de renforcer les investissements dans la production de vaccins, notamment en créant trois lignes de productions supplémentaires sur le site de Viège d'ici début 2022. Selon le DFI, parmi les raisons évoquées par Moderna pour ce choix figure le fait que la Suisse présente un faible risque de restrictions à l'exportation, mais également le soutien apporté par la Confédération par le biais du projet «Leute für Lonza».

Début mai 2021, la Confédération signe avec Moderna un nouveau contrat portant sur 7 millions de doses de vaccin pour le premier trimestre 2022 (avec option pour 7 millions de doses supplémentaires pour la période entre la deuxième moitié de 2022 et le premier trimestre 2023).

5.8

A partir d'avril 2021: Soutien à la production de produits thérapeutiques liés au Covid-19

Fin mars 2021, le Parlement complète la loi Covid-19 en y ajoutant la possibilité pour le Conseil fédéral d'«acquérir lui-même ou faire produire des biens médicaux importants» (cf. chap. 4). Sur cette base, en avril 2021, le Conseil fédéral charge le DFI, le DEFR et le DFF d'examiner les possibilités d'investissement de la Confédération dans la production de produits thérapeutiques liés au Covid-19, vaccins inclus, ainsi que l'encouragement de la recherche, la production et l'achat de ces produits.

Le 19 mai 2021, le Conseil fédéral approuve un programme d'encouragement pour la production de médicaments contre le Covid-19 à hauteur de 50 millions de francs40.

Le 30 juin 2021, le Conseil fédéral désigne l'OFSP comme responsable de l'encadrement de ce programme, avec le soutien de l'Agence suisse pour l'encouragement de l'innovation (Innosuisse). L'appel d'offres portant sur les demandes de soutien financier est publié entre le 19 juillet et le 16 août 2021. Le DFI a présenté à la CdG-N les 39 40

Ceux-ci sont issus d'Agroscope, de l'Institut fédéral de métrologie (METAS), de l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI) et de l'OSAV.

Le Conseil fédéral décide d'un programme d'encouragement pour les vaccins et les médicaments contre le COVID-19, communiqué de presse du Conseil fédéral du 19 mai 2021.

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critères déterminants pour l'attribution des fonds d'encouragement. Il est prévu que l'OFSP fasse part de ses décisions à la fin octobre 2021.

Le 19 mai 2021, le Conseil fédéral décide ­ en parallèle des démarches relatives aux contrats de réservation de vaccins après 2022 ­ d'élaborer une stratégie visant à améliorer les conditions-cadres de la Suisse, en collaboration avec les hautes écoles et l'industrie, dans le but que le pays soit préparé en cas de nouvelle pandémie et soit en mesure de mettre rapidement à disposition des capacités dans la recherche, le développement et la production de nouveaux vaccins. Les décisions concernant la suite de la procédure sont attendues d'ici la fin de l'année 2021.

6

Appréciation des acteurs concernés

Sur la base des faits présentés précédemment, et afin de répondre aux questions d'enquête formulées au chapitre 2, la commission a approfondi divers aspects pour lesquels elle a recueilli l'appréciation des acteurs concernés, c'est-à-dire le DFI, l'OFSP, Lonza et Moderna. Les réponses qui lui ont été apportées sous forme orale et écrite sont regroupées dans le chapitre ci-après.

6.1

Echanges du printemps 2020 entre les autorités fédérales et les entreprises Lonza et Moderna

Quelles réflexions ont mené Lonza à soumettre une proposition d'investissement à la Confédération au printemps 2020?

En avril 2020, Lonza et Moderna menaient des négociations concernant leur partenariat futur et le financement des lignes de production de vaccins. Les deux entreprises ont souligné que de nombreuses incertitudes prévalaient à cette période (cf. chap. 5.2).

Le président du conseil d'administration de Lonza a indiqué que Lonza, forte de la conviction qu'il n'y aurait pas suffisamment de volume de vaccins au niveau mondial lorsque les premières doses seraient mises sur le marché, avait alors eu l'idée de demander à la Confédération si celle-ci serait «intéressée à considérer réserver des capacités du vaccin que Lonza produira avec Moderna». Selon lui, il s'agissait de «donner une chance à la Suisse de participer dès le départ à la lutte contre la pandémie».

Le président du conseil d'administration a précisé à la commission que Lonza, en sa qualité d'entreprise sise en Suisse, avait émis cette proposition sans «considérations économiques ni considérations de profit», considérant qu'il s'agissait de «donner une chance à la Suisse [...] pour avoir le plus vite possible accès au vaccin»..

Tant Lonza que Moderna ont confirmé que le dialogue avec les autorités fédérales, lancé par la lettre du 14 avril 2020, avait été initié avec l'accord de Moderna. Moderna a précisé que, dans le cadre des réflexions relatives au financement de l'infrastructure de production, «la possibilité d'un investissement public de la Suisse dans les installations de production de Lonza a [...] été brièvement envisagée», tout en précisant que cette possibilité n'était qu'une des options discutées et qu'elle n'avait finalement pas été poursuivie (cf. plus bas).

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Quelle était la proposition soumise par Lonza aux autorités fédérales au printemps 2020?

Selon le président du conseil d'administration de Lonza, lors de l'échange du 1er mai 2020, l'entreprise a demandé si «le gouvernement suisse pourrait considérer réserver des capacités dans [les] futures lignes de production [de Lonza]», tout en précisant que l'entreprise n'attendait pas de réponse sur-le-champ.

La CdG-N s'est informée auprès de Lonza de la signification du terme «réserver des capacités». Le président du conseil d'administration a indiqué qu'il avait alors dans l'idée que la Suisse, en investissant dans la production sur le site de Viège, pourrait négocier l'octroi d'un droit d'accès exclusif aux premières doses de vaccins produites sur les lieux, dans une quantité à définir, s'assurant ainsi la sécurité d'un accès au vaccin. Le président du conseil d'administration a néanmoins souligné qu'il ne s'agissait que d'une idée et qu'il n'était pas en mesure de dire quelles auraient été les modalités exactes de cet arrangement, puisque celui-ci aurait nécessité des négociations approfondies entre la Confédération et Moderna et que ces dernières n'avaient pas eu lieu. Il a reconnu qu'une négociation s'était quand même tenue «sous une forme différente», puisque le DFI a, le jour même, entamé des discussions avec Moderna en vue d'un contrat d'acquisition de vaccins.

En mars 2021, divers médias ont laissé entendre que la Confédération aurait eu, à l'époque, la possibilité d'investir dans la construction d'une ligne de production exclusivement destinée à la Suisse. Face à la commission, le DFI a démenti cette information. Le département a indiqué que la question d'un éventuel investissement dans les capacités de production avait certes été évoquée le 1er mai 2020, mais qu'il n'avait jamais été question de créer une ligne de production «réservée à la Suisse et financée par cette dernière». Les informations et témoignages collectés par la commission confirment qu'une telle proposition n'a pas été discutée sous une forme concrète.

De son côté, Moderna a indiqué à la CdG-N que «la possibilité d'un investissement étatique dans les installations de production de Lonza à Viège [avait] été évoquée à court terme. Théoriquement, un tel investissement était donc envisageable. Cependant, ni Moderna ni la Confédération
n'ont poursuivi cette option, de sorte qu'il n'y a même pas eu de discussions concrètes avec les autorités fédérales au sujet d'un soutien financier fédéral pour la production de vaccins en Suisse.» En avril 2021, le viceprésident de Moderna a affirmé dans les médias que l'entreprise n'avait jamais proposé au gouvernement suisse d'acheter des installations41.

Suite à la séance du 1er mai 2020, le DFI est arrivé à la conclusion, pour plusieurs raisons (cf. plus bas), qu'un investissement direct dans la production de Lonza n'était «ni possible, ni nécessaire» et que le meilleur moyen d'assurer un approvisionnement de la Suisse en vaccins était de négocier directement avec Moderna. Le département a par ailleurs souligné que Lonza elle-même avait invité la Confédération à se tourner vers Moderna pour la suite des négociations.

L'option du financement d'une ligne de production propre pour la Suisse a de nouveau été évoquée au printemps 2021 (cf. chap. 5.6). Les clarifications menées à ce moment41

«Eine eigene Impfproduktionsstrasse hätte der Schweiz nicht mehr gebracht», In: Tages Anzeiger, 16 avril 2021.

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là par les autorités fédérales ont montré qu'une telle option n'était pas réalisable. Dans la presse, le vice-président de Moderna a indiqué que l'entreprise «vendait des vaccins et non des lignes de production»42. Face à la commission, il a confirmé que Moderna n'avait «pas besoin en ce moment d'investissements qui seraient alloués par des gouvernements [...] et qu'un investissement de la Confédération dans une chaîne de production suisse [...] ne déboucherait pas sur la production de plus de doses.» Pour quelles raisons le DFI a-t-il estimé, suite à l'entretien du 1er mai 2020, qu'il n'était pas opportun de donner suite à la proposition de Lonza?

