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Rapport concernant le classement de la motion Regazzi 16.3982 «Expulsion des terroristes vers leur pays d'origine, qu'il soit sûr ou non» du 4 mai 2022

Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Par le présent rapport, nous vous proposons de classer l'intervention parlementaire suivante: 2016

M 16.3982

Expulsion des terroristes vers leur pays d'origine, qu'il soit sûr ou non (N 19.9.2018, Regazzi; S 13.3.2019)

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

4 mai 2022

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Ignazio Cassis Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2022-1388

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Rapport 1

Contexte

1.1

Contenu et objectifs de la motion

Le 13 décembre 2016, Fabio Regazzi (conseiller national, Parti démocrate-chrétien, Tessin) a déposé la motion 16.3982 «Expulsion des terroristes vers leur pays d'origine, qu'il soit sûr ou non», dont le texte est le suivant.

Le Conseil fédéral est chargé de modifier la pratique actuelle et de renvoyer les djihadistes condamnés pour des infractions commises en lien avec l'EI vers leur pays d'origine, même si celui-ci est considéré comme peu sûr, faisant ainsi primer l'article 33 alinéa 2 de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (RS 0.142.30) sur l'article 25 alinéa 3 de la Constitution (Cst.; RS 101).

L'auteur de la motion l'a accompagnée du développement suivant.

Au cours des dernières années, la Suisse a procédé à la modification de différentes bases légales afin de renforcer la prévention et la répression du terrorisme. Si dans sa réponse à l'intervention 15.4179, le Conseil fédéral déclare que «les personnes qui portent atteinte à la sécurité intérieure de la Suisse sont renvoyées de notre pays», il réserve néanmoins l'article 25 alinéa 3 de la Constitution, en vertu duquel «nul ne peut être refoulé sur le territoire d'un État dans lequel il risque la torture ou tout autre traitement ou peine cruels et inhumains». L'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH; 0.101) institue la même garantie. Dans la pratique, les dispositions en faveur du condamné priment donc la sécurité de notre pays. La présente motion demande un changement de pratique en faveur de la sécurité intérieure, par l'application de l'article 33 alinéa 2 de la convention relative au statut des réfugiés, aux termes duquel «le bénéfice de la présente disposition, défense d'expulsion et de refoulement, ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays». Les condamnations récentes de djihadistes ont mis en évidence le danger que des personnes profondément radicalisées et susceptibles de récidiver représentent pour la sécurité intérieure lorsqu'elles sont libérées au terme de leur
peine. D'autres États européens adoptent d'ailleurs des mesures afin d'expulser les réfugiés sympathisants d'organisations terroristes vers leur pays d'origine (en l'espèce l'Irak ou la Syrie) en se fondant sur la garantie de la sécurité intérieure.

La motion vise à ce que les auteurs d'actes djihadistes qui ont été condamnés et qui représentent une menace pour la sûreté (ou sécurité) intérieure de la Suisse soient systématiquement renvoyés dans leur pays d'origine, même s'ils y risquent la torture ou tout autre traitement ou peine cruels et inhumains.

Le Conseil fédéral a rejeté la motion dans son avis du 1er février 2017, précisant que nul ne peut être renvoyé dans un État où il risque la torture ou tout autre traitement ou 2 / 16

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peine cruels et inhumains, même s'il constitue une menace pour la sûreté intérieure de la Suisse. La motion a été adoptée le 19 septembre 2018 au Conseil national (par 102 voix contre 72 et 3 abstentions) et le 13 mars 2019 au Conseil des États (par 22 voix contre 18 et 1 abstention).

1.2

Problématique

Depuis le 1er octobre 2016, tout étranger condamné pour soutien à une organisation criminelle ou terroriste est obligatoirement expulsé (art. 66a, al. 1, let. l, du code pénal, CP1). L'entrée en force de l'expulsion met fin à l'autorisation de séjour ou d'établissement (art. 61, al. 1, let. e, de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l'intégration, LEI2). Même si la personne visée par une expulsion remplit les conditions de reconnaissance de la qualité de réfugié, l'asile lui est refusé ou l'asile qui lui a déjà été accordé prend fin (art. 53, let. c, et 64, al. 1, let. e, de la loi du 26 juin 1998 sur l'asile, LAsi3). Depuis 2016, l'octroi d'une admission provisoire est également exclu dans le cas d'une personne faisant l'objet d'une expulsion entrée en force (art. 83, al. 9, LEI). Si le juge pénal expulse du pays une personne (art. 66a ss CP), l'autorité cantonale d'exécution compétente évalue au cas par cas les risques liés à l'expulsion vers l'État de destination. Dans la mesure où l'expulsion est compatible avec l'interdiction de refoulement (principe du non-refoulement), la personne concernée peut également être expulsée vers un État qui n'est pas considéré comme sûr (art. 66d, al. 1, CP). Les statistiques disponibles ne permettent à l'heure actuelle pas encore de déterminer le nombre de personnes dont l'expulsion obligatoire a été ordonnée par le juge pénal et n'a pas été exécutée en raison du principe du non-refoulement.

