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Recours du Conseil fédéral et de l'OFSP aux connaissances scientifiques pour la gestion de la crise du coronavirus Rapport de la Commission de gestion du Conseil national du 30 juin 2023

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L'essentiel en bref La pandémie de COVID-19 a mis en évidence le rôle crucial des connaissances scientifiques pour lutter contre les épidémies et, de manière plus générale, contre les crises de grande ampleur. La manière dont les autorités fédérales compétentes (en particulier l'Office fédéral de la santé publique [OFSP] et le Département fédéral de l'intérieur [DFI]) ont utilisé les connaissances scientifiques durant la pandémie de COVID-19 a toutefois fait l'objet de diverses critiques. Dans ce contexte, les Commissions de gestion des Chambres fédérales (CdG) ont chargé le Contrôle parlementaire de l'administration (CPA) de procéder à une évaluation à ce sujet. Sur la base de cette analyse et de ses propres clarifications, la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) fait part, dans le présent rapport, de son appréciation du point de vue de la haute surveillance parlementaire et formule 8 recommandations à l'intention du Conseil fédéral.

La CdG-N arrive à la conclusion que l'utilisation des connaissances scientifiques par les autorités fédérales pour faire face à la pandémie de COVID-19 a été partiellement adéquate. Elle salue les efforts du DFI et de l'OFSP pour permettre au Conseil fédéral de prendre, durant la crise, des décisions fondées sur le plan scientifique. L'OFSP a bénéficié d'un réseau lui permettant de disposer des connaissances scientifiques nécessaires et l'utilisation de ces connaissances a pu être améliorée au cours de la crise.

Toutefois, cet épisode a mis au jour une claire nécessité d'amélioration sur plusieurs points, tels que le traitement des informations scientifiques par l'OFSP et la communication publique. Si elle constate avec satisfaction que le Conseil fédéral a déjà tiré certains enseignements, la commission met en évidence dans son rapport plusieurs problématiques de fond qui doivent encore être clarifiées.

La CdG-N relève que l'OFSP s'est basé sur des sources variées et actuelles pour remplir son mandat durant la pandémie. Néanmoins, plusieurs faiblesses ont été constatées concernant la collecte et le traitement des informations scientifiques par l'office, en particulier durant les premières semaines de la crise. Ainsi, l'OFSP a constitué son réseau scientifique de manière trop tardive et sans véritable stratégie; les échanges avec les milieux scientifiques
étaient, dans un premier temps, empreints de confusion et de méfiance; enfin, les processus de traitement et d'utilisation des informations au sein de l'office n'était pas réglé de manière claire. La CdG-N juge essentiel que l'OFSP se dote pour l'avenir d'un concept concernant la construction et l'exploitation de son réseau scientifique ainsi que de critères et processus clairs pour le tri et le traitement des informations scientifiques en cas de crise (recommandation 3).

Une autre faiblesse est que le recours aux connaissances scientifiques était peu concrétisé dans les bases juridiques et stratégiques ayant guidé la réponse des autorités face à la pandémie. La CdG-N invite le Conseil fédéral à régler cet aspect de manière plus précise, non seulement dans le domaine de la lutte contre les épidémies (recommandation 1), mais également de manière plus générale dans la gestion des risques et des crises de la Confédération (recommandation 2).

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La CdG-N tire un bilan globalement positif de l'action de la taskforce scientifique nationale (SN-STF). Elle salue la proposition du Conseil fédéral d'instituer, en vue de crises futures, des organes consultatifs scientifiques ad hoc reposant sur un réseau interdisciplinaire et l'invite à concrétiser rapidement cette proposition. Dans son rapport, la commission souligne différents aspects qui devront de son point de vue impérativement être clarifiés lors des travaux de mise en oeuvre (recommandation 4). Elle estime en outre que le Conseil fédéral devrait encadrer plus clairement l'attribution de mandats de conseil scientifique à des prestataires externes en cas de crise (recommandation 5). Enfin, elle invite le Conseil fédéral à procéder à une analyse approfondie du rôle de la Commission fédérale pour la préparation et la gestion en cas de pandémie (CFP), celle-ci n'ayant pas assumé la fonction attendue durant la crise du COVID-19 (recommandation 6).

En ce qui concerne la prise en compte des connaissances scientifiques dans le processus décisionnel, la CdG-N salue les efforts du DFI et de l'OFSP pour permettre au Conseil fédéral de prendre des décisions aussi fondées que possible durant la pandémie. Elle relève toutefois que les connaissances scientifiques n'ont pas toujours été présentées de manière transparente dans les bases de décision transmises au Conseil fédéral, par exemple en ce qui concerne le port du masque ou les connaissances sur la transmission du virus. La commission invite le Conseil fédéral à s'assurer qu'à l'avenir, les bases de décision présentent toujours de manière transparente et synthétique les connaissances et avis scientifiques sur le thème concerné, mais également les points d'incertitude ou de dissension (recommandation 7). Les clarifications de la CdG-N montrent enfin que le Conseil fédéral, dans sa prise de décision finale, n'a pas uniquement tenu compte des considérations scientifiques, mais également d'autres intérêts. Lorsque le Conseil fédéral a adopté une décision divergente de l'avis des experts scientifiques, il l'a fait en connaissance de cause, en précisant les raisons de son choix.

Enfin, la commission arrive à la conclusion que les connaissances scientifiques ont été relativement peu valorisées dans la communication publique des autorités fédérales
(conférences de presse et dossiers de presse). L'OFSP, en particulier, a fait peu référence à de telles connaissances, contrairement à ce que son rôle d'unité spécialisée pouvait laisser attendre. La communication de l'office sur le port du masque au printemps 2020 n'a notamment pas été appropriée, de l'avis de la commission. La CdG-N est consciente que la communication publique des informations scientifiques est un défi à plusieurs égards; elle prie toutefois le Conseil fédéral d'examiner dans quelle mesure les processus et prescriptions en la matière peuvent être améliorés (recommandation 8).

Enfin, la commission tire un bilan nuancé concernant la répartition des rôles en matière de communication entre l'administration fédérale et la SN-STF. Cet aspect n'avait pas été suffisamment anticipé par les acteurs concernés et a mis du temps à être clarifié, ce qui a nui à la crédibilité de la communication. La commission estime que cet aspect doit être clarifié par le Conseil fédéral au cours des prochains mois.

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Table des matières L'essentiel en bref

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Introduction 1.1 Contexte 1.2 Objet de l'évaluation et méthode 1.3 Autres évaluations et rapports portant sur l'utilisation des connaissances scientifiques durant la pandémie de COVID-19

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Constatations et recommandations 2.1 Bases juridiques et stratégiques 2.2 Organisation et processus de traitement des connaissances scientifiques 2.2.1 Organisation et processus au sein de l'OFSP 2.2.2 Rôle de la SN-STF 2.2.3 Mandats-cadres aux organes de conseil scientifique 2.2.4 Rôle de la Commission fédérale pour la préparation et la gestion en cas de pandémie 2.3 Prise en compte des connaissances scientifiques dans le processus décisionnel 2.3.1 Bases de décision soumises au Conseil fédéral 2.3.2 Décisions du Conseil fédéral 2.4 Communication publique des connaissances scientifiques 2.4.1 Contenu de la communication des autorités 2.4.2 Répartition des rôles en matière de communication

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Conclusions

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Abréviations

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Rapport 1

Introduction

1.1

Contexte

La pandémie de coronavirus COVID-191 à laquelle la Suisse a été confrontée à partir de 2020 a mis en évidence le rôle crucial de la disponibilité et de la gestion des connaissances scientifiques pour lutter contre les épidémies et, de manière plus générale, contre les crises de grande ampleur. Le manque de connaissances scientifiques2 concernant ce nouveau virus ­ en particulier au début de la pandémie ­ a placé les autorités face à de grandes incertitudes. Pour évaluer la situation épidémiologique et définir les mesures de lutte contre le COVID-19, le Conseil fédéral s'est basé principalement sur l'appréciation et les propositions du Département fédéral de l'intérieur (DFI) et de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) en leur qualité d'unités de la Confédération compétentes pour la lutte contre les maladies transmissibles. De plus, pour intégrer les connaissances scientifiques dans les décisions du Conseil fédéral, les autorités fédérales ont entretenu des contacts avec de nombreux experts du monde scientifique. Dans ce contexte, la «Swiss National COVID-19 Science Task Force» (SN-STF), active entre fin mars 2020 et fin mars 2022, a joué un rôle déterminant en tant que principal organe de conseil scientifique du pays sur le COVID-19.

La manière dont les autorités fédérales ont utilisé les connaissances scientifiques durant la pandémie a fait l'objet de diverses critiques, au sein des milieux scientifiques eux-mêmes, mais également dans le monde politique et dans la discussion publique.

Il a notamment été reproché à l'OFSP d'avoir négligé certains milieux spécialisés et de n'avoir institutionnalisé que tardivement les échanges avec les scientifiques. Des critiques ont également été soulevées concernant la façon dont les connaissances scientifiques ont été analysées, prises en compte dans les décisions des autorités et communiquées au public. Diverses interventions parlementaires ont été déposées, notamment sur la manière dont le conseil scientifique en période de crise devrait être organisé à l'avenir3.

Au vu des questions de portée générale soulevées par ce sujet, les Commissions de gestion des Chambres fédérales (CdG) ont chargé, lors de leur séance du 26 janvier 2021, le Contrôle parlementaire de l'administration (CPA) de procéder à une évaluation de l'utilisation des connaissances scientifiques par l'OFSP durant la crise du coronavirus.

1 2

3

Ci-après: «crise du COVID-19», «crise», «pandémie de COVID-19» ou «pandémie».

Dans le présent rapport, le terme générique de «connaissances scientifiques» se réfère en particulier aux connaissances scientifiques dans le domaine épidémiologique. Le recours aux connaissances scientifiques dans d'autres domaines (p. ex. économie, sciences sociales, etc.) n'est pas approfondi ici.

Cf. notamment Po. Michel «Mettre à profit le potentiel scientifique en période de crise» du 5.5.2020 (20.3280), Po. de Quattro «Un centre de compétence pour gérer l'après COVID-19» du 8.6.2020 (20.3542), Mo. Français «Post-COVID-19. Pour une plateforme permanente d'experts scientifiques» du 17.3.2021 (21.3225), Mo. Wettstein «Création d'un centre d'alerte national sur les pandémies» du 7.6.2021 (21.3647) ou Po. Rytz Regula «Promouvoir activement le dialogue entre milieux scientifiques et politiques» du 1.10.2021 (21.4320).

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L'objet a été attribué à la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N). Cette démarche s'inscrit dans le cadre de l'inspection des CdG portant sur la gestion de la crise du COVID-19 par le Conseil fédéral et l'administration fédérale, lancée en 20204.

1.2

Objet de l'évaluation et méthode

La sous-commission DFI/DETEC de la CdG-N5, compétente pour ce dossier, a circonscrit plus en détail l'objet de l'évaluation en avril 2021. Elle a chargé le CPA d'approfondir quatre aspects de la thématique6: la manière dont la prise en compte des connaissances scientifiques est régie dans les bases juridiques et stratégiques pertinentes, l'organisation et les processus de traitement des connaissances scientifiques au sein de l'OFSP, la prise en compte des connaissances scientifiques dans les bases de décision élaborées par l'office et enfin la communication publique des autorités fédérales concernant les connaissances scientifiques7.

L'évaluation du CPA a porté sur la période allant de janvier 2020 à mars 2021. Dans ce cadre, le CPA a procédé à une analyse documentaire et a mené une trentaine d'entretiens avec divers acteurs du dossier. Afin de retracer de manière concrète le traitement et la prise en compte des connaissances scientifiques dans la préparation des décisions du Conseil fédéral, le CPA a par ailleurs procédé à cinq études de cas approfondies8. La sous-commission DFI/DETEC a décidé que celles-ci porteraient sur les aspects suivants, tous liés à la thématique scientifique de la transmission du virus: port du masque, restrictions liées aux rencontres privées, restrictions liées aux grands évènements, restrictions liées aux restaurants et bars et restrictions liées aux écoles et universités. Pour chaque étude de cas, une analyse chronologique des connaissances scientifiques a été établie avec le soutien d'un épidémiologiste9. Enfin, un mandat a été confié par le CPA à trois spécialistes externes pour procéder à une analyse quantitative et qualitative de la communication publique des autorités fédérales concernant

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Les CdG lancent une inspection visant à analyser la gestion de la pandémie de Covid-19 par les autorités fédérales, communiqué de presse des CdG du 26.5.2020. Un aperçu des thèmes abordés par les CdG dans le cadre de cette inspection est disponible dans les Rapports annuels 2020, 2021 et 2022 des CdG et de la Délégation des CdG du 26.1.2021, du 25.1.2022 et du 24.1.2023, chap. 4 (FF 2021 570; 2022 513; 2023 579).

La sous-commission DFI/DETEC de la CdG-N se compose des conseillères nationales et conseillers nationaux Thomas de Courten (président), Angelo Barrile, Katja Christ, Alois Huber, Christian Imark, Matthias Samuel Jauslin, Priska Seiler Graf, Marianne Streiff-Feller (jusqu'à août 2022), Lilian Studer (à partir d'août 2022) et Michael Töngi.

Cf. à ce sujet: Utilisation des connaissances scientifiques par l'OFSP durant la crise du coronavirus, rapport du CPA du 24.8.2022 à l'intention de la Commission de gestion du Conseil national (ci-après: «rapport du CPA du 24.8.2022»), ch. 1.1.

