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Message du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant le projet de loi sur la fabrication, l'importation, l'exportation et la vente des allumettes au phosphore jaune.

(Du 23 novembre 1897.)

Monsieur le président et messieurs, L'arrêté fédéral du 26 mars 1895, introduisant des dispositions additionnelles concernant le monopole des allumettes, destinées à compléter la constitution fédérale du 29 mai 1874, a été, comme on sait, rejeté par la votation populaire du 29 septembre de la même année. Le Conseil fédéral n'en demeura pas moins convaincu qu'il devait, par d'autres voies et moyens désormais, chercher à combattre les inconvénients notoires qu'entraîné après elle la fabrication des allumettes. L'arrêté fédéral du 26 mars 1895 se proposait avant tout de lutter contre la nécrose phosphorique et d'améliorer la situation hygiénique d'un nombre, à vrai dire, assez restreint d'ouvriers et d'ouvrières, et le projet que nous avons l'honneur de vous soumettre aujourd'hui ne saurait poursuivre d'autre but dans des conditions qui sont restées identiques. Le moyen seul différera.

Feuille fédérale suisse. Année XLIX. Vol. IV.

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Par lettre du 7 octobre 1895, le Département fédéral de l'Industrie avait transmis à l'inspectorat fédéral des fabriques la demande ci-après.

« En admettant pour le moment qu'on s'en tienne aux bases de la loi fédérale du 22 juin 1882 concernant la fabrication et la vente des allumettes, la question s'impose de savoir si l'on pourrait arriver à enrayer le développement de la nécrose phosphorique par une observation plus vigilante du règlement du 17 octobre 1882. Nous vous prions en conséquence de bien vouloir nous présenter le plus tôt possible un rapport collectif sur cette question, ainsi que sur les deux suivantes qui s'y rattachent étroitement : a. le règlement du 17 octobre 1882 a-t-il besoin d'être revisé ?

o. si oui, sous quels rapports ? » Déjà par lettre du 22 octobre 1895, l'inspectorat fédéral des fabriques soumettait au Département fédéral de l'Industrie le projet provisoire d'un règlement plus sévère sur la fabrication et la vente des allumettes. Ce projet était à peine imprimé qu'il devenait sans objet par suite de la prise en considération, au Conseil national, de la motion Häberlin et consorts, qui eut lieu le 13 décembre 1895. Ajoutons encore que par décision du 8 octobre 1897, le Conseil national a invité le Conseil fédéral à donner suite à cette motion dans le plus bref délai possible.

I.

La motion Häberlin est ainsi conçue : « Le Conseil fédéral est invité à rétablir l'interdiction de la fabrication, de l'importation et de la vente des allumettes et allumettes-bougies au phosphore jaune, telle qu'elle était prévue par la loi du 23 décembre 1879, et à présenter à cet effet le plus tôt possible aux chambres fédérales un nouveau projet de loi sur la matière, en y ajoutant éventuellement l'interdiction de l'emploi des allumettes au phosphore jaune ».

Elle .fut transmise par le Conseil fédéral à l'étude du Département de l'Industrie. Le 22 janvier 1896, ce dernier chargea l'inspectorat fédéral des fabriques de lui présenter un nouveau projet dans le sens de la motion précitée. L'inspectorat des fabriques se mit avec zèle à la besogne et par son rapport du 1er décembre 1896, il transmettait un projet répondant aux desiderata formulés.

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II devait être, en outre, d'un grand intérêt pour nous de faire procéder à l'examen de la question des allumettes dans les autres pays. De même que les inspecteurs des fabriques des Ier et IIIme arrondissements avaient entrepris en 1893 un voyage d'études en Allemagne, Suède et Norvège pour étudier la fabrication dans ces contrées, les inspecteurs des TI'ne et IIIme arrondissements furent invités, lors de leur passage en France, l'année dernière, à s'enquérir entre autres de la méthode française de fabrication des allumettes. Mais, malgré toutes les démarches faites, l'entrée des fabriques ne leur fut point accordée, de telle sorte que nous ne sommes pas suffisamment renseignés sur les conditions de cette dernière fabrication.