Il ne doit pas nécessairement y avoir une condamnation pénale pour terrorisme suivie d'une expulsion judiciaire; il est également possible de prononcer un renvoi au sens de l'art. 64 LEI ou une expulsion au sens de l'art. 68 LEI au motif que la sécurité intérieure ou extérieure est menacée. L'expulsion et le renvoi peuvent être exécutés sous contrainte en vertu de l'art. 69 LEI. L'art. 62, al. 1, let. c, LEI dispose que l'autorité compétente peut révoquer une autorisation, à l'exception de l'autorisation d'établissement, ou une autre décision fondée sur cette loi, dans le cas où l'étranger attente de manière grave ou répétée à la sécurité et l'ordre publics en Suisse ou à l'étranger, les met en danger ou représente une menace pour la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse . En vertu de l'art. 63, al. 1, let. b, LEI, une autorisation d'établissement
peut être révoquée dans le cas où l'étranger attente de manière très grave à la sécurité et l'ordre publics en Suisse ou à l'étranger, les met en danger ou représente une menace pour la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse. Si un étranger ne dispose plus de l'autorisation qu'il est pourtant tenu d'avoir, une décision de renvoi est rendue à son encontre conformément à l'art. 64 LEI. En vertu de l'art. 67 LEI, le Secrétariat

1 2 3

RS 311.0 RS 142.20 RS 142.31

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d'État aux migrations peut en outre interdire l'entrée en Suisse à un étranger, notamment lorsque ce dernier a attenté à la sécurité et à l'ordre publics en Suisse ou à l'étranger ou les a mis en danger.

C'est à l'Office fédéral de la police (fedpol) qu'il incombe d'édicter des mesures d'éloignement pour sauvegarder la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse. fedpol prononce une interdiction d'entrée et une expulsion à l'encontre d'un étranger en présence d'indices concrets et récents d'activités terroristes, y compris de soutien à une organisation interdite (art. 67, al. 4, et 68 LEI). L'expulsion est assortie d'une interdiction d'entrée d'une durée limitée ou illimitée. Lorsque l'étranger représente une menace pour la sécurité intérieure ou extérieure, l'expulsion est immédiatement exécutoire. fedpol examine alors au cas par cas les risques liés à l'expulsion vers l'État de destination4. Entre 2016 et 2021, il a prononcé au total 27 expulsions en rapport avec le terrorisme. Cinq d'entre elles n'ont pas pu être exécutées en raison du principe du non-refoulement.

2

Motifs de la proposition de classement de la motion

Le Conseil fédéral réaffirme que la Suisse doit résolument faire front à la menace du terrorisme. Il propose toutefois de classer la motion par le présent rapport, conformément à l'art. 122, al. 3, let. a, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement5.

Le principe du non-refoulement vise à prévenir les violations des droits de l'homme en interdisant à tout État d'expulser, de refouler ou d'extrader des personnes vers leur État d'origine si celui-ci ne respecte pas les droits fondamentaux de ces dernières.6 Le présent rapport porte non seulement sur l'analyse des aspects juridiques, humanitaires et politiques du principe du non-refoulement, mais aussi sur des questions relatives à la sécurité de la Suisse et de sa population.

2.1

Aspects juridiques

Droit international impératif Le droit international impératif ou jus cogens désigne les normes fondamentales du droit international auxquelles on ne peut déroger sous aucun prétexte. En raison de l'importance matérielle de ces normes, le jus cogens est hiérarchiquement supérieur au reste du droit international; tout accord international contraire est nul (cf. art. 53,

4 5 6

Arrêt du 6 septembre 2016 du Tribunal fédéral 2C_712/2016 consid. 1.2.

RS 171.10 Walter Kälin, Das Prinzip des Non-Refoulement. Das Verbot der Zurückweisung, Ausweisung und Auslieferung von Flüchtlingen in den Verfolgerstaat im Völkerrecht und im schweizerischen Landesrecht, thèse de doctorat, Berne, 1982, p. 13 et 14.

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1re phrase, de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités7 8). Le jus cogens oblige tous les États, même en dehors de toute convention9. En font partie: ­

l'interdiction d'expulser un réfugié dans un État où sa vie ou sa liberté seraient en danger en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social déterminé ou de ses opinions politiques (principe de non-refoulement dans sa portée relative, codifié dans les normes applicables aux réfugiés)10;

­

l'interdiction de refouler une personne sur le territoire d'un État dans lequel elle risque la torture et d'autres peines ou traitements cruels ou inhumains (principe de non-refoulement dans sa portée absolue, codifié dans les instruments généraux des droits de l'homme et applicable à toute personne, indépendamment de son statut de séjour)11.

Le changement de pratique visé par la motion viole le droit international impératif et, de ce fait, met en danger les droits de l'homme les plus élémentaires. Il n'est pas possible de remédier à cette violation par une dénonciation. Tout acte juridique contraire au jus cogens est nul.

Traités Le principe du non-refoulement est garanti par un ensemble de normes internationales12. La Suisse a ratifié cinq conventions internationales relatives aux droits de l'homme qui contiennent explicitement des dispositions sur le non-refoulement, à savoir:

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Art. 33, par. 1, de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (conv. Réfugiés)13, approuvée par l'Assemblée fédérale le 14 décembre 1954 et entrée en vigueur pour la Suisse le 21 janvier 1955.

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Art. 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH)14, approuvée par l'Assemblée RS 0.111 Rapport additionnel du 30 mars 2011 du Conseil fédéral au rapport du 5 mars 2010 sur la relation entre droit international et droit interne, FF 2011 3401, ici 3413; rapport du 12 juin 2015 du Conseil fédéral en exécution du postulat 13.3805 «Clarifier la relation entre le droit international et le droit interne», p. 13 et 15.

Regina Kiener, Walter Kälin, Grundrechte, 2e édition, Berne, 2013, p. 72 avec renvoi à l'ATF 133 II 450 consid. 7.3.

Message du 20 novembre 2013 concernant l'initiative populaire «Pour le renvoi effectif des étrangers criminels (initiative de mise en oeuvre)», FF 2013 8493, ici 8502 avec renvoi à la FF 2011 3414 et 1994 III 1486; rapport additionnel du 30 mars 2011 du Conseil fédéral au rapport du 5 mars 2010 sur la relation entre droit international et droit interne, FF 2011 3401, ici 3413; message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 369, ici 441 et 442; message du 27 août 2008 relatif à l'initiative populaire «contre la construction de minarets», FF 2008 6923, ici 6929 et 6930.

