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Sanctions administratives pécuniaires Rapport du Conseil fédéral donnant suite au postulat 18.4100 de la CIP-N du 1er novembre 2018 du 23 février 2022

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Condensé Ce rapport, rédigé en exécution du postulat 18.4100 de la Commission des institutions politiques du Conseil national, met en lumière les sanctions administratives pécuniaires. Les sanctions administratives pécuniaires sont un instrument de surveillance que l'autorité de surveillance utilise pour répondre à la violation d'une disposition de droit administratif. Cette sanction vise les entreprises mais pas les personnes qui agissent pour elles (organes, collaborateurs). La conséquence juridique d'une sanction consiste au paiement d'un montant qui peut être élevé voire très élevé. Grâce à cet instrument, il est possible d'annuler rétroactivement le succès économique résultant de pratiques commerciales lucratives mais illicites et d'inciter les entreprises à adopter un comportement conforme aux objectifs.

Les sanctions administratives pécuniaires se sont établies dans plusieurs secteurs, par exemple en droit des cartels, des télécommunications ou de l'agriculture. Toutefois, diverses incertitudes juridiques ont émané de la pratique, notamment en raison des différents principes de procédure qui s'appliquent simultanément aux mêmes faits.

Les sanctions administratives pécuniaires relèvent du droit administratif et sont ordonnées sous la forme de décisions sujettes à recours. Cependant, en raison du montant des sanctions et de leurs effets répressifs et pénaux, elles sont souvent considérées comme des «accusations en matière pénale» au sens de l'art. 6, par. 1, de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). C'est pourquoi elles sont soumises aux garanties de procédure pénale prévues par la Constitution (art. 30 et 32 Cst.) et par la CEDH (art. 6 et 7 CEDH, art. 2 protocole 7 CEDH). Ces garanties offrent une protection plus étendue de la partie que le droit administratif.

Le rapport présente la manière dont cet instrument est intégré dans le système juridique de façon détaillée, en tenant compte de la pratique abondante des autorités d'exécution et des tribunaux. Dans l'ensemble, le concept normatif actuel a fait ses preuves. La loi sur la procédure administrative et les lois spéciales offrent une base solide à cet instrument, dans la mesure où les garanties supérieures de droit pénal sont respectées. Des solutions viables, basées sur la réglementation actuelle dans les domaines
identifiés, ont pu être trouvées par la pratique administrative et la jurisprudence. Plus particulièrement, il a été constaté que rien, du point de vue du droit constitutionnel ou conventionnel, ne s'oppose en principe à ce que les règles de comportement de droit administratif soient renforcées au moyen de sanctions administratives pécuniaires. Selon la jurisprudence, les sanctions exigent qu'une faute de l'entreprise dans le sens d'une imputabilité (faute dans l'organisation) soit démontrée. Les dispositions examinées dans le rapport ne règlent pas expressément la question de la faute; toutefois, des adaptations législatives ne semblent pas urgentes au regard du développement de la jurisprudence par les tribunaux. En outre, le rapport a permis de démontrer que les dispositions prévues dans les lois spéciales qui règlent les présomptions légales contre la partie sont conformes au principe de la présomption d'innocence (art. 6, al. 2, CEDH et 32, al. 1, Cst.). En fonction du domaine, les présomptions peuvent constituer un moyen efficace de contrer les difficultés des autorités à obtenir les preuves voulues.

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Un besoin éventuel de clarification au niveau législatif a été identifié pour certaines questions. Il pourrait notamment s'avérer judicieux d'instaurer des règles générales concernant les conséquences de la restructuration d'une entreprise sur les procédures de sanctions, la représentation des entreprises dans les procédures et la coordination entre les autorités. Il conviendrait également d'adapter les lois spéciales pour régler la question de la prescription de la poursuite et de l'exécution de la sanction ainsi que l'information du public au sujet de la procédure de sanction. Pour régler le conflit entre l'obligation de collaborer en procédure administrative et le droit de ne pas s'auto-incriminer (principe nemo tenetur) issu du droit pénal, des solutions au cas par cas ont été trouvées dans la pratique, si bien qu'il paraît évident de laisser les autorités continuer de régler ce problème complexe en fonction du cas d'espèce. Le rapport présente malgré tout différentes options permettant de régler la question si une solution législative était adoptée.

De ce fait, le Conseil fédéral estime qu'il n'est pas nécessaire, à l'heure actuelle, d'opter pour une harmonisation intersectorielle des bases légales existantes en ce qui concerne les questions mentionnées au paragraphe précédent. Dans les cas où il a identifié qu'il était nécessaire de légiférer, et que les modifications auraient un impact sur les projets législatifs en cours, il sera particulièrement attentif à ce que les résultats du présent rapport soient intégrés à ces projets. Il continuera de suivre de près les développements dans ce domaine.

Ce rapport ne règle pas la question de savoir si des sanctions administratives pécuniaires devront à l'avenir être introduites dans d'autres domaines. Il indique en revanche les différentes solutions possibles et la façon de les concrétiser.

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Table des matières Condensé 1

Introduction 1.1 Mandat 1.2 Contexte et problématique 1.3 Contenu du rapport 1.4 Procédure suivie lors de l'élaboration du rapport

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Sanctions administratives pécuniaires selon le droit fédéral en vigueur 2.1 Notion de sanction administrative pécuniaire 2.2 Situation en droit fédéral 2.3 Caractéristiques essentielles de la sanction administrative pécuniaire 2.4 Distinction par rapport à d'autres instruments d'exécution 2.5 Droit de procédure applicable 2.6 Conclusion intermédiaire

3

4

2 8 8 8 9 10 11 11 12 15 19 21 22

Garanties de droit supérieur 3.1 Garanties au sens des art. 6 et 7 CEDH et 2 et 4 du protocole 7 CEDH 3.2 Garanties au sens des art. 29, 29a, 30 et 32 Cst.

3.3 Applicabilité des garanties dans le domaine des sanctions administratives pécuniaires 3.4 Modulation de la portée des garanties dans les «domaines périphériques» du droit pénal 3.5 Aspects temporels de l'applicabilité 3.6 Références à d'autres garanties de procédure de droit international 3.7 Digression: garanties dans les procédures concernant les «droits et obligations de caractère civil» au sens de l'art. 6, par. 1, CEDH 3.8 Conclusion intermédiaire

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Inscription de l'instrument dans les lois spéciales 4.1 Base nécessaire à la sanction dans les lois spéciales 4.2 Détermination des obligations assorties de sanctions 4.3 Condition d'imputabilité subjective (faute) 4.3.1 Contexte et exigences conventionnelles et constitutionnelles 4.3.2 Notion d'imputabilité (Vorwerfbarkeit) en droit des cartels 4.3.3 Appréciation 4.4 Conséquences juridiques

33 34 35 37

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23 25 27 29 30 30 32 33

37 38 41 42

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4.4.1 4.4.2 4.4.3 4.4.4

Paiement d'un montant Montant des sanctions Critères de calcul du montant de la sanction Relation entre les sanctions administratives pécuniaires et d'autres instruments d'exécution Prescription de la poursuite et de l'exécution de la sanction Conclusion intermédiaire

42 42 44

Procédure en matière de sanctions administratives pécuniaires 5.1 Début de la procédure de sanctions administratives 5.1.1 Autorités compétentes 5.1.2 Ouverture de la procédure 5.1.3 Droit à la défense, à l'assistance judiciaire gratuite et à un interprète 5.1.4 Conclusion intermédiaire 5.2 Parties et autres personnes concernées (tiers) 5.2.1 Qualité de partie des destinataires des sanctions administratives pécuniaires 5.2.2 Conséquences de la restructuration d'entreprises sur la qualité de partie 5.2.3 Représentation d'entreprises dans la procédure de sanctions administratives 5.2.4 Statut procédural des membres d'une entreprise 5.2.4.1 Représentants actifs d'une entreprise 5.2.4.2 Anciens représentants 5.2.4.3 Autres membres d'une entreprise 5.2.5 Conclusion intermédiaire 5.3 Collaboration des parties lors de l'établissement des faits 5.3.1 Contexte 5.3.2 Obligations de collaborer en droit administratif 5.3.2.1 Généralités 5.3.2.2 Devoir d'information de l'autorité 5.3.2.3 Collaboration volontaire ou forcée 5.3.3 Droit de ne pas s'auto-incriminer en procédure pénale (principe nemo tenetur) 5.3.4 Situations de conflits typiques entre obligation de collaborer et droit de ne pas s'auto-incriminer 5.3.5 Solutions proposées par les tribunaux, par le législateur et par la doctrine 5.3.5.1 Jurisprudence des tribunaux suisses 5.3.5.2 Jurisprudence de la CourEDH 5.3.5.3 Solutions législatives en droit pénal fiscal 5.3.5.4 Solutions proposées dans la doctrine 5.3.6 Options pour le législateur 5.3.6.1 Option 1: statu quo

49 49 49 51

4.5 4.6 5

46 47 48

53 54 55 55 57 58 59 59 61 62 62 63 63 64 64 65 65 67 70 71 71 73 76 78 80 81

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5.3.6.2

5.4

5.5 5.6

5.7

5.8

5.9

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Option 2: primauté de l'obligation de collaborer en présence d'un rapport préexistant de droit administratif ou de surveillance 5.3.6.3 Option 3: droit de refuser de collaborer et/ou interdiction d'exploiter les preuves 5.3.7 Conclusion intermédiaire Questions choisies du droit de la preuve 5.4.1 Contexte 5.4.2 Présomptions légales de fait et de droit 5.4.3 Réduction du degré de la preuve 5.4.4 Libre appréciation des preuves 5.4.5 Conclusion intermédiaire Droit d'être entendu et droit à des débats publics et oraux Clôture de la procédure 5.6.1 Décision au fond 5.6.2 Renonciation à la sanction 5.6.3 Classement de la procédure de sanctions administratives pécuniaires 5.6.4 Décision dans un délai raisonnable 5.6.5 Frais de procédure 5.6.6 Allocation de dépens aux parties 5.6.7 Modification des décisions sur les sanctions administratives pécuniaires 5.6.8 Conclusion intermédiaire Information du public 5.7.1 Information du public sur les procédures en cours 5.7.2 Publication des décisions de sanctions administratives pécuniaires Recours contre les décisions relatives aux sanctions administratives pécuniaires 5.8.1 Recours au Tribunal administratif fédéral (garantie de l'accès au juge) 5.8.2 Recours au Tribunal fédéral (garantie de la double instance) Procédures parallèles 5.9.1 Contexte 5.9.2 Coordination des procédures 5.9.3 Transmission de preuves à d'autres autorités 5.9.4 Force obligatoire de la première décision rendue 5.9.5 Procédures parallèles dans le contexte de l'interdiction d'être poursuivi ou jugé deux fois pour la même infraction 5.9.6 Relation entre des procédures de sanctions administratives suisses et étrangères ou des procédures pénales étrangères 5.9.7 Conclusion intermédiaire

82 87 89 90 90 91 92 93 94 94 96 96 96 97 97 98 100 101 102 103 103 104 106 106 107 108 108 109 109 110 110 112 113

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Suite des travaux

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Conclusion

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Bibliographie

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Publications de l'administration fédérale

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Abréviations

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Annexe: analyse de droit comparé

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Introduction

1.1

Mandat

Par le présent rapport, le Conseil fédéral donne suite au postulat 18.4100 de la Commission des institutions politiques du Conseil national «Régime général de sanctions administratives pécuniaires». Le postulat est libellé comme suit: «Le Conseil fédéral est chargé d'examiner les solutions envisageables pour introduire en droit suisse un régime général de sanctions administratives pécuniaires avec les garanties juridiques nécessaires.» Dans sa réponse du 19 décembre 2018, le Conseil fédéral a proposé d'adopter le postulat. Le Conseil national a adopté le postulat le 4 mars 2019.

1.2

Contexte et problématique

Le droit oriente le comportement individuel en premier lieu par des règles de comportement, notamment par des interdictions et des obligations. L'ordre juridique suisse prévoit un grand nombre d'instruments destinés à les faire respecter, notamment celui de la sanction administrative pécuniaire, qui concerne généralement les entreprises.

Au niveau fédéral, elle sert en règle générale d'instrument de surveillance des marchés dans le cadre du droit administratif économique (par ex. en droit des cartels, des télécommunications ou de l'agriculture). Elle permet aux autorités d'imposer le versement d'un montant aux entreprises qui ont violé leurs obligations de droit administratif. En revanche, elle ne concerne pas les personnes physiques agissant au nom de l'entreprise (par ex. organes ou collaborateurs).

Des sanctions administratives pécuniaires se sont établies dans plusieurs secteurs, mais diverses incertitudes juridiques existent dans la pratique, notamment parce que plusieurs principes de procédure s'appliquent simultanément aux mêmes faits. Les sanctions administratives pécuniaires relèvent de la procédure administrative, mais elles sont dans certains cas soumises aux garanties de procédure pénale prévues par la Constitution (Cst.)1 et par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH)2. Celles-ci assurent une protection plus étendue de la partie; par exemple, la procédure administrative exige que la partie concernée participe activement à la procédure (obligation de collaborer), en communiquant aussi des informations auto-incriminantes. L'autorité peut à cet égard utiliser des moyens de contrainte de droit pénal et de droit administratif. À l'inverse, selon un principe consacré en procédure pénale, nul ne peut être contraint de participer à sa propre accusation (nemo tenetur se ipsum accusare vel prodere: droit de ne pas s'auto-incriminer).

Il faut donc examiner si le droit de ne pas s'auto-incriminer découlant de la Constitution et de la CEDH, et donc le droit au silence, l'emporte sur l'obligation de collaborer prévue par le droit administratif. La présomption d'innocence (in dubio pro reo) ou

1 2

RS 101 RS 0.101. La CEDH a été approuvée par l'Assemblée fédérale le 3 octobre 1974 et est entrée en vigueur pour la Suisse le 28 novembre 1974.

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l'interdiction d'être poursuivi ou jugé deux fois pour la même infraction (ne bis in idem) soulèvent des questions semblables.

La procédure administrative fédérale ne connaît pas de système général de règlement des conflits entre les différents principes de procédure. Il incombe donc aux autorités chargées d'appliquer le droit et, s'agissant des procédures de recours, aux tribunaux, de résoudre au cas par cas les tensions entre les exigences de la procédure administrative, d'une part, et les garanties constitutionnelles et conventionnelles pour une procédure pénale équitable, d'autre part. Cependant, la pondération en pratique de ces deux aspects au cas par cas n'est pas propice à la sécurité du droit3.

En résumé, il faut donc examiner les précautions juridiques à prendre pour garantir à la fois l'imposition efficace des sanctions administratives pécuniaires et le respect des droits constitutionnels et conventionnels de protection des personnes et entreprises concernées. Il s'agit à cet égard de trouver un équilibre entre l'application efficace et uniforme des obligations de droit administratif, et le droit à une procédure équitable de la partie passible de sanction.

1.3

Contenu du rapport

Le présent rapport montre comment un régime général de sanctions administratives pécuniaires peut être introduit en droit suisse. Ces sanctions relèvent en principe du droit administratif et elles seront donc présentées dans le cadre du système du droit administratif général avec ses institutions et termes spécifiques.

Le rapport décrira l'instrument de la sanction administrative pécuniaire sur la base des dispositions en la matière existant en droit fédéral actuel (ch. 2). Dans un deuxième temps, il présentera les exigences constitutionnelles et conventionnelles que les autorités doivent prendre en compte dans l'adoption de dispositions sur les sanctions administratives pécuniaires, et dans leur application; il s'agit en particulier des garanties en matière de procédure pénale consacrées par la CEDH et la Constitution (ch. 3).

Suivront les considérations sur les incertitudes juridiques liées aux sanctions administratives pécuniaires dans la pratique administrative et la jurisprudence et sur les adaptations législatives nécessaires, que ce soit dans la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA)4 ou dans les lois spéciales. Le rapport décrira d'abord les exigences de droit matériel qu'il faut respecter en légiférant sur les sanctions administratives pécuniaires. En font partie la création d'une base légale formelle nécessaire aux sanctions et la définition des obligations de comportement assorties de sanctions (ch. 4.1 et 4.2). On abordera ensuite l'exigence d'imputabilité subjective (ch. 4.3), les exigences relatives à la réglementation des conséquences juridiques (ch. 4.4), et les adaptations nécessaires en ce qui concerne les délais de prescription de la poursuite et de l'exécution de la sanction (ch. 4.5).

Les chiffres qui suivent traiteront de différents aspects procéduraux, selon le déroulement chronologique des procédures de sanctions administratives de première instance 3 4

Voir DIEBOLD/RÜTSCHE/KELLER, Marktaufsicht, p. 73.

RS 172.021

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ou la structure de la PA: l'ouverture de la procédure de sanctions (ch. 5.1) et la qualité de partie (ch. 5.2), la constatation des faits entraînant une sanction avec la collaboration des parties et le conflit entre les obligations de collaborer prévues par le droit administratif et le droit de ne pas s'auto-incriminer ou de refuser de collaborer en procédure pénale, ainsi que les solutions envisageables pour le législateur (ch. 5.3), l'administration des preuves considérée à la lumière de la présomption d'innocence (ch. 5.4), le droit d'être entendu (ch. 5.5), la clôture de la procédure (ch. 5.6), l'information du public sur la procédure de sanctions (ch. 5.7), les voies de droit et les droits de recours de la partie (ch. 5.8), ainsi que les aspects qui doivent être pris en compte lorsqu'une procédure administrative et une procédure de sanction administrative se déroulent en parallèle (ch. 5.9). Enfin, un aperçu de la suite des travaux sera dressé au ch. 6.

L'annexe présentera un aperçu de droit comparé de certaines réglementations applicables en Allemagne, en France et dans l'Union européenne.

La question de savoir si des sanctions administratives pécuniaires doivent être introduites dans des lois fédérales spéciales supplémentaires ne fait pas l'objet de la présente analyse.

1.4

Procédure suivie lors de l'élaboration du rapport

Différents services de l'administration fédérale sont chargés d'exécuter les sanctions administratives pécuniaires. Il a donc été indispensable de se référer à leurs connaissances théoriques et pratiques pour donner suite au postulat. L'Office fédéral de la justice (OFJ), en tant que chef de file, a donc constitué un groupe de travail composé d'experts représentant différentes unités administratives (Commission de la concurrence [COMCO], Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers [FINMA], Commission fédérale des maisons de jeu [CFMJ], Office fédéral de la communication [OFCOM], Secrétariat général du Département fédéral des finances [SG-DFF], Office fédéral de l'agriculture [OFAG], Secrétariat d'État à l'économie [SECO], Administration fédérale des contributions [AFC]).

En outre, l'OFJ a constitué un groupe d'experts externes à l'administration, composé de représentants des tribunaux administratifs cantonaux (Ruth Herzog, Dr iur., juge au Tribunal administratif du canton de Berne, et Patrick M. Müller, Dr iur., juge au Tribunal administratif du canton de Lucerne) et de la doctrine (Prof. Vincent Martenet, Dr iur. [Université de Lausanne], Prof. Matthias Oesch, Dr iur. [Université de Zurich], Prof. Robert Roth, Dr iur. [Université de Genève] et Prof. Bernhard Rütsche, Dr iur. [Université de Lucerne]). Le groupe d'experts s'est réuni lors de trois séances consacrées aux résultats du groupe de travail interne et a pu commenter le projet de rapport.

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Sanctions administratives pécuniaires selon le droit fédéral en vigueur

2.1

Notion de sanction administrative pécuniaire

Le terme de sanction administrative pécuniaire n'est pas utilisé en droit fédéral. Les lois spéciales qui prévoient cet instrument emploient le plus souvent l'expression abrégée «sanction administrative» dans le texte français. En allemand, les lois spéciales emploient en règle générale les termes «Verwaltungssanktion»5, «verwaltungsrechtliche Sanktion»6 ou «administrative Sanktion»7.

Il existe en outre des différences quant au contenu des dispositions (voir par ex.

art. 49a de la loi du 6 octobre 1995 sur les cartels [LCart]8, art. 12 de la loi du 16 juin 2017 sur l'échange des déclarations pays par pays [LEDPP]9 et art. 100 de la loi fédérale du 29 septembre 2017 sur les jeux d'argent [LJAr]10). Les auteurs de la doctrine notent que les sanctions administratives pécuniaires relevant du droit administratif économique ne suivent aucun régime uniforme et qu'il est donc difficile de les distinguer des autres instruments d'exécution de droit administratif ou pénal11. Il existe par ailleurs de nombreuses variantes terminologiques en allemand dans la jurisprudence12 et dans la doctrine13. La majorité des auteurs considère que les sanctions administratives pécuniaires sont des sanctions de droit administratif à caractère pénal14. La classification précise de cet instrument dans la terminologie du droit administratif suscite toutefois une controverse15. Il existe ainsi de nombreuses expressions dans les deux langues, notamment «administrativer Rechtsnachteil» (désavantage juridique de nature administrative)16, «bussenähnliche finanzielle Sanktionen» (sanction financière semblable à une amende)17 ou «Verwaltungsbusse» (amende administrative)18.

5 6 7 8 9 10 11 12

13

14 15 16 17 18

Voir par exemple art. 100 et 109 LJAr ou 12 LEDPP.

Voir art. 23 de la loi fédérale du 3 octobre 2003 sur la Banque nationale, LBN, RS 951.11 Voir par exemple le titre de section précédant les art. 122a et 122b LEI.

RS 251 RS 654.1 RS 935.51 Voir DIEBOLD/RÜTSCHE/KELLER, Marktaufsicht, p. 67.

Dans le contexte de la législation sur les cartels, le Tribunal fédéral utilise par exemple l'expression «Kartellrechtliche Sanktionen» (sanctions de droit des cartels) (ATF 139 II 279 et 135 II 60; arrêt du Tribunal fédéral 2C_985/2015 du 9 décembre 2019) et dans celui de la législation sur les jeux d'argent, «Verwaltungsrechtliche Sanktion» (sanction de droit administratif)» (voir ATF 140 II 384 Spielbank).

Ainsi, LOCHER, Verwaltungsrechtliche Sanktionen, p. 87 s, utilise le terme «Verwaltungsbusse» (amende administrative) pour désigner l'instrument de la sanction administrative pécuniaire; DIEBOLD/RÜTSCHE/KELLER, Marktaufsicht, p. 67, utilisent les expressions «Geldsanktionen», «Bussen und Belastungen» ou «Verwaltungssanktionen» (sanctions pécuniaires, amendes et charges financières ou sanctions administratives), alors que KARLEN, Verwaltungsrecht, p. 474, parle de «reine Verwaltungsbusse» (amende purement administrative). Pour une présentation détaillée de la terminologie en allemand, voir LOCHER, Verwaltungsrechtliche Sanktionen, p. 8 ss.

Voir LOCHER, Verwaltungsrechtliche Sanktionen, p. 90, avec référence à TAGMANN, Sanktionen, p. 85; ZELLER/HÜRLIMANN, Fernmelde- und Rundfunkrecht, p. 131, 136.

Pour une vue d'ensemble des opinions de la doctrine, voir LOCHER, Verwaltungsrechtliche Sanktionen, p. 91 s.

TSCHANNEN/ZIMMNERLI/MÜLLER, Allgemeines Verwaltungsrecht, § 32 no 40.

JAAG, Sanktionen, p. 17 LOCHER, Verwaltungsrechtliche Sanktionen, p. 89.

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Cependant, l'analyse des sanctions administratives pécuniaires réglées par le droit fédéral fait apparaître une certaine structure. Pour simplifier, on entend par là une réaction des autorités à une violation passée d'une prescription de droit administratif, consistant à faire payer un montant à la partie dans le cadre d'une procédure administrative. Cette définition approximative sert de base aux réflexions qui suivent.

Les amendes prévues en droit disciplinaire s'apparentent aux sanctions administratives pécuniaires19, mais à la différence de la majorité de ces dernières, elles frappent les personnes physiques. Elles sont notamment utilisées dans le domaine des activités liées à la personne et soumises à autorisation (professions dites libérales). Il en sera fait abstraction dans les analyses qui suivent. En outre, il convient d'exclure également les «amendes», les «amendes d'ordre» et les «peines pécuniaires» qui relèvent du droit pénal et de la procédure pénale (administrative). Pour les questions de délimitation, voir ch. 2.4.

2.2

Situation en droit fédéral

Treize actes de droit fédéral prévoient la possibilité de sanctions administratives pécuniaires au sens de la définition approximative présentée au ch. 2.1. Le tableau ciaprès récapitule les dispositions concernées.

Source

Comportement sanctionné (faits)

Art. 122a de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI) Art. 122b LEI

Violation du devoir de diligence concernant le contrôle des documents de voyage, visas et titres de séjour par l'entreprise de transport aérien.

Violation de l'obligation de communiquer les données des passagers par l'entreprise de transport aérien.

Art. 12 de la loi sur l'échange des déclarations pays par pays (LEDPP) Art. 100 de la loi sur les jeux d'argent (LJAr) Art. 109 LJAr

19

Paiement d'un montant de 4000 francs par passager (16 000 francs dans les cas graves).

Paiement d'un montant de 4000 francs par vol (12 000 francs dans les cas graves).

Omission de la déclaration pays par Paiement d'un montant de pays dans le délai prescrit par la personne 200 francs par jour, morale («entité déclarante»).

jusqu'à concurrence de 50 000 francs au total.

Contravention commise par la maison de Paiement d'un montant jeu aux dispositions légales, à la concespouvant aller jusqu'à 15 % sion ou à une décision ayant force de chose du produit brut des jeux jugée.

réalisé au cours du dernier exercice.

Contravention commise par l'exploitant de Paiement d'un montant jeux de grande envergure aux dispositions pouvant aller jusqu'à 15 % légales ou à une décision ayant force de du produit brut des jeux chose jugée.

réalisé au cours du dernier exercice.

DIEBOLD/RÜTSCHE/KELLER, Marktaufsicht, p. 68.

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Sanction administrative pécuniaire (conséquence juridique)

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Source

Comportement sanctionné (faits)

Art. 40asexies de la loi Infraction au devoir d'accorder un accès sur les chemins de fer non discriminatoire au réseau ferroviaire; (LCdF) infraction à une réglementation consensuelle, à une décision de l'autorité de surveillance (RailCom) ou à un arrêt d'une instance de recours Art. 9 de la loi Infraction commise par l'entreprise à cersur les travailleurs taines dispositions de la LDét.

détachés (LDét) Art. 60 de la loi Contravention commise par l'entreprise au sur les télécommuni- droit applicable, à la concession ou à une cations (LTC) décision entrée en force.

Sanction administrative pécuniaire (conséquence juridique)

Paiement d'un montant dépendant du chiffre d'affaires ou pouvant aller jusqu'à 100 000 francs.

Paiement d'un montant de 30 000 francs au maximum.

Paiement d'un montant pouvant aller jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires moyen des trois derniers exercices.

Art. 35a de la loi sur Toute violation de la LGG, de ses disposi- Paiement d'une somme le génie génétique tions d'exécution ou des décisions qui en pouvant aller jusqu'à (LGG) découlent.

10 000 francs ou jusqu'au montant de la recette brute des produits mis illégalement en circulation.

Art. 59, al. 1, let. c, Manquements du fournisseur de prestaAmende de la loi sur l'assutions aux exigences relatives au caractère rance-maladie économique et au développement de la (LAMal) qualité des prestations Art. 49a de la loi sur Restriction illicite à la concurrence Paiement d'un montant les cartels (LCart) commise par une entreprise.

pouvant aller jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires moyen des trois derniers exercices.

Art. 50 LCart Contravention commise par une entreprise Paiement d'un montant à un accord amiable, à une décision exécu- pouvant aller jusqu'à 10 % toire prononcée par les autorités en matière du chiffre d'affaires de concurrence ou à une décision rendue moyen des trois derniers par une instance de recours.

exercices.

Art. 51 LCart Réalisation d'une concentration interdite Paiement d'un montant de ou non-mise en oeuvre d'une mesure desti- 1 million de francs au plus née à rétablir une concurrence efficace.

ou en cas de récidive, d'un montant de 10 % au plus du chiffre d'affaires total réalisé par l'ensemble des entreprises participantes.

Art. 52 LCart Manquement d'une entreprise à Paiement d'un montant de l'obligation de renseigner ou de produire 100 000 francs au plus.

des documents.

Art. 169, al. 1, Toute violation de la LAgr, de ses Paiement d'un montant de let. h, de la loi sur dispositions d'exécution ou des décisions 10 000 francs au plus.

l'agriculture (LAgr) qui en découlent par les entreprises, y compris les entreprises individuelles.

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Source

Comportement sanctionné (faits)

Sanction administrative pécuniaire (conséquence juridique)

Art. 171a LAgr

Opérations de compensation réalisées sur le marché des produits et moyens de production agricoles par des entreprises ayant une position dominante, qui lient la prise en charge de marchandises et de services à prix surfait à la conclusion du contrat.

Non-détention des réserves minimales prescrites.

Sanctions prévues aux art. 49a ou 50 LCart.

Art. 23 de la loi sur la Banque nationale (LBN)

Art. 25 de la loi sur la poste (LPO)

Art. 90 de la loi sur la radio et la télévision (LRTV)

Versement des intérêts sur le montant manquant; le taux d'intérêt peut dépasser de 5 points au maximum le taux appliqué sur le marché monétaire aux crédits interbancaires.

Contravention commise par le prestataire Paiement d'un montant de services postaux à la LPO, aux disposi- pouvant aller jusqu'à 10 % tions d'exécution ou à une décision entrée du chiffre d'affaires en force (y compris les entreprises indivi- moyen des trois derniers duelles).

exercices.

Contravention à une décision entrée en Paiement d'un montant force de l'autorité de surveillance ou de pouvant aller jusqu'à 10 % l'autorité de recours, contravention grave du chiffre d'affaires à une disposition de la concession ou moyen des trois derniers contravention à d'autres dispositions de la exercices.

LRTV commise par une personne morale ou, théoriquement, par une personne physique (diffuseur, exploitant d'un réseau câblé, organisateur d'événements publics ou d'événements d'importance majeure pour la société, etc.)

L'examen de ces dispositions montre qu'elles n'ont pas toutes la même pertinence pour l'exécution. Ainsi, en ce qui concerne les dispositions de la LCart, de la LDét, de la LJAr, de la LPO, de la LTC et de la LAgr, il existe une pratique des autorités ou une jurisprudence qui a pu être prise en compte dans l'analyse qui suit. En revanche, d'autres dispositions sont entrées en vigueur récemment (par ex. art. 12 LEDPP et art. 40asexies LCdF20), ou l'expérience en matière d'application est limitée pour d'autres raisons (art. 122a et 122b LEI21, art. 35a LGG22), et elles ne sont donc abordées que marginalement. Enfin, certaines dispositions portent sur des domaines trop spécialisés pour une généralisation et sont donc exclues (art. 59, al. 1, let. c, LAMal23, art. 23, al. 1, LBN24). Il en va de même pour les dispositions isolées dont la classification n'est pas tout à fait claire. Il y a des cas limites en droit des assurances sociales (art. 14bis de la loi fédérale du 20 décembre 1946 sur l'assurance-vieillesse et survivants [LAVS] 25, art. 92, al. 2 et 95 de la loi fédérale du 20 mars 1981 sur l'assurance-

20 21 22 23 24 25

RS 742.101 RS 142.20 RS 814.91 RS 832.10 RS 951.11 RS 831.10

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accidents [LAA]26). La terminologie usuelle n'est pas celle qui est utilisée dans ces dispositions (Sanktion, Belastung), mais leurs conséquences juridiques sont néanmoins assimilables à celles d'une sanction administrative pécuniaire27. Parce que les objectifs visés en droit des assurances sociales sont différents (ils visent principalement la protection de la communauté d'assurance face à son utilisation sans cause légitime28) mais aussi en raison des règles de procédure particulières29, ces dispositions sont peu adaptées pour servir de modèle à un système général de sanctions administratives pécuniaires. Enfin, les dispositions (art. 12, 21, 28 et 32) de la loi du 29 décembre 2011 sur le CO230 ne sont pas prises en considération31.

2.3

Caractéristiques essentielles de la sanction administrative pécuniaire

Les caractéristiques essentielles de la sanction administrative pécuniaire qui sont réglées dans le droit administratif fédéral en vigueur peuvent être décrites comme suit

26 27 28 29 30 31

32

­

Objet: L'instrument de la sanction administrative pécuniaire a pour objet les conséquences juridiques des violations des règles de comportement de droit administratif.

­

Champ d'application et destinataires: Les sanctions administratives pécuniaires relèvent principalement du domaine de la surveillance économique, et s'adressent aux entreprises de droit privé ou de droit public et concernent les personnes morales dans la plupart des cas32. Selon le champ d'application de la loi spéciale, elles peuvent aussi viser les personnes (physiques) privées

RS 832.20 Voir arrêt du TAF C-640/2008 du 18 août 2009, consid. 4.2.4 ad art. 92, al. 3, LAA; similaire GÄCHTER/GERBER, BSK-UVG, no 110 ss ad art. 92 LAA.

ATF 134 V 315, consid. 4.5.1.1.

Art. 34 ss en rel. avec art. 55, al. 1 de la loi fédérale du 6 octobre 2000 sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA; RS 830.1).

RS 641.71 Les articles mentionnés règlent les mesures de compensation des importateurs de véhicules ou des exploitants d'aéronefs en cas de dépassement des limites légales d'émission de CO2 etc. Ces dispositions auraient dû être modifiées si la loi sur le CO2 n'avait pas été rejetée, voir message relatif à la révision totale de la loi sur le CO2 pour la période postérieure à 2020 du 1er décembre 2017, FF 2018 229, 310; avis divergent en ce qui concerne l'art. 32, voir BALLY/BURKHARDT/NÄGELI, Kommentar zum Energierecht, vol II, art. 32 no 18 ss.

Par ex. entreprises au sens de la LCart (art. 49a LCart), entreprises de transport aérien (art. 122a et 122b LEI), maisons de jeu titulaires de la concession (art. 100 LJAr), prestataires de services postaux (art. 25 LPO), etc. Pour la question du destinataire de la sanction, voir aussi LOCHER, Verwaltungsrechtliche Sanktionen, p. 90.

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exerçant une activité faisant l'objet d'une réglementation spécifique33. Toutefois, selon le droit fédéral en vigueur, elles ne s'adressent généralement pas aux personnes qui n'exercent pas d'activité réglementée au sens d'une loi spéciale (par ex. consommateurs, passagers aériens, employés). Pour simplifier, on peut donc les considérer comme des sanctions touchant les entreprises. Il existe souvent déjà une relation de droit administratif avec l'entreprise concernée (résultant par ex. d'une concession ou d'une autorisation d'exploitation) ou celle-ci fait l'objet d'une surveillance officielle (par ex. dans le cadre d'une obligation d'annoncer). Selon la terminologie du droit pénal, ce ne sont donc pas des délits communs que quiconque peut commettre (Jedermannsdelikte), mais des délits spéciaux.

Relevons que les décisions en matière de sanctions administratives pécuniaires ne visent pas les organes des personnes morales ni les employés des entreprises. Les obligations de comportement n'incombent pas directement à ces derniers, mais à l'entreprise. Cependant, les relations entre l'entreprise concernée par la procédure, d'une part, et les organes et les collaborateurs, d'autre part, posent de nombreuses questions juridiques (ch. 5.2).

­

33

34 35

Objectifs: Les sanctions administratives pécuniaires servent à atteindre des objectifs généraux en matière de réglementation (par ex. à éviter des effets nuisibles des cartels et d'autres restrictions à la concurrence) et à faire respecter les obligations découlant du droit administratif (par ex. le respect des mesures de protection sociale par les maisons de jeu)34. Les sanctions administratives pécuniaires servent en premier lieu à annuler a posteriori le succès économique des pratiques commerciales lucratives mais illicites et à promouvoir ainsi un comportement conforme aux objectifs du législateur35. Il s'agit

Exemples: les personnes qui enfreignent le droit des télécommunications dans l'exercice de leur activité entrepreneuriale sont soumises aux sanctions au sens de l'art. 60 LTC (message relatif à la modification de la loi sur les télécommunications, p. 7283). Les particuliers qui n'exploitent pas une entreprise en la forme commerciale, comme les radios amateurs par exemple, ne sont en revanche par touchés par cette disposition. Dans le domaine de la législation sur la radio et la télévision, les sanctions administratives pécuniaires peuvent viser tant les personnes morales (diffuseurs) que d'autres destinataires, notamment les organisateurs d'événements sportifs qui refusent de fournir un extrait lors d'événements publics (voir art. 90, al. 1, let. e, LRTV et message relatif à la révision totale de la loi fédérale sur la radio et la télévision, p. 1503) et peuvent avoir un intérêt financier considérable à le faire. Dans le domaine de la législation sur les travailleurs détachés, les sanctions administratives pécuniaires peuvent être prononcées en vertu de l'art. 9, al. 2, let. f, LDét contre les employeurs privés de travailleurs de l'économie domestique (voir ordonnance du 20 octobre 2010 sur le contrat type de travail pour les travailleurs de l'économie domestique [CTT économie domestique], RS 221.215.329.4).

Si leur activité n'est pas entrepreneuriale, ils sont concernés en qualité d'employeurs. La situation est comparable dans le domaine agricole: la disposition relative aux sanctions s'applique aux personnes concernées par chaque acte spécial (art. 169, al. 1, let. h, LAgr).

Le cercle des destinataires n'est pas ouvert à «quiconque», mais limité aux entreprises (agricoles) liées par une relation de droit administratif au sens de la LAgr engagée par le paysan, le commerçant, etc. Les personnes privées qui n'exercent pas d'activité relevant du droit agricole ne sont pas concernées.

ZELLER/HÜRLIMANN, Fernmelde- und Rundfunkrecht, p. 128.

Message relatif à la révision totale de la loi fédérale sur la radio et la télévision, p. 1503.

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donc d'influencer le comportement des entreprises susceptibles d'être sanctionnées36. La menace de devoir payer un montant a pour but d'inciter les destinataires à respecter le droit et de les dissuader de commettre d'autres infractions37. D'après certains auteurs de doctrine, cet instrument sert à atteindre des objectifs de prévention tant spécifiques que généraux38.

36 37 38 39 40

41

42

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Effets: Les sanctions administratives pécuniaires ont des caractéristiques répressives, car elles portent sur un comportement passé non conforme39.

D'après le Tribunal fédéral, elles ont donc à la fois un caractère préventif, pénal et répressif40. Ces caractéristiques ainsi que les montants élevés dont il est question sont par ailleurs les raisons qui expliquent pourquoi les sanctions administratives pécuniaires entrent en règle générale dans le champ d'application des garanties de procédure pénale du droit supérieur (voir ch. 3 à ce sujet). On peut mettre en question l'effet éducatif ou dissuasif d'une sanction qui ne frappe pas les personnes physiques41. Il convient d'ajouter que les sanctions administratives pécuniaires n'ont aucun effet restitutoire ou exécutoire direct. Elles ne permettent pas d'éliminer directement les faits à l'origine de la sanction. Elles doivent donc être prononcées en combinaison avec d'autres mesures administratives relevant du droit de la surveillance (voir ch. 4.4.4).

­

Possibilité de sanctionner directement les entreprises: Si une entreprise viole ses obligations, elle est passible d'une sanction administrative pécuniaire.

L'idée de responsabilité directe des entreprises sous-tend également les prétentions de droit civil en cas de violation de contrat ou d'action en dommagesintérêts. L'autorité n'a pas besoin de prouver qu'une personne physique a enfreint la loi pour sanctionner l'entreprise; il suffit de prouver que l'état de fait objectif est réalisé. Cette solution tient compte de l'organisation complexe du travail, qui rend souvent impossible la mise en évidence de la faute d'une personne physique particulière lorsque c'est l'entreprise qui a commis l'infraction42. Par contre, la question de savoir s'il doit y avoir faute de la part de l'entreprise suscite une controverse (voir ch. 4.3).

­

Conséquence juridique: La conséquence juridique de la violation d'une règle de comportement consiste à l'imputation d'un montant (Belastung), qui est le plus souvent défini en fonction du chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise RIEDO/NIGGLI, Verwaltungsstrafrecht, Teil 1, p. 49.

DIEBOLD/RÜTSCHE/KELLER, Marktaufsicht, p. 68.

DIEBOLD/RÜTSCHE/KELLER, Marktaufsicht, p. 68 KARLEN, Verwaltungsrecht, p. 474.

TAGMANN, Sanktionen, p. 81 s.; au sujet des instruments répressifs en général JAAG, Sanktionen, p. 13.

Voir au sujet des dispositions relatives aux sanctions dans le domaine des jeux d'argent ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.2.2; concernant le droit des cartels ATF 139 I 72 Publigroupe, consid. 2; DIEBOLD/RÜTSCHE/KELLER, Marktaufsicht, p. 68; KARLEN, Verwaltungsrecht, p. 474.

Message concernant la loi fédérale sur le traitement fiscal des sanctions financières, p. 8264; Rapport du Conseil fédéral sur la réforme de la peine privative de liberté à vie pour les infractions particulièrement graves, p. 10 et les références citées. Par ailleurs, il n'a pas été possible de prouver à ce jour le véritable effet dissuasif des dispositions pénales, voir WIPRÄCHTIGER/KELLER, BSK-StGB, no 73 ad art. 47 CP; KILLIAS/KUHN/AEBI, Grundriss, no 1006 ss, 1037.

KARLEN, Verwaltungsrecht, p. 474.

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(par ex. art. 49a LCart). Certaines lois spéciales prévoient aussi des montants fixes par infraction (par ex. art. 122a LEI). Les montants élevés ou très élevés prévus par les lois spéciales servent à garantir l'efficacité des sanctions administratives pécuniaires. La sanction la plus sévère prononcée dans le domaine du droit des cartels s'est par exemple élevée à 186 millions de francs43.

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Rapport avec les autres instruments d'exécution: Les sanctions administratives pécuniaires sont en règle générale un instrument moins sévère que le retrait de l'autorisation ou de la concession prévu dans le domaine de la surveillance du marché44. En outre, leur exécution ne peut passer que par la poursuite pour dettes, la faillite de l'entreprise concernée est exclue (voir art. 40 PA en relation avec l'art. 43, ch. 1, de la loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite [LP]45). Une sanction administrative pécuniaire ne représente donc normalement pas une menace existentielle pour l'entreprise. Nous renvoyons aux ch. 2.4 et 4.4.4 pour davantage d'informations au sujet de la distinction et des rapports entre les sanctions administratives pécuniaires et les autres instruments d'exécution.

­

Influence du droit européen: Les dispositions relatives aux sanctions administratives pécuniaires prévues dans les domaines des travailleurs détachés et des étrangers46 relèvent du champ d'application des règles de l'UE en vertu des accords bilatéraux. En sa qualité d'État associé47 et conformément à l'acquis de Schengen, la Suisse a introduit des sanctions dissuasives contre les transporteurs qui font entrer sur son territoire, par voie aérienne ou maritime, des ressortissants de pays tiers ne disposant pas des documents de voyage requis48.

Lors de l'application, l'autorité doit prendre en considération tant les garanties prévues en matière de procédure pénale par le droit supérieur (Cst., CEDH) que le droit européen repris.

ATF 146 II 217 Swisscom ADSL. Les montants parfois élevés infligés dans les procédures de droit des cartels s'expliquent notamment par le fait que la LCart ne prévoit pas de disposition séparée sur la confiscation du produit des activités illicites (voir par contre notamment les art. 56 LJAr, 58, al. 2, let. b, LTC ou 24, al. 2, let. e, LPO).

DIEBOLD/RÜTSCHE/KELLER, Marktaufsicht, p. 64.

RS 281.1. Ce régime fait actuellement l'objet d'un examen dans le cadre des débats parlementaires concernant le projet de loi fédérale sur la lutte contre l'usage abusif de la faillite (FF 2019 4977, 4999).

Voir art. 9 LDét et 122a et 122b LEI.

Message portant approbation et mise en oeuvre de l'échange de notes entre la Suisse et l'Union européenne concernant la reprise du code frontières Schengen et relatif aux modifications du droit des étrangers et du droit de l'asile en vue de la mise en oeuvre totale de l'acquis de Schengen et Dublin déjà repris, p. 7454.

Voir art. 26, al. 2, de la Convention d'application de l'accord de Schengen (CAAS) en relation avec l'art. 4 de la directive 2001/51/CE du Conseil du 28 juin 2001 visant à compléter les dispositions de l'art. 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985, JO L 187 du 10.7.2001, p. 45, et arrêt du TAF A-597/2019 du 27 janvier 2020 consid. 3.2 ­ Swiss I.

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2.4

Distinction par rapport à d'autres instruments d'exécution

Hormis les sanctions administratives pécuniaires, l'ordre juridique connaît une large palette d'instruments qui servent également à faire respecter les obligations de droit administratif. Les sanctions administratives pécuniaires s'en distinguent comme suit:

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Les mesures administratives d'effet exécutoire49 ou restitutoire50 servent à protéger contre des menaces ou à rétablir l'ordre juridique administratif. À la différence des sanctions administratives pécuniaires, elles n'ont pas d'effet répressif ou préventif, ni de visée punitive51. La question de l'applicabilité des garanties pénales de droit supérieur ne se pose donc en principe pas dans le cadre des procédures relatives aux mesures administratives. Ces dernières ne font pas l'objet de la présente analyse.

­

Les mesures disciplinaires sont dirigées contre des personnes physiques qui entretiennent un rapport de droit spécial avec l'État (par ex. militaires, étudiants, employés du service public, etc.) ou qui sont assujetties à une surveillance particulière de l'État (par ex. membres des professions libérales tels que les avocats ou les personnes exerçant une profession médicale)52. Ces mesures ressemblent aux sanctions administratives pécuniaires, dont les destinataires, le plus souvent des entreprises, se trouvent généralement aussi dans une relation de droit administratif avec les autorités ou sont soumis à une surveillance53. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, elles ont un caractère administratif et non rétributif, dans la mesure où elles servent à maintenir le bon ordre et non à redresser des torts54. Conformément à la pratique constante des tribunaux55 et à la doctrine56, elles sont en principe exclues du champ d'application des garanties prévues en matière de procédure pénale par le droit supérieur. Le cas de l'imposition de lourdes amendes est éventuellement réservé57, de même que des situations dans lesquelles des amendes disciplinaires (prononcées dans une procédure séparée) atteignent un certain montant Exemples: poursuite pour dettes de droit public, exécution (anticipée) par substitution et mesures de contrainte directes telles que la fermeture d'une entreprise pour violation des prescriptions sanitaires. Voir par ex. HÄFELIN/MÜLLER/UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, no 1442, 1478 ss; LOCHER, Verwaltungsrechtliche Sanktionen, no 53 ss; TANQUEREL, Droit administratif, no 1184 ss, 1173.

Exemple: révocation d'une autorisation si les conditions d'autorisation ne sont plus remplies. Il ne s'agit pas forcément d'un comportement répréhensible de la personne concernée. Voir par ex. TANQUEREL, Droit administratif, no 1197 ss.

JAAG, Sanktionen, p. 561.

TSCHANNEN/ZIMMERLI/MÜLLER, Verwaltungsrecht, § 32 no 46 ss; HÄFELIN/MÜLLER/UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, no 1505 s.; JAAG, Sanktionen, p. 572 s.; TANQUEREL, Droit administratif, no 1223 ss.

Voir DIEBOLD/RÜTSCHE/KELLER, Marktaufsicht, p. 68.

ATF choisi parmi de nombreux autres: ATF 128 I 346, consid. 2.2.

Arrêt du Tribunal fédéral 2C_407/2008 du 23 octobre 2008, consid. 3.5; ATF 128 I 346, consid. 2.3; 121 I 379 consid. 3c/aa;
sur l'ensemble de la problématique, HERZOG, Art. 6 EMRK, p. 201 ss, 255 s, 304 s.

Auteurs choisis parmi de nombreux autres: TSCHANNEN/ZIMMERLI/MÜLLER, Verwaltungsrecht, § 42 no 47 et, pour une analyse détaillée de la problématique, WALDMANN, Disziplinarwesen, p. 95 ss, notamment p. 119.

Voir ATF 128 I 346 consid. 2.3.

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et peuvent être converties en peine privative de liberté en cas d'impossibilité de recouvrement58.

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Lorsqu'une autorité administrative retire à la personne ayant un comportement répréhensible les avantages qu'elle lui a auparavant accordés (par ex.

autorisation d'exercer une profession ou d'exploiter un établissement) ou qu'elle ne les lui accorde même pas, il s'agit de désavantages juridiques de nature administrative59. Leur classification juridique ne fait pas l'unanimité dans la doctrine60. Dès lors qu'il ne s'agit pas du paiement d'un montant au sens de la sanction administrative pécuniaire, il en est fait abstraction dans la présente analyse. En outre, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, notamment l'interdiction d'exercer une profession au titre du droit de surveillance n'est pas considérée comme une accusation en matière pénale au sens de l'art. 6 CEDH, en dépit de son effet répressif61. Conformément à la jurisprudence actuelle de la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH), les mesures de ce type, qui ne visent pas en premier lieu à redresser un tort, mais à (r)établir la confiance du public dans une profession déterminée, ne tombent pas dans le champ d'application des garanties prévues par la CEDH en matière de procédure pénale62.

­

Les peines administratives sont des instruments dont l'effet est à la fois répressif et préventif tels que l'amende, la peine pécuniaire ou la peine privative de liberté. Sur le plan de la systématique, elles sont toujours inscrites dans une section spécifique de la loi. Elles s'adressent en règle générale aux personnes physiques63 et ressemblent par certains aspects aux sanctions administratives pécuniaires. Les deux instruments diffèrent toutefois, notamment quant au droit applicable en matière de procédure (voir ch. 2.5).

Voir arrêts de la CourEDH Weber c. Suisse du 22 mai 1990 (requête no 11034/84), série A, vol. 177, § 34; O'Halloran et Francis c. Royaume-Uni du 29 juin 2007, Grande Chambre (requêtes nos 15809/02 et 25624/02), recueil CourEDH 2007-III, § 60.

