17.023 Message relatif à l'initiative populaire «Pour la souveraineté alimentaire.

L'agriculture nous concerne toutes et tous» du 15 février 2017

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Pour la souveraineté alimentaire. L'agriculture nous concerne toutes et tous» en leur recommandant de la rejeter.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

15 février 2017

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Doris Leuthard Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2016-2138

1475

Condensé L'initiative populaire «Pour la souveraineté alimentaire. L'agriculture nous concerne toutes et tous» demande que la politique agricole privilégie une agriculture axée sur la petite paysannerie et sur un approvisionnement à l'échelle régionale.

Le texte déposé propose d'atteindre cet objectif par des interventions étatiques de grande ampleur. Le Conseil fédéral recommande de rejeter l'initiative populaire.

En effet, un oui remettrait en question les acquis réalisés à la faveur de la réforme agricole des 25 dernières années, affaiblirait la compétitivité et la capacité d'innovation des secteurs agricole et agroalimentaire suisses tout en restreignant la marge de manoeuvre dont dispose la Suisse dans le commerce extérieur.

Contenu de l'initiative L'initiative contient des revendications qui sont déjà prises en considération par la politique agricole actuelle, comme le développement d'une agriculture paysanne diversifiée et durable, le soutien des prix des produits indigènes et la protection des terres arables. De même, l'application de l'accord de l'OMC prévue pour 2019 aboutira à l'interdiction des subventions à l'exportation que réclame l'initiative.

Par contre, certaines préoccupations du texte déposé sont en contradiction avec la politique agricole de la Confédération, à qui l'initiative demande, par exemple, d'exercer de nouveau une plus forte influence sur les structures des exploitations agricoles pour augmenter le nombre d'actifs dans l'agriculture. L'initiative demande également que l'État intervienne davantage sur le marché pour favoriser une agriculture axée sur la petite paysannerie et sur un approvisionnement régional.

Selon le texte déposé, il faudrait, au mépris du droit commercial international, prélever des droits de douane supplémentaires sur les importations de denrées alimentaires qui ne répondent pas aux normes de développement durable suisses, voire interdire ces importations.

Mérites et lacunes de l'initiative Au cours des 25 dernières années, l'État a privilégié, dans la politique agricole, le soutien de prestations qui répondent aux attentes de la population, mais qui ne sont pas rémunérées par le marché. Parallèlement, les interventions de l'État ont diminué, tout comme les agriculteurs ont vu s'accroître leurs responsabilités et leur marge de manoeuvre. Or,
une action plus forte de l'État sur les structures, une aide aux organismes de commercialisation et de nouvelles interventions sur le marché sont autant de facteurs qui iraient de nouveau à l'encontre de tous ces progrès. Les interventions étatiques demandées auraient pour effet de creuser encore plus l'écart des prix des matières premières agricoles et des denrées alimentaires avec ceux de l'étranger, en particulier de nos voisins, affaiblissant ainsi la compétitivité des secteurs agricole et agroalimentaire suisses. De telles mesures pourraient aussi entraîner des désavantages concurrentiels pour les secteurs du tourisme et de la restauration. Qui plus est, une accentuation des différences de prix favoriserait le tourisme d'achat. Il en résulterait également une augmentation massive des charges pour l'administration et pour les contribuables ainsi que pour les consommateurs.

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La Suisse verrait alors sa liberté d'action restreinte dans le commerce extérieur, ce qui nuirait aux relations commerciales importantes qu'elle entretient avec d'autres espaces économiques.

Proposition du Conseil fédéral Par le présent message, le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Pour la souveraineté alimentaire. L'agriculture nous concerne toutes et tous» sans lui opposer de contre-projet, en leur recommandant de la rejeter.

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Table des matières Condensé

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1

Aspects formels et validité de l'initiative 1.1 Texte de l'initiative 1.2 Dépôt de l'initiative et délais de traitement 1.3 Validité

1479 1479 1480 1481

2

Contexte

1481

3

Buts et contenu de l'initiative 3.1 Buts visés 3.2 Dispositif proposé 3.3 Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

1483 1483 1483 1485

4

Appréciation de l'initiative 4.1 Appréciation des exigences de l'initiative 4.2 Conséquences en cas d'acceptation de l'initiative 4.3 Avantages et inconvénients de l'initiative 4.4 Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

1488 1488 1498 1500 1501

5

Conclusions

1504

Arrêté fédéral relatif à l'initiative populaire «Pour la souveraineté alimentaire. L'agriculture nous concerne toutes et tous» (Projet)

1478

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Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Texte de l'initiative

L'initiative «Pour la souveraineté alimentaire. L'agriculture nous concerne toutes et tous» a la teneur suivante: La Constitution1 est modifiée comme suit: Art. 104c2

Souveraineté alimentaire

Afin de mettre en oeuvre la souveraineté alimentaire, la Confédération favorise une agriculture paysanne indigène rémunératrice et diversifiée, fournissant des denrées alimentaires saines et répondant aux attentes sociales et écologiques de la population.

1

Elle veille à ce que l'approvisionnement en denrées alimentaires indigènes et en aliments indigènes pour animaux soit prépondérant et que leur production ménage les ressources naturelles.

2

3

Elle prend des mesures efficaces pour: a.

favoriser l'augmentation du nombre d'actifs dans l'agriculture et la diversité des structures;

b.

préserver les surfaces cultivables, notamment les surfaces d'assolement, tant en quantité qu'en qualité;

c.

garantir le droit à l'utilisation, à la multiplication, à l'échange et à la commercialisation des semences par les paysans.

Elle proscrit l'emploi dans l'agriculture des organismes génétiquement modifiés ainsi que des plantes et des animaux issus des nouvelles technologies de modification ou de recombinaison non naturelle du génome.

4

5

1 2

Elle assume notamment les tâches suivantes: a.

elle soutient la création d'organisations paysannes qui visent à assurer l'adéquation entre la production agricole et les besoins de la population;

b.

elle garantit la transparence sur le marché et favorise la détermination de prix équitables dans chaque filière;

c.

elle renforce les échanges commerciaux directs entre paysans et consommateurs ainsi que les structures de transformation, de stockage et de commercialisation régionales.

RS 101 Le numéro définitif du présent article sera fixé par la Chancellerie fédérale après le scrutin.

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Elle porte une attention particulière aux conditions de travail des salariés agricoles et veille à ce qu'elles soient harmonisées au niveau fédéral.

6

Pour maintenir et développer la production indigène, elle prélève des droits de douane sur les produits agricoles et les denrées alimentaires importés et en régule les volumes d'importation.

7

Pour favoriser une production conforme aux normes sociales et environnementales suisses, elle prélève des droits de douane sur les produits agricoles et les denrées alimentaires importés non conformes à ces normes et peut en interdire l'importation.

8

Elle n'accorde aucune subvention à l'exportation de produits agricoles et de denrées alimentaires.

9

Elle garantit l'information et la sensibilisation sur les conditions de production et de transformation des denrées alimentaires indigènes et importées. Elle peut fixer des normes de qualité indépendamment des normes internationales.

10

Art. 197, ch. 123 12. Disposition transitoire ad art. 104c (Souveraineté alimentaire) Le Conseil fédéral soumet les dispositions légales nécessaires à l'exécution de l'art. 104c à l'Assemblée fédérale au plus tard deux ans après l'acceptation de cet article par le peuple et les cantons.

1.2

Dépôt de l'initiative et délais de traitement

L'initiative populaire «Pour la souveraineté alimentaire. L'agriculture nous concerne toutes et tous» a fait l'objet d'un examen préliminaire4 de la Chancellerie fédérale le 16 septembre 2014 et a été déposée le 30 mars 2016, munie des signatures nécessaires.

Par décision du 25 avril 2016, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait recueilli 108 680 signatures valables et qu'elle avait donc abouti5.

L'initiative est présentée sous la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral n'y oppose pas de contre-projet. Conformément à l'art. 97, al. 1, let. a, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)6, le Conseil fédéral a jusqu'au 30 mars 2017 pour soumettre à l'Assemblée fédérale un projet d'arrêté fédéral accompagné d'un message. En vertu de l'art. 100 LParl, l'Assemblée fédérale a jusqu'au 30 septembre 2018 pour se prononcer sur l'initiative populaire.

3 4 5 6

Le numéro définitif de cette disposition transitoire sera fixé par la Chancellerie fédérale après le scrutin.

FF 2014 6597 FF 2016 3567 RS 171.10

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1.3

Validité

L'initiative remplit les conditions de validité prévues à l'art. 139, al. 3, de la Constitution (Cst.): a.

elle revêt la forme d'un projet entièrement rédigé et respecte ainsi le principe de l'unité de la forme;

b.

la connexité matérielle entre les deux parties de l'initiative est établie; l'initiative respecte donc le principe de l'unité de la matière;

c.

l'initiative ne contrevient pas aux règles impératives du droit international; elle répond ainsi aux exigences de compatibilité avec le droit international.

2

Contexte

La notion de souveraineté alimentaire a été lancée par le Mouvement Paysan International Via Campesina lors de la Conférence mondiale de l'alimentation, qui s'est tenue en 1996. Elle désigne le droit des peuples, des pays ou des groupes de pays de définir leurs politiques agricole et alimentaire, sans nuire à d'autres régions. La souveraineté alimentaire est une notion politique accompagnée de diverses revendications, telles que des salaires équitables pour les ouvriers agricoles, des prix à la production équitables et le non-recours au génie génétique dans l'agriculture.

Le modèle présenté par Via Campesina est une agriculture paysanne produisant essentiellement des aliments pour la population régionale selon les principes du développement durable.

Les échanges locaux et régionaux doivent avoir la priorité sur les exportations et le commerce mondial. Le syndicat paysan Uniterre et L'autre syndicat, tous deux membres de Via Campesina, sont les moteurs de l'initiative populaire, avec 70 autres organismes.