Le DFI a indiqué qu'il avait été clair, lors de cet entretien, que Lonza ne détenait pas les droits sur le vaccin produit sur le site de Viège, ceux-ci revenant à Moderna. En conséquence, la compétence de décision concernant la distribution et la vente du vaccin revenait également à Moderna, raison pour laquelle le département a décidé d'entamer des négociations directement avec Moderna.

Face à la commission, tant Lonza que Moderna ont confirmé ces éléments. Lonza a indiqué qu'elle ne produisait que le principe actif, mais pas le vaccin dans son intégralité, que Moderna était seule compétente pour les négociations relatives à la vente du vaccin43 et que toute décision à ce sujet aurait nécessité son accord.

Moderna a confirmé qu'elle était propriétaire du principe actif produit sur les trois lignes de production de Viège et qu'elle avait entièrement financé deux des trois lignes (la troisième ayant été financée par Lonza). Elle a reconnu qu'un investissement étatique dans les lignes de production avait été envisagé à l'époque, mais que cette option n'avait pas été poursuivie. Dans divers échanges avec les autorités fédérales au printemps 2021, Moderna a confirmé que Lonza ne disposait pas de droit sur le vaccin et de pouvoir de décision en matière de distribution et qu'un achat des installations par la Confédération n'entrait pas en ligne de compte.

De l'interprétation du DFI, les discussions avec Lonza début mai 2020 ont également montré qu'un investissement direct dans la société Lonza n'aurait pas permis d'obtenir un accès plus rapide aux doses de vaccin. Cette affirmation a été confirmée par Moderna (cf. plus bas).

Le DFI a également fait valoir
que Lonza n'était responsable que d'une partie de la chaîne de production du vaccin Moderna, le principe actif produit à Viège devant être ensuite enrobé de lipides et conditionné, des étapes confiées à d'autres entreprises sous-traitantes à l'étranger. Face à la commission, le département a souligné que «pour atteindre l'autonomie complète de la production vaccinale, il faudrait que chaque étape soit menée en Suisse, de la recherche et du développement jusqu'au conditionnement, en passant par la fabrication proprement dite». Or, l'option d'une production entièrement sur sol suisse ne s'est pas concrétisée (cf. plus bas).

Pour la cheffe du GT «Vaccination» de l'OFSP, l'entretien du 1er mai 2020 a permis d'ouvrir la porte des négociations avec Moderna, et il a été clair à partir de ce momentlà que l'interlocuteur de la Confédération serait Moderna. Le président du conseil 42 43

«Eine eigene Impfproduktionsstrasse hätte der Schweiz nicht mehr gebracht», In: Tages Anzeiger, 16 avril 2021.

Cette information a été confirmée par Lonza le 20 mai 2020 déjà, dans un entretien avec le journal «Bund».

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d'administration de Lonza a lui-même confirmé qu'il était juste que les négociations concernant la commande de vaccins se passent ensuite exclusivement entre la Confédération et Moderna.

Dans quelle mesure les considérations juridiques ont-elles joué un rôle dans la décision du DFI de ne pas donner suite à la proposition évoquée par Lonza?

Selon le DFI, un soutien direct de la Confédération à la production de Lonza se serait heurté à des obstacles juridiques, dans la mesure où l'art. 51 de la LEp exige que la production ait lieu entièrement sur sol suisse et qu'une livraison prioritaire soit garantie aux autorités (cf. chap. 4). Or, ces deux conditions n'étaient pas remplies en l'occurrence. Face à la commission, le DFI a néanmoins souligné que le refus d'investir dans l'entreprise Lonza ne découlait pas en premier lieu de considérations juridiques, mais du fait qu'un tel investissement n'avait pas été jugé pertinent, compte tenu que Lonza ne détenait aucun droit sur le vaccin. Le secrétaire général a laissé entendre que, si un investissement avait été jugé opportun, il aurait été possible de créer la base juridique correspondante relativement rapidement.

Suite à la modification de la loi Covid-19 adoptée par le Parlement en mars 2021 (cf. chap. 4), les investissements de la Confédération dans l'acquisition ou la production de biens médicaux importants sont désormais autorisés. Sur cette base, le Conseil fédéral a lancé en avril 2021 un programme de soutien à la production de produits thérapeutiques liés au Covid-19 (cf. chap. 5.8). Par ailleurs, un soutien indirect à Lonza a été apporté par le biais du projet «Leute für Lonza», lorsque l'entreprise s'est retrouvée face à des difficultés de recrutement (cf. chap. 5.7 et 6.2).

Quelle stratégie a été poursuivie par la Confédération, suite à l'entretien du 1er mai 2020 avec Lonza?

Pour les raisons indiquées précédemment, le DFI a décidé d'entamer des négociations contractuelles relatives à l'achat d'un vaccin directement avec Moderna. Le 1er mai 2020, le responsable de projet de Lonza a transmis au négociateur de l'OFSP les coordonnées de la personne de contact chez Moderna.

De son côté, Moderna indique avoir également renoncé à approfondir l'option d'un investissement direct de la Confédération dans la production de substances actives et avoir
«trouvé d'autres canaux de financement», y compris le modèle de protocole d'accord incluant le paiement d'un acompte de réservation. Le 4 mai 2020, soit trois jours après l'entretien avec Lonza, Moderna a transmis aux autorités fédérales un premier projet de MoU. Le 20 mai 2020, le Conseil fédéral a été informé des discussions en cours avec Moderna. Il a alors formellement donné mandat au DFI de mener des négociations contractuelles concernant l'achat de vaccins et a approuvé le crédit correspondant. Le MoU avec Moderna a été signé début juin 2020; la Suisse était alors le troisième pays au monde à conclure un tel accord (cf. chap. 5.4)44.

Le DFI estime avoir ainsi assuré un accès précoce aux premières doses du vaccin pour la Suisse. Moderna a confirmé que, «grâce à [la] confiance [des autorités suisses] dans le produit de Moderna et à l'acompte de réservation versé par la Confédération [lors 44

En comparaison, l'Union européenne n'a conclu un accord d'achat avec Moderna qu'en novembre 2020.

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de la signature du MoU], Moderna a pu mettre en place la chaîne de production et d'approvisionnement». Selon les informations de Moderna, suite aux discussions avec les autorités suisses, l'entreprise a «réinvesti une part importante du montant du contrat en Suisse, en particulier à travers le financement de cinq des six lignes de production finalement construites sur le site de Lonza à Viège et à travers le développement de Moderna Switzerland, le siège européen de l'entreprise et actuellement sa plus grande représentation en dehors des Etats-Unis».

Le DFI a indiqué qu'aucune réponse formelle n'avait été donnée à Lonza par rapport à la proposition d'investissement formulée le 1er mai 2020, dans la mesure où Lonza elle-même avait invité la Confédération à poursuivre les discussions directement avec Moderna. Le président du conseil d'administration de Lonza, de son côté, a indiqué qu'il en avait conclu que la Confédération ne souhaitait pas donner suite à cette proposition.

Quelles auraient été les conséquences d'un investissement direct de la Confédération dans l'entreprise Lonza au printemps 2020?

De l'avis de l'ensemble des acteurs, la réponse à cette question est purement hypothétique, dans la mesure où les modalités d'un tel investissement auraient nécessité des négociations approfondies entre la Confédération, Lonza et Moderna, et que celles-ci n'ont pas eu lieu, pour les raisons mentionnées plus haut.

Face à la commission, Moderna a indiqué avoir «des raisons de croire qu'un tel investissement n'aurait pas eu pour conséquence que la Suisse ait un accès plus précoce ou un accès à davantage de doses de vaccin Moderna». L'entreprise souligne que «le gouvernement suisse, comme d'autres gouvernements, s'est vu offrir la possibilité de participer au modèle de protocole d'accord» et qu'en précommandant le vaccin à travers le MoU, «la Suisse a entièrement couvert son achat de vaccin en août 2020 et a reçu notre vaccin le plus tôt possible, c'est-à-dire dès le jour d'obtention de l'autorisation de mise sur le marché de Swissmedic [...].» En ce sens, le vice-président de Moderna arrive à la conclusion que la Suisse n'a manqué aucune occasion à l'époque45. Dans le même sens, il a indiqué à la commission «qu'un investissement de la Confédération dans une chaîne de production suisse [...] ne déboucherait
pas sur la production de plus de doses.» Le DFI arrive également à la conclusion qu'un tel investissement n'aurait rien changé dans les faits. Selon le secrétaire général du département, celui-ci aurait peut-être permis d'assurer qu'une ligne de production soit construite à Viège, mais sans la garantie que celle-ci produirait exclusivement pour la Suisse. Le département souligne toutefois que cette piste n'a pas été approfondie à l'époque, puisqu'aucune proposition concrète en ce sens ne lui a été soumise. Le secrétaire général a précisé que, suite aux révélations médiatiques du printemps 2021, le DFI a mené des clarifications approfondies afin de s'assurer que la Confédération n'avait manqué aucune occasion importante à l'époque et est arrivé à la conclusion que tel n'était pas le cas.