Par contre, nous possédons, daté du 13 mai 1896, un rapport du consul général suisse à Yokohama, élaboré sur la demande du département et qui nous donne des détails sur la fabrication japonaise des allumettes et sur leur exportation.

Cette industrie a été fondée dans ce pays en 1873 et ne devait comprendre, aux termes des prescriptions, que la fabrication des allumettes dites « suédoises ». La production prit rapidement une grande extension ; mais la qualité des produits devint si mauvaise que l'exportation, jusqu'alors considérable, cessa presque entièrement pour ne reprendre qu'à partir de 1885.

Notre consulat général ne put se renseigner sur la composition chimique de la pâte utilisée ; il ne croit pas cependant à l'emploi d'un procédé uniforme. Pour le moment, il n'existe pas de contrôle du gouvernement sous la forme d'une loi sur les fabriques ; en face du bon marché sans exemple du produit japonais, la concurrence d'Europe n'est pas à craindre, mais, par contre, les dangers qu'offre le transport de cette marchandise facilement explosible même en boîtes, s'opposent à son introduction sur le marché européen.

En 1897, nous avons en outre obtenu du gouvernement britannique, sur les conditions de la fabrication des allumettes en Angleterre, des renseignements qui, toutefois, ne nous ont rien appris de neuf.

Enfin, le Département de l'Industrie, par suite de communications insérées dans la presse, fut conduit à inviter le 16 mars 1897 l'inspectorat des fabriques à examiner la question de savoir si le danger de maladie dans la fabrication des allumettes, ne reconnaîtrait pas d'autres causes que celles acceptées jusqu'alors. Mais ici encore, les résultats sont nuls.

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Revenant au projet de loi lui-même, nous renonçons aussi bien à rappeler ici les arrêtés, prescriptions, etc., promulgués par les autorités fédérales depuis 187rf, qu'à attirer l'attention sur les publications de divers spécialistes, ou à donner un nouvel aperçu de l'état de la législation étrangère dans la question des allumettes. Nous renvoyons an « Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant l'introduction du monopole des allumettes », du 20 novembre 1891 (F. féd. 1891, V. 6u3).

Constatons seulement que depuis des années on s'efforce de lutter contre le danger principal de la fabrication des allumettes, la nécrose phosphorique, mais que jusqu'à présent, tous lès efforts pour la combattre sont malheureusement restés vains. Le monopole des allumettes que nous considérions comme une mesure protectrice, ayant été écarté par la votation populaire du 29 septembre 1895, nous ne voyons plus pour l'avenir d'autre moyen de lutter contre la nécrose que l'interdiction de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et du commerce des allumettes au phosphore jaune; car ce n'est que par la suppression totale de cet élément de l'industrie des allumettes qu'on pourra arriver à la disparition du fléau. Si l'on songe qu'en dépit d'essais prolongés, de tentatives sérieuses par voie de législation, d'ordonnances, d'expériences scientifiques et pratiques, aucun résultat satisfaisant n'a pu être obtenu et, loin de là, que la nécrose continue sa sinistre besogne de destruction, vous reconnaîtrez avec nous qu'il faut recourir en définitive au remède qui, dès le début, s'est révélé comme le seul véritablement efficace. Ce faisant, non seulement l'industrie des allumettes perdra d'un coup son caractère malsain, mais en même temps, prendra fin un état d'insécurité qui, au détriment général, dure depuis aussi longtemps que la question des allumettes elle-même.

II.

En nous guidant sur l'ancienne législation concernant l'industrie des allumettes que nous avons revue article par article, nous proposons de modifier l'article 1er de la loi du 23 décembre 1879, de telle sorte que dorénavant l'interdiction qui pèse sur la fabrication, l'importation et la vente des allumettes au phosphore jaune -- en faisant, sous cette appellation simple et généralement usitée, rentrer également les allumettes-bougies et autres produits similaires -- s'étende aussi à leur exportation.