Ces quatre aspects correspondent aux différentes étapes de l'utilisation des connaissances scientifiques par l'administration, cf. rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 2 et figure 2.

Cf. rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 1.2.

Cf. rapport du CPA du 24.8.2022, annexe 3.

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les connaissances scientifiques10. Les résultats complets de cette analyse sont consignés dans un rapport séparé11.

La sous-commission DFI/DETEC de la CdG-N a pris connaissance du rapport d'évaluation du CPA12 lors de sa séance du 7 septembre 2022. Sur cette base scientifique, elle a élaboré le présent rapport, contenant ses conclusions du point de vue de la haute surveillance parlementaire.

La CdG-N a intégré dans son appréciation les résultats de différentes clarifications complémentaires qu'elle a menées en marge de l'évaluation du CPA. Elle s'est notamment penchée sur plusieurs évaluations concernant l'utilisation des connaissances scientifiques durant la pandémie (cf. ch. 1.3). Elle a également intégré dans son analyse des informations issues de diverses auditions13. Enfin, elle a procédé à des approfondissements focalisés concernant la prise en compte des connaissances scientifiques lors de certaines décisions du Conseil fédéral relatives au COVID-19; à ce propos, elle a adressé en 2021 et 2022 des questions écrites aux entités fédérales concernées et s'est fait remettre différents documents de l'administration.

L'évaluation du CPA s'est focalisée sur la prise en compte des connaissances scientifique dans la préparation des décisions du Conseil fédéral relatives aux mesures sanitaires. Elle n'avait par contre pas pour objectif d'évaluer les décisions du Conseil fédéral en tant que telles, qui représentent le résultat d'une pesée des intérêts dans laquelle des critères autres que les aspects scientifiques sont également pris en considération14. La CdG-N, de son côté, approfondit cette question de manière ponctuelle dans le présent rapport (cf. ci-après, ch. 2.3.2).

Sur le plan temporel, l'évaluation du CPA porte sur la période allant de début 2020 à fin mars 2021. La CdG-N a également pris en compte dans ses clarifications complémentaires certaines décisions du Conseil fédéral durant la période allant jusqu'à fin mars 2022 (fin de la «situation particulière» au sens de la loi sur les épidémies [LEp]15).

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14 15

L'analyse s'est concentrée sur la communication en lien avec deux études de cas, à savoir celle sur le port du masque et celle sur les restrictions concernant les rencontres privées.

Oehmer-Pedrazzi, Franziska / Pedrazzi, Stefano / Schneider, Jörg (2022): Analyse der öffentlichen Kommunikation der wissenschaftlichen Erkenntnisse zum neuen Coronavirus.

Bericht im Auftrag der PVK (disponible sur la page Internet des CdG, www.parlement.ch > Organes > Commissions > Commissions de surveillance).

Rapport du CPA du 24.8.2022.

Notamment: audition du 12.11.2020 (sous-commission DFI/DETEC de la CdG-N) avec Martin Ackermann (à l'époque président de la SN-STF) et Matthias Egger (ancien président de la SN-STF); audition du 28.6.2022 (CdG-N) avec Alain Berset (conseiller fédéral, chef du DFI), Anne Lévy (directrice de l'OFSP) et Andreas Balthasar (Bureau Interface); audition du 21.10.2022 (CdG-E) avec Alain Berset (conseiller fédéral, chef du DFI), Anne Lévy (directrice de l'OFSP) et Andreas Balthasar (Bureau Interface).

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 1.3.

Loi fédérale du 28.9.2012 sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme (Loi sur les épidémies, LEp; RS 818.101).

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Le présent rapport a été soumis à consultation auprès des autorités fédérales concernées. Lors de sa séance plénière du 30 juin 2023, la CdG-N a traité et approuvé le projet de rapport final, y compris les recommandations qui y sont formulées. Elle l'a adressé au Conseil fédéral accompagné du rapport d'évaluation du CPA et de publier les deux documents.

Au ch. 1.3, la CdG-N présente brièvement les conclusions qu'elle juge importantes issues des principales évaluations déjà publiées sur le thème de l'utilisation des connaissances scientifiques durant la pandémie de COVID-19. Ensuite, au ch. 2, la CdGN évalue les principales constatations du CPA et en déduit des recommandations à l'intention du Conseil fédéral16. Le ch. 3 est consacré aux conclusions.

1.3

Autres évaluations et rapports portant sur l'utilisation des connaissances scientifiques durant la pandémie de COVID-19

Plusieurs évaluations et rapports déjà publiés en lien avec la pandémie de COVID-19 ont porté sur l'utilisation des connaissances scientifiques par les autorités fédérales ou sur les liens entre l'administration et les milieux scientifiques. Ci-après, la CdG-N présente brièvement les conclusions des principales d'entre elles; les éléments les plus importants de ces évaluations sont repris au ch. 2.

Premier rapport d'évaluation de la gestion de crise de la Chancellerie fédérale (ChF): Dans son rapport de décembre 2020 concernant la gestion de la première phase de la pandémie (janvier à juin 2020)17, la ChF souligne que le recours aux experts scientifiques a été trop tardif au début de la crise et que la collaboration a parfois été difficile et empreinte de méfiance. Elle relève que la création de la SN-STF a ensuite permis d'améliorer cette collaboration. La recommandation no 10 invite les départements et la ChF à «s'assurer qu'ils seront en mesure d'intégrer leurs réseaux existants dans la gestion de crise de l'administration fédérale».

Rapport final de la SN-STF: Le 29 mars 2022, la SN-STF a publié un rapport présentant le bilan de ses 24 mois d'activité18. Ce document présente une appréciation globalement positive de l'activité de la SN-STF durant la crise, relevant que celle-ci a pu, grâce à son approche interdisciplinaire, contribuer à ce que «les décisionnaires suisses disposent de connaissances scientifiques actuelles et pertinentes». Il souligne l'absence, en début de crise, de processus établi pour la constitution d'un groupe de suivi scientifique et le rôle décisif joué par les institutions académiques dans la mise en place de l'organe. Il insiste également sur l'importance d'une séparation claire des rôles entre le processus de décision politique et le conseil scientifique. La SN-STF 16

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18

La CdG-N ne restitue les explications et les commentaires du CPA que dans la mesure où la compréhension de ses propres jugements et conclusions l'exige. Pour les résultats détaillés de l'évaluation, elle renvoie au rapport du CPA.

Rapport de la ChF du 11.12.2020 concernant l'évaluation de la gestion de crise pendant la pandémie de COVID-19, 1e phase / février ­ août 2020 (ci-après: «rapport de la ChF du 11.12.2020»), cf. en particulier ch. 2.5.

Rapport final de la National COVID-19 Science Task Force du 29.3.2022 (ci-après: «rapport de la SN-STF du 29.3.2022»).

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formule par ailleurs diverses recommandations pour le renforcement des échanges futurs entre la science, la politique et l'administration.

Évaluation externe de la gestion de crise de l'OFSP: En 2020, l'OFSP a chargé les bureaux d'évaluation Interface et Infras ainsi que diverses universités et spécialistes de procéder à une évaluation globale de la gestion de la pandémie. Le rapport final, portant sur la période allant jusqu'à l'été 2021, a été publié fin avril 202219. Le thème de la collaboration avec les milieux scientifiques n'a pas été spécifiquement approfondi dans cette évaluation, mais y est néanmoins abordé de manière ponctuelle20. Les experts arrivent à la conclusion que la collaboration entre le Conseil fédéral, l'administration et la science a dans l'ensemble bien fonctionné et que l'OFSP ­ après certaines difficultés initiales ­ a associé les organes et instances pertinents dans la production de connaissances. Le rapport souligne toutefois la nécessité de repenser et régler la collaboration avec les milieux scientifiques et conclut notamment que le rôle de ces derniers dans la communication devrait être clarifié. La recommandation no 4 invite l'OFSP, la Confédération et les cantons à «prendre des dispositions permettant d'impliquer systématiquement les acteurs importants dans la préparation de décisions et la mise en oeuvre de mesures».

Deuxième rapport d'évaluation de la gestion de crise de la ChF: Dans son rapport de juin 2022 portant sur la deuxième phase de la pandémie (août 2020 à octobre 2021)21, la ChF livre une appréciation globalement positive de l'activité de la SN-STF et sa contribution à la gestion de crise, en soulignant que cet organe a bénéficié d'une grande légitimité et que son indépendance a été garantie. Le rapport relève toutefois que le rôle de la science dans la gestion de crise n'était pas clair pour tous. Certaines critiques ont été émises concernant la coordination insuffisante au niveau de la communication ainsi que la répartition des tâches entre la SN-STF et les commissions extraparlementaires. La ChF souligne que la collaboration entre les milieux scientifiques et l'administration s'est nettement améliorée à partir de l'été 2020. Le rapport esquisse également différentes options concernant la forme future que devrait prendre le conseil scientifique en
cas de crise. La recommandation no 3 charge la ChF, en collaboration avec le Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche (DEFR) et le DFI, de présenter au Conseil fédéral une note de discussion exposant plusieurs options pour l'organisation du conseil politique scientifique22.

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Balthasar, Andreas / Essig, Stefan / von Stokar, Thomas / Vettori, Anna / von Dach, Andrea / Trageser, Judith / Trein, Philipp / Rubinelli, Sara / Zenger, Christoph / Perrotta, Maria / Weiss, Günter (2022): Evaluation der Krisenbewältigung Covid-19 bis Sommer 2021. Schlussbericht zuhanden des Bundesamts für Gesundheit, Fachstelle Evaluation und Forschung (E+F), Luzern, Zürich, Bern (rapport uniquement disponible en allemand, résumé en français) (ci-après: «rapport Interface et Infras d'avril 2022»).

Cf. notamment ch. 4.3 consacré à la communication publique et ch. 5 consacré aux conclusions.

Rapport de la ChF du 22.6.2022 concernant l'évaluation de la gestion de crise pendant la pandémie de COVID-19, 2e phase / août 2020 ­ octobre 2021 (ci-après: «rapport de la ChF du 22.6.2022»), cf. en particulier ch. 2.3.

Ce mandat a été concrétisé dans le rapport du Conseil fédéral en réponse aux Po. Michel et De Quattro (cf. paragraphe suivant).

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Rapport du Conseil fédéral en réponse aux Po. 20.3280 Michel et 20.3542 De Quattro: Le 23 novembre 2022, le Conseil fédéral a publié un rapport en exécution de deux postulats23 portant sur la mise à profit du potentiel scientifique en période de crise. Le Conseil fédéral évalue dans ce rapport quatre options pour l'association future des milieux scientifiques à la gestion de crise. Il arrive à la conclusion que l'option la plus prometteuse est celle d'organes de conseil ad hoc reposant sur un réseau scientifique interdisciplinaire géré par des acteurs du domaine Formation, recherche et innovation (FRI). Le Conseil fédéral indique qu'il entend définir les règles et processus à suivre pour faire appel à ces organes et discuter avec les acteurs du domaine FRI de l'organisation d'un tel réseau interdisciplinaire. Il souhaite également vérifier la résistance aux crises des commissions extraparlementaires. Le Conseil fédéral a chargé la ChF, en collaboration avec le DEFR, d'élaborer une proposition de mise en oeuvre d'ici la fin de l'année 202324.

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Constatations et recommandations

2.1

Bases juridiques et stratégiques

Dans son rapport d'évaluation, le CPA présente une vue d'ensemble des bases juridiques et stratégiques ayant guidé la réponse des autorités face à la pandémie25. Il arrive à la conclusion que le recours aux connaissances scientifiques y est peu concrétisé26. Cette thématique est mentionnée dans différents textes, mais de manière abstraite: il s'agit avant tout de dispositions recommandant de baser les objectifs et stratégies de préparation ou de lutte contre les épidémies sur des faits scientifiques.

Par contre, la collaboration concrète entre l'administration et les milieux scientifiques ainsi que les processus de traitement des connaissances scientifiques en temps de crise sont peu évoqués27. Certains documents, tels que l'ordonnance sur les épidémies

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Mettre à profit le potentiel scientifique en période de crise, rapport du Conseil fédéral du 23.11.2022 en exécution des postulats 20.3280 Michel du 5.5.2020 et 20.3542 De Quattro du 8.6.2020 (ci-après: «Rapport du Conseil fédéral du 23.11.2022»). À noter que le rapport du Conseil fédéral se base sur une analyse préliminaire réalisée par le Bureau Interface: Balthasar, Andreas / Ritz, Manuel / Rütsche, Bernhard / Winistörfer, Marc (2022): Optionen wissenschaftlicher Politikberatung im Hinblick auf Krisen. Grundlagenbericht für die Beantwortung des Postulats Michel 20.3280, Luzern (uniquement disponible en allemand) (ci-après: «Rapport Interface du 23.9.2022»).

Le Conseil fédéral entend mieux utiliser le potentiel scientifique en période de crise, communiqué de presse du Conseil fédéral du 23.11.2022.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 2.1.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 3.1.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 3.1 et 7.1. Ainsi, la LEp mentionne la nécessité d'adapter les stratégies et recommandations de lutte contre les épidémies à l'état actuel de la science, tandis que le Plan de pandémie (Plan suisse de pandémie Influenza. Stratégies et mesures pour la préparation à une pandémie d'Influenza. 5e édition, janvier 2018) charge l'OFSP de suivre les progrès scientifiques et d'exploiter un pool d'informations scientifiques, sans qu'il ne soit précisé quels milieux scientifiques sont impliqués ni comment.