TSCHANNEN/ZIMMERLI/MÜLLER, Verwaltungsrecht, § 32 no 39 ss; HÄFELIN/MÜLLER/UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, no 1520 ss.

LOCHER, Verwaltungsrechtliche Sanktionen, no 48 et 72 ss; WIEDERKEHR/RICHLI, Verwaltungsrecht, § 7 no 3165 ss; voir aussi MOOR/POLTIER, Droit administratif: vol. II, ch. 1.4.3; TANQUEREL, Droit administratif, no 1191.

Voir ATF 142 II 243 consid. 3.4 pour l'interdiction d'exercer au sens de l'art. 33 de la loi sur la surveillance des marchés financiers (LFINMA, RS 956.1).

Selon la CourEDH, de telles mesures s'adressent aux professionnels déterminés ayant un statut particulier, et l'interdiction d'exercer n'a donc pas le même effet répressif et dissuasif qu'une sanction pénale; voir arrêt de la CourEDH Rola c. Slovénie du 4 juin 2019 (requêtes nos 12096/14 et 39335/16), § 54, 56 s, 64, 66, avec renvoi aux arrêts de la CourEDH Müller-Hartburg c. Autriche du 19 février 2013 (requête no 47195/06), § 44 s et Biagioli c. Saint-Marin du 13 septembre 2016 (requête no 64735/14), § 54 ss; autre avis: GRAF, Strafrechtlicher Umgang, p. 46.

Voir par ex. art. 6 DPA.

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2.5

Droit de procédure applicable

En raison de la nature particulière des sanctions administratives pécuniaires, la question du droit de procédure applicable se pose. On peut envisager soit la procédure administrative, soit la procédure pénale (administrative), sans oublier que selon la jurisprudence constante de la CourEDH, les États parties sont libres de choisir la loi de procédure selon laquelle il faut prononcer les sanctions administratives considérées comme une accusation en matière pénale au sens de la CEDH, pour autant que les garanties prévues à l'art. 6 CEDH soient respectées.

En ce qui concerne le droit des cartels et des jeux d'argent, le Tribunal fédéral a jugé que la procédure de sanctions relevait de la PA64. Ni la loi du 22 mars 1974 sur le droit pénal administratif (DPA)65, ni le code de procédure pénale (CPP)66 ne sont donc applicables dans ces domaines. La procédure administrative fait toutefois l'objet d'adaptations lorsque la procédure tombe dans le champ d'application de l'art. 6 CEDH67, comme c'est régulièrement le cas pour les sanctions administratives pécuniaires (voir ch. 3). Selon la jurisprudence, cela signifie qu'il faut interpréter les règles de la procédure administrative régissant les décisions en matière de ces sanctions à la lumière des garanties conventionnelles et constitutionnelles de droit pénal et les adapter en cas de conflit68.

On peut supposer que la jurisprudence concernant les procédures de sanction en droit des cartels et des jeux d'argent peut être transposée au domaine des sanctions administratives pécuniaires dans la mesure où l'exécution incombe à la Confédération.

C'est donc en principe la PA qui est applicable, comme le prévoient explicitement certaines lois spéciales69.

Les dispositions des lois spéciales qui règlent la procédure plus en détail sont réservées (voir art. 4 PA). Le législateur compétent en la matière peut ainsi adopter des dispositions complémentaires de procédure dans les secteurs spéciaux, comme il l'a fait ponctuellement pour les sanctions administratives pécuniaires. Cependant, il ne

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69

Voir ATF 146 II 217 Swisscom ADSL, consid. 8.5.3, ATF 140 II 384 Spielbank, consid.

3.3.1 et les références citées; voir également arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 649 ss, notamment 652. Certains auteurs de la doctrine concernant le droit des cartels estiment que la procédure administrative est applicable aux sanctions administratives pécuniaires (par ex. ZIRLICK/TAGMANN, BSK-KG, no 7c et 40 ad art. 27 LCart), alors que d'autres postulent l'applicabilité du code pénal ou du droit pénal administratif (voir NIGGLI/RIEDO, Verwaltungsstrafrecht, partie 2, p. 52; NIGGLI/RIEDO, BSK-KG, no 50 ss ad intro. art. 49a à 53 LCart).

RS 313.0 RS 312.0 Voir ATF 146 II 217 Swisscom ADSL, consid. 8.5.3, avec renvoi à l'ATF 139 I 72 Publigroupe, et arrêt du Tribunal fédéral 2C_1065/2014 du 26 mai 2016, consid. 8.

Voir ATF 146 II 217 Swisscom ADSL, consid. 8.5.3, ATF 140 II 384 Spielbank, consid.

3.3.1 et les références citées; voir également arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 649 ss, notamment 652. Les garanties conventionnelles et constitutionnelles de droit pénal doivent aussi être respectées dans les procédures menées selon le droit de procédure cantonal.

Voir par ex. art. 39 LCart et 122c, al. 3, LEI.

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devrait alors pas déroger sans nécessité au régime général de la procédure administrative70. Quant aux dispositions de droit fédéral dont l'exécution incombe aux cantons, comme la LDét, c'est le droit de procédure cantonal qui est applicable, sous réserve des exigences fixées par la loi spéciale.

2.6

Conclusion intermédiaire

La sanction administrative pécuniaire est principalement un instrument de droit de la surveillance économique servant à l'application du droit administratif dans le domaine des marchés réglementés et permettant de priver rétroactivement de succès économique des pratiques commerciales lucratives mais illicites et de promouvoir ainsi un comportement conforme aux objectifs.

Treize actes législatifs fédéraux prévoient des sanctions administratives pécuniaires.

Les dispositions permettent d'ordonner le paiement de montants parfois élevés ou très élevés. L'instrument présente des caractéristiques répressives et vise un effet préventif à la fois spécial et général.

Les sanctions administratives pécuniaires sont ordonnées sous la forme de décisions sujettes à recours en application de la PA. Si la procédure tombe dans le champ d'application de l'art. 6 CEDH ou 32 Cst., il faut interpréter les règles de la procédure administrative régissant les décisions de sanctions à la lumière des garanties conventionnelles et constitutionnelles de droit pénal et les adapter en cas de conflit. Ces garanties offrent une protection plus étendue de la partie que le droit administratif, ce qui soulève différentes questions juridiques dans la pratique; elles feront l'objet des chapitres qui suivent.

3

Garanties de droit supérieur

Les droits fondamentaux des parties concernées par une sanction administrative pécuniaire reposent sur un ensemble normatif comprenant non seulement les droits fondamentaux découlant de la Constitution, mais également les garanties de la protection internationale des droits de l'homme. Les exigences en matière de procédure pénale fixées par la CEDH et son protocole additionnel no 7 revêtent une grande importance dans le présent contexte (ch. 3.1). S'y ajoutent les droits fondamentaux généraux de procédure, les garanties de procédure pénale et les principes de l'État de droit de la Constitution (ch. 3.2). Enfin, il s'agit d'examiner les conditions auxquelles les garanties de droit supérieur doivent être prises en compte dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires (ch. 3.3 ss).

70

Pour l'ensemble de la problématique, voir TSCHANNEN, VwVG-Kommentar, no 5 ss ad art. 4 PA.

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3.1

Garanties au sens des art. 6 et 7 CEDH et 2 et 4 du protocole 7 CEDH

Les art. 6 et 7 CEDH et 2 et 4 de son protocole additionnel no 7 (protocole 7 CEDH)71 établissent des exigences en matière de procédure pénale. L'art. 6 CEDH garantit le droit à un procès équitable. Selon la jurisprudence de la CourEDH, il couvre notamment le droit de ne pas s'auto-incriminer (nemo tenetur), la présomption d'innocence (in dubio pro reo) et le droit d'accès à un tribunal, ainsi que le droit d'être entendu, le droit à la tenue de débats publics, le droit au prononcé public du jugement, le droit d'être jugé dans un délai raisonnable, le droit à la défense et le droit à l'assistance gratuite d'un interprète.

L'art. 7 CEDH consacre le principe nullum crimen, nulla poena sine lege, qui implique notamment la réserve de la loi et l'exigence de clarté et de précision de la base légale. En outre, l'art. 4 du protocole 7 CEDH garantit le droit à ne pas être poursuivi ou jugé deux fois en raison de la même infraction (ne bis in idem). Le droit à un double degré de juridiction en matière pénale est aussi inscrit à l'art. 2 du protocole 7 CEDH.

Ces garanties de procédure pénale s'appliquent en cas d'accusation en matière pénale.

Pour juger si une accusation revêt un caractère pénal au sens des art. 6 ou 7 CEDH, la CourEDH recourt aux «critères Engel»72. Ces critères s'appliquent alternativement et comprennent: (1) la qualification de l'état de fait en droit national; si l'infraction relève du droit pénal en vertu du droit national, l'art. 6 CEDH est en principe applicable; (2) la nature de l'infraction; la nature pénale de l'infraction est présumée si la disposition poursuit un but dissuasif et punitif, et si elle s'adresse non pas à un cercle restreint de destinataires, mais à tout un chacun, soit de manière générale et abstraite73; (3) la nature et la gravité de la sanction; la menace de sanction prévue dans la loi (peine maximale) est déterminante; la possibilité de convertir l'amende en une peine privative de liberté plaide également pour l'applicabilité de l'art. 6 CEDH74; 71 72

73 74

RS 0.101.07 Arrêt de la CourEDH Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976 (requêtes 5100/71; 5101/71;5102/71; 5354/72 et 537072), série A22, § 80 ss, confirmé en dernier lieu par l'arrêt de la CourEDH Rola c. Slovénie du 4 juin 2019 (requêtes 12096/14 et 39335/16), § 54 (concernant l'art. 6 CEDH) ainsi que l'arrêt de la CourEDH Zaja c. Croatie du 4 octobre 2016, (requêtes no 37462/09), § 86 (concernant l'art. 7 CEDH). Les éléments suivants peuvent être utiles pour rendre opérationnels les critères de la Cour: (1) l'imputabilité de l'infraction à la loi est évaluée lors du calcul du montant de la sanction (faute) (2) la sanction a un effet dissuasif et punitif (répression) (3) la sanction est en règle générale une réaction à une violation passée du droit. Il ne s'agit pas d'écarter un danger ou d'éliminer des perturbations; (4) la disposition enfreinte concerne tout un chacun et n'est pas limitée à un groupe déterminé de personnes ou à un rapport juridique particulier (prévention générale) (5) la sanction va plus loin que le rétablissement de l'état conforme au droit (plus qu'une simple restitution) (6) le montant de la sanction constitue une atteinte considérable aux droits (financiers) de l'intéressé.

Voir Meyer, EMRK Kommentar 2015, no 25 ad art. 6 CEDH; MEYERLADEWIG/HARRENDORF/KÖNIG, EMRK Handkommentar 2017, no 27 ad art. 6 CEDH.

Arrêt de la CourEDH, Weber c. Suisse du 22 mai 1990, (requête no 11034/84), série A177, § 34; MEYER-LADEWIG/HARRENDORF/KÖNIG, EMRK Handkommentar 2017, no 27 ad art. 6 CEDH.

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Les critères Engel ont conduit à une extension du champ de protection de l'art. 6 CEDH au-delà du noyau dur du droit pénal (code pénal [CP]75, droit pénal administratif). Les dispositions relatives aux sanctions administratives pécuniaires constituent un bon exemple à cet égard. En droit suisse, celles-ci relèvent du droit administratif et non du droit pénal. Cela étant, les garanties de procédure pénale peuvent leur être appliquées sur la base du deuxième ou du troisième critère Engel. Ce point sera traité en détail au ch. 3.3.

La notion d'accusation en matière pénale au sens de l'art. 6, par. 1, CEDH est déterminée par la CourEDH indépendamment du droit interne. L'interprétation autonome signifie que l'application de l'art. 6 CEDH ne présuppose pas une mise en accusation formelle. On entend par là que l'autorité compétente notifie officiellement à la personne concernée l'accusation d'avoir commis un acte punissable. Il y a également accusation dès lors que les actes des autorités compétentes en raison de soupçons qui pèsent contre la personne concernée ont des répercussions importantes sur sa situation76. Les garanties de procédure pénale prévues à l'art. 6 CEDH sont applicables si l'examen des critères Engel permet de conclure qu'il y a accusation en matière pénale au sens de l'art. 6 CEDH.

Il existe une peine au sens de l'art. 7 CEDH lorsque la sanction a été imposée à la suite d'une condamnation pour une infraction. D'autres critères peuvent également être jugés pertinents à cet égard, à savoir la nature et le but de la sanction, sa qualification en droit interne, les procédures associées à son adoption et à son exécution, ainsi que sa gravité ( critères «Welch»)77. Les garanties prévues à l'art. 7 CEDH sont applicables lorsque l'examen de ces critères permet de conclure à l'existence d'une peine au sens de l'art. 7 CEDH.

Quant à l'applicabilité de l'interdiction d'être poursuivi ou jugé deux fois pour la même infraction au sens de l'art. 4 du protocole 7 CEDH et donc, à l'interprétation de la notion de procédure pénale, il convient de recourir aux principes développés à propos des notions pertinentes mentionnées aux art. 6 et 7 CEDH; ainsi, les critères Engel font foi également dans ce cas78. Le droit à un double degré de juridiction prévu dans les affaires pénales (art. 2 du protocole 7
CEDH) vaut également en cas d'accusation en matière pénale au sens de l'art. 6 CEDH79.

Selon la pratique de la CourEDH, non seulement les personnes physiques, mais aussi les personnes morales et les sociétés de personnes, soit des entreprises, peuvent en principe faire valoir les garanties de procédure pénale de la CEDH80. Toutefois, du 75 76 77

78

79 80

RS 311.0 Arrêt de la CourEDH Ibrahim et autres c. Royaume-Uni du 13 septembre 2016, Grande Chambre (requête no 50541/ 08 et al.), recueil CourEDH 2016, § 249.

Arrêts de la CourEDH Welch c. Royaume-Uni du 9 février 1995 (requête no 17440/90), série A, vol. 307-A, § 28; G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie du 28 juin 2018, Grande Chambre (requête no 1828/06 et al.), § 211.

Arrêts de la CourEDH A. et B. c. Norvège du 15 novembre 2016, Grande Chambre (requêtes nos 24130/11 et 29758/11), recueil CourEDH 2016, § 105 ss; Zolotoukhine c. Russie du 10 février 2009 Grande Chambre (requête no 14939/03), recueil CourEDH 2009, § 52 s.

Arrêt de la CourEDH Kamburov c. Bulgarie du 23 avril 2009 (requête no 31001/02), § 22.

Arrêt de la CourEDH Grande Stevens et autres c. Italie du 4 mars 2014 (requête no 18640/10 et al.) SA-Capital Oy c. Finlande du 14 février 2019 (requête no 5556/10).

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moins selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, celles-ci ne sont pas forcément applicables de la même manière dans le cas des personnes morales que dans celui des personnes physiques81.

3.2

Garanties au sens des art. 29, 29a, 30 et 32 Cst.

La Constitution prévoit des droits fondamentaux généraux en matière de procédure (art. 29, 29a et 30), des garanties de procédure pénale (art. 32) et des principes de l'État de droit (art. 5) qui correspondent en grande partie aux garanties selon les art. 6 et 7 CEDH et 2 et 4 du protocole 7 CEDH. Ils doivent également être respectés dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires et lors de l'élaboration de ces procédures et des règles relatives aux sanctions administratives. Le fait qu'un tribunal suisse examine un recours contre une sanction sous l'aspect de la constitutionnalité ou de la conformité à la CEDH, ou sous les deux aspects, dépend également des garanties que fait valoir le recourant. L'interprétation des garanties constitutionnelles et celle des garanties découlant de la CEDH s'influencent mutuellement. La jurisprudence des tribunaux suisses se fonde en grande partie sur celle de la CourEDH82.

Les garanties consacrées par les art. 29, 29a, 30 et 32 Cst. doivent être envisagées dans un contexte global. Elles décrivent les exigences constitutionnelles auxquelles doivent répondre les procédures menées devant les tribunaux et les autorités administratives dans un État de droit. Elles reflètent non seulement la pratique créatrice du Tribunal fédéral concernant l'art. 4 de la Constitution de 1874 (aCst.), mais aussi l'influence de la CEDH et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte II de l'ONU)83 84.

81

82 83 84

­

L'art 29a Cst. garantit l'accès à une procédure judiciaire pour les litiges dans tous les domaines du droit. Cette garantie de l'accès au juge va plus loin que l'art. 6, par. 1, CEDH, vu qu'elle ne se limite pas aux «accusations en matière pénale» et aux «droits et obligations de caractère civil», mais englobe les litiges de droit public qui ne tombent pas dans le champ d'application de l'art. 6, par. 1, CEDH. Le législateur peut toutefois exclure l'accès au juge et limiter la garantie constitutionnelle des voies de droit dans des cas exceptionnels. Le cas échéant, l'accès à une procédure judiciaire reste garanti si le litige tombe dans le champ d'application de l'art. 6, par. 1, CEDH, qui a alors une portée plus grande que l'art. 29a Cst.

­

En référence aux différents éléments de l'art. 6, par. 1, CEDH, l'art. 29 Cst.

consacre le droit fondamental à une procédure équitable, celui au jugement Voir ATF 147 II 144, Boykott Apple Pay, consid. 5.2; ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.4. Pour la doctrine, voir par ex. VAN KEMPEN PIET HEIN, The Recognition of Legal Persons in International Human Rights Instruments: Protection Against and Through Criminal Justice?, in: Corporate Criminal Liability, 2011, p. 355­389, p. 372 s: «Indeed, the ECtHR's case law implies that these and other human rights accrue to legal persons but not necessarily under the same conditions as they apply to human beings.» Voir par ex. ATF 142 IV 207 Bankunterlagen, consid. 8.3.

RS 0.103.2 Voir STEINMANN, SGK-BV , no 1, 4 s ad art. 29 Cst.

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dans un délai raisonnable, celui d'être entendu et celui à l'assistance judiciaire gratuite et à l'assistance d'un conseil gratuite. Ces garanties s'appliquent non seulement aux procédures judiciaires, mais aussi aux procédures administratives. Sur ce point, la portée de ces garanties est donc plus large que celle de l'art. 6, par. 1, CEDH.

85 86 87 88 89 90

91

­

Les al. 1 et 3 de l'art. 30 Cst. fixent les exigences fondamentales pour les procédures relevant de l'art. 6, par. 1, CEDH (droit à un tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et impartial et à une audience et un prononcé du jugement publics). Depuis l'entrée en vigueur de la garantie de l'accès au juge le 1er janvier 2007, le champ d'application de l'art. 30 al. 1 et 3, Cst. a été étendu dans la mesure où les garanties concernées doivent aussi être respectées lors de l'appréciation judiciaire des litiges de droit public qui ne tombent pas dans le champ d'application de l'art. 6, par. 1, CEDH. Les garanties constitutionnelles s'appliquent à l'ensemble des procédures judiciaires de toutes les instances85. Dans les procédures pénales, la jurisprudence du Tribunal fédéral a par ailleurs étendu l'application de ces garanties aux décisions par lesquelles une autorité non judiciaire met fin à une procédure86: tel est le cas notamment des ordonnances pénales, du non-lieu au sens de l'art. 53 CP87 et des décisions de classement de la procédure88 rendues en première instance par le ministère public, ainsi que des mandats de répression prononcés par les autorités administratives de première instance en application de la DPA89.

Dans la mesure où les sanctions administratives pécuniaires peuvent relever d'une «accusation en matière pénale» au sens de l'art. 6, par. 1, CEDH, il y a lieu de considérer que cette jurisprudence peut également leur être appliquée90.

­

En référence à l'art. 6, par. 2 et 3, CEDH et 2 du protocole 7 CEDH, l'art. 32 Cst. fixe les garanties spécifiques concernant la procédure pénale. Comme dans le cas de l'art. 6 CEDH, leur applicabilité est déterminée selon les critères Engel, qui font foi non seulement dans le domaine du droit pénal fondamental, mais aussi notamment lors de l'imposition des sanctions administratives similaires au droit pénal (voir ch. 3.4)91. L'art. 32, al. 1 (présomption d'innocence) et 2, Cst. (droit à une défense effective) s'applique à l'ensemble de la procédure pénale (enquête pénale et procédure judiciaire). L'élément essentiel de la présomption d'innocence (le principe «in dubio pro reo» comme règle relative à l'appréciation des preuves et au fardeau matériel de la preuve) s'adresse en revanche principalement à l'instance appelée à statuer au moment du jugement, qui est en règle générale un tribunal, mais qui peut aussi être le STEINMANN, SGK-BV, no 10 ad art. 30 Cst., avec des références à la pratique.

Voir également à ce sujet: REICH, BSK-BV, no 52 ad art. 30 Cst.

ATF 137 I 16 consid. 2.3.

ATF 134 I 286 consid. 6.3.

ATF 124 IV 234 consid. 3, concernant un mandat de répression prononcé en première instance par l'OFAC.

La doctrine n'est cependant pas unanime sur la question de l'applicabilité directe de l'art. 30, al. 1 et 3, Cst. en procédure administrative. Voir notamment: HERZOG, Art. 6 EMRK, p. 333 ss.

ATF 139 I 72 Publigroupe, consid. 2.2.2.

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ministère public dans la procédure de l'ordonnance pénale ou l'autorité administrative dans la procédure pénale administrative92. En tant que règle relative au fardeau de la preuve, la présomption d'innocence a également des conséquences pour l'aménagement de la procédure visant à faire respecter les normes régissant les sanctions administratives similaires au droit pénal (renversement du fardeau de la preuve, présomptions légales). Ce principe s'adresse donc également au législateur. L'art. 32, al. 3, Cst. instaure une garantie des voies de droit plus étendue que celle prévue à l'art. 29a Cst.

3.3

Applicabilité des garanties dans le domaine des sanctions administratives pécuniaires

La procédure de sanctions administratives pécuniaires doit respecter les principes de l'État de droit et les droits fondamentaux généraux de procédure (ch. 3.2). À cet égard, elle ne diffère pas des autres procédures administratives. Elle présente toutefois une particularité: les garanties de procédure pénale de la CEDH et de la Constitution peuvent également s'appliquer. Ce sont les critères Engel qui déterminent si tel est le cas (ch. 3.1).

La CourEDH et les tribunaux suisses se sont déjà prononcés à plusieurs reprises sur l'applicabilité des garanties de procédure pénale dans le domaine des sanctions administratives pécuniaires.

92 93 94

95 96

­

Législation sur les cartels: dans l'arrêt Menarini Diagnostics S.R.L. c. Italie concernant une procédure cartellaire ayant abouti à une amende élevée, la CourEDH a statué que l'art. 6 CEDH est en principe applicable93. Le Tribunal fédéral considère également que les sanctions administratives au sens de l'art. 49a LCart tombent dans le champ d'application des garanties de procédure pénale94. Les garanties des art. 6 et 7 CEDH et celles de l'art. 32 Cst.

sont applicables à ces sanctions, qui sont considérées comme une accusation en matière pénale au sens de l'art. 6 CEDH.

­

Législation sur les jeux d'argent: en statuant sur la sanction administrative pécuniaire prévue par la loi sur les maisons de jeu95, désormais abrogée, le Tribunal fédéral a retenu que celle-ci présentait des parallèles avec les sanctions visées par l'art. 49a LCart96. Il a affirmé que la sanction a en principe un

Voir ATF 139 I 72 Publigroupe, consid. 4.5, en relation avec le consid. 8.3.

Arrêt de la CourEDH, Menarini Diagnostics S.R.L. c. Italie du 27 septembre 2011 (requête no 43509/08), § 44.

ATF 139 I 72 Publigroupe, consid. 2. Voir aussi ATF 144 II 194, consid. 5.1; 143 II 297, consid. 9.1; arrêt du Tribunal fédéral 2C_149/2018 du 4 février 2021 Médicaments hors liste, consid. 8.2; pour plus de détails, voir les arrêts du TAF B-831/2011 du 18 décembre 2018 SIX/DCC, consid. 1475 ss (non encore entré en force); B-807/2012 du 25 juin 2018 Strassen- und Tiefbau im Kt. Aargau/Erne, consid. 6.3 et B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon, consid. 5.5.2. s.

Voir art. 51 de la loi du 18 décembre 1998 sur les maisons de jeu, abrogée le 29 septembre 2017 (RO 2018 5103).

ATF 140 II 384 Spielbank.

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caractère préventif, mais aussi pénal et répressif. Il a donc conclu qu'elle entrait dans le champ d'application de l'art. 6 CEDH. On peut supposer qu'il en va de même pour les art. 100 et 109 LJAr.

­

Législation sur le trafic aérien: selon la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral, la sanction administrative pécuniaire s'adressant aux entreprises de transport aérien prévue à l'art. 122a LEI est considérée comme une accusation en matière pénale au sens de l'art. 6 CEDH97, vu son effet tant dissuasif que rétributif et la sévérité de la sanction.

­

Législation agricole: selon la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral, les garanties de procédure pénale prévues par la CEDH et par la Constitution doivent être respectées dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires qui se fondent sur l'art. 169, al. 1, let. h, LAgr98.

S'il n'existe pas de jurisprudence concernant l'applicabilité des garanties de procédure pénale dans le domaine des sanctions administratives pécuniaires prévues par la loi sur la poste (art. 25 LPO), par la loi sur les télécommunications (art. 60 LTC) et par la loi sur la radio et la télévision (art. 90 LRTV), les autorités compétentes dans ces domaines ont développé une pratique en la matière. La sanction administrative pécuniaire prévue par la loi sur l'échange des déclarations pays par pays (art. 12 LEDPP) n'a pas encore été appliquée depuis son entrée en vigueur en 2020, mais l'autorité d'exécution compétente part du principe que les garanties de procédure pénale sont applicables99. Il n'existe guère de pratique en matière de qualification des sanctions administratives pécuniaires prévues par la loi sur les travailleurs détachés (art. 9 LDét)100.

En ce qui concerne la majorité des sanctions administratives pécuniaires prévues par le droit en vigueur, on peut supposer que les garanties de procédure pénale sont applicables. Il n'y a pas de réponse concluante à cette question fondamentale pour les lois spéciales pour lesquelles il n'existe pas de jurisprudence pertinente des tribunaux fédéraux101.

Les ch. 4 et 5 traiteront des différentes garanties dans le contexte des sanctions administratives pécuniaires.

97

Arrêt du TAF A-597/2019 du 27 janvier 2020 Swiss International Airlines, consid. 4.3.2, confirmé par l'arrêt du TAF A-597/2020 du 23 février 2021, consid. 5.3.

98 Arrêt du TAF B-6592/2010 du 18 mars 2011, consid. 3.2.

99 La doctrine la considère comme une «peine» sans préciser sa nature juridique; voir HUBER MARKUS F. ET AL., Blickpunkt International, StR 74/2019, pp. 876­885, p. 884; DUSS FABIAN/DIETSCHI MARC, Dokumentationsvorschriften im Transfer Pricing, EF 9/17 p. 620.

100 Voir arrêt du Tribunal administratif du canton de Berne du 8 février 2016, in: JAB 2017, p. 255, consid. 3.2 ss, niant le caractère pénal de la sanction administrative prévue à l'art. 9, al. 2, let. a, LDét, notamment en raison du montant bagatelle à payer. Il faut toutefois rappeler que le montant maximal des sanctions au sens de l'art. 9, al. 2, let. b et f, LDét a depuis lors été porté de 5000 à 30 000 francs; voir message concernant la modification de la loi sur les travailleurs détachés.

101 Il conviendra donc d'expliquer les intentions du législateur dans la documentation si l'instrument de la sanction administrative pécuniaire devait être introduit dans d'autres lois spéciales.

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3.4

Modulation de la portée des garanties dans les «domaines périphériques» du droit pénal

Selon la CourEDH, le droit à un procès équitable et ses aspects particuliers doivent faire l'objet d'un examen global. Il s'agit de démontrer que la procédure dans son ensemble a été équitable102, compte tenu de nombreux facteurs103 et des circonstances concrètes de la procédure104. Vu l'éventail élargi des procédures relevant des dispositions en matière pénale de l'art. 6 CEDH, la CourEDH a confirmé, dans l'arrêt SA Capital Oy c. Finlande, qu'il existe des «accusations en matière pénale» de poids différents105. Alors que les exigences en matière de procédure équitable sont les plus strictes dans le «noyau dur du droit pénal», elles ne s'appliquent pas forcément avec pleine sévérité dans certains cas106. Des assouplissements sont ainsi envisageables dans les domaines situés en marge du droit pénal tels que le droit de la concurrence, le droit des douanes ou le droit fiscal107. La portée précise de ces modulations dépend de chaque cas particulier. La CourEDH considère par exemple qu'une autorité administrative peut statuer en première instance, à la place d'un tribunal indépendant, sur les sanctions administratives en droit des cartels (pour plus de détails, voir ch. 5.1.1) ou que l'on peut renoncer à des débats publics (voir ch. 5.5).

Selon la jurisprudence des tribunaux suisses concernant les sanctions administratives pécuniaires, les garanties procédurales de la CEDH ne s'appliquent pas pleinement et n'ont pas de validité absolue. En matière de jeux d'argent et de cartels, le Tribunal fédéral et le Tribunal administratif fédéral estiment qu'il convient de les mettre en balance dans une pesée des intérêts au cas par cas, compte tenu des particularités liées à la nature juridique des entreprises108. Ce point sera traité en détail au ch. 4.

102

103

104 105 106 107 108

Voir par ex. arrêts de la CourEDH SA-Capital Oy c. Finlande du 14 février 2019 (requête no 5556/10), Ibrahim et autres c. Royaume-Uni du 13 septembre 2016, Grande Chambre (requête no 50541/08 et al.), Recueil CourEDH 2016, § 251.

Pour une liste non exhaustive de ces facteurs, voir arrêt de la CourEDH Ibrahim et autres c. Royaume-Uni du 13 septembre 2016, Grande Chambre (requête no 50541/ 08 et al.), recueil CourEDH 2016, § 274.

Arrêt de la CourEDH Ibrahim et autres c. Royaume-Uni du 13 septembre 2016, Grande Chambre (requête no 50541/ 08 et al.), recueil CourEDH 2016, § 250 s.

Arrêt de la CourEDH SA-Capital Oy c. Finlande du 14 février 2019 (requête no 5556/10), § 71 et les références citées.

La CourEDH mentionne «the hard core of criminal law», voir arrêt de la CourEDH SA-Capital Oy c. Finlande du 14 février 2019 (requête no 5556/10), § 71.

Arrêt de la CourEDH Del Jussila c. Finlande du 23 novembre 2006 (requête no 73053/01), recueil CourEDH 2006-XIV, § 43.

ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.4, 3.3.5; voir aussi arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 643 ss et les références citées.

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3.5

Aspects temporels de l'applicabilité

Les garanties de procédure pénale de la CEDH sont en principe applicables dès qu'une personne est mise en accusation109. L'art. 6 CEDH a pour objectif principal de garantir une procédure équitable devant un tribunal. La CourEDH a adopté à cet égard une approche globale, qui inclut l'instruction et l'enquête. Les garanties prévues à l'art. 6 CEDH s'appliquent dans la mesure où leur inobservation initiale risque de compromettre gravement l'équité de la procédure110. Il s'agit notamment des droits énoncés à l'art 6, par. 3, CEDH (droits de la défense, y compris le droit d'être entendu). Il en va de même notamment pour le droit de ne pas s'auto-incriminer (nemo tenetur), la présomption d'innocence et l'interdiction d'être poursuivi ou jugé deux fois pour la même infraction (ne bis in idem).

Si l'on transpose ce raisonnement au domaine des sanctions administratives, les garanties de procédure pénale dont l'inobservation initiale risque de compromettre gravement l'équité de la procédure doivent être respectées par l'autorité administrative dès la procédure de première instance. L'autorité administrative de première instance n'est en revanche pas liée par d'autres garanties. Il s'agit en particulier des droits qui présupposent un tribunal indépendant et impartial (par ex. le droit à une audience orale publique et à la publicité de la procédure, voir ch. 5.5).

3.6

Références à d'autres garanties de procédure de droit international

Par souci d'exhaustivité, il y a lieu de citer d'autres accords internationaux qui prévoient des garanties spécifiques pouvant s'appliquer aux sanctions administratives pécuniaires en plus de celles offertes par la CEDH. Le Pacte II de l'ONU comprend des garanties procédurales semblables à celles de la CEDH et de ses protocoles additionnels, notamment le droit à une procédure équitable (art. 14, par. 1, Pacte ONU II), la présomption d'innocence (art. 14, par. 2, Pacte ONU II), les droits des personnes accusées (art. 14, par. 3, Pacte ONU II), le droit à un recours judiciaire en matière pénale (art. 14, par. 5, Pacte ONU II), le principe «pas de peine sans loi» (art. 15 Pacte ONU II), l'interdiction d'être poursuivi ou jugé deux fois pour la même infraction (art. 14, par. 7 Pacte ONU II) et le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 17 Pacte ONU II). Selon la pratique du Comité des droits de l'homme des Nations Unies, les personnes morales ou autres formes de sociétés similaires n'ont toutefois pas qualité

109

Voir arrêt de la CourEDH Ibrahim et autres c. Royaume-Uni du 13 septembre 2016, Grande Chambre (requête no 50541/08 et al.), recueil CourEDH 2016, § 249, avec renvoi notamment à l'arrêt de la CourEDH Deweer c. Belgique du 27 février 1980 (requête no 6903/75), série A, vol. 35, § 42 ss.

110 Arrêt de la CourEDH Dvorski c. Croatie du 20 octobre 2015, Grande Chambre (requête no 25703/11), recueil CEDH 2015, § 76, avec renvoi à l'arrêt de la CourEDH Imbrioscia c. Suisse du 24 novembre 1993 (requête no 1372/88), série A, vol. 275, § 36 s; arrêt de la CourEDH Vera Fernández-Huidobro c. Espagne du 6 janvier 2010 (requête no 74181/01), § 108 ss.

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pour recourir111. En revanche, les particuliers qui sont membres de la personne morale ou d'une autre association peuvent faire recours s'ils sont eux-mêmes mis en cause pour la violation alléguée112. Les garanties précitées correspondent largement à celles énoncées aux art. 6 et 7 CEDH et 2 et 4 du protocole 7 CEDH (voir ch. 3.1). Vu l'importance des droits fondamentaux de procédure prévus par la Constitution et par la CEDH et des mécanismes de mise en oeuvre (notamment la CourEDH), le présent rapport se limite à ces dernières sources de droit.

Les accords bilatéraux entre la Suisse et l'UE prévoient des exigences qui doivent être prises en compte lors de l'introduction et de l'aménagement des sanctions administratives pécuniaires ainsi que lors de leur mise en oeuvre. La Confédération a consacré des sanctions administratives à l'art. 9 LDét dans le contexte de l'approbation des accords bilatéraux I de 1999, afin de garantir le respect des prescriptions applicables en Suisse relatives aux conditions de travail et d'emploi des travailleurs détachés dans le cadre d'une prestation de services; ces sanctions doivent être conformes à l'accord sur la libre circulation des personnes (ALCP)113 entre la Suisse et l'UE et aux actes de l'UE114 auxquels celui-ci fait référence115. Les sanctions administratives prévues aux art. 122a et 122b LEI à l'encontre des entreprises de transport aérien mettent en oeuvre les dispositions de l'accord d'association à Schengen (AAS)116 117; elles doivent être «dissuasives, effectives et proportionnelles» (art. 4 directive 2001/51/CE et 4 directive 2004/82/CE)118. Le ch. 5.9.6 présentera l'interdiction d'être poursuivi ou jugé deux fois pour la même infraction prévue à l'art. 54 de la convention d'application de l'accord de Schengen (CAAS).

111

112 113 114

115

116 117

118

Voir art. 1 du premier protocole facultatif au Pacte II de l'ONU, que la Suisse n'a pas ratifié, et l'observation générale du Comité des droits de l'homme des Nations Unies du 29 mars 2004, La nature de l'obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, U.N. Doc. HRI/GEN/1/Rev.7 (2004), § 9.

Voir par ex. B.d.B. et al. c. Pays-Bas (requête no 273/1988), Décision du 30 mars 1989, A/44/40 (1989), Annexe XI.F (p. 286) = CCPR/C/OP/3 (2002), p. 37, § 2.1.

RS 0.142.112.681 Notamment directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, JO L 18 du 21.01.1997, p. 1 ss.

Message relatif à l'approbation des accords sectoriels entre la Suisse et la CE, p. 5707; message concernant la modification de la loi sur les travailleurs détachés, p. 5366 s, 5369 s; pour une vue d'ensemble, PÄRLI KURT, Entsendegesetz (EntsG) Handkommentar, Berne 2018, no 1 ss ad art. 9 LDét.

RS 0.362.31 Art. 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen (CAAS), directive 2001/51/CE du Conseil du 28 juin 2001 visant à compléter l'art. 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985, JO L 187 du 10.7.2001, p. 45, directive 2004/82/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant l'obligation pour les transporteurs de communiquer les données relatives aux passagers, JO L 261 du 6.8.2004.

La convention d'application de l'accord de Schengen s'applique à la Suisse en raison du renvoi à l'art. 2 AAS.

Message portant approbation et mise en oeuvre de l'échange de notes entre la Suisse et l'Union européenne concernant la reprise du code frontières Schengen et relatif aux modifications du droit des étrangers et du droit de l'asile en vue de la mise en oeuvre totale de l'acquis de Schengen et Dublin déjà repris, p. 7470 ss; message relatif à la modification de la loi sur les étrangers, p. 2176; arrêt du TAF A-597/2019 du 27 janvier 2020 Swiss International Airlines, consid. 4.3.2.

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Conformément aux art. 31 à 33 de la convention de Vienne sur le droit des traités119, la Suisse décide en principe de manière autonome si les sanctions administratives pécuniaires en question sont compatibles avec les exigences du droit bilatéral120. Certains accords obligent toutefois les autorités suisses à prendre en considération la pratique de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE; anciennement Cour de justice des Communautés européennes, CJCE) dans l'interprétation des dispositions parallèles de la législation européenne (par ex. art. 16 ALCP). D'autres accords mentionnent l'interprétation des actes juridiques de l'UE cités sans pour autant prévoir d'effet contraignant (par ex. art. 8 et 9 AAS). Bien que les autorités suisses d'application du droit ne soient tenues de prendre en compte que la jurisprudence de la CJCE rendue avant la signature de l'accord (art. 16, par. 2, ALCP), elles sont également guidées par la jurisprudence de la CJUE dans l'interprétation des dispositions du droit communautaire rendues après la signature de l'accord lorsqu'elles interprètent les actes juridiques de l'UE mentionnés dans celui-ci, à moins qu'une interprétation différente s'impose pour des motifs valables. L'AAS comporte une obligation de suivre la jurisprudence de la CJUE ou des tribunaux suisses compétents en comité mixte (art.

8, par. 1, AAS).

Les accords bilatéraux ne comprennent pas de catalogue des droits fondamentaux ni de références directes à la CEDH, à la charte des droits fondamentaux de l'UE ou à d'autres instruments relatifs aux droits fondamentaux121. Les autorités suisses interprètent néanmoins les accords bilatéraux à la lumière des garanties fondamentales de droit international; la CEDH revêt à cet égard une importance toute particulière. On peut supposer que les garanties pertinentes de droit supérieur relatives à la procédure pénale (ch. 3.1 s.) sont également applicables aux sanctions administratives pécuniaires qui tombent dans le champ d'application des accords bilatéraux. En outre, il est tout à fait envisageable que les autorités recourent au besoin à la charte des droits fondamentaux de l'UE122.

3.7

Digression: garanties dans les procédures concernant les «droits et obligations de caractère civil» au sens de l'art. 6, par. 1, CEDH

Hormis les accusations en matière pénale, l'art. 6 CEDH est aussi applicable aux contestations sur les droits et obligations de caractère civil. Pour que l'art. 6, par. 1, CEDH trouve application sous son volet civil, il faut démontrer l'existence d'une contestation réelle et sérieuse sur un droit de nature civile dont on peut raisonnablement

119

Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, entrée en vigueur pour la Suisse le 6 juin 1990 (RS 0.111).

120 Pour l'interprétation des accords bilatéraux et l'interprétation parallèle, voir OESCH, Schweiz ­ Europäische Union, no 77 ss.

121 À cet égard, l'AAS indique dans le préambule que la coopération Schengen repose sur le principe du respect des droits de l'homme, tels que garantis en particulier par la CEDH.

122 Voir OESCH, Schweiz ­ Europäische Union, no 78.

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prétendre qu'il est reconnu en droit interne. En outre, l'issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question123.

L'art. 6, par. 1, CEDH peut s'appliquer sous son volet civil aux procédures qui, en droit interne, sont qualifiées comme relevant du droit public, mais dont l'issue est déterminante pour des droits et obligations de droit privé ou pour la protection des droits de propriété124. Cette question ne semble pas avoir été tranchée en ce qui concerne les sanctions administratives pécuniaires. Comme expliqué précédemment, ce sont les garanties plus strictes de procédure pénale de l'art. 6, par. 1, CEDH qui sont applicables à cette forme de sanctions administratives. On peut donc en l'occurrence renoncer à examiner le volet civil de cette disposition.

3.8

Conclusion intermédiaire

Les procédures de sanctions administratives pécuniaires doivent respecter les principes de l'État de droit (art. 5 Cst.) et les droits fondamentaux généraux de procédure (art. 29, 29a, 30 Cst.). En outre, elles sont soumises aux garanties constitutionnelles et conventionnelles de procédure pénale (art. 32 Cst., 6 et 7 CEDH, 2 et 4 du protocole 7 CEDH), pour autant que la sanction administrative pécuniaire puisse être considérée comme relevant d'une «accusation en matière pénale» selon les critères Engel, ce qui dépend en définitive de chaque cas particulier.

Pour la plupart des sanctions administratives pécuniaires qui font l'objet de la présente analyse, il apparaît clairement, sur la base de la pratique judiciaire et administrative, que les garanties de procédure pénale de droit supérieur sont applicables. Des modulations de la portée des différentes garanties sont admissibles. D'après la jurisprudence, il n'est pas nécessaire que les garanties pénales soient appliquées avec la même sévérité dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires que dans le noyau dur du droit pénal. Les ch. 4 et 5 seront consacrés aux différentes garanties et à la modulation de leur portée dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires.

4

Inscription de l'instrument dans les lois spéciales

On décrira ci-après les exigences de droit matériel qui doivent être respectées en légiférant sur les sanctions administratives pécuniaires. Le législateur dispose d'une grande liberté de conception dans la définition des instruments destinés à faire respecter les obligations de droit administratif. À la lumière du droit conventionnel et constitutionnel, rien ne s'oppose en principe à l'introduction de sanctions administratives pécuniaires destinées à faire respecter des règles de comportement, en plus d'autres mesures administratives, de sanctions administratives non pécuniaires ou de sanctions 123

Arrêt de la CourEDH Denisov c. Ukraine du 25 septembre 2018, Grande Chambre (requête no 76639/11), § 44.

124 Arrêts de la CourEDH Ringeisen c. Autriche du 16 juillet 1971 (requête no 2614/65), série A, vol. 13, § 94; König c. Allemagne du 28 juin 1978 (requête no 6232/73), série A, vol. 27, § 94 s.

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pénales. L'application efficace du droit matériel à l'aide d'instruments prévus par la loi et conformes au principe de la proportionnalité est dans l'intérêt public.

Lorsqu'il édicte des dispositions sur les sanctions administratives pécuniaires, le législateur doit respecter les exigences découlant du droit supérieur. Le principe de la légalité exige tout d'abord que la sanction soit prévue par une base légale (ch. 4.1).

Les obligations en matière de comportement assorties d'une sanction administrative pécuniaire (éléments objectifs de l'infraction) doivent être conformes aux principes de précision et de clarté de la base légale (ch. 4.2). Le ch. 4.3 sera consacré à la question de savoir si les lois spéciales doivent prévoir l'exigence d'imputabilité subjective au sens d'une faute et le ch. 4.4, à la définition des conséquences juridiques (paiement d'un certain montant). Enfin, il sera question des adaptations nécessaires en ce qui concerne les délais de prescription de la poursuite et de l'exécution de la sanction (ch. 4.5).

4.1

Base nécessaire à la sanction dans les lois spéciales

En droit suisse, le principe de la base légale en tant que principe général de l'activité étatique s'appuie sur l'art. 5, al. 1, Cst.125. Il découle de l'art. 5, al. 1, Cst. que l'imposition d'une sanction doit figurer dans une loi. Si la sanction administrative pécuniaire tombe dans le champ d'application des garanties de procédure pénale de la CEDH, il faut prendre en considération les garanties énoncées à l'art. 7 CEDH. L'art.

7 CEDH consacre le principe nullum crimen, nulla poena sine lege. Le principe «pas de peine sans loi»126 comprend les principes de réserve de la loi, de précision des normes et l'interdiction de l'analogie et de la rétroactivité.

Les exigences élevées que pose le principe de la légalité en matière pénale imposent une base légale formelle pour les sanctions administratives pécuniaires tombant dans le champ d'application de l'art. 6 CEDH127. Celle-ci doit notamment comporter l'indication du montant maximal de la sanction encourue (par ex. en francs ou en pourcentage maximal du chiffre d'affaires de l'entreprise sanctionnée).

La définition de sanctions administratives pécuniaires dans des ordonnances est possible dans le respect des principes régissant la délégation. La Constitution ou la loi peuvent ainsi conférer au Conseil fédéral la compétence d'édicter des dispositions consacrant des sanctions administratives pécuniaires ou prévoir de sanctionner le nonrespect des dispositions d'exécution que le Conseil fédéral assortit explicitement d'une sanction. Il semble en outre possible d'édicter des ordonnances concrétisant la loi et fixant par exemple les modalités de calcul du montant à verser au titre de la

125 126

MOOR/FLÜCKIGER/MARTENET, Droit administratif: vol. I, p. 652.

Concernant le principe de la légalité en matière de procédure pénale (caractère impératif de la poursuite), voir ch. 5.1.2.

127 TANQUEREL, Droit disciplinaire, p. 21 s; WALDMANN, Disziplinarwesen, p. 113; TSCHANNEN/ZIMMERLI/MÜLLER, Verwaltungsrecht, § 32 no 52. Les dérogations ne sont envisageables que si l'élément pénal se situe nettement au second plan. Voir Guide de législation, no 891 concernant le droit pénal accessoire, qu'on peut appliquer par analogie aux sanctions administratives pécuniaires.

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sanction; à cet égard, on devrait logiquement appliquer les mêmes règles que dans le domaine du droit pénal accessoire128.

Les dispositions relatives aux sanctions administratives pécuniaires doivent être distinguées des dispositions pénales du point de vue de la systématique de la loi afin de clarifier quel droit procédural est applicable (voir ch. 2.5).

4.2

Détermination des obligations assorties de sanctions

Les obligations de comportement qu'il est prévu de faire respecter au moyen d'une sanction administrative pécuniaire doivent être fixées dans les lois spéciales pertinentes. La question se pose tout d'abord de savoir quel est le niveau normatif (Normstufe) exigé pour la réglementation des éléments constitutifs d'une sanction.

Pour les sanctions administratives pécuniaires entrant dans le champ d'application des garanties de procédure pénale de la CEDH, les comportements susceptibles d'être sanctionnés doivent en principe figurer dans une loi au sens formel (art. 6 et 7 CEDH)129.

La disposition au sens formel concernant des éléments constitutifs d'une sanction administrative pécuniaire peut renvoyer à d'autres dispositions légales formelles ou à des dispositions d'exécution. Un tel renvoi est possible notamment lorsque les normes s'adressent à un cercle restreint de destinataires, par exemple aux titulaires d'une autorisation ou d'une concession130. Un renvoi à des obligations définies dans un acte juridique (concession ou autorisation) est également possible si l'autorisation ou la concession est prévue dans une loi au sens formel. Les devoirs auxquels les titulaires sont astreints et qui figurent dans la concession ou l'autorisation peuvent également découler d'ordonnances.

La seconde question qui se pose concerne le niveau de densité normative (Normdichte). Les règles de comportement assorties de sanctions administratives pécuniaires utilisent le plus souvent une formulation générale, ou des notions juridiques indéterminées nécessitant une interprétation. À la lumière de l'exigence de précision et de clarté de la base légale inscrite à l'art. 7 CEDH, l'infraction doit être clairement définie dans la loi pour que le destinataire puisse adopter son comportement en conséquence131. Conformément au principe de précision de la base légale, le justiciable doit être en mesure de reconnaître, à partir du libellé de la disposition pertinente, au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux et après avoir recouru à des conseils juridiques éclairés, quels actes ou omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine il encourt de ce chef132. Les exigences en matière 128 129

Voir Guide de législation, no 891.

TANQUEREL, Droit disciplinaire, p. 19 ss; MOOR/FLÜCKIGER/MARTENET, Droit administratif: vol. I, p. 721 s.; WALDMANN, Disziplinarwesen, p. 101 ss.

130 Voir par ex. les art. 25 LPO, 60 LTC, 100 et 109 LJAr, qui mentionnent la violation de «la présente loi [ou des] dispositions d'exécution».

131 Arrêt de la CourEDH Del Río Prada c. Espagne du 21 octobre 2013, Grande Chambre (requête no 42750/09), recueil CEDH 2013, § 91.

132 Arrêt de la CourEDH Del Río Prada c. Espagne du 21 octobre 2013, Grande Chambre (requête no 42750/09), recueil CEDH 2013, § 79.

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de précision dépendent en revanche dans une large mesure de la teneur du texte concerné et du domaine du droit. Il faut en outre tenir compte du nombre et du statut des destinataires133. La jurisprudence du Tribunal fédéral précise qu'une loi doit être formulée avec un degré de précision suffisant, de manière à permettre à la personne concernée d'agir conformément à celle-ci et de reconnaître les conséquences d'un certain comportement avec un degré de certitude adapté aux circonstances134. En outre, l'exigence de précision de la base légale se réfère aussi bien à l'énoncé de fait d'une norme qu'à ses conséquences juridiques135.