Message du 20 novembre 2013 concernant l'initiative populaire «Pour le renvoi effectif des étrangers criminels (initiative de mise en oeuvre)», FF 2013 8493, ici 8502.

Regina Kiener, Walter Kälin, Grundrechte, 2e édition, Berne, 2013, p. 195; Kees Wouters, International Legal Standards for the Protection from Refoulement, thèse de doctorat, Anvers, Oxford, Portland, 2009, p. 25.

RS 0.142.30 RS 0.101

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fédérale le 3 octobre 1974 et entrée en vigueur pour la Suisse le 28 novembre 1974.

­

Art. 3 de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT)15, approuvée par l'Assemblée fédérale le 6 octobre 1986 et entrée en vigueur pour la Suisse le 26 juin 1987.

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Art. 7 du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques (Pace II de l'ONU)16, approuvé par l'Assemblée fédérale le 13 décembre 1991 et entré en vigueur pour la Suisse le 18 septembre 1992.

­

Art. 16 de la Convention internationale du 20 décembre 2006 pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées17, approuvée par l'Assemblée fédérale le 18 décembre 2015 et entrée en vigueur pour la Suisse le 1er janvier 2017.

Conv. Réfugiés Quiconque remplit les critères de la conv. Réfugiés est considéré comme un réfugié et protégé par le principe du non-refoulement découlant de la législation sur les réfugiés (art. 33, par. 1). Ce principe ne revêt toutefois pas un caractère absolu18. Il est possible, à titre exceptionnel, de déroger à l'interdiction du refoulement lorsqu'il y a de sérieuses raisons d'admettre que la personne concernée compromet la sûreté de la Suisse ou que, ayant été condamnée par un jugement passé en force à la suite d'un crime ou d'un délit particulièrement grave, elle doit être considérée comme dangereuse pour la communauté (art. 33, par. 2). Cette exception est toutefois soumise à une autre exception lorsque des interdictions de refoulement fondées sur les droits de l'homme sont applicables (art. 3 CEDH, par ex.), dans la mesure où elles prévalent même si la conv. Réfugiés autorise un refoulement19.

CEDH Le principe du non-refoulement découle également de la CEDH (art. 3). L'art. 3 CEDH dispose que nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Même si le terme «expulsion» ne figure pas à cet article, la Cour européenne des droits de l'homme (Cour EDH) a considéré, dans sa pratique20,

15 16 17 18

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RS 0.105 RS 0.103.2 RS 0.103.3 Walter Kälin, Jörg Künzli, Universeller Menschenrechtsschutz, 4e édition, Bâle, 2019, ch. 1875; rapport du 23 juin 2021 du Conseil fédéral en réponse au postulat 18.3930 Damian Müller du 27 septembre 2018: actualité et portée de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.

Arrêt du 15 novembre 1996 de la Cour EDH (Grande Chambre) en l'affaire Chahal c.

Royaume-Uni, rapports 1996-V, § 80, et arrêt du 28 février 2008 de la Cour EDH en l'affaire Saadi c. Italie, no 37201/06, § 127.

Arrêt du 7 juillet 1989 de la Cour EDH en l'affaire Soering c. Royaume-Uni, no 14.038/88.

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que le principe du non-refoulement faisait partie intégrante de l'interdiction de la torture21. Cette interdiction revêt un caractère absolu et ne souffre donc aucune exception ou limitation22. Même en cas de guerre ou en cas d'autre danger public, il n'est pas possible de déroger à l'art. 3 CEDH (art. 15, par. 2)23. Toute atteinte à la sphère de protection de l'art. 3 CEDH constitue une violation de l'interdiction de la torture y compris dans le cas de terroristes qui risquent d'être torturés ou de subir des traitements inhumains dans l'État de destination24.

Le Conseil fédéral a confirmé à plusieurs reprises que la garantie intangible visée à l'art. 3 CEDH faisait partie des règles impératives du droit international25. De même, le Tribunal fédéral a explicitement reconnu le caractère impératif du principe du nonrefoulement qui figure à l'art. 3 CEDH26. La protection assurée par l'art. 3 CEDH va également beaucoup plus loin que celle offerte par l'art. 33 conv. Réfugiés, qui ne s'applique qu'aux réfugiés27. Pour définir la torture et les traitements inhumains ou dégradants, la Cour EDH s'appuie sur l'art. 1 CAT28.

CAT Le principe du non-refoulement inscrit dans la CAT interdit d'expulser une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture (art. 3). L'art. 3 CAT s'applique de manière absolue29 et ne souffre pas d'exception au titre de la sécurité nationale. Aucune dérogation ne saurait être admise, même en cas de guerre ou en cas d'autre danger public menaçant la vie de la nation (art. 2, par. 2), menace terroriste comprise30.

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Jens Meyer-Ladewig, Matthias Lehnert, in: Jens Meyer-Ladewig/Martin Nettesheim/ Stefan von Raumer (dir.), EMRK Handkommentar, 4e édition, Bâle, 2017, ch. 65 relatif à l'art. 3; Benjamin Märkli, Damian Wyss, Ausschaffungs-Motion: Volltreffer oder Rohrkrepierer? Bemerkungen zur Motion 16.3982, PJA 5/2019, p. 550 à 562, ici p. 556.