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(OEp)28 ou le Manuel de gestion de crise de l'OFSP29 ne mentionnent pas le recours aux connaissances scientifiques.

Pour la CdG-N, le manque de précision des bases juridiques et stratégiques concernant le recours aux connaissances scientifiques dans le domaine de la lutte contre les épidémies est problématique. La commission estime que cette faiblesse explique en partie la collaboration tardive de l'OFSP avec les experts externes au début de la pandémie ainsi que les difficultés de coordination entre les autorités fédérales et le monde scientifique constatées durant les premiers mois de la crise (cf. ch. 2.2). La commission considère qu'il est indispensable, sur la base des enseignements tirés de la pandémie de COVID-19, que les structures et processus de collaboration des autorités fédérales avec le monde scientifique ainsi que l'utilisation des informations scientifiques en période de crise soient fixées de manière claire non seulement au niveau de la législation (en particulier LEp et OEp), mais également dans les bases stratégiques telles que le Plan de pandémie. La commission part du principe qu'une telle démarche devra s'intégrer dans les travaux donnant suite aux Po. 20.3280 Michel et 20.3542 De Quattro (cf. ch. 2.2.2).

Recommandation 1: Préciser l'utilisation des connaissances scientifiques dans les bases légales et stratégiques concernant la lutte contre les épidémies Le Conseil fédéral est prié de régler de manière plus précise, dans les bases légales et stratégiques concernant la lutte contre les épidémies, la collaboration entre l'administration et les milieux scientifiques ainsi que l'utilisation des connaissances scientifiques en cas de crise. Il est en particulier prié de s'assurer que les structures et processus de collaboration entre l'OFSP et le monde scientifique ainsi que la manière dont les informations scientifiques sont collectées, priorisées et analysées au sein de l'OFSP soient déterminées de manière claire.

De manière plus générale, la CdG-N estime nécessaire que le Conseil fédéral procède, à moyen terme, à un examen de fond concernant l'utilisation des connaissances scientifiques dans la gestion des risques et des crises de la Confédération. Dans le cadre de cet examen, le Conseil fédéral est invité à déterminer si des précisions doivent être apportées en la matière,
premièrement sur le plan conceptuel et stratégique, et deuxièmement dans les bases légales spécialisées concernant les domaines potentiellement sujets aux crises de grande ampleur30.

De plus, la commission attend du Conseil fédéral qu'il examine si des compléments concernant la prise en compte des connaissances scientifiques doivent être apportés dans les bases légales ou stratégiques de portée transversale de la Confédération, telles

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Ordonnance du 29.4.2015 sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme (Ordonnance sur les épidémies, OEp; RS 818.101.1).

OFSP: Manuel de gestion de crise du 27.4.2018 Par exemple dangers naturels, approvisionnement en électricité, cybersécurité, télécommunications, sécurité nucléaire, défense ou migration.

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que la loi sur l'organisation du gouvernement et de l'administration (LOGA)31 ou les instructions du Conseil fédéral concernant la gestion des crises dans l'administration fédérale32.

Recommandation 2: Examiner l'utilisation des connaissances scientifiques dans la gestion des risques et des crises Le Conseil fédéral est prié de procéder à un examen de fond concernant l'utilisation des connaissances scientifiques dans la gestion des risques et des crises. Dans le cadre de cet examen, il est prié de déterminer si des précisions doivent être apportées en la matière, premièrement sur le plan conceptuel et stratégique, et deuxièmement dans les bases légales spécialisées concernant les domaines potentiellement sujets aux crises de grande ampleur.

Le Conseil fédéral est également prié d'examiner si des compléments concernant l'utilisation des connaissances scientifiques en cas de crise devraient être apportés dans d'autres bases légales ou stratégiques de portée transversale de la Confédération.

2.2

Organisation et processus de traitement des connaissances scientifiques

2.2.1

Organisation et processus au sein de l'OFSP

En plus de son expertise interne, l'OFSP33 s'est appuyé sur de nombreuses sources scientifiques nationales et internationales pour suivre l'évolution de la situation épidémiologique et soumettre au Conseil fédéral des propositions de mesures sanitaires34. Le réseau scientifique de l'office a reposé en partie sur des collaborations établies avant la crise (p. ex. avec le réseau «Swiss School of Public Health» [SSPH+] ou le Centre national de prévention des infections [Swissnoso]), tandis que d'autres collaborations ont été établies de manière ad hoc durant la pandémie (à ce titre, la SNSTF a constitué un acteur central35).

Il ressort de l'évaluation du CPA que les nombreux canaux de l'OFSP lui ont, globalement, permis de disposer des connaissances nécessaires pour remplir son mandat36.

Le CPA souligne le défi que représentait le traitement d'une masse très importante

31 32 33 34 35

36

Loi fédérale du 21.3.1997 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration (LOGA; RS 172.010).

Instructions du Conseil fédéral du 21.6.2019 concernant la gestion des crises dans l'administration fédérale (FF 2019 4415).

Plus particulièrement la Division «Maladies transmissibles» de l'office.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 2.2.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 2.2. À noter que, dans son évaluation, le CPA s'est concentré sur les interactions entre l'OFSP et la SN-STF et SSPH+, mais n'a par exemple pas approfondi la thématique des mandats de recherche attribués au Fonds national suisse (FNS).

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 7, 7.2 et 7.3.

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d'informations scientifiques dans un contexte particulièrement incertain37. L'évaluation relève aussi le grand engagement et la flexibilité de toutes les personnes impliquées dans la collecte et le traitement des informations scientifiques, que ce soit au sein de l'administration ou en dehors38, que la CdG-N tient expressément à saluer.

Néanmoins, l'évaluation du CPA met en évidence plusieurs faiblesses concernant l'organisation et les processus de traitement des connaissances scientifiques au sein de l'OFSP, en particulier durant la première phase de la pandémie:

37

38 39 40 41 42

43

44 45 46

­

Premièrement, l'OFSP a constitué son réseau scientifique de manière trop tardive39. Durant les premières semaines de la pandémie, les responsables de l'office se sont principalement basés sur leurs contacts existants. La CdG-N relève toutefois que ces contacts, s'ils étaient justifiés, n'étaient pas à même de permettre une intégration adéquate et représentative de la communauté scientifique dans la gestion de crise40. Cette situation a suscité des réactions négatives d'une partie de la communauté scientifique, qui avait le sentiment de ne pas être entendue et considérait que l'OFSP ne «prenait pas la mesure de la gravité de la situation»41. Divers scientifiques ont fait part dès fin février 2020 de leur inquiétude au Conseil fédéral et à l'OFSP42, mais également dans les médias43. Les rapports entre la Confédération et la communauté scientifique n'ont finalement été institutionnalisés qu'à fin mars 2020, soit près de trois mois après les premiers signalements relatifs à l'apparition du COVID-1944. Le CPA conclut à un «manque d'anticipation et de concrétisation [ayant] retardé le bon fonctionnement des processus pour impliquer la science»45.

­

L'évaluation du CPA ainsi que les autres informations recueillies par la CdGN font état d'échanges empreints de confusion et de méfiance mutuelle entre l'OFSP et les milieux scientifiques durant les premières semaines de la crise46.

Les scientifiques ont accusé l'OFSP de ne pas vouloir intégrer la science dans

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.1 et 7.2. Selon le CPA, fin mars 2021, près de 140 000 articles scientifiques sur le COVID-19 étaient recensés, ce qui équivaut à environ 2000 nouvelles publications par semaine.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 7.2.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.2. Cette constatation est confirmée par plusieurs autres évaluations (rapport de la ChF du 11.12.2020, rapport d'Interface et Infras d'avril 2022).

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.2. Cf. à ce sujet également rapport d'Interface et Infras d'avril 2022, p. 89­90.

Audition de représentants de la SN-STF, 12.11.2020.

Des scientifiques des universités de Bâle, Berne et de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) ont adressé fin février 2020 une lettre au Conseil fédéral. Le 18.3.2020, une délégation de scientifiques a rencontré des représentants du DFI et de l'OFSP. Suite à cette rencontre, les écoles polytechniques fédérales ont décidé de fonder une première taskforce scientifique (audition de représentants de la SN-STF du 12.11.2020).

Cf. notamment: «Man muss nicht die halbe Schweiz unter Quarantäne stellen», In: Neue Zürcher Zeitung, 26.2.2020; «Nous devons aller vers des mesures plus strictes», In: Le Temps, 26.3.2020.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.2.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 7.1 et 7.2.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.3 et 7.1.

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ses travaux et d'avoir tout d'abord minimisé le danger lié au COVID-1947. De son côté, le chef du DFI a souligné qu'une certaine cacophonie régnait alors dans le monde scientifique, les positions des spécialistes étant peu cordonnées et parfois irréalistes48.

47 48 49

50 51 52

53 54 55 56

­

Il ressort de l'évaluation du CPA que l'OFSP n'a, globalement, pas joué de rôle proactif dans la constitution du réseau scientifique, qui s'est développé de lui-même. Ainsi, la SN-STF a été créée sur initiative des milieux scientifiques et l'OFSP n'a joué aucun rôle dans la constitution et la composition de cet organe49. Par ailleurs, sur le plan organisationnel, la SN-STF n'a dans un premier temps pas été rattachée à l'organisation de crise fédérale via l'OFSP, mais via l'État-major du Conseil fédéral chargé de gérer la crise du coronavirus (EMCC)50.

­

En lien avec les éléments précédents, le CPA relève que l'OFSP ne disposait pas de méthode et de stratégie claire pour la construction et l'exploitation du réseau scientifique51. Selon l'évaluation, l'office a impliqué plusieurs acteurs scientifiques52 sans coordination et sans que la plus-value de chaque prestation ne soit clairement déterminée53. Les requêtes transmises par l'office à la SN-STF étaient hétérogènes et le but des demandes ou les produits attendus n'étaient pas toujours définis clairement54. Par ailleurs, certaines demandes ont été adressées parallèlement à plusieurs acteurs55. Pour le CPA, une telle pratique comporte le risque que des analyses soient réalisées à double et causent une surcharge de travail pour les acteurs concernés. Par ailleurs, selon le CPA, l'absence de stratégie claire a pu contribuer au fait que certaines personnes ont pris un poids important dans l'appréciation des connaissances scientifiques disponibles au début de la crise et que la collaboration a été fortement dépendante des personnes en place au sein de l'OFSP et de la SN-STF56.

Audition de représentants de la SN-STF du 12.11.2020, rapport d'Interface et Infras d'avril 2022, p. 89­90.

Audition du chef du DFI, 22.10.2022 (CdG-E).

Rapport du CPA du 24.8.2022, chap. 4.3 et 7.1. Le conseil des Écoles polytechniques fédérales (EPF) a joué un rôle déterminant dans la constitution de la première taskforce scientifique, le 18.3.2020. Celle-ci a ensuite été élargie, dès le 30.3.2020, au Fonds national suisse (FNS), à Swissuniversities et aux Académies des sciences (audition de représentants de la SN-STF du 12.11.2020, cf. également rapport de la SN-STF du 29.3.2022).

Ce n'est qu'à partir d'août 2020 que la SN-STF a été formellement rattachée à l'OFSP.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.2.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.2. Le CPA évoque notamment, au-delà de la SN-STF et de SSPH+, l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Swissnoso, la Commission fédérale pour les vaccinations (CFV), le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) ainsi que les mandats de recherche du FNS.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 7.3.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.2.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.2 et 7.3. Le CPA souligne en particulier les mandats adressés en parallèle à la SN-STF et à SSPH+.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.3 et 7.1.

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­

Enfin, selon le CPA, le traitement des informations collectées n'était pas réglé de manière claire au sein de l'OFSP. Dans l'ensemble, l'office a été en mesure de traiter et de transmettre au Conseil fédéral les informations pertinentes pour sa prise de décision (cf. également ch. 2.3.1). Toutefois, pour le CPA, les critères de collecte et de tri des connaissances scientifiques sont difficiles à identifier, tout comme les critères ayant déterminé le choix de mener certaines analyses à l'interne ou à l'externe de l'office57. Par ailleurs, si le CPA évalue positivement la mise en place de «discussions techniques» au sein de l'OFSP, ayant permis d'aborder en profondeur certaines thématiques et d'assurer un échange d'expertise à l'interne de l'office, il souligne le manque de traces écrites concernant les résultats de ces échanges et leur utilisation58.

La CdG-N partage l'appréciation critique du CPA concernant la collecte et la gestion des informations scientifiques par l'OFSP durant les premières semaines de la pandémie. Elle regrette que l'office n'ait pas joué le rôle actif qu'il aurait dû assumer dans la construction et l'exploitation d'un réseau de conseil scientifique. La CdG-N n'a pas connaissance de l'existence d'une planification préalable au sein de l'administration sur ce point.

Du point de vue de la commission, les retards dans la construction du réseau scientifique et le manque de confiance mutuel initial entre l'OFSP et le monde scientifique ont eu un impact négatif sur la gestion de la pandémie durant la première vague, mais également durant les phases suivantes (notamment en termes de communication, cf.

ch. 2.4.2). Cette situation s'explique, selon la commission, par le manque de structures de coordination préétablies tant au niveau de la science que de l'administration, par l'insuffisance des échanges entre les acteurs concernés avant la crise et par l'absence d'une stratégie et de processus clairs pour la collaboration entre l'administration et la science en période de crise. Ces éléments ont probablement aussi été accentués par l'imprécision des bases légales et réglementaires concernant le recours aux connaissances scientifiques, voire l'absence de mention de cet aspect dans certains textes (cf.

ch. 2.1) Le contexte particulier du début de la crise, empreint de grandes incertitudes, doit également être pris en considération.