45

«Eine eigene Impfproduktionsstrasse hätte der Schweiz nicht mehr gebracht», In: Tages Anzeiger, 16 avril 2021.

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Qu'en est-il de l'option d'un vaccin entièrement produit sur sol suisse?

Selon le DFI, une des conditions pour qu'un investissement direct de la Confédération dans les lignes de production de Lonza fasse sens, respectivement pour atteindre l'autonomie complète de la production vaccinale, était que chaque étape de la production ­ et non seulement celle du principe actif ­ soit menée en Suisse. Une telle option figurait dans la première proposition de stratégie relative à l'approvisionnement en vaccins, soumise par le DFI au Conseil fédéral le 20 mai 2020 (cf. chap. 5.4). Il s'avère toutefois qu'au cours des mois suivants, aucun producteur de vaccin suisse ne s'est imposé sur la base des critères de sélection établis par l'OFSP. Le DFI a par ailleurs indiqué que les discussions portant sur un soutien fédéral à des projets et groupes de recherche suisses avaient été suspendues lorsqu'il s'était avéré que les délais ambitieux de ces projets ne pourraient pas être concrétisés. Dans ce contexte, les autorités fédérales ont décidé de miser avant tout sur la réservation et l'acquisition de vaccins sur le marché international ainsi que sur la participation à des initiatives multinationales concernant la recherche, l'acquisition et la distribution équitable de vaccins.

Face à la commission, le vice-président de Moderna a indiqué que l'entreprise s'était elle aussi demandé, à l'époque, si le vaccin de Moderna devait être entièrement produit en Suisse, c'est-à-dire que les opérations dites de «remplissage et finition» y soient également effectuées. Toutefois, l'entreprise a indiqué que cette option n'avait finalement pas été retenue, dans la mesure où l'on n'avait pas trouvé, en Suisse, «la capacité de production nécessaire pour effectuer le remplissage des flacons à la vitesse nécessaire et en quantité suffisante».

Les autorités fédérales ont-elles fait preuve d'une ouverture suffisante vis-à-vis de la nouvelle technologie vaccinale à ARNm?

Au printemps 2021, diverses voix ont laissé entendre que le DFI et l'OFSP auraient, à l'époque, fait preuve d'une trop grande méfiance vis-à-vis de la technologie de vaccins à ARNm46.

L'ensemble des acteurs interrogés par la CdG-N ont souligné le contexte de grande incertitude qui régnait au printemps 2020, considérant notamment que la technologie à ARNm n'avait jamais
fait preuve d'une application commerciale à grande échelle et que la phase clinique 1 du vaccin de Moderna n'était pas encore achevée.

Face à la commission, le DFI a expliqué que le Conseil fédéral, dans ce contexte, avait opté pour une stratégie d'achat diversifiée, en essayant de conclure le plus tôt possible des contrats avec les fabricants de différents types de vaccins (vaccins à ARNm, vaccins à vecteur, vaccins à protéines). L'OFSP assure avoir procédé à un examen étroit des différentes technologies et que le sujet a été régulièrement thématisé au sein du GT «Vaccination» de l'office, avec le soutien des experts en vaccination. Les explications du DFI montrent notamment que l'OFSP a procédé, avec le soutien d'experts externes, à une analyse du marché et a établi une liste de critères pour la sélection des candidats à la production de vaccins au niveau national et international.

Pour le DFI, «le MoU signé avec Moderna témoigne du fait que la Confédération a misé très tôt sur les technologies à ARNm, encore largement méconnues à l'époque.» 46

Alain Berset ­ auf einem Auge blind?, In: NZZ am Sonntag, 4 avril 2021.

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Les documents à disposition à la CdG-N montrent que l'OFSP était conscient, dès avril 2020, du potentiel prometteur mais également des risques de cette technologie.

Le secrétaire général du département a reconnu que même durant les négociations avec Moderna, il n'était encore absolument pas clair de savoir si cette technologie allait réellement s'imposer. De son point de vue, la Confédération a pris un certain risque en concluant cet accord, et celui-ci s'est révélé payant. L'OFSP a également fait valoir que, rapportés au nombre d'habitants, les investissements consentis par la Suisse dans l'acquisition de vaccins étaient comparables à ceux des Etats-Unis47. Ces éléments contredisent, selon le DFI, les critiques émises dans la presse concernant de prétendues réticences de la Confédération face à cette technologie.

Face à la commission, Moderna a estimé que «dans une situation difficile et incertaine, le gouvernement suisse a sélectionné le vaccin Moderna parmi de nombreux candidats et a assuré sa livraison prioritaire» et que «ce courage a porté ses fruits».

Par ailleurs, tant les représentants de la Confédération que Moderna ont souligné que l'indépendance de Swissmedic et de la procédure d'autorisation du vaccin à ARNm de Moderna n'avait jamais été remise en question par les deux parties.

Les autorités fédérales disposaient-elles des compétences nécessaires pour mener les négociations avec Moderna?

La CdG-N s'est également informée auprès du DFI et de l'OFSP sur la manière dont le département et l'office s'étaient assurés de disposer des compétences nécessaires à l'élaboration de la stratégie d'acquisition de vaccins et aux négociations avec Moderna et les autres fabricants.

Le DFI a indiqué que la Confédération pouvait compter, lors des négociations avec les entreprises pharmaceutiques, sur de nombreuses compétences spécialisées à l'interne de l'administration, qui avaient notamment permis à la Suisse de faire face à moins de pénuries de médicaments durant la crise que d'autres pays. Dans le domaine spécifique de la vaccination, l'office s'est adjoint les services d'un négociateur disposant d'une grande expérience dans le domaine de l'industrie pharmaceutique, ainsi que de différents experts réunis au sein du GT «Vaccination». L'OFSP a en outre bénéficié du soutien de l'entreprise KPMG
concernant les négociations relatives aux contrats. L'office a également fait appel à des experts externes pour procéder à une analyse du marché et pour établir la liste de critères pour la sélection des candidats à la production de vaccins au niveau national et international.

De manière générale, comment considérer la stratégie poursuivie par la Confédération concernant l'approvisionnement en vaccins de Moderna?

Face à la CdG-N, Moderna a indiqué que, de son point de vue, «la coopération avec les représentants de la Confédération suisse était clairvoyante, rigoureuse et caractérisée par une grande volonté de résoudre rapidement les problèmes». Pour l'entreprise, «à travers la signature du MoU, la Suisse a [...] pu commander en priorité les quantités complètes de vaccin Moderna dont elle avait besoin.» Cette «action clairvoyante [...]

47

A travers leur programme «BARDA», les Etats-Unis ont investi environ 945 millions de dollars dans le développement du vaccin de Moderna.

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dans une situation difficile et incertaine a permis d'assurer très tôt la livraison prioritaire du vaccin de Moderna». L'entreprise estime que le courage des autorités fédérales a porté ses fruits.

Le président du conseil d'administration de Lonza, quant à lui, a indiqué à la commission qu'il respectait les choix stratégiques réalisés par la Confédération. Il a souligné que l'idée d'un investissement direct par la Confédération dans la production de Lonza, qu'il avait évoquée à l'époque, n'était qu'une option parmi d'autres et qu'il ne prétendait pas que celle-ci était la meilleure.

6.2

Echanges du printemps 2021 entre les autorités fédérales et les entreprises Lonza et Moderna, projet «Leute für Lonza»

Quel est le bilan intermédiaire du projet «Leute für Lonza» lancé par le DFI au printemps 2021?

Le DFI a souligné à la CdG-N qu'il avait cherché à plusieurs reprises le contact avec Lonza dès le mois de mars 2021 et qu'il avait signifié à Lonza que la Confédération était prête à apporter son soutien à l'entreprise si nécessaire. Le 16 avril 2021, lorsque le président du conseil d'administration de Lonza a indiqué que son entreprise était confrontée à des problèmes de recrutement, le département a immédiatement lancé les travaux relatifs au projet «Leute für Lonza». Selon le secrétaire général du DFI, tous les leviers disponibles ont été actionnés afin de recruter, au sein de l'administration, des spécialistes susceptibles de pouvoir soutenir Lonza. Tant Lonza que le DFI ont souligné l'énorme défi que représentait le projet de recruter plusieurs centaines de nouveaux collaborateurs afin de permettre, en quelques mois, la mise en place de nouvelles lignes de production à Viège.

Le programme «Leute für Lonza» a permis de mettre à disposition de Lonza 29 collaboratrices et collaborateurs hautement qualifiés de la Confédération et des EPF à partir de juin 2021 (cf. chap. 5.7). Le DFI considère que l'objectif du projet a été atteint: pour le département, «la proactivité de la Confédération a contribué à ce que Lonza puisse augmenter ses effectifs, clarifier les procédures et améliorer ainsi qu'accélérer le recrutement de personnel qualifié. [...] En outre, le site de production s'est vu globalement renforcé.» Pour le secrétaire général du DFI, ce projet a apporté deux avantages principaux à la Suisse: premièrement, permettre à Lonza d'honorer ses engagements vis-à-vis de Moderna et assurer la mise en oeuvre de la stratégie de vaccination dans les délais prévus, et deuxièmement montrer à Moderna l'importance, pour le gouvernement suisse, d'accueillir une telle production sur le site de Viège.