Comme l'expliquent le Tribunal fédéral et le Tribunal administratif fédéral en se référant à la jurisprudence de la CourEDH concernant l'art. 7, par. 1, CEDH, il est a priori exclu qu'une disposition légale puisse couvrir toutes les situations envisageables qui doivent être prises en compte sur le plan juridique136. Le législateur doit donc pour une part utiliser des termes généraux et plus ou moins définis, et laisser le soin de les interpréter et appliquer à la pratique, notamment dans les domaines dans lesquels les sanctions administratives pécuniaires sont typiquement utilisées. Une formulation ouverte des normes est donc inévitable aussi bien en droit administratif économique qu'en droit pénal (économique). Une «clarification progressive»137 des dispositions au fil de l'interprétation des autorités est en principe admissible, comme le relève la jurisprudence du Tribunal fédéral138.

La publication des décisions en matière de sanctions est une possibilité qui permettrait de clarifier la teneur des règles de comportement. La publication de ces décisions permet aux tiers de prendre connaissance des comportements susceptibles de conduire à une sanction et des motifs sur la base desquels celle-ci a été prononcée. Elle permet également d'informer le public sur les modalités d'application des normes consacrant des sanctions (voir ch. 5.7.2, concernant la publication des décisions de sanctions administratives pécuniaires).

133

134 135

136 137 138

Arrêts de la CourEDH Kononov c. Lettonie du 17 mai 2010, Grande Chambre (requête no 36376/04), recueil CourEDH 2010 § 235; Cantoni c. France du 11 novembre 1996, (requête no 17862/91), recueil 1996-V § 35.

ATF 119 IV 242 consid. 1c; 125 IV 35 consid. 8; arrêt du TAF B-5291/2018 du 14 mai 2020, consid. 11.

Voir ainsi notamment: arrêts du TAF B-831/2011 du 18 décembre 2018 SIX/DCC, consid. 1428 ss (non encore entré en force); B-807/2012 du 25 juin 2018 consid. 11.1.

Voir également: TAGMANN/ZIRLICK, BSK-KG, no 19 ad art. 49a LCart.

Voir ATF 146 II 217 Swisscom ADSL, consid. 8.2 et arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 594.

ATF 143 II 297, consid. 9.3.

ATF 146 II 217 Swisscom ADSL, consid. 8.3.1, 143 II 297 consid. 9.3 et 139 I 72 Publigroupe, consid. 8.2.3. Concernant l'exigence de précision dans la procédure de sanction en droit des cartels, voir aussi l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_149/2018 du 4 février 2021, consid. 8.3.3.

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4.3

Condition d'imputabilité subjective (faute)

4.3.1

Contexte et exigences conventionnelles et constitutionnelles

Les dispositions du droit administratif fédéral en vigueur relatives aux sanctions administratives pécuniaires ne contiennent généralement pas d'exigences concernant la faute. Les formulations suggèrent uniquement une responsabilité objective, dans la mesure où la responsabilité du destinataire est déduite de la violation des éléments objectifs de l'obligation assortie d'une sanction. Les règles pertinentes ne prévoient pas de conditions subjectives préalables à la responsabilité subjective du destinataire de la sanction (par ex. «intention» ou «négligence»), ni concernant la faute individuelle. En d'autres termes, le législateur a conçu les sanctions administratives pécuniaires comme un instrument indépendant de l'existence d'une faute139.

La CEDH ne règle pas explicitement la question de savoir si de tels instruments sont admissibles. La CourEDH ne juge pas en soi inadmissibles des sanctions imposées sur la base de violations des éléments objectifs découlant d'une obligation sans qu'il soit nécessaire d'établir l'existence d'une intention délictueuse ou d'une négligence140. Elle les interprète comme des présomptions de faute (réfragables), leur admissibilité étant tributaire des possibilités de défense dont disposent les parties141. La CourEDH interprète donc de tels cas sous l'angle de la présomption d'innocence142 et du principe de la légalité143. À cet égard, il doit être garanti que le tribunal ou l'autorité administrative dispose d'une certaine marge d'appréciation pour statuer au bénéfice de la partie. La prise en compte de la proportionnalité, des circonstances atténuantes

139

140

141

142 143

Ainsi, explicitement, message relatif à la révision de la loi sur les cartels, p. 1922; voir aussi message relatif à la révision de la loi sur les cartels et à une loi sur l'organisation de l'autorité de la concurrence, p. 3657. Dans le message relatif à la modification de la loi sur les étrangers, le Conseil fédéral déclare au sujet des sanctions administratives pécuniaires (art. 122a et 122b LEI) que la faute ne constitue plus un élément de fait autonome. Cependant, la faute est indirectement prise en considération dans le cadre des motifs d'exculpation (p. 2305 et 2308 s). En ce qui concerne d'autres sanctions administratives pécuniaires plus récentes, il n'existe pas de considérations explicites concernant la faute. On relève cependant parfois des parallèles avec les sanctions de droit des cartels ou d'autres sanctions administratives (par ex., message concernant la loi fédérale sur les jeux d'argent, p. 7718; message relatif à la loi sur la poste, p. 4676, 4698; message concernant l'approbation et la mise en oeuvre de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays, p. 73, 79; message concernant la modification de la loi sur les travailleurs détachés, p. 5370).

Inversement, les dispositions qui n'exigent ni l'existence d'une intention délictueuse ni une négligence ne privent pas nécessairement une infraction de son caractère pénal; voir arrêt de la CourEDH Janosevic c. Suède du 23 juillet 2002 (requête no 34619/97), recueil CourEDH 2002-VII, § 68.

Arrêts de la CourEDH Janosevic c. Suède du 23 juillet 2002 ss (requête no 34619/97), recueil CourEDH 2002-VII, § 96 ss; Salabiaku c. France du 7 octobre 1998 (requête no 10519/83), série A, vol. 141-A, § 27 s.; voir à ce sujet WASER, Wettbewerbsverfahren, p. 158 s.

Arrêt de la CourEDH Janosevic c. Suède du 23 juillet 2002 (requête no 34619/97), recueil CourEDH 2002-VII, § 96 ss Arrêt de la CourEDH Varvara c. Italie du 29 octobre 2013 (requête no 17475/09), § 66, 70. Sur le principe de la légalité, voir ch. 4.1.

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ou de la force majeure peut être suffisante à cet égard144. La CourEDH exige en l'occurrence un «lien de nature intellectuelle» (mental link) pour justifier une sanction, notamment en ce qui concerne la prévisibilité du caractère punissable des faits145. Elle confirme toutefois en même temps, sous certaines conditions, l'admissibilité de dispositions qui sanctionnent des manquements objectifs à une obligation146. La jurisprudence de la CourEDH ne semble donc pas être entièrement consolidée.

La Constitution ne règle pas expressément la question de l'admissibilité des sanctions ne présupposant pas de faute. Elle ne garantit pas explicitement le principe de la culpabilité147. L'art. 47 CP prévoit en revanche des règles explicites en la matière. Dans la très grande majorité des cas, on déduit le principe de la culpabilité en droit pénal du principe de l'État de droit148. Ce principe est parfois déduit de la présomption d'innocence au regard du droit conventionnel et constitutionnel149.

4.3.2

Notion d'imputabilité (Vorwerfbarkeit) en droit des cartels

La question de l'admissibilité au regard du droit conventionnel et constitutionnel des sanctions administratives indépendantes de l'existence d'une faute a suscité une controverse notamment dans le domaine du droit des cartels. Selon certains, le législateur s'est explicitement écarté du code pénal à l'art. 49a LCart et les sanctions administratives peuvent être prononcées indépendamment de la faute150. D'autres auteurs exigent une faute en tant que condition préalable à la sanction, compte tenu du caractère pénal des sanctions administratives151.

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149 150

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Arrêts de la CourEDH Janosevic c. Suède du 23 juillet 2002 ss (requête no 34619/97), recueil CourEDH 2002-VII, § 96 ss; Salabiaku c. France du 7 octobre 1998 (requête no 10519/83), série A, vol. 141-A, § 29.

Le «lien de nature intellectuelle» implique que la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment, de façon à être accessible et prévisible dans ses effets pour la personne concernée; voir arrêt de la CourEDH G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie du 28 juin 2018, Grande Chambre (requête no 1828/06 et al.), § 242.

Arrêt de la CourEDH G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie du 28 juin 2018, Grande Chambre (requête no 1828/06 et al.), § 243 Arrêt du TAF B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon, consid. 8.2.1.

Auteur choisi parmi de nombreux autres: WIPRÄCHTIGER/KELLER, BSK-StGB, no 80 ad art. 47 CP. Voir en outre arrêt du TAF B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon, consid.

8.2.1, et les réf. citées.

Arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 654 ss.

Voir par ex. DÄHLER/KRAUSKOPF, Sanktionsbemessung, p. 139; KOUMBARAKIS ZINON, Die Kronzeugenregelung im schweizerischen Strafprozess de lege ferenda, Diss. Zürich 2006, p. 114; LÜSCHER CHRISTOPH, Der Ruf nach einem wirksameren und gerechteren Kartellstrafrecht ­ Ein irritierender Ruf?, Jusletter 15 mars 2010, no 45; WASER, Wettbewerbsverfahren, p.162, déduit de l'art. 49a LCart une présomption de culpabilité objective que l'entreprise peut renverser le cas échéant.

Voir par ex. NIGGLI/RIEDO, BSK-KG, no 106, intro. art. 49a à 53 LCart; ROTH, CR-Concurrence, no 37 ss ad Rem. art. 49a-53 LCart; REINERT, KG-Handkommentar, no 5 ad art. 49a LCart; WIPRÄCHTIGER HANS/ZIMMERLIN SVEN, Kartellrechtliche Verantwortlichkeit aus der Sicht des Strafrechts und Strafprozessrechts: Bemerkungen zu den Sanktionen und zum Sanktionsverfahren im revidierten Kartellgesetz, in: Niggli/Amstutz, Verantwortlichkeit im Unternehmen, Bâle 2007, pp. 203­244, p. 209.

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Conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral et du Tribunal administratif fédéral, l'imputabilité subjective est une condition nécessaire de la sanction152. Le Tribunal administratif fédéral a traité en détail la question de la compatibilité de l'art. 49a LCart avec le droit conventionnel dans l'affaire Swisscom ADSL. Il a relevé que les dispositions générales du code pénal telles que le principe de la culpabilité (art. 333, al. 1 et 7, CP) ne sont pas applicables aux sanctions de droit des cartels153. À cet égard, il prend aussi en considération le fait que les conditions et limites actuelles liées au principe de la culpabilité du droit pénal sont conçues pour les personnes physiques154.

L'art. 49a LCart représente donc une disposition spéciale qui l'emporte sur les règles générales de droit pénal en tant que lex specialis155. Il y a toutefois lieu de prendre en compte les principes du droit pénal dans les sanctions de droit des cartels, dans la mesure où leur application est impérative en raison du droit supérieur qui prévaut dans le cadre d'une interprétation conforme au droit constitutionnel et conventionnel156.

Concrètement, selon la jurisprudence en matière de cartels et une partie de la doctrine, la responsabilité de l'entreprise relevant de l'art. 49a LCart présuppose un comportement fautif d'une personne responsable ou la preuve d'une carence dans l'organisation de l'entreprise157. Nous présentons brièvement ci-dessous les deux termes de cette alternative, regroupés sous la notion d'imputabilité (Vorwerfbarkeit).

­

152

153 154

155 156 157

158

Comportement fautif d'une personne responsable: l'entreprise assume la responsabilité s'il est possible de prouver un comportement fautif intentionnel ou par négligence d'une personne physique. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il ne faut pas poser d'exigences excessives en matière de preuve158. Il n'est guère possible d'établir en détail le comportement de chaque personne au sein d'une entreprise. C'est pourquoi il doit être possible de déduire le comportement fautif de la personne responsable (dol éventuel) des éléments objectifs de l'infraction (par ex. accord anticoncurrentiel) dans le sens d'une présomption réfragable, le manquement au devoir de diligence

ATF 143 II 297, consid. 9.6.1 s, avec renvoi à l'arrêt du TF 2C_484/2010 du 29 juin 2012 Publigroupe, consid. 12.2.1. s (non publié, in: ATF 139 I 72) ATF 146 II 217 Swisscom ADSL, consid. 8.5.2; arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 654 ss, 674, confirmé par l'arrêt du TAF B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon, consid. 8.2.2.

Arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 651, confirmé par l'ATF 146 II 217 Swisscom ADSL, consid. 8.5.3.

Voir arrêts du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 645; B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon, consid. 8.2.2; ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.4.

Arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 649, avec renvoi à HEINE/ROTH, Kartellgesetzrevision, p. 15.

Arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 651 Voir arrêt du Tribunal fédéral 2C_149/2018 du 4 février 2021 Médicaments hors liste, consid. 8.4; plus en détail, arrêt du TAF B-831/2011 du 18 décembre 2018 SIX/DCC, consid. 1488 ss (non encore entré en force). Pour le surplus, TAGMANN/ZIRLICK, BSKKG, no 10a ad art. 49a LCart.

Arrêt du Tribunal fédéral 2C_484/2010 du 29 juin 2012 Publigroupe, consid. 3.4 (non publié, in: ATF 139 I 72) arrêt du TAF B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon, consid. 8.2.4 et les références citées.

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(négligence) étant déjà considéré par la jurisprudence comme constitutif d'une infraction159.

­

Faute dans l'organisation: si l'on peut prouver que l'entreprise a enfreint la législation sur les cartels, on peut en déduire une violation objective des devoirs de prudence au sens d'une carence dans l'organisation et, partant, un comportement fautif de l'entreprise160. Les devoirs de prudence découlent de la loi sur les cartels161. Il n'est pas nécessaire que la violation puisse être attribuée à une personne physique au sein de l'entreprise162. Cela résulte de l'idée qu'il incombe à l'entreprise de prendre des mesures d'organisation ou d'exploitation adéquates pour éviter que les organes et les collaborateurs enfreignent la loi. Si une violation est commise malgré tout, on peut en principe en déduire une violation d'un devoir de prudence. L'imputabilité repose sur une présomption réfragable, ce qui n'est pas fondamentalement contraire à la présomption d'innocence selon la jurisprudence163. L'entreprise peut à cet égard apporter la preuve libératoire164.

Le Tribunal fédéral a retenu en substance qu'il y a violation objective d'un devoir de prudence s'il est possible de prouver un comportement anticoncurrentiel165. La question des motifs d'exculpation est controversée dans la doctrine concernant le droit des cartels; alors que certains auteurs estiment que les programmes de conformité (compliance) internes de l'entreprise exemptent cette dernière du reproche de carence dans l'organisation166, d'autres167, suivis par la jurisprudence168, sont de l'avis que ces programmes ne peuvent être pris en compte que dans le calcul du montant de la sanction.

Le Conseil fédéral considère également que les programmes de conformité n'ont pas

159 160

161 162 163 164

165 166 167

168

Arrêt du TAF B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon, consid. 8.2.4.

Arrêt du TF 2C_484/2010 du 29 juin 2012 Publigroupe, consid. 12.2.1. s (non publié, in: ATF 139 I 72) arrêts du TAF B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon, consid. 8.2.2; B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 674, et les références citées.

ATF 146 II 217 Swisscom ADSL, consid. 8.5.2.

ATF 146 II 217 Swisscom ADSL, consid. 8.5.2; confirmé par in ATF 147 II 72, consid.

8.4.2.

Arrêt du TAF B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon, consid. 8.2.4; voir également arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 677 in fine.

Arrêts du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 644, 677; B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon, consid. 8.2.4; voir aussi WASER, Wettbewerbsverfahren, p. 161 s.

ATF 146 II 217 Swisscom ADSL, consid. 8.5.2 et les références citées.

NIGGLI/RIEDO, BSK-KG, no 144 ss, intro. art. 49a à 53 LCart; WOHLMANN, Sanktionsverfahren, no 17 s.

HEINEMANN, Konzerne als Adressaten des Kartellrechts, in: Hochreutener/Stoffel/ Amstutz [Éd.], Wettbewerbsrecht: Jüngste Entwicklungen in der Rechtsprechung ­ Konzernsachverhalte und Konzernbegriff aus kartellrechtlicher Sicht, 2015, p. 49 à 65, p. 62 s.; HEINE/ROTH, Kartellgesetzrevision 2010, p. 23 ss; TAGMANN, Sanktionen, p. 81 s; TAGMANN/ZIRLICK, BSK-KG, no 111 ad art. 49a LCart.

ATF 143 II 297, consid. 9.6.2 in fine, confirmé par l'arrêt du TF 2C_149/2018 du 4 février 2021, consid. 8.4.4.3; arrêts du TAF B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon, consid. 8.2.3; B-807/2012 du 25 juin 2018 Strassen- und Tiefbau im Kt. Aargau/Erne, consid. 11.2.5.

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pour effet d'exclure toute faute169. Il en va de même pour une expertise externe concernant l'admissibilité du comportement en question170.

4.3.3

Appréciation

Certains auteurs de la doctrine concernant le droit des cartels admettent la notion d'imputabilité171, mais d'autres la rejettent en raison de la non-application des principes de droit pénal172. Cette notion semble cependant s'être établie dans la pratique de droit des cartels. Globalement, elle représente une voie médiane praticable: elle prévoit que l'autorité administrative doit prouver soit une faute dans l'organisation, soit un comportement fautif d'un membre de l'entreprise sans pour autant poser d'exigences trop élevées en matière de preuve. Selon la jurisprudence, il suffit qu'une violation des devoirs de prudence qui aurait été commise par des membres non déterminés de l'entreprise puisse être attribuée à l'entreprise, pour qu'une sanction puisse être prononcée173.

La conclusion relative à l'art. 49a LCart peut être transposée par analogie à d'autres dispositions comportant des sanctions administratives pécuniaires, comme le montrent les considérations du Tribunal fédéral au sujet de la violation des devoirs de prudence dans le domaine des jeux d'argent174.

En outre, la notion de faute de l'entreprise ne peut se passer de tout élément de responsabilité causale. Par rapport au droit pénal individuel, il s'agit d'un allègement important en faveur de l'autorité administrative. Elle se justifie par le fait que l'application du droit matériel dans le domaine des entreprises est souvent très difficile en raison de l'organisation collective des destinataires. Il n'est en effet pas aisé de déterminer la ou les personnes responsables sur le plan interne, notamment lorsqu'il s'agit de prouver la faute individuelle dans le contexte de la répartition du travail. Ajoutons que les obligations pertinentes concernent directement l'entreprise: c'est elle qui tire en règle générale un avantage d'une violation de la loi et non les collaborateurs. Ce traitement différencié permet de prendre en considération la nature de la sanction administrative pécuniaire, qui est un instrument de droit administratif de caractère similaire au droit pénal; il convient donc de lui accorder la préférence par rapport à une

169 170

171

172 173 174

Rapport du Conseil fédéral concernant le classement de la motion Schweiger, p. 1636.

L'hypothèse d'une erreur de droit excluant toute faute n'est envisageable qu'à condition que l'expertise apporte une réponse fondée, détaillée et sans équivoque aux questions pertinentes et que l'entreprise puisse se fier à l'exactitude de cette réponse; voir arrêt du TAF B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon, consid. 8.2.3.

Voir par ex. BORER, OFK-Wettbewerbsrecht I, no 11 ad art. 49a LCart; TAGMANN/ZIRLICK, BSK-KG, no 10 ad art. 49a LCart; synthèse de la jurisprudence et de la doctrine in KUBLI LINDA, Das kartellrechtliche Sanktionssubjekt im Konzern, Bâle 2014, p. 149 s. Ces auteurs postulent une transposition des principes de droit pénal conforme à la finalité et au fonctionnement du droit des cartels, voir HEINE, Quasi-Strafrecht, p. 118; HEINE/ROTH, Kartellgesetzrevision 2010, p. 9, p. 14 s.

Voir NIGGLI/RIEDO, BSK-KG, no 124 ss, intro. art. 49a à 53 LCart; ROTH, CR-Concurrence, no 37 ss ad Rem. art. 49a-53 LCart.

Voir TAGMANN/ZIRLICK, BSK-KG, no 10 ad art. 49a LCart.

ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 5.2.3.

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responsabilité causale et à l'application stricte du principe de la culpabilité de droit pénal.

Au vu de ce qui précède, la jurisprudence a corrigé par voie d'interprétation la notion de sanction administrative pécuniaire indépendante de l'existence d'une faute prévue par le législateur. La sanction présuppose ainsi une faute de l'entreprise dans le sens d'une «imputabilité» (Vorwerfbarkeit). L'autorité administrative doit donc prouver au moins une faute dans l'organisation (violation objective d'un devoir de prudence).

L'entreprise peut aussi être sanctionnée en cas de comportement fautif d'une personne responsable. Cette voie médiane a fait ses preuves dans la pratique en droit des cartels et peut être transposée aux autres dispositions consacrant des sanctions administratives pécuniaires.

Dans l'ensemble, il n'est pas nécessaire d'apporter des adaptations sur le plan législatif en ce qui concerne la faute du destinataire de la sanction. Lors de l'adoption de nouvelles dispositions consacrant des sanctions administratives pécuniaires, il y aura lieu d'examiner en profondeur si certains aspects subjectifs doivent être intégrés dans la réglementation en fonction des circonstances concrètes.

4.4

Conséquences juridiques

4.4.1

Paiement d'un montant

La conséquence juridique d'une sanction administrative pécuniaire consiste à l'imputation d'un montant à la charge de la partie à la procédure. En ce sens, elle est une créance pécuniaire de la collectivité publique à l'égard de la partie sanctionnée.

Pour clarifier la nature de cette sanction, les dispositions en vigueur (voir ch. 2.2) prévoyant des sanctions administratives pécuniaires n'utilisent en règle générale pas le terme d'«amende» (Busse) mais une expression telle que le «paiement d'un montant» (Belastung mit einem Betrag; par ex. «l'entreprise est tenue au paiement d'un montant de...») Cette formulation permet de la différencier de l'instrument de la sanction pénale. Elle facilite aussi le choix du droit procédural à appliquer (voir ch. 2.5).

Les nouvelles dispositions devraient elles aussi respecter cette terminologie.

Comme expliqué au ch. 4.3, la notion d'imputabilité développée en droit des cartels s'applique au domaine des sanctions administratives pécuniaires. Dès lors, les conséquences juridiques de la procédure de sanction administrative sont analogues sur le plan fonctionnel à celles du droit pénal, qui présuppose un principe de culpabilité plus strict et qui prévoit par exemple la confiscation des avantages patrimoniaux obtenus par des moyens délictueux.

4.4.2

Montant des sanctions

Les sanctions administratives pécuniaires ont pour objectif d'inciter les destinataires à respecter le droit et de les dissuader de commettre d'autres infractions (voir ch. 2.3).

Lorsqu'il détermine le montant d'une sanction, le législateur doit donc veiller à ce que la sanction soit suffisamment élevée pour être efficace. A cet égard, les particularités 42 / 138

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du domaine concerné, la valeur du bien juridique protégé175 et le principe de proportionnalité doivent être pris en compte. Sur cette base, il existe différentes formes de détermination du montant des sanctions:

175 176 177 178

179

180 181

­

Montant lié au chiffre d'affaires: le montant de la sanction peut être exprimé en fonction d'une quantité objectivement déterminable, par exemple en fonction du chiffre d'affaires annuel ou du produit brut réalisé par une partie sanctionnée176. La détermination du montant de la sanction en fonction du chiffre d'affaires apparaît appropriée en particulier pour les domaines qui concernent un nombre important d'entreprises ou lorsque ces dernières sont très différentes par leur taille ou leur situation financière177. Dans son application, cette méthode de détermination du montant peut conduire à l'imposition de montants élevés. On peut encore ajouter que l'exigence de précision de la base légale (art. 7 CEDH) n'exige pas que la loi fixe un «montant-plafond» maximal178.

­

Sanction forfaitaire: des montants forfaitaires fixes, imposables en fonction d'une violation du droit, peuvent renforcer la transparence et la sécurité du droit. Des exemples de telles sanctions figurent aux art. 122a et 122b LEI179.

Ce mode de détermination du montant est indiqué si les manquements devant être sanctionnés ne présentent pas de différences significatives au regard des critères d'évaluation classiques que sont la culpabilité de l'auteur et la gravité de l'infraction, ou si ces différences, lorsqu'elles existent, peuvent difficilement être prouvées180.

­

Cadre de référence: une sanction administrative peut aussi être prévue sous la forme d'un cadre de référence comportant un montant maximal en francs suisses181. Ce type de formulation est alors comparable à celle d'une disposition pénale classique (amende).

­

L'art. 12 LEDPP constitue enfin un cas particulier. Cette disposition prévoit l'imputation d'un montant forfaitaire de 200 francs par jour à compter de l'expiration du délai prescrit, jusqu'à concurrence d'un montant total de 50 000

JETZER, Bestimmtheitsgebot, p. 176.

Voir par ex. les art. 49a LCart, 50 et 51, al. 2, LCart, 100 et 109 LJAr, 25 LPO, 60 LTC, 90, al. 1, LRTV, 169, al. 2, LAgr.

En ce sens: JETZER, Bestimmtheitsgebot, p. 176 ss.

Voir notamment: arrêt du TAF B-2977/2007 du 27 avril 2010 Publigroupe, consid. 8.1.4 ss, 8.1.7.1 s. Dans cet arrêt, le TAF a considéré que même si la CourEDH ne s'était pas directement prononcée sur cette question, il pouvait être déduit de sa jurisprudence que l'absence d'un montant plafond défini dans la LCart n'était pas contraire à l'art. 7 CEDH (voir en particulier consid. 8.1.7.2 de l'arrêt précité). Voir pour le surplus: JETZER, Bestimmtheitsgebot, p. 177.

Voir notamment message du Conseil fédéral relatif à la modification de la loi fédérale sur les étrangers, p. 2284 ss. Voir également les arrêts du TAF A-597/201, du 27 janvier 2020 Swiss International Airlines, consid. 3.3 et A-597/2020 du 23 février 2021, consid. 3.

Voir en particulier message du Conseil fédéral relatif à la modification de la loi fédérale sur les étrangers, p. 2286.

Voir par ex. art. 9, al. 2, let. a, b, ch. 1, d, ch. 1, et f, LDét, 51, al. 1, et 52 LCart, 90, al. 2, LRTV, 169, al. 1, let. h, LAgr.

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francs. Une telle formulation peut être comparée à l'instrument de la peine conventionnelle.

4.4.3

Critères de calcul du montant de la sanction

Dans l'évaluation des sanctions administratives pécuniaires dans un cas d'espèce, l'autorité compétente bénéficie d'une marge d'appréciation dans la fixation de la sanction, dans les limites notamment du respect des principes de légalité, d'égalité et de proportionnalité182. Le principe de proportionnalité suppose qu'il soit tenu compte de manière appropriée, dans chaque cas d'espèce, des conséquences qu'une sanction est susceptible d'entraîner pour la partie concernée par la procédure, en particulier sur sa situation financière et sociale183.

La définition, dans les lois spéciales consacrant des sanctions administratives pécuniaires, de critères d'évaluation du montant des sanctions permet de fixer un montant différencié en fonction de chaque cas d'espèce, et ainsi de respecter le principe de proportionnalité. Les critères permettant d'aider les autorités dans la fixation du montant de la sanction ne sont cependant pas toujours déterminés avec le même degré de précision dans les lois consacrant des sanctions administratives pécuniaires184.

Dans certains cas, les critères de fixation du montant de la sanction figurent d'ores et déjà dans les dispositions spéciales185. Ces dispositions prévoient en règle générale que le montant de la sanction doit tenir compte de la gravité et de la durée de la violation en cause, ou de la situation financière de l'entreprise sanctionnée.

D'autres dispositions font uniquement mention du montant de la sanction encourue, sans indiquer les critères permettant à l'autorité de déterminer le montant exact de la sanction dans un cas d'espèce186. Les critères d'évaluation du montant des sanctions

182 183

184 185

186

Dans le domaine des cartels, voir les développements de TAGMANN/ZIRLICK, BSK-KG, no 15 ss ad art. 49a LCart.

On pense par ex. ici à une atteinte à la réputation, au fait que le personnel ou les employés puissent être affectés par la diminution des ressources financières d'une partie ayant fait l'objet d'une sanction, etc.

S'agissant de l'exigence de clarté et de précision de la base légale en lien avec l'établissement des faits, voir ch. 4.1.

Voir par ex. art. 50 LCart, art. 90, al. 3, LRTV, art. 60, al. 3, LTC, art. 109, al. 1, LJAr.

Dans le domaine des cartels, l'art. 49a, al. 1, LCart précise par ailleurs que «le montant est calculé en fonction de la durée et de la gravité des pratiques illicites» et que «le profit présumé résultant des pratiques illicites de l'entreprise est dûment pris en compte pour le calcul de ce montant». Voir JETZER, Bestimmtheitsgebot, p. 176 ss; TAGMANN/ZIRLICK, BSK-KG, no 41 ss ad art. 49a LCart; ROTH/BOVET, CR-Concurrence, no 24 ss ad art. 49a LCart.

Tel est notamment le cas des art. 100 LJAr, 51 et 52 LCart, 169 LAgr, et 12 LEDPP.

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peuvent également figurer dans un message du Conseil fédéral ou découler d'une pratique des autorités administratives, respectivement de la jurisprudence187.

Compte tenu de la diversité des réglementations en la matière, la question se pose de savoir si les critères permettant de fixer le montant d'une sanction devraient être réglés dans une disposition générale. Dès lors que les sanctions administratives pécuniaires revêtent un caractère similaire au droit pénal, une comparaison avec la solution retenue à cet égard en droit pénal peut être justifiée: ­

L'art. 47 CP énumère les critères généraux devant être pris en compte dans la fixation des sanctions pénales. La peine est ainsi fixée en fonction de la culpabilité de l'auteur, celle-ci étant déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, en fonction de circonstances internes ou externes. Le juge bénéficie d'un large pouvoir d'appréciation dans la fixation de la peine à la lumière de ces critères188. Il faut toutefois tenir compte du fait que ceux-ci sont conçus pour les personnes physiques et ne peuvent pas être transposés automatiquement aux sanctions administratives pécuniaires, qui sont prononcées à l'encontre d'entreprises.

­

L'art. 102, al. 3, CP énumère les critères devant être pris en compte dans la fixation des amendes imputées à des entreprises au sens de l'art. 102 CP.

L'amende est ainsi fixée en fonction de la gravité de l'infraction, de la gravité du manque d'organisation et du dommage causé, et de la capacité économique de l'entreprise. La gravité de l'infraction s'examine à la fois au regard de la gravité objective de l'infraction (in abstracto) et en fonction de l'ensemble des circonstances propres au cas d'espèce (in concreto)189. Les critères de fixation de l'amende doivent être interprétés, et le cas échéant complétés, conformément à l'art. 47 CP, dans la mesure où les critères posés par cette disposition peuvent s'appliquer également aux entreprises190.

Une réglementation générale, dans la PA, des critères de calcul du montant des sanctions administratives pécuniaires n'apparaît cependant pas indiquée. Il s'agit en effet d'une question de droit matériel, qui devrait dès lors être réglée dans les lois spéciales consacrant de telles sanctions. En outre, compte tenu de la diversité des domaines juridiques comportant des sanctions administratives pécuniaires, il apparaît plus indiqué que ces critères soient réglés au cas par cas dans les lois spéciales.

187

Dans le domaine des jeux d'argent, des critères avaient été établis par l'autorité de surveillance des maisons de jeu et validés par la jurisprudence du Tribunal fédéral pour la fixation du montant des sanctions prévues par l'ancienne loi fédérale du 18 décembre 1998 sur les jeux de hasard et les maisons de jeu (RS 935.52). Voir arrêt du Tribunal fédéral 2C_949/2010 du 18 mai 2011 consid. 6.2.2 et 6.3.1. Ces critères sont également valables pour l'actuel art. 100 LJAr, voir message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur les jeux d'argent, p. 7718.

188 Voir: QUELOZ/MANTELLI-RODRIGUEZ, CR-CP I, no 8 ss ad art. 47 CP.

189 MACALUSO, CR-CP I, no 80 ad art. 102 CP; NIGGLI/GFELLER, BSK-StGB, no 318 ss ad art. 102 CP.

190 MACALUSO, CR-CP I, no 81 ad art. 102 CP.

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4.4.4

Relation entre les sanctions administratives pécuniaires et d'autres instruments d'exécution

Les dispositions comportant des sanctions administratives pécuniaires peuvent être divisées en plusieurs catégories. Certaines lois spéciales consacrent uniquement des sanctions administratives pécuniaires191. Dans d'autres lois spéciales, des sanctions administratives pécuniaires et non pécuniaires, ainsi que des mesures administratives visant d'autres objectifs, sont prévues dans des dispositions distinctes192. D'autres lois, encore, prévoient à la fois des sanctions pécuniaires et non pécuniaires au sein d'une disposition unique193.

Le choix entre les différentes formes de sanctions administratives, y compris les sanctions administratives pécuniaires, doit s'opérer en fonction du but de celles-ci. Les sanctions administratives pécuniaires devraient avoir un effet préventif et répressif à l'égard de leurs destinataires. Cela étant, d'autres sanctions telles que le retrait d'une autorisation ou l'interdiction à l'entreprise concernée d'offrir ses services en Suisse, qui n'ont en général pas de fonction punitive, peuvent être cumulées avec une sanction administrative pécuniaire (voir par ex. art. 9, al. 2, let. d, LDét). À noter enfin que certaines lois spéciales prévoient la possibilité de confisquer l'avantage financier acquis illicitement par une entreprise194. Contrairement à la sanction administrative pécuniaire, dont le but est à la fois préventif et punitif, cette mesure vise le rétablissement d'une situation conforme au droit. Bien que ces deux instruments soient en principe utilisés alternativement dans la pratique des autorités concernées, un cumul de ces deux types de mesures pourrait être envisagé, dans les limites du respect du principe de proportionnalité195.

Il ressort de ce qui précède que le législateur est en principe libre de fixer le catalogue des instruments d'exécution admissibles selon le domaine concerné (mesures administratives, sanctions ou peines administratives).

191 192

Voir par ex.: art. 122a-122b LEI, art. 12 LEDPP.

Voir par ex. art. 49a, 50, 51 et 52 LCart. Les art. 100 et 109 LJAr consacrent des sanctions administratives pécuniaires dans le domaine des jeux d'argent; cela étant, les art. 15 et 31 LJAr prévoient également le retrait d'une concession, respectivement d'une autorisation d'exploitant ou de jeu. L'art. 98 LJAr expose les mesures pouvant être prises par la CFMJ en vue de la suppression d'une irrégularité, de la prévention contre des dangers ou du rétablissement d'une situation conforme au droit. Voir également art. 24, al. 2, et 25 LPO, 58 et 60 LTC, et 89 et 90 LRTV.

193 Voir art. 169, al. 1, LAgr ou 9 LDét.

194 Voir notamment art. 56 LJAr, 89, al. 1, let. a, ch. 3, LRTV, 58, al. 2, let. b, LTC, 24, al. 2, LPO. Dans la procédure de sanctions en droit des cartels, le calcul du montant de la sanction prend toutefois en compte le bénéfice présumé que l'entreprise sanctionnée a réalisé en adoptant un comportement illicite (voir art. 49a, al. 1, LCart). En outre, ces sanctions n'entraînent pas de droit à une déduction fiscale vu qu'elles ont principalement un caractère pénal (voir message concernant la loi fédérale sur le traitement fiscal des sanctions financières, p. 8280).

195 En effet, en cas de confiscation de l'avantage financier obtenu de manière illicite, le destinataire de la mesure n'est pas pour autant placé dans une situation pire que celle dans laquelle il se serait trouvé s'il n'avait pas commis une infraction. Cela étant, l'instrument de la sanction administrative pécuniaire peut être utilisé en sus pour inciter le destinataire à adopter un comportement conforme au droit à l'avenir. Par ailleurs, en droit pénal, la confiscation de valeurs patrimoniales, prévue par l'art. 70 CP, peut être ordonnée cumulativement à une peine.

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4.5

Prescription de la poursuite et de l'exécution de la sanction

La question du délai de prescription peut également se poser dans les procédures de sanctions administratives. Le droit pénal connaît à cet égard l'institution de la prescription de la poursuite pénale196, selon laquelle l'ouverture d'une procédure pénale est exclue après l'expiration du délai de prescription.

D'après le Tribunal fédéral, la prescription doit être considérée comme une «institution générale du droit», qui s'applique même en l'absence d'une base légale dédiée197.

Le droit général en vigueur dans le domaine de la procédure administrative ne prévoit pas de dispositions expresses relatives à la prescription pour la poursuite des infractions passibles de sanctions administratives. Certaines lois spéciales contiennent des règles présentant des similitudes avec la prescription de la poursuite pénale198. En revanche, d'autres domaines (par ex. celui des maisons de jeu) ne comportent pas de dispositions expresses dans leur réglementation.

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, en l'absence de dispositions sur la prescription, le juge suit en premier lieu les règles établies par le législateur en droit public se rapportant à des faits similaires. En l'absence de règles correspondantes, il y a lieu d'appliquer les principes généraux (de droit civil) sur la prescription, selon lesquels un délai de 10 ans s'applique aux prestations uniques et un délai de 5 ans aux prestations périodiques199.

Dans le domaine des maisons de jeu, le Tribunal fédéral s'est appuyé sur la règle de droit des cartels de l'art. 49a, al. 3, LCart et a retenu que l'acte est considéré comme prescrit lorsque le comportement à sanctionner a pris fin depuis plus de 5 ans au moment de l'ouverture de l'enquête. Selon le Tribunal fédéral, une analogie avec le délai de prescription pénal est toutefois aussi envisageable pour les faits relevant de la loi sur les jeux d'argent (délai de 7 ans selon le droit qui était en vigueur à l'époque)200.

Pour des raisons liées à la prévisibilité et à la sécurité du droit, il semble indiqué de fixer une définition légale de la prescription de la poursuite dans le domaine des sanctions administratives pécuniaires et de compléter les lois spéciales en la matière. Ces réglementations ne devraient pas avoir pour effet d'empêcher les autorités administratives de prononcer d'autres mesures administratives même après l'expiration du délai de prescription. Il est nécessaire de régler les points ci-dessous:

196 197

Voir art. 97 ss CP concernant les crimes et délits et 109 CP concernant les contraventions.

Voir par ex. ATF 126 II 49 consid. 2a; 124 I 247 consid. 5; pour le surplus: MOOR/FLÜCKIGER/MARTENET, Droit administratif: vol. I, p. 70 ss.

198 Par ex. art. 14 LEDPP (5 ou 10 ans) art. 122c, al. 3, LEI (2 ans) art. 49a, al. 3, let. b, LCart (5 ans). Voir également à ce sujet TAGMANN/ZIRLICK, BSK-KG, no 239a s. ad art. 49a LCart, selon lesquels il ne s'agit pas d'un délai de prescription de la poursuite, mais d'un délai de péremption.

199 ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 4.2 et les réf. citées.

200 ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 4.3.2. Voir également, dans le domaine des cartels, l'arrêt du TAF B-831/2011 du 18 décembre 2018 SIX/DCC, consid. 1660 ss (non encore entré en force).

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­

Durée du délai de prescription: le délai de prescription doit tenir compte de l'importance du bien juridique lésé et de la faisabilité de la procédure de sanctions administratives. Le législateur peut à cet égard s'appuyer sur les réglementations sectorielles mentionnées dans l'introduction. De manière générale, un délai suffisamment long devrait être prévu entre la commission de l'infraction et l'ouverture de la procédure, ainsi qu'entre l'ouverture de la procédure et sa clôture (prononcé de la sanction).

­

Point de départ du délai: il devrait coïncider avec le jour où le manquement ou la violation d'une obligation est survenu, ou le jour où une violation continue a pris fin.

­

Fin de la prescription: il y a lieu d'établir si la prescription de la poursuite est interrompue par un événement déterminé (par ex. ouverture d'une procédure formelle ou décision de sanction en première instance)201.

­

Choix d'un délai relatif ou absolu: s'agissant du délai, l'approche à privilégier serait celle d'un délai unique absolu.

Quant à la prescription de l'exécution de la sanction, il y a lieu de relever que selon l'art. 40 PA, les décisions concernant des sanctions administratives pécuniaires doivent être exécutées sur la base de la LP. Les dispositions du code des obligations sont ainsi applicables implicitement au délai de prescription202. À cet égard, il n'est pas nécessaire de procéder à une adaptation législative203.

4.6

Conclusion intermédiaire

À la lumière du droit conventionnel et constitutionnel, rien n'exclut en principe l'idée de faire respecter des règles de comportement au moyen de sanctions administratives pécuniaires. Les sanctions administratives pécuniaires qui tombent dans le champ d'application des garanties de procédure pénale nécessitent toutefois un ancrage dans une base légale formelle, conformément au principe de la légalité en droit pénal. Les obligations de comportement qu'il est prévu de faire respecter au moyen d'une sanction administrative pécuniaire doivent aussi être fixées dans les réglementations spéciales pertinentes.

Selon la jurisprudence, la sanction présuppose une faute de l'entreprise au sens de l'imputabilité. L'autorité administrative doit donc établir à tout le moins une faute dans l'organisation (violation objective d'un devoir de prudence). L'entreprise peut aussi être sanctionnée en cas de comportement fautif d'une personne responsable. Les 201

L'art. 25, par. 3, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, JO L du 4.1.2003, p. 1, va plus loin et attribue un effet interruptif à tout acte visant l'instruction ou la poursuite de l'infraction.

202 Voir art. 81, al. 1, in fine LP. Voir également: MOOR/POLTIER, Droit administratif: vol. II, p. 145 ss.

203 Dans une perspective de droit comparé, on peut noter qu'en droit européen de la concurrence, l'art. 26 (par. 1 et 2, du règlement (CE) no 1/2003 prévoit un délai de prescription de 5 ans pour l'exécution des décisions de la Commission, courant dès le jour où la décision est devenue définitive.

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dispositions examinées dans le rapport ne règlent pas expressément la question de la faute, mais des adaptations législatives ne semblent pas urgentes. Il faudra examiner en détail, et en fonction des circonstances concrètes, la question de savoir si certains aspects subjectifs devront être réglementés dans les éventuelles nouvelles dispositions relatives à des sanctions administratives pécuniaires.

Les conséquences juridiques d'une sanction administrative pécuniaire doivent être formulées en tant qu'«imputation d'un montant» (Belastung mit einem Betrag; par ex.

«l'entreprise est tenue au paiement d'un montant de...»), et non en tant qu'«amende».

Cette formulation permet de distinguer les sanctions administratives des dispositions pénales d'une loi et de déterminer le droit de procédure applicable (la PA, et non la DPA).

Lors de la détermination du montant d'une sanction dans la loi, il y a lieu de veiller à ce que la sanction soit suffisamment élevée pour être efficace. Selon le domaine, plusieurs modes de détermination du montant sont possibles (sanction liée au chiffre d'affaires, sanction forfaitaire, cadre de référence).

Les critères de calcul du montant des sanctions devraient être fixés dans les lois spéciales ou dans des dispositions d'exécution. Ces critères peuvent également découler d'un message du Conseil fédéral, de la pratique des autorités administratives ou de la jurisprudence. De plus, l'autorité administrative compétente doit pouvoir disposer d'une marge d'appréciation suffisamment étendue au regard du choix du type de sanctions.

Pour des raisons liées à la prévisibilité et à la sécurité du droit, il semble indiqué de fixer une définition légale de la prescription de la poursuite dans le domaine des sanctions administratives pécuniaires dans les lois spéciales en la matière.

5

Procédure en matière de sanctions administratives pécuniaires

Le présent chapitre décrit la procédure de sanctions administratives pécuniaires. L'accent sera mis sur les aspects ayant suscité des incertitudes du point de vue juridique dans la pratique des autorités. La structure du chapitre suit la chronologie de la procédure en matière de sanctions administratives de première instance, et correspond de cette manière à la systématique de la PA.

5.1

Début de la procédure de sanctions administratives

5.1.1

Autorités compétentes

Les procédures de sanctions administratives pécuniaires sont instruites en première instance par des autorités administratives, qui rendent également les décisions prononçant des sanctions. Les autorités administratives revêtent ainsi une double fonction d'instruction des procédures et de sanction. En fonction du domaine concerné, cette

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tâche est confiée à des offices de l'administration centrale204 ou à des commissions extraparlementaires205.

Selon l'art. 6, par. 1, CEDH, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Cela signifie que le prévenu doit avoir un accès effectif à un tribunal avec plein pouvoir d'examen en fait et en droit. Le tribunal doit être indépendant des autres pouvoirs de l'État, c'est-à-dire de l'exécutif et du législatif, et des parties. Cette indépendance est garantie par la procédure d'élection des membres du tribunal, par la durée de leur mandat, par la protection contre des influences extérieures et, enfin, par le fait que le tribunal peut passer pour indépendant206.

Bien que les autorités administratives de première instance ne constituent pas des «tribunaux», la CourEDH conclut toutefois dans l'arrêt Menarini Diagnostics S.R.L concernant une procédure en matière de concurrence (avec une amende élevée), que le fait que l'autorité de première instance soit une autorité administrative (qui a des compétences en matière d'enquête, d'accusation et de sanction) n'est, en soi, pas incompatible avec l'art. 6 CEDH. Dans ces cas, les exigences de l'art. 6 CEDH doivent être satisfaites au stade de la procédure judiciaire de recours ultérieure, soit devant un tribunal bénéficiant d'un plein pouvoir d'examen207.

À la lumière de la jurisprudence Menarini, le Tribunal fédéral a lui aussi jugé, dans le cadre du droit des cartels, que la structure institutionnelle de la Commission de la concurrence (COMCO) comme autorité de première instance qui prononce la sanction est compatible avec les exigences de la CEDH208, car ses décisions peuvent faire l'objet d'un recours devant le Tribunal administratif fédéral, conformément aux exigences de la convention. De façon générale, on peut donc affirmer que l'organisation actuelle des compétences en matière de sanctions administratives pécuniaires selon le droit administratif fédéral apparaît comme admissible au regard de la CEDH.

Cette solution présente des avantages sur le plan pratique, puisque les autorités administratives disposent de l'expertise nécessaire dans le domaine en question et qu'elles se trouvent souvent
d'ores et déjà dans un rapport de surveillance sur les entreprises concernées par la procédure209. La concentration de la compétence d'instruire et de 204 205 206 207

208

209

Par ex., l'OFCOM est compétent pour instruire les procédures et prononcer les sanctions prévues par les art. 60 LTC et 90 LRTV.

A titre d'exemple: la COMCO pour les sanctions administratives relevant des art. 49a ss LCart, la PostCom pour l'art. 25 LPO, ou la CFMJ pour l'art. 100 LJAr.

Arrêt de la CourEDH Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal du 6 novembre 2018 Grande Chambre, (requêtes nos 55391/13, 57728/13 et 74041/13), § 144.

Arrêt de la CourEDH, Menarini Diagnostics S.R.L. c. Italie du 27 septembre 2011, (requête no 43509/08), § 57 ss, confirmé par l'arrêt Grande Stevens et autres c. Italie du 4 mars 2014, (notamment requête no 18640/10), § 139. Sur la question du pouvoir d'examen de l'autorité de recours, voir ch. 5.8.

ATF 139 I 72 consid. 4.4 ­ Publigroupe. Dans son message relatif à la révision de la loi sur les cartels et à une loi sur l'organisation de l'autorité de la concurrence, p. 3676, le Conseil fédéral a proposé une séparation claire entre l'autorité en charge de l'enquête d'une part, et celle en charge des jugements, d'autre part. Le Parlement n'est toutefois pas entré en matière sur le projet. Il n'y a par conséquent pas non plus de nécessité du point de vue politique de séparer davantage les fonctions.

Tel est par exemple le cas de la PostCom, de la CFMJ ou de l'OFCOM.

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sanctionner au bénéfice des autorités de surveillance de l'administration présente également l'avantage de garantir des voies de recours identiques pour les décisions de surveillance et de sanction administrative pécuniaire (en règle générale le Tribunal administratif fédéral, puis le Tribunal fédéral). La concentration des compétences de surveillance et de sanction auprès de la même autorité administrative permet d'éviter un fractionnement indésirable de celles-ci. Elle permet ainsi de remplir l'objectif d'efficacité des procédures.

Au demeurant, il y a lieu de s'assurer que les autorités administratives compétentes disposent des qualifications et de l'expérience requises dans la conduite de procédures de sanctions210.

Il résulte des éléments qui précèdent que la concentration des compétences d'instruction et de décision auprès des autorités de surveillance est admissible au regard du droit conventionnel et constitutionnel, et qu'elle présente des avantages sur le plan pratique.

5.1.2

Ouverture de la procédure

Les procédures en matière de sanctions administratives pécuniaires sont engagées d'office ou sur (auto-)dénonciation. La question se pose donc de savoir quels sont les critères à remplir pour que l'autorité puisse agir et de quelle marge de manoeuvre elle dispose.

La PA en vigueur ne contient pas de règles générales sur l'ouverture de la procédure.

La compétence d'ouvrir une procédure découle des dispositions des lois spéciales. En règle générale, l'autorité compétente ouvre une procédure dès lors qu'il existe un soupçon suffisant que les éléments constitutifs d'une infraction sont remplis, et qu'il y a lieu de régler le rapport juridique de façon autoritaire.

Il faut distinguer la compétence de l'autorité d'ouvrir la procédure de la question de savoir si l'autorité est tenue de le faire. Le droit administratif ne connaît pas le «principe de la légalité des poursuites» qui existe dans le domaine de la poursuite pénale (voir art. 7 CPP). L'autorité administrative dispose généralement d'une certaine marge d'appréciation pour décider d'ouvrir une procédure de sanction administrative pécuniaire ou d'y renoncer pour des raisons d'opportunité. Les principes d'égalité de traitement, de légalité et de proportionnalité guident l'exercice du pouvoir d'appréciation de l'autorité. Dans le cadre de ses compétences, l'autorité administrative est en principe tenue d'appliquer le droit. Elle est donc tenue d'ouvrir une procédure, soit d'office lorsque des faits nécessitant son intervention sont portés à sa connaissance, soit sur demande d'un administré lorsque celui-ci fait valoir un intérêt digne de protection211. En revanche, elle peut, par exemple, renoncer à ouvrir une procédure si une procédure de sanction administrative apparaîtrait disproportionnée au regard du peu de gravité de la violation, des frais et du temps consacrés à la procédure.

