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FEUILLE FÉDÉRALE 97e année

Berne, le 2 août 1945

Volume I

Paraît, en règle générale, une semaine BUT deux.

Pris: 20 francs par an; 10 francs pour six mois, plus la taxe postale d'abonnement ou de remboursement, Avis: 50 centimes la ligue ou son espace; doivent être adressés franco à l'imprimerie des hoirs K.-J. Wyss, société anonyme, à Berne.

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Message du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale à l'appui d'un projet de loi renouvelant le privilège d'émission de la banque nationale suisse.

(Du 24 juillet 1945.)

Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous soumettre ci-après, avec message à l'appui, un projet de loi renouvelant pour la période de 1947 à 1957 le privilège d'émission de la banque nationale.

I. ORIGINE DU PRIVILÈGE L'article 39 de la constitution, adopté par le peuple et les cantons le 18 octobre 1891, donnait à la Confédération, au lieu du simple droit de surveiller le régime cantonal des billets de banque, le droit exclusif d'émettre des billets de banque ou toute autre monnaie fiduciaire. Il lui conférait en même temps la faculté d'exercer le monopole des billets de banque au moyen d'une banque d'Etat placée sous une administration spéciale, ou d'en concéder l'exercice, sous réserve du droit de rachat, à une banque centrale par actions administrée avec le concours et sous le contrôle de la Confédération. Le projet instituant une banque d'Etat (premier terme de l'alternative) ayant été rejeté dans une votation populaire, organisée à la suite d'une demande de referendum, les autorités fédérales cherchèrent à réaliser l'idée d'une banque centrale d'émission par actions (second terme de l'alternative). Un premier projet, du 24 mars 1899, portant création d'une banque centrale privée, contrôlée par la Confédération, fut rejeté par les chambres, faute d'accord sur la question du siège.

Un second projet de loi soumis à l'Assemblée fédérale le 13 juin 1904 eut un meilleur sort : la loi sur la banque nationale. fut adoptée par les chambres le 6 octobre 1905 et mise en vigueur par le Conseil fédéral le 16 janvier 1906. Le 20 juin 1907, la banque nationale ouvrait ses guichets.

Feuille fédérale. 9 7 e année. Vol. I .

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Le privilège d'émission avait été concédé à la banque nationale pour une période de vingt âne, qui avait pris fin le 20 juin, 1927. En vertu de l'article 76, 2e alinéa, de la loi sur la banque nationale du 7 avril 1921 (dénommée ci-après « loi »), il a été prolongé deux fois pour une durée de dix ans, à savoir jusqu'au 20 juin 1937 par la loi du 19 juin 1925 et jusqu'au 20 juin 1947 par la loi du 28 septembre 1935.

II. PROPOSITION DE LA BANQUE NATIONALE SUISSE L'assemblée générale ordinaire des actionnaires de la banque nationale du 3 mars 1945, à laquelle étaient représentées 63 075 actions sur 100 000, a adopté, sans opposition, la proposition suivante, que lui soumettait le conseil de banque: « L'assemblée générale ordinaire des actionnaires de la banque nationale suisse du 3 mars 1945 soumet au Conseil fédéral, à l'intention de l'Assemblée fédérale, la proposition de faire usage de l'article 76, 1er et 2« alinéas, de la loi sur la banque du 7 avril 1921 en renouvelant, avant le 20 juin 1947, pour la période du 21 juin 1947 au 20 juin 1957, le droit exclusif, conféré à la banque nationale, d'émettre des billets de banque. » Nous avons décidé de vous transmettre la proposition des autorités de la banque nationale, en vous recommandant de l'adopter.

III. LES RAPPORTS JURIDIQUES ENTRE LA CONFÉDÉRATION ET LA BANQUE NATIONALE Suivant l'article 76, 1er alinéa, de la loi, la décision relative au renouvellement ou au non-renouvellement du privilège d'émission doit avoir lieu par la voie de la législation fédérale. Aux termes de l'article 76, 3e alinéa, et de l'article 40, chiffre 6, la situation juridique des deux parties repose toutefois sur le principe de l'égalité des droits, en ce sens que chacune d'elles a la faculté de consentir au renouvellement du privilège pour une durée de dix ans ou d'y mettre fin le 20 juin 1947.