Le secrétaire général du DFI a reconnu qu'il était inhabituel que l'Etat soutienne une entreprise privée dans le recrutement de personnel et mette à disposition de cette dernière ses propres collaboratrices et collaborateurs. Il a également admis qu'on n'avait

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pas spécifiquement examiné sur quelle base légale une telle démarche pouvait s'appuyer48, et qu'on avait privilégié une approche pragmatique, dans un contexte considéré comme critique pour la stratégie vaccinale. Pour le DFI, cette approche peu orthodoxe se justifie par la nécessité stratégique de s'assurer que l'approvisionnement en vaccins issus du site de Viège fonctionne. Le département a précisé qu'il partait du principe que la mise à disposition de personnel constituait une action à court terme et ne serait pas renouvelée au-delà de la fin de l'année 2021.

Tant Lonza que Moderna ont adressé leurs remerciements à la Confédération pour son engagement. Selon le DFI, celui-ci a été déterminant dans la décision des deux entreprises, fin avril 2021, de renforcer les investissements dans la production de vaccins et de créer trois lignes de production supplémentaires sur le site de Viège. Face à la commission, Moderna a indiqué être «heureux que la Confédération ait lancé ce précieux projet et ait ainsi contribué de manière significative à soutenir les capacités de production et d'approvisionnement en vaccins chez Lonza.» Perspectives futures Face à la commission, Moderna a indiqué que la Suisse était un partenaire important, que l'entreprise y voyait un avenir prometteur et qu'elle restait «engagée dans un dialogue permanent avec le gouvernement suisse pour garantir que [ses] travaux progressent aussi rapidement et sûrement que possible». La coopération avec Confédération est jugée «productive et professionnelle». Le vice-directeur a indiqué que l'entreprise était en train de mettre sur pied Moderna Suisse, qui constitue le siège européen de l'entreprise et actuellement sa plus grande représentation en dehors des États-Unis.

La CdG-N s'est également informée auprès du DFI de l'avancée des travaux du Conseil fédéral concernant le soutien à la production de produits thérapeutiques liés au Covid-19, et notamment de vaccins (cf. chap. 5.8). Dans le domaine de la production de médicaments, des premières décisions de l'OFSP sont attendues pour octobre 2021.

En ce qui concerne les vaccins, les décisions concernant la suite de la procédure devraient être rendues publiques d'ici la fin 2021.

7

Appréciation de la CdG-N

Ci-après, la CdG-N présente son appréciation des faits portés à sa connaissance, du point de vue de la haute surveillance parlementaire, répond aux trois questions formulées au chap. 2 et fait part de ses considérations et recommandations à l'intention du Conseil fédéral.

48

Dans le cadre de la consultation de l'administration relative au présent rapport, le DFI a fait valoir que «la question du cadre légal nécessaire pour la mise à disposition ponctuelle de collaborateurs de la Confédération a été examinée avec l'Office fédéral du personnel et qu'il a été possible de garantir la conformité de cette location de services» avec la loi du 24 mars 2000 sur le personnel de la Confédération (LPers, RS 172.220.1). Le département a en particulier renvoyé à l'art. 25, al. 2, let. b et c de la LPers. Sur cette base, il est arrivé à la conclusion que «cette location de services, [...] dans son application pour les collaborateurs de la Confédération, pouvait s'appuyer sur la LPers».

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7.1

Légalité

Les décisions et mesures des autorités fédérales concernant la commande de vaccins de Moderna étaient-elles conformes à l'ordre juridique?

La CdG-N arrive à la conclusion que les décisions prises par les autorités fédérales dans le cadre de leurs négociations avec Lonza et Moderna étaient conformes à l'ordre juridique en vigueur à l'époque.

Selon l'appréciation de la commission, les articles 44 et 51 LEp ainsi que l'OEp conféraient à la Confédération la compétence nécessaire pour entamer les négociations du printemps 2020 avec Lonza et Moderna concernant l'acquisition de vaccins. Par ailleurs, début avril 2020, le Conseil fédéral a complété l'ordonnance 2 Covid-19 avec une série de dispositions relatives aux biens médicaux importants, incluant notamment la possibilité pour la Confédération de préfinancer des acquisitions.

Formellement, le Conseil fédéral a donné mandat à l'OFSP de procéder à des acquisitions de vaccins et a validé le crédit correspondant le 20 mai 2020, soit avant la signature du MoU avec Moderna (9 juin 2020). La proposition soumise par le DFI au Conseil fédéral présentait un chapitre spécifique relatif aux bases légales en matière d'acquisitions de biens médicaux importants. Le département a également présenté au Conseil fédéral une analyse juridique relative au droit des marchés publics, arrivant à la conclusion qu'une acquisition de gré à gré était autorisée dans ce cas49.

La commission relève que, en mai 2020, le vaccin contre le Covid-19 ne figurait explicitement ni dans la liste des produits médicaux importants présentée à l'art. 60 OEp, ni dans l'ordonnance 2 Covid-19. Le 20 mai 2020, le Conseil fédéral a chargé le DFI de compléter en conséquence l'art. 60 OEp. L'ajout correspondant a finalement été effectué dans l'ordonnance 3 Covid-19, lors de son entrée en vigueur le 19 juin 2020 (soit après la signature du MoU avec Moderna). Le DFI considère néanmoins que la liste figurant à l'art. 60 OEp n'est pas exhaustive, et que les vaccins dans leur ensemble sont considérés comme des biens médicaux importants au sens de l'art. 44 LEp50. En ce sens, le fait que le vaccin contre le Covid-19 n'ait pas été mentionné explicitement dans l'ordonnance n'empêchait pas le Conseil fédéral de procéder à son acquisition. La commission partage l'appréciation du département et considère que
les bases légales étaient suffisantes pour permettre l'acquisition de vaccins contre le Covid-19. Elle estime néanmoins qu'il aurait été préférable, au vu de l'importance stratégique du vaccin dans la lutte contre la pandémie et du montant des acquisitions concernées, de compléter la base légale avec une mention explicite du vaccin avant la signature du MoU avec Moderna.

La commission a également examiné si les bases légales en vigueur à l'époque auraient permis un investissement direct dans la production de vaccins, tel que celui 49

50

Selon l'analyse du DFI, une telle acquisition était autorisée en vertu de l'art. 36, al. 1, en relation avec l'art. 13, al. 1, let. c et d de l'ordonnance du 11 décembre 1995 sur les marchés publics (OMP; RS 172.056.11), et en vertu de l'art. 3, al. 2 de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics (LMP, RS 172.056.1), en relation avec l'art. 13, al. 2, let. a OMP. Remarque de la commission: la loi et l'ordonnance ont été révisées depuis lors; leur nouvelle version est entrée en vigueur le 1er janvier 2021.

Le DFI se base pour son argumentation sur le message du Conseil fédéral du 3 décembre 2010 sur la révision de la LEp (cf. chap. 4).

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proposé à la Confédération par Lonza en avril 2020. Comme le DFI, elle arrive à la conclusion qu'un tel investissement se serait heurté à des obstacles juridiques, dans la mesure où l'art. 51 LEp n'autorise un tel investissement que si la production a lieu entièrement sur sol suisse et qu'une livraison prioritaire est garantie aux autorités, ce qui n'était pas le cas ici. En ce sens, la solution finalement choisie par le DFI (contrat d'acquisition avec Moderna) constituait une solution conforme aux bases légales permettant d'atteindre un but similaire, à savoir un approvisionnement en vaccins rapide, assorti d'un investissement dans la production en Suisse. La CdG-N note toutefois que le refus du DFI d'investir dans l'entreprise Lonza ne découlait pas en premier lieu de considérations juridiques, mais du fait que le département n'a pas jugé cet investissement pertinent (cf. plus chap. 7.2). Elle part du principe que, si le département avait jugé un investissement nécessaire, il aurait proposé au Conseil fédéral une modification correspondante des bases légales.

En 2021, le Parlement a décidé de compléter la loi Covid-19 en y ajoutant la possibilité pour le Conseil fédéral d'«acquérir lui-même ou faire produire des biens médicaux importants». La commission salue les mesures lancées par le Conseil fédéral sur cette base et se tiendra informée de leur avancée (cf. chap. 7.2).

Enfin, la CdG-N relève que, durant la crise du Covid-19, la législation fédérale contenait deux listes parallèles de biens médicaux importants. La première, consignée à l'art. 60 OEp, n'a pas été modifiée durant la pandémie; l'utilisation des biens issus de cette liste est régie par les art. 61-64 OEp. La deuxième liste, quant à elle, figure à l'annexe 4 de l'ordonnance 3 Covid-1951 et a été actualisée à de nombreuses reprises durant la pandémie. Les vaccins contre le Covid-19 y ont été ajoutés en juin 2020.