Arrêt du 28 février 2008 de la Cour EDH en l'affaire Saadi c. Italie, no 37201/06, § 127; message du 22 juin 1994 concernant les initiatives populaires «pour une politique d'asile raisonnable» et «contre l'immigration clandestine», FF 1994 III 1471, ici 1486 avec renvois; Stephan Breitenmoser, St. Galler BV-Kommentar, 3e édition, Zurich, 2014, ch. 24.

Arrêt du 28 février 2008 de la Cour EDH en l'affaire Saadi c. Italie, no 37201/06, § 127; Jens Meyer-Ladewig, Christiane Schmaltz, in: Jens Meyer-Ladewig/Martin Nettesheim/ Stefan von Raumer (dir.), EMRK Handkommentar, 4e édition, Bâle, 2017, ch. 1 relatif à l'art. 15.

Arrêt du 17 janvier 2012 de la Cour EDH en l'affaire Othman c. Royaume-Uni, no 8139/09, § 185; arrêt du 28 février 2008 de la Cour EDH en l'affaire Saadi c. Italie, no 37201/06, § 127.

Rapport du 12 juin 2015 du Conseil fédéral en exécution du postulat 13.3805 «Clarifier la relation entre le droit international et le droit interne», p. 13 avec autres renvois.

ATF 109 Ib 64 consid. 5; ATF 111 1b 68 consid. 2a.

Oliver Thurin, Der Schutz des Fremden vor rechtswidriger Abschiebung, Das Prinzip des Non-Refoulement nach Artikel 3 EMRK, 2e édition, Vienne, 2012, p. 8 et 9.

Jens Meyer-Ladewig, Matthias Lehnert, in: Jens Meyer-Ladewig/Martin Nettesheim/ Stefan von Raumer (dir.), EMRK Handkommentar, 4e édition, Bâle, 2017, ch. 6 relatif à l'art. 3.

Comité de l'ONU contre la torture, observation générale no 4 (2017) relative à la mise en oeuvre de l'article 3 de la Convention dans le cadre de l'article 22, ch. 8.

Kees Wouters, International Legal Standards for the Protection from Refoulement, thèse de doctorat, Anvers, Oxford, Portland, 2009, p. 502 et 523.

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Pacte II de l'ONU Le principe du non-refoulement découle également du Pacte II de l'ONU (art. 7).

L'art. 7 de ce pacte interdit la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. De cette disposition a été déduite ­ comme pour l'art. 3 CEDH ­ l'interdiction d'expulser une personne vers un État où elle risque d'être traitée de la sorte.

Le droit inscrit à l'art. 7 du Pacte II de l'ONU est intangible et fait partie des règles impératives du droit international (art. 4, par. 2)31. Sur le fond, l'art. 7 du Pacte II de l'ONU concorde largement avec la jurisprudence relative à l'art. 3 CEDH32. Contrairement aux autres conventions mentionnées ici, le Pacte II de l'ONU ne contient pas de clause de dénonciation. La grande majorité des États parties considèrent néanmoins qu'il ne peut être dénoncé33.

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées L'art. 16 de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées dispose qu'aucun État partie n'expulse, ne refoule, ne remet ni n'extrade une personne vers un autre État s'il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être victime d'une disparition forcée. La protection contre les disparitions forcées relève également de la protection contre les expulsions et les extraditions au sens de l'art. 3 CEDH34. L'expulsion d'une personne menacée de disparition forcée dans l'État de destination n'était déjà pas autorisée avant l'entrée en vigueur de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées35. La protection n'est donc pas plus étendue (mais pas moins non plus) que dans les conventions entrées en vigueur antérieurement.

Conventions européennes et universelles pour la répression des actes de terrorisme Parmi les conventions ratifiées par la Suisse qui contiennent explicitement des dispositions sur le non-refoulement, il y a non seulement des conventions internationales relatives aux droits de l'homme, mais aussi six conventions relatives à la lutte contre le terrorisme:

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Message du 20 novembre 2013 concernant l'initiative populaire «Pour le renvoi effectif des étrangers criminels (initiative de mise en oeuvre)», FF 2013 8493, ici 8503; message du 15 mars 2019 relatif à l'initiative populaire «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage» et au contre-projet indirect (loi fédérale sur la dissimulation du visage), FF 2019 2895, ici 2903.

Alberto Achermann, Martina Caroni, Walter Kälin, in: Walter Kälin/Giorgio Malinverni/ Manfred Nowak (dir.), Die Schweiz und die UNO-Menschenrechtspakete, 2e édition, Bâle, Francfort-sur-le-Main, 1997, p. 166.

Manfred Nowak, UNO-Pakt über bürgerliche und politische Rechte und Fakultativprotokoll, CCPR-Kommentar, Kehl, Strasbourg, Arlington 1989, ch. 21 à 23 relatifs à l'art. 7; message du 23 octobre 2013 concernant l'initiative populaire «Halte à la surpopulation ­ Oui à la préservation durable des ressources naturelles», FF 2013 7783, ici 7833.

Rapport du 19 décembre 2018 de la Suisse sur la mise en oeuvre nationale de la Convention internationale de 2006 pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, ch. 83.

Message du 29 novembre 2013 portant approbation et mise en oeuvre de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, FF 2014 437, ici 454.

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Art. 5 de la Convention européenne du 27 janvier 1977 pour la répression du terrorisme36, approuvée par l'Assemblée fédérale le 14 décembre 1982 et entrée en vigueur pour la Suisse le 20 août 1983.

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Art. 12 de la Convention internationale du 15 décembre 1997 pour la répression des attentats terroristes à l'explosif37, approuvée par l'Assemblée fédérale le 23 octobre 2003 et entrée en vigueur pour la Suisse le 23 octobre 2003.