210 211

Voir notamment sur ce point l'art. 14, al. 2, PA.

BOVAY, Procédure administrative, p. 211 ss.

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Le droit des cartels fait figure d'exception (voir art. 27, al. 1, LCart). Dans ce domaine, il est généralement admis, pour des raisons liées à l'état de droit, que la poursuite a un caractère impératif, dans le respect du principe de proportionnalité212.

Une réglementation générale des modalités d'ouverture d'une procédure et des critères de renonciation à celle-ci pourrait assurer une uniformité de la pratique dans le domaine des sanctions administratives pécuniaires. En revanche, la diversité des domaines concernés rend difficile l'adoption d'une réglementation transversale. Le maintien d'une marge de manoeuvre des autorités devrait être privilégié en vue de tenir compte des particularités propres aux domaines concernés. Il appartient à l'autorité administrative compétente d'établir une «unité de doctrine» dans son domaine d'exécution. Dans l'application d'une loi spéciale, une pratique devrait être reconnaissable, établissant la garantie d'une égalité de traitement des acteurs par l'autorité prononçant la sanction.

Il convient d'ajouter que l'ouverture d'une procédure administrative ne nécessite pas une ordonnance formelle213, contrairement à la procédure pénale (voir art. 309, al. 3, CPP)214. Le droit de la procédure administrative ne connaît pas non plus d'«ordonnance de non-entrée en matière» (voir art. 310 CPP), dans le cas où l'autorité renonce à ouvrir une procédure 215. Cette solution est convaincante: il n'est donc pas nécessaire de codifier l'ouverture ou la renonciation à l'ouverture d'une procédure administrative, d'autant plus qu'il n'y a généralement pas d'intérêts de tiers à une protection juridique.

En revanche, il faut que l'ouverture de la procédure soit communiquée aux parties afin qu'elles aient connaissance de la procédure et de ses conséquences juridiques. Cette communication constitue la condition préalable à l'exercice du droit de se prononcer, qui découle du droit d'être entendu216. L'obligation de communiquer aux parties peut donc découler de la garantie du droit d'être entendu (art. 29 Cst., voir ch. 5.5)217. La PA ne prévoit pas explicitement qu'il faut communiquer l'ouverture d'une procédure 212

213 214

215

216 217

Voir ZIRLICK/TAGMANN, BSK-KG, no 52a ss ad art. 27 LCart. Dans sa pratique, la COMCO prend en compte entre autres les critères suivants pour se déterminer sur la renonciation à l'ouverture d'une procédure: la nature et la gravité de la restriction à la concurrence, l'étendue et la durée de celle-ci, la nécessité d'une décision de principe, l'existence d'intérêts privés, la complexité et les frais estimés de la procédure, le pronostic de la décision, et l'existence de ressources suffisantes au sein des autorités compétentes en matière de concurrence.

Ce n'est pas non plus le cas, même si la loi spéciale contient une disposition explicite relative à l'annonce de l'ouverture d'une procédure, voir par ex. art. 30 LFINMA.

Voir art. 309 CPP. Le droit pénal administratif ne prévoit pas non plus d'exigences formelles quant à l'ouverture de la procédure. À noter que l'art. 104, al. 4, de la loi du 12 juin 2009 sur la TVA (LTVA; RS 641.20) comporte une exception à ce principe, cette disposition prévoyant que l'ouverture d'une procédure pénale doit être communiquée par écrit au prévenu.

Voir KIENER/RÜTSCHE/KUHN, Verfahrensrecht, no 463, avec référence à l'ATF 130 II 521 consid. 2.7.4 et l'ATF 135 II 60 consid. 3.1.2, d'après lesquels une éventuelle communication à un dénonciateur (par ex. un concurrent au sens du droit des cartels) concernant l'intention de l'autorité de ne pas ouvrir de procédure ne constitue pas une décision susceptible de recours.

Voir KIENER/RÜTSCHE/KUHN, Verfahrensrecht, no 461 s.; au sujet du droit à être informé sur le déroulement de la procédure, voir aussi ATF 140 I 99 consid. 3.4.

WALDMANN, BSK-BV, no 53 ad art. 29 Cst.

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aux parties218. Compte tenu de l'art. 29 Cst. et du fait qu'en pratique, les autorités administratives communiquent l'ouverture d'une procédure, il n'est toutefois pas nécessaire de compléter la PA en ce sens dans l'immédiat.

5.1.3

Droit à la défense, à l'assistance judiciaire gratuite et à un interprète

En vertu de l'art. 6, par. 3, let. c, CEDH, tout accusé a le droit de se défendre luimême ou de se faire défendre par un avocat. Le droit à une défense effective par un avocat est un élément essentiel du droit à un procès équitable 219. Il existe à partir du moment de l'accusation en matière pénale 220. L'autorité doit informer le prévenu de son droit à se défendre221. Si le prévenu ne dispose pas des moyens financiers suffisants pour rémunérer un défenseur, et si les intérêts de la justice l'exigent, il a aussi droit à l'assistance judiciaire gratuite222.

Au niveau constitutionnel, le droit à une représentation et à une assistance judiciaire est une partie du droit d'être entendu au sens de l'art. 29, al. 2, Cst. 223. Il est réglé en détail pour les procédures pénales aux art. 128 ss CPP, et à l'art. 11, al. 1, PA pour les procédures administratives. Une partie peut en tout temps faire accomplir des actes de procédure par un tiers de son choix (représentation) ou être assistée par un tiers de son choix pendant la procédure orale (assistance judiciaire). En ce qui concerne les procédures de sanctions administratives pécuniaires relevant du champ d'application de l'art. 6 CEDH, on considère que le droit d'être assisté par un avocat existe déjà au moment de la première audition (avocat de la première heure»)224 225.

Le droit constitutionnel à une assistance judiciaire gratuite est inscrit à l'art. 29, al. 3, Cst. Il est également valable pour les procédures administratives de première instance.

218

219 220 221 222 223 224

225

La loi sur les cartels contient en revanche une disposition relative à la communication de l'ouverture d'une procédure par publication officielle (art. 28 LCart). La publication sert principalement à informer les tiers susceptibles de participer à l'enquête.

Arrêt de la CourEDH Ibrahim et autres c. Royaume-Uni du 13 septembre 2016, Grande Chambre, (notamment requête no 50541/08), Recueil CourEDH 2016, § 255.

Arrêt de la CourEDH Simeonovi c. Bulgarie du 12 mai 2017, Grande Chambre, (requête no 21980/04), Recueil CourEDH 2017, § 110.

Arrêt de la CourEDH Ibrahim et autres c. Royaume-Uni du 13 septembre 2016, Grande Chambre, (notamment requête no 50541/08), Recueil CourEDH 2016, § 272.

Voir arrêt de la CourEDH Quaranta c. Suisse du 24 mai 1991, (requête no 12744/87), série A, vol. 205, § 27.

Arrêt du TAF A-897/2012 du 13 août 2012, consid. 4.1.1; voir aussi ATF 132 V 443, consid. 3.3, avec référence à l'ATF 119 Ia 261 consid. 6a.

Les enquêtes en droit des cartels débutent souvent par une perquisition en application de l'art. 42, al. 2, LCart, afin de pouvoir bénéficier de l'effet de surprise et saisir immédiatement les moyens de preuve. Parallèlement à la perquisition, les autorités en matière de cartels entendent les parties et les témoins pour éviter que ceux-ci ne puissent se concerter préalablement.

Voir note du secrétariat de la COMCO, Sélection d'instruments d'enquête du 6 janvier 2016, no 59.

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Pour bénéficier de ce droit, la personne concernée doit être dans le besoin, c'est pourquoi il ne s'applique en principe qu'aux personnes physiques226. Les personnes morales n'y ont droit que dans des cas exceptionnels; ainsi, dans le contexte des procédures de sanctions administratives pécuniaires, l'art. 29, al. 3, Cst. n'est en règle générale pas pertinent227.

La PA ne prévoit pas expressément d'assistance judiciaire gratuite dans le cadre des procédures non contentieuses, mais elle contient une règle à ce sujet dans le contexte des procédures de recours (voir art. 65 PA). Puisque les droits découlent directement de l'art. 29, al. 3, Cst., il n'y a pas de nécessité immédiate d'agir sur le plan législatif au regard du droit constitutionnel.

Outre le droit à une assistance judiciaire gratuite, l'art. 6, par. 3, let. e, CEDH octroie au prévenu le droit de bénéficier de l'assistance gratuite d'un interprète s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. La personne accusée doit être informée de ce droit228. Contrairement à la procédure pénale (art. 68 CPP), la Constitution et la PA ne prévoient pas de droit général à l'assistance gratuite d'un interprète229. D'après la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral, on peut exiger que les entreprises actives au niveau international assument elles-mêmes les coûts de traduction dans le cadre des procédures de sanctions administratives qui entrent dans le champ d'application de l'art. 6 CEDH. Le tribunal ne considère pas que cela limite excessivement le droit d'être entendu230. En revanche, si des personnes physiques de langue étrangère sont concernées par des procédures de sanctions administratives, elles devraient en principe avoir droit à une traduction gratuite, conformément à l'art. 6, par. 3, let. e CEDH.

5.1.4

Conclusion intermédiaire

Les procédures de sanctions administratives de première instance sont menées par l'autorité compétente pour l'application de la loi spéciale correspondante. La jurisprudence a reconnu que cette organisation des compétences est en principe compatible avec le droit, issu de l'art. 6, par. 1, CEDH, à ce que les accusations en matière pénale soient jugées par un tribunal. La condition préalable est que les décisions de sanctions prononcées en première instance puissent être réexaminées dans le cadre d'une procédure de recours, conformément aux dispositions de la convention. Tel est le cas des sanctions administratives pécuniaires prévues dans le droit administratif fédéral.

La compétence des autorités administratives d'ouvrir une procédure découle quant à elle des dispositions des lois spéciales. La PA ne prévoit pas de «principe de la légalité 226 227

ATF 131 II 306 consid. 5.2.

D'après la jurisprudence du Tribunal fédéral, pour qu'une personne morale bénéficie de l'assistance judiciaire, son seul actif doit être en litige et les personnes physiques économiquement intéressées par la société doivent être indigentes (voir ATF 143 I 328 consid. 3.1; 131 II 306 consid 5.2.2).

228 Arrêt de la CourEDH Vizgirda c. Slovénie du 28 août 2018, (requête no 59868/08), § 86.

229 LOCHER, Verwaltungsrechtliche Sanktionen, no 456.

230 Arrêt du TAF B-6030/2012 du 5 décembre 2012, p. 6. En ce qui concerne les procédures de sanctions administratives pécuniaires contre plusieurs parties de différentes langues, voir arrêt du TAF B-2577/2016 du 12 octobre 2016 consid. 4 ss.

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des poursuites» (Verfolgungszwang). La question de savoir si une procédure de sanction administrative pécuniaire doit être ouverte ou s'il faut y renoncer pour des motifs d'opportunité est laissée à l'appréciation des autorités administratives. Si l'autorité ouvre une procédure de sanction, elle en informe les parties, conformément à sa pratique.

Par ailleurs, il a été établi que le droit à une représentation et à une assistance judiciaire, ainsi qu'à un interprète, ne posent pas de problèmes juridiques dans la pratique nécessitant des modifications législatives.

5.2

Parties et autres personnes concernées (tiers)

5.2.1

Qualité de partie des destinataires des sanctions administratives pécuniaires

Pour pouvoir bénéficier de la qualité de partie dans les procédures administratives en vertu de l'art. 6 PA, le destinataire de la décision doit notamment être un sujet jouissant des droits civils au sens du droit civil, et disposant de ce fait de la capacité d'être partie231, ou que la loi lui confère cette capacité232. Dans de nombreux cas, les lois spéciales examinées qui prévoient des sanctions administratives pécuniaires portent aussi bien sur des sujets disposant de la capacité juridique que sur ceux qui ne l'ont pas. Par exemple, les obligations en matière de droit des cartels concernent des entreprises au sens de l'art. 2, al. 1bis, LCart, parmi lesquelles peuvent être compris les groupes de sociétés dans leur ensemble ou les sociétés en nom collectif 233. La loi sur les travailleurs détachés234, la loi sur les télécommunications235, ou sur l'aviation236 sont d'autres exemples de réglementations ne concernant pas des sujets ayant la capacité juridique. On distingue plus précisément les cas de figure suivants: ­

231 232 233 234 235

236

Corporations: les entreprises organisées en corporations telles que les sociétés anonymes et les sociétés à responsabilité limitée sont des sujets de droit avec capacité juridique qui revêtent la forme de personnes morales. C'est pourquoi elles ont la personnalité juridique et bénéficient de la qualité de partie dans une procédure de sanction administrative (voir art. 643, al. 1, et 779, al. 1, CO).

Art. 11 et 53 CC (RS 210).

MARANTELLI-SONANINI/HUBER, Praxiskommentar VwVG, no 12 s. ad art. 6 PA; JOST, Parteien, no 422 ss; LEBER, Parteistellung, p. 19.

TAGMANN/ZIRLICK, BSK-KG, no 97 ad art. 49a LCart.

La LDét s'adresse tant aux personnes morales qu'aux sociétés de personnes et aux raisons individuelles.

Selon l'art. 60, al. 1, LTC, les «entreprises» sont concernées par les sanctions administratives. Selon le message relatif à la modification de la loi sur les télécommunications, p. 7284, les particuliers qui n'exploitent pas une entreprise en la forme commerciale (par ex. les radioamateurs) ne sont pas touchés par cette disposition. En revanche, les personnes physiques qui contreviennent au droit des télécommunications dans l'exercice de leurs activités entrepreneuriales sont aussi soumises à la disposition. Jusqu'à présent, la ComCom et l'OFCOM n'ont eu à rendre des décisions qu'à l'encontre d'entreprises.

Les entreprises de transport aérien au sens des art. 122a et 122b LEI sont généralement des personnes morales, toutefois les entreprises individuelles ou les sociétés de personnes ne sont pas exclues.

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237 238

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241 242 243 244

­

Groupe de sociétés: les groupes de sociétés en tant que tels n'ont pas de personnalité juridique, seules les sociétés membres du groupe en ont une237. Par conséquent, elles sont aussi les seules à pouvoir être considérées comme parties à une procédure de sanction administrative238.

­

Sociétés de personnes: les sociétés de personnes (dont font partie les sociétés simples, ainsi que les sociétés en nom collectif et en commandite) n'ont pas la capacité juridique239. Toutefois, en vertu de la loi, les sociétés en nom collectif et en commandite ont la capacité d'être partie et d'ester en justice (art. 562 et 602 CO). Sur le plan de la procédure, elles peuvent être directement sanctionnées. Les sociétés simples n'ont en revanche pas la capacité d'être partie. Ce n'est donc pas la société simple en tant que telle qui a la qualité de partie dans la procédure, mais ses associés individuels240. Ce cas de figure est cependant d'une importance secondaire dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires, car dès lors que la société est gérée comme une entreprise commerciale, il ne s'agit plus d'une société simple mais d'une société en nom collectif241.

­

Entreprises individuelles: une entreprise individuelle est une forme juridique pour une entreprise commerciale qui est la propriété d'une seule personne et qui est gérée par celle-ci242. L'entreprise individuelle n'a pas la capacité juridique: c'est son propriétaire qui tombe sous le coup de la loi et a la qualité de partie 243. Ce cas de figure ne semble pas problématique du point de vue formel.

­

Personnes physiques: les personnes physiques exerçant des activités commerciales, qui sont comprises dans le champ d'application personnel des lois spéciales (concerne par ex. la LCart244, la LTC, la LDét et la LAgr), doivent être

MEIER-HAYOZ/FORSTMOSER, Gesellschaftsrecht, § 24 no 61.

Selon la jurisprudence en matière de droit des cartels, les sociétés membres du groupe, indépendantes sur le plan juridique (en règle générale, il s'agit de la filiale directement impliquée dans l'infraction ainsi que de la société mère du groupe), sont les destinataires des sanctions administratives pécuniaires et sont tenues de s'acquitter du paiement du montant. Au sujet de la qualité de partie des groupes de sociétés dans les procédures de sanction en droit des cartels, voir JOST, Parteien, no 719 ss; concernant le droit européen de la concurrence, voir RAUBER, Verteidigungsrechte von Unternehmen, p. 109 s.

MEIER-HAYOZ/FORSTMOSER, Gesellschaftsrecht, § 2 no 83. Les sociétés de personnes n'ont pas la capacité d'être partie puisqu'elles n'ont pas de personnalité juridique; JOST, Parteien, no 481 et les références citées.

MEIER-HAYOZ/FORSTMOSER, Gesellschaftsrecht, § 11 no 18, avec renvoi à l'ATF 100 Ia 392 consid. 1; 132 I 256 consid. 1.1; Arrêt du Tribunal administratif fédéral B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon, consid. 4.1.4 avec renvois ­ Pour des informations plus détaillées au sujet des sociétés simples en tant que consorité, voir JOST, Parteien, no 483 ss.

MEIER-HAYOZ/FORSTMOSER, Gesellschaftsrecht, § 11 no 32 ss.

MEIER-HAYOZ/FORSTMOSER, Gesellschaftsrecht, § 26 no 2, 5.

Arrêt du TAF A-6542/2012 du 22 avril 2013 consid. 1.2.

Le terme d'entreprise au sens de l'art. 2, al. 1bis, LCart s'applique aussi aux personnes physiques qui interviennent en tant qu'investisseurs professionnels, BORER, OFKWettbewerbsrecht I, no 7 ad art. 2 LCart.

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considérées comme des parties dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires. Ce cas de figure ne semble pas problématique du point de vue formel.

Les groupes de sociétés, les sociétés simples et les entreprises individuelles n'ont pas la qualité de partie en tant que telles, même si, du point de vue matériel, ils entrent dans le champ d'application des lois spéciales et sont les destinataires des normes dont une violation fait l'objet d'une sanction. Dans le cas des groupes de sociétés, les sociétés membres du groupe sont parties à la procédure de sanction administrative. Dans le cas des sociétés simples et des entreprises individuelles, ce sont les propriétaires (Unternehmensträger) qui sont parties à la procédure.

L'analyse a montré que la pratique et la jurisprudence ont pu résoudre les questions liées à la qualité de partie en se basant sur le droit en vigueur. Il n'est pas nécessaire d'établir une réglementation en ce sens.

5.2.2

Conséquences de la restructuration d'entreprises sur la qualité de partie

Les entreprises peuvent modifier leur structure pendant le déroulement d'une procédure de sanction administrative pécuniaire en transférant par exemple l'activité économique à d'autres entreprises / sociétés dans le cadre d'une succession, d'une séparation ou d'un transfert de valeurs patrimoniales (asset deal)245. Si elles procèdent à une restructuration, elles pourraient échapper à la clôture d'une procédure ou à l'exécution d'une décision de sanction. Par exemple, une entreprise pourrait essayer de se soustraire à l'obligation de s'acquitter du paiement du montant de la sanction en laissant la société sanctionnée partir en faillite tout en poursuivant l'activité commerciale par l'intermédiaire d'une autre société 246.

La PA ne règle pas les conséquences juridiques qu'entraîne une restructuration d'entreprise. Il y aurait lieu de clarifier la question de savoir si une telle modification structurelle exerce une influence notable sur la procédure administrative et, le cas échéant, sur la procédure de recours. Il faudrait alors tenir compte de plusieurs critères: le champ d'application personnel des lois spéciales, les parties concernées / destinataires

245

Au sujet des différents types de restructuration d'entreprises, voir arrêt du TAF B-831/2011 du 18 décembre 2018 SIX/DCC, consid. 56 (non encore entré en force).

246 Dans une perspective de droit comparé, le par. 81, al. 3a­3f de la loi allemande contre les restrictions à la concurrence (Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen [GWB]) règle la responsabilité des groupes de sociétés pour les infractions commises par des filiales. Cette disposition a été introduite pour combler une lacune (connue sous le terme de «Wurstlücke»). Elle s'inscrit dans le contexte d'une sanction prononcée à l'encontre d'entreprises actives dans la transformation de la viande qui s'étaient réunies pour former un «cartel de la saucisse» (Wurstkartell»). Une partie des entreprises sanctionnées avait pu échapper à la sanction grâce à un important transfert de valeurs patrimoniales à d'autres sociétés du groupe, en profitant de cette lacune. Voir à ce sujet JUNGBLUTH ARMIN, 9e GWB-Novelle ­ Digitalisierung, Schliessung der Wurstlücke, Kartellschadensersatz und anderes mehr, in: Neue Zeitschrift für Kartellrecht. vol. 5 n o 6, 2017, p. 257.

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de la décision, et la part de responsabilité du groupe de sociétés pour le comportement contraire au droit en cause247.

Dans sa pratique de droit de la concurrence, la COMCO résout ce problème en se référant à la notion d'entreprise du point de vue économique (art. 2, al. 1bis, LCart) et en incluant le nouveau propriétaire de l'entreprise (Unternehmensträger) dans le champ d'application de la loi lorsqu'il y a une continuité du point de vue économique (principe de la continuité de l'entreprise [Prinzip der Unternehmenskontinuität])248.

Le Tribunal administratif fédéral semble approuver cette argumentation249, mais le Tribunal fédéral ne s'est pas encore prononcé à ce sujet. Ce dernier ne s'est en outre pas encore exprimé sur la problématique de l'exécution de la décision de sanction dans le cas de telles restructurations après décision de la COMCO en première instance. Enfin, il n'est pas clair si le principe de la continuité de l'entreprise qui tire son origine de la notion d'entreprise au sens de la loi sur les cartels peut être transposé de manière générale à d'autres lois sectorielles. Quoi qu'il en soit, ce principe ne découle pas de la PA elle-même.

Il ressort de ce qui précède qu'il faudrait clarifier ou régler dans la loi, sous la forme d'une disposition générale, les conséquences juridiques d'une restructuration d'entreprise sur la procédure en matière de sanctions administratives pécuniaires et l'éventuel transfert de responsabilité, afin de parer au risque que l'entreprise puisse se soustraire à une sanction. Pour ce faire, il est indiqué de se référer au principe de la continuité de l'entreprise (Unternehmenskontinuität) issu de la pratique de droit des cartels.

5.2.3

Représentation d'entreprises dans la procédure de sanctions administratives

En fonction de leur forme, les entreprises agissent par le biais de leurs organes, associés ou représentants, qui peuvent se composer de plusieurs personnes physiques, une fois encore en fonction de la forme de l'entreprise et de ses règles individuelles en matière de pouvoir de représentation vis-à-vis de tiers. Dans le contexte des procédures de sanctions administratives pécuniaires, la question se pose de savoir lesquelles de ces personnes physiques peuvent représenter l'entreprise dans le cadre de la procédure et l'engager par leurs actes. La PA en vigueur ne règle pas cette question de façon explicite250.

En revanche, le droit pénal applicable aux entreprises contient en son art. 112 CPP une disposition déterminant la représentation d'une entreprise dans le cadre d'une 247 248

Voir arrêt du TAF B-831/2011 du 18 décembre 2018 SIX/DCC, consid. 57.

Voir TAGMANN/ZIRLICK, BSK-KG, no 100 s. ad art. 49a LCart; voir également ROTH, CR-Concurrence, no 34 ss ad Rem. art. 49a­53 LCart.

249 Arrêt du TAF B-831/2011 du 18 décembre 2018 SIX/DCC, consid. 56 ss, 1494 ss (non encore entré en force).

250 La représentation (obligatoire) et l'assistance des parties réglée aux art. 11 et 11b PA concerne une autre question, à savoir le droit à la représentation en tant que conséquence du droit constitutionnel d'être entendu. En revanche, l'art. 18 de la loi fédérale du 4 décembre 1947 de procédure civile fédérale (RS 273) porte sur la représentation des parties, mais il ne s'applique pas à la procédure administrative, faute de renvoi explicite.

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procédure. L'entreprise doit en premier lieu choisir elle-même un représentant issu du groupe de personnes autorisées à représenter l'entreprise en matière civile sans restriction (par ex. gérant, membre du conseil d'administration). Si l'entreprise ne nomme personne, la représentation est désignée par la direction de la procédure compétente. Pour éviter les conflits d'intérêts, l'entreprise doit cependant désigner un autre représentant si une enquête pénale est ouverte pour les mêmes faits ou des faits connexes à l'encontre de la personne qui représente l'entreprise dans la procédure pénale251.

La question de la représentation dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires nécessite d'être réglée. Pour des motifs de sécurité du droit, il faudrait garantir qu'une seule personne physique représente l'entreprise lors de la procédure, et non pas toutes les personnes pouvant la représenter en matière civile sans aucune restriction. Si cette personne physique fait l'objet d'une procédure pénale pour le même état de fait ou des faits connexes, et qu'il y a donc un conflit d'intérêts entre la partie et ses organes ou d'autres collaborateurs, il convient de conférer au juge un droit de désignation officielle d'un représentant. L'ajout d'une disposition générale basée sur la disposition parallèle en procédure pénale (art. 112 CPP) semble judicieux.

5.2.4

Statut procédural des membres d'une entreprise

La question de savoir quel statut procédural revient aux personnes physiques (partie ou tiers) dans le cadre des procédures de sanctions administratives pécuniaires dirigées contre une entreprise se pose régulièrement. Il s'agit en l'occurrence des représentants, actuels ou anciens, de l'entreprise (par ex. organes d'une personne morale, voir ch. 5.4.2.1 s.) et des autres employés (collaborateurs qui ne sont ni organes ni représentants, voir ch. 5.2.4.3). Cette question est particulièrement importante lorsqu'il s'agit d'entreprises qui revêtent la forme de personnes morales et de sociétés en nom collectif et en commandite.

Les droits procéduraux que ces personnes peuvent faire valoir (à savoir le droit de refuser de témoigner) et leurs obligations dépendent de leur statut procédural.

5.2.4.1

Représentants actifs d'une entreprise

La représentation d'une entreprise faisant l'objet d'une enquête varie en fonction de sa forme juridique. S'il s'agit d'une personne morale, elle est représentée dans la procédure administrative par ses organes formels actifs252 et agit par leur intermédiaire (art. 55 CC)253. En revanche, la question de savoir si cela s'applique également aux

251 252

Voir message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, p. 1146.

Sont considérés comme organes formels d'une société anonyme le conseil d'administration, l'assemblée générale, l'organe de révision et, dans le cadre de la délégation de la gestion, la direction (art. 698 ss et 716b CO, voir ATF 114 V 213 consid. 4.).

253 ATF 147 II 144, Boykott Apple Pay, consid. 4.6 avec renvoi.

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organes de fait254 n'est pas encore définitivement clarifiée255. Les personnes physiques ayant une fonction d'organe ne peuvent pas se prévaloir d'une qualité de partie qui leur est propre (voir art. 6 en lien avec l'art. 48 PA), mais elles doivent en principe être traitées comme des parties d'après la jurisprudence256. Par conséquent, elles ne sont pas considérées comme des tiers et ne peuvent pas non plus être interrogées en tant que témoins ayant obligation de dire la vérité257. Si des organes actifs sont interrogés, ils peuvent faire valoir tous les droits de la défense dont dispose la personne morale.

S'il s'agit d'une société en nom collectif ou en commandite, qui a la capacité d'être partie en vertu de la loi (art. 562 et 602 CO), ce sont les associés qui agissent au nom de la société dans la procédure258. Pour autant qu'on puisse le constater, la question de savoir si les associés ont qualité de partie de plein droit ou si cette qualité est dérivée, comme celle dont disposent les organes d'une personne morale, n'a pas encore été réglée. Dans la doctrine de droit civil, la question connexe de savoir si les associés ou les tiers auxquels la gestion est confiée ont le droit de refuser de témoigner ou s'ils peuvent être entendus en qualité de témoins, fait par ailleurs l'objet de vifs débats259.

La PA en vigueur ne règle pas explicitement le statut procédural des représentants actifs des entreprises qui font l'objet d'une enquête. Dans le cadre de la procédure administrative, ou tout du moins des procédures de sanctions en matière de droit des cartels contre des personnes morales, la jurisprudence fournit néanmoins une base qui

254

255

256 257

258 259

Les organes de fait sont les personnes physiques qui prennent en fait les décisions réservées aux organes ou qui se chargent de la gestion proprement dite des affaires, et qui participent ainsi de manière décisive à la formation de la volonté de la société. Voir parmi de nombreux autres ATF 141 III 159 consid. 1.2.2 avec renvois.

Voir, d'une part, l'obiter dictum de l'ATF 147 II 144 Boykott Apple Pay, consid. 4.6, lequel les arrêts du Tribunal fédéral mentionnés ne se rapportent toutefois pas aux organes de fait, et, d'autre part, l'ATF 141 III 159 consid. 2.3 ss, selon lequel les organes de fait ne peuvent pas représenter des personnes morales, du moins dans les procédures de conciliation. Dans la doctrine pénaliste, la représentation d'une entreprise au sens de l'art. 112 CPP par un organe de fait n'est pas admise, ENGLER, BSK-StPO, no 22 ad art. 112; NIGGLI MARCEL ALEXANDER/MAEDER STEFAN, Wirtschaftsstrafrecht der Schweiz ­ Hand- und Studienbuch, Berne 2013, no 100.

ATF 147 II 144 Boykott Apple Pay, consid. 4.6.

ATF 147 II 144 Boykott Apple Pay, consid. 4.3, et ATAF 2018 IV/12 consid. 3.2.4 avec renvois à la doctrine. Selon l'art. 178, let. g, CPP, dans les procédures pénales dirigées contre une entreprise, est entendue en qualité de personne appelée à donner des renseignements, quiconque a été ou pourrait être désigné représentant de l'entreprise ainsi que ses collaborateurs.

PESTALOZZI/VOGT, BSK OR II, no 6 ad art. 562, PESTALOZZI/VOGT, BSK OR II, no 1 ad art. 602 CO.

Une partie de la doctrine partage l'avis que les associés ne peuvent pas être appelés en tant que témoins quel que soit leur droit de représenter la société, PESTALOZZI/VOGT, BSK OR II, no 6 ad art. 562 CO; LEU, ZPO-Kommentar, no 22 ss ad art. 159 CPC. Parfois, les associés assurant la gestion et les gérants tiers se voient accorder la qualité de partie pour des motifs différents, voir JUNG PETER, Die Stellung der Gesellschafter im Zivilprozess der Gesellschaft, BJM 2009, p. 121­132, p. 125 s.; BRÖNNIMANN, BK-ZPO, no 5 ad art. 159 CPC; CHABLOZ, PC-CPC, no 7 ad art. 159 CPC. Certains encore estiment que l'art. 159 CPC ne s'applique pas aux sociétés en nom collectif ou en commandite, GUYAN PETER, in: Spühler/Tencio/Infanger, Basler Kommentar ­ Schweizerische Zivilprozessordnung, 3e éd., Bâle 2017, no 3 ad art. 159 CPC.

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devrait pouvoir servir dans d'autres domaines du droit. Dans ce contexte, aucune intervention législative n'est nécessaire dans l'immédiat.

5.2.4.2

Anciens représentants

La question du statut des anciens représentants d'une entreprise faisant l'objet d'une enquête a été partie intégrante de plusieurs procédures de recours en matière de droit des cartels260. Le Tribunal fédéral a jugé que les anciens organes ne sont pas considérés comme des parties mais comme des tiers, et qu'ils doivent être interrogés en tant que témoins 261. Lorsque la fonction d'organe d'une personne physique au sein d'une entreprise prend fin, elle n'a plus d'intérêt direct dans l'issue de la procédure. Cela vaut aussi lorsque la personne doit faire des déclarations au sujet d'événements qui se sont produits lorsqu'elle était organe et que ses déclarations pourraient potentiellement lui causer des désavantages si son ancien employeur entreprend des démarches sur le plan civil262. La question du moment déterminant est d'une importance capitale pour faire la distinction entre les organes actifs et les anciens organes. D'après la jurisprudence, c'est le moment de l'audition par l'autorité de sanction qui est déterminant, et non celui de l'ouverture de la procédure de sanction263.

On peut estimer que la situation des associés qui ont quitté une société en nom collectif ou en commandite est la même que celle des anciens organes de personnes morales, pour autant que le changement d'associé soit prévu contractuellement. Les membres qui ont quitté la société peuvent dès lors être interrogés en tant que témoins264. Pour autant que l'on puisse en juger, la situation en cas de changement dans la direction opéré par l'intermédiaire d'un tiers n'est pas réglée.

La PA ne règle pas explicitement le statut procédural des anciens représentants des entreprises faisant l'objet d'une enquête. Dans le cadre des procédures de sanctions en matière de droit des cartels, la jurisprudence du Tribunal fédéral fournit une base qui devrait pouvoir servir de ligne directrice dans d'autres domaines du droit.

260 261

Voir ATF 147 II 144 Boykott Apple Pay, et ATAF 2018 IV/12.

ATF 147 II 144 Boykott Apple Pay, consid. 4.7.2; voir aussi ATAF 2018 IV/12 consid. 3.2.4.

262 ATF 147 II 144 Boykott Apple Pay, consid. 4.7.2.

263 ATAF 2018 IV/12 consid. 3.4 avec renvois, notamment à la doctrine; confirmé par l'ATF 147 II 144 Boykott Apple Pay, consid. 4.7.1 s.

264 Au sujet de l'audition des témoins en procédure civile, voir HASENBÖHLER FRANZ/YAÑEZ SONIA, Das Beweisrecht der ZPO ­ vol. 2, Die Beweismittel, Zurich/Bâle/Genève 2019, no 4.50; PESTALOZZI/VOGT, BSK OR II, no 6 ad art 562 CO.

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5.2.4.3

Autres membres d'une entreprise

Les autres membres d'une entreprise faisant l'objet d'une enquête (par ex. les collaborateurs) n'ont en principe pas la qualité de partie, c'est pourquoi ils sont considérés comme des tiers, et sont soumis à l'obligation de témoigner (art. 15 PA)265.

Les témoins sont en principe soumis à l'obligation de dire la vérité lors de leur audition (art. 307 CP)266. Dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires dirigées contre une entreprise, la personne appelée à témoigner ne peut pas invoquer les droits de la défense selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, car ces droits reviennent à l'entreprise elle-même en tant que partie. Le témoin ne bénéficie pas non plus d'un droit de refuser de témoigner fondé sur le droit des parties de ne pas s'autoincriminer267. Le droit de refuser de témoigner en son nom propre reste toutefois réservé, notamment si le témoin est directement concerné, c'est-à-dire lorsqu'il serait exposé à des poursuites pénales en répondant à une question ou si le fait de répondre à une question lui occasionnerait un dommage pécuniaire immédiat (art. 16 PA en rel.

avec l'art. 42, al. 1, de la loi de procédure civile fédérale)268. Tel serait par exemple le cas si le témoin avait commis un faux dans les titres au sens du CP dans le cadre de son activité au sein de l'entreprise pour laquelle il doit témoigner.

5.2.5

Conclusion intermédiaire

La majorité des procédures en matière de sanctions administratives pécuniaires sont dirigées contre des personnes morales, qui ont la qualité de partie en raison de leur capacité juridique. Les lois spéciales s'adressent toutefois souvent à des sujets n'ayant pas la capacité juridique ou la capacité d'être partie (par ex. groupes de sociétés ou entreprises individuelles) et à qui la qualité de partie ne peut donc pas être octroyée dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires. Dans ces cas de figure, les sociétés membres du groupe ou les propriétaires de l'entreprise (Unternehmensträger) sont parties de la procédure, conformément à la pratique. Aucun problème n'a été relevé quant à la question de la qualité de partie sur le plan légal.

Une entreprise concernée par une procédure peut essayer de se soustraire au paiement du montant de la sanction (Belastung) en laissant la société sanctionnée partir en faillite tout en poursuivant son activité économique par le biais d'une autre société. La PA en vigueur ne contient aucune disposition permettant d'éviter qu'une entreprise puisse esquiver une sanction. Il convient de régler juridiquement, sous la forme d'une 265

ATF 147 II 144 Boykott Apple Pay, consid. 4.6, voir aussi ATAF 2018 IV/12 consid.

3.2.4. En droit des cartels, voir également ROTH, CR-Concurrence, no 29 ad Rem.

art. 49a­53 LCart.

266 ATF 147 II 144 Boykott Apple Pay, consid. 4.3.

267 Dans l'ATF 147 II 144 Boykott Apple Pay, consid. 5.2.3, le Tribunal fédéral a noté que le principe nemo tenetur (droit de ne pas s'auto-incriminer) appliqué aux entreprises vise uniquement à garantir un droit effectif à la défense à ceux qui sont visés par une enquête.

Il n'a pas été établi dans quelle mesure l'audition d'anciens organes empiète sur la possibilité d'une défense efficace pour l'entreprise concernée, d'autant plus que leurs déclarations ne peuvent pas être imputées à l'entreprise.

268 Voir ATF 147 II 144 Boykott Apple Pay, consid. 5.2 in fine.

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disposition générale, les effets en termes de procédure et de responsabilité consécutifs à une restructuration. Se référer au principe de la continuité de l'entreprise (Unternehmenskontinuität) issu de la pratique en matière de droit des cartels semble tout indiqué.

Une réglementation est également nécessaire dans le domaine de la représentation des entreprises dans les procédures de sanctions administratives. Selon le droit en vigueur, plusieurs personnes physiques peuvent représenter une entreprise dans une procédure de sanction. Pour des motifs de sécurité juridique, il faudrait limiter le pouvoir de représentation sur le plan procédural à une seule personne physique. Il faudrait en outre établir un droit de désignation officielle d'un représentant, pour les cas dans lesquels il existe un conflit d'intérêts entre la partie et ses organes. L'ajout d'une disposition générale basée sur la disposition parallèle en procédure pénale (art. 112 CPP) semble judicieux.

Le statut procédural des membres des entreprises concernées par une procédure (organes, collaborateurs, etc.) n'est certes pas expressément réglé par la loi, mais la jurisprudence en matière de droit des cartels répond d'ores et déjà à de nombreuses questions d'application. Elle devrait dès lors pouvoir servir de base dans d'autres domaines juridiques. Du point de vue normatif, aucun problème n'a été mis en évidence en ce qui concerne le statut procédural des membres d'une entreprise.

5.3

Collaboration des parties lors de l'établissement des faits

5.3.1

Contexte

La procédure administrative est caractérisée par la maxime inquisitoire (art. 12 PA).

Ainsi, il appartient à l'autorité de constater les faits d'office. Cette maxime est limitée par l'obligation de collaborer des parties269, ou, selon le point de vue, l'obligation complète l'application de cette maxime270. L'autorité et les parties doivent chacune apporter leur contribution à l'établissement des faits, en fonction de leurs différentes perspectives271. L'obligation générale des parties de collaborer à la constatation des faits découle du principe de la bonne foi (art. 5, al. 3, Cst.)272. L'obligation de collaborer dans le cadre d'une procédure administrative est ancrée à l'art. 13 PA et dans une multitude de lois spéciales. Elle s'étend à tous les moyens de preuve mentionnés dans la PA: la partie est dès lors tenue de produire des documents, fournir des renseignements ou tolérer une visite des lieux273. Dans chaque cas d'application, l'autorité 269 270

271 272 273

Voir ATF 125 V 193 consid. 2; arrêt du Tribunal administratif du canton de Berne du 23 mars 1999, in: JAB 2000 p. 428 consid. 4a.

Voir arrêt du TAF A-597/2019 du 27 janvier 2020 Swiss International Airlines, consid. 5.3.2, arrêt du Tribunal administratif du canton de Berne du 30 juillet 2018, in: JAB 2019 p. 122, consid. 3.3.2. Au sujet de l'ensemble, voir DAUM, VPRG/BE-Kommentar, no 5 zu Art. 18 LPJA/BE; AUER/BINDER, VwVG-Kommentar, no 1 ad art. 13 PA.

DAUM, VPRG/BE-Kommentar, no 5 ad art. 18 LPJA/BE.

AUER/BINDER, VwVG-Kommentar, no 18, 30 ad art. 13 PA; arrêt du TAF A-597/2019 du 27 janvier 2020 Swiss International Airlines, consid. 5.3.2.

AUER/BINDER, VwVG-Kommentar, no 3 ad art. 13 PA.

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administrative concrétise l'obligation de collaborer en informant les parties de l'existence et de la portée de cette obligation274. Elle peut recourir à des moyens de contrainte de droit administratif et pénal pour obliger les parties à respecter l'obligation de collaborer.

À l'inverse, le principe selon lequel nul ne peut être contraint à contribuer à sa propre incrimination (nemo tenetur se ipsum accusare vel prodere, droit de ne pas s'autoincriminer) vaut en procédure pénale. Les deux principes de procédure peuvent entrer en conflit lorsque l'état de fait comporte à la fois une composante relative au droit administratif et une composante de droit pénal, comme c'est généralement le cas en matière de sanctions administratives pécuniaires.

Les obligations de collaborer seront décrites plus précisément au chapitre suivant (ch. 5.3.2), ainsi que le contenu et la portée du principe nemo tenetur (ch. 5.3.3) et les points conflictuels entre ces deux principes (ch. 5.3.4). Les approches suivies par les tribunaux, le législateur et les auteurs de doctrine, seront ensuite détaillées (ch. 5.3.5).

Enfin, le rapport exposera trois possibilités susceptibles de résoudre les situations conflictuelles dans le domaine des sanctions administratives pécuniaires (ch. 5.3.6).

5.3.2

Obligations de collaborer en droit administratif

5.3.2.1

Généralités

En ce qui concerne les procédures de sanctions administratives engagées d'office, l'obligation de collaborer des parties découle en premier lieu des obligations de renseigner ou de révéler qui leur sont imposées par les lois spéciales (voir art. 13, al. 1, let. c, PA). Les art. 40 LCart, 98, let. a, 180, let. a, LJAr et 59 LTC notamment contiennent des dispositions en ce sens. Les obligations de renseigner ou de révéler peuvent aussi découler du principe de la bonne foi, comme le Tribunal administratif fédéral l'a par exemple confirmé dans le cas d'une entreprise de transport aérien en relation avec l'art. 122a LEI, sur la base de ses intérêts et des connaissances spécialisées de l'entreprise275.

Les lois spéciales peuvent prescrire des actes de collaboration supplémentaires, qui vont plus loin que les obligations de renseigner ou de révéler, par exemple l'obligation d'annoncer (de communiquer, de renseigner) ou l'obligation de documenter. Ces devoirs supplémentaires sont typiques des secteurs économiques soumis à une régulation dans lesquels une surveillance spéciale des entreprises est prévue 276. L'obligation d'annoncer vise la transmission (spontanée) des informations pertinentes relatives à un cas particulier. L'obligation de documenter force les parties à établir et conserver des documents relatifs à leurs activités, qui peuvent avoir une incidence en matière 274 275

AUER/BINDER, VwVG-Kommentar, no 7 ad art. 13 PA; ATF 132 II 113 consid. 3.2.

Arrêt du TAF A-597/2019 du 27 janvier 2020 Swiss International Airlines, consid. 5.3.2., 5.3.6; il s'agissait dans cet arrêt de déterminer les obligations de collaborer en lien avec la présomption légale découlant de l'art. 122a, al. 3, let. a-b, LEI. Voir également AUER/BINDER, VwVG-Kommentar, no 30 ad art. 13 PA; KRAUSKOPF/EMMENEGGER/BABEY, Praxiskommentar VwVG, no 35 ss ad art. 13 PA.

276 MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 39 s.

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pénale, ainsi qu'à les transmettre à l'autorité de surveillance, soit périodiquement, soit sur demande. Des exemples de mesures de ce type figurent aux art. 6 à 8 LEDPP, 43 LJAr, 104 LEI, 43 LAgr, 23, al. 1, LPO, 9 LCart, 7, al. 2, LDét et 15 ss LRTV.

L'obligation de collaborer en droit administratif poursuit plusieurs objectifs. Elle sert tout d'abord à optimiser la recherche de la vérité matérielle277. Elle est également utile pour établir les faits qu'une partie connaît mieux que l'autorité et qui ne pourraient pas être établis sans sa collaboration, ou au prix d'un effort raisonnable278. Elle permet de récolter des preuves auprès des parties et constitue, du point de vue de l'autorité administrative, un moyen efficace de réunir des informations. L'autorité administrative n'a de ce fait pas besoin de recourir à des mesures de contrainte, telles que les perquisitions prévues en procédure pénale. Sans coopération de la partie, l'application du droit administratif matériel serait sérieusement compromise 279.

5.3.2.2

Devoir d'information de l'autorité

Comme le veut la pratique, les autorités administratives informent les parties de leur obligation de collaborer dans le cadre de la procédure et des conséquences d'un refus de collaborer280. Le devoir d'information de l'autorité constitue la contrepartie de l'obligation de collaborer des parties. L'autorité administrative doit informer les participants à la procédure de façon appropriée au sujet des faits à prouver (par ex. sous la forme de mesures d'instruction)281 et leur indiquer quels compléments, explications ou preuves concrètes elle attend d'eux. La PA ne règle pas explicitement la question de l'information des parties en lien avec l'obligation de collaborer. L'information aux parties peut s'effectuer au même moment que la communication de l'ouverture de la procédure (ch. 5.1.2).

5.3.2.3

Collaboration volontaire ou forcée

La partie qui est appelée à collaborer à l'établissement de faits susceptibles d'être sanctionnés par l'autorité administrative peut s'acquitter volontairement de cette obligation. Ce faisant, elle renonce à un éventuel droit de refuser la collaboration282. Dans ce cas de figure, il n'y a pas non plus de conflit avec le principe nemo tenetur (droit de ne pas s'auto-incriminer). La collaboration peut par ailleurs s'avérer favorable à la

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282

MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 36; RENÉ A. ET AL., Öffentliches Prozessrecht, 3e éd., Bâle 2014. no 1208.

Parmi de nombreux autres, ATF 143 II 425 consid. 5.1.

En ce sens, MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 36 s.; SEILER, Missverhältnis, p. 14.

Voir à ce sujet, arrêt du Tribunal fédéral 2C_165/2018 du 19 septembre 2018 consid. 2.2.2.

Il faut distinguer ce devoir d'informer au sujet de l'obligation de collaborer de l'ordonnance de preuves, voir à ce sujet AUER/BINDER, VwVG-Kommentar, no 24 s. ad art. 12 PA.

Voir arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 125.

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partie en termes de réputation283. La partie peut ainsi éviter des mesures d'administration des preuves supplémentaires, telles que l'audition de témoins ou, dans la mesure où une loi spéciale le permet, une perquisition, qui pourraient avoir des conséquences négatives sur ses affaires. Enfin, elle peut aussi accepter la collaboration dans l'espoir que le montant de la sanction soit réduit.

Si la partie ne s'acquitte pas volontairement de son obligation de collaborer, l'autorité administrative peut recourir aux moyens de contrainte prévus dans la PA et les lois spéciales. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il faut que l'autorité menace expressément de recourir à des moyens de contrainte pour qu'on ne puisse plus parler de collaboration volontaire284.

La PA prévoit, de façon générale, que le juge peut tenir compte du manque de coopération dans le cadre de la libre appréciation des preuves (art. 19 PA en rel. avec art.

40 de la loi de procédure civile fédérale) au détriment de la partie récalcitrante 285. Un blâme ou une amende disciplinaire de 500 francs au maximum peuvent aussi être infligés (art. 19 en rel. avec art. 60 PA). Un défaut de collaboration peut aussi être pris en compte au moment de la répartition des frais, au détriment de la partie concernée (voir art. 63, al. 3, PA)286. Une autre possibilité est la poursuite pénale pour insoumission à une décision de l'autorité selon l'art. 292 CP. La question de savoir si des mesures exécutoires peuvent être ordonnées pour faire respecter l'obligation de collaborer fait l'objet de débats dans la doctrine287.

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286 287

Au sujet des motifs, voir en détail l'arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 126 s.

Voir ATF 142 IV 207 Bankunterlagen, consid. 8.3.1; 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.4.

L'exigence supplémentaire d'une menace concrète de sanction se retrouve aussi dans la jurisprudence récente du Tribunal fédéral en matière de droit fiscal (voir ATF 138 IV 47 consid. 2.6.2) ainsi que dans les nouvelles réglementations dans ce domaine (voir art. 183, al. 1bis, de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct [LIFD, RS 642.11], 57a, al. 2, et 72g de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes [RS 642.14]). La doctrine n'est pas unanime sur cette pratique. Parmi les auteurs qui partagent ce point de vue: FELLMANN/VETTERLI, Nemo tenetur, p. 48; HEINEMANN ANDREAS/HEIZMANN RETO, Kartellrechtliche Vorgaben für die Unternehmenskommunikation, in: Sethe Rolf, Kommunikation, Festschrift für Rolf H. Weber zum 60. Geburtstag, Berne 2011, p. 63 à 82; auteurs critiques: MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 47, 73; ROTH, Zum Zweiten, no 34 s.

Une partie de la doctrine préconise également l'admissibilité du renversement du fardeau de la preuve comme sanction procédurale pour les violations graves de l'obligation de collaborer en droit administratif, SUTTER PETER, Die Beweislastregeln unter besonderer Berücksichtigung des verwaltungsrechtlichen Streitverfahrens, Diss. St-Gall, 1988, p. 192 s.; CANDRIAN JÉRÔME, Introduction à la procédure administrative fédérale, Bâle 2013, no 64 avec renvois, sur l'ensemble MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 43.

AUER/BINDER, VwVG-Kommentar, no 43 ad art. 13 PA.

En faveur de l'idée: KÖLZ/HÄNER/BERTSCHI, Verwaltungsverfahren, no 467, avec renvoi à JAAC 1987 no 54 consid. 2.1 (OFJ) HÄFELIN/MÜLLER/UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, no 995, avec des réserves: AUER/BINDER, VwVG-Kommentar, no 41 ad art. 13 PA; MEYER, Mitwirkungsmaxime, no 785; contre l'idée: KIENER/RÜTSCHE/KUHN, Verfahrensrecht, no714; KRAUSKOPF/EMMENEGGER/BABEY, Praxiskommentar VwVG, no 70 s.

ad art. 13 PA.