La commission relève avec satisfaction qu'après les difficultés initiales, la collaboration entre les autorités fédérales et la communauté scientifique s'est nettement améliorée. En particulier, les processus de coopération se sont peu à peu établis, les rôles respectifs ont été clarifiés et la confiance mutuelle a été renforcée59.

Pour la commission, il est essentiel que des enseignements soient tirés de ce cas pour la constitution et l'exploitation du réseau scientifique de la Confédération en cas de crise. En ce qui concerne le domaine sanitaire, elle juge indispensable que l'OFSP se dote, en vue d'une prochaine crise, d'un concept explicite concernant la construction et l'exploitation de son réseau scientifique, incluant une liste des principaux experts et partenaires ­ qui doit être régulièrement actualisée ­ et des processus clairs pour la transmission de mandats de recherche. La CdG-N invite également le Conseil fédéral 57 58 59

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.1 et 7.3.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.1.

Ce constat ressort de l'évaluation du CPA (rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.3), mais aussi des auditions menées par la CdG-N et des autres évaluations publiées.

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à s'assurer que l'OFSP dispose de critères et processus clairs et transparents concernant le tri et le traitement des connaissances scientifiques nationales et internationales au sein de l'office en cas de crise.

La CdG-N tire un bilan globalement positif des «discussions techniques» organisées par l'OFSP et estime que cet outil a permis d'assurer de manière flexible l'échange d'informations scientifiques au sein de l'office. Comme le CPA, elle estime néanmoins important qu'une trace écrite des résultats de ces échanges et de leur utilisation soit assurée, sous une forme adéquate tenant compte de la situation de crise. De l'avis de la commission, une telle mesure est importante pour garantir la continuité et la transparence des activités de l'office60.

De manière plus générale, la CdG-N estime que différentes questions de fond doivent être clarifiées concernant la mise sur pied d'organes consultatifs scientifiques ad hoc en cas de crise. Elle invite notamment le Conseil fédéral à définir clairement à partir de quel moment et selon quels processus un réseau scientifique externe doit être activé lorsqu'une crise se déclare, et à quelles unités fédérales ou organes celui-ci doit être rattaché (cf. ch. 2.2.2).

Recommandation 3: Améliorer l'organisation et les processus de traitement des connaissances scientifiques au sein de l'OFSP en cas de pandémie Le Conseil fédéral est prié de s'assurer que l'OFSP: ­

se dote d'un concept concernant la construction et l'exploitation de son réseau scientifique dans le domaine de la lutte contre les épidémies, incluant une liste des principaux experts et partenaires ­ qui doit être régulièrement actualisée ­ et des processus clairs pour la transmission de mandats de recherche;

­

dispose de critères et de processus clairs et transparents concernant le tri et le traitement des connaissances scientifiques au sein de l'office en cas de crise;

­

formalise davantage les «discussions techniques» tenues au sein de l'office en période de crise et documente celles-ci de manière adéquate.

2.2.2

Rôle de la SN-STF

La SN-STF a joué un rôle déterminant dans le conseil scientifique apporté aux autorités fédérales durant la pandémie de COVID-19. Globalement, la CdG-N tire un bilan positif de son activité: selon la majorité des acteurs interrogés par le CPA, cet organe 60

Dans leur rapport de mai 2022 consacré à l'organisation de crise fédérale pour la gestion de la pandémie de COVID-19, les CdG sont arrivées à la conclusion qu'il était important que les compétences et les modalités du fonctionnement des «discussions techniques» soient définies de manière claire et qu'elles soient mentionnées dans l'organigramme de crise de l'office. Cf. Organisation de crise de la Confédération pour la gestion de la pandémie de COVID-19 (janvier à juin 2020), rapport des CdG du 17.5.2022, chap. 6.4.7 (FF 2022 1801, p. 59).

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a permis à l'OFSP de disposer des connaissances scientifiques pertinentes en temps utile et de contribuer à des décisions basées sur des données probantes61. Ce bilan positif ressort également d'autres rapports62 et des auditions menées par la commission63. En particulier, le caractère interdisciplinaire de la SN-STF, sa large assise au sein des milieux spécialisés ainsi que son indépendance ont constitué ses principaux atouts. Diverses critiques ont toutefois aussi été formulées, notamment concernant la définition des tâches de cet organe et la gestion de la communication (cf. chap. 2.4.2).

La CdG-N tient à saluer expressément l'engagement des spécialistes ayant apporté leurs compétences à la mise en place et au bon fonctionnement de cet organe.

Si, dans un premier temps, les relations entre l'OFSP et la SN-STF n'étaient pas bonnes (cf. ch. précédent), la compréhension et la confiance mutuelle se sont nettement améliorées par la suite64, à la faveur d'une clarification des rôles mutuels de la SN-STF et de l'OFSP.

La CdG-N constate que le Conseil fédéral a d'ores et déjà tiré divers enseignements sur la base du cas de la SN-STF. Dans son rapport de novembre 2022 en réponse aux Po. 20.3280 Michel et 20.3542 De Quattro, il est arrivé à la conclusion que l'institution d'organes consultatifs ad hoc reposant sur un réseau interdisciplinaire constituait l'option la plus adaptée pour recourir à l'expertise des milieux scientifiques en cas de crises futures65. Concernant les organes consultatifs ad hoc, le Conseil fédéral estime que les modalités de leur fonctionnement et de leur composition pourraient être clarifiées par le biais d'instructions, de directives internes ou d'un aide-mémoire66. Concernant le réseau interdisciplinaire, il estime que la nécessité de modifier les bases légales «dépendra de la volonté de la Confédération de garantir ce réseau et de participer à son organisation par le biais d'un contrat de prestations»67. Le Conseil fédéral a chargé la ChF et le DEFR d'élaborer une proposition de mise en oeuvre d'ici fin 2023.

La CdG-N salue les démarches du Conseil fédéral et ses propositions en vue de l'instauration d'organes consultatifs ad hoc; elle estime que celles-ci vont dans la bonne direction. Elle invite le Conseil fédéral à concrétiser rapidement les propositions formulées dans
son rapport de novembre 2022. De l'avis de la commission, il serait souhaitable de doter le réseau interdisciplinaire d'un contrat de prestations et d'un ancrage dans la loi. En effet, au vu de l'importance stratégique d'un tel réseau pour la gestion d'éventuelles crises futures, elle juge important que le Conseil fédéral et le Parlement soient associés à la définition de ses tâches et de son organisation.

61 62 63 64 65

66 67

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.3.

Rapport de la ChF du 22.6.2022, rapport de la SN-STF du 29.3.2022.

Notamment audition de la directrice de l'OFSP du 28.6.2022 et audition des représentants de la SN-STF du 12.11.2020.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.3.

Le Conseil fédéral entend mieux utiliser le potentiel scientifique en période de crise, communiqué de presse du Conseil fédéral du 23.11.2022; rapport du Conseil fédéral du 23.11.2022.

Rapport du Conseil fédéral du 23.11.2022, ch. 2.4.

Rapport du Conseil fédéral du 23.11.2022, ch. 2.4.

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Sur la base de l'évaluation du CPA et de ses clarifications relatives à la SN-STF, la CdG-N a identifié différents aspects qui devront de son point de vue impérativement être clarifiés lors des travaux de mise en oeuvre:

68 69 70 71 72

­

Processus d'activation du réseau scientifique: il est important de définir clairement à quel moment et selon quels processus le réseau scientifique doit être activé lorsqu'une crise se déclare et à quelle(s) unité(s) fédérale(s) l'organe consultatif doit être relié. Un tel processus doit notamment permettre d'éviter que le réseau scientifique ne soit associé trop tardivement à la gestion de crise (cf. ch. 2.2.1 et recommandation 3).

­

Constitution et composition de l'organe consultatif: pour la CdG-N, la question se pose de savoir si la Confédération doit avoir son mot à dire dans la composition de l'organe consultatif, respectivement si des règles générales doivent être fixées en la matière. Dans son évaluation, le CPA constate que les avis sur ce point divergent: si certaines personnes interrogées estiment que le fait que la SN-STF se soit constituée elle-même a renforcé sa légitimité et son indépendance68, d'autres estiment qu'elle a pour cette raison joui d'une moins bonne confiance de la part des autorités. Le CPA estime que la collaboration aurait pu être facilitée si l'OFSP avait été plus impliqué dans la constitution du réseau69.

­

Ressources financières et en personnel de l'organe consultatif et du réseau interdisciplinaire: durant la pandémie, les activités de la SN-STF ont été en grande partie financées par les institutions scientifiques70. Les spécialistes ont oeuvré au sein de cet organe à côté de leurs activités habituelles au sein des institutions de recherche. Pour la CdG-N, les modalités du financement d'un éventuel futur organe consultatif doivent être clarifiées. La gestion du personnel doit être organisée de manière à garantir ­ si nécessaire ­ une activité de l'organe consultatif sur une durée prolongée.

­

Interfaces entre l'organe consultatif et l'administration: au cours de la crise, la SN-STF a été rattachée administrativement à différentes unités et les destinataires de son expertise ont varié71. Pour la CdG-N, il est important que des lignes directrices soient fixées en la matière, et qu'il soit notamment précisé à qui l'expertise de l'organe consultatif est destinée72. La répartition des rôles et la coordination entre l'organe consultatif et les autres acteurs scientifiques L'ancien président de la SN-STF, M. Egger, a notamment présenté en détail à la CdG-N la manière dont la composition de la taskforce avait été déterminée.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.3 et 7.1.

Alors que ce n'était pas le cas par exemple pour SSPH+, qui a agi sur la base d'un mandat de prestations et qui a été rétribué pour cela. Cf. rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.2 Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.3.

A ce propos, une étude publiée fin 2022 arrive à la conclusion que le rattachement de la SN-STF à l'OFSP à partir d'août 2020 a eu un impact négatif sur son statut et sur l'influence politico-stratégique de ses recommandations. Cf. Eichenberger, Steven / Varone, Frédéric / Sciarini, Pascal / Stähli, Robin / Proulx, Jessica (2022): When do decision makers listen (less) to experts? The Swiss government's implementation of scientific advice during the COVID-19 crisis. In: Policy Studies Journal, Décembre 2022 (ci-après: Eichenberger, Steven / Varone, Frédéric / Sciarini, Pascal / Stähli, Robin / Proulx, Jessica [2022]).

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consultés par l'administration doit également être clarifiée. Sur le fond, il devrait être défini dans quel cas les clarifications scientifiques doivent être réalisées à l'interne de l'administration et dans quels cas elles doivent être confiées à des mandataires externes.

73

­

Tâches de l'organe consultatif, notamment en matière d'appréciation et de conseil: dans son évaluation, le CPA relève que les demandes adressées par l'OFSP à la SN-STF et les réponses de cette dernière ont évolué durant la pandémie: alors que, dans un premier temps, les échanges portaient régulièrement sur des questions d'appréciation, ceux-ci ont ensuite davantage concerné la «simple» mise à disposition de connaissances scientifiques et la SN-STF a fait preuve d'une plus grande retenue dans ses prises de position. La SN-STF a malgré tout continué à transmettre des éléments d'appréciation à l'OFSP de manière informelle, ce qui selon le CPA est problématique en termes de transparence73. Pour la CdG-N, cet aspect doit être clarifié. La commission estime qu'en plus de fournir aux autorités des informations sur les connaissances scientifiques, l'organe consultatif scientifique devrait être autorisé à émettre une appréciation ou des recommandations d'ordre scientifique concernant la gestion de crise. Il va de soi que de telles recommandations devraient être strictement limitées au domaine d'expertise concerné et formulées de manière constructive et équilibrée. Les modalités concernant la forme, la transmission et le traitement des recommandations de l'organe consultatif devraient être clarifiées. Enfin, une condition fondamentale est que l'ensemble des acteurs s'accordent sur une définition claire des responsabilités et rôles mutuels, notamment sur le fait que la compétence décisionnelle finale revient toujours aux autorités fédérales.

­

Forme des mandats adressés à l'organe consultatif et de ses réponses: de l'avis de la CdG-N, des lignes directrices claires doivent être formulées afin de garantir la cohérence des échanges entre les autorités fédérales et l'organe consultatif, tout en maintenant une certaine flexibilité face à la variété des crises.

­

Communication relative aux connaissances scientifiques: l'évaluation du CPA montre que cet aspect a constitué un défi durant la pandémie. Pour la CdG-N, il est important qu'une réflexion de fond ait lieu et que des lignes directrices claires soient fixées concernant la répartition des rôles en matière Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 4.3. De l'avis du CPA, si cette évolution a permis une clarification des rôles, elle a aussi eu pour conséquence que la fonction de la SN-STF s'est moins distinguée de celle d'autres acteurs, tels que SSPH+.