L'initiative a été lancée en réaction à la politique agricole et à l'évolution structurelle que connaît l'agriculture depuis le milieu des années 90. Ses auteurs déplorent la baisse du nombre d'exploitations, les fluctuations plus fortes des prix consécutives à la libéralisation des marchés, la concurrence internationale qui en découle pour les paysans, l'importance du commerce sans oublier l'impact de ces phénomènes sur l'être humain et sur l'environnement. Cette évolution devrait être contrecarrée par une politique agricole conforme aux principes de Via Campesina et aux besoins de la population.

Le Parlement et le Conseil fédéral ont étudié en profondeur la notion de souveraineté alimentaire dans le cadre de la Politique agricole 2014­2017. L'initiative parlementaire Bourgeois (08.457 «Souveraineté alimentaire») a abouti à l'inscription de cette notion à l'art. 2, al. 4, de la loi du 29 avril 1998 sur l'agriculture (LAgr) 7. Conformément à cet article, les mesures de la Confédération tiennent compte, dans le respect des principes de la souveraineté alimentaire, des besoins des consommateurs en produits indigènes diversifiés, durables et de haute qualité.

7

RS 910.1

1481

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Deux autres initiatives populaires concernant l'agriculture et l'alimentation sont encore en suspens.

Initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire»: le texte déposé demande que soit renforcé l'approvisionnement de la population en denrées alimentaires issues d'une production indigène diversifiée et durable. L'initiative propose à cette fin un nouvel article constitutionnel (art.104a Cst.) qui impose des mesures destinées à réduire les pertes de terres arables et à appliquer une stratégie qualité. La Confédération doit par ailleurs maintenir une faible charge administrative pour l'agriculture et garantir la sécurité du droit et des investissements. Dans le message du 24 juin 2015 relatif à l'initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire»8, le Conseil fédéral recommande de rejeter l'initiative sans contre-projet, puisqu'il n'est pas nécessaire d'agir au plan constitutionnel. Le 29 novembre 2016, le Conseil des États a accepté un contre-projet à l'initiative élaboré par la Commission de l'économie et des redevances du Conseil des États (CER-E), et recommande de rejeter l'initiative. Le délai prévu a été prolongé jusqu'au 8 janvier 2018 pour que le Parlement ait le temps de traiter cette initiative populaire.

Initiative populaire «Pour des denrées alimentaires saines et produites dans des conditions équitables et écologiques (initiative pour des aliments équitables)»: le texte déposé demande le renforcement de l'offre de denrées alimentaires sûres, de bonne qualité et produites dans le respect de l'environnement, des ressources et des animaux, ainsi que dans des conditions de travail équitables. Le Conseil fédéral soutient cette démarche sur le fond. Son action passée et actuelle poursuit des buts semblables au plan de la production de denrées alimentaires en Suisse. Dans ce domaine, l'initiative est inutile, car de nouvelles bases constitutionnelles ne sont pas nécessaires. Selon cette initiative, les denrées alimentaires importées devraient satisfaire, elles aussi, aux exigences suisses. Or, un tel objectif n'est pas compatible avec les engagements internationaux pris par la Suisse. L'initiative est contraire au droit commercial international et aux accords commerciaux conclus, notamment avec l'UE. Le Conseil fédéral estime en outre que l'application concrète de l'initiative serait
problématique, s'il fallait vérifier que les produits agricoles importés répondent effectivement aux exigences de la Suisse en matière de production.

C'est pourquoi le Conseil fédéral recommande dans le message du 26 octobre 2016 concernant l'initiative populaire «Pour des denrées alimentaires saines et produites dans des conditions équitables et écologiques (initiative pour des aliments équitables)»9 de rejeter l'initiative sans contre-projet. L'Assemblée fédérale doit se prononcer sur la recommandation de vote d'ici au 26 mai 2018.

Les trois initiatives populaires ne sont pas contradictoires. La présente initiative coïncide avec l'initiative «Pour la sécurité alimentaire» dans le domaine de la protection des terres agricoles. Par ailleurs, cette dernière et l'initiative pour des aliments équitables se recoupent sur de nombreux points en ce qui concerne les exigences auxquelles les importations de denrées alimentaires doivent satisfaire.

8 9

FF 2015 5273 FF 2016 8151

1482

FF 2017

3

Buts et contenu de l'initiative

3.1

Buts visés

L'initiative demande à la Confédération de favoriser une agriculture paysanne diversifiée qui renonce aux OGM. Les mesures de politique agricole actuelles (notamment les paiements directs) permettent déjà, sur la base de l'art. 104 Cst., d'encourager une agriculture paysanne diversifiée, même si la Confédération n'intervient pas activement dans le développement des structures. L'initiative veut que la politique agricole privilégie une agriculture à petite échelle. Elle exige en outre que la Confédération s'emploie à relever les prix à la production («rémunérateurs» selon ses auteurs) pour assurer des revenus plus élevés («équitables») aux paysans et aux employés agricoles. Il ressort de cette revendication que les auteurs de l'initiative estiment que le soutien actuel des prix (surtout la protection douanière) est insuffisant et doit être renforcé. L'initiative a pour objectif de mettre un terme aux changements structurels et de faire remonter le nombre d'actifs dans l'agriculture. L'État pourrait ainsi contrer les effets des progrès technologiques. Le prélèvement de droits de douane sur les produits agricoles et les denrées alimentaires importés doit permettre de soutenir des circuits courts de distribution ainsi que l'approvisionnement régional. Il doit également être possible d'interdire l'importation des produits qui ne sont pas conformes aux normes sociales et environnementales applicables en Suisse. Les contributions à l'exportation de produits issus de l'agriculture suisse doivent être proscrites. L'État doit prendre des mesures supplémentaires pour encourager davantage les échanges commerciaux directs entre paysans et consommateurs. Il doit par ailleurs veiller à ce que les denrées alimentaires et les aliments pour animaux proviennent essentiellement de la production indigène et que celle-ci préserve les ressources naturelles. L'initiative exige que l'État intervienne de nouveau davantage dans les structures agricoles et sur les marchés.

3.2

Dispositif proposé

L'initiative demande l'ajout d'un nouvel article intitulé «Souveraineté alimentaire» (art. 104c)10. Le terme de souveraineté recouvre la capacité d'autodétermination juridique. En conséquence, un État est souverain pour l'alimentation de sa population, lorsqu'il peut décider de sa politique alimentaire indépendamment des autres puissances. L'utilisation de la notion de souveraineté alimentaire dans le titre et à l'al. 1 de l'art. 104c prête d'autant plus à équivoque que l'article proposé ne revendique pas le droit d'autodétermination en matière de politique alimentaire, mais demande au contraire que cette politique soit axée sur la petite paysannerie.

Les objectifs de l'initiative sont énoncés aux al. 1 et 2. Pour appliquer le principe de souveraineté alimentaire selon l'interprétation des auteurs de l'initiative, la Confédération doit favoriser une agriculture paysanne indigène rémunératrice et diversifiée, fournissant des denrées alimentaires saines et répondant aux attentes sociales et 10

L'art. 104c a été choisi pour éviter une collision des intérêts avec les autres initiatives en suspens. La Chancellerie fédérale fixera le numéro définitif de l'article après l'acceptation de l'initiative en votation populaire.

1483

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écologiques de la population (al. 1). Elle veille à cet effet à ce que l'approvisionnement en denrées alimentaires indigènes et en aliments indigènes pour animaux soit prépondérant et que leur production ménage les ressources naturelles (al. 2).

Les al. 3 à 10 recensent les moyens permettant d'atteindre les objectifs visés. L'al. 3 demande à la Confédération de prendre des mesures efficaces pour favoriser l'augmentation du nombre d'actifs dans l'agriculture et la diversité des structures, préserver les surfaces cultivables, notamment les surfaces d'assolement, tant en quantité qu'en qualité et garantir le droit à l'utilisation, à la multiplication, à l'échange et à la commercialisation des semences par les paysans.

L'al. 4 proscrit l'emploi dans l'agriculture des organismes génétiquement modifiés (OGM) ainsi que des plantes et des animaux issus des nouvelles technologies de modification ou de recombinaison non naturelle du génome.

L'al. 5 décrit les tâches de la Confédération pour la régulation du marché indigène.

La Confédération doit soutenir la création d'organisations paysannes qui visent à assurer l'adéquation entre l'offre des paysans et les besoins de la population. Elle doit garantir la transparence sur le marché et favoriser la détermination de prix équitables dans chaque filière. Enfin, elle doit renforcer les échanges commerciaux directs entre paysans et consommateurs ainsi que les structures de transformation, de stockage et de commercialisation régionales. À noter que cette énumération n'est pas exhaustive.

L'al. 6 porte sur les conditions de travail des employés du secteur agricole. La Confédération doit accorder une attention particulière à ces conditions et veiller à ce qu'elles soient uniformes dans toute la Suisse.

Les al. 7 à 9 se rapportent au commerce international et à la réglementation des importations. Pour maintenir et développer la production indigène, la Confédération doit prélever des droits de douane sur les produits agricoles et les denrées alimentaires importés et en réguler les volumes d'importation. Pour favoriser une production conforme aux normes sociales et environnementales suisses, elle prélève des droits de douane sur les produits agricoles et les denrées alimentaires importés non conformes à ces normes et peut en interdire l'importation. Enfin, elle
n'accorde aucune subvention à l'exportation de produits agricoles et de denrées alimentaires.

L'al. 10 concerne l'information des consommateurs. La Confédération doit garantir l'information sur les conditions de production et de transformation des denrées alimentaires indigènes et importées ainsi que la sensibilisation des consommateurs à ces questions. Elle peut fixer des normes de qualité indépendamment des normes internationales.