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Les moyens de contrainte prévus dans les lois spéciales peuvent par exemple consister à retirer un avantage administratif pour cause de manquement aux obligations288, ordonner une sanction administrative pécuniaire289, engager une poursuite pénale290, ou, en droit des cartels, à contraindre la partie à faire une déposition sous peine de sanctions pénales en cas de fausse déclaration291. Par souci d'exhaustivité, il convient d'ajouter que la loi sur les cartels prévoit aussi la possibilité d'ordonner une perquisition ou de saisir des pièces à conviction (voir art. 42, al. 2, LCart). Ces mesures constituent des alternatives à l'administration des preuves avec la collaboration des parties.

Il résulte de ce qui précède que l'autorité administrative dispose d'une riche palette de moyens de contrainte généraux ou institués par des lois spéciales pour contraindre les parties à respecter leur obligation de collaborer. Du point de vue du droit conventionnel et constitutionnel, l'exécution forcée de l'obligation de collaborer n'est pas problématique en dehors du champ d'application des garanties de procédure pénale.

Il n'est cependant pas clair dans quelle mesure le recours à des moyens de contrainte peut être concilié avec le principe nemo tenetur dans le cadre de procédures concernant des sanctions administratives pécuniaires, ou de procédures administratives, pénales, ou de sanctions administratives parallèles (voir ch. 5.3.3 ss).

5.3.3

Droit de ne pas s'auto-incriminer en procédure pénale (principe nemo tenetur)

Le principe nemo tenetur se ipsum accusare vel prodere, issu du droit pénal, établit le droit du prévenu de ne pas contribuer à sa propre incrimination (nul n'est obligé de s'accuser lui-même ou de s'inculper). Ce principe est aussi appelé droit de ne pas s'auto-incriminer ou, pour des personnes physiques, droit au silence. Il n'est pas ancré explicitement dans la CEDH ni dans la Constitution292. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les art. 6 CEDH et 29 et 32 Cst. garantissent un droit au silence (non écrit) et un droit à ne pas devoir contribuer à sa propre condamnation293. Au niveau législatif, le principe nemo tenetur est concrétisé à l'art. 113, al. 1, CPP.

Le droit de ne pas s'auto-incriminer vise à protéger le prévenu des contraintes émanant des autorités, et de ce fait à garantir une procédure équitable. Le prévenu doit être protégé de la situation conflictuelle illicite qui l'obligerait à se livrer lui-même aux autorités de poursuite pénale. En procédure pénale, ce droit permet au prévenu de 288

289

290 291

292 293

Par ex. voir art. 15 LJAr, qui prévoit la possibilité de retirer, restreindre ou suspendre une concession lorsque le titulaire contrevient (de manière grave) à la LJAr, à ses dispositions d'exécution ou à la concession.

Par ex. art. 52 LCart (inobservation de l'obligation de renseigner), au sujet de la possibilité de frapper d'une sanction administrative pécuniaire le refus de collaborer, voir la décision de la PostCom 16 / 2015 du 25 juin 2015.

Par ex. art. 48 LFINMA, art. 55 LCart ou art. 12, al. 1, let. a, LDét.

Art. 42, al. 1, LCart en rel. avec art. 64 de la loi de procédure civile fédérale (non utilisé en pratique par l'autorité en matière de concurrence). Ajoutons que la réglementation fondamentale de la PA ne prévoit pas la possibilité d'exiger que les parties fassent une déposition sous peine de sanctions pénales (voir art. 19 PA).

En droit international, l'art. 14, al. 3, let. g, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte ONU II, RS 0.103.2) règle explicitement ce principe.

Voir ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.2; 142 IV 207 Bankunterlagen, consid. 8.3.

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garder le silence et lui accorde le droit de ne pas devoir contribuer activement à sa propre condamnation294. Le prévenu décide s'il souhaite donner des informations295, fournir des documents296 ou s'il renonce à collaborer et choisit de se taire. En plus des informations directement incriminantes, les informations qui ne paraissent pas l'être au premier abord sont aussi protégées297. Il découle du principe nemo tenetur que les autorités doivent engager des poursuites pénales sans recourir à des preuves obtenues par la contrainte ou par la mise sous pression du prévenu, au mépris de sa volonté298.

L'application absolue du principe nemo tenetur n'est toutefois pas possible d'après la jurisprudence de la CourEDH et du Tribunal fédéral299. Le principe ne libère pas de toute obligation de fournir des informations, il interdit plutôt une obligation illicite de collaborer activement dans le cadre d'une procédure pénale (improper compulsion» / «coercition abusive»)300. En ce qui concerne la qualification des limites du caractère admissible de la contrainte, il faut tenir compte du type de contrainte et de son intensité, de l'utilisation qui est faite des preuves ainsi obtenues et d'autres preuves, ainsi que des possibilités de se défendre dont dispose la personne concernée (garanties de procédure)301. Un autre aspect entrant en compte dans le cadre de cette évaluation est le type et la portée du renseignement demandé (par ex. les informations à fournir sont clairement décrites et délimitées)302. L'intérêt public (à la recherche de la vérité et à 294

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Voir arrêt de la CourEDH Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996, (requête no 19187/91), Recueil CourEDH 1996-VI, § 68; aussi cité dans l'ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.2; LIEBER, StPO-Kommentar, nos 1, 19 ad art. 113 CPP.

Voir arrêts de la CourEDH Marttinen c. Finlande du 21 avril 2009, (requête no 19235/03), § 73; Shannon c. Royaume-Uni du 4 octobre 2005, (requête no 6563/03), § 39 s.

Voir arrêt de la CourEDH J.B. c. Suisse du 3 mai 2001, (requête no 31827/96), Recueil CourEDH 2001-III § 65; RIEDO CHRISTOF/FIOLKA GERHARD/NIGGLI MARCEL ALEXANDER, Schweizerisches Strafprozessrecht, Bâle, 2011, no 834.

Voir arrêts de la CourEDH Ibrahim et autres c. Royaume-Uni du 13 septembre 2016, Grande Chambre, (notamment requête no 50541/08), Recueil CourEDH 2016, § 268; Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996, (requête no 19187/91), Recueil CourEDH 1996-VI, § 71.

Voir arrêts de la CourEDH Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996, (requête no 19187/91), Recueil CourEDH 1996-VI, § 68; J.B. c. Suisse du 3 mai 2001, (requête no 31827/96), Recueil CourEDH 2001-III, § 64; voir aussi ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.2, avec renvois.

Voir arrêts de la CourEDH O'Halloran et Francis c. Royaume-Uni du 29 juin 2007, Grande Chambre, (requêtes nos 15809/02 et 25624/02), Recueil CourEDH 2007-III § 53; Weh c. Autriche du 8 avril 2004, (requête no 38544/97), § 46; Heaney & McGuinness c.

Irlande du 21 décembre 2000, (requête no 347/97), Recueil CourEDH 2000-XII § 47; Ibrahim et autres c. Royaume-Uni du 13 septembre 2016, Grande Chambre, (notamment requête no 50541/08), Recueil CourEDH 2016, § 269. ATF 142 IV 207 Bankunterlagen, consid. 8.4; ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.5.

ATF 142 II 243 consid. 3.3; 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.2 ss; arrêt de la CourEDH Marttinen c. Finlande du 21 avril 2009, (requête no 19235/03), § 60 avec renvoi à Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996, (requête no 19187/91), Recueil CourEDH 1996-VI § 68; Murray c. Royaume-Uni du 8 février 1996, (requête no 18731/91), Recueil CourEDH 1996-I, § 45 s.

Arrêts de la CourEDH Jalloh c. Allemagne du 11 juillet 2006, Grande Chambre, (requête no 54810/00), Recueil CourEDH 2006-IX, § 101 ss; O'Halloran et Francis c. RoyaumeUni du 29 juin 2007, Grande Chambre, (requête no 15809/02 et 25624/02), Recueil CourEDH 2007-III,
§ 55 ss; voir aussi OTT, nemo tenetur, p. 153 ss.

Voir arrêt de la CourEDH O'Halloran et Francis c. Royaume-Uni du 29 juin 2007, Grande Chambre, (requêtes nos 15809/02 et 25624/02), Recueil CourEDH 2007-III, § 58 et les références citées.

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la poursuite pénale, notamment), peut aussi être considéré pour déterminer si la procédure dans son ensemble est équitable303.

Par conséquent, il faut juger à l'aune de ces critères si les différents moyens de contrainte utilisés pour faire respecter les obligations de collaborer (voir ch. 5.3.2.3) sont compatibles avec le droit de ne pas s'auto-incriminer. Il y a lieu de relever que menacer une personne qui refuse de collaborer d'une sanction pénale constitue une contrainte inadmissible au sens de l'art. 6 CEDH, à tout le moins dans le cadre d'une procédure pénale contre une personne physique304. La CourEDH considère que la prise en compte du refus de collaborer dans le cadre de la libre appréciation des preuves est admissible tant qu'il existe d'autres moyens de preuve et que la seule conclusion raisonnable tirée du silence de la partie est qu'elle n'a pas de réponse à fournir aux accusations formulées305. Enfin, les moyens de contrainte prévus par la loi, tels que les perquisitions restent exclus.

Le principe nemo tenetur s'applique en premier lieu aux procédures pénales dirigées contre des personnes physiques. Il s'applique aussi expressément dans le cadre des procédures pénales à l'encontre d'entreprises, conformément aux art. 265, al. 2, let. c, et 178, let. g, CPP. La portée du droit de ne pas s'auto-incriminer dans ce contexte est controversée306. La CourEDH a implicitement confirmé que l'art. 6 CEDH s'applique de façon générale aux personnes morales307. Cela étant, elle n'a pas encore eu à se prononcer au sujet de la portée du principe nemo tenetur pour les personnes morales308.

La PA ne comporte aucune disposition relative au droit de ne pas s'auto-incriminer.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, ce principe, issu du droit supérieur, s'applique directement dans le cadre des procédures en matière de sanctions administra-

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Arrêt de la CourEDH Jalloh c. Allemagne du 11 juillet 2006, Grande Chambre, (requête no 54810/00), Recueil CourEDH 2006-IX, § 97; voir aussi PABEL KATHARINA, in: Grabenwarter (Éd.), Europäischer Grundrechteschutz ­ Enzyklopädie Europarecht, vol. II, 1e éd., Zurich/St-Gall, 2014, § 19 no 94; ATF 142 IV 207 Bankunterlagen, consid. 8.4.

WOHLERS/GODENZI, Strafbewehrte Verhaltenspflichten, p. 1057.

Arrêts de la CourEDH Telfner c. Autriche du 20 mars 2001, (requête no 33501/96), § 17 s.; Condron c. Royaume-Uni du 2 mai 2000, (requête no 35718/97), Recueil CourEDH 2000-V, § 56 ss; Murray c. Royaume-Uni du 8 février 1996, (requête no 18731/91), Recueil CourEDH 1996-I, § 47 ss. Voir aussi arrêt du Tribunal fédéral 1P.641/2000 du 24 avril 2001 consid. 3. Selon l'arrêt du Tribunal pénal fédéral SK.2019.13 du 17 juin 2020 consid. 1.1.14 (pas encore entré en force) la conformité à l'art. 6 CEDH doit être déterminée pour chaque cas, en tenant compte de l'ensemble des circonstances.

GLESS SABINE in: Niggli/Heer/Wiprächtiger, Basler Kommentar ­ Strafprozessordnung, 2e éd., Bâle 2014, no 24 ad art. 140 CPP.

Voir arrêts de la CourEDH Grande Stevens et autres c. Italie du 4 mars 2014, (notamment requête no 18640/10) SA-Capital Oy c. Finlande du 14 février 2019, (requête no 5556/10) Menarini Diagnostics S.R.L. c. Italie du 27 septembre 2011, (requête no 43509/08).

Arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL consid. 95; voir aussi MEYER, Mitwirkungsmaxime, no 463; MEYER-LADEWIG/HARRENDORF/KÖNIG, EMRKHandkommentar, nos 4, 137 ad art. 6 CEDH, avec avis contraires; ROTH, Zum Zweiten, no 43 ss; MEYER, EMRK-Kommentar, nos 6, 133 ad art. 6 CEDH.

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tives pécuniaires contre des entreprises, qui constituent une accusation en matière pénale au sens de l'art. 6 CEDH309. S'agissant des personnes morales, le principe nemo tenetur ne vise pas la protection du libre arbitre, car ce concept est lié à celui de dignité humaine, mais uniquement à garantir un droit de la défense effectif310. Cet objectif de protection limité revêt toute son importance dans le contexte de l'application du principe nemo tenetur dans les procédures dirigées contre des personnes morales; en effet, il ne faut pas y recourir aussi souvent que dans les procédures dirigées contre des personnes physiques311. Cette jurisprudence est controversée dans la doctrine312.

5.3.4

Situations de conflits typiques entre obligation de collaborer et droit de ne pas s'auto-incriminer

Dans une procédure en matière de sanction administrative pécuniaire, qui constitue une accusation en matière pénale au sens de l'art. 6 CEDH, il y a conflit avec le droit de ne pas s'auto-incriminer lorsque la partie ne se plie pas de son plein gré à la demande de collaborer et que l'autorité recourt ou menace de recourir à des moyens de contrainte. Dans cette situation, la question se pose de savoir si la partie dispose d'un droit de refuser de témoigner ou de refuser de collaborer et, dans l'affirmative, si l'autorité de sanction administrative doit informer la partie qu'elle bénéficie de ce droit. La PA en vigueur ne règle pas ces questions. Les solutions proposées dans la jurisprudence et la doctrine figurent au ch. 5.3.5.

Une deuxième situation de conflit résulte de l'engagement contre la même partie et en raison du même état de fait, mais pas forcément en même temps, d'une procédure administrative et d'une procédure de sanction administrative pécuniaire (procédures dites parallèles). Cette situation se produit par exemple lorsqu'une autorité administrative ouvre dans un premier temps une procédure de surveillance visant à rétablir une situation conforme au droit et lance ensuite une procédure de sanction administrative pécuniaire. Si les preuves réunies dans le cadre de la première procédure administrative «normale» sont utilisées dans le cadre de la procédure de sanction administrative pécuniaire, cela peut poser problème lorsque la partie n'a pas collaboré volontairement et que le refus de collaborer est sanctionné de telle façon que l'on peut considérer qu'il existe une contrainte inadmissible au regard du principe nemo tenetur.

Il s'agit par conséquent de déterminer s'il est possible d'utiliser les preuves réunies

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Voir ATF 147 II 144 Boykott Apple Pay, consid. 5.2.1; ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.2 ss; arrêts du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid.

100. Voir dans la doctrine MEYER, Mitwirkungsmaxime, no 466; critiques quant à l'applicabilité du principe nemo tenetur dans le cadre des procédures de sanctions administratives SEILER, Missverhältnis, p. 18 s.) dans la doctrine relative au droit des cartels, voir BOVET CHRISTIAN/SABRY YASMINE, in: Martenet/Bovet/Tercier (éds.), Commentaire romand ­ Droit de la concurrence, 2e éd., Bâle, 2013, nos 29 s. ad art. 42 LCart; SPITZ, Problemstellungen, p. 557.

310 ATF 147 II 144 Boykott Apple Pay, consid. 5.2.2 s.; voir aussi ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.4; 142 IV 207 Bankunterlagen, consid. 8.3.3.

311 ATF 147 II 144 Boykott Apple Pay, consid. 5.2.2 s.; voir aussi MEYER, Mitwirkungsmaxime, no 466.

312 Voir la synthèse des opinions dans MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 20.

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légalement lors de la procédure administrative «normale» dans le cadre de la procédure de sanction administrative pécuniaire, et si l'autorité administrative doit déjà informer la partie lors de la procédure administrative «normale» d'une éventuelle utilisation ultérieure des preuves. Enfin, la question se pose de savoir si la partie peut faire valoir un droit de refuser de déposer ou de refuser de collaborer pendant une procédure administrative normale lorsqu'une procédure (parallèle) de sanction administrative pécuniaire risque d'être ouverte. La PA ne règle pour l'heure aucune de ces questions.

Le cas d'une procédure parallèle se présente aussi lorsqu'une procédure administrative et une procédure pénale portant sur les mêmes faits et dirigées contre la même partie ne se déroulent pas au même moment313. Si les moyens de preuves obtenus sous la contrainte lors de la procédure administrative sont utilisés dans la procédure pénale, les mêmes questions juridiques que celles évoquées au paragraphe précédent se posent. Il convient d'ajouter que le code de procédure pénale ne comporte pas de disposition sur l'exploitation des preuves obtenues de la sorte. Ce cas de figure se présente souvent en pratique, en particulier en droit de la circulation routière, des marchés financiers et en droit fiscal314. Cela s'explique par le fait que de nombreuses lois prévoient une obligation d'entraide judiciaire ou administrative entre les autorités de poursuite pénale et les autorités administratives. Ainsi, la partie à la procédure administrative doit s'attendre à ce que l'autorité administrative transmette des informations aux autorités pénales, y compris des informations qu'elle a été obligée de fournir en raison de l'obligation de collaborer.

5.3.5

Solutions proposées par les tribunaux, par le législateur et par la doctrine

5.3.5.1

Jurisprudence des tribunaux suisses

Le Tribunal fédéral s'est exprimé à plusieurs reprises sur la question de la compatibilité des obligations de collaborer en droit administratif avec le principe nemo tenetur dans le contexte des procédures de sanctions. En fonction des situations, il s'agissait de l'exploitation des preuves dans le cadre d'une procédure de sanction administrative ou d'une procédure pénale.

Dans une affaire concernant une maison de jeu (Spielbank) ayant fait l'objet d'une sanction administrative pécuniaire, le Tribunal fédéral a souligné que le principe nemo tenetur ne s'appliquait pas de manière absolue. Dans le cas concret, il était préférable de viser un compromis approprié, le droit de ne pas s'auto-incriminer pouvant être restreint315. Le Tribunal fédéral considère que la jurisprudence de la CourEDH, qui concerne principalement le contexte du droit pénal, va trop loin lorsqu'il est question de droit de la surveillance et qu'elle doit être adaptée aux spécificités de la procédure

313

Lorsqu'une procédure de sanction administrative et une procédure pénale se déroulent en parallèle, le principe nemo tenetur s'applique dans les deux cas et les questions évoquées ne se posent pas. En ce qui concerne les questions relatives au principe ne bis in idem, voir ch. 5.9.5.

314 LIEBER, StPO-Kommentar, no 56 ad art. 113 CPP.

315 ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.5.

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administrative316. Il précise que l'entreprise en question avait demandé une autorisation d'exploitation pour sa maison de jeu avant la procédure de sanction, et ce en connaissant l'obligation légale de collaborer que cela impliquait. Elle s'est par conséquent engagée dans un rapport de droit spécial avec la Confédération et s'est soumise à l'obligation de collaborer qui en découle317. Le Tribunal fédéral mentionne encore les difficultés pratiques liées à l'administration des preuves, les intérêts prépondérants de la poursuite pénale et l'applicabilité du droit administratif matériel comme autres arguments confirmant la primauté de l'obligation de collaborer en droit administratif.

Il conclut que la partie n'avait pas le droit de refuser de témoigner318.

Un autre arrêt du Tribunal fédéral concerne une levée de scellés de droit pénal apposés sur un memorandum interne saisi auprès d'une banque, laquelle avait fait l'objet d'une investigation préalable, à savoir d'une demande d'informations selon la réglementation sur la surveillance des banques319. Le Tribunal fédéral a autorisé la levée des scellés dans le cadre d'une procédure pénale dirigée contre la banque parce que l'autorité de surveillance n'avait pas exigé de cette dernière qu'elle produise le memorandum, mais lui avait seulement demandé un renseignement320. Le Tribunal fédéral a considéré qu'il était admissible de collecter, en recourant à des mesures de contrainte légales (y compris contre la volonté du prévenu), des preuves qui existaient déjà avant que la contrainte ne soit exercée dans le cadre de la procédure pénale321. Enfin, il a retenu que le droit des banques, en tant qu'entreprises, de ne pas s'auto-incriminer devait être appliqué de façon plus restrictive, car l'accès aux documents que les banques doivent établir en vertu de la loi ne doit pas pouvoir être empêché322.

Un autre arrêt encore du Tribunal fédéral a pour objet l'obligation de collaborer en droit de la circulation routière. Renvoyant à la jurisprudence de la CourEDH , le Tribunal fédéral a confirmé qu'il y avait obligation de collaborer parce que les détenteurs et conducteurs de véhicules automobiles sont soumis à certaines obligations particulières, objectivement justifiées, du fait qu'ils ont accepté la législation sur la circulation routière et disposent d'une autorisation de conduire323.

316 317 318

319 320 321 322

323

ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.2.

ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.4.

ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.5 ss; avis divergent: DONATSCH/SMOKVINA, Nemo tenetur-Grundsatz, p. 872 s.; FELLMANN/VETTERLI, Nemo tenetur , p. 47; ROTH, Zum Zweiten, no 27 ss, globalement approbateur MACULA, Mitwirkungspflichten, passim.

ATF 142 IV 207 Bankunterlagen.

ATF 142 IV 207 Bankunterlagen, consid. 8.

ATF 142 IV 207 Bankunterlagen, consid. 8.3.2, 8.18.1; voir également ATF 138 IV 47 consid. 2.6.1.

ATF 142 IV 207 Bankunterlagen, consid. 8.3.3, 8.18.3. Pour une analyse détaillée, voir MACULA, Erzwungene Selbstbelastung. L'auteure approuve la limitation du principe nemo tenetur accompagnant la levée des scellés, mais elle conteste en partie la justification du Tribunal fédéral, voir p. 53. Le Tribunal pénal fédéral a confirmé cette jurisprudence dans ses arrêts SK.2016.19 du 19 septembre 2018, consid. 6.4.1.1 et SK.2019.13 du 17 juin 2020, consid. 1.1.3.

Voir arrêts du Tribunal fédéral 6B_439/2010 du 29 juin 2010 consid. 5.3 s.; 6B_571/2009 du 28 décembre 2009 consid. 3.2, avec renvois; au sujet d'anciens arrêts relatifs à l'obligation de collaborer en droit de la circulation routière, voir MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 53.

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Les cas présentés ci-dessus ont pour point commun le fait que les parties se trouvaient dans un rapport de droit administratif (spécial) qui a été créé à leur demande (concession, autorisation, et cela vaut aussi, à quelques restrictions près, pour le permis de conduire) et qu'elles se sont de ce fait soumises à une réglementation spéciale. Les cas relatifs au droit fiscal sont différents, car l'assujettissement à l'impôt concerne en principe toutes les personnes: il n'y a pas d'élément de volonté. Dans ce domaine, le Tribunal fédéral a conclu, suite à la condamnation de la Suisse par la CourEDH dans le cas J.B324 (voir ch. 5.3.5.2), qu'il était inadmissible de contraindre un contribuable par le biais d'une amende à soumettre, dans le cadre d'une procédure pour soustraction d'impôts (soit une procédure pénale) des justificatifs relatifs à des montants soustraits, et de tenir compte dans cette procédure des preuves obtenues par la contrainte dans le cadre d'une procédure de rappel d'impôt 325.

La jurisprudence du droit des cartels s'est également prononcée sur la portée du principe nemo tenetur en lien avec l'obligation de collaborer. Dans l'affaire Swisscom ADSL, le Tribunal administratif fédéral a considéré qu'il n'était pas d'emblée interdit d'exploiter certains documents et informations326, notamment des informations d'ordre purement factuel, des données tirées d'une affaire judiciaire antérieure, des données enregistrées conformément à l'obligation d'informer qu'implique une gestion correcte des affaires, des données enregistrées sur la base de l'obligation de renseigner dans les domaines qui font l'objet de concessions, ainsi que des informations fournies de plein gré par l'entreprise elle-même.

En résumé, on peut reconnaître une tendance des tribunaux suisses à considérer que l'obligation de collaborer en droit administratif prime sur la garantie du principe nemo tenetur, plus particulièrement lorsqu'il existe une obligation légale d'informer et de renseigner; cette tendance ne vaut toutefois pas pour le domaine fiscal. Cette jurisprudence est critiquée par certains auteurs de doctrine, qui relèvent notamment que le législateur fédéral ne peut pas restreindre les garanties du droit conventionnel en édictant des exceptions dans la loi327.

5.3.5.2

Jurisprudence de la CourEDH

La CourEDH s'est prononcée à plusieurs reprises sur le conflit entre l'obligation de collaborer en droit administratif et le principe nemo tenetur. Il était question dans les cas examinés de l'exploitation d'éléments de preuve dans le cadre de procédures pénales menées contre des personnes physiques. La Cour n'a, pour autant que l'on puisse en juger, pas rendu d'arrêt concernant l'obligation de collaborer des entreprises dans le contexte de procédures de sanctions administratives pécuniaires.

324

Arrêt de la CourEDH J.B. c. Suisse du 3 mai 2001, (requête no 31827/96), Recueil Cour¬EDH 2001-III.

325 ATF 138 IV 47 consid. 2.6.2. Au sujet de la jurisprudence plus ancienne an matière de droit fiscal, voir MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 52.

326 Arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 104; avis divergent: TSCHUDIN MICHAEL, Mitwirkungspflicht an der eigenen Sanktionierung, AJP 2016, p. 323­334, p. 331 ss.

327 Selon OTT, nemo tenetur, p. 180 s.; du même avis: ENGLER, BSK-StPO, no 7a ad art. 113 CPP; plus nuancée: MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 55.

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Dans l'affaire J.B c. Suisse, la CourEDH a conclu à une violation du principe nemo tenetur au sens de l'art. 6 CEDH328. Il s'agissait d'un contribuable poursuivi pour soustraction d'impôt parce que des pièces justificatives avaient éveillé le soupçon qu'il n'avait pas déclaré des revenus de placements imposables pour certaines périodes fiscales. Le contribuable avait reconnu la soustraction à l'impôt mais avait refusé de fournir à l'administration cantonale des contributions les documents qu'elle lui demandait. Il avait alors été condamné au paiement de plusieurs amendes par les autorités fiscales pour avoir refusé de collaborer. La CourEDH a considéré que la procédure dans son ensemble constituait une accusation en matière pénale même si elle poursuivait également d'autres objectifs que sanctionner la fraude fiscale329. Elle a conclu à une violation du droit de ne pas s'auto-incriminer consacré par l'art. 6 CEDH, parce que le contribuable ne pouvait pas exclure que d'autres revenus de sources non imposées figurent sur ces documents, confirmant la soustraction d'impôt330. La condamnation de la Suisse a été à l'origine d'une modification du droit fiscal (voir ch. 5.3.5.3), au sujet de laquelle la CourEDH a émis des commentaires positifs dans l'affaire Chambaz c. Suisse331.

Dans l'affaire Saunders c. Royaume-Uni, la CourEDH a retenu que les moyens de preuves obtenus sous la contrainte mais qui existent indépendamment de la volonté du prévenu ne sont pas protégés par le principe nemo tenetur332. Il s'agissait dans ce cas de l'utilisation, dans une procédure pénale pour fraude, de preuves fournies dans le cadre d'une procédure administrative antérieure par le prévenu, qui avait été contraint à témoigner sous la menace de sanctions pénales. La CourEDH a notamment examiné si les preuves obtenues sous la contrainte constituaient une partie importante du dossier de l'accusation ou si elles ont uniquement servi à appuyer certains éléments de ce dossier333. Elle a conclu que l'utilisation des preuves dans la procédure pénale n'était pas admissible334. Dans d'autres arrêts plus récents, la Cour a examiné l'exception concernant les moyens de preuves existants indépendamment de la volonté de

328 329 330 331 332

333

334

Arrêt de la Cour¬EDH J.B. c. Suisse du 3 mai 2001, (requête no 31827/96), Recueil CourEDH 2001-III.

Arrêt de la CourEDH J.B. c. Suisse du 3 mai 2001, (requête no 31827/96), Recueil CourEDH 2001-III, § 44 ss.

Arrêt de la CourEDH J.B. c. Suisse du 3 mai 2001, (requête no 31827/96), Recueil CourEDH 2001-III, § 65 ss.

Arrêt de la CourEDH Chambaz c. Suisse du 5 avril 2012, (requête no 11663/04), § 56.

L'arrêt de la CourEDH Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996, (requête no 19187/91), Recueil CourEDH 1996-VI § 69 mentionne à titre d'exemple les documents obtenus en vertu d'un mandat de perquisition, les prélèvements d'haleine, de sang et d'urine ainsi que de tissus corporels en vue d'une analyse de l'ADN, voir également arrêt de la CourEDH O'Halloran et Francis c. Royaume-Uni du 29 juin 2007, Grande Chambre, (requêtes nos 15809/02 et 25624/02), Recueil CourEDH 2007-III, § 47.

Voir arrêts de la CourEDH Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996, (requête no 19187/91), Recueil CourEDH 1996-VI, § 72; O'Halloran et Francis c. Royaume-Uni du 29 juin 2007, Grande Chambre, (requêtes nos 15809/02 et 25624/02), Recueil CourEDH 2007-III, § 60.

Dans le cas concret, la Cour a accordé davantage de poids au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination qu'à l'intérêt public de condamner le requérant pour fraude, voir arrêt de la CourEDH Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996, (requête no 19187/91), Recueil CourEDH 1996-VI § 74.

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la personne concernée, mais a souvent jugé que cette exception n'était pas applicable335. Le Tribunal administratif fédéral s'est également référé à cette limitation336 dans sa jurisprudence relative aux sanctions administratives pécuniaires en droit des cartels, et a considéré que les informations pouvaient être utilisées dans l'affaire en question337.

L'affaire Jalloh c. Allemagne portait sur l'administration forcée d'émétiques au requérant, dans la mesure où celui-ci était suspecté d'avoir avalé des stupéfiants. La CourEDH a défini des critères à prendre en considération pour décider s'il y avait violation du principe nemo tenetur, notamment la nature et le degré de gravité de la contrainte employée, l'intérêt public à prendre une telle mesure, l'existence de garanties de procédure appropriées et l'utilisation faite des éléments de preuve obtenus338.

La contrainte employée constitue une violation de l'art. 6 CEDH lorsque sa nature et son degré de gravité sont tels qu'elle porte atteinte à la substance même du droit de ne pas s'auto-incriminer339. Il n'en va toutefois pas de même pour chaque contrainte directe de témoigner ou de collaborer. On peut par exemple examiner si les informations exigées sont clairement décrites et circonscrites340. Lors de la pondération de l'intérêt public dans le contexte des procédures pénales, l'intérêt à poursuivre l'infraction et celui à punir l'auteur jouent un rôle. Ces intérêts peuvent être pris en considération afin de déterminer si la procédure dans son ensemble est équitable. La pesée des intérêts ne saurait toutefois légitimer des mesures qui contreviendraient à l'essence même du droit de ne pas s'auto-incriminer341.

Ultérieurement, la CourEDH a appliqué les critères établis dans la jurisprudence Jalloh à des degrés variés342. Dans l'affaire O'Halloran et Francis, qui portait sur l'obligation de fournir le nom du conducteur d'un véhicule suite à un excès de vitesse, la CourEDH a considéré que le prévenu avait préalablement accepté de se soumettre à un système réglementaire, à savoir celui de la circulation routière. Cet élément doit 335

Voir arrêts de la CourEDH Jalloh c. Allemagne du 11 juillet 2006, Grande Chambre, (requête no 54810/00), Recueil CourEDH 2006-IX, § 112 s.; J.B. c. Suisse du 3 mai 2001, (requête no 31827/96), Recueil CourEDH 2001-III, § 68; Shannon c. Royaume-Uni du 4 octobre 2005, (requête no 6563/03), § 36. Marttinen c. Finlande du 21 avril 2009, (requête no 19235/03), § 69; Arrêt de la CourEDH H. et J. c. Pays-Bas du 13 novembre 2014, (requêtes nos 978/09, 992/09), Recueil CourEDH 2014, § 69 s.

336 Arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 102 s., 114, 117, 120.

337 Arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 123 s.

338 Voir arrêts de la CourEDH Jalloh c. Allemagne du 11 juillet 2006, Grande Chambre, (requête no 54810/00), Recueil CourEDH 2006-IX, § 101, 117; O'Halloran et Francis c.

Royaume-Uni du 29 juin 2007, Grande Chambre, (requêtes nos 15809/02 et 25624/02), Recueil CourEDH 2007-III, § 55.

339 Voir arrêt CourEDH Ibrahim et autres c. Royaume-Uni du 13 septembre 2016, Grande Chambre, (requête no 50541/08 parmi d'autres), Recueil CourEDH 2016, § 269.

340 Par ex. l'obligation de décliner l'identité d'un conducteur de véhicule, voir arrêts de la CourEDH O'Halloran et Francis c. Royaume-Uni du 29 juin 2007, Grande Chambre, (requêtes nos 15809/02 et 25624/02), Recueil CourEDH 2007-III, § 58 et les références citées; Weh c. Autriche du 8 avril 2004, (requête no 38544/97), § 24.

341 Arrêt de la CourEDH Jalloh c. Allemagne du 11 juillet 2006, Grande Chambre, (requête no 54810/00), Recueil CourEDH 2006-IX, § 97. Voir aussi arrêt de la CourEDH Ibrahim et autres c. Royaume-Uni du 13 septembre 2016, Grande Chambre, (requête no 50541/08 parmi d'autres), Recueil CourEDH 2016, § 269.

342 Voir ROTH, Mitwirkungspflichten, p. 319; MACULA, Erzwungene Selbstbelastung, p. 50.

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selon elle être pris en considération lors de l'évaluation de la nature de la contrainte exercée343. Si un système réglementaire existe dans le domaine de la circulation routière, c'est en raison des dangers qu'elle présente. D'après la Cour, on peut donc supposer que les personnes qui choisissent de détenir et de conduire des véhicules ont accepté une certaine part de responsabilité et d'obligations, dont celle mentionnée cidessus. Elle a en outre examiné la question de savoir si le prévenu avait eu la possibilité de contester le fait qu'il doive fournir des preuves et que celles-ci soient utilisées344. Dans cette affaire, elle a considéré que l'utilisation, dans la procédure pénale, des preuves obtenues sous la contrainte était admissible.

Dans l'ensemble, la CourEDH semble résoudre la question du conflit entre l'obligation de collaborer en procédure administrative et le principe nemo tenetur en procédant à une pesée des intérêts au cas par cas345. Dans plusieurs domaines du droit, la Cour considère que le droit de ne pas s'auto-incriminer l'emporte sur l'obligation de collaborer346. Elle semble toutefois faire une exception en droit de la circulation routière347. Parfois, dans le contexte du noyau dur du droit pénal (Kernstrafrecht), elle reconnaît que les intérêts publics peuvent limiter l'application du principe nemo tenetur. Elle a par exemple retenu que l'exploitation d'informations communiquées dans le cadre d'une procédure d'asile dans une procédure pénale ultérieure portant sur des infractions graves était admissible348. Il faut relever qu'il s'agissait la plupart du temps de cas dans lesquels des informations obtenues sous la contrainte étaient utilisées dans le cadre d'une procédure pénale et non pas d'une procédure de sanctions administratives pécuniaires, et que ces affaires concernaient des personnes physiques et non des personnes morales. Il n'est dès lors pas aisé de déterminer comment la CourEDH se prononcerait dans le contexte d'une procédure de sanction administrative pécuniaire contre une personne morale, soit dans un domaine périphérique du droit pénal.

5.3.5.3

Solutions législatives en droit pénal fiscal

Récemment, la législation de droit pénal fiscal a fait l'objet d'adaptations sectorielles dans le but de résoudre le conflit entre l'obligation de collaborer en procédure administrative et le principe nemo tenetur. Ainsi, suite à la condamnation de la Suisse par

343 344 345 346

347 348

Voir arrêt de la CourEDH O'Halloran et Francis c. Royaume-Uni du 29 juin 2007, Grande Chambre, (requêtes nos 15809/02 et 25624/02), Recueil CourEDH 2007-III, § 57.

Voir arrêt de la CourEDH O'Halloran et Francis c. Royaume-Uni du 29 juin 2007, Grande Chambre, (requêtes nos 15809/02 et 25624/02), Recueil CourEDH 2007-III, § 60.

En ce sens, MACULA, Erzwungene Mitwirkung, p. 34.

Voir notamment les arrêts de la CourEDH Chambaz c. Suisse du 5 avril 2012, (requête no 11663/04), § 43 ss; J.B. c. Suisse du 3 mai 2001, (requête no 31827/96), Recueil CourEDH 2001-III, § 63 ss; et Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996, (requête no 19187/91), Recueil CourEDH 1996-VI.

MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 64.

Arrêt de la CourEDH H. et J. c. Pays-Bas du 13 novembre 2014, (requêtes nos 978/09, 992/09), Recueil CourEDH 2014, § 75 ss.

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la CourEDH dans l'affaire J. B. 349, le législateur a introduit l'art. 183, al. 1bis, dans la LIFD et les art. 57a, al. 2, et 72g dans la LHID. Ces dispositions interdisent l'utilisation, dans une procédure pénale, des renseignements et des documents fournis par le contribuable, à condition que celui-ci ait été préalablement averti et qu'il ait été menacé d'une taxation d'office ou d'une condamnation pour violation des obligations procédurales350. L'autorité fiscale ne s'est pas vue octroyer la compétence de recourir à des moyens de contrainte pour obtenir des preuves.

L'art. 104, al. 3, LTVA garantit également le droit de ne pas s'auto-incriminer. Il dispose que les informations obtenues dans le cadre d'une procédure administrative au sens de la LTVA ne peuvent être utilisées dans une procédure pénale que si le prévenu y a consenti. L'art. 21, al. 3, de la loi du 28 septembre 2012 sur l'assistance administrative fiscale (LAAF)351 prévoit une règle similaire352.

Une autre solution consiste à fixer un ordre chronologique entre les procédures administratives et pénales parallèles. Dans le contexte de la TVA, la procédure pénale se déroule généralement en premier, avant la procédure administrative subséquente visant à déterminer la créance fiscale353. Il s'agit d'éviter que les droits de la défense du contribuable soient limités pendant la procédure pénale en raison d'une procédure de taxation préalable354. Il convient d'ajouter que cette approche n'est pas pertinente en droit de la surveillance parce que la prévention rapide de la menace et le rétablissement d'une situation conforme au droit dans le cadre d'une procédure de mesures, prévalent ici.

On peut ainsi conclure qu'il existe des réglementations éparses en droit fiscal pénal.

La solution développée dans les dispositions fiscales (interdiction d'utiliser les preuves) ne devrait pas être reprise telle quelle dans le domaine des sanctions administratives pécuniaires, parce que ces deux domaines sont différents. En effet, les garanties de procédure pénale sont directement touchées dans le contexte fiscal, en cas de procédures pénales et administratives parallèles. Il en va dans ce cas de l'exercice uniforme de l'action publique vis-à-vis de tout un chacun. Les procédures de sanctions administratives pécuniaires concernent quant à elles un
domaine périphérique du droit pénal. Ici, le point central est l'application du droit matériel à des personnes soumises à une surveillance particulière. Il y a donc matière à élaborer une solution différenciée qui tienne mieux compte des spécificités du droit de la surveillance. Il faut enfin tenir 349

350 351 352 353

354

Arrêt de la CourEDH J.B. c. Suisse du 3 mai 2001, (requête no 31827/96), Recueil CourEDH 2001-III. Voir le ch. 5.3.5.2 au sujet de cette affaire. Voir aussi Rapport de la Comission de l'économie et des redevances du Conseil des États du 13 février 2006 au sujet de l'initiative du canton du Jura «Suppression des normes fiscales fédérales contraires à l'art. 6 CEDH, FF 2006 3843, p. 3844 ss.

Critique à ce sujet: MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 73.

RS 651.1 Le droit de ne pas s'auto-incriminer est aussi préservé vis-à-vis de l'obligation de collaborer à l'art. 31 de la loi du 25 mars 1977 sur les explosifs (LExpl; RS 941.41).

Voir art. 103, al. 1, LTVA en vertu duquel l'art. 63, al. 1 et 2, DPA ne peut s'appliquer à la procédure pénale fiscale. Cette dernière disposition décrit que, dans le champ d'application du droit pénal administratif, la procédure administrative s'applique en premier lieu, et que la procédure pénale administrative doit intervenir dans un second temps. L'ordre des procédures peut être à l'origine de conflits avec le principe nemo tenetur. Voir également MATTEOTTI, Mehrwertsteuer-Strafverfahren, no14 ss.

MATTEOTTI, Mehrwertsteuer-Strafverfahren, no 12 s. avec renvoi.

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compte du fait que l'objectif du droit de ne pas s'auto-incriminer, tel que décrit dans la jurisprudence du Tribunal fédéral pour les personnes physiques, doit être nuancé quand il s'agit d'une personne morale. Il n'est pas possible de reprendre sans réserve, dans les procédures de sanctions administratives de surveillance, les solutions concernant les procédures administratives et pénales fiscales parallèles355.

5.3.5.4

Solutions proposées dans la doctrine

Dans la doctrine, trois positions extrêmes et plusieurs solutions de compromis font l'objet de discussions en vue de résoudre le conflit entre l'obligation de collaborer en droit administratif et le principe nemo tenetur356. À commencer par l'idée de la primauté générale du principe nemo tenetur: selon cette approche, la partie disposerait d'un plein droit de refuser de collaborer lors de la procédure administrative, à partir du moment où il existe un lien suffisant avec une procédure tombant dans le champ d'application de l'art. 6 CEDH357. Cette proposition sera abordée dans le détail au ch. 5.3.6.3.

Selon les auteurs tenants d'une autre position extrême, les sanctions administratives entrant dans le champ d'application de l'art. 6 CEDH ne devraient plus être considérées comme des dispositions relevant du droit administratif, mais du droit pénal358.

Ce serait alors le code de procédure pertinent (CPP ou DPA) qui s'appliquerait au lieu de la PA. Cette approche ne correspond pas à la volonté du législateur, qui a créé, sous la forme de la sanction administrative pécuniaire, un instrument de droit de la surveillance permettant une mise en oeuvre efficace et effective des obligations de droit administratif incombant à des entreprises des secteurs économiques régulés et soumis à une surveillance. Le présent rapport a montré que les sanctions administratives pécuniaires peuvent être mises en oeuvre en conformité avec les dispositions conventionnelles et constitutionnelles. Un changement radical de système ne semble donc pas nécessaire359. Le passage à des dispositions pénales ne permettrait par ailleurs pas de résoudre de façon satisfaisante le conflit entre l'obligation de collaborer en procédure administrative et le principe nemo tenetur: en procédure pénale, la question de l'utilisation des moyens de preuves rassemblés dans le cadre d'une procédure administrative parallèle n'a pas non plus été tranchée définitivement. Pour la même raison, on doit aussi rejeter l'idée d'une séparation stricte des procédures avancée par certains auteurs de doctrine360. Enfin, il faut noter qu'une conversion en dispositions pénales

355

356 357 358 359 360

Rappelons que l'Assemblée fédérale avait clairement refusé d'introduire une réglementation générale (selon laquelle l'obligation de collaborer en droit administratif ne devrait pas s'appliquer dans le cas d'une procédure pénale parallèle contre un débiteur) à l'art. 13 PA dans le cadre de la révision de la loi sur les bourses (voir BO 2011 p. 1229 s.).

Explications détaillées à ce sujet, voir MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 66 ss.

Voir, critique de cette approche, BECK, Enforcementverfahren, no 776 et les références citées.

Au sujet de cette approche, voir BECK, Enforcementverfahren, no 807 s. et les références citées.

Voir également sur ce point Rapport du Conseil fédéral concernant le classement de la motion Schweiger [07.3856], p. 1644 s.

Au sujet de cette approche, voir BECK, Enforcementverfahren, no 785.

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s'accompagnerait d'une forte expansion de la criminalisation des infractions, ce qui n'apparaît pas souhaitable du point de vue juridique et politique.

La troisième position extrême consiste à postuler la primauté générale de l'obligation de collaborer dans le cadre de la procédure administrative361. Dans cette optique, les dispositions spéciales relatives à la collaboration prennent le pas sur le droit de ne pas s'auto-incriminer. Toutefois, puisque le droit de ne pas s'auto-incriminer au sens de l'art. 6 CEDH est de rang constitutionnel, cette position va à l'encontre du droit supérieur et ne correspond pas à la jurisprudence nuancée du Tribunal fédéral et de la CourEDH. Le point 5.3.6.2 traite plus en détail la question de savoir si la coopération en droit administratif peut primer ponctuellement en droit de la surveillance.

Une première approche intermédiaire consiste à considérer que le principe nemo tenetur n'est valable qu'après l'ouverture d'une procédure pénale, mais pas dans les procédures qui se sont déroulées en amont362. En ce sens, les informations obtenues en dehors de cette procédure pénale pourraient être utilisées. C'est par exemple l'approche adoptée par le Tribunal administratif fédéral dans l'affaire Swisscom ADSL.

L'utilisation des informations préalablement obtenues dans le cadre d'une autre affaire (par ex. documents fiscaux, annonces relevant du droit de la surveillance, inscriptions dans un registre, etc.) lors d'une procédure de sanction administrative est considérée comme admise363. Cette approche est critiquée dans la doctrine, notamment parce qu'elle induit le paradoxe suivant: la partie peut refuser de collaborer, mais l'autorité administrative a tout de même le droit de demander les documents souhaités auprès de l'autorité précédente, en recourant à l'entraide administrative364.

Une deuxième solution intermédiaire consiste à instaurer une interdiction d'exploiter les preuves lorsqu'il s'agit d'informations exigées dans le cadre d'une procédure administrative et obtenues sous la contrainte, sans que les personnes concernées en aient

361

Voir AESCHLIMANN JÜRG, Einführung in das Strafprozessrecht, Berne, 1997, no 1242; HAUSER ROBERT/SCHWERI ERHARD/HARTMANN KARL, Schweizerisches Strafprozessrecht, 6e éd., Bâle, 2005, § 39 no 14; critique à ce sujet SEILER, Missverhältnis, p. 14 et les références citées.

362 Au sujet de cette approche SEILER, Missverhältnis, p. 13 et les références citées; MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 69; BENEDICK, Aussagedilemma, p. 179. Il convient de noter à cet égard que la CourEDH tient compte du fait que des procédures pénales sont en cours ou sont prévues, voir arrêt de la CourEDH Weh c. Autriche du 8 avril 2004, (requête no 38544/97), § 45.

363 Arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 111 ss.

364 SEILER, Missverhältnis, p. 13.

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été préalablement informées365. Une telle solution nécessiterait une séparation stricte des deux procédures ou la suspension de la procédure administrative jusqu'à l'aboutissement de la procédure de sanction366.

Une dernière solution intermédiaire part du principe qu'il n'est pas possible de répondre en bloc à la question d'un juste équilibre entre les divers intérêts privés et publics dans tous les domaines administratifs367. La solution consistant à interdire l'utilisation des preuves peut être satisfaisante dans certains cas, par exemple en droit fiscal, mais ce n'est pas le cas dans les situations relevant du droit de la surveillance.

Cette troisième approche différenciée rejoint la jurisprudence relative à l'assujettissement de la partie à une réglementation particulière, telle que celle développée par la CourEDH dans le domaine de la circulation routière368 et par le Tribunal fédéral dans le domaine des jeux d'argent369. Cette solution sera décrite plus en détail au ch. 5.3.6.2.

5.3.6

Options pour le législateur

Dans ce chapitre, nous présentons trois façons dont le législateur peut résoudre la question du conflit entre l'obligation de collaborer en procédure administrative et le principe nemo tenetur. La première option consiste à renoncer à une réglementation légale: de ce fait, la résolution du conflit dans chaque affaire est laissée aux autorités administratives et judiciaires compétentes (option «statu quo», ch. 5.3.6.1). La deuxième option prévoit que les moyens de preuve obtenus sur la base de l'obligation de collaborer fixée dans des lois spéciales (en particulier obligation de produire des documents, d'annoncer, d'établir des documents, de remettre un rapport) peuvent être exploités dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires, même lorsqu'ils ont été obtenus par contrainte excessive. Cette possibilité peut être envisagée lorsque les destinataires des sanctions sont dans un rapport de droit administratif ou de surveillance préexistant (par ex. concession ou autorisation) et qu'ils sont de ce fait soumis à une réglementation particulière (voir ch. 5.3.6.2). La troisième option 365

366 367 368 369

Voir AUER CHRISTOPH, Das Verhältnis zwischen Nachsteuerverfahren und Steuerstrafverfahren, insbesondere das Problem des Beweisverwertungsverbots, ASA 66, p. 1­20, p. 18; en droit bancaire, voir BAUMGARTEN MARK-OLIVER/BURCKHARDT PETER/ROESCH ALEXANDER, Gewährsverfahren im Bankenrecht und Verhältnis zum Strafverfahren, AJP 2006, p. 169­180, p. 177 s.; BENEDICK, Aussagedilemma, p. 177 ss avec exceptions; DONATSCH ANDREAS/ARNOLD IRENE, Einflüsse von EMRK und Verfassungsrecht auf das schweizerische Steuerstrafrecht ­ Teil 2, StR 2012, pp. 82­91, p. 90; GETH CHRISTOPHER, Aufsichtsrechtliche Mitwirkungspflichten und nemo tenetur, in: Banken zwischen Strafrecht und Aufsichtsrecht, 2014, p. 141­164, p. 159; WOHLERS/GODENZI, Strafbewehrte Verhaltenspflichten, p. 1060; FELLMANN/VETTERLI, Nemo tenetur, p. 49; KURZBEIN REGULA, Verletzung der börsenrechtlichen Meldepflichten (Art. 20 und 31 BEHG). Verwaltungs- und strafrechtliche Konsequenzen nach dem revidierten Börsengesetz (2013), Zurich / St-Gall, 2013, no 701 ss avec exceptions; LIEBER, StPO-Kommentar, no 62 ad art. 113 CPP.

Au sujet de la séparation des procédures, voir BECK, Enforcementverfahren, no 785 et les références citées.