Si la Confédération ne prenait pas en temps voulu la décision de renouveler le privilège, la banque nationale resterait cependant tenue, en vertu de l'article 77 de la loi, de remplir ses obligations légales pendant trois années. Toute décision de l'assemblée des actionnaires contraire à cette prescription serait juridiquement nulle. Nous reconnaissons toutefois, avec la banque nationale, qu'un ajournement de la décision à prendre paralyserait la banque d'émission dans l'accomplissement de sa mission et serait préjudiciable à notre économie. La délibération du projet de loi qui vous est soumis devrait donc intervenir assez tôt, afin qu'il ne faille pas s'arrêter à une solution provisoire.

L'article 40, chiffre 6, et l'article 76, 3e alinéa, de la loi disposent que chaque partie doit notifier sa décision à l'autre une année avant que le

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privilège prenne fin. Dans le cadre normal de la procédure, il faut donc que la Confédération et la banque nationale se prononcent déjà avant le 20 juin 1946 sur la prorogation du privilège, c'est-à-dire sur le maintien de la banque. Or, comme les organes de la banque tiennent à connaître la teneur de la nouvelle loi avant le 20 juin 1946, ils ont pris, en application de l'article 40, chiffre 5, de la loi, l'initiative de proposer aux autorités fédérales d'édicter une loi renouvelant le privilège d'émission.

IV. L'ACTIVITÉ DE LA BANQUE NATIONALE PENDANT LA PÉRIODE ACTUELLE DU PRIVILÈGE D'ÉMISSION La période actuelle du privilège d'émission a été pour la banque nationale un temps des plus mouvementés. Peu après la crise économique des années « 30 » dont presque tous les pays se ressentirent, on vit surgir en Europe des tensions politiques qui amenèrent en 1939 le recours aux armes et déchaînèrent la plus grande et la plus dévastatrice de toutes les guerres.

Aussi des problèmes toujours nouveaux se posèrent-ils constamment à l'Etat et à la banque d'émission.

Un exposé détaillé de l'activité déployée par la banque nationale dans .cette période fertile en événements sortirait du cadre de ce message. Du reste, comme la banque nationale fait un compte rendu circonstancié de sa gestion dans ses rapports annuels et devant l'assemblée générale des actionnaires, nous estimons pouvoir nous borner à donner quelques indications sur les principes essentiels régissant la politique de crédit, la politique monétaire, le service des paiements et les rapports entre la banque nationale et la Confédération.

A. La politique de crédit.

Pendant la période actuelle du privilège d'émission, la situation des marchés de l'argent et des capitaux a subi divers changements profonds.

La dévaluation du franc suisse intervenue en 1936 a été d'une importance décisive pour le marché de l'argent. La liquidation d'avoirs-or, la conversion en francs suisses de papiers-valeurs et de billets étrangers ont fourni au marché à court terme des disponibilités considérables qui ont grandement renforcé sa liquidité. De plus, des capitaux venant du dehors affluèrent en Suisse en quantités telles qu'à la fin de 1937 la banque nationale se vit obligée de prendre des mesures pour réduire le montant de ces fonds, jugés indésirables parce qu'ils
ne se plaçaient en francs suisses qu'à titre temporaire.

Mais, dans le second semestre de l'année 1938 déjà, la tension politique s'aggravant sur le plan international, les disponibilités du marché commencèrent à diminuer. Elles subirent un nouveau recul au milieu de 1939 et surtout après l'ouverture des hostilités. Il fallut que la banque nationale

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cédât de fortes quantités de devises destinées au règlement d'importations.

D'autre part, des capitaux suisses et -- sous la pression des mesures édictées dans nombre d'Etats pour contrôler le commerce des devises -- des placements et des avoirs appartenant à des étrangers quittèrent notre pays.