L'utilisation des biens issus de cette liste est réglée par les art. 11 et suivants de l'ordonnance 3 Covid-19, en lien avec l'art. 3 de la loi Covid-19.

La CdG-N s'interroge sur la pertinence de disposer, en période de crise, de deux listes parallèles de biens médicaux importants, figurant dans deux bases légales distinctes et soumis à des principes d'utilisation différents. Elle constate que cette situation a pu mener
à certaines incompréhensions au sein de l'administration fédérale: ainsi, alors que le Conseil fédéral avait chargé le DFI, le 20 mai 2020, d'ajouter les vaccins contre le Covid-19 dans la liste figurant à l'art. 60 OEp, ceux-ci ont finalement été inscrits un mois plus tard dans l'ordonnance 3 Covid-19. Elle invite le Conseil fédéral à examiner dans quelle mesure il serait souhaitable, dans la perspective d'une crise future, que l'ensemble des biens médicaux importants soient regroupés dans une seule liste.

51

Avant le 19 juin 2020: annexe 2 de l'ordonnance 2 Covid-19.

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7.2

Opportunité

Dans leurs échanges avec Lonza et Moderna, les autorités fédérales ont-elles utilisé de manière adéquate la marge d'appréciation qui leur revenait pour assurer un accès rapide et élargi de la Suisse au vaccin de Moderna?

De manière générale, la CdG-N arrive à la conclusion que le DFI et l'OFSP, en leur qualité de département et d'office compétent, ont utilisé de manière adéquate la marge de manoeuvre qui leur revenait dans leurs négociations avec les entreprises Lonza et Moderna et que les choix stratégiques des autorités fédérales étaient adéquats.

Organisation et compétences des autorités fédérales La CdG-N relève que le département et l'office ont entamé des réflexions concernant la stratégie d'acquisition de vaccins dès les premières semaines de la crise du Covid19 et qu'ils ont rapidement mis en place une structure organisationnelle dédiée à cette question (cf. chap. 5.1). La commission considère qu'ils ont traité ce dossier de manière rigoureuse et y ont consacré la priorité adéquate.

La CdG-N n'a pas identifié d'indices de manquements concernant les compétences spécialisées dont disposaient les autorités fédérales dans ce dossier. Le DFI et l'OFSP ont associé à leurs travaux, lorsque cela s'est avéré nécessaire, des personnes externes bénéficiant de compétences supplémentaires, notamment des experts en vaccination, un spécialiste bénéficiant d'une grande expérience de l'industrie pharmaceutique, ainsi qu'un bureau de conseil pour la négociation du contrat avec Moderna. Concernant ces aspects, la commission n'identifie pas d'éléments appelant des remarques du point de vue de la haute surveillance.

Stratégie d'acquisition de vaccins L'un des grands défis des autorités fédérales, durant les premiers mois de la crise, concernait le choix de la stratégie d'acquisition de vaccins, au regard des différentes technologies pressenties, des incertitudes qui y étaient liées et de la grande concurrence entre Etats dans ce domaine. Dans ce contexte, le Conseil fédéral a rapidement opté pour une approche diversifiée, misant à la fois sur des investissements dans des technologies éprouvées, tels que les vaccins à protéines, et dans des technologies plus innovantes, tels que les vaccins à ARNm et les vaccins à vecteur. La CdG-N n'a pas pour objectif, dans le cadre du présent rapport, de procéder à une
analyse approfondie et exhaustive de la stratégie d'acquisition de vaccins de la Confédération. Elle formule toutefois ci-après certaines remarques ponctuelles.

De manière générale, la CdG-N estime que l'approche diversifiée en matière d'acquisitions de vaccins poursuivie par le Conseil fédéral a fait ses preuves. Aucun élément ne met en doute le sérieux avec lequel les autorités fédérales ont examiné les différentes technologies vaccinales disponibles. La commission salue notamment le fait que l'OFSP ait mandaté, dès le printemps 2020, une analyse de marché réalisée par des experts externes afin d'identifier les candidats prometteurs à la production de vaccins au niveau national et international et que l'office ait établi une liste de critères clairs pour l'évaluation de ces candidats.

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La commission juge positivement le fait que la Confédération ait misé très tôt sur la commande de vaccins à ARNm ­ entre autres types de vaccins ­ malgré les incertitudes qui régnaient alors concernant les chances de réussite de cette technologie. Elle relève que la Suisse a été le troisième pays au monde à conclure un MoU avec Moderna, le 9 juin 2020, à un moment où seuls les résultats intermédiaires de la phase clinique 1 du vaccin de Moderna étaient disponibles (cf. chap. 5.4).

Les informations à disposition de la CdG-N montrent que l'OFSP était conscient, dès le mois d'avril 2020, du potentiel et des risques liés à la technologie ARNm (cf.

chap. 5.2 et 6.1). La décision prise par le Conseil fédéral, le 20 mai 2020, d'investir entre autres dans l'acquisition de vaccins à ARNm constituait un risque, mais celui-ci a été pris de manière réfléchie, sur la base des recommandations des experts, et s'est finalement révélé payant, en permettant d'assurer à la Suisse un accès rapide et élargi au vaccin de Moderna.

De l'avis de la CdG-N, les éléments ci-dessus contredisent l'affirmation selon laquelle les autorités fédérales auraient fait preuve d'une trop grande méfiance vis-à-vis de la technologie à ARNm.

La décision de réduire le nombre de doses de vaccin de Moderna commandées dans un premier temps de 6 millions (dans le MoU de juin 2020) à 4,5 millions (dans le contrat d'août 2020) s'explique par le fait que les experts consultés par l'OFSP prévoyaient à l'époque que ce vaccin ne serait utilisé que pour les groupes à risque (cf.

chap. 5.4). Il faut rappeler qu'au printemps 2020, le DFI partait du principe qu'il ne serait probablement pas réaliste de vacciner la totalité de la population dans un premier temps, au regard des quantités limitées de doses attendues (cf. chap. 5.2). Pour la CdG-N, cette analyse est compréhensible; en effet, il n'était difficile de s'imaginer à l'époque que les vaccins à ARNm présenteraient au final une efficacité si élevée, qu'ils seraient disponibles si rapidement, qu'ils seraient durant de nombreux mois le seul type de vaccins contre le Covid-19 bénéficiant d'une autorisation en Suisse et qu'ils permettraient d'envisager une vaccination de l'entier de la population helvétique dès 2021. La commission relève que la Confédération a par la suite procédé à des amendements
au contrat portant sur l'achat de doses supplémentaires, lorsque l'efficacité de cette technologie s'est confirmée (cf. chap. 5.5).

La CdG-N note que Moderna elle-même juge positivement la stratégie des autorités fédérales en matière d'acquisition de vaccins. L'entreprise souligne que la signature du MoU en juin 2020 et l'acompte de réservation versé à cette occasion par la Suisse lui ont permis de mettre en place la chaîne de production et d'approvisionnement de son vaccin (cf. chap. 6.1).

Suites données à la proposition d'investissement de Lonza La CdG-N a examiné les suites données par les autorités fédérales à la proposition d'investissement transmise par Lonza par lettre du 14 avril 2020. Ces clarifications montrent que Lonza, dans ladite lettre et lors de l'échange du 1er mai 2020 avec les autorités fédérales, a bien évoqué ­ à la connaissance et avec l'accord de Moderna ­ la possibilité d'un investissement direct de la Confédération dans la production de vaccins sur le site de Viège. Lonza avait dans l'idée que la Suisse pourrait, en échange d'un tel investissement, négocier avec Moderna un accès privilégié aux premières doses de vaccin issues du site (cf. chap. 6.1).

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La CdG-N constate que le DFI et l'OFSP ont réagi rapidement et ont examiné avec sérieux les options envisageables suite à ces premiers contacts (cf. chap. 5.2 et 5.3).

Le DFI est arrivé à la conclusion qu'un investissement direct dans la production de Lonza n'était ni possible, ni nécessaire. La CdG-N juge que les arguments avancés par le département pour justifier sa décision (cf. chap. 6.1) sont compréhensibles, et la commission constate que ceux-ci se sont largement confirmés par la suite. Il s'agit en particulier des aspects suivants: ­

Moderna était propriétaire du vaccin. Tant Moderna que Lonza ont confirmé que Moderna seule disposait des droits sur le principe actif produit à Viège et du pouvoir de décision en matière d'acquisition et de distribution des vaccins.

En ce sens, il était adéquat que la Confédération procède à des négociations directement avec Moderna. La commission relève que Lonza elle-même, suite à la séance du 1er mai 2020, a invité la Confédération à se tourner vers Moderna (cf. chap. 5.3).