En voici la raison ; aussi longtemps que l'exportation des allumet-

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tes au phosphore jaune est tolérée, c'est-à-dire qu'elle n'est pas expressément interdite, on est exposé au danger de la fabrication secrète, cette industrie ne demandant presque pas d'installations préparatoires et pouvant s'exercer avec les moyens les plus rudimentaires. Supprimée dans les établissements soumis à la surveillance officielle et médicale, la fabrication au phosphore jaune passera dans les maisons particulières et les réduits clandestins, et le mal auquel nous voulons remédier augmentera d'autant plus que les infractions à la loi se commettront plus secrètement.

Aux termes de nos propositions, et bien que découlant logiquement de l'interdiction de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la vente, la prescription ne s'étend pas à la consommation des allumettes au phosphore jaune ; cette exception s'explique par le fait qu'il nous semble opportun d'éviter avant toute chose le caractère vexatoire dans les mesures à prendre. Il appartient sans contredit à la Confédération d'en interdire l'usage et l'on ne saurait ici parler d'une ingérence de l'autorité dans le domaine de la liberté personnelle, car le droit de la Confédération de légiférer en la matière ressort clairement de l'article 34 de la constitution. L'expérience montrera si les dispositions légales envisagées aujourd'hui seront suffisamment efficaces, ou si l'interdiction de la consommation résoudra seule la question des allumettes ; en fin de compte, il faudrait bien pouvoir arriver à faire abstraction de toutes les considérations qui seraient susceptibles de rendre illusoire la suppression de la nécrose.

L'article 2 concorde à peu près avec l'article 2 du règlement du 17 octobre 1882. Il est d'une grande importance au point de vue de l'opposition qu'il est nécessaire de faire aux tentatives qui pourraient se produire de transférer l'industrie des allumettes dans des maisons particulières, et il offre aux autorités un terrain solide pour l'exercice de la surveillance, puisque toute exploitation, voire même la plus minime, serait d'emblée soumise à la loi fédérale sur les fabriques.

La loi proposée se bornant à interdire l'emploi du phosphore jaune et ne renfermant par contre aucune prescription touchant d'autres méthodes de fabrication -- elle ne peut rien stipuler à cet égard, la technique étant d'essence
éminemment variable -- l'article 3, dans le but d'opposer dès le début une barrière légale aux nouvelles inventions qui pourraient être dangereuses, prévoit pour la fabrication l'autorisation du Département fédéral de l'Industrie. Notre rapport du 6 décembre 1881

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(F. féd., IV. 615) expose les raisons pour lesquelles il convient également d'avoir égard à la sécurité des consommateurs.

L'article 4 renferme les prescriptions à observer lors de la présentation d'une demande. Elles ont trait aux mesures à prendre pour assurer la sécurité des ouvriers et de l'exploitation. Il va sans dire que les gouvernements cantonaux auraient, comme par le passé, l'occasion de donner leur avis à ce sujet.

Les expériences faites jusqu'à présent démontrent l'importance qu'il faut attacher au contrôle officiel ; nous nous rappelons encore le temps où les opérations les plus dangereuses de la fabrication des allumettes s'effectuaient parfois dans les locaux les moins appropriés, dans des chambres ou des cuisines, par exemple, et ceci dans le seul but de soustraire à une légitime surveillance ces travaux ou les personnes dont l'emploi eût.

donné lieu à des réclamations.

Etant donné le danger qu'elle présente, la fabrication des allumettes dites « suédoises » doit aussi faire l'objet d'une surveillance sévère. Pour faciliter cette dernière, et pour mettre fin désormais à toute velléité de fabrication au phosphore jaune, nous voudrions que l'article 5 réservât aux fonctionnaires chargés de l'inspection et aux organes de contrôle soit fédéraux, soit cantonaux, le droit de pénétrer en tout temps dans tous les locaux, quels qu'ils soient, que l'on suppose affectés à la fabrication clandestine.