La disposition transitoire de l'art. 197, ch. 12, Cst. exige du Conseil fédéral qu'il soumette à l'Assemblée fédérale les dispositions d'exécution nécessaires deux ans au plus tard après l'acceptation de l'initiative.

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3.3

Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

Relation avec l'art. 104 Cst.

La disposition constitutionnelle proposée pose à la Confédération des exigences concrètes en matière de politique agricole qui limitent la liberté d'action politique accordée par l'actuel art. 104 Cst. Le texte de l'initiative ne comporte pas de contradictions avec l'art. 104 Cst. ou d'autres dispositions constitutionnelles.

Al. 1 L'al. 1 demande à la Confédération de favoriser une agriculture paysanne indigène rémunératrice et diversifiée. Le terme «indigène» a le même sens que l'expression «du pays», qui est utilisée dans la définition de la souveraineté alimentaire à l'art. 2, al. 4, LAgr: «Elle (la Confédération) tient compte des principes de la souveraineté alimentaire, des besoins des consommateurs en produits du pays diversifiés, durables et de haute qualité.» L'adjectif «paysan», qui apparaît déjà à l'art. 104, al. 2, Cst., signifie que l'agriculteur et sa famille accomplissent eux-mêmes une part importante des travaux nécessaires. Le responsable de l'exploitation est aussi le principal investisseur. Le terme «rémunératrice», qui n'a encore jamais été utilisé dans la législation, signifie ici «couvrant au moins les coûts», et va donc plus loin que les dispositions sur le revenu de l'art. 5, al. 1, LAgr. La notion de diversité se rapporte à la structure de l'agriculture. Il faut tenir compte des différents types et tailles d'exploitations ainsi que des divers modes de production. Les denrées alimentaires produites par l'agriculture doivent en outre être «saines», c'est-à-dire que leur consommation normale ne doit pas être préjudiciable à la santé à cause de composants indésirables ou de résidus de produits de traitement. Enfin, l'agriculture doit répondre aux «attentes sociales et écologiques». Les «attentes sociales» désignent les prestations attendues par la société, comme des paysages bien entretenus ou la sécurité alimentaire. Les «attentes écologiques de la population» devraient correspondre aux préoccupations environnementales de la société par rapport à l'agriculture (eaux non polluées par des pesticides, etc.), bien qu'elles puissent aussi être assimilées à des attentes sociétales.

Al. 2 D'après l'argumentaire des auteurs de l'initiative du 8 septembre 201411, le terme «prépondérant» signifie que plus de 50 % de l'approvisionnement en denrées alimentaires
et en aliments pour animaux doivent provenir du pays. La production doit, à cet égard, respecter les écosystèmes.

Al. 3, let. a En 2015, quelque 69 650 personnes travaillaient à plein temps dans le secteur agricole et 85 530 à temps partiel12. La main-d'oeuvre familiale constituait près de 80 % des personnes actives. L'initiative en conclut qu'il faut relever le nombre actuel d'actifs dans l'agriculture. Comme l'al. 1 demande à favoriser une agriculture pay11 12

L'argumentaire peut être téléchargé depuis le site www.souverainete-alimentaire.ch > Téléchargements (état au 4 nov. 2016) Office fédéral de la statistique, Relevé des structures agricoles 2015

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sanne, le pourcentage de la main-d'oeuvre familiale doit donc aussi au moins être conservé. L'initiative ne précise pas le nombre visé de personnes actives dans l'agriculture. La diversité revendiquée peut concerner des structures géographiques, paysagères, organisationnelles ou des structures de l'exploitation.

Al. 3, let. b L'objectif poursuivi consiste à préserver la superficie et la qualité actuelles des surfaces cultivables et des surfaces d'assolement. À l'inverse de l'initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire», les surfaces d'estivage ne sont pas explicitement mentionnées dans ce texte. Il est cependant probable que les auteurs de l'initiative ont volontairement omis d'employer le terme de surface agricole utile, qui aurait exclu la région d'estivage. L'alinéa peut dès lors signifier que les terres affectées à l'estivage doivent également être sauvegardées. Alors que la protection des terres agricoles incombe concrètement aux cantons, l'initiative confie expressément à la Confédération des tâches dans ce sens. Les compétences en matière de protection des terres agricoles sont dès lors transférées en premier lieu à la Confédération.

Al. 3, let. c L'initiative réclame la garantie du droit à l'utilisation, à la multiplication, à l'échange et à la commercialisation des semences par les paysans. Il s'agit vraisemblablement des chefs d'une exploitation paysanne (personnes physiques). Les autres formes d'exploitations et groupes de personnes qui ne sont pas considérés comme paysans (exploitations n'ayant pas droit à des paiements directs) ne bénéficieraient donc pas de ce droit.

Al. 4 L'initiative réclame l'interdiction générale du recours aux OGM dans l'agriculture suisse. Le terme «emploi» exclut la culture et l'élevage d'animaux, tout comme les aliments OGM pour animaux, les produits phytosanitaires et les engrais. L'expression «issus de nouvelles technologies» porte uniquement sur les végétaux et les animaux. Elle englobe aussi dans cette interdiction les technologies qui, pour l'instant, ne sont pas qualifiées de génétiques et ne touchent pas le patrimoine génétique. Ce qui est recouvert par le terme «recombinaison» n'est pas clair. Des mutations peuvent être volontairement obtenues par l'édition génomique, que les auteurs de l'initiative assimilent probablement à une nouvelle
technologie.

Al. 5, let. a L'initiative demande que la Confédération encourage la création d'organisations capables d'assurer une adéquation entre l'offre et la demande. Cette harmonisation concerne vraisemblablement des biens commercialisables, c'est-à-dire des produits agricoles. Le terme «création» peut être pris dans le sens d'un financement initial.

Le reste du financement des organisations n'est pas clairement défini.

Al. 5, let. b L'initiative demande que la Confédération garantisse la transparence du marché tout en veillant à ce que les prix fixés soient équitables. Les auteurs ne précisent pas ce qu'ils entendent par «équitables». Il est probable que les prix équitables doivent 1486

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contribuer à l'agriculture rémunératrice visée à l'al. 1. La let. b aborde d'ailleurs explicitement la question de la concurrence entre les acteurs du marché et donc celle de la répartition «équitable» des marges tout au long des chaînes de création de valeur. Diverses études révèlent que les coûts de production de l'agriculture suisse varient aussi considérablement dans des structures et des conditions géographiques similaires. La direction de l'entreprise joue à cet égard un grand rôle. La question se pose dès lors de savoir si la Confédération doit faire en sorte que des prix couvrant les coûts soient également déterminés pour les exploitations affichant des frais de production d'un niveau aussi élevé.

Al. 5, let. c La demande de renforcer la vente directe et les structures régionales de transformation, de stockage et de commercialisation peut signifier que la Confédération doit élargir ses mesures actuelles (cf. ch. 4.1).

Al. 6 L'initiative veut que la Confédération s'implique davantage dans la question des conditions de travail des employés du secteur agricole. Reste à savoir comment doit être interprétée l'expression «une attention particulière». En revanche, une chose est sûre: la Confédération doit veiller à ce que les conditions de travail soient uniformément réglementées dans toute la Suisse. En conséquence, cette mission n'incomberait plus, comme aujourd'hui, aux cantons.

Al. 7 L'initiative prévoit de recourir plus qu'aujourd'hui à l'instrument de régulation que représente la frontière. L'al. 7 se réfère aussi bien aux produits agricoles importés qu'aux denrées alimentaires. Conformément à l'art. 4 de la loi du 20 juin 2014 sur les denrées alimentaires (LDAI)13, «on entend par denrées alimentaires l'ensemble des substances ou des produits transformés, partiellement transformés ou non transformés qui sont destinés à être ingérés ou dont on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il soit ingérés par l'être humain». Cette définition englobe donc aussi les produits transformés agricoles. L'initiative réclame l'inscription dans la Constitution d'une compétence fédérale spécifique pour le prélèvement de droits de douane sur des produits importés correspondants et la régulation des volumes d'importations de ces mêmes produits.

Al. 8 L'al. 8 oblige la Confédération à prélever des droits de
douane sur les produits agricoles importés. Par ailleurs, il l'habilite à interdire leur importation, si leur production n'est pas conforme aux normes sociales et environnementales de la Suisse (pâtes avec des oeufs issus de l'élevage en batterie, etc.). Le texte de l'initiative ne précise pas si ces normes désignent les exigences légales minimales ou les normes volontaires plus strictes, telles qu'elles sont appliquées aux paiements directs (prestations écologiques requises).

13

FF 2014 4949

1487

FF 2017

Al. 9 L'initiative réclame ici l'interdiction de subventionner les produits agricoles et denrées alimentaires exportés.

Al. 10 L'initiative demande que la Confédération informe la population sur les conditions de production et de transformation de denrées alimentaires indigènes ou importées et la sensibilise à ces questions. Pour ce faire, il faut qu'elle puisse, indépendamment des normes convenues à l'échelle internationale, définir ses propres normes de qualité. D'éventuels accords bilatéraux ou multilatéraux ne doivent donc pas porter atteinte au droit de fixer des critères de qualité propres.

Art. 197, ch. 12 La disposition transitoire à l'art. 197, ch. 12, Cst. demande au Conseil fédéral de soumettre à l'Assemblée fédérale les dispositions légales nécessaires au plus tard deux ans après l'acceptation de l'initiative.