­

Lonza était uniquement responsable d'une partie de la production. Dans la mesure où la finalisation du vaccin de Moderna était prévue à l'étranger, un investissement direct de la Confédération dans la production de Lonza n'aurait, à lui seul, pas permis d'assurer un approvisionnement autonome de la Suisse en vaccins. Il aurait été nécessaire d'établir un système complet de production sur sol suisse; or, cette solution aurait été très complexe à mettre en oeuvre (cf. chap. 7.3).

­

Un investissement dans la production de Lonza n'aurait apporté aucun avantage supplémentaire à la Suisse. Même si l'option d'un tel investissement demeure purement hypothétique, celui-ci n'aurait pas offert à la Suisse un accès plus rapide ou élargi au vaccin de Moderna (cf. chap. 7.3). Cette appréciation a été confirmée par Moderna elle-même. Les premiers vaccins de Moderna ont pu être livrés le jour même de leur approbation par Swissmedic. Au total, selon les chiffres remis à la CdG-N par le DFI, la Suisse a reçu durant les deux premiers trimestres de 2021 6'410'400 doses du vaccin de Moderna, soit une quantité légèrement supérieure à la commande passée (6'400'000).

­

Les bases légales en vigueur à l'époque ne permettaient pas un tel investissement. Cet argument est correct selon la CdG-N, même s'il n'est pas déterminant de son point de vue. Le DFI a lui-même précisé que sa décision ne découlait pas en premier lieu de considérations juridiques (cf. chap. 7.1).

La CdG-N rappelle qu'à l'époque, le partenariat entre Moderna et Lonza était en cours de négociation et que les deux entreprises réfléchissaient encore aux modalités du financement de la production. Dans ce cadre, la piste d'un investissement direct de la Confédération dans le site de Viège a certes entre-temps été envisagée par Moderna, parmi diverses autres options. Les clarifications de la CdG-N montrent toutefois que l'entreprise a privilégié un investissement interne, financé notamment par la précommande de vaccins passée par la Suisse.

Tout montre qu'un investissement dans la production de Lonza, même s'il avait été souhaité par la Confédération, n'aurait pas abouti. En outre, pour la commission, un

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tel investissement n'était pas nécessaire; ainsi, les principes de subsidiarité de l'intervention de l'Etat et de respect de la liberté économique ont été respectés par les autorités fédérales (art. 5a et 94 de la Constitution fédérale52).

Par ailleurs, les informations collectées par la CdG-N confirment que l'option d'une ligne de production exclusivement réservée à la Suisse sur le site de Viège ­ allant audelà du simple investissement de la Confédération dans le développement de la production, mentionné plus haut ­ n'est jamais entrée en ligne de compte et n'a pas été discutée sous une forme concrète (cf. chap. 6.1). En avril 2021, le vice-président de Moderna a confirmé que l'entreprise n'avait jamais proposé au gouvernement suisse d'acheter des installations.

Sur la base des éléments ci-dessus, le DFI est donc arrivé à la conclusion qu'il était plus adéquat de négocier directement avec Moderna un contrat portant sur l'acquisition de vaccins incluant une précommande de vaccins et un acompte de réservation.

La CdG-N considère que cette décision stratégique était appropriée.

Négociations avec Moderna La CdG-N relève que les autorités fédérales, suite à l'entretien du 1er mai 2020, ont très rapidement entamé les négociations avec Moderna relatives à l'acquisition de vaccins. Le 20 mai, le Conseil fédéral a été informé de l'avancée des négociations, a donné formellement son feu vert à l'acquisition de vaccins et a approuvé l'enveloppe financière correspondante. Le MoU avec Moderna a été signé le 9 juin. La Suisse était alors le troisième pays du monde à signer un tel accord avec l'entreprise.

La CdG-N salue en particulier le fait que, suite aux discussions avec les autorités suisses, une part importante du montant du contrat ait été réinvestie en Suisse par Moderna. Dans les faits, cela a permis d'atteindre de manière indirecte l'objectif évoqué par Lonza dans sa proposition d'investissement initiale, c'est-à-dire garantir un développement des installations de production sur le site de Viège et s'assurer que la Suisse bénéficie rapidement du vaccin produit sur ce site. Cet objectif a été rempli, puisque les premières doses de vaccin de Moderna ont été livrées à la Suisse le 12 janvier 2021, soit le jour même de l'approbation par Swissmedic.

L'option stratégique retenue par la Confédération,
tout en respectant le cadre légal en vigueur à l'époque, a permis d'assurer à la Suisse la livraison d'une grande quantité de vaccins sous forme finalisée. Un investissement direct dans la production de Lonza n'aurait très probablement pas mené à un meilleur résultat (cf. chap. 7.3).

Cette décision est également cohérente avec l'approche économique habituellement défendue par le Conseil fédéral, selon laquelle Confédération s'abstient autant que possible d'intervenir directement dans le fonctionnement de l'économie privée, tant que d'autres solutions sont possibles (art. 5a et 94 Cst.). La CdG-N estime en outre qu'un investissement de la Confédération à hauteur de plusieurs dizaines de millions de francs dans une entreprise privée pour la production d'un vaccin donc le succès était encore largement incertain aurait sans doute suscité une grande incompréhension dans l'opinion publique. La signature d'un contrat d'acquisition, au contraire, était

52

Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst.; RS 101).

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liée à une contrepartie claire (la livraison des doses de vaccin commandées) et assorti de différentes garanties, réduisant le risque pris par la Confédération.

En conclusion, la CdG-N salue la manière dont les autorités fédérales ont mené les négociations avec Moderna, en défendant de manière adéquate les intérêts de la Confédération. Elle considère que les choix stratégiques effectués par le Conseil fédéral dans ce dossier ­ conclusion rapide du MoU puis du contrat avec Moderna, amendements ultérieurs apportés au contrat, soutien au recrutement de Lonza au printemps 2021 et développement d'une stratégie d'encouragement à la recherche de vaccins dès l'été 2021 ­ sont adéquats et ont permis d'atteindre le but visé.

La commission rappelle en outre que la stratégie d'acquisition de vaccins de la Confédération ne reposait pas uniquement sur le contrat passé avec Moderna, mais également sur d'autres accords passés avec divers fabricants de vaccins issus de différentes technologies, à savoir AstraZeneca (vaccin à vecteur), Pfizer/BioNTech (vaccin à ARNm), Curevac (vaccin à ARNm), Janssen (vaccin à vecteur) et Novavax (vaccin à protéines)53.

7.3

Efficacité

La stratégie suivie par la Confédération a-t-elle permis d'atteindre l'objectif poursuivi, à savoir un accès rapide et élargi au vaccin de Moderna? Une autre stratégie aurait-elle permis un accès plus rapide ou plus élargi?

La CdG-N arrive à la conclusion que la stratégie suivie par la Confédération dans ses négociations avec Moderna a permis d'assurer à la Suisse un accès rapide et élargi au vaccin. Au final, les objectifs initialement prévus ont même pu être dépassés, puisque les commandes réalisées ont permis d'envisager une vaccination de l'ensemble de la population dès l'année 2021 (et non seulement de 60% de la population, comme initialement prévu par le DFI). En ce sens, pour la commission, le critère d'efficacité est rempli.

La réponse à la question de savoir si une autre stratégie ­ et en particulier un investissement direct de la Confédération dans la production de Lonza ­ aurait permis à la Suisse d'obtenir un accès plus rapide ou élargi au vaccin demeure purement hypothétique, dans la mesure où cette option aurait nécessité des négociations approfondies entre la Confédération, Lonza et Moderna, et que celles-ci n'ont pas eu lieu. Sur la base des informations collectées, la CdG-N conclut toutefois, comme le DFI et Moderna, qu'un tel investissement n'aurait pas permis un accès plus rapide ou plus large au vaccin. Les premiers vaccins de Moderna ont pu être livrés le jour même de leur approbation par Swissmedic. Au total, selon les chiffres remis à la commission par le DFI, la Suisse a reçu durant les deux premiers trimestres de 2021 6'410'400 doses du vaccin de Moderna, soit une quantité légèrement supérieure à la commande passée

53

Les négociations entre la Confédération et ces producteurs ne font pas l'objet du présent rapport.

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(6 400 000)54. Malgré une situation tendue sur le plan de la production durant les premiers mois de 2021, la planification de livraison convenue dans les contrats a donc été plus que remplie. A partir de juin 2021, l'offre en vaccins pour les deux préparations approuvées (Moderna et Pfizer BioNTech) a dépassé la demande en vaccins de la population suisse.

Comme le DFI, la commission conclut qu'en investissant dans la production de Lonza, la Confédération aurait peut-être permis d'assurer qu'une ligne de production soit construite à Viège, mais sans la garantie que celle-ci produirait exclusivement pour la Suisse. En effet, il ressort clairement que l'option d'une ligne de production réservée à la Confédération n'est jamais entrée en ligne de compte. Or, en concluant un MoU d'acquisition de vaccins avec Moderna incluant un acompte de réservation, la Suisse s'est également assurée que la production à Viège soit développée, tout en respectant l'indépendance entrepreneuriale de Moderna.

