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N°22

ET RECUEIL DES LOIS SUISSES 68e année.

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Berne, le 31 mai 1916.

Volume III.

Message du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant l'initiative populaire pour la modification de l'article 35 de la constitution fédérale (interdiction des maisons

de jeu).

(Du 27 mai 1916.)

Monsieur le président et messieurs, Par décision du 15 avril et du 15 juin 1915, vous nous avez transmis l'initiative populaire appuyée par 117.494 signatures concernant la modification de l'article 35 de la constitution fédérale, en nous invitant à vous faire rapport sur la matière.

La demande a la teneur suivante : « Les deux premiers alinéas de l'article 35 de la constitution fédérale sont abrogés; ils sont remplacés. par les « dispositions suivantes : « II est interdit d'ouvrir des maisons de jeu.

« Est considérée comme maison de jeu, toute entreprise « qui exploite des jeux de hasard.

« Les exploitations de jeu de hasard actuellement existantes doivent être supprimées dans le délai de cinq ans « dès l'adoption de la présente disposition. » Nous avons l'honneur de vous soumettre le présent rapport.

Feuille fédérale suisse. 68me année. Vol. III.

1

A. L'état de la question avant la constitution de 1874.

La constitution de 1848 ne contenait aucune disposition?

concernant les maisons de jeu; on a légiféré pour la première fois dans ce domaine en matière fédérale lors de la revision totale de la constitution de 1874. Pour apprécier la portée de l'article 35 de la constitution fédérale, il est intéressant de jeter un regard sur l'état de choses qui existait antérieurement en Suisse et d'où est né le besoin d'établir des dispositions fédérales sur les maisons de jeu et les loteries.

Dans la première moitié du 19e siècle, diverses loteries existaient dans les cantons. Deux seulement remontaient jusqu'au temps de l'ancien Etat fédératif, celles d'Uri et de Schwyz. C'est à cause d'elles principalement et des maisons de jeu de Genève et de Saxon qu'a été édicté l'article 35.

Ces deux loteries avaient été créées pour venir en aide aux pauvres des cantons susmentionnés. Toutefois on les afferma à des particuliers, qui semblent bien avoir retiré le plus clair du bénéfice (environ 640.000 francs par année); quant à l'Etat,, il percevait un fermage annuel de 7000 à 10.000 francs seulement.

Les années 1856 et 1857 virent naître à Genève une maison de jeu sous la désignation de cercle des étrangers; installée dans une maison particulière par un croupier expulsé du Piémont, elle avait pour modèle les établissements qui se trouvaient sur la droite du Rhin dans les villes renommées pour leurs stations balnéaires et climatériques. Quoique les.

jeux de hasard fussent défendus à cette époque dans le canton de Genève, l'entreprise put y subsister jusqu'en 1864, soit jusqu'au renouvellement du gouvernement. Cette autorité écarta une pétition de 5200 citoyens qui réclamaient la suppression de l'établissement; dans son arrêté, le gouvernement faisait remarquer qu'il ne s'agissait pas d'une maison de jeu.

Il semble cependant que cet établissment eût une influence très défavorable; le gain de l'entrepreneur était de 2250;s francs par jour.

La maison de jeu de Saxon en Valais a joué un rôle encore plus cosidérable dans la genèse de l'article 35 de la constitution fédérale. Saxon était devenu une station balnéaire, mais les étrangers se plaignaient des marais qui s'étendaient à proximité. Le propriétaire du terrain conçut l'idée d'installer à côté des bains un casino ou cercle de&

étrangers, d'après le système allemand, qui devait procurer les moyens nécessaires pour dessécher les marais et faire de Saxon une station célèbre par ses bains. Les autorités communales accordèrent la concession pour une durée de 30 ans, le 20 janvier 1847; le gouvernement provisoire du canton du Valais confirma cette concession en janvier 1848. La maison de jeu fut ouverte en 1855; elle atteignit le but que s'était proposé le fondateur; le produit de l'exploitation du jeu, que l'on peut évaluer au tiers environ de celui de l'entreprise de Genève, fut employé à l'assainissement des marais et à l'installation de bains remarquables. Dès 1863 la maison de jeu fut imposée annuellement pour 20.000 francs. Il semble qu'on y jouât principalement aux jeux bien connus sous le nom de « Trente et Quarante » et de la « Houlette ». Le minimum de l'enjeu était de 5 francs pour le premier et de 1 franc pour le second. Comme il n'y avait pas de maximum prévu, les mises devaient être souvent considérables. Il était défendu aux ressortissants du canton de prendre part aux jeux.

L'entreprise fut en butte à de nombreuses attaques; on demanda même sa suppression. Déjà au début de l'année 1855, un citoyen de Saxon, du nom de Wilhelm, adressa une pétition au Conseil fédéral en le priant de nettoyer le pays de cette « tache ». Le Conseil fédéral se contenta de donner connaissance de cette pétition au gouvernement valaisan en faisant remarquer qu'il regrettait qu'on eût renouvelé une semblable concession, mais qu'il n'était pas compétent pour prendre une mesure quelconque. *) Quinze années plus tard, un autre citoyen de Saxon, Elie Gay, demanda la suppression de cette maison de jeu. Il s'adressa d'abord aux autorités valaisannes, en faisant observer que depuis 1842 toutes les lois fiscales du canton défendaient les jeux de hasard publics. Le gouvernement rejeta la plainte en se basant sur une décision du Grand Conseil de l'année 1856, d'après laquelle celui-ci avait reconnu, en donnant une interprétation authentique à la loi, que la concession de Saxon n'était pas en contradiction avec la loi fiscale. Le Grand Conseil avait admis que les jeux de Saxon n'étaient pas publics, attendu que le jeu était réservé uniquement aux étrangers. Éconduit par les autorités cantonales, Gay adressa consécutivement en 1870 et 1871 deux requêtes à l'Assemblée fédérale. A l'appui de sa demande, M. Gay faisait observer *) Voir Feuille fédérale 1870, III, 966.

que du moment où la législation cantonale est garantie par la constitution, il résultait de cette violation de la loi que la constitution cantonale était violée. Le Conseil fédéral déclara de nouveau dans ses rapports que les autorités fédérales n'étaient pas compétentes en la matière. Faisant sienne cette manière de voir, l'Assemblée fédérale écarta les pétitions et passa à l'ordre du jour. Toutefois elle prit acte de l'assurance donnée par le gouvernement du canton du Valais de ne pas renouveler la concession à son expiration et de ne plus accorder d'autres concessions à l'avenir. *) Dès 1864, c'est-à-dire à partir de la suppression de la maison de jeu de Genève, il n'en existait plus qu'une en Suisse : celle des bains de Saxon. Des tentatives d'établir de nouvelles maisons de jeu semblent avoir échoué devant la résistance des gouvernements cantonaux. La plupart des cantons avaient interdit -- comme ils le font encore actuellement -- les jeux de hasard sur leur territoire. Seuls en 1864 les Etats d'Uri, de Schwyz et de Nidwald faisaient exception. Cependant on se plaignait souvent de la négligence des cantons dans l'application de cette défense, surtout en ce qui concerne les loteries. Quelques cantons (Uri et Schwyz déjà cités) considéraient les loteries comme des oeuvres d'utilité publique; c'est ainsi que les cantons ont eux-mêmes organisé ou autorisé les communes et les entreprises privées à organiser de nombreuses loteries pour la construction d'églises ou pour des oeuvres de bienfaisance.