Immédiatement avant et après la déclaration de guerre, le public se mit à retirer des banques des fonds assez considérables. Les avoirs en comptes de virements auprès de la banque nationale, qui étaient encore, en moyenne annuelle, de 1,7 milliard de francs environ en 1938, tombèrent au-dessous de 700 millions à la fin de 1939. Les événements de la guerre soulevèrent une nouvelle vague d'inquiétude au printemps 1940. En coopération avec les banques, la banque nationale chercha à enrayer les sorties de capitaux en réduisant les cessions de devises. Elle voulait empêcher ainsi qu'une évasion de capitaux n'affaiblît, au détriment du pays, la capacité de rendement du marché.

Un revirement se produisit en juin 1940, parce qu'en raison des difficultés que rencontraient les importations, des entreprises commerciales et industrielles liquidèrent les avoirs en dollars qu'elles avaient mis en réserve pour régler leurs achats de marchandises et que les craintes qu'inspiraient les mesures de blocage américaines incitaient des maisons de commerce et des particuliers à convertir en francs suisses leurs placements en dollars. Les événements de la guerre provoquèrent le rapatriement d'autres capitaux suisses dans le pays. Au cours des années suivantes, le transfert du produit d'exportations ut affluer des disponibilités en quantités croissantes sur le marché. Entravé par des difficultés de plus en plus graves, le commerce d'importation avait besoin, d'autre part, de moins d'argent.

De ce fait, le marché dispose constamment depuis 1941 de moyens considérables auxquels seule la libération des grands emprunts fédéraux fait subir une certaine diminution temporaire.

En raison de la liquidité qui régnait sur le marché, le recours à la banque d'émission pour les opérations de crédit courantes s'est maintenu dans des limites extrêmement étroites. Pour juger la politique de crédit suivie par la banque d'émission, il ne faudrait pourtant pas se fonder uniquement sur le montant du portefeuille d'effets et des avances sur nantissement.
L'ouverture de crédits à des conditions avantageuses a été très souvent et, dans nombre de cas, uniquement due à la promesse que la banque d'émission avait donnée aux banques intéressées de mobiliser, en d'autres termes, d'escompter ou d'admettre en garantie d'avances, les effets résultant des crédits qu'elles avaient accordés. La banque nationale a libéralement donné cette promesse pour permettre de financer les améliorations foncières, la construction d'abris contre les attaques aériennes, l'exécution des travaux destinés à procurer des occasions de travail, les affaires d'exportation dont la Confédération garantissait les risques et pour d'autres oeuvres encore. Il est vrai qu'elle devait limiter la durée de ses promesses pour ne point compromettre la liquidité de son bilan et par la sa liberté d'action.

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Dans cet ordre d'idées, il convient encore de mentionner comme étant une opération de crédit extraordinaire l'escompte d'effets créés par les organismes de l'économie de guerre pour financer la constitution de réserves et l'acquisition de marchandises. Sur le désir de la Confédération, la banque nationale se déclara également prête à accepter les effets émis pour permettre la création de stocks obligatoires de marchandises. Elle s'y est décidée parce qu'elle jugeait injuste d'obliger les importateurs et les producteurs suisses à accumuler des réserves supplémentaires pour assurer le ravitaillement du pays sans leur donner en même temps la possibilité d'obtenir, à des conditions favorables, les fonds nécessaires à cet effet.

Ce n'est que parce qu'il s'agissait de l'intérêt du pays que la banque nationale a participé à toutes ces opérations de crédit, auxquelles il convient d'ajouter l'escompte des effets tirés pour mobiliser les créances en comptes clearing et les produits d'exportation inscrits en comptes bloqués.

Mentionnons enfin comme ressortissant à la politique monétaire le placement de bons du Trésor fédéraux sur le marché. Grâce à l'entremise de la banque nationale, la Confédération a pu placer sur le marché, c'est-àdire auprès des banques, des montants considérables de bons du Trésor à l'échéance d'un à trois ans. La Confédération a usé de ce moyen de se procurer des fonds notamment dans les périodes où, en raison des dispositions du marché des capitaux, elle n'aurait pu contracter des emprunts à long terme qu'en offrant des taux plus élevés, ou lorsqu'il s'agissait de faire face à des besoins de trésorerie passagers. Le montant des titres de ce genre placés sur le marché s'élevait à 1130 minions de francs à la fin de juin 1945.