Dans le cadre de la consultation de l'administration concernant le présent rapport, la SN-STF a fait valoir les éléments suivants: «La SN-STF a affiné au fil du temps son profil de [remarque: le est décrit dans la littérature comme une personne ou un groupe de personnes qui mettent de côté leurs préjugés et leurs valeurs personnelles afin d'aider les décideurs politiques à faire des choix entre différentes options, généralement en clarifiant les données disponibles]. La SN-STF a ainsi délibérément présenté différents objectifs possibles et discuté des options d'action qui en découlaient [...]. Les appréciations scientifiques présentées lors des réunions avec les mandataires ont été consignées en parallèle sous forme écrite et publiées [sur le site Internet de la SN-STF] [...].»

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de communication publique (cf. ch. 2.4.2). Les documents sur la gestion des crises devraient être complétés par des dispositions relatives à la communication sur les connaissances scientifiques. De l'avis de la commission, il est important que l'organe consultatif scientifique soit doté de compétences en termes de communication.

­

Encouragement de la confiance mutuelle et des contacts entre le réseau interdisciplinaire et l'administration: la coopération entre les acteurs concernés doit être encouragée également en-dehors des périodes de crise, notamment à travers des exercices et des contacts réguliers.

Recommandation 4: Garantir les conditions cadres pour la création et l'organisation d'organes consultatifs scientifiques reposant sur un réseau interdisciplinaire Le Conseil fédéral est prié de de concrétiser rapidement l'option no 4 de son rapport de novembre 2022 en réponse aux Po. 20.3280 Michel et 20.3542 De Quattro, c'est-à-dire la possibilité d'instituer des organes consultatifs scientifiques ad hoc, reposant sur un réseau scientifique interdisciplinaire. Le Conseil fédéral est invité à doter ce réseau d'un ancrage dans la loi et d'un contrat de prestations.

Dans le cadre de ces travaux, le Conseil fédéral est prié de porter une attention particulière aux aspects suivants: processus d'activation du réseau scientifique, constitution et composition de l'organe consultatif, ressources financières et en personnel de l'organe consultatif et du réseau interdisciplinaire, interfaces entre l'organe consultatif et l'administration, tâches de l'organe consultatif (notamment en matière d'appréciation et de conseil), forme des mandats adressés à l'organe consultatif et de ses réponses, communication relative aux connaissances scientifiques, encouragement de la confiance mutuelle et des contacts entre le réseau interdisciplinaire et l'administration.

2.2.3

Mandats-cadres aux organes de conseil scientifique

En compléments aux points évoqués ci-dessus (ch. 2.2.2), il ressort du rapport du CPA que les mandats-cadres attribués par l'OFSP aux organes de conseil scientifique (en particulier à la SN-STF et au SSPH+) ont été ajustés à plusieurs reprises durant la pandémie74. L'évaluation montre que ces mandats se sont globalement améliorés avec le temps, l'OFSP ayant tiré des enseignements concernant divers aspects au fil de la pandémie (notamment l'indépendance, la communication ou le cercle des interlocuteurs au sein de l'administration). Toutefois, selon le CPA, la façon dont ces mandats ont pris forme témoigne ici aussi du fait que l'administration a agi de manière réactive et non proactive (cf. également ch. 2.2.1). Le CPA estime que cette manière de faire permet de garder une certaine flexibilité pour faire face aux besoins survenus durant la crise, mais qu'elle comporte aussi le risque de ne pas clairement différencier les 74

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 3.3 et 7.3.

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prestations des acteurs et de créer certains doublons75. La CdG-N relève par ailleurs que la transition entre les mandats n'a pas toujours été suffisamment anticipée; ainsi, entre juin et août 2020, la SN-STF ne disposait d'aucun mandat valide, ce qui a créé des incertitudes pour les acteurs concernés76.

La CdG-N estime nécessaire que le Conseil fédéral établisse une typologie afin de déterminer plus clairement quelle forme de conseil est attendue, en période de crise, de la part des différentes catégories d'interlocuteurs issus du monde scientifique (p. ex. organe consultatif ad hoc, associations scientifiques ou académiques existantes, FNS, commissions extraparlementaires, experts individuels), afin de garantir une claire différenciation des prestations demandées et éviter les doublons. Sur cette base, elle invite le Conseil fédéral à établir un modèle-type pour l'attribution de mandats-cadres de conseil scientifique à des prestataires externes en cas de crise. Ces clarifications pourraient être menées dans le cadre des travaux donnant suite au rapport en réponse aux Po. 20.3280 Michel et 20.3542 De Quattro.

Recommandation 5: Clarifier l'attribution de mandats-cadres de conseil scientifique en cas de crise Le Conseil fédéral est prié d'établir une typologie afin de déterminer plus clairement quelle forme de conseil est attendue, en période de crise, des différentes catégories d'interlocuteurs externes issus du monde scientifique.

Sur cette base, le Conseil fédéral est prié d'établir un modèle-type pour l'attribution de mandats-cadres de conseil scientifique à des prestataires externes en cas de crise.

2.2.4

Rôle de la Commission fédérale pour la préparation et la gestion en cas de pandémie

L'évaluation du CPA montre que la Commission fédérale pour la préparation et la gestion en cas de pandémie (CFP), disposant de compétences d'expertise et de conseil dans des disciplines importantes pour la gestion d'un tel événement, n'a pas joué de rôle durant la crise du COVID-1977. Or, son acte d'institution ainsi que le Plan de pandémie lui confèrent une fonction consultative en cas de pandémie78. Il ressort des clarifications menées par le CPA que cette situation était due à la différence de compréhension de la fonction de cette commission par certains acteurs, pour lesquels elle n'était censée intervenir que dans la phase de préparation d'une pandémie et uniquement pour des virus de type influenza, bien que le contraire soit explicitement stipulé dans l'acte d'institution de cet organe79. Face à la CdG-N, l'OFSP a fait valoir que les 75 76 77 78 79

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 3.3 et 7.3.

Cf. à ce sujet rapport d'Interface et Infras d'avril 2022, p. 89­90.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 3.2 et 7.1.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 3.2.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 3.2. Cf. à ce sujet également Commissions consultatives extraparlementaires, rapport du CPA du 20.6.2022 à l'intention de la CdG-E.

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membres de la CFP avaient, à titre individuel, apporté leurs compétences dans divers groupes de travail de la Confédération80. La commission relève toutefois qu'aucun des treize membres actuels de la CFP81 ne figure dans la liste des expertes et experts ayant pris part à la SN-STF82. Le chef du DFI, de son côté, a affirmé à la CdG-N que l'implication supplémentaire de la CFP n'aurait pas apporté de plus-value83.

Tout comme le CPA, la CdG-N estime que la CFP aurait dû, vu les textes qui la régissent, jouer un rôle plus central dans la gestion de la crise du COVID-19. Pour la commission, il n'est pas satisfaisant que les organes prévus de longue date ne soient pas mobilisés conformément à leur mandat lors de l'apparition d'une crise, sans raison impérative. La CdG-N reconnaît néanmoins que les ressources limitées de cette commission consultative constituaient un obstacle à une activité renforcée en période de pandémie. Elle constate également que l'instauration d'une taskforce scientifique de grande ampleur telle que la SN-STF a largement pallié à l'absence d'activité de la CFP et était vraisemblablement, au final, plus appropriée que cette dernière.

Sur la base de ces constats, la commission estime que le rôle de la CFP en période de pandémie et son articulation avec l'administration, mais également avec les autres structures de conseil scientifique doivent être repensés en profondeur. La commission invite le Conseil fédéral à examiner l'opportunité que cet organe soit mentionné dans la LEp, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent84.

De manière plus générale, la CdG-N estime nécessaire que le Conseil fédéral examine la résistance aux crises des commissions extraparlementaires. En ce sens, elle salue les conclusions du rapport du Conseil fédéral en réponse aux Po. 20.3280 Michel et 20.3542 De Quattro, qui vont dans ce sens85. La commission juge en particulier important que les commissions parlementaires pouvant jouer un rôle en cas de crise ­ tous domaines confondus ­ soient identifiées et que l'on analyse dans quelle mesure celles-ci peuvent apporter un soutien aux autorités fédérales, respectivement quel doit être leur rôle en cas de crise.

Recommandation 6: Clarifier le rôle de la Commission fédérale pour la préparation et la gestion en cas de pandémie (CFP) Sur la base des enseignements de
la crise du COVID-19, le Conseil fédéral est prié de procéder à une analyse en profondeur du rôle de la CFP en période de pandémie et de son articulation avec l'administration et avec les autres structures de conseil scientifique, puis d'adapter en conséquence les bases légales et réglementaires. Dans ce cadre, il est prié d'examiner l'opportunité que la CFP soit mentionnée dans la loi sur les épidémies.

80 81

82 83 84 85

Audition de l'OFSP du 28.9.2020 (sous-commission DFI/DETEC de la CdG-N).

Commission fédérale pour la préparation et la gestion en cas de pandémie, www.admin.ch > Documentation > Commissions extraparlementaires > Département fédéral de l'intérieur (consulté le 8.2.2023).

Rapport de la SN-STF du 29.3.2022, annexe 2.

Audition du chef du DFI du 28.6.2022 (CdG-N).

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 3.2.

Rapport du Conseil fédéral du 23.11.2022, ch. 2.2.

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2.3

Prise en compte des connaissances scientifiques dans le processus décisionnel

2.3.1

Bases de décision soumises au Conseil fédéral

Sur la base des cas d'étude sélectionnés par la CdG-N, le CPA a évalué comment les connaissances scientifiques concernant le COVID-19 avaient été prises en compte dans les bases de décision préparées par le DFI et l'OFSP à l'intention du Conseil fédéral. La CdG-N souligne l'importance de placer cette analyse dans le contexte particulier de la pandémie: comme le montre l'évaluation, l'urgence de la situation a placé l'ensemble des acteurs de l'administration sous une grande pression temporelle, qui a bouleversé le processus normal d'élaboration des bases de décision86.

Il ressort des cas examinés par le CPA que les bases de décision soumises au Conseil fédéral contenaient de nombreuses informations relatives à la situation épidémiologique, mais que les propositions de renforcement ou d'assouplissement des mesures n'étaient pas souvent fondées explicitement sur des connaissances scientifiques en tant que telles. Néanmoins, selon les personnes interrogées par le CPA, l'OFSP et le DFI se sont efforcés de montrer les avantages et les inconvénients des mesures proposées, afin que le Conseil fédéral puisse se prononcer en connaissance de cause87.

Une illustration de cette problématique concerne les recommandations relatives au port du masque pour la population88. Certaines études concernant le sujet, portant avant tout sur les pays asiatiques et les milieux des soins, étaient déjà disponibles avant la pandémie. La SN-STF a recommandé explicitement dès avril 2020 un port du masque généralisé pour toute la population suisse. À ce moment-là, d'autres organismes scientifiques reconnus comme le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (European Centre for Disease Prevention and Control, ECDC) ou l'OMS étaient plus réticents. Dans le courant de l'été 2020, l'ensemble des recommandations ont convergé vers un port du masque pour la population générale89.

Le CPA a relevé que les avis scientifiques sur ce thème n'avaient été repris que de manière incomplète dans les documents transmis au Conseil fédéral fin avril 2020; en particulier, la position de la SN-STF (favorable à cette mesure) n'y était pas mentionnée, alors que ceci était le cas pour la position d'autres acteurs, plus réticents 90. Sur cette base, le Conseil fédéral a décidé de ne pas imposer un port généralisé du masque91. L'évaluation
montre qu'à partir de juin 2020, les opinions sur le port du masque ont été présentées de manière plus exhaustive dans les documents à l'intention du Conseil fédéral; toutefois, l'OFSP a encore fait preuve, en juin et juillet 2020, d'une grande retenue concernant cette mesure. Selon le CPA, la décision d'imposer le port 86 87 88 89 90

91

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 5.1.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 5.1.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 5.2.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 5.2.

Les documents transmis au Conseil fédéral pour sa séance du 22.4.2020 évoquaient les avis de l'OMS et du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, réticents au port du masque généralisé. Par contre, ils ne faisaient pas mention de la recommandation de la SN-STF du 20.4.2020, qui se prononçait clairement en faveur de cette mesure.

Coronavirus: le Conseil fédéral ne souhaite pas imposer le port généralisé du masque, communiqué de presse du Conseil fédéral du 22.4.2020.

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du masque généralisé en octobre 2020 aurait surtout été motivée par des facteurs autres que scientifiques, tels que les mesures prises par les pays voisins, la disponibilité des masques ou l'acceptation de ceux-ci92.

Le CPA arrive à la conclusion que ce qui n'a changé n'est pas tant les connaissances scientifiques sur le port du masque en tant que telles, mais plutôt le positionnement des autorités à ce sujet. Il constate que le changement de point de vue sur ce thème s'est imposé difficilement à l'OFSP et qu'il a fallu attendre que l'ensemble des recommandations scientifiques sur le port du masque convergent et que d'autres facteurs plaident en faveur de cette mesure pour qu'elle s'impose au sein de l'office93.

Un autre aspect approfondi par le CPA est celui des connaissances sur la transmission du virus94. L'évaluation arrive à la conclusion que celles-ci ont été reflétées de manière inégale dans les bases de décision95. Plusieurs exemples montrent que les travaux scientifiques publiés sur ce thème courant 2020 ont été peu valorisés dans les documents transmis au Conseil fédéral. Le CPA estime que les bases de décision ne contenaient alors «pas forcément les connaissances mises à jour» en la matière96. En revanche, les connaissances sur la transmission du virus ont été présentées de manière plus claire en mars 2021, lorsque le DFI a proposé au Conseil fédéral de renoncer à une réouverture des restaurants97. Enfin, le CPA souligne de manière positive que les incertitudes scientifiques concernant la transmission du virus par les enfants ont été présentées de manière transparente dans les bases de décision dès avril 2020, tout comme le conflit de valeurs entre les risques épidémiologiques et le droit à l'éducation des enfants lié à la fermeture des écoles.