B. La genèse de l'article 35 de la constitution fédérale.

On dut se convaincre que les lois cantonales ou plutôt leur mode d'application dans les différents cantons étaient impuissants pour réglementer d'une manière efficace les jeux de hasard; il fallut recourir à la Confédération pour remédier à cet état do choses. Déjà au temps de la République helvétique, on avait rendu une ordonnance fédérale qui mérite d'être relevée à cette place; cette mesure prise par le Directoire, le 2 février 1802 (reproduite dans l'Annuaire politique d'Hilty, année 1903, p. 624), a la teneur suivante : «Le Directoire considérant que les jeux dits de hasard ont des conséquences très funestes pour la moralité et les ·) Voir Feuille fédérale 1870, III, 964; 1871, I, 6 et 141; 1872, I, 269 et II, 475.

relations économiques des citoyens qui s'adonnent à ces espèces de jeux, arrête : « 1° Tous les jeux de cette nature sont interdits dans tous les établissements publics de la République, à partir de la publication du présent arrêté, sous peine, pour le tenancier, de se voir retirer la patente et de voir son établissement fermé.

« 2° Toutes les personnes, soit civiles soit militaires, au service de la Eépublique qui seront convaincues d'avoir pris part à un jeu de cette nature dans un établissement public seront révoquées sans autre de leurs fonctions.

« 3° (Exécution). » Cet arrêté devint sans effet à la chute de la République helvétique et la réglementation des jeux de hasard fut de nouveau abandonnée complètement aux cantons.

Dans la nouvelle Confédération, on eut l'idée d'abandonner la réglementation de cette matière à la Confédération non pas par voie de législation fédérale, mais au moyen d'un concordat, aux termes duquel les cantons s'engageraient réciproquement à supprimer les loteries et les jeux de hasard.

L'initiative partit du gouvernement du canton d'Argovie, qui adressa en 1863 une circulaire à tous les Etats confédérés, à l'effet de provoquer une conférence pendant la session des Chambres; cette proposition fut portée à la connaissance du Conseil fédéral en même temps que le projet de concordat.

Ces démarches furent couronnées de succès et la conférence eut lieu sous la présidence du chef du département fédéral de justice et police; tous les cantons, à l'exception de Berne, Uri, Schwyz, St-Gall et Baie-Campagne prirent part à cette conférence. On décida de rassembler d'abord les dispositions législatives existantes sur cette matière dans les cantons, puis une commission fut nommée pour préparer un projet de concordat. Ce projet fut élaboré par le chef du département de justice et police; la commission l'approuva et il fut communiqué à tous les cantons. En même temps la commission chargea son président d'adresser à tous les gouvernements des cantons qui possédaient encore des loteries permanentes ou des jeux de hasard, une invitation confédérale, afin de les engager à les supprimer de leur chef au plus tôt pour le bonheur et l'honneur de la Suisse entière ! *) Une nouvelle conférence à laquelle prirent part *) Voir Feuille fédérale 1863, III, 270; 1864, I, 300.

tous les cantons sauf Zoug eut lieu dans le courant de l'année 1864. A cette occasion, le délégué du canton du Valais déclara que son gouvernement était prêt à ne plus renouveler, à son expiration, la concession accordée en faveur des bains de Saxon; de leur côté, les délégués d'Uri et Schwyz firent la même déclaration en ce qui concerne les loteries encore existantes dans leurs cantons. La conférence résolut ensuite d'entrer en matière sur le projet présenté par la commission tout en renvoyant à celle-ci certains articles; elle s'ajourna, pour une nouvelle réunion, à la session ordinaire d'été (1865). *) La troisième conférence, pas plus que les précédentes, n'apporta de résultat définitif, et le concordat ne vit pas le jour. Il est possible que ce résultat négatif soit dû jusqu'à un certain point à la tentative faite entre temps d'autoriser la Confédération à légiférer sur cette matière par l'adjonction d'un nouvel article dans la constitution, lors de la revision de la constitution fédérale. Cette tentative ayant échoué, le Conseil fédéral estima qu'il fallait attendre et ne pas donner suite pour le moment au projet de concordat, d'autant plus qu'on pouvait espérer, vu les déclarations des gouvernements des cantons intéressés, que les entreprises en question disparaîtraient dans un avenir prochain. *e) Lors de la revision partielle de la constitution fédérale en 1865, la commission du Conseil des Etats fit une nouvelle proposition à côté de celles du Conseil fédéral; elle proposait d'intercaler la nouvelle disposition ci-après à la fin du chapitre II de la constitution fédérale : « La Confédération a le droit de prendre les mesures nécessaires contre ceux qui font métier de tenir des loteries et des jeux de hasard sur son territoire. » M. Bramer, conseiller aux Etats, déclare ce qui suit dans le rapport de la commission du 30 septembre 1865 ***) : « Enfin pour nous conformer à une invitation faite au sein de la commission, nous signalerons au Conseil des Etats un mal qui fait de grands ravages dans notre patrie et auquel la Confédération seule peut remédier; nous voulons parler des loteries et des jeux de hasard que quelques cantons tolèrent à leur propre détriment.

*) Voir Feuille fédérale 1865, II, 141 et 722.