4

Appréciation de l'initiative

4.1

Appréciation des exigences de l'initiative

Al. 1 Par «souveraineté alimentaire», le Conseil fédéral entend le droit d'un État à déterminer lui-même ses politiques agricole et alimentaire (cf. ch. 3.2). Ce droit est garanti en Suisse par le système de démocratie directe. Au vu des exigences formulées par l'initiative, les auteurs de celle-ci entendent par «souveraineté alimentaire», non pas le droit à l'autodétermination, mais une certaine orientation de la politique agricole vers un nouveau renforcement de la production indigène, du protectionnisme et en général des interventions de l'État dans l'agriculture et sur les marchés agricoles.

L'actuel art. 104 Cst. vise, d'une part, une agriculture durable et, d'autre part, la fourniture de prestations d'intérêt public. Le soutien apporté par la Confédération concerne uniquement les exploitations paysannes cultivant le sol. Il s'agit de garantir, sur la base de l'art. 118 Cst., que la consommation des denrées alimentaires ne soit pas préjudiciable à la santé.

Si le revenu du travail en agriculture reste en moyenne plus faible que dans les autres secteurs économiques, l'écart s'est néanmoins réduit au cours de ces dernières années. Ainsi, tandis qu'en 1995/1997, le revenu du travail par unité de maind'oeuvre familiale était de 50 % inférieur au salaire de référence, la différence était encore de 35 % en 2011/201314.

14

Message du 18 mai 2016 concernant un arrêté fédéral sur les moyens financiers destinés à l'agriculture pour les années 2018 à 2021, FF 2016 4321 4327

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La Constitution n'a pas besoin d'être complétée, puisqu'elle traite déjà les questions évoquées à l'al. 1. La rentabilité demandée impliquerait toutefois une adaptation de l'art. 5 LAgr, des mesures étatiques complémentaires et probablement aussi des fonds publics pour qu'il soit possible de parvenir au revenu visé. Une telle démarche aurait pour effet, non seulement d'affaiblir la compétitivité des secteurs agricole et agroalimentaire, mais aussi d'alourdir considérablement les charges qui pèsent sur le budget fédéral.

Al. 2 La production brute de calories a progressé en Suisse d'environ 4 % entre 2002/ 2004 et 2012/2014 pour s'établir à 23 600 térajoules15, soit au-dessus de l'objectif de 23 300 térajoules fixé par le Conseil fédéral pour 2017. Alors que les calories issues de la production animale sont restées stables dans l'ensemble, celles de la production végétale ont augmenté de 8 % au cours de cette période. Si l'on considère uniquement les denrées alimentaires produites sur la base de fourrages indigènes, la progression de la production nette de calories se monte à 2 %. Cette hausse est plus modérée parce que les importations de fourrages ont augmenté. Comme la consommation de denrées alimentaires s'est également accrue en Suisse de près de 6 % à la suite de la croissance démographique, le taux brut d'auto-approvisionnement est resté à peu près stable, tandis que le taux net a légèrement reculé. Le taux brut d'auto-approvisionnement s'est situé ces dernières années entre 58 et 64 %, et le taux net entre 50 et 59 %. Les animaux de rente sont aussi principalement nourris avec des fourrages indigènes, mais c'est l'élevage de bovins avec des surfaces herbagères qui est la principale branche de production animale en Suisse. Le fourrage grossier provient presque exclusivement de la Suisse. Le taux d'auto-approvisionnement en aliments concentrés a néanmoins enregistré une baisse ces dernières années, et est resté régulièrement inférieur à 50 % depuis 2007 (2014: 42,3 %)16.

La modification de la LAgr du 22 mars 201317 (Politique agricole 2014­2017), entrée en vigueur le 1er janvier 2014, a réduit le nombre de mesures incitatives du système des paiements directs non souhaitables du point de vue écologique, pour promouvoir davantage les systèmes de production respectueux de l'environnement.
Les dispositions actuelles, notamment celles de la LAgr, offrent déjà une base complète permettant de consolider la production indigène. Les mesures spécialement conçues à cette fin sont, d'une part, les instruments soutenant la production et les ventes recensés au titre 2 de la LAgr (protection douanière, contributions pour le soutien du marché, contributions à des cultures particulières et promotion des ventes), et, d'autre part, les nouvelles contributions à la sécurité de l'approvisionnement visées à l'art. 72 LAgr, qui ont été introduites par la Politique agricole 2014­ 2017.

15 16 17

Statistiques et évaluations concernant l'agriculture et l'alimentation, 2015, Agristat, Brugg Statistiques et évaluations concernant l'agriculture et l'alimentation, 2015, Agristat, Brugg RO 2013 3463

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Au regard de la situation décrite ci-dessus, il n'est pas nécessaire d'intervenir au plan juridique en ce qui concerne l'al. 2. La LAgr dispose des bases légales permettant, le cas échéant, de rectifier le tir en matière d'auto-approvisionnement en recourant à des incitations à la production.

Al. 3, let. a En Suisse, le nombre d'exploitations agricoles a diminué en moyenne de 2 % par an au cours des dix dernières années. Les changements structurels ont par conséquent été globalement moindres qu'en Allemagne, qu'en France et qu'en Autriche (tout juste 3 % par an) et peuvent être considérés comme socialement acceptables, puisque les exploitations se transmettent généralement d'une génération à l'autre.

Les changements structurels en agriculture sont indispensables pour éviter d'affaiblir encore plus la compétitivité du secteur par rapport à la concurrence étrangère. La concurrence est un ingrédient indispensable pour favoriser l'innovation et la création d'une offre répondant aux besoins des consommateurs dans l'agriculture suisse.

Celle-ci est aujourd'hui dotée de structures variées tant au plan de la géographie que des paysages et des exploitations. Elle comprend essentiellement de petites et moyennes exploitations qui gèrent plusieurs branches d'exploitation à titre d'activité principale ou accessoire.

La Suisse dispose d'une économie libérale. La liberté économique est un principe inscrit à l'art. 27 de la Constitution. Augmenter le nombre de personnes actives dans l'agriculture par des mesures étatiques équivaudrait à une intervention massive de l'État dans le développement des structures agricoles. Une telle démarche serait en contradiction avec les progrès techniques, qui tendent à accroître la productivité du travail et donc à réduire le volume de main-d'oeuvre par unité produite. La quantité restreinte de surfaces agricoles utiles et les avancées technologiques entraînent aussi une diminution continuelle du besoin en main-d'oeuvre pour l'exploitation des terres.

En conséquence, une augmentation du nombre d'actifs dans le secteur agricole n'est pas compatible avec la volonté d'instaurer une agriculture rémunératrice au niveau des exploitations, comme le prévoit l'al. 1 proposé par l'initiative. Sans aide supplémentaire de l'État, le revenu du secteur agricole baissera, si le produit
total des ventes ne progresse pas et si le nombre d'actifs croît. Si le revenu total doit être augmenté par des mesures étatiques, l'État devra intervenir massivement sur le marché, ce qui serait contraire à la politique agricole des 25 dernières années et violerait les engagements commerciaux internationaux de la Suisse. Une telle intervention aurait un effet extrêmement néfaste sur la compétitivité des secteurs agricole et agroalimentaire et affecterait considérablement l'économie suisse.

Al. 3, let. b La perte continuelle de terres agricoles va à l'encontre d'un développement durable et réduit à long terme les possibilités de produire des denrées alimentaires en Suisse.

C'est pourquoi la protection des terres arables est une question sociopolitique importante. Il existe cependant déjà une base constitutionnelle parfaitement suffisante à l'art. 75 Cst. En outre, l'adoption récente de la première mouture de la révision18 de

18

RO 2014 899

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la loi du 22 juin 1979 sur l'aménagement du territoire (LAT) 19 a permis de renforcer la préservation des terres agricoles. Le Conseil fédéral entend poursuivre sur cette voie en recourant aux instruments de l'aménagement du territoire.

Cet alinéa remettrait en question la répartition actuelle des tâches relevant de l'aménagement du territoire entre la Confédération et les cantons. Pour le constituant et le législateur, il ne faisait jusqu'ici aucun doute que la responsabilité de l'aménagement du territoire devait incomber aux cantons. Or, la révision de la LAT a permis de jeter des bases qui facilitent l'encadrement et la surveillance stratégiques des cantons par la Confédération. La proposition des auteurs de l'initiative rendrait la protection absolue. Les cantons n'auraient plus dès lors la possibilité de peser les intérêts en présence.

Al. 3, let. c Les semences de haute qualité sont intéressantes pour les paysans. Les art. 159a et 160 LAgr permettent à la Confédération d'édicter des prescriptions sur la mise en circulation du matériel de multiplication et de soumettre les producteurs à une homologation obligatoire. Les prescriptions en vigueur servent à garantir l'authenticité et le haut niveau de qualité du matériel de multiplication reconnu ainsi que sa traçabilité. Les dispositions relatives aux semences s'appliquent à la mise en circulation du matériel de multiplication, ce qui signifie qu'il est possible de produire ce type de matériel pour un usage personnel sans que ces dispositions soient respectées. Un système d'homologation a par ailleurs été introduit en 2010 pour des variétés de niche afin qu'un autre matériel puisse être légalement mis sur le marché en tant que variété à haut rendement. Aucune exigence n'est imposée pour la production de matériel de multiplication de variétés de niche, et ce matériel n'est pas certifié.

Les droits de propriété intellectuelle peuvent, comme les prescriptions relatives aux semences, limiter la production et la mise en circulation de matériel de multiplication. Les agriculteurs ont la possibilité de reproduire eux-mêmes dans leur exploitation le matériel de multiplication de certaines variétés, si celui-ci est protégé par des droits de propriété intellectuelle, grâce au privilège qui leur est accordé à l'art. 7 de la loi fédérale du 20 mars 1975
sur la protection des obtentions végétales 20 et à l'art. 35a de la loi du 25 juin 1954 sur les brevets (LBI) 21. Par contre, les semences d'une variété protégée ne peuvent être échangées et commercialisées qu'avec une licence (art. 21 de la loi fédérale sur la protection des obtentions végétales et 34 LBI). Dans la pratique, il est rarement fait usage du privilège de l'agriculteur en Suisse, parce que le matériel reconnu offre des avantages décisifs en termes de qualité et de sécurité des rendements, et qu'il est demandé par de nombreux acquéreurs dans la production sous contrat.