L'aisance du marché de l'argent se manifeste nettement dans le niveau des taux d'escompte. Jusqu'en août 1939, le taux d'escompte privé s'élevait à 1 pour cent. Par suite du resserrement du marché, il monta à 1% pour cent au début de la guerre et à 1% pour cent en mai 1940. A la différence d'autres banques d'émission qui se réglaient sur le mouvement du taux sur le marché libre, la banque nationale a maintenu fermement le taux de 1 % pour cent en vigueur depuis le 26 novembre 1936. Cette politique tendant à maintenir des taux stables a été favorisée grandement
par la liquidité du bilan de la banque ; la suite des événements l'a justifiée. En juin 1940, le taux privé redescendit à 1 % pour cent, puis, en octobre de la même année, à 1 % pour cent, niveau où il est resté fixé depuis lors. Ainsi les taux officiels, soit 1 y2 pour cent pour l'escompte des effets de change et 2V2 pour cent pour les avances sur nantissement, n'ont subi aucune modification pendant la période actuelle du privilège d'émission. Dans la période antérieure (juillet 1927 à juin 1937), le taux d'escompte de la banque nationale s'est élevé en moyenne à 2,50 pour cent et le taux des avances sur nantissement à 3,39 pour cent.

Dans la période actuelle du privilège d'émission, les conditions des taux d'intérêt ont suivi une évolution moins régulière sur le marché des capitaux,

858 qui s'est montré beaucoup plus sensible aux événements que le marché à court terme. Déjà avant la guerre, on constatait que le loyer de l'argent tendait à hausser sur ce marché. L'ouverture des hostilités renforça cette tendance. La moyenne du rendement de base des fonds publics de premier ordre atteignit 4,67 pour cent le 12 septembre 1939, alors qu'elle était descendue à son niveau le plus bas, soit 3,06 pour cent, au printemps 1938.

Les cours purent se raffermir quelque peu dans le dernier trimestre de 1939 et dans les premiers mois de 1940. En mai 1940, les vicissitudes de la guerre portèrent au marché des obligations un nouveau coup, qui provoqua la fermeture temporaire des bourses. Selon les derniers cours notés avant cette mesxire, le rendement des fonds d'Etat était de 4,69 pour cent. C'est environ un mois plus tard, lorsque les capitaux se mirent à rentrer de l'étranger, que la situation commença à se détendre et que le taux de rendement fléchit, pour s'établir temporairement à 3 pour cent. Plus tard, le taux d'intérêt pour les capitaux à long terme a pu se maintenir à 3% ou 31/! pour cent.

Cette évolution du marché à long terme, favorisée par une formation plus active des capitaux, le manque d'occasions de placement dans le pays, la liquidation de stocks de marchandises et l'impossibilité de les reconstituer par suite de l'arrêt des importations, est d'autant plus remarquable que, pendant les années antérieures, le marché des capitaux a dû répondre à des exigences considérables. De la fin de septembre 1939 à la fin de juin 1945, la Confédération a pu placer à elle seule 24 emprunts, répartis entre 11 émissions et qui lui ont procuré un montant nominal de 6054 minions de francs, dont 1271 millions destinés à des conversions; c'est là une preuve impressionnante de la grande capacité d'absorption du marché des capitaux et de la solidité du système du crédit. De plus, la Confédération a pu contracter ses emprunts à des taux qu'on peut qualifier de très avantageux, comparativement à ceux de la dernière guerre mondiale.

Les taux pratiqués par les banques ont évolué à peu près dans le même sens. Ce sont en particulier les taux des bons de caisse qui tendirent à se régler sur le mouvement des taux en vigueur sur le marché des capitaux.

Se fondant sur l'article 10 de la loi du 8 novembre
1934 sur les banques et les caisses d'épargne, la banque nationale a cherché -- notamment pendant les journées critiques de mai 1940 -- à freiner une élévation de ces taux. Elle est parvenue ainsi à empêcher que le relèvement des taux d'intérêt n'exerçât une trop forte influence sur le taux hypothécaire et par là sur les loyers, le coût de la vie et les salaires.