**) Voir Feuille fédérale 1866, I, 421.

***) Voir Feuille fédérale 1865, III, 65D .

«L'on a cherché à conclure à cet égard un concordat, ·qui toutefois n'atteindra pas son but, car les cantons qui tolèrent ce fléau sur leur territoire n'y adhéreront pas. Et pourtant non seulement la prospérité de nombreuses familles, mais encore l'honneur de la Suisse exigent que les loteries et ces jeux funestes qui, d'une part, sont déjà supprimés à l'étranger, et qui, d'autre part, sous peu seront obligés de fléchir devant la morale du peuple qui sort de son assoupissement, soient bannis du sol de notre république ! Le besoin d'une centralisation se fait ici aussi bien sentir que pour la propriété littéraire, et ce par les mêmes raisons, car si le -droit d'auteur ne trouve pas une protection suffisante, les suites pernicieuses de la contrefaçon, aussi longtemps que celle-ci sera encore permise dans un seul canton, atteindront toute la Suisse, de même que les loteries et les jeux de hasard, du moment qu'on les tolérera dans un seul canton, ne manqueront pas d'exercer leur effet désastreux. Toutefois, nous nous arrêtons là, car nous savons d'avance que l'opinion publique appuiera notre demande tendant à ce ;que la Confédération prenne à l'avenir cette question en mains et remédie à un fléau qui depuis trop longtemps déjà ·àéfie l'indignation du peuple suisse ! » Les deux conseils votèrent cette proposition et le nouvel article eut la teneur suivante : « La Confédération a le droit d'édicter des prescriptions -légales contre ceux qui font métier de tenir des loteries et "des jeux de hasard sur son territoire. » Cette disposition forma l'article 59 & du projet de revision; mais le peuple .suisse la rejeta lors de la votation du 14 janvier 1866 par 176.788 voix contre 139.062 et par 12^ Etats contre 9^. Les Etats de Zurich, Obwald, Glaris, Soleure, Baie-Ville et Bâle: Campagne, Argovie, Thurgovie, Tessin, Neuchâtel et Genève .acceptèrent cet article. Le vote des cantons qui possédaient encore à cette époque des maisons de jeux ou des loteries :«st particulièrement intéressant. Tous rejetèrent la revision : .le Valais par 11.729 voix contre 2055, Uri par 1560 voix contre 188 et Schwyz par 3723 voix contre 1116. Le canton de Genève, où l'on avait supprimé quelque temps auparavant la maison, ·de jeu, vota l'acceptation par 3157 voix contre 1013. *) *j Voir Feuille fédérale 1866, I, 121.

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Après cett« votation, le Conseil fédéral abandonna, comme on l'a déjà fait remarquer ci-dessus, les démarches tentées envue d'un concordat, sans perdre de vue cette affaire pour autant. C'est ainsi qu'il s'adressa en 1868 au gouvernement des cantons d'Uri et de Schwyz pour leur demander quand expiraient les concessions accordées aux loteries encore existantes; il fit la même démarche auprès du canton du Valaisau sujet de la maison de jeu des bains de Saxon. Pendant les délibérations du concordat, le bruit avait circulé que lecanton d'Uri avait renouvelé les concessions des loteries pour une durée indéterminée; quant à la concession des jeux de Saxon, on se trouvait dans la même incertitude. Le gouvernement du canton du Valais donna de nouveau l'assurance que la concession du 1er janvier 1847, accordée pour une durée de 30 ans, ne serait pas renouvelée à son expiration, conformément à une décision prise en 1864, et que l'on ne donnerait plus aucune autorisation de ce genre. ®) Au cours des années suivantes, les autorités fédéraleseurent à s'occuper des pétitions de Gay qui accompagnèrent le mouvement en faveur de la revision totale de la constitution fédérale. Cette revision remettait les jeux de hasard, sur le tapis. De son côté l'association populaire de Steffisbourg (Berne) envoya un postulat daté des 9/13 octobre 1870' pour la revision de la constitution, en reprenant la disposition qui avait été rejetée en 1866.**) La commission du Conseil des Etats chargée de préaviser sur la première pétition de Gay, proposa dans son rapport du 14 décembre 1870
Cette proposition était basée notamment, comme cela ressort du rapport, sur la fermeture prévue des maisons de jeux dans différentes stations d'étrangers allemandes et sur la crainte de voir ces entreprises s'installer en Suisse. C'est pour ce motif que la commission était d'avis qu'il fallait couper le mal par sa racine en légiférant dans le domaine fédéral.

Les événements qui se déroulaient en Allemagne nefirent pas perdre de vue cette question en Suisse. On lança *) Voir Veuille fédérale 1869, I, 958.

**) Voir Feuille fédérale 1870, III, 476.

*") Voir Feuille fédérale 1871, I, 141.

9 en Allemagne en 1869 une pétition pour demander la suppression au plus vite des maisons de jeu publiques sur le territoire de la confédération du nord de l'Allemagne. Plus tard, soit le 1er juillet 1868, une loi fédérale interdisait l'établissement des maisons de jeu publiques et ordonnait la fermeture de celles qui existaient pour le 31 décembre 1872 au plus tard. Les contrats de bail et les concessions étaient annulés sans indemnité dès le jour de la fermeture, abstraction, faite de leur durée; en outre, il était interdit à toutes les maisons de jeu de jouer les dimanches et jours fériés jusqu'au jour de la fermeture complète. *) Cette loi était applicable à tout l'empire d'Allemagne à partir de l'année 1872, de sorte que les maisons de jeu furent également bannies del'Allemagne du sud. Le danger était grand de voir ces maisons de jeu se réfugier en Suisse.

M. Stämpfli, conseiller national, faisait allusion à cet état de choses en proposant, le 27 février 1871, à la commission du Conseil national pour la revision de la constitution fédérale d'adopter l'article suivant : « II est interdit d'ouvrir des maisons de jeu sur le territoire de la Confédération.

«Celles qui existent actuellement seront fermées dans, le délai qui sera fixé par la législation fédérale. » Cet article fut modifié à plusieurs reprises au cours desdélibérations de la commission; il eut enfin la teneur suivante : « II est interdit d'ouvrir des maisons de jeu.

« Les concessions accordées jusqu'à ce jour ne pourront être renouvelées à l'expiration du délai pour lequel elles, ont été accordées. » **) C'est sous cette forme que l'article fut adopté sans modification par la commission du Conseil des Etats. ***) Au cours des délibérations du Conseil fédéral ****), on approuva en général le principe de l'article; mais on atta*) Voir cette loi dans Laely et l'article de la constitution fédérale sur les maisons de jeu II* édition, page 33, remarque 3.

**) Procès-verbal de la commission du Conseil national pour la revision de la constitution, années 1870--1871, p. 37, 179, 204, 216.

*'*) Procès-verbal de la commission du Conseil des Etats pour la.

revision de la constitution fédérale, années 1871--1872, p. 27 et 38.

****) Procès-verbal des séances du Conseil national 1871--1872,.

p. 101, 117, 544, Bulletin des délibérations de l'Assemblée fédéralesur Ja revision de la constitution fédérale, 1871--1872, vol. I, p. 146,.

vol. II, p. 385.