L'option d'un investissement direct de la Confédération dans la production de Lonza laisse imaginer que la Suisse aurait peut-être pu acheter le principe actif produit sur le site, afin que celui-ci puisse être conditionné par une autre entreprise suisse, dans l'optique de la production d'un vaccin entièrement sur sol helvétique. Or, les clarifications de la commission montrent clairement qu'une telle option n'était pas nécessaire, la stratégie d'acquisition choisie par le DFI ayant permis d'assurer à la Suisse un approvisionnement adéquat.

La commission tient également à souligner que la mise en place d'une filière de production vaccinale entièrement sur sol suisse ne constitue pas une option aisée à réaliser et aurait soulevé de très nombreuses questions, tant sur le plan légal qu'économique.

Tout d'abord, il aurait fallu que Moderna accepte de vendre le principe actif produit à Viège, au lieu de finaliser elle-même le vaccin. De l'avis de la CdG-N, il est peu probable que l'entreprise aurait accepté un tel arrangement. La loi Covid-19 prévoit certes la possibilité pour la Confédération d'ordonner la confiscation de biens médicaux importants ou d'obliger les fabricants à produire des biens médicaux importants contre indemnisation. De telles mesures auraient toutefois eu des implications juridiques, financières et
géopolitiques délicates pour la Suisse, tant vis-à-vis de Moderna que des autres pays acheteurs55.

Par ailleurs, il aurait fallu que la Suisse mette en place une chaîne de production complète de vaccins sur sol national, en collaboration avec diverses entreprises. Une telle opération aurait soulevé de nombreuses questions56.

54

55

56

Dans le détail, la Suisse a reçu 1 350 000 doses au premier trimestre 2021 (soit exactement la quantité commandée) et 5 060 400 doses au deuxième trimestre (+10 400 par rapport à la quantité commandée).

En outre, il n'est pas sûr que le fait de bénéficier de l'exclusivité des produits issus d'une ligne de production aurait permis à la Suisse de bénéficier de plus de doses dans les premières semaines de l'année 2021, dans la mesure où la production se trouvait alors dans sa période de développement.

Relatives notamment au rôle de conduite assumé par les autorités fédérales dans le système de production, à la responsabilité endossée par la Confédération, aux ressources financières et en personnel investies dans un tel projet, au respect, à l'adaptation des bases légales et constitutionnelles, au devenir des installations après la crise ou encore à la revente des doses de vaccin excédentaires issues de cette chaîne de production sur le marché international.

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Un argument favorable à une production entièrement sur sol suisse, de l'avis de la commission, est le fait que celle-ci aurait permis à la Suisse de se prémunir contre d'éventuelles restrictions à l'importation de vaccins finalisés dans d'autres pays. Une telle situation ne s'est toutefois pas présentée dans le cadre de la crise du Covid-19.

La CdG-N constate que la piste d'une production nationale de vaccins a bien été envisagée de manière générale par le DFI au printemps 2020, mais que celle-ci ne s'est pas concrétisée. Cela s'explique, selon le département, par l'absence de producteurs de vaccins remplissant les critères de l'OFSP sur sol suisse, et par le fait que les potentiels projets de recherche nationaux en la matière n'étaient pas en mesure de respecter le calendrier très ambitieux. En outre, l'avancée rapide du développement des premiers vaccins à l'échelon mondial (tels que Moderna et Pfizer/BioNTech) a incité la Confédération à miser davantage sur l'acquisition de vaccins sur le marché international. La commission estime que ces explications ­ ajoutés aux obstacles évoqués plus haut ­ sont compréhensibles. Moderna elle-même a indiqué qu'elle avait entretemps envisagé d'effectuer les opérations de finition de son vaccin en Suisse, mais qu'elle y avait renoncé, faute de capacités suffisantes.

Au vu de ces éléments, la commission arrive à la conclusion qu'une production sur sol suisse ne constituait pas, dans le contexte de la crise du coronavirus, une alternative pertinente à l'achat de vaccins finalisés.

Néanmoins, pour la CdG-N, il est crucial que l'attractivité de la Suisse en matière de développement et de production de vaccins ­ et en particulier de vaccins à ARNm ­ soit améliorée à l'avenir. Elle estime que les autorités fédérales doivent tirer parti de la dynamique engendrée par la crise du Covid-19 pour renforcer la position internationale de la Suisse dans ce domaine. A ce titre, la commission salue la décision du Conseil fédéral d'élaborer une stratégie pour améliorer les conditions-cadres de la Suisse dans la recherche, le développement et la production de nouveaux vaccins (cf.

chap. 5.8). Elle considère qu'il s'agit d'une alternative judicieuse à des investissements ponctuels dans la production d'une ou l'autre entreprise. La CdG-N suivra avec intérêt l'élaboration et la
mise en oeuvre de cette stratégie par le Conseil fédéral. Elle l'invite à réfléchir dans quelle mesure ces travaux d'encouragement devraient être développés au-delà du périmètre de la loi Covid-19, afin d'encourager la production et le développement de vaccins en général. Elle part du principe que le Conseil fédéral clarifiera également, dans ce cadre, l'opportunité que la Confédération dispose d'une chaîne de production complète de vaccins sur sol suisse, pouvant être activée en cas de crise, et les questions légales et organisationnelles liées à une telle option.

7.4

Projet «Leute für Lonza»

Dans l'ensemble, la CdG-N tire un bilan positif du projet «Leute für Lonza», lancé par le DFI en avril 2021 afin de soutenir le recrutement de personnel hautement qualifié pour l'entreprise et d'assurer ainsi la production de vaccins sur le site de Viège.

Elle salue la rapidité avec laquelle les autorités fédérales ont conçu et mis en oeuvre ce projet, leur volonté d'oeuvrer de manière pragmatique en mobilisant toutes les forces disponibles, mais également la collaboration étroite ayant pu être assurée entre les différents départements et les EPF dans ce cadre.

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Grâce au projet «Leute für Lonza», la Confédération a pu mettre rapidement à disposition de l'entreprise plusieurs collaboratrices et collaborateurs hautement qualifiés, et a contribué par là à ce que Lonza puisse renforcer sa production et assurer le respect des délais de livraison des vaccins, dans une période où des retards étaient à craindre.

Ce projet a été explicitement salué par Lonza et Moderna. Il a visiblement joué un rôle favorable dans la décision des deux entreprises, fin avril 2021, de renforcer les investissements dans la production de vaccins et de créer trois lignes de productions supplémentaires sur le site de Viège (cf. chap. 5.7).

Comme le DFI, la CdG-N considère que ce projet, à court terme, a permis à Lonza d'honorer ses engagements et assurer la mise en oeuvre de la stratégie de vaccination dans les délais prévus, et à long terme, de souligner l'importance pour la Suisse d'héberger une telle production. Une telle approche constitue, aux yeux de la CdG-N, une alternative pragmatique à un investissement direct dans les installations de production.

Le fait que l'Etat suisse soutienne une entreprise privée dans le recrutement de personnel et mette à disposition de cette dernière ses propres collaboratrices et collaborateurs est une situation inédite. La commission partage l'avis du DFI qu'une telle intervention se justifiait dans le cas présent, au regard du contexte critique et de la nécessité d'assurer la mise en oeuvre rapide de la stratégie de vaccination. Pour la commission, ce cas soulève néanmoins plusieurs questions relatives à l'intervention de l'Etat dans les activités de l'économie privée. A ce titre, elle juge important que le Conseil fédéral tire un bilan de ce projet, afin de déterminer quels enseignements sont tirés de ce cas pour la gestion de crises futures et selon quelles conditions un tel soutien aux activités d'une entreprise privée devrait être possible à l'avenir.

Face à la commission, le DFI a admis qu'il n'avait pas spécifiquement examiné sur quelle base légale le projet «Leute für Lonza» pouvait s'appuyer, ce que la commission regrette. A posteriori, le département a laissé entendre que cette location de services pouvait s'appuyer sur l'art. 25, al. 2, let. b et c, de la LPers. La commission invite le Conseil fédéral à approfondir cet aspect, afin
notamment de déterminer si cette base légale était suffisante pour une telle démarche et si des adaptations de la législation sont nécessaires pour l'avenir, au regard de ce cas.

Postulat Le Conseil fédéral est invité à tirer le bilan du projet «Leute für Lonza», lancé en avril 2021 afin de soutenir le recrutement de personnel hautement qualifié pour l'entreprise Lonza sur son site de Viège, et à faire part de ses conclusions dans un rapport.

Dans ce cadre, le Conseil fédéral est invité à présenter quels enseignements généraux il tire de ce cas en vue de la gestion de crises futures.

Enfin, le Conseil fédéral est invité à présenter dans quelle mesure l'art. 25, al. 2, let. b et c de la loi sur le personnel de la Confédération constituait une base légale suffisante pour le programme «Leute für Lonza» et si des adaptations de la législation sont nécessaires pour l'avenir, au regard de ce cas.