Pour le CPA, ces exemples mettent en évidence une tension sous-jacente entre deux chronologies: d'un côté la nécessité d'une réaction politique rapide face à la crise et de l'autre le fait que les connaissances scientifiques ne permettaient pas toujours de tirer des conclusions univoques, compte tenu des incertitudes qui les accompagnaient98.

92 93 94 95 96 97 98

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 5.2.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 5.2.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 5.3. La principale question à ce sujet était de savoir si le virus se transmettait par gouttelettes ou aussi par aérosols.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 5.3.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 5.3.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 5.3.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 7.4.

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Excursus: information du Conseil fédéral concernant la situation épidémiologique en lien avec l'autorisation des grandes manifestations, août 2020 Début 2021, certains médias ont affirmé que le DFI aurait omis d'informer le Conseil fédéral de manière transparente sur l'évolution préoccupante de la situation épidémiologique, lors de la décision d'août 2020 relative à l'autorisation des grandes manifestations99. La CdG-N a procédé à une analyse approfondie des échanges ayant eu lieu entre l'OFSP, le DFI et le Conseil fédéral durant la période concernée.

La commission a constaté que le DFI avait, dans sa proposition au Conseil fédéral du 5 août 2020 portant sur les grandes manifestations, mentionné de manière claire l'évolution préoccupante de la situation épidémiologique. En annexe de ce document figuraient en outre une appréciation détaillée de la situation établie par l'OFSP ainsi qu'une prise de position de la SN-STF. La CdG-N arrive à la conclusion que le Conseil fédéral a pris sa décision d'autoriser à nouveau les grands événements100 en toute connaissance de cause, sur la base d'une pesée des intérêts entre les considérations sanitaires, sociales et économiques (cf. également ch. 2.3.2).

La CdG-N salue les efforts de l'OFSP pour permettre au Conseil fédéral de prendre des décisions aussi fondées que possible en période de crise. Elle a constaté que cette exigence avait été en grande partie remplie durant la pandémie de COVID-19 et salue notamment l'information régulière du Conseil fédéral concernant la situation épidémiologique. De son point de vue, il est toutefois crucial que des enseignements soient tirés des exemples identifiés par le CPA pour s'assurer qu'en cas de crise future, le Conseil fédéral puisse en tout temps s'appuyer sur des bases de décision qui présentent de manière transparente et synthétique les connaissances et avis scientifiques sur le thème concerné. La commission invite le Conseil fédéral à examiner l'opportunité d'élaborer un concept visant à déterminer plus clairement sous quelle forme les conclusions scientifiques pertinentes, mais aussi les points d'incertitude ou de dissension, doivent être inclus dans les bases de décision qui lui sont soumises.

Pour la commission, dans le cas du port du masque, la pesée des intérêts relative à la mesure proposée semble avoir
été effectuée ­ en partie du moins ­ à l'échelon de l'administration, avant même que le Conseil fédéral ne s'en saisisse. La commission estime ainsi que l'avis de la SN-STF sur cette mesure aurait dû être porté à connaissance du Conseil fédéral en avril 2020, au même titre que les avis d'autres acteurs plutôt réticents. L'évaluation du CPA laisse penser que la position critique de l'OFSP sur ce thème a pu jouer un rôle dans le choix des informations transmises101. Pour la 99

Dieses Papier entlarvt Bersets Fehler, In: Basler Zeitung, 15.2.2021; Alain Berset a étouffé l'alerte de ses spécialistes, In: 24 Heures, 15.2.2021.

100 Coronavirus: les grandes manifestations à nouveau autorisées dès octobre à des conditions strictes et sous réserve d'autorisation, communiqué de presse du Conseil fédéral du 12.8.2020.

101 L'absence de confiance mutuelle entre l'office et le monde scientifique au début de la crise a probablement également joué un rôle dans ce positionnement (cf. chap. 2.2.1).

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CdG-N, il va de soi que les offices et départements ont la responsabilité de procéder à une appréciation préalable des mesures proposées et à un tri des informations soumises au Conseil fédéral; néanmoins, il est important que cette démarche ne réduise pas la marge de manoeuvre de l'exécutif dans sa pesée des intérêts finale, puisque c'est ce dernier qui assume la responsabilité décisionnelle. L'exigence de transparence est d'autant plus élevée lorsque plusieurs acteurs scientifiques reconnus présentent des positions divergentes sur une thématique, comme c'était le cas ici.

Comme le CPA, la CdG-N n'exclut pas que la position critique des autorités vis-à-vis du port du masque s'explique aussi ­ du moins en partie ­ par des considérations liées aux difficultés d'approvisionnement en masques au début de la pandémie, même si un tel lien ne figurait pas de manière explicite dans les bases de décision102. Pour la commission, un tel argument est compréhensible, mais il ne devrait toutefois pas suffire à renoncer à une recommandation, si celle-ci est clairement indiquée sur le plan de la santé publique. Sur le principe, elle juge qu'il serait plus adéquat, si un tel cas survient, d'indiquer de manière transparente que la mesure serait souhaitable mais qu'elle n'est pas réaliste dans l'immédiat. L'évaluation du CPA montre par ailleurs que la position ambiguë des autorités sur le port du masque a, par la suite, affaibli leur crédibilité en termes de communication et probablement d'acceptation des mesures au sein de la population (cf. ch. 2.4.1).

L'évaluation du CPA soulève également la question de savoir quel doit être le degré de certitude des connaissances pour qu'elles soient intégrées dans les bases de décision, et de quelle manière les incertitudes restantes doivent être présentées103. Le CPA souligne qu'il existe divers moyens de qualifier le degré de certitude des connaissances scientifiques, par exemple avec un système de gradation par catégories104.

Comme le CPA, la CdG-N estime que le principe de transparence est essentiel à ce propos. La commission invite le Conseil fédéral à mener une réflexion de fond sur ce point, et à examiner l'opportunité de définir une méthode uniforme pour qualifier le degré de certitude des connaissances scientifiques dans les bases de décision soumises au Conseil
fédéral. Par ailleurs, la commission juge important que les incertitudes concernant les connaissances scientifiques soient communiquées de manière transparente au public (cf. ch. 2.4.1). Enfin, pour la CdG-N, il est fondamental que les bases de décision soumises au Conseil fédéral mettent en évidence de façon transparente les éventuels conflits d'objectifs entre les connaissances scientifiques disponibles et d'autres intérêts devant être considérés par le Conseil fédéral dans sa prise de décision (p. ex. conséquences économiques, acceptation par la population, proportionnalité).

La commission prie le Conseil fédéral de s'assurer qu'une telle condition soit remplie en cas de crise future.

102

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 5.2. Si cette hypothèse est contestée par certaines personnes interrogées par le CPA, une majorité d'entre elles reconnaît que cela n'aurait pas eu de sens d'encourager le port du masque sans en avoir en suffisance.

103 Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 7.4.

104 Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 7.4 et note de bas de page 82. À noter que les systèmes de gradation varient en fonction du domaine concerné (p. ex. santé, risques naturels, etc.).

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Recommandation 7: Améliorer la prise en compte des connaissances scientifiques dans les bases de décision soumises au Conseil fédéral Le Conseil fédéral est prié de s'assurer qu'en cas de crise future, il puisse en tout temps s'appuyer sur des bases de décision qui présentent de manière transparente et synthétique les connaissances et avis scientifiques sur le thème concerné.

Dans ce cadre, le Conseil fédéral est prié d'élaborer un concept visant à déterminer plus clairement sous quelle forme les conclusions scientifiques pertinentes, mais également les points d'incertitude ou de dissension doivent être inclus dans les bases de décision. Il est en particulier prié d'examiner l'opportunité de définir une méthode uniforme pour qualifier le degré de certitude des connaissances scientifiques.

Le Conseil fédéral est prié de s'assurer que les bases de décision qui lui sont soumises mettent en évidence de manière transparente les éventuels conflits d'objectifs entre les connaissances scientifiques disponibles et d'autres intérêts devant être considérés dans sa prise de décision.

2.3.2

Décisions du Conseil fédéral

Dans son évaluation, le CPA a examiné la manière dont les connaissances scientifiques avaient été prises en compte dans les bases de décision soumises au Conseil fédéral. Il n'a par contre pas analysé comment ces connaissances avaient, ensuite, été considérées par le Conseil fédéral dans sa pesée des intérêts finale, au moment de la prise de décision. Dans le cadre de ses clarifications menées depuis 2020 concernant la gestion de la crise du COVID-19, la CdG-N a collecté différentes informations à ce sujet, qui sont résumées ci-après.

Le chef du DFI a indiqué aux CdG105 que le Conseil fédéral avait intégré l'appréciation de la SN-STF dans son processus de décision. Il a toutefois souligné que le gouvernement, dans sa pesée des intérêts finale, n'avait pas seulement tenu compte des considérations scientifiques concernant les aspects sanitaires, mais également d'autres éléments, tels que les intérêts sociaux et économiques. Selon lui, il était adéquat que le Conseil fédéral, dans certains cas, choisisse de manière consciente de ne pas suivre les recommandations de la science et de renoncer à certaines mesures plus strictes106.

La CdG-N a relevé divers exemples dans lesquels le Conseil fédéral, dans sa décision finale, n'avait pas suivi les recommandations de la SN-STF: ­

105 106

Prise en compte du taux de reproduction du virus en été 2020: dès avril 2020, la SN-STF a recommandé que les assouplissements des mesures sanitaires ne soient approuvés que si le taux de reproduction du virus était clairement inférieur à 0,7 et que les mesures soient renforcées lorsque celui-ci passait auNotamment: auditions du chef du DFI du 28.6.2022 (CdG-N) et du 21.10.2022 (CdG-E).

Le chef du DFI a notamment mentionné, à ce propos, la décision du Conseil fédéral, au printemps 2020, de renoncer à ordonner un confinement complet, contrairement à l'avis de certains spécialistes.

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dessus de 1. Cette recommandation n'a toutefois pas été suivie: le 19 juin 2020, le Conseil fédéral a décidé de mettre un terme à la «situation extraordinaire» au sens de la LEp et de suspendre une grande partie des mesures sanitaires alors que le taux de reproduction était supérieur à 1107.

­

Autorisation des grandes manifestations en août 2020: dans une expertise de juillet 2020, la SN-STF a clairement recommandé une prolongation de l'interdiction des grandes manifestations, au regard de la situation épidémiologique critique. Sur la base d'une pesée des intérêts entre les considérations sanitaires, sociales et économiques, le Conseil fédéral a cependant décidé début août 2020 d'autoriser la reprise de ces événements, «à des conditions strictes et sous réserve d'autorisation»108.

­

Assouplissements du printemps 2021: en avril 2021, la SN-STF a fait part de scénarios pessimistes concernant l'impact des mesures d'assouplissement sur le nombre d'infections, d'hospitalisations et de décès109. Le Conseil fédéral a néanmoins décidé de procéder à divers assouplissements, considérant que le risque associé à ceux-ci était acceptable110. La SN-STF a reconnu a posteriori que les scénarios qu'elle avait élaborés alors ne s'étaient pas confirmés dans la réalité111.

­

Par ailleurs, selon les informations collectées par la CdG-N, si certaines mesures sanitaires comme les distances minimales ou l'isolement et la quarantaine étaient absolument justifiées sur le plan épidémiologique, certaines décisions de détail concernant leur application, telles que la réduction de la distance de sécurité de 2m à 1,5m (juin 2020)112 ou la réduction de la durée d'isolement et de la quarantaine de 10 à 5 jours (janvier 2022)113 ne reposaient pas sur des connaissances ou recommandations scientifiques au sens strict du terme, mais plutôt sur des considérations d'ordre pratique ou politique.

Une étude publiée fin 2022114 arrive à la conclusion que la propension du Conseil fédéral à mettre en oeuvre les recommandations de la SN-STF était élevée durant la première vague de la pandémie, mais qu'elle a ensuite diminué à partir de l'été 2020.

107 108

109 110 111

112 113

114

École polytechnique fédérale de Zurich: COVID-19 Re, https://ibz-shiny.ethz.ch/covid-19-re-international (consulté le 23.2.2023).

Coronavirus: les grandes manifestations à nouveau autorisées dès octobre à des conditions strictes et sous réserve d'autorisation, communiqué de presse du Conseil fédéral du 12.8.2020. À noter que, dans ce cas, les différents intérêts considérés par le Conseil fédéral dans sa prise de décision sont mentionnés dans le communiqué de presse.

SN-STF: Rapport scientifique, 7.4.2021; SN-STF: Rapport scientifique, 20.4.2021 Coronavirus: prochaine étape d'assouplissement le 19 avril, communiqué de presse du Conseil fédéral du 14.4.2021 Rapport de la SN-STF du 29.3.2022, p. 31. La SN-STF a toutefois également précisé que les scénarios ne devaient pas être compris comme des prévisions, mais comme des estimations de l'évolution future.

Coronavirus: retour à la quasi-normalité et simplification des règles de protection de la population, communiqué de presse du Conseil fédéral du 19.6.2020 Coronavirus: le Conseil fédéral propose de prolonger les mesures et raccourcit à cinq jours la durée d'isolement et de quarantaine, communiqué de presse du Conseil fédéral du 12.1.2022.