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qua le deuxième alinea, en lui reprochant de n'être que la conséquence du premier et d'avoir l'apparence de garantir les concessions accordées aux maisons de jeu existantes. On objectait que le deuxième alinéa qu'on allait introduire dans la constitution pouvait favoriser les entrepreneurs étrangers qui avaient obtenu tout récemment différentes concessions de jeu en Suisse. On exprima aussi le voeu de trouver ·une formule permettant la suppression de semblables concessions, sans que la Confédération assumât pour autant l'obligation de verser une indemnité quelconque. Une autre proposition tendait enfin à autoriser la Confédération à prendre aussi les mesures nécessaires concernant les loteries.

Après maintes délibérations, on finit par ajouter un troisième et quatrième alinéas conçus en ces termes : «Les concessions qui auraient été accordées depuis le commencement de l'année 1871 sont déclarées nulles.

« La Confédération peut aussi prendre les mesures néces· saires concernant les loteries. » La minorité de la commission réclama au Conseil des Etats*) la suppression immédiate de la maison de jeu de Saxon, tandis que la majorité, qui avait aussi égard aux industriels établis à Saxon, s'opposait à cette mesure, qu'elle estimait injuste et trop sévère. On finit par s'entendre sur une proposition intermédiaire qui fixait un délai de cinq ans pour la fermeture de toutes les maisons de jeu. Le Conseil national vota cette proposition. L'article 31 du projet de la constitution eut dès lors la teneur suivante : « II est interdit d'ouvrir des maisons de jeu. Celles qui existent actuellement seront fermées dans un délai de 5 ans à partir du jour de l'acceptation de la présente constitution.

«Les concessions qui auraient été accordées depuis le commencement de l'année 1871 sont déclarées nulles.

« La Confédération peut aussi prendre les mesures nécessaires concernant les loteries. » Après le rejet de la constitution à la votation populaire du 12 mai 1872, le Conseil fédéral reprit aussitôt en mains la revision. Le message du 4 juillet 1873 **) donnait la teneur suivante à l'article concernant les maisons de jeu : *) Procès-verbal des délibérations du Conseil des Etats du 22 janvier 1872 ; bulletin des délibérations sur la revision de la cons.titution fédérale, vol. TU, p. 37.

**) Voir Feuille fédérale 1873, II, 924.

11 « II est interdit d'ouvrir des maisons de jeu. Celles Qui ^existent actuellement seront fermées, le 31 décembre 1876.

« Les concessions qui auraient été accordées ou renouvelées depuis le commencement de l'année 1871 sont déclarées nulles.

« La Confédération peut aussi prendre les mesures nécessaires concernant les loteries. » Au lieu de fixer un délai de 5 ans pour la fermeture, on s'en tint à une date précise qui coïncidait, aux yeux du Conseil fédéral, avec celle de l'expiration de- la concession ·de Saxon. Dans le deuxième alinéa, on tint compte de la possibilité d'un renouvellement de la concession accordée par la commune de Saxon au commencement de l'année 1871.

L'Assemblée fédérale ne discuta plus que la question de ^savoir si la fermeture devrait être fixée au 31 décembre 1876 ·ou au 31 décembre 1877. Le Conseil des Etats s'étant prononcé pour cette dernière date, le Conseil national se rangea ·à cette manière de voir. *) C'est sous cette forme que fut ·adopté l'article 35 dans la constitution fédérale du 29 mai 1874.

C. Développement historique depuis 1874. Interprétation donnée à l'article 35 de la constitution fédérale.

La maison de jeu de Saxon fut fermée à la fin de l'année 1877; avec elle disparurent aussi les nombreuses plaintes ·que l'on ne cessait de porter au Conseil fédéral contre l'exploitation des jeux. Il n'existait pas en Suisse d'autre établissement de ce genre ; avec la suppression de celui de 'Saxon la constitution fédérale parut avoir atteint son but.

Toutefois, à partir de 1882, le Conseil fédéral eut à s'occuper de nombreuses plaintes qui lui étaient directement adressées ou que publiait la presse au sujet des jeux de hasard exploités dans les kursaals, les casinos ou dans certaines sociétés des stations d'étrangers de la Suisse. Cette autorité dut prendre position sur la question de savoir si et dans quelle mesure ces jeux étaient en contradiction avec la constitution fédérale. Nous résumons ci-après les événements *) Procès-verbal des délibérations du Conseil national et du Conseil des Etats, 1873-1874, p. 75, 237, 3*4.

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auxquels le Conseil fédéral ou le département de justice et police ont été mêlés et qui ont de l'importance pour l'interprétation de l'article 35 de la constitution.

1. La nouvelle donnée par la «Züricher Post», qu'il existerait un « tripot clandestin » dans le casino d'Interlaken,, faisait en juillet 1882 le tour de la presse suisse.- On disait entre autres que le « jeu des petits chevaliers », bien connu en France, y était pratiqué, et qu'une partie spéciale du casino dite « cercle des étrangers » avait été aménagée pour le jeu de «baccarat» et autres semblables jeux de hasard.

Le bruit que des « cercles des étrangers » ou « salons réservés » étaient en voie de formation à Montreux, à Lucerne et à Genève, trouvait à la même époque un écho dans la presse.

Le Conseil fédéral invita le gouvernement du canton de; Berne à faire procéder à une enquête minutieuse sur les sortes de jeux auxquels on se livrait au casino d'Interlaken; à prendre, le cas échéant, les mesures nécessaires pour l'exécution de l'article 35 de la constitution fédérale et des dispositions pénales bernoises sur la matière, puis à faire rapport au Conseil fédéral. Le gouvernement bernois répondit que durant le cours de la saison écoulée aucun jeu prohibé n'avait été pratiqué au kursaal d'Interlaken; qu'il ne pouvait supprimer le jeu des « petits chevaux » qui n'était qu'un jeu innocent; enfin qu'on ne pouvait défendre 'les autres jeux1 qui se jouent aux tables ordinaires, aussi longtemps que serait toléré le fait de jouer pour de l'argent dans les auberges et les maisons privées. Cependant le gouvernement donna l'assurance qu'il vouerait à l'avenir toute son attention à cet objet. Le Conseil fédéral se contenta de ces; déclarations et considéra l'affaire comme liquidée poux* le moment. D'un autre côté, le bruit qui courait qu'on allait établir des jeux de hasard à Lucerne, à Montreux et à Genève' ne lui parut pas une raison suffisante d'intervenir.s) On peut ajouter que quelques années plus tard les 'membres du conseil d'administration de la société du Kurhaus d'Interlaken furent condamnés par les tribunaux bernois à une amende de 5 francs pour contravention à la loi cantonale sur le jeu, pour avoir fait exploiter au kursaal le00jeudés petits chevaux; les jeux furent en outre confisqués. ) *) Voir Feuille fédérale 1883. II, 999.