­

Art. 14 de la Convention internationale du 9 décembre 1999 pour la répression du financement du terrorisme38, approuvée par l'Assemblée fédérale le 12 mars 2003 et entrée en vigueur pour la Suisse le 23 octobre 2003.

­

Art. 16 de la Convention internationale du 13 avril 2005 pour la répression des actes de terrorisme nucléaire39, approuvée par l'Assemblée fédérale le 13 juin 2008 et entrée en vigueur pour la Suisse le 14 novembre 2008.

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Art. 11ter du Protocole du 14 octobre 2005 relatif à la Convention pour la répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime40, approuvé par l'Assemblée fédérale le 13 juin 2008 et entré en vigueur pour la Suisse le 28 juillet 2010.

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Art. 14 de la Convention du 10 septembre 2010 sur la répression des actes illicites dirigés contre l'aviation civile internationale41, approuvée par l'Assemblée fédérale le 20 juin 2014 et entrée en vigueur pour la Suisse le 1er juillet 2018.

En vertu de ces conventions, il n'y a pas d'obligation d'extradition ou d'entraide judiciaire s'il existe des raisons sérieuses de croire que la demande d'extradition ou la demande d'entraide judiciaire a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir une personne pour des raisons de race, de religion, de nationalité, d'origine ethnique, d'opinions politiques ou de sexe, ou que donner suite à cette demande porterait un préjudice à la situation de cette personne pour l'une quelconque de ces raisons.

Droit national L'art. 33, par. 1, conv. Réfugiés sous-tend les art. 25, al. 2, de la Constitution (Cst.)42 et 5 LAsi43, selon lesquels les réfugiés ne peuvent être refoulés sur le territoire d'un État dans lequel ils sont persécutés ni remis aux autorités d'un tel État. Le principe du non-refoulement inscrit à l'art. 3 CEDH ne coïncide toutefois pas avec celui prévu par l'art. 5, al. 2, LAsi: il n'a une valeur absolue et inconditionnelle que dans le premier cas.

L'art. 25, al. 3, Cst. prévoit une interdiction totale de refouler quiconque sur le territoire d'un État dans lequel il risque la torture ou tout autre traitement ou peine cruels

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RS 0.353.3 RS 0.353.21 RS 0.353.22 RS 0.353.23 RS 0.747.712 RS 0.748.710.5 RS 101 RS 142.31

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et inhumains. Il englobe toutes les catégories de personnes44 et correspond à l'art. 3 CEDH. Les art. 25, al. 3, Cst. et 3 CEDH sont en outre à l'origine de l'interdiction d'extradition prévue par l'art. 2 de la loi du 20 mars 1981 sur l'entraide pénale internationale (EIMP)45.

Le principe du non-refoulement visé à l'art. 25, al. 3, Cst. coïncide avec l'essence des droits fondamentaux46. Cette dernière est à ce point capitale qu'elle est inviolable en toute circonstance (art. 36, al. 4, Cst.)

même dans le contexte du terrorisme47. Toute modification de la Constitution violant le jus cogens ne peut déployer d'effet. Les règles impératives du droit international constituent donc une limite matérielle à la fois pour les révisions constitutionnelles proposées et préparées par les autorités et pour celles provenant d'initiatives populaires48.

Conclusions Le Conseil fédéral souligne que les actes commis par un État en violation du droit international ont des conséquences. Une telle violation engage dans tous les cas la responsabilité de l'État en matière de droit international. S'il s'agit de traités sur les droits de l'homme, l'État concerné est en outre susceptible d'être sanctionné et exclu des organisations internationales. En cas de conflit de normes internationales, il y a deux options: renégocier le traité, dans la mesure où cela est autorisé, ou bien le dénoncer. Dans les faits, la mise en oeuvre de la motion nécessiterait de dénoncer la CEDH et la CAT pour éviter toute violation de ces traités internationaux.

La dénonciation de la CEDH obligerait probablement la Suisse à quitter le Conseil de l'Europe, dont notre pays a adopté les valeurs fondamentales en matière de droits de l'homme et de démocratie. Cette dénonciation aurait également des conséquences importantes pour les citoyens de la Suisse, qui se verraient priver d'un accès à une institution centrale de défense internationale des droits de l'homme49. Une telle mesure aurait également de graves conséquences sur la réputation internationale de la Suisse.

Le Conseil fédéral a déjà souligné plusieurs fois, en d'autres occasions, qu'une dénonciation de la CEDH n'entrait pas en ligne de compte, pour des motifs aussi bien politiques que juridiques50. La situation est encore plus claire en ce qui concerne le Pacte II de l'ONU: il ne contient
à dessein aucune clause de dénonciation, si bien que la question d'une dénonciation ne se pose même pas. La mise en oeuvre de la motion créerait une contradiction insurmontable avec le principe du non-refoulement. En outre, l'art. 25, al. 3, Cst. relevant du droit international impératif (jus cogens), sa mo-

44 45 46 47 48 49

50

Giovanni Biaggini, Bundesverfassung der Schweizerischen Eidgenossenschaft, Kommentar, 2e édition, Zurich, 2017, ch. 12 relatif à l'art. 25 Cst.

RS 351.1 Regina Kiener, Walter Kälin, Grundrechte, 2e édition, Berne, 2013, p. 198.

Eva Maria Belser, Bernhard Waldmann, Eva Molinari, Grundrechte I, Allgemeine Grundrechtslehren, Zurich, Bâle, Genève, 2012, p. 29.

Rapport additionnel du 30 mars 2011 du Conseil fédéral au rapport du 5 mars 2010 sur la relation entre droit international et droit interne, FF 2011 3401, ici 3629.