La protection de variétés et l'innovation dans le domaine des semences sont des moteurs importants de la sélection végétale. Sans possibilité de protection, la sélection végétale privée serait vouée à disparaître en Suisse. Les semences modernes étrangères ne seraient plus importées en Suisse, si les variétés protégées à l'étranger pouvaient être multipliées en Suisse et ensuite librement commercialisées. Une telle 19 20 21

RS 700 RS 232.16 RS 232.14

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situation aurait des conséquences fâcheuses sur l'accessibilité des variétés innovantes et adaptées aux changements en Suisse. L'al. 3, let. c, semble indiquer que les auteurs de l'initiative acceptent également l'éventualité d'une violation d'engagements internationaux, comme la Convention internationale du 2 décembre 1961 pour la protection des obtentions végétales22 (convention UPOV) et l'annexe 1C de l'Accord du 15 avril 1994 instituant l'Organisation mondiale du commerce (accord OMC)23 (aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, accord sur les ADPIC).

Al. 4 L'art. 120 Cst., qui régit l'utilisation du génie génétique dans le domaine non humain, renonce à une interdiction générale de ce type de technologie. Cette disposition permet toutefois d'édicter des prescriptions spécifiques. La culture d'OGM est interdite en Suisse, sauf à des fins de recherche. Le moratoire sur l'utilisation d'OGM a déjà été prolongé deux fois par le Parlement, mais il devrait l'être encore une fois jusqu'en 2021, lorsqu'il arrivera à échéance en décembre 2017. Ce moratoire interdit de cultiver en Suisse des végétaux considérés comme des OGM en vertu de la loi du 21 mars 2003 sur le génie génétique (LGG)24. L'émergence de nouvelles technologies de sélection rendra l'interprétation et l'application de la loi plus difficiles, étant donné que, parfois, ces végétaux ne peuvent pas être différenciés de plantes obtenues de manière traditionnelle. En effet, le moratoire n'interdit pas de recourir à des produits phytosanitaires, des engrais et des aliments pour animaux autorisés qui contiennent des OGM. Mais ces produits ne font pas l'objet d'une demande en Suisse.

La prolongation du moratoire jusqu'en 2021 permettra d'ouvrir un débat de fond et objectif sur la possibilité d'une utilisation future des OGM dans l'agriculture suisse.

Ce débat s'appuiera sur des considérations qui relèveront, non pas uniquement de la biosécurité, mais aussi d'aspects socioéconomiques, moraux et éthiques ainsi que de la politique agricole. L'al. 4 proposé dans l'initiative sape les bases de cette discussion et interdit également d'autres méthodes modernes de sélection sans examen préalable. Un système interdisant des produits dont la seule différence avec d'autres produits ­ autorisés ­ réside dans le processus de
fabrication est par ailleurs vulnérable aux fraudes et pourrait aussi être considéré au plan international comme une distorsion de concurrence indue. Il est à craindre qu'une interdiction générale nuise durablement au potentiel d'innovation de la Suisse dans les domaines de la sélection et des cultures et réduise l'attrait de notre pays pour les entreprises novatrices et pour l'agriculture.

Al. 5, let. a C'est en général aux acteurs du marché qu'il appartient de garantir l'adéquation entre l'offre et la demande. Les mécanismes du marché déterminent le prix d'un bien donné. La LAgr en vigueur permet d'ores et déjà à la Confédération d'agir sur l'offre et la demande en soutenant les efforts des partenaires commerciaux grâce à la 22 23 24

RS 0.232.163 RS 0.632.20 RS 814.91

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promotion des ventes et à des mesures d'entraide. La promotion des ventes visée à l'art. 12 LAgr sert au soutien subsidiaire d'activités de marketing collectives destinées à renforcer les ventes de produits agricoles suisses. Les associations de producteurs et les interprofessions font office de plateforme de discussion et de négociation pour les acteurs des filières. Ces organismes peuvent prendre des mesures d'entraide pour renforcer la qualité et les ventes ainsi que pour adapter la production et l'offre aux besoins du marché. La Confédération peut, en vertu de l'art. 9 LAgr, étendre certaines décisions de ces organisations aux non-membres, si des mesures d'entraide risquent d'être compromises par des «opportunistes». L'art. 13 LAgr donne aussi la possibilité à la Confédération de participer aux frais occasionnés par des mesures temporaires destinées à alléger le marché pour éviter l'effondrement des prix de produits agricoles. La participation de la Confédération est exclue pour les excédents structurels.

La garantie de la liberté économique, le droit commercial international et les dispositions de la législation sur la concurrence sont autant d'éléments qui limitent les possibilités d'intervenir davantage sur le marché et, en particulier, le soutien d'organisations qui veulent, par une action concertée, influencer le prix du marché et le commerce extérieur (soutien des exportations ou substitution aux importations).

Al. 5, let. b La Confédération relève et publie déjà aujourd'hui, sur la base de l'art. 27 LAgr, les prix des diverses catégories de produits chez les producteurs, chez les transformateurs et dans le commerce de détail. Les données ainsi recueillies doivent fournir aux acteurs concernés des informations utiles sur les tendances et les mécanismes du marché. Enfin, l'art. 96 Cst. limite aussi le pouvoir de marché en permettant à la Confédération de légiférer contre les conséquences économiques dommageables des cartels et des autres formes de limitation de la concurrence.

La Confédération fait déjà tout son possible, par le truchement du secteur Observation du marché de l'OFAG, pour accroître de façon impartiale la transparence des marchés pour les produits et les moyens de production agricoles. Le 16 septembre 201625, le Conseil fédéral a étendu le champ d'application de l'ordonnance
du 7 décembre 1998 sur l'observation du marché dans le domaine de l'agriculture26 aux moyens de production agricoles. La garantie d'une transparence pour laquelle la Confédération devrait avoir un aperçu de la formation des prix des acteurs du marché se traduirait non seulement par des interventions massives, mais les charges élevées qui en découleraient seraient disproportionnées par rapport aux avantages économiques. Qui plus est, la Confédération devrait jouer un rôle plus important de régulateur dans les chaînes de création de valeur.

Al. 5, let. c La Confédération peut déjà exiger les mesures visées à l'al. 5, let. c, dans des projets en faveur du développement région conformément à l'art. 93, al. 1, let. c, LAgr. Une aide peut en outre être accordée, dans le cas d'améliorations structurelles, (art. 87

25 26

RO 2016 3407 RS 942.31

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LAgr) pour des bâtiments et des installations affectés à la transformation, au stockage et à la commercialisation de produits agricoles régionaux.

Conformément à l'art. 11 LAgr, la Confédération encourage déjà les mesures collectives de producteurs avec des transformateurs ou des commerçants ainsi qu'avec des consommateurs qui contribuent à la création de valeur ajoutée et à l'amélioration ou à la garantie de la qualité ou de la durabilité. À cet égard, une aide est déjà apportée aujourd'hui à des initiatives de commercialisation régionales conjointes (agriculture de proximité) d'agriculteurs et de consommateurs. Conformément à l'art. 12 LAgr, la Confédération peut soutenir à titre subsidiaire la promotion des ventes de produits régionaux.

Les mesures évoquées ci-dessus permettent à la Confédération d'appuyer les efforts déployés par les acteurs de chaîne de création de valeur dans le sens de l'initiative.

L'exigence de l'initiative est donc en partie satisfaite. Il faut examiner d'un oeil critique les nouvelles actions qui pourraient engendrer des distorsions de concurrence et désavantager les acteurs ne venant pas du secteur agricole (p. ex. entreprises artisanales).

Al. 6 Les conditions et les horaires sont réglés dans les contrats-types de travail cantonaux des salariés dans l'agriculture. Les cantons de Genève, du Jura, de Neuchâtel, de Vaud et du Valais ont fixé des salaires minimaux dans leurs contrats-types de travail. Des directives salariales, qui n'ont toutefois pas de caractère contraignant, sont convenues chaque année par l'Union suisse des paysans, l'Union suisse des paysannes et des femmes rurales ainsi que la Communauté de travail des Associations professionnelles d'employés agricoles. La Suisse compte 26 contrats-types de travail cantonaux. Certains fixent des conditions salariales bien précises, tandis que d'autres renvoient aux recommandations de l'Union suisse des paysans.

La réglementation des conditions et des horaires dans des contrats-types de travail cantonaux correspond au système fédéral suisse et au principe de la subsidiarité défini à l'art. 5a Cst. Le coût de la vie varie fortement d'un canton à l'autre, en particulier entre les cantons urbains et les cantons ruraux. Or, des normes uniformes dans toute la Suisse ne tiendraient pas compte de ces particularités
régionales. C'est surtout à cause de ces considérations que les interventions demandant l'uniformisation des normes ont échoué par le passé (p. ex. initiative cantonale genevoise 14.308: «Instauration de conditions-cadres minimales nationales dans l'agriculture»).

Al. 7 La compétence générale de la Confédération de prélever des droits de douane est régie à l'art. 133 Cst. En vertu des art. 7 de la loi du 18 mars 2005 sur les douanes (LD)27 et 17 LAgr, la Confédération prélève des droits de douane sur les importations de produits agricoles et de denrées alimentaires pour protéger la production indigène. Elle régule les volumes des importations de produits agricoles, en particulier de ceux qui menacent l'agriculture suisse, au moyen de droits de douane, de 27

RS 631.0

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prix-seuils et de contingents tarifaires (p. ex. taux des droits de douane applicables aux fruits et aux légumes variant selon l'offre suisse de ces produits). Les art. 17, 20 et 21 LAgr autorisent le Conseil fédéral à tenir compte de la situation de l'approvisionnement et des débouchés existants pour les produits suisses similaires, au moment de fixer les droits de douane à l'importation, les prix-seuils et les contingents tarifaires. La protection douanière dépend donc le plus souvent de la production indigène. À l'inverse, la Confédération peut augmenter de son propre chef le volume d'une partie des contingents dans le cas d'une demande excédentaire.