·*) Voir Feuille fédérale 1890, II, 175.

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2. En 1884 le ministre de Suisse à Londres fit parvenir ;au président de la Confédération une demande de la société internationale pour la suppression des maisons de jeu de Montecarlo, le priant d'appuyer, comme d'autres gouvernements l'avaient déjà fait, les efforts de la société et de charger le ministre de Suisse à Paris d'intervenir dans le sens désiré auprès du prince de Monaco. Le Conseil fédéral décida, sur la proposition de son président, de ne pas donner suite à cette demande en raison des difficultés que rencontrait en Suisse l'application stricte de l'article 35 de la constitution fédérale.

3. Dans le courant du mois de novembre 1884, une lettre . anonyme informait le Conseil fédéral que, dans six « cercles » au moins de Genève, on jouait publiquement au baccarat et à d'autres jeux de hasard. *) Le département de justice et police en donna connaissance au gouvernement de Genève en l'invitant à lui fournir les renseignements nécessaires sur ces différentes sociétés. Le gouvernement de Genève fit rernar·quer dans son rapport qu'il était très difficile de dire si les jeux incriminés tombaient SOXTS le coup de l'article 35 de la constitution fédérale, mais qu'il croyait devoir répondre né.gativement. Le département de justice et police répondit en · ces termes à celui de Genève : « II est certain qu'on ne peut comprendre sous la dénomination «maisons de jeu», terme employé par la constitution fédérale, les cercles proprement dits, destinés avant tout à réunir les personnes de mêmes opinions, professions ou quar"tiers, alors même que les jeux de hasard y auraient pris une place importante.

« Mais lorsque sous l'apparence d'un cercle on déguise ·une maison ouverte à tous venants et dont le but unique ou principal est de procurer un bénéfice aux entrepreneurs en 'exploitant la passion du public pour les jeux de hasard, nous pensons qu'il faut y voir une maison prohibée par la cons'titution fédérale, quelles que soient les précautions prises pour lui donner l'apparence d'un cercle fermé. » En terminant son exposé, l'autorité fédérale invitait le gouvernement de Genève à surveiller activement ces cercles et à appliquer strictement l'article 35 de la constitution fédérale.

*) Voir Feuille fédérale 1885, II, 495.

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Le département de justice et police adressa derechef les mêmes observations à celui de Genève, quelques années après, en l'invitant à vouer toute son attention aux jeux pratiqués au kursaal de la ville ou dans les cercles, sans reculer en cas de besoin devant les mesures de rigueur édictées par la loi.

4. En octobre 1884, le Conseil fédéral fut informé qu'au kursaal de Montreux on jouait au baccarat. Il en donna connaissance au gouvernement du canton de Vaud en l'invitant à ouvrir une enquête et à faire rapport. Vu le résultat de l'enquête le Conseil d'Etat du canton de Vaud décida l'enlèvement immédiat de la table de baccarat et de la roulette, en prévenant le comité d'administration du kursaal qu'il prendrait des mesures de rigueur si des faits semblables venaient à se reproduire. *) Ces mesures furent approuvées par le Conseil fédéral qui mit cette affaire ad acta avec les autres pièces y relatives.

Ensuite d'une plainte répandue dans la presse au mois d'octobre 1887, suivant laquelle, à côté du jeu des petits chevaux on avait introduit un jeu de billes appelé «baraque:» ou « taroc », très dangereux pour la bourse des joueurs, le gouvernement vaudois ouvrit de nouveau une enquête à la demande de notre département de justice; vu le résultat de l'enquête le jeu de billes en question fut enlevé des salles du kursaal.**) Notre département de justice dut de nouveau s'adresser en 1888 à celui du canton de Vaud, ensuite d'une plainte portée contre le directeur du kursaal de Montreux, auquel on reprochait des actes indélicats commis dans l'exploitation du jeu. Bien que la plainte fût reconnue en grande partie non fondée, le préfet de Vevey se vit toutefois dans l'obligation d'inviter le conseil d'administration du kursaal à établir un règlement pour le jeu des petits chevaux. Ce règlement devait contenir entre autres les prescriptions suivantes : limitation de l'enjeu à 1 franc, des séries à 5; défense de mettre en mouvement les petits chevaux avant la vente de tous les «tickets»; défense au croupier de prendre part au jeu; vente des « tickets » aux joueurs sans connaître le numéro.

*) Voir Feuille fédérale 1885, II, 495.

**) Voir Feuille fédérale 1887, IV, 142.

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5. En réponse à une demande de la direction des finances du canton d'Argovie de 1887 concernant l'introduction du jeu des petits chevaux à Baden, le département de justice écrivit qu'aussi longtemps que ce jeu serait pratiqué dans les limites permises jusque-là, il n'y avait pas de motif de l'interdire comme contraire à l'article 35 de la constitution fédérale.

6. En septembre 1887, le département de justice écrivit, au département de police du canton de Lucerne qu'il avait appris qu'on se livrait à des jeux prohibés au kursaal de Lucerne et qu'on y jouait entre autres au.«baccarat»; il l'invitait à supprimer ces jeux, en lui rappelant qu'à teneur de l'article 35 de la constitution fédérale il importait peu qu'aucun ressortissant suisse, comme cela paraissait être le cas à.

Lucerne, ne fût admis à ces jeux.

Il résulte du rapport présenté à ce sujet que, au rez-dechaussée du kursaal, on jouait aux petits chevaux et à la.

baraque avec une assez forte participation du public, maisavec des mises en général faibles, tandis qu'au premier étage du même établissement on jouait au baccarat. A ce dernier jeu, les mises étaient plus fortes, mais les joueurs moins nombreux. Le préfet de Lucerne ordonna, le 9 septembre 1887, la suppression du jeu du baccarat dans le kursaal. Bien, que cette mesure devînt sans objet par suite de la fermeture du kursaal quelques jours après, le directeur de cet établissement n'en recourut pas moins contre cet arrêté, en faisant valoir notamment ce qui suit : L'article 35 de la constitution, fédérale interdit l'ouverture de jeux tels que ceux qui exis.taient à Saxon, Baden-Baden, etc.; or ces jeux ne sont pas à comparer avec ceux de Lucerne. Le baccarat n'est pas un jeu de hasard, mais un jeu de réflexion (Geschicklichkeitsspiel), dans lequel un membre de la société de jeu joue contre les autres joueurs, tandis que dans les maisons de jeu, l'entrepreneur tient en même temps la banque. Ni la constitution,, ni le code pénal fédéral n'interdisent les jeux pratiqués à Lucerne; au surplus si l'on devait supprimer le baccarat ce serait la ruine de l'exploitation du Kurhaus de Lucerne qui en est réduite au produit des jeux de cette espèce.