B. La politique monétaire.

C'est peu a,vant le début de la période actuelle du privilège d'émission que la Suisse a été dotée d'un nouveau régime monétaire. L'arrêté du Conseil fédéral du 27 septembre 1936 instituant des mesures monétaires a chargé

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la banque nationale de maintenir la parité-or du franc à une valeur comprise entre 190 et 215 milligrammes d'or fin, ce qui correspond à une dévaluation moyenne du franc de 30 pour cent. Sous ce régime, encore en vigueur aujourd'hui, le franc n'est plus lié à l'or par un rapport fixe ; comme c'est le cas pour d'autres monnaies importantes, l'or reste cependant le fondement du franc suisse. En conséquence, la banque nationale est tenue d'assurer aux billets la couverture métallique légale.

En instituant ces nouvelles mesures monétaires, le Conseil fédéral a en outre décrété le cours légal des billets et relevé la banque nationale de l'obligation de les rembourser en or.

La valeur extérieure du franc suisse n'a été affectée ni par les mouvements internationaux des capitaux, ni par les événements de la guerre.

Les solides assises sur lesquelles repose notre monnaie ont permis à la banque nationale de mettre immédiatement à disposition du marché les devises nécessaires au règlement des importations, qui ont pris à certains moments Une ampleur considérable, surtout à la veille et pendant les premières années de la guerre ; en outre, elle a assuré la stabilité des conditions monétaires dans le pays.

Un des traits caractéristiques de la politique monétaire, c'est l'effort que la banque nationale a déployé pour arriver à collaborer étroitement avec les banques et l'économie, afin d'être à même d'agir sur les mouvements des capitaux sans recourir à des prescriptions officielles. C'est ainsi qu'à l'effet de protéger les réserves monétaires, elle est parvenue à obtenir en mai 1940, comme nous l'avons dit ailleurs, qu'on remette des devises au commerce et à l'industrie uniquement pour payer des importations de marchandises et des prestations de service à l'étranger et qu'on cessât de délivrer, dans le pays, des devises destinées à des placements de capitaux.

Plus tard, lorsque le courant des capitaux se renversa et que, par l'effet des mesures de blocage prises à l'étranger, les avoirs en or et en devises déposés outre-mer ne furent plus disponibles que dans d'étroites limites, la banque nationale se vit obligée de restreindre l'acceptation de devises et d'or placés à l'extérieur. Elle se borna essentiellement à accepter et à transférer le produit de marchandises exportées par l'économie suisse.

Il ne
fallait pas que la banque nationale prêtât la main à la diminution de la liquidité de son bilan qu'eut entraînée, d'une part, l'augmentation excessive à l'étranger de réserves monétaires momentanément immobilisées et, d'autre part, la création continuelle d'engagements à vue dans le pays.

Notons en outre que l'accroissement ininterrompu de pouvoir d'achat en puissance implique le danger d'inflation, lorsqu'il coïncide avec la diminution constante des marchandises.

Cet état de choses s'aggrava du fait que les exportations payables en réserves monétaires bloquées augmentaient, parce que des pays toujours plus nombreux réglaient, à l'aide de monnaies bloquées, les marchandises

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qu'ils achetaient en Suisse, tandis que les occasions d'importation et, par conséquent, les possibilités d'emploi de ces monnaies diminuaient sans cesse. La banque d'émission recevait en outre de l'or -et des devises provenant de la cession des francs nécessaires à des gouvernements étrangers, de la liquidation de marchandises que des Etats étrangers avaient saisies ou qu'on ne pouvait transporter faute de « navicerts », de paiements effectués pour le compte de la Croix -Rouge et des frais d'entretien de ressortissants étrangers domiciliés ou réfugiés dans notre pays. Pour faire obstacle à ces mouvements de devises indésirables du point de vue monétaire, il devint nécessaire d'édicter de nouvelles mesures propres à les limiter. C'est pour cette raison qu'en décembre 1943 il fut décidé, sur la recommandation dé la banque nationale, de ne délivrer en principe des permis d'importation et des certificats de garantie pour des marchandises provenant de pays rattachés au dollar que si l'importateur suisse s'engageait à régler les achats de ce genre, y compris les frais accessoires, avec des dollars admis par la banque nationale, en d'autres termes des dollars découlant de transactions commerciales. Plus tard, on introduisit d'autres prescriptions limitant les paiements en espèces de marchandises livrées à des pays utilisant le dollar; certaines exportations destinées au domaine du dollar, notamment celles de l'horlogerie, furent contingentées. De plus, il fallut que la Confédération prît à sa charge, pour alléger la situation de la banque nationale, de l'or et des devises bloqués outre-mer. L'étroite collaboration entre l'Etat et la banque d'émission a permis non seulement d'assurer l'intégrité de la monnaie, mais aussi de fournir l'aide dont l'économie avait besoin pour créer des occasions de travail; de la sorte, il n'a pas été nécessaire jusqu'ici d'appliquer le programme de création de possibilités de travail.