Au sujet de cette proposition de MACULA, voir MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 74.

Arrêt de la CourEDH O'Halloran et Francis c. Royaume-Uni du 29 juin 2007, Grande Chambre, (requête no 15809/02), Recueil CourEDH 2007-III, § 57 ss, voir ch. 5.3.5.2.

ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.4 ss.

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admet la primauté du droit de ne pas s'auto-incriminer. Elle peut être concrétisée par l'instauration d'un droit de refuser de collaborer pour les parties et/ou par une interdiction d'utiliser les preuves obtenues sous la contrainte (ch. 5.3.6.3). Cette option est particulièrement adaptée aux domaines ne relevant pas du droit de la surveillance370.

Enfin, il est envisageable, lors de la mise en oeuvre, de recourir à une combinaison d'éléments issus de chaque option, en fonction du domaine administratif concerné.

5.3.6.1

Option 1: statu quo

La présente analyse a démontré que la pratique administrative et la jurisprudence appliquent les garanties de la poursuite pénale dérivées des art. 6 et 7 CEDH et 32 Cst.

dans le contexte des procédures de sanctions administratives pécuniaires et que des solutions au cas par cas ont été trouvées. Il est possible de laisser la résolution du conflit entre l'obligation de collaborer en procédure administrative et le principe nemo tenetur dans un cas particulier entre les mains des autorités chargées d'appliquer le droit, comme tel est actuellement le cas (ci-après: statu quo).

Maintenir le statu quo a pour avantage de permettre une pondération des intérêts contradictoires en jeu, en fonction de chaque cas de figure. Le besoin de clarification au niveau législatif ne semble pas particulièrement élevé, surtout dans les domaines du droit dans lesquels il existe déjà une jurisprudence relative à la portée du principe nemo tenetur. Il faut aussi garder à l'esprit que l'ajout de nouvelles dispositions légales soulèverait de nouvelles questions d'interprétation, du moins pendant la phase suivant leur entrée en vigueur.

Un argument contre le maintien du statu quo est le manque de sécurité juridique tant pour les personnes concernées que pour les autorités371. Il est difficile d'imaginer comment l'application de l'obligation de collaborer en matière de droit de la surveillance et l'utilisation des preuves dans une procédure de sanction administrative pécuniaire pourraient être garanties sur le long terme si le statu quo était maintenu. La doctrine mentionne à ce sujet la possibilité que la CourEDH considère que la restriction du droit de ne pas s'auto-incriminer dans le cadre de l'obligation de collaborer en procédure administrative, telle que retenue dans la jurisprudence du Tribunal fédéral, est contraire à la CEDH372. Une réglementation explicite, dans le sens des options 2 et 3 présentées ci-dessous, aurait comme avantage de placer la pesée des intérêts entre les mains du législateur, élu démocratiquement, et donc que les conséquences juri-

370

Au sujet des autres propositions qui ne seront pas examinées ici, en particulier la conversion des sanctions administratives pécuniaires en dispositions pénales ou l'harmonisation avec le DPA, voir ch. 5.3.5.4.

371 Voir DIEBOLD/RÜTSCHE/KELLER, Marktaufsicht, p. 73.

372 Voir MACULA, Erzwungene Selbstbelastung, p. 54.

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diques pour les particuliers seraient clarifiées. La jurisprudence et la doctrine renvoient aussi à l'obligation du législateur de trouver un équilibre dans le conflit entre l'obligation de collaborer et le principe nemo tenetur373.

5.3.6.2

Option 2: primauté de l'obligation de collaborer en présence d'un rapport préexistant de droit administratif ou de surveillance

L'option 2 suppose la primauté de l'obligation de collaborer fixée dans des lois spéciales (en particulier obligations de produire des documents, d'annoncer, d'établir des documents et de remettre un rapport) sur le droit de ne pas s'auto-incriminer lors des procédures de sanctions administratives pécuniaires lorsque les parties sont dans un rapport de droit administratif préexistant (par ex. concession ou autorisation) ou qu'elles sont soumises à une surveillance particulière des autorités (par ex. à cause d'une obligation d'annoncer374).

Cette option s'appuie sur la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de jeux d'argent, qui se base elle-même sur la jurisprudence de la CourEDH375. Pour faire simple, elle considère que le droit de ne pas s'auto-incriminer s'applique dans une mesure plus limitée dès lors que la partie s'est soumise à une réglementation déterminée376.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le principe nemo tenetur n'est pas valable dans l'absolu: il est contraire au principe d'une concordance pratique des intérêts constitutionnels de reconnaître une protection absolue aux parties de la procédure377.

Cela compromet l'efficacité du droit matériel exigée par la Constitution (voir art. 170 Cst.). Il convient, selon le Tribunal fédéral, de rechercher un compromis entre les divers intérêts en présence afin d'élucider équitablement la vérité matérielle. Pour ce faire, il est nécessaire d'adapter de manière appropriée à chaque cas concret le principe nemo tenetur, qui est en principe applicable (personne physique ou morale, obligation de renseigner sur des éléments de faits ou reconnaissance implicite d'une responsabilité, sanction en cas de non-respect du devoir de collaborer, etc.)378. Ce droit n'est pas aussi étendu pour les personnes morales: il ne rend pas impossible l'accès à des documents que la partie est tenue d'établir et de conserver en raison de réglementations de droit administratif (en particulier en matière de concessions)379.

373

374 375 376 377 378 379

Arrêts du TAF B-3099/2016, B-3702/206 du 17 septembre 2018 consid. 4.5.5. Dans la doctrine, voir BENEDICK, Aussagedilemma, p. 180; FELLMANN/VETTERLI, Nemo tenetur, p. 49; PFLAUM SONJA/WOHLERS WOLFGANG, Kurs- und Marktmanipulation, GesKR 04/2013 p. 523­540, p. 539. Pour une description détaillée des solutions possibles en droit ordinaire, voir BÖSE, Wirtschaftsaufsicht. p. 544 ss; en détail au sujet de l'ensemble de la question, voir MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 72 s.

Voir par ex. obligation d'annoncer selon l'art. 4 LPO.

Voir ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.2 ss.

ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.6.

ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.5.

ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.5.

ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.4, confirmé dans l'ATF 142 IV 207 Bankunterlagen, consid. 8.3.3.

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Cette approche de droit judiciaire peut être généralisée pour les domaines du droit de la surveillance, dans la mesure où des lois spéciales pourraient fixer la portée de l'obligation de collaborer, sa primauté de principe sur le droit de ne pas s'auto-incriminer lors des procédures de sanctions administratives pécuniaires ainsi que l'admissibilité des moyens de contrainte visant à son application. Clarifier la primauté de l'obligation de collaborer au niveau législatif contribuerait à la sécurité du droit. Ainsi, les destinataires légaux peuvent prévoir, au début de la relation de surveillance ou de l'exercice de l'activité soumise à la surveillance, qu'ils devront collaborer dans le cas d'une éventuelle procédure de sanction administrative pécuniaire s'ils violent leurs obligations. Un transfert et un développement de cette solution issue de la jurisprudence du Tribunal fédéral dans le droit écrit permet de laisser le législateur, élu démocratiquement, se charger d'établir une pesée des intérêts de principe. Une telle réglementation devrait toutefois laisser suffisamment de place à des appréciations au cas par cas.

Il convient d'ajouter que la CourEDH a adopté une approche similaire dans le domaine de la circulation routière380 pour justifier la primauté de l'obligation de collaborer en procédure administrative (voir ch. 5.3.5.2). Elle met l'accent sur l'acceptation d'un cadre réglementaire par la personne concernée. La portée des informations exigées était toutefois limitée. Les informations ne sont qu'un élément constitutif de l'état de fait dans les cas qu'elle a jugés381. La CourEDH ne suit pas ce même raisonnement dans d'autres domaines que celui du droit de la circulation routière. Dans certaines de ses décisions, elle a admis la recevabilité de la pesée d'intérêts dans le contexte du principe nemo tenetur, alors que dans d'autres cas, elle a l'a relativisée382. Elle n'accepte en outre pas qu'une autorité oblige à produire des documents sous la contrainte uniquement parce qu'elle n'a pas le pouvoir de recourir à d'autres moyens et qu'elle essaie de cette façon de compenser ses difficultés dans la collecte de preuves383. Il est difficile de prédire comment la CourEDH se prononcera à l'avenir384. La question de savoir de quelle manière elle trancherait les litiges dans le contexte de procédures
de sanctions administratives pécuniaires contre des entreprises reste donc ouverte.

Au motif qu'une personne s'est soumise volontairement à une réglementation spécifique, le Tribunal fédéral et la CourEDH semblent partir du principe que la partie renonce implicitement à faire valoir les droits de la défense découlant du principe

380

381

382

383 384

Arrêt de la CourEDH O'Halloran et Francis c. Royaume-Uni du 29 juin 2007, Grande Chambre, (requêtes nos 15809/02 et 25624/02), Recueil CourEDH 2007-III § 57 ss; voir ch. 5.3.5.2.

Arrêt de la CourEDH O'Halloran et Francis c. Royaume-Uni du 29 juin 2007, Grande Chambre, (requêtes nos 15809/02 et 25624/02), Recueil CourEDH 2007-III, § 60, 62.

Des auteurs de doctrine ont relevé que cette information est essentielle à l'administration des preuves, voir DONATSCH/SMOKVINA, Nemo tenetur-Grundsatz, p. 867.

REISER NINA, Durchsetzung heterogener börsengesellschaftlicher Normen, Zürich/ St. Gallen 2017, § 5 no 240 ss; OTT, nemo tenetur, p. 134 ss; ROTH SIMON, Die Geltung von nemo tenetur im Verwaltungsverfahren, Jusletter 17 février 2014, no 30 ss.

Voir arrêt de la CourEDH J.B. c. Suisse du 3 mai 2001, (requête no 31827/96), Recueil CourEDH 2001-III.

MACULA, Erzwungene Selbstbelastung, p. 34.

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nemo tenetur385. Conformément à cette jurisprudence, la partie accepte la réglementation qui accompagne l'exercice d'une activité soumise à la surveillance, y compris l'obligation de collaborer prévue dans le cas d'une éventuelle procédure de sanction administrative pécuniaire. La doctrine mentionne que les parties faisant l'objet d'une surveillance peuvent bénéficier en contrepartie de droits particuliers, ce qui justifie qu'elles doivent se soumettre à des obligations spéciales en matière procédurale386. Il existe donc des motifs justifiant que les droits fondamentaux des parties soient comparativement davantage restreints dans ce cadre particulier.

Les obligations de collaboration fixées dans le cadre du droit de la surveillance (en particulier l'obligation de produire des documents, d'annoncer, d'établir des documents et de remettre un rapport) servent au contrôle du respect des obligations de comportement prévues par le droit de la surveillance et à la prévention contre les dangers visant des intérêts publics particulièrement importants (par ex. prévention de comportements socialement dommageables, bon fonctionnement des marchés financiers, prévention en matière de santé publique). Parallèlement, il existe en règle générale un intérêt public accru pour la prévention efficace d'un manquement aux obligations. L'instrument de droit de la surveillance de la sanction administrative pécuniaire sert à garantir le «bon» ordre des choses, dans la mesure où certains avantages illicites peuvent être retirés (par ex. confiscation de l'avantage financier acquis de manière illicite) et des sanctions pénales en lien avec l'activité soumise à la surveillance peuvent être prononcées. En d'autres termes, il existe une corrélation matérielle étroite entre la sanction administrative pécuniaire et l'activité soumise à la surveillance.

L'option 2 consiste à limiter l'obligation de collaborer aux documents qui doivent être produits et divulgués sur la base d'une loi spéciale. Ces obligations de produire des documents, d'annoncer, d'établir des documents et de remettre un rapport servent à rendre compte de la manière dont l'activité commerciale soumise à surveillance est menée (par ex. respect de l'obligation de diligence). Les documents contiennent ainsi des informations relatives à l'état de fait, qui permettent
à l'autorité de surveillance de vérifier le respect des obligations légales (en particulier les obligations rattachées aux autorisations ou aux concessions)387. Ces documents sont généralement produits avant l'ouverture de la procédure de surveillance ou de sanction administrative et, en

385

ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.4, 3.3.6; Arrêt de la CourEDH O'Halloran et Francis c. Royaume-Uni du 29 juin 2007, Grande Chambre, (requêtes nos 15809/02 et 25624/02), Recueil CourEDH 2007-III § 57 ss. Pour un avis critique sur cette motivation, voir MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 76 s; OTT, nemo tenetur, p. 145 ss. Dans la doctrine, on relève que bien qu'il soit possible de renoncer aux droits de la défense, tels que le droit de ne pas s'auto-incriminer, cela ne peut toutefois se faire que lorsque certaines conditions strictes sont réunies. La partie doit déclarer sans ambiguïté qu'elle y renonce, en toute conscience des implications que cela comporte.; voir MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 76 s; voir aussi TRECHSEL STEFAN, Bankgeheimnis ­ Steuerstrafverfahren ­ Menschenrechte Nemo tenetur bei Steuerhinterziehung, ZStrR 2005, p. 256­276, p. 273 avec renvoi notamment à l'arrêt de la CourEDH Pfeifer et Plankl c.

Autriche du 24 février 1992, (requête no 10802/84), série A, vol. 227, § 37.

386 MACULA, Mitwirkungspflichten, p. 75.

387 Voir ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.6.

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ce sens, il faut les considérer comme préexistants388. Compte tenu de ces limites relatives tant au contenu qu'à la durée, il ne paraît pas exclu que l'on puisse fixer des obligations de renseigner, précisément, définies dans une loi spéciale.

La primauté de l'obligation de collaborer fixée dans une loi spéciale entre avant tout en ligne de compte dans le contexte de la surveillance des personnes morales389, car, d'après la jurisprudence du Tribunal fédéral, la portée du droit au silence est limitée dans ce domaine. Par conséquent il faut se contenter de garantir, de façon systématique, que les personnes morales disposent d'une défense efficace. Le principe nemo tenetur n'a pas pour objet la protection du libre arbitre, car celui-ci est lié à la dignité humaine390 et ne vaut que pour les personnes physiques. Cet aspect est important en ce qui concerne les informations et les documents à fournir: il n'est pas nécessaire que ceux-ci contiennent une auto-évaluation juridique faite par l'entreprise, assimilable à un aveu, mais ils sont limités dans leur contenu à des éléments factuels391. L'entreprise est libre de remettre en cause l'appréciation juridique des informations transmises dans la suite de la procédure ou, le cas échéant, de les réfuter au moyen d'autres preuves sans encourir le risque de se contredire. De cette façon, une défense efficace peut être assurée. On ne peut parler de pression pour obtenir des aveux forcés ou d'un dilemme non soutenable d'auto-incrimination392. Il convient d'ajouter que l'option 2 est limitée à l'utilisation des preuves dans le cadre de procédures de sanctions administratives pécuniaires directement dirigées contre une entreprise soumise à une surveillance. Elle ne concerne pas l'utilisation des informations obtenues de la même

388

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391

392

Voir à ce sujet arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid.

118 ss, avec renvoi à la doctrine Saunders de la CourEDH (arrêt de la CourEDH Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996, (requête no 19187/91), Recueil CourEDH 1996-VI, § 69). Le Tribunal fédéral part également du principe que l'obtention de preuves via des moyens de contrainte légaux (même contre la volonté du prévenu) est admissible si celles-ci sont déjà disponibles avant l'exercice de la contrainte pénale (ATF 142 IV 207 Bankunterlagen, consid. 8.3.2, 8.18.1, 8.18.3; ATF 138 IV 47 consid. 2.6.1). Le Tribunal pénal fédéral a confirmé cette jurisprudence dans son arrêt SK.2019.13 du 17 juin 2020, consid. 1.1.3; voir aussi arrêt SK.2016.19 du 19 septembre 2018, consid. 6.4.1.1.

Il est difficile de savoir si l'option 2 peut aussi être envisagée pour les procédures de sanctions administratives pécuniaires dirigées contre des personnes physiques soumises à la surveillance (par ex. propriétaire d'une entreprise individuelle). La jurisprudence n'a pas encore eu à se prononcer sur un cas de ce type. On peut considérer que la portée du principe nemo tenetur dans un tel contexte est plus étendue que lorsqu'il s'agit de personnes morales. La jurisprudence de la CourEDH sur laquelle repose l'option 2 concerne quant à elle l'obligation de collaborer des personnes physiques. Il faudrait encore examiner plus en détail la possibilité de recourir à cette option pour les procédures de sanctions administratives pécuniaires dirigées contre une personne physique et non pas une entreprise.

Voir ATF 147 II 144 Boykott Apple Pay, consid. 5.2.2 s. En droit comparé, il faut relever que la Cour de justice de l'UE a aussi confirmé que la portée des droits de protection découlant du principe nemo tenetur ne doivent pas être jugés de la même façon, dans le cadre des procédures de sanctions administratives, que lorsqu'il s'agit de personnes physiques, voir arrêt de la CJUE C-481/19 du 2 février 2021, § 48.

Cette différence semble toutefois difficile à faire dans la pratique, voir aussi ATF 147 II 144 Boykott Apple Pay, consid. 5.2 et arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015, Swisscom ADSL, consid. 105.

MACULA, Erzwungene Selbstbelastung, p. 49, en ce sens, voir aussi ATF 147 II 144, Boykott Apple Pay, consid. 5.2.2 s.

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façon dans une procédure pénale parallèle dirigée contre la partie ou des tiers (par ex. organes ou collaborateurs): celle-ci suit les prescriptions, plus strictes, du CPP.

Selon l'option 2, il est admissible de faire appliquer l'obligation de collaborer issue d'une loi spéciale en recourant à des moyens de contrainte généraux ou à ceux fixés dans une loi spéciale (voir ch. 5.3.2.3), tant que ces obligations sont directement dirigées contre la partie393. L'utilisation de moyens de preuve obtenus par la contrainte auprès de la partie soumise à une surveillance, serait en principe autorisée dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires. Les preuves recueillies lors d'une procédure administrative antérieure contre la même partie seraient aussi inclues.

Dans ce contexte précis, l'obligation de collaborer découlant des lois spéciales primerait sur le principe nemo tenetur. La partie ne pourrait pas faire valoir son droit de ne pas s'auto-incriminer dans le cadre d'une procédure de sanction administrative pécuniaire, autrement dit, il ne serait pas interdit d'utiliser les preuves obtenues dans une procédure de surveillance parallèle.

L'option 2 semble en revanche aller trop loin lorsqu'il s'agit d'une obligation de collaborer qui n'est pas liée à une obligation d'annoncer, d'établir des documents et de remettre les rapports et les comptes annuels spécifiée dans une loi spéciale (par ex. obligation générale de renseigner). Il y a une différence entre le cas où la partie doit fournir des renseignements relatifs à l'importance qu'ont eus certains événements ou si elle doit uniquement, mais systématiquement communiquer les faits et les documents exigés, sans autre précision quant à leur contenu. L'option 2 devrait donc être limitée à des documents prédéfinis, qui ont été ou auraient dû être établis dans le cadre de l'activité de l'entreprise. En revanche, au regard du principe nemo tenetur, cette option irait trop loin si elle s'étendait à des éléments dont le contenu dépasserait les aspects purement factuels. La proposition de distinguer les obligations de collaborer spécifiques et générales permet d'équilibrer les intérêts en présence. Les parties pourraient exercer leur activité en sachant quelles informations elles devraient potentiellement fournir dans le cas d'une procédure de sanction,
tout en étant protégées par le droit constitutionnel et conventionnel de ne pas s'auto-incriminer s'agissant de l'obligation générale de collaborer.

Un défi de la mise en oeuvre de cette option sera de définir avec suffisamment de clarté les obligations de collaborer issues des lois spéciales et de les distinguer sélectivement des obligations générales de renseigner. Lors de la mise en oeuvre de cette option, il ne faudrait pas que toutes les obligations de renseigner vis-à-vis d'une autorité administrative à respecter dans une procédure de surveillance doivent être concrétisées dans une loi ou une disposition d'exécution ni que l'autorité administrative perde sa marge d'appréciation, dans les cas concrets, pour déterminer de quelles informations elle a concrètement besoin et lesquelles sont nécessaires pour la surveillance d'une entreprise. Une exclusion des renseignements portant également sur les éléments de faits qu'une autorité de surveillance exige suite à un incident précis aurait probablement pour conséquence que la sanction administrative pécuniaire perdrait de son importance en tant que mesure pour l'autorité de surveillance.

393

Il semble par contre discutable d'admettre le recours à des moyens de contrainte contre les personnes physiques qui représentent une partie (en particulier menaces de sanctions contre les organes d'une personne morale).

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L'option 2 ne paraît pas non plus adaptée aux procédures de sanctions administratives pécuniaires contre les parties qui ont une relation de souveraineté ordinaire vis-à-vis de l'État. Il s'agit par exemple des domaines analogues au droit fiscal (obligations incombant à tout un chacun, Jedermannspflichten)394. Dans ce contexte, il y a bien un assujettissement à une réglementation spécifique, mais elle n'est pas «volontaire». Le droit en vigueur ne prévoit pas l'instrument des sanctions administratives pécuniaires pour ces domaines (à l'exception du droit des cartels).

5.3.6.3

Option 3: droit de refuser de collaborer et/ou interdiction d'exploiter les preuves

L'option 3 postule la primauté du droit de ne pas s'auto-incriminer dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires. Les parties ne sont plus soumises à l'obligation de collaborer. Le niveau de protection des parties à une procédure de sanctions administratives pécuniaires serait relevé à celui du code de procédure pénale ou du droit pénal dès lors qu'il existe un lien suffisant avec une procédure s'inscrivant dans le champ d'application de l'art. 6 CEDH395.

L'option 3 peut être mise en oeuvre au niveau législatif par l'introduction, dans les lois spéciales concernées, d'un droit de la partie de refuser de collaborer lors des procédures de sanctions administratives pécuniaires. Une autre possibilité, qui pourrait se cumuler à la première, serait d'instaurer une interdiction d'exploiter les moyens de preuves396 obtenus par le biais de la contrainte, dans le contexte de l'obligation de collaborer397, lors d'une procédure administrative «normale» parallèle ou simultanée.

Les arguments suivants plaident en faveur de l'option 3: ­

394

395 396

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398

Protection étendue de la partie: un droit de refuser de collaborer ou une interdiction d'exploiter les preuves, garantirait pleinement les droits de procédure de la partie découlant du principe nemo tenetur. Ce principe serait prioritaire sur l'obligation de collaborer issue du droit administratif (art. 190 Cst.)398.

C'est l'une des raisons pour lesquelles le Conseil fédéral a rejeté l'introduction de sanctions dans la nouvelle loi sur la protection des données calquée sur le Règlement européen sur la protection des données (RGPD), voir message concernant la loi fédérale sur la révision totale de la loi fédérale sur la protection des données, p. 6597.

Critique au sujet de cette approche BECK, Enforcementverfahren, no 776 et les références citées.

Il faudrait déterminer notamment si l'interdiction d'utiliser les preuves inclut ou exclut les informations d'ordre purement factuel, les documents préexistants, les données tirées d'une affaire antérieure et les données enregistrées à cause de l'obligation d'informer qu'implique une gestion correcte des affaires. Au sujet de la jurisprudence sur les documents préexistants, voir la note de bas de page 388.

Il faudrait régler quel type de mesures de contrainte conduisent à une interdiction de l'utilisation des preuves (voir par ex. art. 183, al.1bis, LIFD). Il faudrait également décider si seule une menace concrète (en procédure administrative ou pénale) de recours à des moyens de contrainte conduit à l'interdiction d'utilisation de preuves ou si la possibilité abstraite de sanctionner un refus de collaborer suffirait.

SPITZ, Problemstellungen, p. 557, n'est toutefois pas certain que cela doive s'appliquer sans restrictions aux entreprises.

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­

Rattachement au droit pénal fiscal: le législateur a réglé le conflit entre les obligations de collaborer en droit administratif et le principe nemo tenetur dans le domaine du droit pénal fiscal en introduisant au niveau sectoriel l'interdiction d'utiliser les preuves (voir notamment art. 183, al. 1bis, LIFD). Une telle approche irait dans le sens d'une uniformisation du droit dans la mesure où les domaines concernés peuvent être comparés.

­

Réalisation de l'obligation de collaborer en procédure administrative: l'exécution forcée de l'obligation de collaborer dans le cadre de procédures administratives exécutoires ou restitutoires ne serait en principe pas affectée par un droit de refuser de témoigner et/ou une interdiction d'exploiter les preuves. Le principe nemo tenetur s'oppose, uniquement mais dans tous les cas, à l'obtention de preuves sous la contrainte ainsi qu'à leur utilisation dans une procédure de sanction. L'application du droit administratif matériel dans le cadre de mesures exécutoires ou restitutoires resterait garantie.

L'instauration d'un droit de refuser de collaborer et/ou d'une interdiction d'exploiter les preuves entraînerait cependant d'importantes difficultés d'obtention des preuves dans le contexte des procédures de sanctions administratives pécuniaires. La pesée des intérêts ne serait pas équilibrée: les intérêts de la partie seraient privilégiés tandis que l'intérêt à une application efficace du droit, lui aussi inscrit dans la Constitution, serait considérablement péjoré. Contrairement aux autorités pénales, les autorités de sanctions administratives ne peuvent normalement399 pas recourir à d'autres moyens d'obtention des preuves auprès des parties tels que la perquisition. La procédure administrative actuelle n'autorise l'interrogatoire de témoins, qui permet de recueillir des preuves auprès de tiers, que sous la réserve de conditions strictes. Toutes les autorités de sanctions administratives n'ont ainsi pas le pouvoir d'ordonner l'audition de témoins, mais uniquement les organes administratifs figurant à l'art. 14, al. 1, PA. Un droit général de refuser de collaborer et/ou une interdiction d'utiliser les preuves auraient donc un effet beaucoup plus radical et compliqueraient fortement l'application du droit administratif par rapport aux procédures pénales. De ce fait, il ne semble pas approprié de les introduire de façon généralisée, pour tous les domaines juridiques et tous les cas d'application dans lesquels des sanctions administratives pécuniaires peuvent être prononcées. L'option 3 semble envisageable tant qu'il n'y a pas de rapport de droit administratif préexistant avec la partie, ou qu'elle n'est pas soumise à une surveillance particulière, et donc à une réglementation spécifique.

Dans le cas où cette option serait choisie, il faudrait compenser l'effet de la suppression de l'obligation de collaborer sur l'obtention des preuves en octroyant aux autorités des droits supplémentaires à cet égard en vue de l'établissement des faits400. On pense notamment à l'audition de témoins et à la perquisition401. Les perquisitions 399 400

Les perquisitions en application de la LCart (art. 42 LCart) font figure d'exception.

Si la suppression de l'obligation de collaborer n'était pas compensée par d'autres possibilités d'obtention des preuves, il serait presque impossible de mener à bien les procédures de sanctions administratives pécuniaires.

401 Au sujet de la perquisition dans le contexte du principe nemo tenetur, voir l'arrêt de la CourEDH Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996, (requête no 19187/91), Recueil CourEDH 1996-VI, § 69; arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015, Swisscom ADSL, consid. 103.

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prennent cependant du temps et nécessitent une quantité importante de ressources.

Compte tenu du principe nemo tenetur, certaines mesures d'obtention des preuves prévues par la loi sont admissibles: il s'agit des mesures qui ne sont pas dirigées contre la partie, telles que l'audition de témoins ou celles qui ne nécessitent pas la contribution active de la partie, mais uniquement son consentement, comme la perquisition402.

Il faut ajouter que selon la jurisprudence de la CourEDH, le fait qu'une perquisition soit autorisée par un juge (réserve du juge, Richtervorbehalt) ou qu'une réglementation équivalente à la réserve du juge soit prévue ou non joue un rôle essentiel dans l'appréciation des atteintes à l'art. 8 CEDH403.

Si l'option 3 était appliquée, il faudrait encore vérifier s'il est nécessaire de régler dans la loi le fait d'informer les parties de leur droit de refuser de témoigner et de collaborer. Cette question fait l'objet de débats parmi les auteurs de doctrine relative au droit des cartels404. La jurisprudence du Tribunal administratif fédéral considère qu'il n'existe pas d'obligation générale d'informer du droit de refuser de témoigner dans le contexte des procédures de sanctions administratives pécuniaires au sens de l'art. 49a LCart405. En revanche, si les autorités procèdent à des mesures inopinées (par ex. l'audition de témoins, une perquisition ou un séquestre), les personnes physiques directement concernées doivent en principe être expressément informées de leur droit de refuser de fournir des renseignements406.

5.3.7

Conclusion intermédiaire

L'obligation de collaborer en procédure administrative est en conflit avec le principe nemo tenetur de la procédure pénale lorsqu'elle est mise en oeuvre sous la contrainte et que son résultat peut être utilisé comme une preuve dans une procédure de sanction administrative pécuniaire. L'analyse effectuée a permis de constater que la pratique administrative et la jurisprudence ont développé des solutions adaptées au cas par cas.

Il se peut qu'il faille laisser aux autorités chargées d'appliquer le droit la tâche d'effectuer la pesée des intérêts entre l'obligation de collaborer de droit administratif et le principe nemo tenetur, dans chaque cas d'espèce (option 1, statu quo).

Une réglementation explicite (comme dans l'option 2 ou 3) présenterait l'avantage de conférer au législateur, élu démocratiquement, la pesée des intérêts en présence et les conséquences juridiques seraient de ce fait clarifiées. Il est cependant difficile de trouver une solution adéquate qui convienne à l'ensemble des domaines administratifs.

402 403

ATF 142 IV 207 Bankunterlagen, consid. 8.3.2; 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.2.

Voir arrêts de la CourEDH Miailhe c. France du 25 février 1993 (requête no 12661/87), série A, vol. 256-C; Crémieux c. France du 25 février 1993 (requête no 11471/85), série A, vol. 256-C; Camenzind c. Suisse du 16 décembre 1997 (requête no 21353/93), Recueil CourEDH 1997-VIII.

404 Partagent ce point de vue: SPITZ, Problemstellungen, p. 558; SCHAAD THOMAS, Verhältnis zwischen der ausländerrechtlichen Mitwirkungspflicht und den strafprozessualen Verweigerungsrechten, Jusletter 20 mars 2017, no 86; TAGMANN, Sanktionen, p. 119 s.; sont d'un avis contraire: SEILER, Missverhältnis, p. 19 s.; HAURI KURT, Verwaltungsstrafrecht, Berne 1998, art. 39, no 4.

405 Arrêt du TAF B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon, consid. 5.3.2, avec renvoi à ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.3.6, 3.4.

406 Arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 136.

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Pour les destinataires des sanctions qui se sont soumis à une réglementation spécifique et sont dans un rapport de droit administratif préexistant, ou font l'objet d'une surveillance particulière, une solution préconisant la primauté de l'obligation de collaborer en vertu des lois spéciales semble envisageable (option 2). Pour mettre cette solution en oeuvre et pour des motifs de sécurité du droit et de prévisibilité, il faudrait régler explicitement, et dans chaque loi spéciale, la portée de l'obligation de collaborer (en particulier l'obligation d'annoncer, d'établir des documents et de remettre un rapport) ainsi que sa primauté sur le droit de ne pas s'auto-incriminer dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires. Les obligations de collaborer générales (par ex.

obligation générale de renseigner) ne seraient en revanche par concernées par une règle de primauté de ce type. Cette solution de compromis est basée sur la jurisprudence du Tribunal fédéral dans l'affaire Spielbank. Il reste impossible de prédire avec exactitude comment la CourEDH jugerait cette approche.

La primauté du droit de ne pas s'auto-incriminer et la suppression de l'obligation de collaborer (option 3) dans les domaines où les sanctions administratives peuvent s'appliquer ne semble pas appropriée. Cette approche serait tout au plus concevable pour les domaines dans lesquels les destinataires des sanctions sont dans une relation de souveraineté ordinaire vis-à-vis de l'État. Cela concernerait par exemple les domaines analogues au droit fiscal (obligations de tout un chacun, Jedermannspflichten). Le droit en vigueur ne prévoit pas de sanctions administratives pécuniaires dans ces domaines, à l'exception du droit des cartels. Au cas où l'option 3 serait appliquée, il faudrait mettre sur pied des nouvelles possibilités d'obtention des preuves pour l'établissement des faits (notamment des auditions de témoins et des perquisitions), afin de compenser les difficultés auxquelles les autorités devront faire face.

5.4

Questions choisies du droit de la preuve

5.4.1

Contexte

Les procédures de sanctions administratives pécuniaires qui tombent dans le champ d'application des garanties de procédure pénale posent la question de savoir si le droit de la preuve en droit administratif est compatible avec la présomption d'innocence garantie en matière de procédure pénale, selon laquelle toute personne accusée d'une infraction pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ou qu'elle fasse l'objet d'une condamnation entrée en force (art. 6, par. 2, CEDH et 32, al. 1, Cst.). La principale disposition concrétisant l'art. 32, al. 1, Cst.

figure à l'art. 10 CPP407. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral et du Tribunal

407

Voir à ce sujet TOPHINKE ESTHER in: Niggli/Heer/Wiprächtiger, Basler Kommentar ­ Strafprozessordnung, 2e éd., Bâle 2014, no 1 ss ad art. 10 CPP; JEANNERET/KUHN, Procédure pénale, no 4060 ss.

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administratif fédéral, la présomption d'innocence s'applique aussi aux entreprises dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires 408 .

Les chapitres qui suivent présenteront plus en détail les présomptions légales de droit et de fait contre la partie prévues dans les différentes lois spéciales (ch. 5.4.2), la réduction du degré de preuve contre la partie (ch. 5.4.3) et la possibilité de prendre en compte le comportement de la partie à son détriment lors de l'appréciation des preuves dans la procédure de sanctions (ch. 5.4.4).

5.4.2

Présomptions légales de fait et de droit

Différentes lois spéciales qui prévoient des sanctions administratives pécuniaires comprennent des présomptions légales de fait et de droit au détriment de la partie (art. 122a, al. 2, et 122b, al. 2, LEI, 5, al. 3 et 4, LCart et 171a, al. 2, LAgr). Le fardeau de la preuve incombe toujours à l'autorité administrative en ce qui concerne la base de la présomption servant à inférer un fait inconnu ou une conséquence juridique inconnue. Toutefois, lorsque cette base est établie, c'est la partie qui a l'obligation d'apporter les preuves pour renverser les conséquences de la présomption. Celles-ci sont applicables dans le cas contraire. C'est alors la partie qui supporte les conséquences de l'absence ou du défaut de preuve.

Si la procédure tombe dans le champ d'application de l'art. 6 CEDH, les présomptions légales entrent en conflit avec la présomption d'innocence, selon laquelle c'est l'autorité et non le prévenu qui assume les conséquences de l'absence de preuve (règle du fardeau de la preuve)409. Selon la jurisprudence de la CourEDH, la présomption à l'encontre de parties peut exceptionnellement être compatible avec l'art. 6, par. 2, CEDH lorsque celle-ci demeure dans des limites raisonnables. L'importance de l'enjeu et le respect des droits de procédure et de défense jouent à cet égard un rôle décisif (par ex. possibilité de renverser la présomption)410. En d'autres termes, les moyens employés doivent être raisonnablement proportionnés au but légitime poursuivi411.

Selon la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral concernant les art. 122a et 122b LEI, les présomptions de fait et de droit sont admises dans les procédures de 408

ATF 140 II 384 Spielbank, consid. 3.4; arrêt du TAF B-807/2012 du 25 juin 2018 Strassen- und Tiefbau im Kt. Aargau/Erne, consid. 6.3.; arrêt du TAF A-597/2019 Swiss International Airlines du 27 janvier 2020, consid. 5.3.3 concernant une sanction administrative pécuniaire selon l'art. 122a LEI et arrêt du TAF B-6592/2010 du 18 mars 2011, consid. 3.2 concernant une sanction administrative pécuniaire selon l'art. 169 LAgr.

Dans la doctrine, voir par ex. KIENER/RÜTSCHE/KUHN, Verfahrensrecht, no 728; KÖLZ/HÄNER/BERTSCHI, Verwaltungsverfahren, no 486.

409 Arrêt du TAF B-807/2012 du 25 juin 2018 Strassen- und Tiefbau im Kt. Aargau/Erne, consid. 6.3 et les références citées.

410 Arrêts de la CourEDH Kangers c. Lettonie du 14 mars 2019 (requête no 35726/10), § 56; Krumpholz c. Autriche du 18 mars 2010, (requête no 13201/05), § 34; Busuttil c. Malte du 3 juin 2021 (requête no 48431/18), § 46 ss; Salabiaku c. France du 7 octobre 1998, (requête no 10519/83), série A, vol. 141-A, § 28. Voir aussi ATF 142 IV 137, consid. 9.2.

411 Arrêt de la CourEDH Busuttil c. Malte du 3 juin 2021 (requête no 48431/18), § 47, avec renvoi à l'arrêt de la CourEDH Janosevic c. Suède du 23 juillet 2002 (requête no 34619/97), recueil CourEDH 2002-VII, § 101; décision de la CourEDH Falk c.

Pays-Bas du 19 octobre 2004 (requête no 66273/01).

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sanctions administratives pour autant qu'elles ne soient pas considérées comme absolues, qu'elles servent à atteindre un objectif légitime, qu'elles restent dans des limites raisonnables et qu'elles puissent être appréciées par le tribunal au cas par cas412. Dans tous les cas, la personne concernée doit avoir la possibilité de renverser la présomption, en faisant valoir par exemple les motifs d'exculpation prévus à l'art. 122a, al. 3, et 122b, al. 3, LEI. Le Tribunal administratif fédéral a confirmé à plusieurs reprises413 leur compatibilité avec l'art. 6, par. 2, CEDH.

Dans la mesure où elles sont réfragables, les présomptions légales énoncées à l'art. 5, al. 3 et 4, LCart sont également compatibles avec la présomption d'innocence, comme le relève la jurisprudence414. La présomption légale susmentionnée prévue à l'art. 171a, al. 2, LAgr est également réfragable415; il est donc à supposer qu'elle n'entre fondamentalement pas en conflit avec la présomption d'innocence.

5.4.3

Réduction du degré de la preuve

Selon la jurisprudence et la pratique suisses, le degré de la preuve requis est en principe celui de la certitude (Überzeugungsbeweis)416. Il peut toutefois être réduit à la vraisemblance prépondérante à certaines conditions dans les procédures de sanctions administratives: la preuve est considérée comme fournie si les faits allégués sont soutenus par des critères objectifs et des motifs si impérieux que d'autres possibilités envisageables n'entrent raisonnablement pas en ligne de compte417. Lorsque la preuve stricte est impossible ou ne peut être raisonnablement exigée non seulement au cas par cas, mais en raison de la nature du fait concerné et qu'il y a donc état de nécessité en matière de preuve (Beweisnot), la jurisprudence suisse considère que la réduction du degré de la preuve à la vraisemblance prépondérante est admissible418.

412 413

414

415 416

417 418

Arrêts du TAF A-597/2019 du 27 janvier 2020 Swiss International Airlines, consid. 4.4.2 ss et 5.3.3; A-597/4.4 du 27 avril 2020, consid. 7.3.3.

Arrêts du TAF A-597/2019 du 27 janvier 2020 Swiss International Airlines, consid.

4.4.2 ss et 5.3.3; A-597/2020 du 23 février 2021, consid. 4; A-1384/2019 du 27 avril 2020, consid. 7.3.3 ss.

Arrêts du TAF B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon, consid. 5.5.3; B-8399/2010 du 23 septembre 2014, consid. 6.4.5. Voir aussi ATF 143 II 297, consid. 9.4.2; ZIRLICK BEAT/BANGERTER SIMON, in: Zäch et al., Bundesgesetz über Kartelle und andere Wettbewerbsbeschränkungen Kommentar, 1e éd., Zurich/St-Gall 2018, no 359 ss ad art. 5 LCart.

En outre, les autorités de la concurrence ne s'appuient pas purement et simplement sur la présomption dans leur pratique, mais examinent d'office si elle peut être renversée.

WASSERFALLEN ANDREAS, Landwirtschaftsgesetz (LwG) Handkommentar, Berne 2019, no 32 ss ad art. 171a.

Arrêt du TAF B-581/2012 du 16 septembre 2016 Nikon, consid. 5.5.1, avec renvoi à l'ATF 130 III 321, consid. 3.2; pour la doctrine de droit de la procédure, voir KIENER/ RÜTSCHE/KUHN, Verfahrensrecht, no 727; DAUM, VRPG/BE-Kommentar, no 19 ad art. 19. Le degré de la preuve en droit administratif est compatible avec la présomption d'innocence; voir arrêt du TAF B-880/2012 du 25 juin 2018, consid. 8.4.4.1.

Arrêt du TAF B-807/2012 du 25 juin 2018 Strassen- und Tiefbau im Kt. Aargau/Erne, consid. 8.4.4.2., avec renvoi aux ATF 140 III 610, consid. 4.1; 132 III 715, consid. 3.1.

Arrêt du TAF B-807/2012 du 25 juin 2018 Strassen- und Tiefbau im Kt. Aargau/Erne, consid. 8.4.4.2, avec renvoi aux ATF 132 III 715, consid. 3.1; 130 III 321, consid. 3.2; 128 III 271 consid. 2b/aa.

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Les sanctions administratives pécuniaires concernent parfois des situations complexes, qui peuvent poser des difficultés considérables en matière de preuve à l'autorité administrative. On parle notamment de liens de causalité multiples en droit des cartels, lorsque de nombreux acteurs et facteurs doivent être pris en compte dans le cadre d'analyses ou prévisions économiques, ce qui peut par exemple arriver lorsqu'il s'agit de prouver l'existence d'une position dominante au sens de l'art. 7 LCart419.

Dans le contexte des sanctions administratives de droit des cartels, le Tribunal fédéral a indiqué qu'il ne fallait pas exagérer les exigences en matière de preuve, dès lors qu'une preuve stricte ne semble guère possible à partir d'une certaine complexité420.

Le Tribunal administratif fédéral a de plus expressément retenu qu'une simple réduction du degré de la preuve n'entraîne pas de violation du principe de présomption d'innocence (in dubio pro reo421)422. Il y a lieu d'ajouter enfin que selon la jurisprudence de la CourEDH, il appartient aux autorités nationales de déterminer le degré de preuve requis pour l'établissement de la faute423.

5.4.4

Libre appréciation des preuves

En procédure administrative, l'autorité administrative apprécie librement les preuves.

Ce faisant, elle peut par exemple prendre en considération le refus de la partie de répondre à une question ou de produire les moyens de preuve requis (art. 19 PA en relation avec l'art. 40 PCF). Si la procédure tombe dans le champ d'application de l'art. 6 CEDH, cette possibilité peut entrer en conflit avec la présomption d'innocence.

En tant que règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence commande de renoncer aux sanctions de droit administratif si des doutes insurmontables subsistent424. Selon la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral, elle s'applique par 419

420 421

422 423 424

Le Tribunal administratif fédéral estime que cette appréciation vaut non seulement pour la constatation de l'existence d'une position dominante dans les cas relevant de l'art. 7 LCart, mais en définitive aussi pour tous les éléments constitutifs de l'infraction, dans la mesure où il s'agit de liens de causalité multiples. Le degré de preuve réduit peut aussi être pertinent dans des cas relevant de l'art. 5 LCart, notamment lorsqu'il s'agit d'évaluer l'évolution future ou alternative des marchés, les conséquences possibles des faits relevant du droit des cartels sur la concurrence ou les éventuels motifs d'efficacité économique (voir arrêt du TAF B-807/2012 du 25 juin 2018 Strassen- und Tiefbau im Kt. Aargau/Erne, consid. 8.4.4.4).

ATF 139 I 72 Publigroupe, consid. 8.3.2; arrêt du TAF B-807/2012 du 25 juin 2018 Strassen- und Tiefbau im Kt. Aargau/Erne, consid. 8.4.4.2.

Selon le principe «in dubio pro reo», tout doute insurmontable concernant la commission de l'infraction reprochée doit profiter au prévenu; voir arrêt de la CourEDH SA-Capital Oy c. Finlande du 14 février 2019 (requête no 5556/10), § 107; arrêt du TF 6B_804/2017 du 23 mai 2018, consid. 2.1.

Arrêt du TAF B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 582.

Arrêt de la CourEDH Bikas c. Allemagne du 25 janvier 2018 (requête no 76607/13), § 59 Arrêts du TAF B-6592/2010 du 18 mars 2011, consid. 3.2; B-8399/2010 du 23 septembre 2014, consid. 6.4.4.; WALDMANN BERNHARD, in: Waldmann/Weissenberger, Praxiskommentar Verwaltungsverfahrensgesetz, 2e éd., Zurich 2016, no 20 ad art. 19, avec renvoi à KÖLZ/HÄNER/BERTSCHI, Verwaltungsverfahren, no 486; voir aussi HÄNER ISABELLE, Die Feststellung des rechtserheblichen Sachverhaltes, in: Häner/Waldmann, Das erstinstanzliche Verwaltungsverfahren, Zurich 2008, p. 33 à 53, en particulier p. 49 s.

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analogie dans les procédures administratives ayant un caractère pénal; c'est pourquoi la prise en compte d'un comportement au détriment de la partie est soumise à des conditions strictes425. La prise en compte du comportement de la partie à titre de preuve dépend en premier lieu de chaque cas d'espèce. Il n'est par conséquent pas nécessaire d'adopter des mesures législatives concernant les exigences relatives à l'appréciation des preuves.

5.4.5

Conclusion intermédiaire

Dans le contexte du droit de la preuve, il y a lieu de prendre en considération la présomption d'innocence garantie en matière de procédure pénale (art. 6, par. 2, CEDH et 32, al. 1, Cst.) dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires. Selon la jurisprudence, les présomptions de fait et de droit contre la partie prévues par la législation sur les étrangers et celle sur les cartels sont compatibles avec la présomption d'innocence, à condition que la partie puisse les renverser.

La jurisprudence admet que la réduction du degré de preuve contre la partie (vraisemblance prépondérante) se justifie notamment lorsqu'une preuve stricte est impossible ou ne peut pas être raisonnablement exigée non seulement dans le cas particulier, mais en raison de la nature du fait concerné, et qu'il y a donc état de nécessité quant à la preuve. C'est par exemple le cas des liens de causalité complexes lorsque de nombreux acteurs et facteurs interviennent ou qu'il faut établir des pronostics. Dans ce contexte, la réduction du degré de preuve est compatible avec la présomption d'innocence.

Enfin, la jurisprudence approuve le fait que l'autorité administrative compétente en matière de sanctions prenne en compte le comportement non coopératif de la partie.

L'autorité doit toutefois observer la présomption d'innocence dans le cadre de la libre appréciation des preuves. Les circonstances de chaque cas particulier sont déterminantes.

5.5

Droit d'être entendu et droit à des débats publics et oraux

Le droit d'être entendu de la partie est un aspect essentiel de l'équité procédurale. Il est garanti à l'art. 29, al. 2, Cst. pour toutes les instances judiciaires et administratives.

Il doit également être respecté dans les procédures entrant dans le champ d'application de l'art. 6 CEDH. Le législateur a expressément concrétisé dans la PA des éléments du droit d'être entendu découlant de la Constitution (art. 26 ss PA). Le droit légal d'être entendu correspond largement au droit fondamental d'être entendu selon les

425

Arrêt du TAF A-597/2019 du 27 janvier 2020 Swiss International Airlines, consid. 5.3.3, avec renvoi à AUER/BINDER, VwVG-Kommentar, no 40 ad art. 13 PA.

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art. 29, al. 2, Cst.426 et 6 CEDH427. En outre, certaines lois spéciales telles que la loi sur les cartels comprennent des dispositions complémentaires sur le droit d'être entendu qui vont au-delà du minimum prescrit par le droit conventionnel et constitutionnel428. Le droit d'être entendu exige que la partie soit informée sur la procédure et qu'elle puisse se prononcer sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes et fournir des preuves. L'examen de la pratique et de la jurisprudence en matière de sanctions administratives pécuniaires relevant du droit administratif fédéral a montré que le droit d'être entendu revêt une grande importance pratique, sans pour autant qu'il soit en principe nécessaire de légiférer dans ce domaine.

En outre, l'art. 6, par. 1, CEDH garantit le droit à une audience publique dans les procédures judiciaires. Selon la CourEDH, le caractère oral de l'audience est compris dans la notion d'audience publique au sens de l'art. 6, par. 1, CEDH429. Le prévenu peut renoncer expressément ou tacitement à l'audience publique. Le droit à une audience orale s'applique moins strictement s'il s'agit de décisions qui ne relèvent pas du noyau dur du droit pénal430. Selon la pratique de la CourEDH, il est ainsi possible de renoncer exceptionnellement à une audience lorsque la nature des questions à élucider le permet: à cet égard, il doit être possible de répondre aux questions de fait et de droit sur la base du dossier, le prévenu doit avoir pu présenter suffisamment son point de vue par écrit et sa crédibilité ne doit pas être mise en cause431. En outre, les autorités nationales peuvent dans ce contexte tenir compte d'impératifs d'efficacité et d'économie432.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la garantie d'un droit à des débats publics incombe en premier lieu à la première instance judiciaire433. Dans la mesure où les procédures de sanctions administratives se déroulent en premier lieu devant les autorités administratives, il est à supposer que ce droit ne s'applique pas encore à ce stade de la procédure. L'art. 40 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral434 prévoit, pour la procédure de recours devant le Tribunal administratif fédéral,

426 427

428

429 430 431 432 433 434

L'art. 30, al. 2, let. e, PA représente à cet égard une exception allant au-delà de la garantie minimale de l'art. 29, al. 2, Cst.; voir ATF 126 II 11, consid. 6b/aa.

Le droit à la réplique représente à cet égard une exception qui, selon la pratique de la CourEDH, va au-delà des garanties minimales prévues par le droit national; voir ATF 133 I 100, consid. 4.6 et KÖLZ/HÄNER/BERTSCHI, Verwaltungsverfahren, no 490.