Dans sa réponse du 28 octobre 1887, le Conseil fédéral écrivit ce qui suit au plaignant et au gouvernement deLucerne *) : *) Voir Feuille fédérale 1887, II, 141.

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« Bien que l'article 35 de la constitution fédérale ne parle pas de jeux de hasard et n'interdise que les maisons de jeu, et que l'on entende généralement par maison de jeu un établissement dans lequel l'entrepreneur joue contre toute personne qui y cherche fortune, le Conseil fédéral ne croit cependant pas que cet article 35 doive être restreint aux établissements de ce genre; il part, au contraire, de l'idée que l'on doit fermer tout établissement public dans lequel le jeu est exploité sur une grande échelle, de manière à donner lieu ,à des escroqueries et à des scandales publics et à compromettre la fortune de personnes imprudentes.

« Les autorités fédérales considèrent donc moins, dans l'application de l'article 35 de la constitution fédérale, le rôle de l'entrepreneur dans les jeux et la nature de ceux-ci que le montant des mises et le danger que courent les joueurs de perdre en peu de temps des sommes importantes. Il y a ·donc lieu, dans chaque cas particulier, de se demander avant tout à combien s'élèvent les mises et quelle est l'extension ·donnée aux jeux. » Le Conseil fédéral ne prit pas une décision spéciale, attendu que le kursaal de Lucerne était alors fermé; il recommanda toutefois au gouvernement cantonal de faire à l'avenir aussi surveiller ce qui se passait dans l'établissement et d'y interdire les jeux qui pourraient prendre une extension dangereuse.

L'exploitation des jeux de Lucerne fut contrôlée l'année suivante (1888) par la police cantonale. Il ressort du rapport du fonctionnaire chargé de cette surveillance que les jeux des petits chevaux et de la baraque étaient accessibles à tout le monde, tandis que le jeu du baccarat n'était accessible qu'aux étrangers porteurs d'une carte de légitimation et inscrits dans un contrôle spécial. L'enjeu était presque toujours de 1 .franc pour les petits chevaux, généralement de 1 à 2 francs pour la baraque; il était communément de 5 à 25 francs pour le baccarat.

Le presse se plaignit de nouveau dans l'été de 1888. qu'on se livrait à des jeux prohibés au kursaal de Lucerne. Le Conseil fédéral transmit les actes au gouvernement lucernois en l'invitant à prendre de son propre chef les mesures nécessaires. *) Le gouvernement répondit qu'il estimait qu'il n'y avait pas lieu d'intervenir, attendu que la surveillance exer*) Voir Feuille fédérale 1888, IV, 252, 1889, II, 658.

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cée par la police n'avait pas fourni d'éléments suffisants pour considérer les jeux comme prohibés dans le sens de l'exposé du Conseil fédéral du 28 octobre 1887. Le gouvernement faisait remarquer entre autres ce qui suit : « Quoique les mises des jeux du kursaal dépassent généralement celles des jeux de société et de récréation, nous ne croyons cependant pas qu'on puisse considérer ces mises comme étant « considérables » au sens de votre exposé du 28 octobre 1887, en tenant compte de la situation financière de la plus grande partie des joueurs qui fréquentent l'établissement; ce sont presque exclusivement des étrangers qui stationnent à Lucerne pour leur plaisir. » Au surplus, le gouvernement donna l'assurance que ces jeux seraient constamment surveillés à l'avenir.

Le rapport de la commission du Conseil des Etats sur la gestion du Conseil fédéral dit à ce sujet : « Nous ne pouvons nous empêcher d'encourager le Conseil fédéral à procéder sans miséricorde contre les jeux de hasard de cette nature, alors même qu'on voudrait les introduire dans des sociétés distinguées, soi-disant dans le but de fournir une distraction aux étrangers. » *) Quelques années après, le Conseil d'Etat du canton de Lucerne se vit obligé d'intervenir contre l'exploitation des jeux du kursaal. C'est ainsi qu'il défendit, en mai 1892, le jeu de la baraque et du baccarat à cause des mises élevées.

Dans le courant de l'été 1893, on introduisit, à côté du jeu des petits chevaux, un nouveau jeu de hasard appelé le « jeu des nations », qui eut un grand succès auprès du public. Cependant l'allure du jeu et les mises illimitées des joueurs obligèrent la direction de la police de la ville de Lucerne d'intervenir; celle-ci défendit le jeu qu'elle considérait comme prohibé. Un recours ayant été interjeté, le Conseil d'Etat suspendit les effets de cette ordonnance, à condition toutefois de limiter les enjeux à 2 francs comme pour le jeu des · petits chevaux. La maison de jeu ne tint aucun compte de cette clause et le Conseil d'Etat défendit, par arrêté du 7 septembre 1893, non seulement le jeu des nations, mais encore le jeu des petits chevaux; il ordonna en même temps la confiscation des jeux. Ces arrêtés furent portés à la connaissance du Conseil fédéral.

7. Il a déjà été question sous chiffre 3 ci-dessus de la ·correspondance échangée avec le département de justice de *) Voir Feuille fédérale 1889, III, 232.

Feuille fédérale suisse. 681"« année. Vol. III.

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Genève au sujet des jeux pratiqués dans les cercles. Cette autorité porta à la connaissance de notre département de justice, en décembre 1887, que différents propriétaires de cafés de Genève avaient demandé l'autorisation d'ouvrir les, jeux des petits chevaux dans leurs établissements; elle priait à cette occasion le département de justice de lui dire s'il fallait rejeter ces demandes, alors qu'on tolérait au kursaal l'exploitation de jeux semblables. Le département de justice donna connaissance aux autorités genevoises de la lettre que le Conseil fédéral avait adressée au gouvernement de Lucerne, le 28 octobre 1887, en ajoutant ce qui suit à l'exposé de principe du Conseil fédéral : « A cette réponse du Conseil fédéral, nous croyons pouvoir ajouter que s'il arrivait que les jeux de hasard, sortant du domaine toujours restreint des «kursaals», venaient à prendre pied dans les cafés, pintes et auberges et à s'y généraliser d'une manière inquiétante pour l'ordre publie, le crédit du pays et la paix des familles,, le Conseil fédéral serait conduit par ces faits à donner à l'article constitutionnel une application plus rigoureuse. » Le kursaal de Genève fut fermé 4 jours par semaine dans le courant de l'hiver 1889/90; le Conseil d'Etat accorda pour les trois autres jours une autorisation d'exploitation limitée « pour représentations diverses, concerts, musique, etc., à l'exclusion formelle de toute espèce de jeu de hasard (à l'exception de celui des petits chevaux) ».