40 ans d'adhésion de la Suisse à la CEDH: Bilan et perspectives. Rapport du 12 décembre 2013 du Conseil fédéral en exécution du postulat Stöckli 13.4187, FF 2015 353, ici 399.

Message du 23 octobre 2013 concernant l'initiative populaire «Halte à la surpopulation ­ Oui à la préservation durable des ressources naturelles», FF 2013 7783, ici 7833.

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dification, le cas échéant, ne pourrait pas déployer d'effet. Compte tenu de cette situation juridique, la mise en oeuvre de la motion constituerait un abandon du principe de l'État de droit au sens traditionnel du terme.

2.2

Aspects humanitaires

La torture et les mauvais traitements vont à l'encontre de la dignité et de la sécurité humaines. Ils détruisent des familles et des sociétés entières. Ils constituent un danger pour la coexistence pacifique et la paix durable entre les peuples, et entravent le développement économique. L'engagement de la Suisse pour un monde sans torture ni mauvais traitements repose notamment sur sa tradition humanitaire51. La Suisse se mobilise pour que l'interdiction absolue et universelle de la torture soit respectée et s'engage, aussi bien au niveau bilatéral que multilatéral, en faveur d'un renforcement du cadre juridique régissant la protection contre la torture et les mauvais traitements52.

Elle est favorable à une tolérance zéro vis-à-vis des pratiques de torture.53 La Suisse s'engage depuis toujours en faveur du renforcement des droits de l'homme et s'efforce de promouvoir l'application des normes internationales en la matière. Elle attache une grande importance au respect des droits de l'homme et du droit international humanitaire, y compris dans la lutte contre le terrorisme. Elle a répété et confirmé cette position à plusieurs reprises au sein d'organes multilatéraux et vis-à-vis de nombreux États.

Le Conseil fédéral estime donc que, en raison de sa tradition humanitaire, la Suisse ne peut pas renvoyer une personne dans un État où cette dernière risque la torture ou tout autre traitement cruel ou inhumain, même si cette personne représente une menace pour la sécurité intérieure de la Suisse. Il fait en outre remarquer que la Suisse ne pourrait guère oeuvrer de manière crédible au niveau international pour le respect des droits de l'homme si elle violait le principe du non-refoulement.

2.3

Aspects politiques

Le 14 mars 1996, le Parlement a déclaré nulle l'initiative populaire «pour une politique d'asile raisonnable» lancée par les Démocrates Suisses, pour cause de violation du principe du non-refoulement. Les auteurs de l'initiative voulaient que les requérants d'asile entrés clandestinement en Suisse fussent expulsés immédiatement, sans que les autorités examinassent s'ils eussent été exposés de ce fait à la persécution ou

51 52 53

Plan d'action du DFAE contre la torture, p. 3 et 6, consultable sur www.dfae.admin.ch/ publications (état au 12.7.2019).

Rapport du 30 janvier 2019 sur la politique extérieure 2018, FF 2019 1483, ici 1559.

Huitième rapport périodique de mai 2019 de la Suisse à l'intention du Comité de l'ONU contre la torture (CAT), p. 3, consultable sur www.admin.ch > Documentation > Communiqués (état au 12.1.2022).

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à la torture.54 En décidant en 1996 de déclarer nulle cette initiative, le Parlement a réaffirmé sa position sur les principes juridiques les plus fondamentaux.

L'engagement de la Suisse en faveur des droits de l'homme n'est pas seulement inscrit dans la Constitution (cf. art. 54, al. 2, Cst.); il constitue également un élément essentiel de la conscience nationale et de la tradition de la Suisse. De plus, en tant que siège du Haut-Commissariat aux droits de l'homme, auquel sont rattachés les mécanismes de surveillance concernés, et du Conseil des droits de l'homme deux organes de l'ONU , la Suisse est particulièrement exposée aux questions relatives aux droits de l'homme. Si la motion était mise en oeuvre, la Suisse serait le seul État européen à ne pas reconnaître le caractère absolu du principe du non-refoulement. Sa réputation et sa crédibilité en seraient fortement entamées et ses relations internationales en pâtiraient.

Même si la menace actuelle et les dangers du terrorisme représentent des défis de taille pour la Suisse, le Conseil fédéral est fermement convaincu qu'il faut continuer à défendre les principes fondamentaux du droit et à lutter contre cette menace par d'autres moyens, y compris pour des raisons liées aux institutions politiques.

2.4

Aspects sécuritaires

La menace terroriste en Suisse s'est accrue depuis novembre 2015. Conscient des menaces actuelles, le Conseil fédéral a adopté le 18 septembre 2015 la stratégie de la Suisse pour la lutte antiterroriste55. Il a encore renforcé le dispositif de sécurité avec la loi fédérale du 25 septembre 2015 sur le renseignement (LRens)56, qui est entrée en vigueur le 1er septembre 2017. Le 1er décembre 2017, le Conseil fédéral a pris acte du plan d'action national de lutte contre la radicalisation et l'extrémisme violent57. Enfin, la coordination opérationnelle TETRA (Terrorist Tracking) est un organe dirigé par fedpol qui associe tous les acteurs des autorités compétentes en matière de sécurité, de poursuite pénale et de migration ainsi que d'autres autorités de la Confédération et des cantons, qui leur sert de plateforme de coordination et qui définit et perfectionne des mesures et des processus58.

Le 25 septembre 2020, le Parlement a décidé de renforcer l'arsenal pénal antiterroriste, en créant une nouvelle disposition pénale contre le recrutement, la formation et le voyage qui visent à commettre un acte terroriste et en durcissant la norme pénale contre la participation et le soutien à une organisation criminelle ou terroriste (alourdissement de la peine encourue et élargissement du champ d'application de la disposition). La nouvelle réglementation est entrée en vigueur le 1er juillet 2021. L'EIMP, 54 55 56 57

58

Message du 22 juin 1994 concernant les initiatives populaires «pour une politique d'asile raisonnable» et «contre l'immigration clandestine», FF 1994 III 1471.