L'initiative peut être interprétée comme demandant à à la Confédération d'utiliser plus qu'avant les droits de douane à l'importation et les contingents tarifaires en faveur de la production suisse, ce qui renforcerait le niveau de protection à la frontière suisse.

Al. 8 L'art. 18, al. 1, LAgr habilite le Conseil fédéral à édicter des dispositions relatives à la déclaration des produits issus de modes de production interdits en Suisse. Il peut aussi, sur la base de cette disposition, relever les droits de douane de ces produits ou en interdire l'importation, pour autant que ces mesures ne violent aucune obligation internationale.

Sont interdits en Suisse les modes de production qui ne sont pas conformes à la protection de la vie ou de la santé des êtres humains, des animaux ou des végétaux (art. 18, al. 2, let. a, LAgr) ou à la protection de l'environnement (art. 18, al. 2, let. b, LAgr). La différence entre la situation juridique actuelle et la proposition de l'initiative réside dans le fait qu'une protection douanière accrue doit être possible non seulement dans le cas de modes de production interdits en Suisse, mais aussi de modes de production qui ne répondent pas aux normes suisses. Un pays peut durcir ses exigences et ses normes à l'égard des modes de production, mais sans les assortir de règles d'importation discriminatoires. De telles mesures seraient fondamentalement contraires au droit commercial international, qui, pour comparer deux produits concurrents, met l'accent, non pas sur le mode de production, mais sur les qualités.

Même si l'art. XX de l'Accord général du 30 octobre 1947 sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT)28
permet d'y déroger, il est néanmoins difficile d'imposer des interdictions d'importation non scientifiquement fondées au sein de l'OMC. Au lieu d'être interdits à l'importation, les produits issus de modes de production proscrits en Suisse peuvent être simplement déclarés (art. 18, al. 1, LAgr).

Les auteurs de l'initiative entendent par «normes suisses» les normes sociales et écologiques appliquées dans la production nationale, bien que ce terme recouvre les exigences légales minimales (protection des animaux, salaire minimale, etc.) et non pas des normes complémentaires (p. ex sorties régulières en plein air [SRPA] ou systèmes de stabulation particulièrement respectueux des animaux [SST]). L'initiative ne précise pas comment ces standards doivent être mesurés, contrôlés et comparés avec les normes suisses, ni de quelle manière les éventuels écarts doivent être traités à la frontière suisse. La Suisse ne peut pas s'assurer du respect de normes dans le contexte actuel. C'est l'Union européenne qui procède pour la Suisse aux 28

RS 0.632.21

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inspections relevant de la sécurité alimentaire hors de l'espace politico-économique européen. L'instauration d'un système de contrôle fiable entraînerait des charges financières importantes pour la Confédération et obligerait à négocier les modes de coopération avec les partenaires commerciaux, pour autant que ceux-ci soient disposés à coopérer. Or, cette mesure serait aussi extrêmement problématique du point de vue du droit commercial (cf. ch 4.4). Autre différence avec la situation juridique actuelle: le respect d'engagements internationaux ne serait plus une condition préalable à la prise de mesures protectionnistes supplémentaires. Les auteurs de l'initiative acceptent donc sciemment les conséquences d'une violation de ces engagements (dépôts de plaintes auprès de l'OMC, droits compensateurs), qui pourraient affecter tous les secteurs économiques. Le système douanier proposé évaluerait, si c'est possible, au prix d'efforts considérables des faits vérifiables à l'étranger et des produits importés sur la base de standards suisses. Or, il serait pratiquement impossible de justifier de telles pratiques en invoquant la nécessité de rompre des engagements internationaux portant sur des produits importés (notamment, la nondiscrimination, l'interdiction d'imposer des droits de douane au-delà du taux consolidé).

L'al. 8 est par ailleurs en contradiction avec les objectifs de la politique de développement menée par la Suisse. La conformité aux normes suisses réduirait la compétitivité de produits provenant de pays en développement, rendant ainsi les échanges impossibles. De même, ces pays exportateurs se verraient imposer des normes suisses qui ne sont pas adaptées aux conditions locales.

La Confédération dispose déjà aujourd'hui de moyens efficaces (coopération internationale, déclaration de produits, etc.) pour favoriser, en Suisse et à l'étranger, une production agricole socialement acceptable et écologique. Qui plus est, différents acteurs du marché offrent déjà des produits pourvus de labels du secteur privé attestant leur conformité aux normes suisses. Les consommateurs créent donc la demande de ces produits, tandis que la liberté de choix est garantie et que les engagements de la Suisse sont respectés. L'application légale de normes suisses à des processus et à des modes de production à l'étranger
est extrêmement problématique du point de vue du droit commercial. La prise autonome de mesures protectionnistes sans tenir compte du droit commercial international risquerait en effet d'affecter des relations commerciales importantes et d'avoir par conséquent des répercussions négatives pour l'économie suisse. Il en résulterait aussi un renchérissement significatif de nombreux produits importés indispensables à l'industrie agroalimentaire (matières premières comme le cacao).

Al. 9 Il a été décidé d'interdire définitivement les subventions à l'exportation à l'occasion de la conférence ministérielle de l'OMC, qui s'est tenue à Nairobi le 19 décembre 2015. Cette interdiction est en principe valable avec effet immédiat pour les pays développés (c.-à-d. avec la décision du 19.12.2015). La Suisse a néanmoins réussi à négocier un délai de transition de cinq ans en dérogation à l'obligation de suppression immédiat pour les contributions à l'exportation, qui sont accordées pour les produits agricoles transformés conformément à la loi fédérale du 13 décembre 1974

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sur l'importation et l'exportation de produits agricoles transformés29 (loi dite «chocolatière»).

L'interdiction de l'OMC et la suppression des subventions à l'exportation suisses qui en découle permettront de satisfaire la demande de l'initiative au plus tard d'ici à fin 2010.

Al. 10 Le Conseil fédéral peut, en vertu de l'art. 10 LAgr, édicter des dispositions relatives à la qualité et régler les procédés de fabrication des produits agricoles et de ceux issus de leur transformation si l'exportation de ces produits ou le respect des engagements internationaux de la Suisse ou des normes internationales essentielles pour l'agriculture suisse l'exigent.

Le Conseil fédéral peut par ailleurs, pour promouvoir la qualité et l'écoulement des produits agricoles et des produits agricoles transformés, édicter des dispositions sur la désignation des produits élaborés par exemple selon un mode de production particulier, présentant des caractéristiques spécifiques ou provenant de la région de montagne (art. 14 LAgr). L'attribution d'une désignation à ces produits est facultative. Le Conseil fédéral établit un registre des appellations d'origine et des indications géographiques pour protéger l'origine des produits agricoles (art. 16 et 16b LAgr). Les caractéristiques ou modes de production correspondant à des dispositions légales (production respectueuse de l'environnement, etc.) ou une référence à ces dispositions peuvent en outre figurer sur les produits agricoles et les produits transformés issus de ces derniers (art. 16a LAgr).

Le Conseil fédéral édicte des dispositions relatives à la déclaration des produits agricoles importés dont les modes de production sont interdits en Suisse (oeufs en batterie, etc.), à condition que les engagements internationaux soient respectés (art. 18, al. 1, LAgr). Les désignations vues plus haut permettent d'attirer l'attention des consommateurs sur certaines conditions de production et de transformation.

Par ailleurs, le Conseil fédéral peut, par des contributions, soutenir les mesures destinées à promouvoir la vente des produits agricoles suisses dans le pays et à l'étranger (art. 12 LAgr). Il est ainsi possible de faire connaître sur les marchés nationaux et étrangers les avantages des produits suisses, dont font également partie les conditions de production et de
transformation valables en Suisse.

L'initiative demande de compléter ces mesures par une information exhaustive de toute la population sur les conditions de production et de transformation des produits indigènes ou importés. Dans l'argumentaire du 8 septembre 201430, les auteurs de l'initiative proposent, par exemple, de confier ce mandat à une commission, qui serait créée au niveau fédéral et composée notamment de représentants des consommateurs, de l'agriculture, de l'industrie agroalimentaire, des intermédiaires, de l'aménagement du territoire, etc.). Ils ne précisent toutefois pas à quoi ressemblera cette information exhaustive ni comment elle sera diffusée. Il est néanmoins vrai-

29 30

RS 632.111.72 L'argumentaire peut être téléchargé depuis le site www.souverainete-alimentaire.ch > Téléchargements (état au 4 nov. 2016)

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semblable que cette sensibilisation ira plus loin que les mesures existantes et qu'elle vise à influencer efficacement les habitudes de consommation.

L'initiative veut que la Confédération puisse fixer ses propres standards de qualité indépendamment des normes internationales. Le terme «indépendamment» laisse entendre que la Confédération n'est pas en mesure de le faire aujourd'hui, ce qui est faux. Elle définit déjà des normes spécifiques à la Suisse en imposant des standards plus sévères à la production indigène dans le domaine du bien-être animal (interdiction d'élevage en batterie dans la production d'oeufs et de viande de lapin, interdiction d'utiliser des hormones dans la production animale), renforçant ainsi les normes de qualité des produits indigènes par rapport à ceux qui sont importés (produits soumis à une obligation de déclaration en la matière). Conformément au principe du «traitement national» de l'OMC, il n'est pas permis d'utiliser pour les produits importés des critères de qualité plus élevés que ceux appliqués aux produits nationaux. Il en va de même pour les exigences de qualité qui sont formellement valables tant pour les produits importés que pour les produits indigènes, mais qui constituent dans les faits des entraves techniques au commerce pour les produits importés, qui ne peuvent pas satisfaire à un niveau d'exigence aussi élevé.