L'association pour la suppression des maisons de jeu de hasard qui venait de se fonder à Genève écrivit en mai 1890 au chef de notre département de justice, en même temps qu'il lui envoyait une délégation, pour lui signaler l'existence d'au moins six maisons de jeu secrètes qui se cachaient à Genève sous la désignation de « cercles »; et pour le prier d'intervenir. Le département demanda au Conseil d'Etat de Genève d'ouvrir une enquête, tout en exprimant le désir de voir l'autorité faire respecter la constitution fédérale sans autre avertissement, si les plaintes étaient reconnues fondées. Par arrêté du 27 mai 1890, le Conseil d'Etat de Genève ordonna, vu le résultat de l'enquête, lo fermeture immédiate de quatre de ces cercles, à savoir celui du Divan, Central, du Sud et du Globe, « attendu que les cercles, ... sont des réunions qui,
sous la dénomination de cercles tombent sous le coup de l'article 35 G. F. et de l'article 208 du code pénal, attendu qu'il y a des croupiers attachés aux cercles et que les prélèvements opérés sur le pro-

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duit des jeux constituent une spéculation sur les jeux de hasard dans le sens de l'article 208 du code pénal ».

: Le Conseil d'Etat de Genève adressa en outre, en date du 28 mai 1890, une lettre au comité du grand cercle du kursaal, qui contient les passages essentiels suivants : « L'enquête à laquelle nous avons procédé nous a convaincus qu'en violation de votre règlement qui stipule que les étrangers, les Suisses d'autres cantons non établis à Genève et les Genevois de passage peuvent être introduits dans le cercle par un membre permanent, un grand nombre de Genevois, non en passage, mais bien domiciliés dans le canton ont été à différentes reprises introduits dans le cercle sans en être membres; qu'un ou plusieurs croupiers sont attachés au service de votre cercle dans lequel se joue le jeu de baccarat avec un prélèvement tarifé sur le produit des jeux; que les prélèvements ainsi opérés sont ... versés à l'administration du kursaal dont ils constituent un des éléments importants de recette; que votre cercle ne paye pas de loyer au propriétaire du kursaal. Le Conseil d'Etat estime que votre cercle, constitué comme il l'est actuellement, est un de ces établissements vivant exclusivement ou presque exclusivement des sommes prélevées sur les jeux de hasard lesquels, dans son opinion comme dans celle du Conseil fédéral, sont interdits par l'article 35 C. F. » En conséquence, le Conseil d'Etat obligea le cercle à modifier son organisation et à transférer ces réunions dans un autre local fermé au public, faute de quoi il se verrait dans l'obligation d'interdire le cercle.

Le gouvernement de Genève donna connaissance au Conseil fédéral des mesures qu'il avait prises. De son côté la commission du Conseil des Etats fit remarquer ce qui suit dans son rapport sur la gestion du Conseil fédéral pour l'année 1890 : « Le Conseil fédéral s'est trouvé dans le cas de devoir intervenir, conformément à l'article 35 de la constitution fédérale, contre des maisons de jeu déguisées sous les dehors de cercles. Son intervention mérite tous les éloges. Seulement il y a, en Suisse, d'autres jeux de hasard exploités ouvertement dans diverses localités, tels que le jeu des petits chevaux. Ces jeux font constamment appel, eux aussi, à la légèreté et à la folle passion des étrangers et de la population indigène. Ils impliquent également, de la part des croupiers, un prélèvement de fonds sur la production des jeux.

D'ailleurs, la constitution fédérale n'établit pas de critère

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poni- la fixation des enjeux, et, par suite de la rapidité du jeu, la perte peut aussi être relativement forte. La surveillance du Conseil fédéral ne serait donc pas non plus déplacée ici, ni surtout inconstitutionnelle. » *) 8. Après plusieurs années de répit, les maisons de jeu de Genève occupèrent de nouveau les autorités fédérales.

Une lettre anonyme adressée au département de justice eu mars 1895 attira l'attention sur le jeu des petits chevaux et le baccarat qui se jouaient au kursaal de Genève. Invité à présenter ses observations, le département de justice et police de Genève répondit qu'on exploitait le jeu des petits chevaux au kursaal, tandis que le baccarat se jouait dans quelques cercles organisés suivant un règlement de police; il estimait dès. lors qu'il n'y avait pas de motif d'intervenir. Notre département de justice fit observer qu'on ne pouvait tolérer ces jeux qu'à condition que les enjeux fussent modiques; si, par contre, les mises étaient élevées, ces deux jeux prenaient le caractère de jeu de hasard prohibé, et ces établissements, le kursaal comme le cercle, devaient être considérés comme des maisons de jeu. Cependant les autorités genevoises, sans admettre cette manière de voir, répondirent qu'on ne saurait attribuer une importance décisive à la quote des mises. Mais le département de justice s'en tint à sa manière de voir et invita les autorités genevoises à ne pas perdre de vue cet état de la question.

9. Le propriétaire du kursaal à Genève, M. Durel, porta plainte, en juin 1896, auprès du département de justice contre le locataire de son établissement, M. Goetschel, à qui il reprochait d'exploiter le jeu des petits chevaux dans des conditions qui en faisaient un jeu prohibé par la constitution; cet état de choses était de nature à nuire au bon renom de l'établissement et pouvait entraîner sa fermeture. Auparavant -- ainsi s'exprimait Durel -- on exploitait le jeu d'après le système aux « tickets ». La mise était de 1 ou 2 francs; le joueur dont le cheval gagnait recevait 7 ou 14 francs, tandis que le tenancier touchait comme prime la mise sur un petit cheval par 1 ou 2 francs. Mais après l'introduction du système au tableau, le tenancier se réservait un numéro sur neuf sur lequel il jouait contre le public.

Ses chances de gain étaient donc de une sur neuf (à Monaco, une sur trente-six); il avait en outre comme prime deux *) Voir Feuille fédérale 1891, II, 1233.

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mises sur neuf. Le joueur pouvait placer 3 francs sur chaque petit cheval, le maximum des mises était de 6 francs; un joueur pouvait ponter 10 francs sur les bandes, au total 20 francs. Le preneur avait ainsi fait d'une entreprise inoffensive un jeu dangereux et inconstitutionnel.