FF 2015 6843 RS 121 Plan d'action national du 4 décembre 2017 de lutte contre la radicalisation et l'extrémisme violent, consultable sur www.dfjp.admin.ch > News > 2017 > Plan d'action national de lutte contre la radicalisation et l'extrémisme violent (état au 12.7.2019).

Consultable sur www.fedpol.admin.ch > Terrorisme > La Suisse est active (état au 12.7.2019).

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la loi du 10 octobre 1997 sur le blanchiment d'argent59 et la LRens ont également été modifiées.

Le même jour, le Parlement a adopté la loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT)60. La population a dit oui à cette loi le 13 juin 2021 par 56,58 % des voix. Les nouvelles dispositions permettent à la police d'intervenir plus tôt, à titre préventif, lorsque des indices concrets et actuels montrent qu'une personne présente un risque terroriste. Sur demande d'un canton, du Service de renseignement de la Confédération ou même d'une commune, un terroriste potentiel pourra être obligé de se présenter régulièrement auprès d'un service cantonal ou communal pour participer à des entretiens. Les autres mesures possibles sont l'interdiction de contact, l'interdiction de quitter le territoire, l'interdiction géographique et, dans des cas extrêmes, l'assignation à résidence. Ces nouvelles mesures de police préventive ont pour but d'empêcher des attentats et de renforcer la sécurité de la population. En rapport avec la MPT, la LEI a elle aussi été révisée. Désormais, la détention en phase préparatoire (art. 75 LEI) peut également être appliquée aux cas d'expulsion prévus par l'art. 68 LEI. Un nouveau motif de détention a en outre été créé pour la détention en phase préparatoire et la détention en vue du renvoi ou de l'expulsion: la menace pour la sécurité intérieure ou extérieure. Autre nouveauté: dès qu'une expulsion prononcée à l'encontre d'un étranger entre en force, l'admission provisoire prend fin ou ne peut plus être ordonnée (art. 83, al. 9, LEI)61. L'ancienne réglementation prévoyait seulement la fin de l'admission provisoire lorsqu'une expulsion pénale prononcée à l'encontre d'un étranger entrait en force.

Par ailleurs, pendant la procédure pénale, un prévenu peut être placé en détention provisoire ou en détention pour des motifs de sûreté s'il est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit et s'il y a sérieusement lieu de craindre qu'il compromette sérieusement la sécurité d'autrui par des crimes ou des délits graves après avoir déjà commis des infractions du même genre (risque de récidive; art. 221, al. 1, let. c, du code de procédure pénale, CPP62). Une personne peut également être placée en détention s'il y a sérieusement lieu de craindre qu'elle passe
à l'acte après avoir menacé de commettre un crime grave (risque de passage à l'acte; art. 221, al. 2, CPP).

Enfin, il est possible, dans certaines circonstances, de placer les personnes atteintes de troubles psychiques dans un établissement de détention préventive. La première des mesures envisagées est le placement à des fins d'assistance au sens des art. 426 ss du code civil (CC)63 64.

59 60 61 62 63 64

RS 955.0 FF 2020 7499 Message du 22 mai 2019 concernant la loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme, FF 2019 4541, ici 4553, 4594 et 4598.

RS 312.0 RS 210 Motion 20.4358 de Quattro du 30 novembre 2020 «Mieux évaluer, avant sa libération, la menace terroriste que représente une personne».

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3

Possibilités en cas d'obstacles à l'exécution

Les assurances diplomatiques peuvent, dans certaines conditions, être un moyen propre à garantir le respect de l'interdiction de la torture dans un cas donné65. Ce moyen consiste en ce qu'un État s'appuie sur les assurances données par l'État de destination selon lesquelles certaines garanties en matière de droits de l'homme seront respectées et, en particulier, que la personne à expulser, à refouler ou à extrader ne risque pas d'être soumise à la torture ou à d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

La Suisse a déjà autorisé à plusieurs reprises des extraditions en obtenant des assurances diplomatiques. Le Tribunal fédéral exige que ces assurances éliminent ledit risque dans le cas d'espèce ou, tout au moins, qu'elles le réduisent à un niveau si faible qu'il ne semble plus que théorique66. Dans le cas d'une extradition, l'État requérant a tout intérêt à ce que les assurances données soient respectées, faute de quoi la poursuite de la coopération en matière d'extradition serait compromise.

Dans le cas d'une expulsion, en revanche, l'État qui fournit une assurance n'a pas un intérêt aussi fort à ce qu'elle soit respectée, raison pour laquelle la Suisse n'a jamais exécuté d'expulsion sur la base d'assurances diplomatiques. En principe, le droit national et le droit international ne s'opposent pas à l'obtention d'assurances diplomatiques, même en cas d'expulsion. Il faut respecter les exigences de la Constitution et du droit international. Selon la jurisprudence de la Cour EDH, les assurances doivent être suffisantes dans le cas d'espèce pour exclure tout risque réel de mauvais traitement. Dans de rares cas, la Cour EDH considère que les assurances diplomatiques sont sans importance, en raison de la situation générale que connaît l'État de destination en matière de droits de l'homme. En règle générale, elle examine d'abord la qualité des assurances, puis leur fiabilité au vu de la pratique dans l'État de destination.