Comme nous l'avons expliqué plus haut, le Conseil fédéral peut déjà informer la population, par de nombreux canaux, sur les conditions de production et de transformation des denrées alimentaires indigènes ou importées. Il peut également définir ses propres standards de qualité par dérogation aux normes mondiales, pour autant que les accords internationaux soient respectés.

4.2

Conséquences en cas d'acceptation de l'initiative

Les buts de l'initiative qui sont déjà atteints sont présentés au ch. 4.1. Ils concernent en particulier l'interdiction des subventions à l'exportation de produits agricoles et de denrées alimentaires, la promotion d'une production agricole socialement et écologiquement supportable sur le plan national et international, ainsi que l'information du consommateur sur les conditions de production et de transformation des denrées indigènes et des denrées importées.

Si elle était acceptée, l'initiative porterait aussi à conséquence dans les domaines suivants: Protection des terres cultivées: la législation actuelle réserve cette compétence aux cantons, la Confédération se contentant d'en fixer les objectifs et d'en superviser la réalisation. L'initiative, si elle était acceptée, ferait de la protection des terres cultivées et des terres assolées, tant sur le plan de la quantité que sur celui de la qualité, une tâche principalement fédérale.

Orientation des structures: l'orientation à donner aux structures par la Confédération, telle qu'elle est proposée par l'initiative, et qui concerne tant les exploitations agricoles que le nombre de personnes occupées dans le secteur agricole, nécessiterait de nouvelles interventions publiques qui entraîneraient de lourdes dépenses et mobiliserait des ressources humaines, en premier lieu de la part de la Confédération, mais

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aussi dans les cantons. En outre, elle freine la capacité d'innovation et restreint la liberté entrepreneuriale des agriculteurs.

Droits de douane pour favoriser la production indigène: aujourd'hui déjà, les droits de douane sont conçus de façon à soutenir la production agricole indigène et à protéger cette dernière d'une concurrence étrangère accrue. Si l'initiative était acceptée, il faudrait aménager les droits de douane spécialement en vue favoriser la production agricole nationale, ce qui serait incompatible avec les engagements internationaux qui plafonnent les droits de douane, et rendrait la conclusion de futurs accords de libre-échange plus difficile. L'acceptation de l'initiative aurait aussi pour conséquence économique directe de creuser l'écart entre les prix en Suisse et ceux à l'étranger, affaiblirait la compétitivité de l'économie suisse, réduirait la liberté du consommateur dans le choix des produits et l'inciterait plus encore à pratiquer le tourisme d'achat. Par conséquent, les barrières douanières sont un instrument inefficace sur le plan économique; pire, elles pèsent sur la compétitivité économique de l'agriculture.

L'agriculture aurait, dans un tel contexte, encore plus de mal à fournir à l'industrie de transformation des matières premières agricoles à des conditions favorables à la compétitivité des exportations de l'industrie. Il faudrait alors craindre la délocalisation à l'étranger d'entreprises de transformation. En outre, si la protection douanière était renforcée en agriculture, il serait plus difficile de conclure de nouveaux accords de libre-échange avec les pays pour lesquels l'exportation de produits agricoles présente un intérêt non négligeable. Si les mesures demandées par l'initiative ne respectent pas les engagements prévus dans l'annexe 1A.3 de l'accord OMC 31 (accord sur l'agriculture), ou à ceux contractés dans des accords de libre-échange, ces engagements doivent être renégociés. Et ces renégociations pourraient aboutir à des demandes de compensation de la part des partenaires commerciaux. Or, la Suisse aurait du mal à répondre à de telles exigences avec ce nouveau mandat constitutionnel. Si les négociations venaient à échouer, les partenaires commerciaux pourraient prendre des mesures de rétorsion susceptibles de causer d'importants préjudices économiques
à la Suisse, laquelle risquerait par ailleurs de compromettre sa réputation internationale de partenaire fiable.

Interventions sur le marché: l'initiative exige diverses formes d'interventions publiques sur le marché intérieur. De telles interventions constitueraient une infraction aux engagements internationaux pris par notre pays et conduiraient à des sanctions contre lui, ce qui porterait un préjudice grave à la Suisse en tant que lieu de production et à son économie, tournée vers l'exportation. Par ailleurs, ces interventions ne pourraient avoir lieu que soit au prix de lourdes charges budgétaires, avec tout ce que celles-ci comportent de conséquences pour les finances fédérales, soit au moyen d'une régulation des prix par l'État, qui signifierait une hausse du coût de la vie pour le consommateur et pour les entreprises de l'agroalimentaire, importatrices de matières premières agricoles. Une telle évolution, marquée par le renchérissement et le recul de l'innovation, porterait un coup sérieux à la compétitivité du secteur agroalimentaire suisse.

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Uniformisation des conditions salariales du personnel agricole: l'uniformisation des conditions salariales du personnel agricole battrait en brèche la souveraineté des cantons dans ce domaine et relèverait de la Confédération. Bien que cette uniformisation soit réalisable, elle enfreindrait le principe du fédéralisme qui permet de tenir compte des particularités cantonales en ce qui concerne, par exemple, les différences d'un canton à l'autre dans le coût de la vie ou le régime fiscal.

4.3

Avantages et inconvénients de l'initiative

Certaines revendications des auteurs de l'initiative s'inscrivent dans la politique agricole actuelle du Conseil fédéral: ­

Les paiements directs et les contributions aux améliorations structurelles ont précisément pour but de promouvoir une agriculture paysanne, variée et fidèle aux principes du développement durable. Les ressources fédérales allouées à ces instruments sont considérables par comparaison avec les autres pays.

­

En raison de l'importante protection à la frontière mise en place pour soutenir les prix aux producteurs (3,9 milliards de francs suisses en 2015 selon l'OCDE), la Confédération exerce aujourd'hui déjà une influence significative sur la formation des prix.

­

Il est déjà prévu de supprimer d'ici à la fin de l'année 2020 les subventions à l'exportation des produits agricoles transformés, conformément à la décision prise la Conférence ministérielle de l'OMC en décembre 2015 à Nairobi. Le Conseil fédéral veut appliquer cette décision à partir du 1 er janvier 2019.

­

L'affaiblissement du potentiel de production consécutif au recul des terres cultivées contrarie le développement durable du secteur agroalimentaire. Or, dès la première étape de la révision de la LAT32, le législateur a renforcé la protection des terres cultivées, et le Conseil fédéral a l'intention de la renforcer davantage au moyen des instruments de la politique d'aménagement du territoire.

D'autres revendications sont en opposition aux grands axes de la politique agricole de la Confédération: La politique agricole menée pendant les 25 dernières années s'est concentrée sur des services souhaités par la population, mais non rémunérés par le marché. Parallèlement, les interventions sur les marchés ont été réduites, tandis que la responsabilité et la marge de manoeuvre entrepreneuriales des agriculteurs étaient élargies. Par la suite, ces acquis ont été remis en cause du fait de l'orientation des structures par les pouvoirs publics, du soutien apporté à l'agriculture par les organismes de commercialisation des produits agricoles et des nouvelles interventions de l'État sur les marchés.

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De nouvelles interventions publiques sur les marchés ne feraient que creuser l'écart entre notre pays et l'étranger, et en particulier les pays voisins, dans le prix des matières premières agricoles et celui des denrées alimentaires, ce qui affecterait la compétitivité du secteur agroalimentaire suisse tout en amoindrissant sa capacité d'innover. Il faut aussi s'attendre à ce que ces interventions créent un désavantage concurrentiel pour le tourisme et la restauration. En outre, l'accroissement de la différence entre les prix en Suisse et ceux à l'étranger aggraverait le tourisme d'achat.

La mise en oeuvre de l'initiative alourdirait massivement les charges qui pèsent sur les administrés (p. ex. dans l'application de la réglementation des importations), sur le contribuable (pour financer de nouvelles mesures) et sur le consommateur (du fait du renchérissement des denrées alimentaires).

L'initiative, si elle était acceptée, diminuerait considérablement les possibilités d'action de la Suisse dans le commerce extérieur, et pèserait dans ses relations commerciales avec d'autres espaces économiques. Aujourd'hui déjà, les restrictions apportées à ces relations par la politique agricole limitent sérieusement la marge de manoeuvre du pays. Il est évident que l'initiative aggraverait encore ce désavantage dont souffrent les secteurs de notre économie tributaires des exportations. Les mesures de rétorsion prises par les partenaires commerciaux d'une Suisse qui violerait ses engagements internationaux porteraient gravement atteinte au pays en tant que lieu d'activité, mais aussi à son économie et à sa crédibilité dans les échanges internationaux.

Enfin, l'augmentation des droits de douane sur les produits agricoles étrangers de production conventionnelle aurait pour effet de promouvoir la production conventionnelle par rapport à la production durable, étant donné que, sur le marché intérieur, les denrées de production conventionnelle renchériraient relativement aux denrées de production durable.

4.4

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

La Suisse a pris des engagements internationaux dans le domaine de la production, du commerce et de l'étiquetage des denrées alimentaires. Ces engagements découlent premièrement des conventions passées par la Suisse et qui sont prévues par l'accord OMC33, deuxièmement des engagements pris à l'égard de l'Union européenne dans le cadre des accords bilatéraux et, troisièmement, des accords de libreéchange passés avec des États tiers.