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8

Conclusions et suite de la procédure

De manière générale, la CdG-N arrive à la conclusion que les autorités fédérales ont agi de manière adéquate dans leurs négociations avec les entreprises Lonza et Moderna concernant l'acquisition de vaccins contre le Covid-19 de la marque Moderna.

Sur le plan de la légalité, la commission constate que les décisions prises par les autorités fédérales dans le cadre de leurs négociations avec Lonza et Moderna étaient conformes à l'ordre juridique en vigueur à l'époque. Les bases légales conféraient à la Confédération la marge de manoeuvre nécessaire pour acquérir des vaccins. Certes, les vaccins contre le Covid-19 n'étaient pas mentionnés explicitement dans la législation au moment de la signature du MoU avec Moderna et n'y ont été ajoutés qu'une dizaine de jours plus tard. Leur acquisition était néanmoins autorisée, dans la mesure où ces vaccins peuvent être considérés comme des «biens médicaux importants» au sens de la LEp.

Par contre, la CdG-N constate qu'un investissement direct de la Confédération dans la production de vaccins, comme proposé par Lonza, n'était pas permis par la législation de l'époque. Elle relève toutefois que le refus du DFI d'investir dans l'entreprise Lonza ne découlait pas en premier lieu de considérations juridiques, mais du fait que le département n'a pas jugé cet investissement pertinent (cf. ci-après).

Sur le plan de l'opportunité, la CdG-N arrive à la conclusion que le DFI et l'OFSP, en leur qualité de département et d'office compétent, ont utilisé de manière adéquate la marge de manoeuvre qui leur revenait dans ce dossier. Pour la commission, les décisions stratégiques prises par les autorités fédérales, à savoir renoncer à un investissement direct dans la production de l'entreprise Lonza et conclure rapidement avec Moderna un accord sur l'acquisition de vaccins incluant une précommande et un acompte de réservation, étaient adéquates.

Les clarifications de la CdG-N ont montré que le DFI avait renoncé à un investissement direct dans les lignes de production de Lonza pour trois raisons principales: premièrement, parce que Lonza n'était pas propriétaire du vaccin, deuxièmement parce que Lonza était uniquement responsable d'une partie de la production du vaccin, et troisièmement parce qu'un tel investissement n'aurait apporté aucun avantage particulier à la Suisse. Pour
la CdG-N, ces arguments sont compréhensibles; elle en conclut qu'un tel investissement n'était pas nécessaire. En outre, la commission note que l'option d'une ligne de production réservée à la Suisse sur le site de Viège, évoquée par les médias au printemps 2021, n'est jamais entrée en ligne de compte et n'a pas été discutée sous une forme concrète.

La commission salue la manière dont les autorités fédérales ont mené leurs négociations avec Moderna concernant l'acquisition de vaccins, qui ont permis à la Suisse d'être l'un des premiers pays au monde à conclure un MoU avec l'entreprise. Elle salue également le fait que, suite aux discussions avec le DFI et l'OFSP, une part importante du montant du contrat ait été réinvesti en Suisse par Moderna. Cela a permis de garantir un développement des installations de production sur le site de Viège et s'assurer que la Suisse bénéficie rapidement du vaccin produit sur ce site, tout en respectant le cadre légal et constitutionnel.

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Par ailleurs, la CdG-N constate que les autorités fédérales étaient conscientes des risques et enjeux liés au développement de vaccins contre le Covid-19 et ont montré une ouverture adéquate face aux nouvelles technologies vaccinales dans un contexte de grande incertitude. La décision du Conseil fédéral d'investir dans les vaccins à ARNm dès mai 2020 représentait un certain risque, mais celui-ci a été pris en connaissance de cause et s'est avéré payant.

La commission n'a pas identifié d'éléments appelant des remarques de sa part en ce qui concerne l'organisation ou les compétences de l'OFSP en lien avec les acquisitions de vaccins. Elle considère que l'office a traité ce dossier de manière rigoureuse et y a consacré la priorité adéquate.

Sur le plan de l'efficacité, la CdG-N arrive à la conclusion que la stratégie suivie par la Confédération dans ce dossier a permis d'atteindre l'objectif poursuivi, à savoir un accès rapide et élargi de la Suisse au vaccin de Moderna. Les clarifications de la commission confirment, comme l'a fait valoir le DFI dans l'examen sous l'angle de l'opportunité, qu'un investissement direct dans la production de Lonza n'aurait pas permis un accès plus large ou plus rapide au vaccin.

Par ailleurs, l'option d'un vaccin entièrement produit sur sol suisse, basé sur le principe actif produit par Lonza à Viège, n'aurait pas été aisée à réaliser et aurait soulevé de très nombreuses questions, tant sur le plan légal qu'économique. La commission conclut que cette piste ne constituait pas, dans le contexte de la crise du coronavirus, une alternative pertinente à l'achat de vaccins finalisés. L'option d'un vaccin suisse a certes été examinée de manière générale par les autorités fédérales pendant la pandémie, mais cette option ne s'est pas concrétisée par la suite, ce que la commission juge compréhensible. La CdG-N salue les démarches lancées par la Confédération, au printemps 2021, dans le but d'améliorer à l'avenir l'attractivité de la Suisse en matière de développement et de production de vaccins; elle suivra avec intérêt les développements dans ce domaine.

Enfin, la CdG-N salue la mise en oeuvre par la Confédération du projet «Leute für Lonza» au printemps 2021, qui a permis de manière rapide et pragmatique de soutenir le recrutement de personnel sur le site de Viège et de
donner un signal fort en faveur de la production de vaccins sur sol suisse. La commission regrette toutefois que le DFI n'ait pas clarifié les bases légales sur lesquelles ce projet pouvait s'appuyer. Elle estime qu'il est nécessaire que le Conseil fédéral tire un bilan de ce projet, qu'il en tire les enseignements et qu'il examine à la lumière de cet exemple la nécessité d'une adaptation de la législation.

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Avec le présent rapport, la commission clôt ses travaux dans ce dossier. Elle invite le Conseil fédéral à tenir compte de ses remarques pour ses travaux futurs. Elle continuera à suivre attentivement l'évolution de ce dossier.

16 novembre 2021

Au nom de la Commission de gestion du Conseil national Le président: Erich von Siebenthal La secrétaire: Beatrice Meli Andres Le président de la sous-commission DFI/DETEC: Thomas de Courten Le secrétaire de la sous-commission DFI/DETEC: Nicolas Gschwind

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Abréviations ARNm CdG CdG-N CFV Cst.

ARN messager Commissions de gestion des Chambres fédérales Commission de gestion du Conseil national Commission fédérale pour les vaccinations Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (RS 101) DDPS Département de la défense, de la protection de la population et des sports DEFR Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche DFF Département fédéral des finances DFI Département fédéral de l'intérieur EPF Ecoles polytechniques fédérales FF Feuille fédérale GT Groupe de travail Innosuisse Agence suisse pour l'encouragement de l'innovation IPI Institut fédéral de la propriété intellectuelle LEp Loi fédérale du 28 septembre 2012 sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme (Loi sur les épidémies; RS 818.101) LMP Loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics (RS 172.056.1) [depuis lors remplacée par la loi fédérale du 21 juin 2019 sur les marchés publics, entrée en vigueur le 1er janvier 2021] LPers Loi du 24 mars 2000 sur le personnel de la Confédération (RS 172.220.1) METAS Institut fédéral de métrologie MoU Memorandum of Understanding, protocole d'accord OEp Ordonnance du 29 avril 2015 sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme (Ordonnance sur les épidémies; RS 818.101.1) OFSP Office fédéral de la santé publique OMP Ordonnance du 11 décembre 1995 sur les marchés publics (RS 172.056.11) [depuis lors remplacée par l'ordonnance du 12 février 2020 sur les marchés publics, entrée en vigueur le 1er janvier 2021] OSAV Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires RS Recueil systématique SEFRI Secrétariat d'Etat à la formation, à la recherche et à l'innovation SG-DFI Secrétariat général du DFI Swissmedic Institut suisse des produits thérapeutiques

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Liste des personnes auditionnées Baehny, Albert M.

Président du Conseil d'administration, Lonza

Berset, Alain

Conseiller fédéral, chef du DFI (auditionné par les CdG lors des séances consacrées au rapport de gestion 2020 du Conseil fédéral)

Bohrer, Andreas

Group General Counsel & Company Secretary, Lonza

Brupbacher, Oliver M.

Avocat, Partenaire, Kellerhals Carrard Basel KIG (représentant Moderna)

Fiechter, Jean-Rodolphe

Avocat, Partenaire, Kellerhals Carrard Bern KIG (représentant Moderna)

Götz Staehelin, Claudia

Avocate, Partenaire, Kellerhals Carrard Basel KIG (représentant Moderna)

Gresch, Lukas

Secrétaire général, DFI

Kronig, Nora

Vice-directrice et Responsable de la division Affaires internationales, cheffe du GT «Vaccination», OFSP

Lévy, Anne

Directrice, OFSP

Staner, Dan

Vice-président, Head of Europe/Switzerland, Africa & Middle East Region, Moderna

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