C. Le service des paiements.

Aux termes de la loi, la banque nationale est obligée de régler la circulation monétaire. Grâce aux réserves de billets d'un montant inconnu jusqu'ici qu'elle avait pris la précaution -de constituer en temps utile, la banque a toujours été à même de répondre aux demandes accrues de moyens de paiement, et le ravitaillement du pays en signes monétaires n'a jamais
présenté de difficultés. À la différence -de 1914, il n'a pas été nécessaire cette fois-ci, ni au début de la guerre, ni dans les périodes critiques ultérieures, de restreindre en aucune manière la remise de moyens de paiement ; il n'a pas non plus fallu, comme ce fut le cas dans la dernière guerre mondiale, mettre en circulation, concurremment avec les billets de la banque nationale, une monnaie fiduciaire quelconque émise par l'Etat. En revanche, la banque nationale s'est vue obligée de remettre en circulation des billets de cinq francs dès l'ouverture des hostilités, parce qu'il n'était plus possible de satisfaire aux demandes croissantes d'écus. Pour être prête à faire face à toutes les éventualités, la banque nationale a aussi préparé des nouveaux

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types de billets et elle en a constitué une certaine réserve. C'est pourquoi les frais de fabrication des billets se sont notablement accrus. Us ont atteint 10,5 millions de francs entre 1938 et 1944, contre 2 millions dans la période 1931/1937.

Les tensions politiques internationales qui ont précédé la guerre avaient provoqué des accroissements considérables de la circulation fiduciaire.

Ce mouvement s'est poursuivi pendant la guerre. Le montant de la circulation, qui atteignait 1409 millions de francs le 30 juin 1937, était de 3522 millions le 30 juin 1945. Il est donc devenu deux fois et demi plus grand dans l'espace de huit années. D'une manière générale, l'émission des billets a pris une ampleur encore plus grande à l'étranger, parce que les Etats belligérants n'ont pu s'abstenir à la longue de mettre à contribution le crédit de la banque d'émission pour subvenir à leurs énormes dépenses militaires.

Les causes de cette progression de la circulation des billets sont de diverses sortes. Il est indubitable que la production plus intense, l'activité accrue dans le commerce et le trafic, l'augmentation des chiffres d'affaires provoquée par le renchérissement de la vie, l'extension de l'emploi du numéraire ont fait grandir les besoins en moyens de paiement; mais ce phénomène est sans doute aussi imputable à la thésaurisation en Suisse et à l'étranger. Comme ce fut déjà le cas lors de la guerre mondiale 1914/1918, le billet de banque est devenu sur une large échelle, au cours de ces dernières années, un moyen de paiement et un instrument de thésaurisation international.

La banque nationale continue de vouer toute son attention à cet état de choses sans jamais perdre de vue la thésaurisation et les moyens de la combattre, A vrai dire, la thésaurisation n'exerce aucune influence sur le niveau des prix, tant que les billets soustraits à la circulation sont remplacés par la banque d'émission ; mais leur réapparition peut déclencher un relèvement des prix. Ce danger ne fut cependant pas grand ces dernières années, parce que les possibilités d'emploi de l'argent étaient fortement limitées par les mesures de rationnement et de contingentement. Les billets thésaurises représentent en majeure partie des placements de capitaux; ils chercheront tôt ou tard à se remployer sous cette forme et ne serviront
pas à acheter des marchandises. Mais, suivant les circonstances, la thésaurisation peut causer un préjudice plus grave à la politique pratiquée sur les marchés de l'argent et des capitaux. En 1940, lorsque les banques durent faire face à des retraits de fonds si considérables que la base du crédit se rétrécit et que les taux tendirent à hausser, la banque nationale chercha à atténuer la thésaurisation en s'adressant à la population et aux milieux de l'économie pour leur en montrer les inconvénients. Ses efforts n'ont cependant pas remporté un succès tangible. Elle a aussi envisagé la mise en vigueur de mesures draconiennes semblables à celles auxquelles l'étranger a recouru;