À cet égard, l'accord sur l'agriculture revêt une grande importance dans la réglementation de l'OMC. Mais il faut aussi observer les principes fondamentaux du commerce international des marchandises, tels qu'ils sont énoncés dans l'Accord général du 30 octobre 1947 sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), dans l'annexe 1A.6 de l'accord OMC (accord sur les obstacles techniques au commerce (TBT), et dans l'annexe 1A.4 de l'accord OMC (sur l'application des mesures 33

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sanitaires et phytosanitaires) (SPS). Dans le cadre de l'accord OMC sur l'agriculture, la Suisse a contracté des engagements concernant l'accès aux marchés qu'elle a consignés dans des listes d'engagements. Le régime d'importation avec droits de douane et contingents résultant de ces engagements garantit l'accès aux marchés des produits agricoles. La Suisse fixe elle-même les taux des droits de douane effectivement appliqués (dans la limite du tarif consolidé OMC) et le volume du contingent effectivement ouvert au-delà de la quantité minimale fixée dans la liste d'engagements, en tenant compte de différents paramètres ayant trait à politique agricole et à la prospérité économique.

À cet égard, il faut noter que le régime d'importation appliqué par la Suisse doit bénéficier sans distinction à tous les États membres de l'OMC. Or, l'initiative exige l'instauration de droits de douanes différenciés ou d'interdictions d'importation en vue de favoriser les productions répondant aux normes suisses sur le plan écologique et social. Cette exigence entre en contradiction avec les engagements internationaux de la Suisse, selon lesquels les produits de même nature et concurrents ne doivent pas être traités différemment à l'importation. D'après les règles de l'OMC, les critères relatifs aux procédés et aux méthodes de production (PMP) qui ne laissent aucune trace dans le produit final (autrement dit les PMP non incorporés ou non liés aux produits) ne sauraient servir à distinguer les produits les uns des autres. Par ailleurs, la Suisse est tenue de respecter la réglementation de l'OMC (entre autres le TBT et le SPS) dans l'application de prétendues normes de qualité aux produits importés. En effet, dans les domaines où il existe des standards internationaux, les divergences par rapport à ces standards doivent être justifiables, sous peine d'être tenues pour des obstacles disproportionnés aux échanges. Justifier des mesures de régulation des importations considérées comme un obstacle au commerce ou jugées discriminatoires est une opération soumise à des conditions strictes et peut se révéler difficile à mener à bien en cas de litige. L'introduction d'une distinction entre production indigène et produits importés selon le critère des conditions de production au lieu de celui des qualités du produit remettrait
en cause les fondements mêmes du commerce international et ne pourrait guère être réalisée sans susciter l'opposition des autres membres de l'OMC.

De même, en adhérant à l'accord OMC sur l'agriculture, la Suisse a pris des engagements sur les aides aux produits indigènes et la concurrence à l'exportation. Ainsi, il existe des engagements en ce qui concerne la mesure globale du soutien accordé à un produit ou les aides génératrices de distorsions de la concurrence. En effet, le subventionnement des produits agricoles tombe aussi sous le coup des dispositions de l'accord OMC (annexe 1A.13, accord sur les subventions et les mesures compensatoires, en vertu desquelles sont prohibées les subventions subordonnées, en droit ou en fait, à l'utilisation de produits nationaux de préférence à des produits importés (art. 3.1, let. b). Les pays qui enfreignent ces dispositions risquent d'être sanctionnés par des droits de douanes prélevés de façon unilatérale sur leurs produits d'exportation.

L'Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne relatif aux échanges de produits agricoles34 (accord agricole) couvre cer34

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taines denrées alimentaires et certains moyens de production (entre autres les produits issus de l'agriculture biologique, les aliments pour animaux, les semences et les produits d'origine animale); les parties se garantissent mutuellement, sur la base de l'équivalence des normes applicables aux produits, un accès simplifié de leurs produits agricoles à leurs marchés respectifs. L'art. 14, par. 2, prévoit que les parties s'abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l'accord. Or, l'introduction de réglementations d'importation spécifiques applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires et s'écartant des prescriptions européennes peut prendre le contre-pied du principe d'équivalence inscrit dans l'accord agricole, c'est-à-dire qu'elle irait à l'encontre de la volonté des parties de s'accorder mutuellement un libre accès à leur marché dans l'ensemble des produits couvert par le traité avec l'UE. Quant aux produits agricoles transformés, ils tombent sous le coup de l'Accord du 22 juillet 1972 entre la Confédération suisse et la Communauté économique européenne35 (et de son protocole no 236), ainsi que de l'accord du 26 octobre 2004 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne modifiant l'accord entre la Confédération suisse et la Communauté économique européenne du 22 juillet 1972 pour ce qui concerne les dispositions applicables aux produits agricoles transformés37) (accord de libre-échange). Et l'accord de libre-échange interdit, dans son domaine d'application, de prélever de nouveaux droits de douane à l'importation ou à l'exportation ainsi que des charges d'un effet équivalent, mais aussi d'introduire de nouvelles limitations du volume des importations ou de prendre des mesures d'un effet équivalent. En application de l'accord agricole et de l'accord de libre-échange (comme c'est d'ailleurs le cas de tous les accords de libre-échange conclus par la Suisse, de façon bilatérale ou dans le cadre de l'AELE), la Suisse applique à ses partenaires des droits de douane préférentiels qu'elle n'a pas le droit d'augmenter. Les marchandises contingentées auxquelles un taux préférentiel est appliqué doivent être importées dans les quantités convenues avec chaque État partenaire. Augmenter les droits de douane de ces marchandises ou en
interdire l'importation afin de favoriser la production indigène ou pour promouvoir une agriculture écologiquement et socialement acceptable reviendrait, pour la Suisse, à violer le traité de libre-échange qu'elle a signé.

La convention UPOV et l'accord sur les ADPIC contiennent des prescriptions sur la protection des droits de propriété intellectuelle relatifs aux espèces végétales ou aux obtentions végétales, et mentionnent les exceptions autorisées. Or, l'art. 3, let. c, de l'initiative va au-delà des exceptions prévues par ces deux traités. Par conséquent, en accordant aux paysans les droits mentionnés à l'art. 3, let. c, de l'initiative, la Suisse trahirait les engagements découlant de la convention UPOV et de l'accord sur les ADPIC.

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RS 0.632.401 RS 0.632.401.2 RS 0.632.401.23

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5

Conclusions

Les conclusions qui résultent des considérations ci-dessus sont les suivantes: ­

En vertu de l'actuel art. 104 Cst., la politique agricole vise à rendre l'agriculture écologiquement et socialement acceptable. Les aides qu'elle accorde sont destinées exclusivement aux exploitations paysannes tributaires du sol.

­

La Confédération dispose aujourd'hui déjà d'instruments efficaces (coopération internationale, déclaration relative au mode de production et étiquetage, etc.) pour promouvoir une production agricole écologiquement et socialement supportable sur le plan national et international.

­

L'initiative exige l'augmentation des droits de douane prélevés sur les denrées alimentaires de production conventionnelle. Une telle augmentation se traduirait par le renchérissement de ces denrées en Suisse aussi, ce qui en rendrait la production plus attrayante et affaiblirait du même coup les modes de production durables dans notre pays.

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L'augmentation des droits de douane et l'intervention de l'État sur les marchés auraient pour conséquence une hausse des prix qui affaiblirait non seulement la compétitivité du secteur agricole et agroalimentaire, mais encore le tourisme et la restauration, tout en aggravant le phénomène du tourisme d'achat. Du point de vue de l'orientation à donner aux structures économiques et agricoles comme de celui de l'intervention publique sur les marchés, l'initiative renoue avec la politique conduite jusque dans les années 90, tourne le dos à la réforme de la politique agricole menée en 1993 et remet en cause les progrès réalisés depuis lors.

­

Il est déjà possible de protéger efficacement les terres cultivées en s'appuyant sur la Constitution en vigueur. L'initiative, si elle était acceptée, confierait cette tâche à la Confédération au détriment des cantons, qui perdraient ainsi une part essentielle de leurs compétences dans l'aménagement du territoire.

­

La prétention de soumettre tous les produits agricoles et les denrées alimentaires importés à de prétendues normes de qualité suisses représente une violation des engagements commerciaux pris par la Suisse et des obligations auxquelles elle est tenue par la réglementation des échanges et le droit européen. Restreindre l'importation des produits agricoles aux seuls produits répondant aux standards nationaux réduirait beaucoup les échanges de produits agricoles. Une telle politique ne resterait pas sans susciter à l'étranger des oppositions et des mesures de rétorsion. Les avantages obtenus par la Suisse dans les accords internationaux seraient ainsi réduits à néant. Toutes les branches de l'économie auraient à en souffrir, en particulier celles qui dépendent des exportations. Par ailleurs, il serait impossible de vérifier que les produits agricoles importés répondent effectivement aux normes suisses.

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À l'issue de la Conférence ministérielle de l'OMC tenue à Nairobi en décembre 2015, il a été décidé que les subventions à l'exportation de produits agricoles transformés seraient supprimées d'ici à la fin de l'année 2020. Les aides suisses à l'exportation, prévues par la loi dite «chocolatière», sont éga-

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lement concernées. Le 30 septembre 2016, le Conseil fédéral a ouvert une procédure de consultation sur une série de mesures en vue d'appliquer la décision de l'OMC, c'est-à-dire la suppression des subventions à l'exportation le 1er janvier 2019. L'une des revendications de l'initiative est ainsi satisfaite.

­

L'application des mesures prévues par l'initiative nécessiterait beaucoup de ressources supplémentaires (financières et humaines) pour la Confédération et les cantons.

Le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Pour la souveraineté alimentaire. L'agriculture nous concerne toutes et tous.» sans lui opposer de contre-projet, en leur recommandant de la rejeter.

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