Un autre élément important de l'efficacité du contrôle nous paraît assuré par la disposition de l'article 6, aux termes de laquelle la provenance des allumettes importées ou fabriquées dans le pays doit être clairement indiquée sur les caisses, les paquets et les boîtes. On connaîtrait immédiatement ainsi l'origine des produits prohibés et dangereux et des mesures protectrices opportunes pourraient être prises sur le champ.

Les dispositions pénales de la loi du 23 décembre 1879 s'appuyant sur la loi fédérale sur les fabriques, le maximum de l'amende ne pouvait dépasser 500 francs. Mais dans l'intérêt de l'oeuvre de la nouvelle loi, il convient d'établir un chiffre plus élevé qui permette d'agir avec succès contre la contrebande. L'amende ne doit pas être trop minime, de façon à ne pas assurer au contrebandier ou au fabricant d'allumettes prohibées un gain suffisant, même dans les cas les plus défavorables, ni à lui permettre d'enfreindre la loi sans risque aucun. La fixation du maximum à 1000 francs, ainsi qu'une

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élévation proportionnée du minimum de l'amende, nous paraîtraient donc pleinement justifiées (article 7).

De même que -dans la loi de 1879, divers degrés correspondant aux différents genres d'infractions sont prévus dans le tableau des amendes.

Nous renvoyons, au surplus, à notre rapport du 6 décembre 1881, déjà mentionné, pour tout ce qui a trait aux dispositions pénales.

Nous n'avons pas d'observations à présenter sur les articles 8 et 9.

Art. 10. Le Conseil fédéral fixera un délai suffisant pour l'écoulement des stocks existants et pour les transformations nécessitées par le changement de fabrication ; un délai quelque peu plus long devra être accordé pour la vente, comme l'article 1 de la loi du 23 décembre 1879 le stipulait déjà.

Toutefois, l'expérience a montré qu'il ne 'convient pas de fixer définitivement ce terme dans la loi même.

Pour prévenir tout malentendu, ajoutons encore qu'il ne saurait être question d'une indemnité aux fabricants pour le rétablissement de l'interdiction de l'emploi du phosphore, pas plus qu'on ne le fît lors de la promulgation des lois du 23 décembre 1879 et du 22 juin 1882. Ce point de vue repose sur les raisons figurant dans notre rapport du 1er juin 1883 « sur la pétition de MM. E. Bohy et Brack, à Nyon, concernant une indemnité pour l'abrogation de la loi interdisant la fabrication et la vente des allumettes au phosphore jaune » (F. féd. 1883, III. 230), raisons que vous avez approuvées en acceptant la proposition que nous avions faite d'écarter la demande d'indemnité comme non fondée. Il ne faut pas oublier, du reste, que dans le cas où la fabrication au phosphore jaune serait maintenue, des prescriptions beaucoup plus sévères devraient être imposées, autrement dit que les fabricants devraient être soumis à des exigences certainement plus considérables (voir le rapport de l'inspectorat fédéral des fabriques du 28 septembre 1894). Des transformations et des améliorations de locaux et de machines deviendraient inévitables si l'on ne veut pas se soustraire au devoir de combattre la nécrose d'une façon plus rigoureuse.

Pondes sur l'exposé qui précède et convaincus que vous voudrez avec nous mettre fin, dans l'industrie des allumettes, à

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un état de choses qui n'est plus compatible avec les tendances humanitaires de notre pays et de notre époque, nous venons recommander instamment notre projet à votre acceptation.

Agréez, monsieur le président et messieurs, l'assurance de notre haute considération.

Berne, le 23 novembre 1897.

Au nom du Conseil fédéral suisse, Le président de la Confédération :

DEÜCHER.

Le Jer vice-chancelier: SCHATZMANN.

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Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant le projet de loi sur la fabrication, l'importation, l'exportation et la vente des allumettes au phosphore jaune. (Du 23 novembre 1897.)

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