Elle vérifie notamment s'il s'agit d'assurances spécifiques, si l'autorité émettrice peut obliger l'État de destination et si le respect des assurances est objectivement constatable par des mécanismes diplomatiques ou autres, y compris par un accès sans entrave aux représentants juridiques de la personne concernée67.

La question de l'admissibilité des assurances
diplomatiques est également examinée par le Comité de l'ONU contre la torture68 et le Comité des droits de l'homme de l'ONU dans le cadre de procédures de communications individuelles, le plus souvent en rapport avec des extraditions. Les deux comités sont de plus en plus critiques à l'égard du recours aux assurances diplomatiques. Dans leur pratique, ils ne l'ont pas exclu par principe, mais ils l'ont jugé inadéquat dans la plupart des cas.

65

66 67 68

Jan Schneider, Schutz vor Folter durch einstweilige Massnahmen bzw. durch diplomatische Zusicherungen, Überlegungen anlässlich der Entscheidung des UN-Ausschusses gegen Folter im Fall Abichou gegen Deutschland, Europäische Grundrechte-Zeitschrift, 2014, p. 168 à 176, ici p. 174.

ATF 134 IV 156 consid. 6.13 Arrêt du 17 janvier 2012 de la Cour EDH en l'affaire Othman (Abou Qatada) c.

Royaume-Uni, no 8139/09, § 188 s.

Décision du 20 mai 2005 du Comité de l'ONU contre la torture en l'affaire Agiza c.

Suède, no 233/2003, ch. 13.2 ss.

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Outre les considérations juridiques, il ne faut pas sous-estimer les difficultés que pose la faisabilité pratique d'une expulsion fondée sur des assurances diplomatiques. Dans l'État de destination, il est nécessaire d'avoir comme interlocuteur officiel une autorité disposée à coopérer avec les autorités suisses. Il faut également que la représentation suisse à l'étranger qui est responsable de l'État de destination soit en mesure, sur les plans juridique et pratique, de vérifier que les assurances sont respectées dans cet État ou de le faire vérifier par un organisme indépendant.

Le Conseil fédéral s'efforce en tous les cas d'obtenir des assurances diplomatiques dans des cas d'expulsion de personnes qui menacent la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse dans le respect de la Constitution et du droit international, et notamment des critères définis par la Cour EDH. Une grande prudence est toutefois de mise, car l'expérience d'autres États a montré que les assurances diplomatiques ne sont pas toujours respectées par l'État de destination69.

4

Bilan et proposition de classement

En résumé, les arguments suivants s'opposent à la mise en oeuvre de la motion:

69

­

Le principe du non-refoulement repose non seulement sur la Constitution et sur des traités, mais aussi sur le droit international coutumier à caractère impératif (jus cogens). La Suisse ne peut pas déroger à ce principe en dénonçant les traités concernés. La contradiction entre la mise en oeuvre de la motion et le principe du non-refoulement est donc insurmontable.

­

Le Conseil fédéral estime que le principe du non-refoulement constitue l'un des droits fondamentaux et l'un des droits de l'homme les plus importants ainsi qu'une pierre angulaire de la politique de la Suisse en matière de migration et de droits de l'homme. Ce principe est notamment inscrit dans la conv.

Réfugiés, la CEDH, la CAT, le Pacte II de l'ONU, la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et même dans différentes conventions internationales relatives à la lutte contre les actes terroristes.

­

Si la motion était mise en oeuvre, l'art. 25, al. 3, Cst. serait inévitablement violé. Une disposition constitutionnelle acceptée par le peuple et les cantons peut certes être modifiée, voire abrogée, par une nouvelle votation populaire.

Mais toute modification de l'art. 25, al. 3, Cst. serait sans effet, car cette disposition relève du droit international impératif (jus cogens).

­

La Suisse attache une grande importance au respect du droit international humanitaire et des droits de l'homme garantis par le droit international. Cela vaut bien entendu également dans la lutte contre le terrorisme. Aux yeux du Conseil fédéral, il est dans l'intérêt de la Suisse et de sa réputation humanitaire sur la scène internationale de combattre le terrorisme par des moyens conformes à l'État de droit, dans le respect des droits de l'homme et du droit Décision du 20 mai 2005 du Comité de l'ONU contre la torture en l'affaire Agiza c.

Suède, no 233/2003.

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international. Si la motion était mise en oeuvre, la Suisse serait en outre le seul État européen à ne plus reconnaître le caractère absolu du principe du nonrefoulement.

­

La torture et les mauvais traitements portent atteinte à la dignité et menacent la sécurité humaine. Ils détruisent des familles et des sociétés entières. Ils constituent une menace pour la cohabitation pacifique et la paix durable et entravent le développement économique. Le Conseil fédéral estime qu'une violation du principe du non-refoulement marquerait une rupture complète avec la tradition humanitaire de la Suisse.

­

En 1996, le Parlement a clairement affirmé sa volonté que la Suisse respecte le principe du non-refoulement, en déclarant nulle l'initiative populaire «pour une politique d'asile raisonnable» pour cause de violation dudit principe.

Abandonner le principe du non-refoulement reviendrait à contredire la position adoptée à l'époque par le Parlement.

­

Le Conseil fédéral exploite de manière conséquente les possibilités juridiques existantes pour garantir la sécurité de la Suisse. Il est possible, à partir d'un examen au cas par cas, d'expulser une personne qui menace la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse vers un pays qui n'est pas considéré comme sûr. À cet égard, le Conseil fédéral est prêt à prendre en considération des assurances diplomatiques, dans le respect de la Constitution et du droit international, et notamment des critères définis par la Cour EDH.

La preuve étant faite qu'elle est juridiquement impossible à mettre en oeuvre, le Conseil fédéral propose de classer la motion.

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