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mais elle n'a pu se résoudre à faire des propositions en ce sens aux autorités compétentes, surtout après avoir constaté qu'un allégement dû à d'autres causes se manifestait sur le marché de l'argent et des capitaux.

D. Les relations entre la banque nationale et la Confédération.

Le problème que pose le financement des dépenses publiques joue un rôle primordial dans les relations entre la banque nationale et la Confédération. C'est la solution qu'on lui donne qui permet de mettre l'économie et le régime monétaire à l'abri de graves ébranlements. Dès le début, le Conseil fédéral et la banque nationale ont reconnu qu'il fallait éviter autant que possible de recourir à la planche à billets pour subvenir à des besoins de trésorerie et que le crédit de la banque d'émission ne devait être mis à contribution à cet effet que d'une manière temporaire. Si ce but a pu être atteint, c'est parce que la Confédération a toujours été en mesure de s'acquitter de ses engagements envers la banque nationale en émettant des emprunts, en plaçant des bons du Trésor sur le marché, en employant ses recettes fiscales ou des ressources d'autre nature.

Depuis le dernier renouvellement du privilège d'émission, les opérations entre la banque nationale et la Confédération n'ont fait que s'étendre, les relations devenant toujours plus nombreuses et étroites. Ce sont notamment les périodes de crise qui posent des problèmes que seule une collaboration confiante entre l'Etat et la banque d'émission permet de résoudre.

Eappelons, à titre d'exemple, la question du transfert du produit d'exportations. La réglementation du service des paiements a pris dans les négociations économiques avec l'étranger une importance qui a imposé dans ce domaine une étroite coopération entre les autorités fédérales et la banque nationale. Aussi un représentant de la banque nationale a-t-il été généralement invité à prendre part à ces négociations. En outre, la Confédération a confié à la banque nationale l'application des accords de paiement et des accords financiers conclus avec d'autres pays. H sied enfin de mentionner les négociations engagées avec les banques lorsqu'il s'agit d'émettre un emprunt fédéral; c'est chaque fois la banque nationale qui est chargée de les conduire à la demande de la Confédération.

Le cercle des opérations de la banque
nationale s'est élargi au cours de la période actuelle du privilège, du fait que la loi du 21 septembre 1939 a confié à la banque la gestion du livre de la dette de la Confédération.

Dépassant toutes les espérances, la nouvelle institution est entrée dans les moeurs et s'est développée. Le montant des créances inscrites atteignait 1590 millions de francs à la fin de 1944; après la, libération de l'emprunt fédéral émis en juin, il s'élèvera à 1767 millions de francs en tout. Le livre de la dette offre des avantages aussi bien au créancier qu'au débiteur d'emprunts. L'avantage que la Confédération en retire en faisant l'économie des commissions et des frais d'impression de titres représente déjà aujour-

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d'hui une somme considérable. Pour sa part, la banque nationale ne demande gué le remboursement des frais de gestion.

Aux termes de la loi, la banque nationale est tenue de gérer gratuitement les titres appartenant à la Confédération ou administrés par elle.

A la fin de 1944, le montant nominal des titres que la banque nationale gérait pour le compte de la Confédération atteignait près de 600 millions de francs.

Le service des versements et des paiements, que la banque nationale est également tenue d'effectuer à titre gratuit pour le compte des administrations fédérales, a doublé pendant les années de guerre ; alors qu'il variait «ntre 9,9 et 13,7 milliards de francs dans la période allant de 1925 à 1934, il a oscillé entre 9,2 et 23,4 milliards de francs au cours des dix dernières années. L'importance du service des paiements pour le compte des organismes de l'économie de guerre et de la défense du pays a imposé à la banque nationale un surcroît de travail considérable.