Selon l'art. 30, al. 2, LCart, le secrétariat de la COMCO qui instruit l'enquête doit au préalable soumettre pour avis aux participants à la procédure le texte entier de sa proposition à la commission. Les participants ont le droit de se prononcer sur la proposition du secrétariat et plus spécifiquement sur les considérations économiques et juridiques, les conclusions, les mesures et les sanctions proposées; voir message concernant la loi fédérale sur les cartels et autres restrictions de la concurrence, p. 595 ou, à titre d'exemple, ATF 129 II 497, consid. 2.2.

Arrêt de la CourEDH Döry c. Suède du 12 novembre 2002 (requête no 28394/95), § 37 Arrêt de la CourEDH Jussila c. Finlande du 23 novembre 2006 (requête no 73053/01), recueil CourEDH 2006-XIV, § 43.

Arrêt de la CourEDH Jussila c. Finlande du 23 novembre 2006 (requête no 73053/01), recueil CourEDH 2006-XIV, § 41.

Arrêt de la CourEDH Jussila c. Finlande du 23 novembre 2006 (requête no 73053/01), recueil CourEDH 2006-XIV, § 42.

ATF 136 I 279, consid. 1.

RS 173.32

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que la partie peut demander des débats publics et oraux si l'affaire porte sur des prétentions à caractère civil ou sur une accusation en matière pénale au sens de l'art. 6, par. 1, CEDH, ce qui permet de garantir le respect de ce droit435.

5.6

Clôture de la procédure

5.6.1

Décision au fond

Si l'autorité administrative arrive à la conclusion que toutes les conditions de procédure sont réunies, que la constatation des faits a été exhaustive et qu'il y a infraction, elle fixe les conséquences juridiques par une décision matérielle formatrice qui en précise les modalités. Il s'agit concrètement de déterminer le montant à payer par la partie. Selon les circonstances, l'autorité administrative peut décider d'autres mesures pour rétablir une situation conforme au droit (pour le choix du type de sanction et le calcul du montant, voir ch. 4.4.1 s).

5.6.2

Renonciation à la sanction

L'autorité administrative peut arriver à la conclusion que malgré une violation fautive des devoirs de l'administré, des motifs peuvent justifier de renoncer au prononcé d'une sanction, dans la mesure où l'autorité dispose d'une marge d'appréciation à cet égard436. Tel est par exemple le cas si le prononcé d'une sanction apparaîtrait disproportionné au regard de la gravité de la violation, ou des frais et du temps qui seraient consacrés à procédure437.

Les cas-bagatelle peuvent également faire l'objet d'une renonciation à sanctionner: à titre d'exemple, cette possibilité est expressément prévue par les art. 122a, al. 1, et 122b, al. 1, LEI438. Cette possibilité existe en application du principe de proportionnalité et de celui de l'égalité de traitement, meme en l'absence de base légale expresse.

435

Selon l'ATF 134 I 229, consid. 4.4, une renonciation (tacite) au droit à des débats publics est également admissible. Lorsque la procédure se déroule par écrit, on peut supposer une renonciation tacite si la partie ne fait pas de demande correspondante dans le délai prévu à cette fin. Pour l'ensemble de la problématique, voir aussi KÖLZ/HÄNER/BERTSCHI, Verwaltungsverfahren, no 224 ss.

436 Voir par ex. la formulation potestative de l'art. 60 LTC. Il n'existe pas de marge d'appréciation dans le cas de l'art. 49a LCart, voir TAGMANN/ZIRLICK, BSK-KG, no 17 ad art. 49a LCart, avec renvoi à l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_149/2018 du 4 février 2021 Médicaments hors liste, consid. 8.5.1 s. (prix recommandés).

437 TANQUEREL, droit administratif, no 1229.

438 Dans le domaine des cartels, l'art. 49a, al. 2, LCart prévoit par ailleurs la possibilité de renoncer au prononcé d'une sanction en cas de coopération de l'entreprise concernée.

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5.6.3

Classement de la procédure de sanctions administratives pécuniaires

Si l'autorité administrative arrive à la conclusion qu'il est impossible de prouver les faits, elle classe la procédure de sanction administrative. La procédure est alors close sans décision au fond (à ce sujet, voir ch. 5.6.1). La PA ne règle pas explicitement la clôture de la procédure. Cependant, l'analyse de la pratique administrative et de la jurisprudence dans ce domaine n'a pas mis en évidence de nécessité de légiférer.

Vu l'interdiction de poursuivre ou de juger deux fois pour la même infraction, il semble douteux qu'une procédure de sanctions administratives classée puisse être reprise à un moment ultérieur sans condition, en l'absence de faits nouveaux dès lors que les faits considérés ont déjà fait l'objet d'une procédure de sanctions439.

5.6.4

Décision dans un délai raisonnable

Le principe de célérité inscrit à l'art. 6, par. 1, CEDH exige que les autorités rendent leur décision dans un délai raisonnable. Le délai pertinent pour apprécier la durée de la procédure commence avec l'ouverture de la procédure440 et prend fin avec l'entrée en force de la décision441. Les éléments tels que la complexité du cas ou le comportement du prévenu et des autorités administratives et judiciaires compétentes doivent être pris en considération dans l'examen de la durée de la procédure442.

L'examen de la pratique et de la jurisprudence en matière de sanctions administratives pécuniaires relevant du droit administratif fédéral a montré que les procédures administratives de première instance durent généralement entre trois et neuf mois. De façon générale, il n'est pas nécessaire de légiférer sur la durée de la procédure.

Le droit des cartels, qui connaît des procédures considérablement plus longues, fait figure d'exception. En effet, les faits relevant du droit des cartels sont très complexes en comparaison avec d'autres domaines (portée matérielle, profondeur requise de l'examen, nombre d'acteurs concernés)443. Notamment les actes d'instruction tels que la perquisition prévue en droit des cartels ou l'audition des parties et des témoins prennent du temps444, d'où de longues procédures de première instance (2 à 4 ans). La durée augmente ensuite pour les parties concernées par une procédure de recours, qui peut parfois prendre huit ans.

439 440 441 442 443 444

TAGMANN, Sanktionen, p. 213 s; TAGMANN/ZIRLICK, BSK-KG, no 39 ad art. 49a LCart Selon la pratique, l'autorité administrative communique aux parties l'ouverture de la procédure, voir ch. 5.1.2.

Arrêt de la CourEDH Neumeister c. Autriche du 27 juin 1968 (requête no 1936/63), série A, vol. 8, § 18 s.

Arrêt de la CourEDH Neumeister c. Autriche du 27 juin 1968 (requête no 1936/63), série A, vol. 8, § 21.

ATF 139 I 72 Publigroupe, consid. 8.3.2.

En outre, de nombreuses entreprises déploient d'importants efforts pour faire valoir leurs droits de participation et de défense (réquisitions de preuves, requêtes procédurales, nombreuses demandes, étude répétée du dossier, prolongations de délai, prises de position demandées et spontanées, expertises économiques et juridiques privées, etc.).

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À ce jour, le Tribunal fédéral et le Tribunal fédéral administratif ne semblent pas avoir réduit ou annulé de sanctions administratives pécuniaires au motif d'une violation du principe de célérité. Selon le Tribunal administratif fédéral, la durée de la procédure en droit des cartels, parfois critiquée comme excessive par les entreprises concernées, est admissible à la lumière du droit conventionnel. Il a retenu que le traitement des procédures complexes dans ce domaine est souvent onéreux et peut prendre plusieurs années aux autorités de concurrence et aux instances de recours, ce que confirment les procédures comparables dans d'autres pays et dans l'Union européenne445.

La durée des procédures judiciaires relatives au droit des cartels fait l'objet de la motion Fournier 16.4094 du 15 décembre 2016 («Améliorer la situation des PME dans les procédures de concurrence») transmise par le Parlement. Celle-ci charge le Conseil fédéral de simplifier et d'accélérer les procédures judiciaires en inscrivant des délais dans la législation. En réponse à cette motion, le Conseil fédéral propose, dans son projet de consultation relatif à la révision partielle de la loi sur les cartels du 24 novembre 2021, que la durée maximale totale de la procédure, toutes instances confondues, ne soit en principe pas supérieure à 5 ans446. Il convient cependant de relever que l'introduction de délais peut induire une baisse de la qualité des investigations et des décisions, et susciter des questionnements quant à l'indépendance de la justice et à l'égalité de traitement. Aucun motif objectif ne semble justifier que les procédures fondées sur la LCart soient favorisées au détriment de la durée d'autres procédures (de droit administratif)447.

5.6.5

Frais de procédure

Dans la phase de clôture de la procédure, la question se pose de savoir quelle est la réglementation applicable aux frais de procédure et si l'introduction d'une telle réglementation serait nécessaire pour les sanctions administratives pécuniaires. La PA ne prévoit pas de réglementation générale concernant les frais de procédure pour les procédures de première instance. S'agissant des procédures de recours, l'art. 63 PA régit les frais de procédure, qui comprennent les émoluments d'arrêté, les émoluments de chancellerie et les débours; ces frais sont en principe mis à charge de la partie qui succombe448.

445

Arrêts du TAF B-831/2011 du 18 décembre 2018 SIX/DCC, consid. 1651 (non encore entré en force) et B-7633/2009 du 14 septembre 2015 Swisscom ADSL, consid. 248.

446 Voir art. 44a du projet de consultation relatif à la révision partielle de la LCart du 24 novembre 2021.

447 Voir le rapport explicatif du Conseil fédéral du 24 novembre 2021 concernant la révision partielle de la loi sur les cartels, ch. 2.1.4.

448 L'ordonnance du 10 septembre 1969 sur les frais et indemnités en procédure administrative (RS 172.041.0) complète les principes applicables en vertu de l'art. 63 PA, tout en laissant une marge de manoeuvre à cet égard. Voir notamment l'art. 13 de l'ordonnance. Il peut être renvoyé aux dispositions de cette ordonnance lorsqu'une loi spéciale prévoit des frais de procédure en première instance; cependant, l'ordonnance ne doit pas être considérée comme une base légale permettant d'imposer de manière généralisée des frais de procédure en l'absence d'une base légale sectorielle prévoyant de tels frais. Voir pour le surplus: BOVAY, Procédure administrative, p. 634.

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Dans le domaine des sanctions administratives pécuniaires, certaines lois spéciales comportent une base légale permettant l'imposition de frais de procédure: tel est notamment le cas de la LPO, de la LJAr, de la LTC, de la LRTV, des sanctions prévues par la LEI, ainsi qu'en droit des cartels449. L'art. 53a, al. 3, LCart prévoit en outre que le Conseil fédéral peut déterminer les procédures et prestations non soumises aux émoluments, notamment lorsque la procédure est classée sans suite450. D'autres lois spéciales prévoyant des sanctions administratives pécuniaires ne règlent pas la perception de frais de procédure pour les procédures de première instance (par ex. l'art. 9 LDét).

En procédure pénale, les frais de procédure sont régis par les art. 422 ss CPP.

L'art. 426 CPP précise à cet égard que le prévenu doit supporter les frais de procédure s'il est condamné à l'issue de celle-ci451. En cas d'acquittement du prévenu ou de classement de la procédure, les frais sont supportés par l'État en vertu de l'art. 423 CPP. Cette solution se justifie par rapport au principe de présomption d'innocence garanti par les art. 6, par. 2, CEDH et 32, al. 1, Cst. Si le tribunal devait mettre les frais de procédure à la charge du prévenu acquitté, sa décision pourrait être comprise comme la condamnation d'une infraction que le prévenu n'a pas commise452.

Dans le cas de sanctions administratives pécuniaires qui entrent dans le champ d'application de l'art. 6, par. 1, CEDH, il y a lieu d'admettre que les entreprises concernées par une procédure peuvent se prévaloir de la présomption d'innocence. Ce principe peut être appliqué en l'absence d'une base légale spéciale prévoyant la renonciation à percevoir des frais de procédure en cas de classement de cette dernière. À la suite du classement d'une procédure de sanctions administratives, la partie n'est en principe pas tenue de payer des frais de procédure lorsqu'il est impossible de confirmer les éléments qui ont entraîné l'ouverture de la procédure, comme le prévoit par exemple l'art. 53a, al. 3, LCart en relation avec l'art. 3, al. 2, let. c, OEmol-LCart453. Il n'existe pas de dispositions en la matière pour les autres lois spéciales examinées. Puisque la possibilité de renoncer à la perception de frais de procédure en cas de classement

449

450

451 452

453

Voir ainsi respectivement les art. 30, al. 1, LPO et 77, al. 1, let. d, de l'ordonnance du 29 août 2012 sur la poste (RS 783.01), 99, al. 1, LJAr, 40, al. 1, let. a, LTC, 100, al. 1, let. b et c, LRTV, 78 ss de l'ordonnance du 9 mars 2007 sur la radio et la télévision (RS 784.401), 123, al. 1, LEI et 53a LCart.

L'art. 3, al. 2, de l'ordonnance du 25 février 1998 relative aux émoluments prévus par la loi sur les cartels (OEmol-LCart; RS 251.2;) précise les modalités de la renonciation à percevoir des frais de procédure. Voir également: TAGMANN/ZIRLICK, BSK-KG, no 10 ss ad art. 53a LCart.

FONTANA, CR-CPP, no 1 ss ad art. 426 CPP.

Voir arrêt de la CourEDH, Minelli c. Suisse du 25 mars 1983, no 8660/79, série A, vol. 62. Pour un commentaire détaillé de la pratique du Tribunal fédéral consécutive à l'arrêt Minelli c. Suisse, voir: DOMEISEN, BSK-StPO, no 24 ss ad art. 426 CPP (et les réf. citées). Pour le surplus, voir ATF 109 Ia 166; 114 Ia 299; 116 Ia 162.

Voir par ex. à ce sujet arrêt du TAF B-3975/2013 du 30 octobre 2019, consid. 21.3; décisions de la Comco Vertriebspartnerschaften der AEW Energie AG u.a. du 19 décembre 2005, in: AJP 2006/ 2 227 ss, no 125 ss; Teleclub AG/Cablecom GmbH/Swisscable du 4 juin 2007, in: AJP 2007/ 3 400 ss, no 98 ss; Swisscom ADSL du 7 mai 2007, in: AJP 2007/ 3 410 ss, no 29 ss; Neue Eisenbahn-Alpentransversale (NEAT) du 18 juin 2007, in: AJP 2007/3, p. 415, no 122 s. Voir aussi TAGMANN/ZIRLICK, BSK-KG, no 11 ad art. 53a LCart; DURRER, KG-Handkommentar, no 7 ad art. 53a LCart.

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d'une procédure peut directement découler du principe de présomption d'innocence, il n'est pas nécessaire de régler cette question dans d'autres bases légales spéciales.

5.6.6

Allocation de dépens aux parties

La PA ne prévoit pas l'allocation de dépens aux parties dans les procédures administratives de première instance. De telles requêtes ne peuvent être formulées qu'en procédure de recours devant les tribunaux (art. 64 PA), à moins qu'une loi spéciale prévoie expressément que des dépens puissent être octroyés454. Le Tribunal fédéral a en effet considéré que l'allocation de dépens au sens de l'art. 64 PA ne constituait pas un «principe général de procédure», mais s'appliquait uniquement aux procédures de recours455. Lors de l'adoption de la PA, le législateur s'est en outre délibérément abstenu de réglementer de manière générale l'allocation de dépens en première instance (silence qualifié)456.

En procédure de recours, l'art. 64 PA prévoit que des dépens peuvent être alloués, d'office ou sur requête, à la partie ayant obtenu totalement ou partiellement gain de cause.

Dans le domaine des sanctions administratives pécuniaires, les lois spéciales ne prévoient pas de possibilité d'allouer des dépens. Dans un arrêt rendu dans le domaine des télécommunications, le Tribunal fédéral a interprété strictement la notion de «procédure de recours» et rappelé qu'en l'absence d'une exception prévue par la loi sur les télécommunications, l'art. 64 PA ne pouvait pas être appliqué par analogie. Aucune indemnité ne pouvait donc être allouée aux parties au terme de la procédure de première instance devant la ComCom457. Le Tribunal administratif fédéral a confirmé cette jurisprudence dans un arrêt de 2017 rendu dans le domaine des cartels458. Il y a dès lors lieu de considérer que cette jurisprudence peut être généralisée. Pour le surplus, les personnes morales n'entrent en principe pas dans le champ d'application de l'art. 29, al. 3, Cst. et ne peuvent donc pas prétendre à l'assistance judiciaire gratuite459. Une base légale spéciale prévoyant l'allocation de dépens n'apparaît dès lors pas opportune dans le domaine des sanctions administratives pécuniaires.

Il convient d'ajouter que cette question fait l'objet de la motion 16.4094 Fournier du 15 décembre 2016 (Améliorer la situation des PME dans les procédures de concurrence) préalablement mentionnée au ch. 5.6.4, qui demande notamment l'introduction 454 455 456 457 458 459

BEUSCH, VwVG-Kommentar, no 2 ad art. 64 PA. Les art. 11a PA et 115, al. 1, de la loi fédérale du 20 juin 2930 sur l'expropriation (RS 711) font partie des rares exceptions.

ATF 132 II 47 consid. 5.2; arrêt du TAF B-844/2015 du 19 décembre 2017 consid. 11.2 ATF 132 II 47 consid. 5.2.

ATF 132 II 47 consid. 5.2.

Arrêt du TAF B-844/2015 du 19 décembre 2017 consid. 11.2.

Voir notamment: ATF 143 I 328 consid. 3.1 (et les réf. citées) 131 II 306 consid. 5.2.1 (et les réf. citées) 126 V 42 consid. 4; 119 Ia 337 consid. 4b (et les réf. citées). Pour le surplus: KAYSER MARTIN/ALTMANN RAHEL, in: Auer/Müller/Schindler (Éds.), VwVG- Bundesgesetz über das Verwaltungsverfahren Kommentar, no 12 ad art. 65 PA.

La jurisprudence précise qu'une personne morale peut exceptionnellement avoir droit à l'assistance judiciaire gratuite si son seul actif est en litige et si, de surcroît, les participants économiques à celle-ci sont également sans ressources.

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d'une allocation de dépens aux parties pour les procédures administratives de première instance en droit des cartels460. Selon la motion, les procédures administratives en droit des cartels sont particulièrement complexes, longues et coûteuses et représentent une charge considérable, en particulier pour les PME, ce qui justifie des règles particulières. En réponse à cette motion, le Conseil fédéral propose, dans son projet de consultation relatif à la révision partielle de la loi sur les cartels du 24 novembre 2021, d'introduire une allocation de dépens pour les procédures administratives de première instance en droit des cartels, pour autant que la procédure ait été classée, entièrement ou en partie461. Il convient de souligner à cet égard que d'autres procédures (de sanction) administratives peuvent être complexes, longues et coûteuses (par ex. dans le domaine des jeux d'argent, des télécommunications ou des marchés financiers). Il n'y a donc pas de motif objectif pour privilégier les entreprises concernées par des procédures administratives de droit des cartels462.

À noter enfin qu'en procédure pénale, l'allocation de dépens est régie par l'art. 429 CPP463: cette disposition prévoit que le prévenu a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice de ses droits, s'il est acquitté totalement ou partiellement, ou en cas de classement de la procédure464. Il faut toutefois relever que cette disposition s'adresse aux personnes physiques et non aux personnes morales et aux entreprises. Elle ne saurait de ce fait être transposée aux sanctions administratives pécuniaires.

5.6.7

Modification des décisions sur les sanctions administratives pécuniaires

Les décisions prises par les autorités administratives en première instance sont contraignantes pour l'autorité dès qu'elles entrent en force, puis elles le sont également pour la partie lorsqu'elles acquièrent force de chose jugée465. Lorsque la décision se révèle ultérieurement entachée d'erreurs, la question est de savoir si la décision initiale peut être modifiée, que ce soit à l'avantage ou au détriment de la partie.

460 461 462 463

464

465

Motion 16.4094 Fournier du 15 décembre 2016 «Améliorer la situation des PME dans les procédures de concurrence», ch. 4.

Voir art. 53b du projet de consultation relatif à la révision partielle de la LCart du 24 novembre 2021.

Voir le rapport explicatif du Conseil fédéral du 24 novembre 2021 concernant la révision partielle de la loi sur les cartels, ch. 2.1.5.

Au sujet du champ d'application et de la portée de cette disposition en procédure pénale, voir notamment: WEHRENBERG/FRANK, BSK-StPO, ad art. 429 CPP; MIZEL CÉDRIC/RÉTORNAZ VALENTIN, in: Jeanneret/Kuhn/Perrier Depeursinge, Commentaire romand ­ Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, ad art. 429 CPP.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le refus d'allouer des dépens au prévenu qui serait acquitté au terme d'une procédure pénale, ou en cas de classement de la procédure, serait en effet contraire au principe de présomption d'innocence. Voir arrêt du Tribunal fédéral 6B_241/2015 du 26 janvier 2016 consid. 1.3.1 (et les réf. citées). Voir également: WEHRENBERG/FRANK, BSK-StPO, no 5 ad art. 429 CPP.

Voir TSCHANNEN/ZIMMERLI/MÜLLER, Verwaltungsrecht, § 31, no 1.

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La PA ne règle pas expressément la modification des décisions de première instance466. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il est admissible de revenir sur une décision de première instance entachée d'erreurs s'il existe des motifs justifiant la révision de la décision sur recours (art. 66 PA)467. C'est notamment le cas lorsqu'on découvre des faits nouveaux importants ou des preuves concluantes qui existaient déjà au moment de la décision mais n'étaient pas connus ou qu'on constate que l'autorité n'a pas pris en compte, par inadvertance, des faits importants ou preuves concluantes qui ressortaient du dossier468.

À la lumière de la jurisprudence, il n'apparaît pas nécessaire d'introduire des dispositions spéciales concernant la modification a posteriori des décisions sur les sanctions administratives pécuniaires. Ajoutons que dans les conditions susmentionnées, l'interdiction d'être poursuivi ou jugé deux fois pour la même infraction (art. 4 du protocole 7 CEDH) applicable dans la procédure de sanctions administratives pécuniaires ne semble pas violée469. Selon ce principe, nul ne peut être poursuivi pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif. À cet égard, la révision du jugement est réservée.

5.6.8

Conclusion intermédiaire

La procédure de première instance en matière de sanctions administratives prend fin avec la décision qui fixe le montant à payer par la partie. Selon la situation, l'autorité administrative peut de plus décider d'autres mesures pour rétablir un état de situation conforme au droit. L'autorité administrative compétente peut toutefois arriver à la conclusion qu'il faut renoncer à la sanction.

Une procédure administrative de première instance dure généralement de 3 à 9 mois, à l'exception du droit des cartels, qui connaît des procédures considérablement plus longues. En exécution de l'une des deux exigences transmises par le Parlement dans la motion 16.4094 Fournier du 15 décembre 2016 («Améliorer la situation des PME

466

L'art. 30, al. 3, LCart prévoit, dans son domaine d'application, que si l'état de fait ou la situation juridique se sont modifiés de manière importante, la COMCO peut, sur proposition du secrétariat ou des intéressés, révoquer ou modifier sa décision.

467 ATF 103 Ib 87, consid. 2.

468 Il est également possible de revenir sur la décision initiale si celle-ci a été influencée par un crime ou un délit. Pour l'ensemble de la problématique, voir TSCHANNEN/ZIMMERLI/ MÜLLER, Verwaltungsrecht, § 31, no 38. Selon la jurisprudence, l'application incorrecte du droit n'est en revanche envisageable comme motif de révision des décisions analogues à un jugement (dont font partie les décisions de sanctions administratives) que dans des cas très exceptionnels, c'est-à-dire si le maintien de la décision initiale conduirait à un «résultat choquant qui heurte le sentiment de la justice» (voir ATF 98 Ia 568, consid. 5b).

469 Les décisions de sanctions administratives pécuniaires peuvent aussi être modifiées au détriment de la partie. En effet, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'interdiction de la reformatio in peius ne peut être déduite ni de l'art. 29 Cst., ni de l'art. 6, par. 1, CEDH; voir ATF 139 IV 282, consid. 2.3.1; arrêt du TF 6B_332/2009 du 4 août 2009, consid. 4.2. Quelques auteurs de la doctrine postulent une interdiction générale de la reformatio in peius dans la procédure de droit des cartels en référence aux principes de la procédure pénale (NIGGLI/RIEDO, Quasi-Strafrecht, p. 110 s.).

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dans les procédures de concurrence»), le Conseil fédéral propose que la durée maximale totale de la procédure, toutes instances confondues, ne soit en principe pas supérieure à 5 ans.

Selon le droit en vigueur, la partie supporte les frais de la procédure de sanctions administratives pécuniaires de première instance si la loi spéciale le prévoit. Notamment la LDét ne contient pas de dispositions en la matière. Ajoutons qu'en cas de classement de la procédure, on peut généralement partir du principe que l'on peut renoncer à imputer les frais de procédure à la partie, en application de la présomption d'innocence.

La PA ne prévoit pas l'allocation de dépens aux parties dans les procédures administratives de première instance. En droit des cartels, cette question fait l'objet de la motion 16.4094 Fournier susmentionnée. En exécution de cette motion, le Conseil fédéral prévoit l'introduction d'une allocation de dépens pour les procédures administratives de première instance en droit des cartels, pour autant que la procédure ait été classée, entièrement ou en partie.

La modification a posteriori des décisions sur les sanctions administratives pécuniaires est admissible, selon la jurisprudence, s'il existe des motifs justifiant aussi la révision de la décision sur recours (art. 66 PA).

5.7

Information du public

5.7.1

Information du public sur les procédures en cours

La PA ne règle pas expressément l'information du public sur les procédures en cours.

Le principe de la publicité à l'égard des parties (Parteiöffentlichkeit) est applicable en procédure administrative de première instance470.

Cela étant, certaines lois spéciales consacrant des sanctions administratives pécuniaires comportent une base légale relative à l'information générale du public sur les activités des autorités, le cas échéant sur des procédures en cours, dans la mesure où aucun intérêt prépondérant ne s'y oppose471. Dans d'autres cas, la jurisprudence a admis une telle possibilité472: ainsi, dans le domaine des cartels, le Tribunal fédéral a considéré que le principe de présomption d'innocence n'interdisait pas aux autorités administratives d'informer le public des enquêtes et procédures en cours473. Les auto-

470 471 472

Voir également ATF 142 II 268, consid. 4.2.4.

Art. 22, al. 3, LPO, art. 87 LRTV, art. 13, al. 1 et 3, LTC.

Tel est le cas par exemple en droit des cartels, s'agissant des possibilités d'information par les autorités sur une procédure en cours; voir arrêt du Tribunal fédéral 2C_1065/2014 du 26 mai 2016, consid. 8.3.

473 Arrêt du Tribunal fédéral 2C_1065/2014 du 26 mai 2016, consid. 8.3. Voir également: TOPHINKE ESTHER, Das Grundrecht der Unschuldsvermutung, Thèse, Berne 2000, p. 394 s. Dans le domaine des cartels, la motion 16.4094 Fournier demandait également de réglementer la publication d'informations sur les procédures en cours et d'autoriser uniquement la publication des décisions entrées en force des autorités de concurrence.

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rités ne sont cependant pas habilitées à présumer de la culpabilité des entreprises impliquées, par exemple en informant les médias du prononcé d'une sanction à l'encontre d'une entreprise avant qu'une décision soit effectivement publiée474.

L'expérience a montré que l'information du public sur les procédures de sanctions administratives pécuniaires en cours peut parfois présenter un intérêt général (en particulier lorsque la collaboration de tiers est nécessaire à l'élucidation d'infractions, lorsque des informations ou rumeurs inexactes doivent être rectifiées ou si la portée particulière d'une affaire l'exige). Vu la portée de la publication pour les parties concernées, il faut créer une base légale à cette fin dans les cas où elle n'est pas encore prévue dans la loi spéciale. La réglementation pertinente peut s'inspirer de l'art. 74, al. 1, CPP, selon lequel le ministère public peut renseigner le public sur les procédures pendantes. L'information du public sur une procédure en cours doit toutefois respecter le principe de présomption d'innocence, ainsi que les droits de la personnalité des parties impliquées.

Pour des raisons de sécurité juridique, il est recommandé de fixer dans les lois spéciales les conditions relatives à l'information du public sur les procédures en cours.

La réglementation pourrait le cas échéant s'inspirer des conditions posées par l'art. 74, al. 1, CPP, et devrait préciser qu'aucun intérêt prépondérant ne doit s'opposer à la communication d'informations.

5.7.2

Publication des décisions de sanctions administratives pécuniaires

Conformément à l'art. 6, par. 1, CEDH, les jugements doivent être rendus publiquement. D'autres moyens de rendre publiques les décisions sont également admissibles, comme la possibilité de consulter des arrêts ou la publication des plus importants d'entre eux dans un recueil officiel475. Il convient d'apprécier le mode de publication compte tenu des particularités de la procédure concernée et en fonction du but et de l'objet de l'art. 6, par. 1, CEDH. Cette appréciation doit se faire à la lumière de l'ensemble de la procédure476. Le droit à un prononcé public découle aussi de l'art. 30, al. 3, Cst.; il concerne les décisions de fond ou de procédure de toutes les instances qui clôturent la procédure477. D'après la jurisprudence du Tribunal fédéral, les décisions pénales au sens de l'art. 65 DPA doivent aussi être prononcées publiquement478.

474 475 476 477

478

Arrêt du Tribunal fédéral 2C_1065/2014 du 26 mai 2016 consid. 8.2, 8.4.2. Voir également NIGGLI/RIEDO, BSK-KG, no 253 ad intro. art. 49a à 53 LCart.

Voir arrêt de la CourEDH Sutter c. Suisse du 22 février 1984 (requête no 8209/78), série A, vol. 74, § 33 s.

Arrêt de la CourEDH Welke et Bialek c. Pologne du 1er mars 2011 (requête no 15924/05), § 83.

En procédure pénale, la garantie s'étend ainsi également aux décisions rendues par le ministère public, notamment aux ordonnances de classement de la procédure (voir par ex.: ATF 137 I 16, consid. 2.3; ATF 134 I 286, consid. 6.3), ainsi qu'aux mandats de répression prononcés par les autorités administratives en application de la DPA (ATF 124 IV 234, consid. 3). Voir aussi REICH, BSK-BV, no 52 ad art. 30 Cst.

ATF 124 IV 234, consid. 3c, 3e.

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Puisque les sanctions administratives pécuniaires sont considérées comme des accusations en matière pénale au sens de l'art. 6, par. 1, CEDH, la pratique du Tribunal fédéral devrait pouvoir être transposée.

La PA ne prévoit en principe pas la publication des décisions de première instance.

En revanche, certaines lois spéciales examinées contiennent des dispositions sur la publication des décisions479. L'examen de la pratique en matière de sanctions administratives pécuniaires prévues par le droit fédéral a montré que la majorité des autorités administratives publie les décisions de sanction de première instance pour informer le public sur l'interprétation du droit par les autorités et le calcul des sanctions.

Dans ces domaines, les décisions publiées par les autorités ne sont en règle générale pas anonymisées s'il existe un intérêt public prépondérant à ce qu'une décision de sanction et ses motifs, de même que le nom de la partie sanctionnée, soient portés à la connaissance du public480. Les informations relevant de secrets d'affaires sont néanmoins caviardées 481.

La publication des décisions permet de garantir la transparence dans l'application correcte du droit pertinent par les autorités et de porter à la connaissance du public leur pratique en matière de sanctions. Le public et les médias peuvent ainsi exercer un contrôle sur ces activités et prendre connaissance du prononcé d'une sanction, des motifs sur la base desquels celle-ci a été retenue et des comportements susceptibles de conduire à une sanction482.

Au vu de ce qui précède, la publication des décisions de première instance sur les sanctions administratives pécuniaires est dans l'intérêt public. C'est d'ailleurs la pratique courante des autorités dans plusieurs domaines particuliers. Pour des raisons de transparence, il est recommandé d'introduire une compétence en matière de publication dans les lois spéciales qui ne contiennent pas encore de dispositions à ce sujet.

Tel devrait notamment être le cas de la LJAr, de la LDét, et de la LEI. Une base légale semble indiquée notamment en raison de la portée des décisions pour les parties concernées. Il s'agit notamment de déterminer dans la loi si l'autorité administrative peut librement décider de la publication (par ex. art. 48, al. 1, LCart) ou si elle y est obligée, si la décision
de sanction peut contenir des informations sur la partie483 et s'il faut aussi la publier indépendamment d'une éventuelle procédure de recours (publication de décisions non entrées en force). Les exigences concernant la publication officielle 479 480

Voir notamment art. 48, al. 1, LCart, 24, al. 2, let. b, LPO, 87, al. 1 LRTV, 13, al. 2, LTC.

Voir par ex. décision de la PostCom Epsilon SA 2/2020 du 30 janvier 2020, no 28 et les réf. citées.

481 Voir par ex. l'art. 25, al. 4, LCart ou l'art. 87, al. 2, LRTV. Plus parlant, ATF 142 II 268, consid. 5. Pour le surplus: décision de la COMCO Nikon AG du 4 juin 2012, in: DPC 2016/2 p. 536 ss, no 14 ss.

482 Concernant les fonctions de la publication au sens de l'art. 48, al. 1, LCart, voir: ATF 142 II 268, consid. 4.

483 Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral et du Tribunal administratif fédéral en matière de droit des cartels, la publication non anonymisée des décisions de sanctions administratives pécuniaires par la COMCO est admissible (voir arrêt du TAF B-108/2019 du 1er sept. 2020, consid. 4.3; ATF 142 II 268, consid. 5.1, 6.4.3). Le Tribunal fédéral considère en particulier que la version non anonymisée sert l'objectif de la transparence, vu que la publication au sens de l'art. 28 LCart permet au public de vérifier la pertinence des faits reprochés à la partie.

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de la sanction administrative pécuniaire devraient être coordonnées avec d'éventuelles autres dispositions relatives à la publication des décisions portant sanction administrative.

5.8

Recours contre les décisions relatives aux sanctions administratives pécuniaires

5.8.1

Recours au Tribunal administratif fédéral (garantie de l'accès au juge)

Les procédures de sanctions administratives qui doivent être qualifiées d'accusations en matière pénale au sens de l'art. 6 CEDH sont soumises à la garantie constitutionnelle de l'accès au juge (art. 29a Cst.) et à la garantie conventionnelle de l'accès à un tribunal indépendant et impartial (art. 6, par. 1, CEDH). À cet égard, toute personne a droit à un jugement prononcé par un tribunal bénéficiant d'un plein pouvoir d'examen en fait et en droit.

La première instance de décision en matière de sanctions administratives pécuniaires est une autorité administrative sans qualité de tribunal484. La première instance judiciaire pour les domaines d'exécution relevant de la compétence de la Confédération est en règle générale le Tribunal administratif fédéral, qui statue sur recours. Ce dernier dispose d'un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (voir art. 49 PA). Il doit établir lui-même les faits ayant une portée juridique, déterminer quelles règles de droit sont applicables aux faits constatés et contrôler la légalité des conséquences juridiques, c'est-à-dire de la sanction administrative485. Le recours au Tribunal administratif fédéral satisfait ainsi aux exigences énoncées aux art. 29a Cst. et 6 CEDH. Selon la jurisprudence, la compétence des autorités administratives pour prononcer des sanctions en première instance est admissible au regard du droit constitutionnel et conventionnel486.

Le Tribunal administratif fédéral peut limiter son pouvoir d'examen dans les domaines qui présupposent un haut niveau d'expertise. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, cela peut être admissible au cas par cas, en référence à la jurisprudence de la CourEDH, sous l'angle des art. 29a Cst. et 6 CEDH. Dans ce contexte, il faut examiner s'il s'agit d'une matière spécialisée nécessitant des connaissances techniques particulières, s'il existe une marge d'appréciation et quelles ont été les garanties de procédure appliquées par l'autorité administrative. En outre, le tribunal procédant au contrôle des décisions adoptées par l'autorité administrative doit examiner point par point les arguments et griefs du recourant487. Dans les procédures administratives, le

484

Sur l'absence de qualité de tribunal de la COMCO, voir par exemple ATF 139 I 72 Publigroupe, consid. 4.3.

485 ATF 139 I 72 Publigroupe, consid. 4.5.

486 ATF 139 I 72 Publigroupe, consid. 4.4; arrêt de la CourEDH, Menarini Diagnostics S.R.L. c. Italie du 27 septembre 2011 (requête no 43509/08), § 57 ss.

487 Arrêt de la CourEDH Sigma Radio Television Ltd. c. Chypre du 21 juillet 2011 (requêtes no 32181/04, 35122/05), § 147 ss; voir aussi ATF 139 I 72 Publigroupe, consid. 4.5 s.

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tribunal peut faire preuve d'une certaine retenue lorsqu'il se prononce sur des questions exigeant une expertise technique particulière, pour autant qu'il soit toujours à même de procéder à un examen effectif de l'affaire. Les art. 29a Cst. et 6 CEDH sont aussi respectés dans de tels cas.

Le droit de recours contre les décisions de sanctions administratives pécuniaires prévu auprès du Tribunal administratif fédéral dans le domaine de la procédure administrative répond aux exigences conventionnelles et constitutionnelles en matière de garantie de l'accès au juge. La jurisprudence considère qu'il est admissible, à certaines conditions, que l'instance de recours limite son pouvoir d'examen.

5.8.2

Recours au Tribunal fédéral (garantie de la double instance)

Hormis la garantie de l'accès au juge, les affaires pénales sont soumises à la garantie de la double instance (art. 2 du protocole 7 CEDH, 32, al. 3, Cst. et 14, al. 5, du Pacte II de l'ONU). Selon ce principe, toute personne condamnée a le droit de faire examiner une décision judiciaire par une juridiction supérieure488. Le champ d'application de ce principe couvre les décisions à caractère pénal au sens de l'art. 6 CEDH489. Le Tribunal fédéral estime que, sur le plan personnel, non seulement les personnes physiques, mais aussi les personnes morales peuvent faire valoir les garanties constitutionnelles et conventionnelles de double instance490. Les exigences auxquelles doit répondre le tribunal sont fixées à l'art. 30, al. 1 Cst. et dans les dispositions pertinentes de l'art. 6, par. 1, CEDH491.

Conformément à l'art. 2, al. 1, du protocole 7 CEDH, c'est le législateur national qui fixe les modalités de la double instance. Les restrictions doivent poursuivre un but légitime et ne doivent pas porter atteinte à la substance même du droit492. Les États contractants disposent cependant d'un large pouvoir d'appréciation pour décider des modalités d'application de la double instance493. Au niveau constitutionnel, l'art. 32, al. 3, Cst. laisse également au législateur une certaine liberté d'appréciation, sous réserve de l'efficacité de la garantie de la double instance494.

488

489

490 491 492

493 494

MEYER-LADEWIG/HARRENDORF/KÖNIG, EMRK-Handkommentar, no 2 ad art. 2 du protocole 7 CEDH. L'art. 2, al. 2, protocole 7 CEDH prévoit trois exceptions qui ne sont pas pertinentes en l'occurrence: 1) pour des infractions mineures définies par la loi, 2) lorsque l'intéressé a été jugé en première instance par la plus haute juridiction ou 3) lorsqu'il a été déclaré coupable et condamné à la suite d'un recours contre son acquittement.

Arrêt de la CourEDH Kamburov c. Bulgarie du 23 avril 2009 (requête no 31001/02), § 22 s. Voir aussi MÜLLER/SCHEFER, Grundrechte, p. 918; BIAGGINI, OFK-BV, no 2 ad art. 32 Cst.; ATF 139 I 72 Publigroupe, consid. 2.2.2.

Arrêt du TF 2C_484/2010 du 29 juin 2012 Publigroupe, consid. 5.4 (non publié, in: ATF 139 I 72).

BIAGGINI, OFK-BV, no 4 ad. art. 30 et no 13 ad. art. 32 Cst.; arrêt de la CourEDH Poulsen c. Danemark du 29 juin 2000 (requête no 32092/96).

Arrêt de la CourEDH Poulsen c. Danemark du 29 juin 2000 (requête no 32092/96), § 5; arrêt de la CourEDH Krombach c. France du 13 février 2001 (requête no 29731/96), recueil CourEDH 2001-II, § 96.

ATF 128 I 237, consid. 3; arrêt de la CourEDH Krombach c. France du 13 février 2001 (requête no 29731/96), recueil CourEDH 2001-II, § 96.

BIAGGINI, OFK-BV, no 13 ad. art. 32 Cst.

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Les décisions relatives aux sanctions administratives pécuniaires qui ont un caractère pénal au sens de l'art. 6 CEDH tombent dans le champ d'application de la garantie de la double instance. Dans ce contexte, la principale question est de savoir dans quelle mesure le pouvoir d'examen limité du Tribunal fédéral (art. 95 ss LTF) en sa qualité de deuxième instance judiciaire pour les domaines relevant de la compétence de la Confédération est suffisant. La CourEDH, le Tribunal fédéral et la grande majorité de la doctrine considèrent que la limitation du pouvoir d'examen à la légalité est compatible avec l'art. 2, al. 1, du protocole 7 CEDH495. Sur le plan constitutionnel, la personne condamnée n'a pas non plus droit à un second contrôle en opportunité; il suffit que la deuxième instance procède à un contrôle limité à la légalité et à l'arbitraire dans la constatation des faits496. Cela est d'autant plus vrai pour les sanctions administratives pécuniaires qui ont un caractère pénal au sens de l'art. 6, par. 1, CEDH. Le recours en matière de droit public au Tribunal fédéral remplit ainsi les exigences relatives à la garantie de la double instance497.

5.9

Procédures parallèles

5.9.1

Contexte

Les procédures de sanctions administratives pécuniaires ont souvent un lien temporel ou matériel avec d'autres procédures administratives ou pénales (procédures parallèles), par exemple lorsque l'autorité administrative ordonne des mesures administratives exécutoires ou restitutoires à des fins de prévention des dangers ou en vue du rétablissement d'une situation conforme au droit498. Une sanction administrative peut 495

Arrêts de la CourEDH Pesti et Frodl c. Autriche du 18 janvier 2000 (requêtes no 27618/95, 27619/95), recueil CourEDH, 2000-I § 4; Krombach c. France du 13 février 2001 (requête no 29731/96), recueil CourEDH 2001-II, § 96; Müller c.

Autriche du 5 octobre 2006 (requête no 12555/03), § 25; Müller c. Autriche (no 2) du 18 septembre 2008 (requête no 28034/04), § 36; arrêt du TF 2C_484/2010 du 29 juin 2012 Publigroupe, consid. 5.4 (non publié, in: ATF 139 I 72). Pour la doctrine, voir MEYER-LADEWIG/ HARRENDORF/KÖNIG, EMRK-Handkommentar, no 4 ad art. 2 protocole 7 CEDH; BIAGGINI, OFK-BV, no 13 ad art. 32 Cst.; AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, Droit constitutionnel, no 1430; SEILER, SHK-BGG, no 3 ad art. 97 LTF; autre opinion: GÖSKU, BSKBV, no 20 ad art. 32 Cst. MÜLLER/SCHEFER, Grundrechte, p. 918, estiment qu'il n'est pas encore établi dans quelle mesure un examen des faits doit avoir lieu. Sur l'art. 14, al. 5, du Pacte II de l'ONU, voir observation générale no 32 du Comité des droits de l'homme de l'ONU du 23 août 2007, art. 14. Droit à l'égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, U.N. Doc. CCPR/C/GC/32 § 48 et les références citées; ATF 124 I 92, consid. 2, confirmé par l'arrêt 6B_352/2018 du 27 juillet 2018, consid. 3.2.1.

496 AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, Droit constitutionnel, no 1430; BIAGGINI, OFK-BV, no 13 ad art. 32 Cst.; KIENER REGINA/KÄLIN WALTER/WYTTENBACH JUDITH, Grundrechte, 3e éd., Berne, 2018, no 43; VEST HANS, in: Ehrenzeller et al., Die schweizerische Bundesverfassung ­ St. Galler Kommentar, 3e éd., Saint-Gall, 2014, no 46 ad art. 32 Cst.; ATF 129 I 281, consid. 4.3; arrêts du TF 6B_352/2018 du 27 juillet 2018, consid. 3.2.1 et 6B_150/2017 du 11 janvier 2018, consid. 2.

497 Art. 97, al. 1, et 105, al. 2, en relation avec l'art. 95 LTF. Voir arrêt du TF 2C_484/2010 du 29 juin 2012 Publigroupe, consid. 5.4 (non publié, in: ATF 139 I 72).

498 Voir par ex. la liste des mesures administratives autorisées à l'art. 98 LJAr.

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venir s'ajouter à la mesure (concernant le choix de l'instrument d'exécution, voir ch. 4.4.4). Ainsi, la procédure de sanction administrative, qui a une visée répressive, est le plus souvent clôturée après la procédure donnant lieu à une mesure. Cela s'explique par l'urgence de la prévention d'un danger immédiat et imminent et du rétablissement d'une situation conforme au droit. Enfin, une procédure de sanction administrative peut être suivie d'une procédure pénale.

5.9.2

Coordination des procédures

Il faut garantir la coordination lorsque deux procédures sont ouvertes dans la même affaire. En effet, l'objectif est d'éviter que les actes d'une procédure compliquent l'enquête relative à l'autre procédure ou même la compromettent. Si la même autorité est compétente pour les deux procédures, on peut estimer que la coordination est garantie.

En revanche, si la compétence revient à des autorités différentes, celles-ci devraient s'entendre et décider quels actes de procédure doivent être menés dans quelle procédure499. Les dispositions de coordination figurent uniquement dans les lois spéciales en vigueur500. Du point de vue actuel, il semble judicieux d'introduire (ou le cas échéant de mener une vérification plus poussée) des dispositions légales générales consacrant une obligation de coordination pour les autorités administratives et pénales.

5.9.3

Transmission de preuves à d'autres autorités

Si une autorité administrative transmet des preuves à une autre autorité, la question de leur recevabilité peut se poser à la lumière du principe nemo tenetur, lorsque les preuves ont été obtenues sous la contrainte, dans le contexte de l'obligation de collaborer. Concernant la transmission des preuves obtenues dans une procédure administrative de surveillance à l'autorité pénale, le Tribunal fédéral a considéré qu'il revient en principe à cette dernière de décider si ces preuves peuvent être utilisées dans la procédure pénale501. La personne concernée ne peut invoquer la violation du principe nemo tenetur qu'au moment de la procédure pénale. Cette jurisprudence devrait pouvoir être transposée par analogie aux procédures de sanctions administratives, dans le cadre desquelles des preuves ont été obtenues auprès d'une autre autorité administrative dans le contexte de l'entraide administrative.

499

Pour les procédures qui entrent dans le champ d'application de l'interdiction d'être poursuivi ou jugé deux fois pour la même infraction, voir ch. 5.9.5.

500 Voir art. 38, al. 2, LFINMA concernant les procédures de surveillance et les procédures pénales dans le domaine des marchés financiers; message concernant la loi fédérale sur l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, p. 2792.

501 Voir arrêts du Tribunal fédéral 1B_268/2019 du 15 novembre 2019, consid. 2.2 s.; 1B_179/2012 du 13 avril 2012, consid. 2.4 et les débats du 14.06.2012 relatifs à la loi fédérale sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières, BO 2012 n1134 s.

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5.9.4

Force obligatoire de la première décision rendue

Lorsque deux procédures sont ouvertes dans une même affaire, la question se pose de savoir si l'état de fait constaté juridiquement dans une procédure est aussi contraignant dans l'autre. Dans l'intérêt de l'unité de l'ordre juridique, l'autorité qui se prononce en deuxième lieu devrait être liée par les constatations de la première décision502. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le principe de la sécurité du droit exige que les décisions rendues ne soient pas contradictoires. Par conséquent, le juge de la deuxième procédure ne peut s'écarter de l'état de fait de la première que s'il existe un motif valable (par ex. faits nouveaux, preuves nouvelles ou si toutes les questions juridiques n'ont pas été réglées) 503.

Une autorité serait dans l'impossibilité de se conformer strictement à la première décision si elle avait l'interdiction d'exploiter certaines des preuves obtenues dans la première procédure (au sujet de cette possibilité, voir ch. 5.4.6.3) 504. Il y aurait alors un risque que les décisions ne se recoupent pas sur le fond505. La question de la force obligatoire des décisions doit être réglée au cas par cas: une base légale ne semble pas nécessaire.

5.9.5

Procédures parallèles dans le contexte de l'interdiction d'être poursuivi ou jugé deux fois pour la même infraction

Différentes lois spéciales prévoient la coexistence de dispositions relatives aux sanctions administratives et de dispositions pénales. La loi sur les cartels par exemple permet de prononcer en parallèle une sanction administrative pécuniaire (art. 50 LCart) et une amende pénale (art. 54 LCart). On trouve des exemples similaires dans la LJAr506, la LDét507, la LEDPP508 et la LEI509. Ces dispositions peuvent entraîner l'ouverture de procédures parallèles. Il faut dès lors examiner si elles sont compatibles avec l'interdiction d'être poursuivi ou jugé deux fois pour la même infraction.

502 503

504

505

506 507 508 509

Voir dans ce contexte art. 77, al. 4, DPA, selon lequel le tribunal pénal est lié par la décision de l'autorité administrative.

Voir ATF 137 I 363, consid. 2.3.2; 136 II 447, consid. 3.1 concernant le retrait du permis de conduire à l'issue d'une procédure pénale suite à une violation des règles de la circulation routière; ATF 119 Ib 158, consid. 2c/bb; pour un aperçu, voir aussi arrêt du Tribunal cantonal de Bâle-Campagne 810 09 79/DIE du 26 août 2009, consid. 5.2.

Ce problème se pose aussi en droit fiscal, voir en détail à ce sujet MATTEOTTI, Mehrwertsteuer-Strafverfahren, no 14 ss. L'auteur avance notamment l'idée de suspendre la procédure administrative de taxation jusqu'à ce que la procédure pénale s'achève, afin de respecter la primauté du principe nemo tenetur.

Voir arrêt du Tribunal fédéral 2C_1040/2018 du 18 mars 2021, consid. 5.4.8.2 au sujet de la relation entre la procédure de sanction administrative dans le domaine du droit des cartels et la procédure civile en dommages et intérêts.