Eichenberger, Steven / Varone, Frédéric / Sciarini, Pascal / Stähli, Robin / Proulx, Jessica (2022).

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Les auteurs expliquent cette évolution, entre autres, par le changement de statut de la SN-STF115 et le fait que son autorité a été davantage mise en doute par les acteurs politiques. Au total, selon l'étude, 44% des recommandations de la SN-STF émises jusqu'à fin juin 2021 n'ont pas été mises en oeuvre.

Les représentants de la SN-STF, de leur côté, ont indiqué à la CdG-N qu'il était clair pour eux que leur rôle constituait à fournir aux autorités des bases d'information scientifiques et que la responsabilité de décision finale revenait au Conseil fédéral. Ils ont toutefois laissé entendre que la manière dont les informations scientifiques avaient été considérées lors de la prise de décision n'était pas toujours claire pour eux116.

La CdG-N constate que le Conseil fédéral a maintenu sa liberté décisionnelle durant la crise et que ses décisions ont été prises sur la base de pesées des intérêts qui comptaient, à côté des aspects sanitaires, d'autres éléments tels que la cohésion sociale, le soutien aux activités économiques ou l'exercice des droits démocratiques. La commission n'a pas focalisé son examen sur l'adéquation des décisions du Conseil fédéral prises isolément. Elle constate toutefois, sur la base des exemples à sa connaissance, que lorsque le Conseil fédéral a adopté une décision divergente de l'avis des experts scientifiques, il l'a fait en connaissance de cause, en précisant les raisons de son choix et en assortissant ses mesures de certains garde-fous117. La commission note par ailleurs qu'il était en tout temps possible pour le public de comparer les décisions du Conseil fédéral avec les avis des scientifiques, puisque les conclusions de la SN-STF étaient systématiquement publiées. Elle n'a pas connaissance de cas dans lesquels le Conseil fédéral aurait ignoré de manière disproportionnée les recommandations des experts.

Aux yeux de la CdG-N, ces éléments confirment deux constats déjà exprimés plus haut: premièrement, l'importance d'une claire répartition des rôles entre l'organe scientifique consultatif et le Conseil fédéral comme autorité exécutive (cf. recommandation 4) et, deuxièmement, l'importance que le Conseil fédéral dispose de bases de décision complètes, qui rendent compte des connaissances scientifiques et de leur degré de fiabilité, afin qu'il puisse prendre ses décisions en toute connaissance de cause (cf. recommandation 7).

115

Les auteurs estiment notamment que le rattachement de la SN-STF à l'OFSP à partir d'août 2020 a éloigné celle-ci du Conseil fédéral et a eu un impact négatif sur l'influence politico-stratégique de ses recommandations.

116 Audition des représentants de la SN-STF du 12.11.2020.

117 Dans le cas de l'autorisation des grandes manifestations, le Conseil fédéral a par exemple indiqué que celles-ci seraient possibles «à des conditions strictes» et que les cantons pourraient refuser les autorisations en fonction de la situation épidémiologique. Dans le cas des réouvertures d'avril 2021, le Conseil fédéral a indiqué qu'il n'était pas exclu qu'il revienne sur les assouplissements décidés; il a également appelé les personnes vulnérables à continuer à faire preuve de prudence.

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2.4

Communication publique des connaissances scientifiques

2.4.1

Contenu de la communication des autorités

Une communication appropriée des connaissances scientifiques constitue un enjeu majeur en période de crise, afin d'expliquer les mesures décidées et de renforcer leur acceptation. Les conférences de presse et points de presse organisés par les autorités suisses durant la pandémie de COVID-19 se sont tenus à une fréquence particulièrement élevée et ont eu un écho majeur auprès de la population. D'autres canaux de communication, comme les sites Internet des autorités, les policy briefs de la SN-STF ou encore les réseaux sociaux, ont également joué un rôle important118.

La communication publique des connaissances scientifiques sur le port du masque et les rencontres privées a fait l'objet d'un mandat d'analyse externe, attribué par le CPA et réalisé en marge de son évaluation119. Cette étude a été complétée par une analyse documentaire et des entretiens du CPA; la CdG-N a également procédé à diverses clarifications ponctuelles sur ces aspects, qu'elle intègre ci-après dans son appréciation.

À titre de remarque préalable, la CdG-N souligne que la communication attendue de la part des autorités concernant les connaissances scientifiques est liée aux fonctions distinctes assumées par celles-ci en période de crise. Ainsi, on peut s'attendre à ce que les connaissances scientifiques soient essentiellement mentionnées par la SN-STF en tant que groupe d'experts et par l'OFSP en sa qualité d'office spécialisé, alors que le Conseil fédéral, dans son rôle d'autorité exécutive, focalise davantage sa communication sur des questions de stratégie politique et de pesée des intérêts.

Les analyses montrent que la communication publique des autorités durant la pandémie était compréhensible120; selon le CPA, les conférences et points de presse ont suivi une structure claire et les affirmations orales et écrites étaient compréhensibles, tant pour les journalistes que pour la population. Toutefois, l'évaluation montre également que la communication des autorités prenait peu appui de manière explicite sur les connaissances scientifiques disponibles. L'expertise externe souligne que seule une petite partie des 268 affirmations tenues lors des conférences de presse analysées (10,4%) faisait mention des connaissances scientifiques. Il ressort en particulier des données collectées que ce taux était bas pour les interventions
de l'OFSP. A contrario, les affirmations des membres de la SN-STF contenaient toujours une référence à des connaissances scientifiques121. L'analyse approfondie montre que certaines décisions sanitaires importantes (p. ex. réduction des réunions privées à cinq personnes ou introduction du port du masque dans les transports publics) n'ont pas été contextualisées 118 119

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 2.4.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 1.2, 6.1 et 6.2. Trois spécialistes en communication ont procédé à une analyse de contenu et une analyse qualitative approfondie des conférences et dossiers de presse sur ces sujets. Les résultats détaillés sont consignés dans un rapport séparé: Oehmer-Pedrazzi, Franziska / Pedrazzi, Stefano / Schneider, Jörg (2022): Analyse der öffentlichen Kommunikation der wissenschaftlichen Erkenntnisse zum neuen Coronavirus. Bericht im Auftrag der PVK (disponible sur le site Internet des CdG).

120 Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 6.1.

121 Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 6.1.

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par des connaissances scientifiques. Les experts relèvent que les connaissances scientifiques ont surtout été évoquées lorsqu'il s'agissait de durcir les mesures ou d'appuyer certaines recommandations. Les sources scientifiques exactes ont souvent été laissées de côté au sujet de termes plus génériques122.

Il ressort en outre de l'analyse externe que les incertitudes et les évolutions des connaissances n'ont pas toujours été communiquées de manière proactive123. À ce titre, la communication des autorités sur le port du masque est emblématique. De nombreuses critiques ont été exprimées concernant le rejet catégorique par l'OFSP, en mars 2020, de l'utilité de cette mesure, alors que les connaissances scientifiques sur le sujet n'étaient pas aussi tranchées. Le CPA estime que cette position ne reflétait pas l'état des connaissances scientifiques de manière transparente124. Diverses études arrivent à la conclusion que la communication de l'OFSP sur ce sujet a été trop peu coordonnée avec les experts et qu'elle a durablement affaibli la crédibilité publique de l'office125. L'analyse externe mandatée par le CPA montre également que les contradictions par rapport à d'éventuelles affirmations précédentes ont été abordées de manière peu proactive par les responsables de la communication126.

La CdG-N est consciente que trouver un juste équilibre entre une présentation transparente des connaissances scientifiques et la bonne compréhension des messages communiqués représente un véritable défi, en particulier en période de crise. Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que la préparation des conférences de presse sur le COVID-19 et de la documentation y relative a eu lieu dans des délais très restreints et que la pression publique entourant cette communication était particulièrement élevée.

Enfin, à côté des connaissances scientifiques, d'autres aspects devaient également être considérés et communiqués par les autorités, tels que les conséquences sociales, économiques ou politiques de la pandémie.

Pour la commission, une présentation transparente et proportionnée des connaissances scientifiques contribue à augmenter la compréhension et l'acceptation par la population des mesures adoptées, en particulier lorsque celles-ci sont restrictives. La communication publique devrait permettre aux citoyennes et
citoyens de comprendre aussi clairement que possible le lien entre les connaissances disponibles et les décisions prises par les autorités. Elle estime qu'une telle communication devrait avoir lieu de manière proactive de la part des autorités, et non pas seulement en réaction à des questions de journalistes127.

De l'avis de la CdG-N, il serait peu réaliste d'attendre que chaque affirmation des autorités soit appuyée par une source scientifique. Il est notamment adéquat que les représentantes et représentants du Conseil fédéral fassent moins systématiquement référence à la science et se focalisent lors de leurs interventions sur des aspects stra122 123 124 125 126

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 6.1.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 6.2.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 6.2.

Cf. par exemple Rapport Interface et Infras d'avril 2022, en particulier pp. 27 et 64.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 6.2. Le CPA mentionne à ce propos l'exemple de l'introduction du port du masque obligatoire dans les transports publics en juillet 2020, qui constitue un changement de position par rapport à la position critique exprimée par l'OFSP en mars 2020.

127 Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 7.5.

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tégiques ou politiques. La commission estime néanmoins qu'il peut être opportun que le Conseil fédéral lui-même évoque les connaissances scientifiques dans certains cas, en particulier lorsque celles-ci permettent de renforcer la transparence sur sa prise de décision.

La commission est par contre surprise de constater que les affirmations de l'OFSP, en sa qualité d'office spécialisé chargé des questions techniques, aient été peu étayées par des sources scientifiques, alors qu'on pouvait s'attendre à ce que les experts de l'office y fassent davantage référence128. Comme le CPA, la CdG-N est d'avis que, s'il n'est pas toujours possible de donner des références scientifiques à l'oral, une telle règle devrait au moins s'appliquer aux documents écrits.

Une communication transparente est particulièrement importante lorsque les connaissances scientifiques font l'objet d'incertitudes ou de dissensions. Ces connaissances reflétant l'état de la recherche à un moment donné, l'exigence de transparence implique d'évoquer le degré de certitude qui les accompagne. Une attention toute particulière doit être portée à cet aspect dans le contexte d'une pandémie comme celle du COVID-19, durant laquelle les connaissances scientifiques évoluent rapidement et où le Conseil fédéral doit prendre des décisions dans un contexte de grande incertitude.

À ce titre, la CdG-N évalue de manière critique la communication des autorités concernant le port du masque au début de la pandémie. Le rejet catégorique de l'utilité de cette mesure par l'OFSP en mars 2020, alors que les avis scientifiques n'étaient pas unanimes, n'était pas approprié au regard des principes de transparence et de pondération. Cette affirmation, puis le changement de position de l'office sur ce thème à l'été 2020 sans explications particulières, ont nui à la crédibilité de communication des autorités de manière durable. Pour la CdG-N, une communication transparente non seulement sur l'évolution des connaissances, mais aussi sur d'éventuelles contradictions ou erreurs d'appréciation des autorités, constitue la meilleure stratégie pour garantir la confiance de la population.

La commission estime que des enseignements doivent être tirés de ces exemples au niveau de la stratégie de communication de l'OFSP et, de manière plus générale, dans les lignes directrices établies par les autorités fédérales concernant la communication en cas de crise (cf. ci-dessous, recommandation 8).

128

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 6.1. Le CPA constate à ce sujet un décalage entre les pratiques des autorités et les souhaits exprimés par de nombreuses personnes interrogées (importance d'expliciter la raison scientifique qui justifie les mesures prises).

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Excursus: communication des autorités fédérales concernant la protection indirecte des vaccins contre le COVID-19 Fin 2022, des doutes ont été exprimés publiquement concernant la capacité du vaccin contre le COVID-19 à empêcher la transmission du virus à d'autres personnes (protection indirecte)129. La CdG-N a adressé des questions complémentaires sur ce point à l'institut suisse de produits thérapeutiques (Swissmedic) et au DFI, afin de savoir quelles avaient été les connaissances scientifiques concernant cet aspect durant la pandémie et comment celles-ci avaient été communiqués au public.

Tant Swissmedic que le DFI ont souligné que le premier objectif de la vaccination contre le COVID-19 avait clairement été, en tout temps, la protection individuelle directe contre les évolutions graves de la maladie. C'est sur cet aspect qu'ont porté les essais cliniques sur l'efficacité et la sécurité ayant mené à la première autorisation des vaccins par Swissmedic, entre fin 2020 et début 2021, ce qui correspond à la pratique habituelle dans ce domaine.

En ce qui concerne la protection indirecte des vaccins, Swissmedic et le DFI ont confirmé à la CdG-N que, de manière générale, les personnes vaccinées présentent une plus faible probabilité de transmettre un virus à d'autres personnes ­ même si une transmission ne peut jamais entièrement être exclue ­ et que les vaccins ont un effet sur la circulation du virus à l'échelon collectif130. Concernant plus spécifiquement les vaccins contre le COVID-19, les recherches sur la protection indirecte ont eu lieu dès le début de l'année 2021, lorsque ceux-ci ont été administrés à large échelle. De nombreuses études internationales ont alors confirmé que la vaccination permettait de réduire la transmission du COVID-19 à l'échelon individuel et sa circulation dans la population, mais que cette protection indirecte n'était pas absolue et qu'elle dépendait de plusieurs facteurs (notamment le variant concerné131). La CdG-N constate que les autorités fédérales étaient, durant la pandémie, au fait des connaissances scientifiques les plus récentes sur ce sujet.