Il importe de rappeler en terminant l'affectation à la couverture des dépenses militaires de la part du bénéfice de la dévaluation attribuée à la Confédération. En 1940, la Confédération et les cantons ont prélevé 475 millions de francs en tout sur le fonds d'égalisation des changes créé lors de la réévaluation des réserves monétaires.

V. MODIFICATION DE LA LOI SUR LA BANQUE NATIONALE La loi sur la banque nationale suisse date de 1905. Elle a été complétée et modifiée à plusieurs reprises depuis quarante ans qu'elle est en vigueur; «Ile a subi une revision partielle en 1911 et une revision totale en 1921; en 1929, l'obligation de rembourser les billets en or a été réintroduite; en 1936, le franc suisse a été dévalué, et, simultanément, la banque a été de nouveau relevée de l'obligation de rembourser ses billets. Enfin l'ouverture du livre de la dette de la Confédération, en 1939, a élargi le cercle des opérations de la banque nationale par suite de l'inscription des créances inscrites dans la liste des valeurs admises en nantissement. Les efforts entrepris dans les années « 30 » en vue de modifier la loi sur la banque nationale et notamment d'instituer un nouveau mode de répartition du bénéfice sont restés sans résultat.

Dans un postulat déposé au Conseil des Etats le 27 mars 1945, M. le JDr Lardelli demande au Conseil fédéral
si l'on ne devrait pas procéder ·à une revision de la loi sur la banque lors du renouvellement du privilège ·d'émission. L'examen de cette question a donné le résultat suivant: La direction générale et le comité de banque estiment qu'il ne faut pas lier le renouvellement du privilège à une revision de la loi sur la banque nationale. Les deux questions peuvent parfaitement être traitées indépendamment l'une de l'autre. Bien que la guerre soit terminée en Europe,

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la situation n'est stabilisée ni en Suisse ni à l'étranger. Les systèmes monétaires et les régimes des banques d'émission sont en évolution dans le monde entier, et personne ne saurait prédire la tournure que les événements prendront dans l'après-guerre. Il est incontestable que la revision, de la loi sur la banque d'émission touche à des problèmes que les autorités de la banque et les autorités fédérales ont le devoir d'étudier à fond. Aussi, paraît-il invraisemblable que les vastes travaux que comporte la revision, de la loi sur la banque nationale puissent être achevés avant l'expiration du privilège.

Nous pouvons nous rallier à cette manière de voir. Nous reconnaissons avec les organes de la banque que le renouvellement du privilège ne doit pas être lié à une modification de la loi; en revanche, nous estimons qu'il faut entreprendre immédiatement l'étude de cette dernière question. La direction de la banque nationale et le département des finances et des douanes se sont mis à l'oeuvre ; un rapport et des propositions à ce sujet · pourront nous être présentés dès que les travaux préparatoires seront terminés.

* * * Nous fondant sur les raisons énoncées ci-dessus, nous vous recommandons de donner suite à la proposition de la banque nationale relative au renouvellement du privilège d'émission des billets et d'approuver le projet deloi qui vous est soumis.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 24 juillet 1945.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Ed. de STEIGER.

Le vice-chancelier, Oh. OSER.

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(Projet.)

Loi fédérale renouvelant

le privilège d'émission de la banque nationale suisse pour la période de 1947 à 1957.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA

CONFÉDÉRATION SUISSE, vu l'article 76 de la loi du 7 avril 1921 sur la banque nationale suisse; vu le message du Conseil fédéral du 24 juillet 1945, arrête :

Article unique.

Le droit exclusif d'émettre des billets de banque conféré à la banque nationale suisse est renouvelé pour une période de dix ans, soit du 21 juin 1947 au 20 juin 1957.

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Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale à l'appui d'un projet de renouvelant le privilège d'émission de la banque nationale suisse. (Du 24 juillet 1945.)

In

Bundesblatt

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Feuille fédérale

In

Foglio federale

Jahr

1945

Année Anno Band

1

Volume Volume Heft

16

Cahier Numero Geschäftsnummer

4808

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

02.08.1945

Date Data Seite

853-865

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10 090 269

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