Voir art. 100 LJAr (sanctions administratives en cas de contravention à la loi, au droit d'exécution ou à la concession) et 130 ss LJAr (dispositions pénales).

Voir art. 9 et 12 LDét.

Voir art. 12 LEDPP (sanction administrative en cas de défaut de l'entité déclarante) et 25 ss LEDPP (dispositions pénales).

Voir art. 122a et 122b LEI (sanction administrative en cas de violation du devoir de diligence ou de l'obligation de communiquer des données personnelles) et 116 ou 118 LEI.

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Le principe ne bis in idem interdit de poursuivre une deuxième fois (bis) pour une même infraction (idem). La garantie du principe figure à l'art. 4 du protocole 7 CEDH510. Si différentes autorités prononcent plusieurs sanctions, la CourEDH base son jugement sur l'existence d'un lien matériel et temporel suffisant entre les sanctions511.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, cette interdiction découle directement de la Constitution (sans que ce soit explicite)512. En ce qui concerne la procédure pénale, elle figure à l'art. 11, al. 1, CPP. Le principe ne bis in idem exige que les personnes et les faits soient identiques (identité de personnes et de faits). Pour qu'il y ait une identité de faits, il faut non seulement que la situation soit la même, mais aussi que les éléments constitutifs de l'infraction et la disposition pénale appliquée dans la procédure achevée englobent déjà la nature illicite de l'infraction qui fait l'objet d'une nouvelle procédure513. Le droit administratif fédéral ne codifie pas expressément l'interdiction d'être poursuivi ou jugé deux fois pour la même infraction.

En ce qui concerne les procédures de sanctions administratives pécuniaires, qui sont considérées comme des accusations en matière pénale au sens de l'art. 6 CEDH, on peut partir du principe que l'interdiction conventionnelle et constitutionnelle s'applique514. Pour autant qu'on puisse en juger, la question de la compatibilité avec le principe ne bis in idem n'a pas encore été tranchée par les tribunaux en ce qui concerne les procédures de sanctions administratives et pénales parallèles.

En règle générale, les dispositions relatives aux sanctions administratives et les dispositions pénales concernent des personnes différentes, de sorte que cela ne pose d'emblée aucun problème par rapport au principe ne bis in idem: alors que les premières s'adressent aux entreprises, qui tombent directement sous le coup de la loi lorsqu'il s'agit de personnes morales en raison de leur capacité juridique, les secondes visent en règle générale des personnes physiques515.

En revanche, si le destinataire de la sanction administrative pécuniaire est une personne physique (par ex. le propriétaire d'une entreprise individuelle) et que cette personne est aussi visée par une procédure pénale, il y a identité de personnes. Dans le
cas où une entreprise est punissable en application de l'art. 102 CP, il peut y avoir identité de personnes (morales)516. Dans ce cas, il faut déterminer si la priorité doit être accordée à la procédure de sanction administrative ou à la procédure pénale. Les 510

511 512 513 514 515

516

L'art. 50 de la Charte européenne des droits fondamentaux de l'Union européenne du 18 décembre 2000, ABl. C 364/1, contient aussi cette interdiction et s'applique aux relations internationales par le biais de l'art. 54 CAAS.

Arrêt de la CourEDH A. et B. c. Norvège du 15 novembre 2016, Grande Chambre, (requêtes nos 24130/11 et 29758/11), Recueil CourEDH 2016, § 130 ss.

ATF 137 I 363, consid. 2.1; 128 II 355, consid. 5.1 et les références citées.

JOSITSCH/SCHMID, StPO Praxiskommentar, no 2 ad art. 11 CPP.

Voir en droit des cartels TAGMANN/ZIRLICK, BSK-KG, no 35 ad art. 49a LCart.

Exemple: une entreprise de transport aérien est sanctionnée en vertu des art. 122a et 122b LEI et, dans le même temps, une procédure pénale est ouverte contre les collaborateurs concernés pour violation de l'art. 116 ou 118 LEI. Pour les infractions commises dans une entreprise soumise au droit pénal administratif fédéral, le principe ne bis idem figure à l'art. 6 DPA.

Exemples: art. 67 et 68 en rel. avec art. 100 et 131, al. 1, let. f, LJAr, art. 102, al. 2, en rel. avec art. 305bis CP. Voir pour le surplus, ROTH, CR-Concurrence, no 14 ss ad Rem.

art. 49a­53 LCart.

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autorités de sanction pénales et administratives doivent s'entendre au cas par cas pour déterminer laquelle est compétente517. Jusqu'à présent, aucun cas d'application ne semble exister en pratique. Il n'est par conséquent pour l'heure pas nécessaire d'établir une réglementation à ce sujet.

5.9.6

Relation entre des procédures de sanctions administratives suisses et étrangères ou des procédures pénales étrangères

Lorsqu'une affaire est transfrontalière (comme cela peut notamment être le cas en droit des cartels), il faut déterminer quels sont les effets d'une procédure de sanction administrative ou d'une procédure pénale étrangère sur la procédure de sanction administrative suisse. Dans ce contexte, le principe ne bis in idem s'applique uniquement aux procédures nationales. Dans les relations entre deux États, son application peut être envisagée uniquement s'il existe une base juridique en droit international.

En vertu de l'art. 54 CAAS518, l'interdiction d'être poursuivi ou jugé deux fois peut s'appliquer dans les procédures pénales contre des entreprises519 qui ont un lien avec une procédure de sanction prononcée dans l'espace Schengen (au sujet du droit européen, voir ch. 3.6) 520. La garantie du principe ne bis in idem entre différents États Schengen repose en fin de compte sur la confiance mutuelle des États parties dans leurs systèmes judiciaires respectifs.

Bien qu'à notre connaissance la question de savoir si le champ d'application de l'art. 54 CAAS englobe aussi les procédures de sanctions administratives à caractère pénal ne semble pas encore avoir été réglée dans la pratique521, on peut partir du principe qu'il doit être déterminé en fonction des critères Engel relatifs à l'art. 6 CEDH,

517

518 519

520

521

En droit comparé, nous renvoyons par exemple à l'obligation des autorités de poursuite pénale et administrative consacrée en droit néerlandais de s'entendre sur le déroulement de la procédure qui sera menée, en fonction du contexte (appelée una via-decision), voir à ce sujet J. FOURNIER ET AL., Strafbarkeit von Unternehmen, état au 30. 4.2019, E-Avis ISDC 2019-09, disponible à l'adresse: www.isdc.ch, p. 68 et les références citées.

La CAAS s'applique pour la Suisse en vertu de l'art. 2 AAS.

L'art. 54 CAAS ne fait pas de différence en fonction du sujet de droit, c'est pourquoi les entreprises qui ont des activités dans le marché intérieur peuvent invoquer le pincipe ne bis in idem, voir à ce sujet les conclusions de l'avocat général Kokott du 8 septembre 2011, affaire C-17/10, Toshiba Corporation et autres, no 118.

L'art. 54 CAAS est donc toujours appliqué quand une procédure est close et que la décision est entrée en force (Verbrauch der Strafklage). Selon la pratique de la CJUE, le critère déterminant pour définir le caractère définitif d'une décision est non seulement le fait qu'elle est bien définitive dans l'État membre concerné, mais aussi le fait qu'elle y octroie la garantie du principe ne bis indem.

Voir VILLARD, ne bis in idem, p. 307 s.

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comme on le fait pour le champ d'application de l'art. 50 de la charte des droits fondamentaux de l'UE522, et donc qu'il s'étend aussi à ce type de procédure523. Ainsi, les auteurs de doctrine partagent l'avis que l'ouverture d'une procédure de sanction administrative par une autorité suisse est en principe inadmissible si une décision définitive qui correspond aux critères Engel a été prononcée dans un autre État Schengen524. Il serait uniquement possible d'ouvrir une deuxième procédure administrative qui a un effet répressif en Suisse en application des conditions énoncées dans l'arrêt A et B c. Norvège de la CourEDH525. Concrètement, cela signifie qu'il est possible de justifier un cumul de sanctions, soit s'il n'y a pas d'identité de faits, parce que les autorités suisses jugent une violation du droit suisse qui a des conséquences en Suisse, soit si les objectifs des sanctions pénales et administratives sont complémentaires, car ils concernent différents aspects d'un même comportement illicite526. L'évaluation de ce point dépend de chaque cas d'espèce527.

Étant donné que la Suisse n'est pas entièrement intégrée à l'espace juridique européen, la portée du principe ne bis in idem doit être déterminée au cas par cas dans le respect de l'acquis communautaire sectoriel applicable au cas concret. Il est clair que les autorités suisses doivent appliquer l'art. 54 CAAS et que l'AAS établit comme objectif qu'il soit interprété et appliqué de la façon la plus uniforme possible et donc qu'une obligation de suivre la jurisprudence de la CJUE est établie dans ce contexte. Dans la pratique, il existe une incertitude sur la question de savoir jusqu'à quel point les autorités suisses sont tenues de respecter le droit européen ou la jurisprudence de la CJUE, lorsqu'elles appliquent l'art. 54 CAAS. En conclusion, il n'y a pas de nécessité de légiférer spécifiquement au sujet des relations entre des procédures de sanctions administratives suisses et étrangères ou des procédures pénales étrangères.

5.9.7

Conclusion intermédiaire

Les sanctions administratives pécuniaires sont souvent liées à d'autres procédures administratives ou pénales. Les autorités doivent donc veiller à la coordination entre ces procédures. L'introduction (ou la vérification plus poussée) de dispositions légales générales consacrant une obligation des autorités administratives et pénales de se coordonner semble à l'heure actuelle judicieuse.

522

523 524 525 526 527

La pratique de longue date de la CJUE montre que l'art. 54 CAAS doit être interprété à la lumière de l'art. 50 de la charte des droits fondamentaux de l'UE qui consacre le droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction au sein de l'espace juridique européen, voir arrêt de la CJUE C-398/12 du 5 juin 2014, § 37. Le champ d'application de l'art. 50 de la charte des droits fondamentaux de l'UE s'étend à son tour aux sanctions administratives répressives d'après les critères Engel relatifs à l'art. 6 CEDH, voir arrêt de la CJUE C-489/10 du 5 juin 2012, § 37.

Voir VILLARD, ne bis in idem, p. 309.

VILLARD, ne bis in idem, p. 310.

Arrêt de la CourEDH A. et B. c. Norvège du 15 novembre 2016, Grande Chambre (requêtes no 24130/11 et 29758/11), recueil CourEDH 2016, § 107, 130 ss.

Dans son arrêt 524/15 du 20 mars 2018, § 44, la CJUE est arrivée à un résultat similaire concernant l'art. 50 de la charte des droits fondamentaux de l'UE.

Sur l'ensemble de la problématique, voir également TAGMANN/ZIRLICK, BSK-KG, no 36a ad art. 49a LCart.

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Lorsque des preuves obtenues dans une procédure de surveillance sont transmises aux autorités pénales, ces dernières doivent déterminer si elles peuvent être utilisées. Il n'est pas nécessaire de modifier les bases de droit administratif en ce sens.

Le principe de la sécurité du droit exige qu'il n'y ait pas de décisions contradictoires.

Si deux procédures s'achèvent l'une après l'autre, l'autorité peut s'écarter de l'état de fait de la première procédure uniquement s'il existe un motif valable. Par ailleurs, la question de la force obligatoire de la première décision rendue doit être jugée au cas par cas, il ne semble dès lors pas nécessaire de légiférer à ce sujet.

La question de la compatibilité avec l'interdiction de poursuivre ou de juger deux fois pour la même infraction se pose lorsqu'il existe à la fois des dispositions pénales et des dispositions relatives à des sanctions administratives pour un même fait punissable. Dans la pratique, aucun cas d'application n'a pour l'heure été constaté. Il n'est par conséquent pas nécessaire d'établir une réglementation dans ce domaine.

6

Suite des travaux

L'analyse permet de conclure que l'instrument de la sanction administrative pécuniaire peut être appliqué de façon conforme au droit conventionnel et constitutionnel.

Dans l'ensemble, le droit fédéral actuel a fait ses preuves. La PA et les lois spéciales offrent une base solide à ces sanctions, dans le respect des garanties pénales de droit supérieur. Plus particulièrement, il a été constaté que rien, du point de vue constitutionnel et conventionnel, ne s'oppose en principe à ce que les règles de comportement de droit administratif soient renforcées au moyen de sanctions administratives pécuniaires. Des solutions viables, basées sur la réglementation actuelle, ont pu être trouvées par la pratique administrative et la jurisprudence. Le Conseil fédéral estime donc qu'aucune modification fondamentale de la réglementation actuelle n'est nécessaire.

Certaines questions nécessitent malgré tout des clarifications au niveau législatif. Les modifications devraient être introduites dans les lois spéciales ou la PA. Bien qu'il soit théoriquement possible de créer une nouvelle loi fédérale, cela ne semble pas urgent car les réglementations existantes fournissent déjà une base appropriée. Concrètement, les adaptations pourraient se présenter comme suit: ­

Loi sur la procédure administrative: des dispositions de la PA pourraient être modifiées en vue d'intégrer des règles ayant trait à la restructuration des entreprises (ch. 5.2.2), à leur représentation dans les procédures de sanctions (ch. 5.2.3) et à la coordination des procédures (ch. 5.9.2). La PA constitue un cadre règlementaire approprié pour ces questions de procédure.

­

Lois spéciales: la question de la prescription de la poursuite et de l'exécution de la sanction (ch. 4.5) devrait être réglée dans les lois spéciales, tout comme celle de l'information du public (ch. 5.7). Si l'on choisit de régler le conflit entre l'obligation de collaborer et le droit de ne pas s'auto-incriminer par une solution législative (option 2 ou 3), il faudra une réglementation spécifique pour chaque domaine (ch. 5.3).

Un acte modificateur unique serait envisageable pour synthétiser les modifications des actes concernés. L'analyse a toutefois montré que des solutions adaptées au cas 114 / 138

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par cas ont pu être élaborées dans la pratique administrative et la jurisprudence. De ce fait, le Conseil fédéral estime qu'il n'est pas nécessaire, pour le moment, d'opter pour une harmonisation intersectorielle des bases légales existantes. Dans les cas où il a identifié qu'il était nécessaire de légiférer, et que les modifications auraient un impact sur les procédures législatives en cours, il sera particulièrement attentif à ce que les résultats du présent rapport soient intégrés à ces projets. Il continuera de suivre de près la suite des développements dans ce domaine.

Le rapport ne règle en revanche pas la question de savoir si des sanctions administratives pécuniaires devront à l'avenir être introduites dans d'autres domaines. Le rapport se limite à indiquer les différentes solutions possibles et comment les concrétiser.

7

Conclusion

Le rapport expose la manière dont l'instrument des sanctions administratives pécuniaires est intégré dans le droit suisse. Pour l'expliquer, son ancrage dans les lois spéciales ainsi que la procédure en matière de sanctions administratives pécuniaires du point de vue des garanties de droit supérieur ont été analysés en détail.

La sanction administrative pécuniaire est un instrument qui sert principalement à la surveillance économique, pour la mise en oeuvre du droit administratif dans le domaine des marchés réglementés. Son objectif est de pouvoir annuler rétroactivement le succès économique des pratiques commerciales lucratives mais illicites et d'inciter les entreprises à adopter un comportement conforme aux objectifs.

Treize lois fédérales spéciales prévoient des sanctions administratives pécuniaires.

Les dispositions permettent d'imposer le paiement de montants parfois élevés ou très élevés. Ces sanctions doivent avoir un effet préventif et répressif, et ont un caractère pénal. Elles sont ordonnées sous la forme de décisions sujettes à recours en application de la PA. On peut en règle générale partir du principe que les garanties pénales de la Constitution et de la CEDH s'appliquent également. Ces garanties prévoient une protection plus étendue de la partie que le droit administratif. Il convient toutefois de noter que selon la jurisprudence, il n'est pas nécessaire d'appliquer ces garanties pénales avec la même sévérité dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires que dans le noyau dur du droit pénal.

Les sanctions administratives pécuniaires s'adressent dans la plupart des cas directement aux entreprises, et non pas à leurs organes ou collaborateurs. Selon le champ d'application de la loi spéciale, elles peuvent exceptionnellement viser les personnes physiques qui exercent une activité faisant l'objet d'une réglementation spécifique.

En revanche, les personnes qui n'exercent pas d'activité réglementée au sens d'une loi spéciale (par ex. les consommateurs, les passagers aériens ou les employés) ne sont généralement pas concernées par les sanctions administratives pécuniaires.

Lorsque ces sanctions tombent dans le champ d'application des garanties de procédure pénale, il faut qu'elles soient ancrées dans une loi formelle. Les obligations de comportement qu'il est prévu de faire respecter au moyen d'une sanction administrative pécuniaire doivent en principe aussi être fixées dans les lois spéciales pertinentes. Sur

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le plan de la systématique, les dispositions relatives aux sanctions administratives pécuniaires doivent être clairement distinguées des dispositions pénales.

Le législateur a conçu les sanctions administratives pécuniaires comme un instrument indépendant de l'existence d'une faute. Selon la jurisprudence, la sanction présuppose cependant une faute de l'entreprise au sens de l'«imputabilité» (Vorwerfbarkeit). En pratique, il suffit que l'autorité prouve une faute dans l'organisation de l'entreprise (violation objective d'un devoir de prudence). Pour qu'une sanction puisse être prononcée, il faut pouvoir attribuer à l'entreprise une violation des devoirs de prudence, qui aurait été commise par des membres non déterminés de l'entreprise. Par rapport au droit pénal individuel, il s'agit d'un allègement important en faveur de l'autorité administrative. Les dispositions examinées dans le rapport ne règlent pas expressément la question de la faute; toutefois, des adaptations législatives ne semblent pas urgentes au regard du développement de la jurisprudence par les tribunaux. Il faudra examiner en détail, et en fonction des circonstances concrètes, la question de savoir si certains aspects subjectifs devront être réglementés dans les éventuelles nouvelles dispositions relatives à des sanctions administratives pécuniaires.

Les dispositions de procédure de la PA et des lois spéciales en vigueur n'empêchent pas une application de l'instrument qui respecte les principes conventionnels et constitutionnels. Cela s'illustre par exemple dans le contexte des compétences: la jurisprudence reconnaît qu'une organisation des compétences dans laquelle les procédures de première instance concernant des sanctions administratives sont menées par l'autorité compétente pour l'application de la loi spéciale est en principe compatible avec le droit, issu de l'art. 6, par. 1, CEDH, à ce que les accusations en matière pénale soient jugées par un tribunal. La condition préalable est que les décisions de sanctions prononcées en première instance puissent être réexaminées dans le cadre d'une procédure de recours, conformément aux dispositions de la convention. Tel est le cas des sanctions administratives pécuniaires prévues dans le droit administratif fédéral.

En outre, l'analyse a démontré que les présomptions légales contre
la partie prévues dans différentes lois spéciales sont compatibles avec la présomption d'innocence (art. 6, par. 2, CEDH et 32, al. 1, Cst). En fonction du domaine, les présomptions peuvent constituer un moyen efficace de contrer les difficultés des autorités en matière de preuve. La qualité de partie de l'entreprise concernée par la procédure, le statut de ses organes et ses collaborateurs, le droit d'être entendu et la clôture de la procédure sont autant d'aspects qui ne posent pas de problème sur le plan normatif.

Nous avons néanmoins constaté une éventuelle nécessité de modifier les dispositions légales sur certains points précis: ­

Délais de prescription de la poursuite et de l'exécution de la sanction: le droit en vigueur ne règle pas de façon générale la prescription de la sanction. Pour autant qu'elle ne figure pas déjà dans les lois spéciales, une réglementation de la prescription de la poursuite dans le domaine des sanctions administratives pécuniaires semble indiquée, notamment au regard de la prévisibilité et de la sécurité du droit (voir ch. 4.5)

­

Restructuration des entreprises: le droit procédural en vigueur ne contient aucune disposition permettant d'éviter qu'une entreprise puisse esquiver une sanction en procédant à une restructuration. Il convient de régler dans la loi,

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sous la forme d'une disposition générale, les effets juridiques des restructurations en termes de procédure et de responsabilité. Il semble indiqué de se référer au principe de la continuité de l'entreprise (Unternehmenskontinuität) issu de la pratique de droit des cartels (voir ch. 5.2.2).

­

Représentation des entreprises: une entreprise concernée par une procédure devrait être représentée par une seule personne physique. Lorsqu'il y a conflit d'intérêts entre la partie et ses organes, il faudrait introduire la possibilité de désigner un représentant. L'introduction d'une disposition générale basée sur la disposition parallèle en procédure pénale (art. 112 CPP) semble judicieux (voir ch. 5.2.3).

­

Collaboration des parties: l'obligation de collaborer de droit administratif entre en conflit avec le droit de ne pas s'auto-incriminer issu du droit pénal lorsqu'elle est mise en oeuvre sous la contrainte. Aucune solution législative unique, qui soit valable pour tous les domaines du droit, n'a été identifiée. La pratique administrative et la jurisprudence ont développé des solutions ad hoc, ce qui permet d'envisager de laisser aux autorités la compétence de régler ce problème complexe au cas par cas (option 1). Dans les domaines relevant du droit de la surveillance, une solution consisterait à établir la primauté de l'obligation de collaborer fixée dans la loi spéciale sur le droit de ne pas s'autoincriminer, ce qui irait dans le sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral (option 2). Pour mettre cette solution en oeuvre et pour des motifs de sécurité du droit et de prévisibilité, il faudrait fixer explicitement, dans les lois spéciales, la portée de l'obligation de collaborer (en particulier l'obligation d'annoncer, d'établir des documents et de remettre un rapport) ainsi que sa primauté sur le droit de ne pas s'auto-incriminer dans les procédures de sanctions administratives pécuniaires. La primauté du droit de ne pas s'auto-incriminer et la suppression de l'obligation de collaborer (option 3) dans tous les domaines où les sanctions administratives pécuniaires peuvent s'appliquer ne semble pas appropriée. Cette approche serait tout au plus concevable pour les domaines dans lesquels les destinataires des sanctions sont dans une relation de souveraineté ordinaire vis-à-vis de l'État (voir ch. 5.3.6).

­

Durée des procédures de sanctions et allocation des dépens de la procédure de première instance: globalement, il n'est pas nécessaire de légiférer sur la durée des procédures et l'allocation de dépens aux parties. Le droit des cartels fait figure d'exception: le Conseil fédéral élabore un projet séparé dans ce domaine en réponse à la motion 16.4094 Fournier (voir ch. 5.6.5 s.).

­

Information du public: pour des raisons de transparence et de sécurité juridique, il est recommandé d'introduire dans les lois spéciales des dispositions relatives à l'information du public sur les procédures en cours et à la publication des décisions de sanctions administratives pécuniaires (voir ch. 5.7). Ces dispositions peuvent prévoir une obligation de publier les décisions, ou conférer aux autorités une marge discrétionnaire à cet égard.

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­

Coordination des procédures: du point de vue actuel, il semble judicieux d'introduire (ou le cas échéant de mener une vérification plus poussée) des dispositions légales générales consacrant une obligation de coordination pour les autorités administratives et pénales (voir ch. 5.9.2).

Un acte modificateur unique serait envisageable pour synthétiser les modifications des actes concernés. De ce fait, le Conseil fédéral estime qu'il n'est pas nécessaire, pour le moment, d'opter pour une harmonisation intersectorielle des bases légales existantes. Dans les cas où il a identifié qu'il était nécessaire de légiférer, et que les modifications auraient un impact sur les projets législatifs en cours, il sera particulièrement attentif à ce que les résultats du présent rapport soient intégrés à ces projets.

De manière générale, le rapport a démontré que les sanctions administratives pécuniaires peuvent être intégrées dans le système de droit administratif général. De l'avis du Conseil fédéral, il semble judicieux de conserver le concept normatif actuel qui a montré son efficacité. Cela signifie que les éventuelles modifications devraient être intégrées aux lois spéciales ou, le cas échéant, à la PA. Le système actuel du droit administratif offre une base solide aux sanctions administratives pécuniaires, dans la mesure où les garanties supérieures de droit pénal sont respectées. Bien qu'il soit théoriquement possible de créer une nouvelle loi fédérale, cela ne semble pas urgent car les réglementations existantes fournissent déjà une base appropriée. La transformation des sanctions administratives en dispositions pénales doit être exclue, dès lors qu'il n'existe aucune raison valable pour un changement de système d'une telle ampleur.

En outre, un tel changement conduirait à une forte extension de la pénalisation des infractions, ce qui, de l'avis du Conseil fédéral, n'apparaît pas souhaitable en termes de politique juridique.

Dans l'hypothèse où il faudrait à l'avenir introduire de nouvelles sanctions administratives pécuniaires, le rapport indique les différentes solutions possibles et la façon de les concrétiser. Il contribue à répondre à la question de savoir comment, en Suisse, le droit et la pratique peuvent évoluer en direction d'un système général de sanctions administratives pécuniaires. Le rapport démontre qu'il n'est pas matériellement impossible d'ancrer un tel système dans la PA ou dans un acte modificateur unique. S'il s'agit de la voie souhaitée, le rapport soulève les questions qu'il faudra se poser, et propose des solutions, au moins partielles. En définitive, il n'y a
toutefois pas de besoin urgent d'agir sur le plan législatif pour introduire un système général de sanctions administratives pécuniaires en droit suisse par le biais d'un projet législatif global.

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Message du 23 novembre 1994 concernant la loi fédérale sur les cartels et autres restrictions de la concurrence (loi sur les cartels, LCart), FF 1995 I 472.

Message du 23 juin 1999 relatif à l'approbation des accords sectoriels entre la Suisse et la CE, FF 1999 5440.

Message du 7 novembre 2001 relatif à la révision de la loi sur les cartels, FF 2002 1911.

Message du 12 novembre 2003 relatif à la modification de la loi sur les télécommunications (LTC), FF 2003 7245.

Message du 12 décembre 2002 relatif à la révision totale de la loi fédérale sur la radio et la télévision (LRTV), FF 2003 1425.

Message du 1er février 2006 concernant la loi fédérale sur l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (LAUFIN), FF 2006 2741.

Rapport de la Commission de l'économie et des redevances du Conseil des États du 13 février 2006 en réponse à l'initiative du canton du Jura sur la Suppression des normes fiscales fédérales contraires à l'art. 6 CEDH, FF 2006 3843.

Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 1057.

Message du 24 octobre 2007 portant approbation et mise en oeuvre de l'échange de notes entre la Suisse et l'Union européenne concernant la reprise du code frontières Schengen (développement de l'acquis de Schengen) et relatif aux modifications du droit des étrangers et du droit de l'asile en vue de la mise en oeuvre totale de l'acquis de Schengen et Dublin déjà repris (compléments), FF 2007 7449.

Message du 20 mai 2009 relatif à la loi sur la poste (LPO), FF 2009 4649.

Rapport du Conseil fédéral du 15 février 2012 concernant le classement de la motion Schweiger (07.3856): Droit des cartels. Équilibrer le dispositif des sanctions et le rendre plus efficace, FF 2012 1635.

Message du 22 février 2012 relatif à la révision de la loi sur les cartels et à une loi sur l'organisation de l'autorité de la concurrence, FF 2012 3631.

Message du 8 mars 2013 relatif à la modification de la loi fédérale sur les étrangers (Violation du devoir de diligence et de l'obligation de communiquer par les entreprises de transport aérien; systèmes d'information), FF 2013 2277.

Rapport du Conseil fédéral en
réponse au postulat Leutenegger Oberholzer (14.3087): Déductibilité fiscale des amendes et des sanctions financières de nature administrative du 12 septembre 2014, consultable à l'adresse: https://parlament.ch > Travail parlementaire > Curia Vista > Recherche > Sanctions financières comme par exemple les amendes. Déduction fiscale autorisée (état: 3.12.2021).

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Message du 1er juillet 2015 concernant la modification de la loi sur les travailleurs détachés, FF 2015 5359.

Message du 21 octobre 2015 concernant la loi fédérale sur les jeux d'argent, FF 2015 7627.

Message du 16 novembre 2016 concernant la loi fédérale sur le traitement fiscal des sanctions financières, FF 2016 8253.

Message du 15 septembre 2017 concernant la loi fédérale sur la révision totale de la loi fédérale sur la protection des données et sur la modification d'autres lois fédérales, FF 2017 6565.

Message du 23 novembre 2016 concernant l'approbation et la mise en oeuvre de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays (Loi fédérale sur l'échange international automatique des déclarations pays par pays des groupes d'entreprises multinationales, LEDPP), FF 2017 33 Rapport du Conseil fédéral du 25 novembre 2020 en réponse aux postulats Caroni Andrea 18.3530 et Rickli Natalie (Schwander Pirmin) 18.3531 sur la Réforme de la peine privative de liberté à vie pour les infractions particulièrement graves, consultable à l'adresse: https://parlament.ch > Travail parlementaire > Curia Vista > Recherche > Réforme de la peine privative de liberté à vie (état: 3.12.2021).

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Abréviations AAS

AFC ALCP

BSK CAAS

CC CDPC CEDH CFMJ cit.

CJCE CJUE CO COMCO ComCom CourEDH CP CPC CPP Cst.

DPA FF FINMA JAAC JO LAgr

Accord du 26 octobre 2004 entre la Confédération suisse, l'Union européenne et la Communauté européenne sur l'association de la Confédération suisse à la mise en oeuvre, à l'application et au développement de l'acquis de Schengen (RS 0.362.31; accord d'association à Schengen).

Administration fédérale des contributions Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (RS 0.142.112.681).

Commentaire bâlois (Basler Kommentar) Convention d'application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l'Union économique Benelux, de la République fédérale d'Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO L 239 du 22.9.2000, p. 19).

Ce texte est consultable à l'adresse: www.rhf.admin.ch/ > Droit pénal > Bases légales > Accords multilatéraux > Convention d'application de l'Accord de Schengen (état: 7.12.2021).

Code civil (RS 210) Comité européen pour les problèmes criminels Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, entrée en vigueur pour la Suisse le 28 novembre 1974 (RS 0.101).

Commission fédérale des maisons de jeu Cité Cour de justice des Communautés européennes Cour de justice de l'Union européenne Loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le Code civil suisse (Livre cinquième: Droit des obligations) (RS 220).

Commission de la concurrence Commission fédérale de la communication Cour européenne des droits de l'homme Code pénal (RS 311.0) Code de procédure civile (RS 272) Code de procédure pénale (RS 312.0) Constitution (RS 101) Loi fédérale du 22 mars 1974 sur le droit pénal administratif (RS 313.0) Feuille fédérale Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers Jurisprudence des autorités administratives de la Confédération Journal officiel de l'Union européenne Loi du 29 avril 1998 sur l'agriculture (RS 910.1)

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LAMal

Loi fédérale du 18 mars 1994 sur l'assurance-maladie (RS 832.10) LAVS Loi fédérale du 20 décembre 1946 sur l'assurance-vieillesse et survivants (RS 831.10) LBN Loi du 3 octobre 2003 sur la Banque nationale (RS 951.11) LCart Loi du 6 octobre 1995 sur les cartels (RS 251) LCdF Loi fédérale du 20 décembre 1957 sur les chemins de fer (RS 742.101) LDét Loi du 8 octobre 1999 sur les travailleurs détachés (RS 823.20) LEDPP Loi fédérale du 16 juin 2017 sur l'échange des déclarations pays par pays (RS 654.1) LEI Loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l'intégration (RS 142.20) LFINMA Loi du 22 juin 2007 sur la surveillance des marchés financiers (RS 956.1) LHID Loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (RS 642.14) LIFD Loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct (RS 642.11) LJAr Loi fédérale du 29 septembre 2017 sur les jeux d'argent (RS 935.51) LP Loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite (RS 281.1) LPO Loi du 17 décembre 2010 sur la poste (RS 783.0) LRTV Loi fédérale du 24 mars 2006 sur la radio et la télévision (RS 784.40) LTAF Loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (RS 173.32) LTC Loi fédérale du 30 avril 1997 sur les télécommunications (RS 784.10) LTF Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (RS 173.110) LTVA Loi du 12 juin 2009 sur la TVA (RS 641.20) OFAG Office fédéral de l'agriculture OFCOM Office fédéral de la communication OFJ Office fédéral de la justice OPO Ordonnance du 29 août 2012 sur la poste (RS 783.01) ORTV Ordonnance du 9 mars 2007 sur la radio et la télévision (RS 784.401) PA Loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (RS 172.021) Pacte II de l'ONU Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civiques et politiques, entré en vigueur pour la Suisse le 18 septembre 1992 (RS 0.103.2) Protocole 7 CEDH Protocole no 7 du 22 novembre 1988 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, entré en vigueur pour la Suisse le 1er novembre 1988 (RS 0.101.07) RO Recueil officiel 128 / 138

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RS SECO SG-DFF SJZ

Recueil systématique du droit fédéral Secrétariat d'État à l'économie Secrétariat général du Département fédéral des finances Schweizerische Juristen-Zeitung

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Annexe

Analyse de droit comparé Le chapitre suivant présente un état de situation concernant l'existence et la prise en compte des sanctions administratives pécuniaires dans trois ordres juridiques proches de la Suisse, soit l'Allemagne, l'Union européenne et la France. Cet état de situation s'appuie principalement sur les travaux du Comité européen pour les problèmes criminels, qui a publié en novembre 2019 un rapport synthétisant les réglementations et procédures applicables aux sanctions administratives dans les ordres juridiques de ses États membres528.

Ce chapitre vise à déterminer, en premier lieu, si les autres ordres juridiques étudiés connaissent la notion de «sanction administrative pécuniaire» et, dans l'affirmative, si et comment ces sanctions se distinguent des sanctions pénales. En second lieu, il s'agit de déterminer, lorsque les ordres juridiques étudiés connaissent un régime de sanctions administratives, dans quelle mesure les garanties de procédure spécifiques aux procédures pénales (en particulier celles découlant de l'art. 6 CEDH) doivent être observées.

Une vue d'ensemble des configurations adoptées dans les autres États membres du Comité européen pour les problèmes criminels est présentée en conclusion sous la forme d'un tableau récapitulatif.

1

Allemagne

En Allemagne, la notion de sanction administrative n'existe pas en tant que telle sous cette forme. Le droit allemand opère une distinction entre les sanctions pénales au sens étroit (qui comprennent les peines privatives de liberté, l'amende ou le retrait du droit de vote ou d'éligibilité) et les sanctions visant des infractions réglementaires (qui incluent par exemple les amendes, la confiscation de biens, ou le retrait du permis de conduire), qui relèvent du «droit pénal complémentaire»529.

A la différence des sanctions pénales au sens étroit, les sanctions visant des infractions réglementaires peuvent être prononcées par des autorités administratives530. Ces sanctions sont soumises au droit pénal administratif (Ordnungswidrigkeitengesetz ­ OWiG), et peuvent concerner des personnes morales et des entreprises (art. 30 OWiG)531. Ainsi, si les sanctions administratives sont connues en Allemagne, notam-

528 529 530 531

Questionnaire CDPC.

Questionnaire CDPC, pt 62.

Voir notamment l'art. 35 (1) OWiG.

A titre d'exemple, voir également l'art. 82 (2) GWB, pour le droit de la concurrence, qui renvoie à l'art. 30 OWiG pour la définition des «personnes morales» susceptibles de se voir infliger une sanction.

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ment en raison de leur application en droit de l'Union européenne, les problèmes posés par ces sanctions (en particulier au regard des garanties de procédure) ont été réglés en soumettant ces sanctions au droit pénal administratif532.

Le critère principal de distinction entre les sanctions pénales au sens étroit et les sanctions de droit pénal administratif est celui de la gravité de la violation et des conséquences qui en découlent533. Lorsqu'un comportement constitue à la fois une infraction pénale et réglementaire, l'art. 21 OWiG précise que seule la sanction pénale au sens étroit doit être prononcée.

Les sanctions relevant de l'OWiG étant considérées comme du droit pénal administratif, les garanties de procédure spécifiques à la procédure pénale sont également applicables, en particulier l'exigence de clarté et de précision de la base légale, ainsi que les principes de proportionnalité, de présomption d'innocence et de la lex mitior. Le principe «ne bis in idem» s'applique dans une mesure limitée aux sanctions relevant de l'OWiG, un tribunal pouvant reclasser une infraction réglementaire en sanction pénale au sens étroit au cours de la procédure534.

A titre d'exemple, en droit allemand de la concurrence, la loi renvoie à l'OWiG et à l'application de la procédure pénale pour les questions de procédure liées au prononcé de sanctions535.

2

Union européenne

Dans l'Union européenne, la situation est différente, car l'UE n'a pas de compétences réglementaires en matière pénale au sens strict. Elle dispose toutefois d'une compétence pour la coopération judiciaire en matière pénale.

La seule possibilité de sanctionner des comportements contraires au droit, lorsque les autorités européennes sont chargées de faire appliquer le droit européen, est l'outil de la sanction administrative. Cet outil est ainsi prévu dans plusieurs domaines du droit de l'Union européenne.

A titre d'exemple, dans le domaine de la lutte contre les abus de marché, l'Union européenne a adopté une directive et un règlement sur les sanctions pénales pour les abus de marché536. Le règlement prévoit que des sanctions administratives peuvent être imposées en cas d'abus de marché, celles-ci pouvant atteindre des montants élevés537. Par ailleurs, ces sanctions sont applicables aussi bien aux personnes morales 532 533 534 535 536

Voir pour le surplus: Questionnaire CDPC, pts 62 et 63.2.

Questionnaire CDPC, pt 64.

Questionnaire CDPC, pts 67 à 68. Voir également l'art. 84 (1) OWiG.

Voir notamment les art. 82 ss GWB.

Directive 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux sanctions pénales applicables aux manipulations de marché (directive sur les abus de marché), JO L 173 du 12.6.2014, p. 179 et règlement (UE) no 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux abus de marché (règlement relatif aux abus de marché), JO L 173 du 12.6.2014, p. 1.

537 Voir notamment l'art. 30, par. 2, let. i et j, du règlement (UE) n o 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux abus de marché (règlement relatif aux abus de marché), JO L 173 du 12.6.2014, p. 1.

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qu'aux personnes physiques538. Les États membres sont compétents pour définir dans leur droit interne quelles sont les autorités compétentes pour prononcer de telles sanctions, ainsi que les règles de procédure applicables.

Dans le domaine de la concurrence, l'Union européenne dispose de compétences exécutives. La Commission européenne effectue les enquêtes et sanctionne les entreprises qui contreviennent aux règles européennes de concurrence à partir d'un certain seuil (art. 101ss TFUE). Dans ce cadre, les droits procéduraux des entreprises (notamment les droits de la défense) dans la procédure de sanction ont été développés essentiellement par la jurisprudence et en référence aux textes de protection des droits humains, que ce soit la Charte européenne des droits fondamentaux ou la CEDH539. Certains droits des parties ont ensuite été codifiés dans un règlement européen540, notamment les questions d'accès au dossier et de droit d'être entendu.

Les procédures de sanction en matière de concurrence peuvent impliquer la participation d'un conseiller-auditeur (Hearing Officer) rattaché à la Direction générale de la concurrence et chargé de veiller au bon déroulement de la procédure et au respect des droits de la défense541. Les parties peuvent s'adresser à lui au cours de la procédure si elles estiment que leurs droits ne sont pas respectés, soit par un délai trop court, soit par un refus de pouvoir consulter certaines pièces, par exemple. Le conseiller-auditeur a donc principalement une fonction de conseil et de médiation sur l'ensemble des questions de procédure542. Il s'assure ainsi de l'exercice effectif de leurs droits procéduraux par les parties543. Les attributions du conseiller-auditeur sont relativement étendues. Celui-ci organise les auditions et modère les débats entre les entreprises et la Direction générale de la concurrence, il conseille le commissaire sur toute question à caractère procédural, il rédige un rapport final sur la procédure, et il arbitre les conflits de procédure entre les parties (notamment les questions d'accès au dossier et de confidentialité, ainsi que, plus généralement, le respect des droits de la défense)544.

Les décisions rendues par le conseiller-auditeur sur les questions en lien avec les droits procéduraux des parties sont contraignantes pour l'autorité de poursuite.

538

539 540

541

542 543

544

Art. 30, par. 2, let. i et j, du Règlement (UE) no 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux abus de marché (règlement relatif aux abus de marché), JO L 173 du 12.6.2014, p. 1.

SOUDEER MATHIEU, Droit antitrust de l'Union européenne et droits fondamentaux des entreprises, Approche contentieuse, Bruxelles 2019, p. 90 ss.

Règlement (CE) 773/2004 de la Commission du 7 avril 2004 relatif aux procédures mises en oeuvre par la Commission en application des articles 81 et 82 du traité CE, JO L 123 du 27.4.2004, p. 18, modifié régulièrement, la dernière fois en 2015.

Décision du président de la Commission européenne du 13 octobre 2011 relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (2011/695/), JO L 275 du 20.10.2011, p. 29.

PETIT/NEYRINCK, fonctions, p. 490 s.

Art. 1er (2) de la décision du président de la Commission européenne du 13 octobre 2011 relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (2011/695/), JO L 275 du 20.10.2011, p. 29.

PETIT/NEYRINCK, fonctions, p. 491.

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Dans le domaine du détachement de travailleurs, l'Union européenne a adopté en 1996 une directive (révisée en 2018)545, ainsi qu'une directive d'exécution546, qui prévoient que des «amendes administratives» peuvent être imposées par un État membre, respectivement exécutées dans un autre État membre, selon un système de reconnaissance mutuelle des sanctions547. La qualification juridique et la définition des sanctions en tant que telles relèvent toutefois du droit interne des États membres, leurs autorités étant compétentes pour instruire des procédures et prononcer des sanctions selon le droit procédural des États membres.

Enfin, dans le domaine des migrations, l'art. 26, al. 2, de la Convention d'application de l'accord de Schengen, en relation avec l'art. 4 de la directive 2001/51/CE et l'art.

4 de la directive 2004/82/CE, prévoit que les États membres sont tenus d'introduire des sanctions (pécuniaires) efficaces (Carrier Sanctions) contre les violations du devoir de diligence et de l'obligation de communiquer des entreprises de transport aérien dans l'espace Schengen. La mise en oeuvre de cette obligation ­ notamment la qualification juridique de la sanction et la procédure applicable ­ est de la compétence des États parties à l'accord de Schengen, et varie selon les systèmes juridiques de chaque État548.

3

France

La France connaît une catégorie de sanctions distinctes de celles du droit pénal, intitulées «sanctions administratives». Ces sanctions sont divisées en trois sous-catégories: les «sanctions morales», les «sanctions privatives de droits» et les «sanctions pécuniaires».

Les «sanctions morales» comprennent l'avertissement et le blâme et sont prononcées à l'encontre de personnes physiques549. En ce sens, elles se rapprochent des sanctions disciplinaires que connaît le droit suisse. La «sanction privative de droits» concerne notamment le retrait d'autorisations et les interdictions d'exercer à titre provisoire ou

545

546

547

548 549

Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, JO L 18 du 21.1.1997, p. 1. Voir également la directive (UE) 2018/957 du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, JO L 173 du 9.7.2018, p. 16.

Directive 2014/67/UE du Parlement Européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur («règlement IMI»), JO L 159 du 28.5.2014, p. 11.

Art. 13 ss de la directive 2014/67/UE du Parlement Européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur («règlement IMI»), JO L 159 du 28.5.2014, p. 11.

Pour des exemples, voir notamment: message du Conseil fédéral relatif à la modification de la loi fédérale sur les étrangers, p. 2290 s.

Questionnaire CDPC, pt 51.

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définitif dans le cadre de professions et activités réglementées. Les «sanctions pécuniaires» prennent la forme d'amendes, qui peuvent être infligées par des autorités administratives indépendantes dans certains domaines (par ex. la concurrence, l'audiovisuel ou les marchés financiers)550.

Les sanctions administratives sont des décisions rendues par des autorités administratives agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique. Elles ont un caractère punitif et sanctionnent les infractions aux lois et règlements administratifs (par opposition aux règles de droit pénal, poursuivies par des autorités pénales selon les règles de procédure pénale)551. Les sanctions pénales prennent la forme d'une «décision juridictionnelle» et les sanctions administratives celle d'une «décision administrative»552.

Reprenant les critères de distinction fixés par l'arrêt de la CourEDH Engel, la France considère que les sanctions administratives pécuniaires constituent des «accusations en matière pénale» auxquelles sont applicables les garanties de l'art. 6, par. 1, CEDH553.

Les sanctions administratives s'inspirent en France, dans une large mesure, des principes applicables aux sanctions pénales554. Le Conseil constitutionnel français considère notamment que les exigences tenant au respect du principe de légalité des délits et des peines, du principe de nécessité et de proportionnalité, du principe de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère, ainsi qu'au respect des droits de la défense s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire555.

Le critère déterminant à cet égard est celui du caractère punitif des sanctions.

En droit français, les garanties procédurales caractéristiques du droit pénal sont également applicables aux sanctions administratives: ainsi, le principe de présomption d'innocence (art. 6, par. 2, CEDH) et le respect des droits de la défense (qui s'applique aux sanctions administratives en tant que «principe général du droit») sont également applicables aux procédures conduisant à des sanctions administratives pécuniaires556.

En droit français de la concurrence, la compétence de sanctionner les entreprises assujetties a été confiée à une autorité administrative
indépendante. La France a également instauré un conseiller-auditeur qui peut intervenir dans la procédure sur demande des parties. Celui-ci ne dispose toutefois pas d'un pouvoir de décision, contrairement à son homologue européen557. Le conseiller-auditeur a plus particulièrement une fonc-

550 551 552 553

554 555 556 557

Questionnaire CDPC, pt 51.

Conseil constitutionnel français, no 89­260 DC du 28 juillet 1989, Loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier.

Questionnaire CDPC, pt 52.1.

Questionnaire CDPC, pt 52.3 (et les réf. citées). Tel est notamment le cas des sanctions prononcées par la Commission bancaire, l'Autorité de concurrence, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'Autorité de régulation des jeux en ligne, la Commission des sanctions de l'autorité des marchés financiers et l'Office des migrations internationales.

Questionnaire CDPC, pts 59 et 13 (et les réf. citées) Questionnaire CDPC, pt 59; Conseil constitutionnel français, no 88­248 DC du 17 janvier 1989 consid. 17 et 18.

Questionnaire CDPC, pt 13 (et les réf. citées).

Rapport annuel de l'Autorité de concurrence 2019, p. 160.

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tion de «médiateur procédural» en cas de difficultés survenant dans la phase contentieuse de la procédure. Il recueille ainsi les observations des parties et du rapporteur général sur le déroulement de la procédure, qui sont ensuite consignées dans un rapport transmis à l'Autorité de la concurrence.

Afin de codifier la prévisibilité de la sanction, de même que les droits de la défense558, l'Autorité de concurrence a édicté des directives internes que la jurisprudence a rendues contraignantes559. De plus, en matière de concurrence, les recours contre les décisions se font devant les tribunaux civils qui opèrent un contrôle complet des sanctions prononcées, assurant ainsi le respect des garanties de procédure.

4

Appréciation

L'analyse des ordres juridiques étudiés montre des approches diverses. Ainsi, l'Allemagne ne connaît pas la notion de «sanction administrative (pécuniaire)» en tant que telle. Les sanctions découlant de violations d'obligations du droit administratif sont rattachées au droit pénal administratif et assujetties au régime de procédure pénale administrative (notamment OWiG). En revanche, le droit français comporte une catégorie de sanctions dites «administratives», qui comprend notamment les sanctions pécuniaires, soit des amendes infligées par des autorités administratives dans des domaines spécifiques. Le droit de l'Union européenne prévoit également l'instrument de la «sanction administrative» (y compris la sanction administrative pécuniaire), en particulier en droit de la concurrence.

Par ailleurs, dans les trois ordres juridiques étudiés, les garanties procédurales spécifiques au droit pénal et découlant notamment de l'art. 6 CEDH sont applicables aux procédures conduisant au prononcé de sanctions administratives pécuniaires. Doivent être garantis en particulier les principes de présomption d'innocence et de non-rétroactivité, ainsi que les droits de la défense, dans la mesure où les procédures conduisant à ce type de sanctions sont considérées comme des «accusations en matière pénale» au sens de l'art. 6, par. 1, CEDH.

Compte tenu de la diversité des solutions dans les ordres juridiques étudiés, on peut relever que le droit suisse se rapproche, dans une certaine mesure, de l'approche adoptée par le droit français dans la catégorisation des sanctions administratives, et dans la distinction entre ces dernières et les sanctions pénales.

558

IDOT LAURENCE, La répression des pratiques anticoncurrentielles par les institutions de l'Union européennes, Revue de science criminelle et de droit pénal comparée, 2012, p. 315­341, p. 321; DAVID ERIC, Country report: France, in: Dannecker/Jansen, Competition Law Sanctioning in the European Union, The EU-Law influence on the National Law System of Sanctions in the European Area, The Hague/London/New York, 2004, p. 460 ss.

559 Rapport annuel de l'Autorité de concurrence 2018, p. 126.

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5

Aperçu par pays

Sanctions administratives dans d'autres ordres juridiques560: Pays

Connaît Si oui, y a-t-il des sanctions des sanctions administratives pécuniaires ?

Andorre



oui

Arménie



oui

Ne connaît pas de telles sanctions

Autriche



Belgique



Croatie

(seulement pas clair pour le droit de la concurrence)

Chypre



oui

République Tchèque



oui

oui

Estonie



Danemark



Irlande

(common law)

Lettonie



oui

Lituanie



oui

Luxembourg



oui

Moldova



oui

Monténégro



Macédoine du Nord



Norvège



oui

Pologne



oui

Portugal



oui

Russie



Serbie



Slovénie Espagne 560




Questionnaire CDPC.

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Pas clair

oui

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Pays

Connaît Si oui, y a-t-il des sanctions des sanctions administratives pécuniaires ?

Suède



oui, cependant la Suède a également décidé de transformer en infraction pénale les sanctions qui répondaient aux critères Engel.

Turquie



oui

Ne connaît pas de telles sanctions

Pas clair

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