129

Cf. par exemple Die Ächtung der Ungeimpften, In: Neue Zürcher Zeitung, 11.11.2022.

Ces doutes ont fait suite à l'affirmation d'une responsable de l'entreprise Pfizer, lors d'une intervention au Parlement européen, selon laquelle la protection du vaccin contre la transmission du virus n'avait pas été examinée par l'entreprise au moment de sa mise sur le marché.

130 Selon les explications de Swissmedic, «un vaccin qui fait baisser le nombre d'infections ou la charge virale d'une personne donnée réduit aussi automatiquement le degré et le risque de transmission du virus».

131 Selon les informations de Swissmedic et du DFI, la vaccination impliquait une réduction de la transmission pour la séquence d'origine du virus. Une protection moindre a été constatée lorsque les variants Alpha et Delta sont apparus. Pour le variant Omicron, la CFV et l'OFSP supposent, sur la base des preuves disponibles, que les vaccins n'offrent pas de protection significative contre la transmission.

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La CdG-N a procédé à une analyse des informations communiquées sur cette question par les autorités fédérales entre fin 2020 et fin 2022132; elle constate que l'argument de la protection directe contre les formes graves de la maladie figurait au premier plan tant dans les recommandations de vaccination de l'OFSP et de la CFV que dans la communication publique, que l'argument de la protection indirecte a été évoqué avec modération et que la communication reflétait de manière équilibrée les connaissances scientifiques de l'époque. Au moment de l'autorisation des vaccins, en décembre 2020, l'OFSP a clairement indiqué qu'on ne disposait pas d'informations sur la protection du vaccin contre la transmission. Par la suite, la communication des autorités a suivi l'évolution des connaissances scientifiques en la matière. Plusieurs responsables ont souligné que le vaccin diminuait les risques de transmission, mais n'excluait pas entièrement celle-ci. À partir de l'été 2022, il a été communiqué clairement que, dans le cas du variant Omicron, une protection indirecte n'était plus guère attendue. La CdG-N n'identifie pas de manquements du point de vue de la haute surveillance concernant la communication des autorités sur ce point.

Enfin, la CdG-N salue le fait que les représentants de la SN-STF se soient systématiquement basés sur des faits scientifiques lors de leurs interventions publiques, même si une telle pratique s'explique largement par la fonction de cet organe. Elle relève en outre que la SN-STF a communiqué de manière transparente sur les incertitudes relatives à certains faits scientifiques133. Enfin, la commission estime approprié que la SN-STF ait pu s'exprimer lors des conférences de presse fédérales, ce qui a donné à la parole scientifique une grande visibilité publique. Ce dernier point souligne néanmoins la problématique de la répartition des rôles entre les autorités et la science en matière de communication (cf. plus bas).

Recommandation 8: Améliorer la communication publique des autorités concernant les connaissances scientifiques en période de crise Le Conseil fédéral est prié d'examiner comment les processus et prescriptions en matière de communication publique en période de crise peuvent être améliorés afin que les connaissances scientifiques pertinentes soient communiquées au public de manière adéquate.

132

Recommandations de vaccination de l'OFSP relatives aux vaccins à ARN messager publiées entre le 22.12.2020 et le 10.10.2020, communiqués de presse parus entre le 21.4.2021 et le 21.1.2022, points de presse des autorités fédérales et de la CFV réalisés entre le 19.12.2020 et le 9.9.2022.

133 Cela a par exemple été le cas concernant les risques de transmission liés aux enfants.

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Dans ce cadre, le Conseil fédéral est en particulier prié de s'assurer que des principes directeurs soient fixés concernant les aspects suivants: ­

Référence aux connaissances scientifiques par le Conseil fédéral et les offices spécialisés lors de leurs interventions publiques;

­

Référence aux connaissances scientifiques par les offices spécialisés dans les dossiers de presse (notamment mention et référencement des sources);

­

Communication sur les incertitudes scientifiques, l'évolution des connaissances scientifiques et les éventuelles contradictions des autorités.

2.4.2

Répartition des rôles en matière de communication

Il ressort de l'évaluation du CPA que, si la répartition des tâches de communication entre les différents acteurs de l'administration (OFSP, DFI, Conseil fédéral) et la SN-STF était claire sur le papier, une certaine confusion des rôles s'est fait sentir en pratique, ce qui a suscité des critiques et affaibli la crédibilité des messages transmis134.

Le CPA tire un bilan globalement positif concernant la répartition de la communication au sein de l'administration, entre le Conseil fédéral (niveau politique et stratégique) et l'OFSP (niveau technique). L'évaluation laisse toutefois entrevoir un potentiel d'amélioration sur trois points: premièrement, le fait que l'OFSP en sa qualité d'office spécialisé n'a pas fait plus souvent référence aux connaissances scientifiques que le Conseil fédéral lors de ses interventions (cf. plus haut, ch. 2.4.1); deuxièmement, le fait que le contenu de la communication de l'OFSP a parfois été influencé par l'avis des personnes présentes aux conférences (notamment concernant la question du port du masque, cf. ch. 2.3.1 et 2.4.1); et troisièmement, le fait que la «cellule Communication» prévue dans le Plan de pandémie a peu été sollicitée durant la crise135. Pour la commission, il est important que les autorités fédérales tirent les enseignements concernant ces aspects en vue de crises futures. Considérant que ces éléments sont déjà largement couverts par ses autres recommandations et les travaux d'amélioration en cours, la CdG-N renonce à émettre une recommandation spécifique à ce sujet.

Le bilan est nuancé en ce qui concerne la répartition de la communication entre les autorités fédérales et la SN-STF. Le CPA relève que cette question n'était pas abordée dans les documents concernant la gestion des crises et qu'elle a par conséquent été réglée dans les mandats-cadres assignés à la taskforce. Il ressort de l'évaluation que, tandis que le premier mandat (mars 2020) demeurait assez vague sur ce point, le deu-

134 135

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 6.3.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 6.3. Le CPA constate dans son évaluation que les autorités fédérales ont été en mesure de respecter le principe de voix unique (one-voice) durant la pandémie.

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xième (à partir de juillet 2020) était beaucoup plus complet136. Malgré cela, le CPA constate qu'un certain manque de clarté a continué à régner; certains acteurs ont notamment critiqué le fait que la SN-STF (ou certains de ses membres) s'étaient prononcés publiquement sur les décisions politiques des autorités. Cette situation a affaibli la crédibilité de l'organe aux yeux notamment des acteurs politiques137. Selon l'évaluation, le rôle et la place de la SN-STF en termes de communication ont mis un certain temps à être réellement définis138. Le CPA estime également que des règles claires sur la répartition des responsabilités quant au contenu de la communication ont fait défaut139.

Face à la commission, les représentants de la SN-STF ont souligné que la soudaine attention publique et les nombreuses sollicitations médiatiques suite à l'éclatement de la pandémie avaient constitué un défi inédit pour de nombreux scientifiques140. L'évaluation réalisée par Interface et Infras montre que les scientifiques ont notamment dû prendre conscience de leur responsabilité en termes de communication141.

La CdG-N constate que le rôle important joué par les acteurs du monde scientifique dans la communication publique en cas de pandémie n'avait été anticipé ni par les autorités fédérales, ni par les acteurs scientifiques, qui ont été pris au dépourvu sur ce point. Le rôle de la SN-STF en termes de communication a mis du temps à s'ajuster durant la pandémie, ce qui s'explique probablement entre autres par le climat de méfiance qui régnait dans un premier temps entre les acteurs concernés (cf. ch. 2.2.1).

Comme le CPA, la commission estime que la répartition des tâches aurait pu être réglée de manière plus rapide et qu'une réflexion de fond concernant le contenu de la communication aurait permis d'éviter des malentendus tout en respectant la liberté d'expression des milieux scientifiques142. La CdG-N estime que la répartition des rôles de communication entre l'administration et les organes consultatifs scientifiques doit impérativement être approfondie et clarifiée dans le cadre des travaux faisant suite aux Po. 20.3280 Michel et 20.3542 De Quattro (cf. recommandation 4). Elle estime en particulier que cet enjeu devrait être abordé dans les documents de la Confédération relatifs à la gestion des crises.

3

Conclusions

La CdG-N arrive à la conclusion que l'utilisation des connaissances scientifiques par les autorités fédérales pour faire face à la pandémie de COVID-19 a été partiellement adéquate. L'OFSP a bénéficié d'un réseau lui permettant de disposer des connais136

137

138 139 140 141 142

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 6.3. Le deuxième mandat fixait notamment des principes concernant les personnes responsables pour la communication et la coordination du calendrier de communication avec les autorités fédérales.

Cf. notamment à ce sujet Eichenberger, Steven / Varone, Frédéric / Sciarini, Pascal / Stähli, Robin / Proulx, Jessica (2022) (cf. note de bas de page 114), ainsi que Rapport d'Interface et Infras d'avril 2022.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 6.3.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 7.5.

Audition de représentants de la SN-STF, 12.11.2020.

Rapport d'Interface et Infras d'avril 2022, p. 65.

Rapport du CPA du 24.8.2022, ch. 7.5.

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sances scientifiques nécessaires et l'utilisation de ces connaissances a pu être améliorée au cours de la crise. Toutefois, cet épisode a mis au jour une claire nécessité d'amélioration sur plusieurs points.

La commission constate avec satisfaction que le Conseil fédéral a déjà tiré certains enseignements sur la base des expériences faites. En plus des améliorations apportées au fil de la crise, elle salue en particulier la volonté du Conseil fédéral d'approfondir, pour l'avenir, l'option d'organes consultatifs scientifiques ad hoc reposant sur un réseau interdisciplinaire. Elle juge important que cette piste soit concrétisée rapidement et souligne différents aspects qui devront de son point de vue impérativement être approfondis dans ce cadre (recommandation 4, ch. 2.2.2).

Au-delà de cette mesure, la CdG-N met en évidence, dans le présent rapport, plusieurs problématiques de fond liées à l'utilisation des connaissances scientifiques en période de crise qui doivent de son point de vue être clarifiées: ­

Premièrement, la manière dont le recours aux connaissances scientifiques est réglé dans les bases juridiques et stratégiques, non seulement dans le domaine de la lutte contre les épidémies, mais également de manière plus générale dans la gestion des risques et des crises de la Confédération (recommandations 1 et 2, ch. 2.1);

­

Deuxièmement, la manière dont l'OFSP collecte et traite les informations scientifiques relatives aux épidémies (recommandation 3, ch. 2.2.1);

­

Troisièmement, les modalités d'attribution des mandats-cadres de conseil scientifique à des prestataires externes (recommandation 5, ch. 2.2.3);

­

Quatrièmement, le rôle de la CFP en période de pandémie (recommandation 6, ch. 2.2.4);

­

Cinquièmement, la présentation des connaissances et avis scientifiques dans les bases de décision soumises au Conseil fédéral (recommandation 7, ch. 2.3.1);

­

Sixièmement, la communication publique des autorités fédérales concernant les connaissances scientifiques sur lesquelles elles fondent leur action et leurs décisions (recommandation 8, ch. 2.4.1).

Sur la base des clarifications concernant ces points, la CdG-N attend du Conseil fédéral qu'il procède aux adaptations nécessaires des bases légales et stratégiques (notamment de la LEp et du Plan de pandémie), mais aussi des directives et des autres documents pertinents.

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La CdG-N invite le Conseil fédéral à donner son avis sur les constatations et les recommandations du présent rapport de même que sur le rapport du CPA d'ici au 4 octobre 2023 et à lui indiquer par quelles mesures et dans quel délai il entend mettre en oeuvre ses recommandations.

30 juin 2023

Au nom de la Commission de gestion du Conseil national: La présidente, Prisca Birrer-Heimo La secrétaire, Ursina Jud Huwiler Le président de la sous-commission DFI/DETEC, Thomas de Courten Le secrétaire de la sous-commission DFI/DETEC, Nicolas Gschwind

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Abréviations CdG CdG-E CdG-N CFP

Commissions de gestion des Chambres fédérales Commission de gestion du Conseil des États Commission de gestion du Conseil national Commission fédérale pour la préparation et la gestion en cas de pandémie CFV Commission fédérale pour les vaccinations ChF Chancellerie fédérale CPA Contrôle parlementaire de l'administration DEFR Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche DFI Département fédéral de l'intérieur ECDC European Centre for Disease Prevention and Control, Centre européen de prévention et de contrôle des maladies EMCC État-major du Conseil fédéral chargé de gérer la crise du coronavirus EPF Écoles polytechniques fédérales EPFL École polytechnique fédérale de Lausanne FF Feuille fédérale FNS Fonds national suisse FRI Formation, recherche et innovation LEp Loi fédérale du 28 septembre 2012 sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme (Loi sur les épidémies; RS 818.101) LOGA Loi fédérale du 21 mars 1997 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration (RS 172.010) Mo.

Motion OEp Ordonnance du 29 avril 2015 sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme (Ordonnance sur les épidémies; RS 818.101.1) OFSP Office fédéral de la santé publique OMS Organisation mondiale de la santé Po.

Postulat RS Recueil systématique du droit fédéral SN-STF Swiss National COVID-19 Science Task Force, taskforce scientifique nationale suisse relative au COVID-19 SSPH+ Swiss School of Public Health Swissmedic Institut suisse des produits thérapeutiques Swissnoso Centre national de prévention des infections

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