Le département de justice invita le gouvernement de Genève à examiner la question et à faire rapport; il chargea lui-même un fonctionnaire d'examiner sur place l'exploitation du jeu du kursaal. Il profita de l'occasion pour inviter les gouvernements des cantons de Berne, Grisons, Lucerne et Vaud à faire constater en toute bonne foi si l'on exploitait dans les kursaals d'Interlaken, de Thoune, de StMoritz, de Lucerne et de Montreux des jeux prohibés par l'article 35 de la constitution fédérale. L'enquête instruite au kursaal de Genève établit qu'on jouait depuis le mois d'avril 1896 le jeu des petits chevaux d'après le système au tableau et que le jeu durait depuis 8 heures du soir jusqu'à une heure avancée de la nuit. Il ressortait de cette enquête que les données fournies par M. Durel concernant le mode de l'exploitation du jeu répondaient d'une manière générale à la vérité.

Il y avait quatre tables réservées pour le jeu des petits chevaux; quand il y avait assez de monde, on les occupait toutes; ainsi le total des mises pouvait s'élever à 536 francs.

Un joueur pouvait gagner au maximum 310 francs en une heure; il pouvait aussi perdre 130 francs dans le même laps de temps. A la suite de cette enquête, le Conseil d'Etat de Genève exposa dans son rapport que le jeu serait strictement surveillé et qu'il ne pouvait plus se commettre d'irrégjularités ä l'avenir; l'autorité considérait le jeu comme sans danger et conforme à l'article 35 de la constitution fédérale.

Les rapports des gouvernements des autres cantons entraient dans plus o.u moins de détails sur l'exploitation des kursaals et en particulier sur la surveillance exercée par la police. Nulle part, le propriétaire ou le tenancier du kursaal ne jouait professionnellement contre le public contrairement à ce qui se pratiquait à Genève.

Dans son arrêté du 19 septembre 1896, le Conseil fédéral admit que l'exploitation du jeu des petits chevaux au kursal de Genève, d'après le système au tableau, tombait sous le coup de la défense de l'article 35 de la constitution fédérale, et qu'on devait le faire cesser. *) Cet arrêté était basé *) Voir Feuille fédrale 1897, 295.

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sur les constatations faites concernant l'exploitation du jeu, comme aussi sur les chances de gain et de perte- du joueur ainsi que du tenancier. Le Conseil fédéral faisait suivre l'exposé des faits des considérations juridiques suivantes : « L'article 35 C. F., comme l'indique clairement l'expression de « maisons de jeu », a entendu interdire les établissements qui servent à l'exploitation habituelle des jeux de hasard. La constitution y voit un danger pour le public, qu'elle veut préserver de dommage matériel et moral. Le jeu, tel qu'il se pratique au kursaal de Genève, a incontestablement le caractère du jeu exploité dans les « maisons de jeu»; car le tenancier du kursaal y joue professionnellement contre le public; et, avec des enjeux assez élevés, il s'est réservé de telles chances de gain que l'exploitation du jeu est pour lui une industrie très lucrative, au lieu que pour les joueurs, indépendamment du tort moral qu'il leur cause, le jeu les expose à des pertes matérielles considérables. » Par offices du 9 et du 13 octobre 1896, le gouvernement de Genève communiqua au Conseil fédéral que le département cantonal de justice avait retiré au tenancier du kursaal l'autorisation d'exploiter le jeu des petits chevaux selon le système jusqu'alors toléré. A la même occasion le gouvernement faisait part du sentiment de vive surprise que l'arrêté du Conseil fédéral avait provoqué; il considérait cette décision comme étant en contradiction avec celle prise en avril 1895; il ajoutait que c'était précisément à la suite de ce dernier arrêté et pour s'y conformer que l'on avait introduit à Genève le nouveau système de jeu avec des mises limitées. Là-dessus, le Conseil fédéral répondit que le fait que le tenancier jouait contre le public ne suffisait pas à lui seul à rendre le jeu prohibé au sens de l'article 35 de la constitution fédérale, lorsque les mises étaient si faibles que les chances n'avaient aucune importance ; or c'était précisément ce fait que le département de justice avait relevé dans sa correspondance avec Genève en avril 1895; le Conseil fédéral terminait en disant qu'il ne changeait pas sa manière de voir.

Dans son office du 9 octobre 1896, le gouvernement de Genève fit allusion au fait que ce jeu interdit à, Genève se jouait sur une plus grande échelle encore dans d'autres endroits de la
Suisse. Le Conseil fédéral saisit cette occasion pour envoyer une circulaire, le 20 octobre 1896, aux gouvernements des cantons de Berne, des Grisons, de Lucerne et de

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Vaud pour leur rappeler son arrêté du 13 septembre et les inviter à réprimer avec toute la sévérité désirable les jeux de hasard du genre de ceux qui étaient interdits à Genève, ·afin que le même droit fût appliqué dans toute la Suisse.

Le Conseil fédéral remarquait entre autres dans sa circulaire qu'un des éléments constitutifs de la notion de « maison de jeu » consistait dans la participation professionnelle du propriétaire d'un kursaal ou d'établissements semblables aux chances de gain du jeu; il voyait dans la quotité des mises un autre élément essentiel des maisons de jeu prohibées par l'article 35 de la constitution fédérale.

11. Le département de justice fut avisé, le 1er juin 1897, par celui de Genève que le jeu des petits chevaux interdit au kursaal de Genève se jouait à Lucerne comme précédemment sur une plus grande échelle encore qu'à Genève. Le tenancier du kursaal de Genève, M. Goetschel, faisait valoir les mêmes griefs dans une lettre du 2 juin, en ajoutant qu'on jouait également à Interlaken au jeu du « chemin de fer » d'après le système au tableau. M. Goetschel demandait derechef avec instance, ou bien qu'on interdise immédiatement ces jeux dans toute la Suisse, ou bien qu'on l'autorise de nouveau à ouvrir le jeu des petits chevaux avec des mises ·encore plus limitées. Le département de justice qui était occupé à élaborer un nouvel arrêté en la matière répondit qu'il ne pouvait pas faire droit à la deuxième partie de sa requête. On ouvrit une enquête minutieuse sur l'exploitation des jeux d'Interlaken, de Thoune et de Lucerne; cette mesure était encore motivée par une demande du gouvernement du canton de Lucerne qui désirait savoir si, vu le dernier arrêté du Conseil fédéral, on pouvait encore tolérer comme précédemment le jeu du kursaal de Lucerne. Le résultat de l'enquête instruite par les gouvernements des cantons et les constatations personnelles faites à Interlaken et à Lucerne par un fonctionnaire fédéral donnent lieu aux observations ci-après : A Interlaken on jouait aussi bien au jeu des petits chevaux qu'à celui du chemin de fer, le premier suivant le système au tableau, le deuxième, suivant le système au ticket.

Les mises étaient de 1 à 2 francs pour les deux jeux. Dans le jeu du chemin de fer, on pouvait ponter sur une ville, sur une couleur, sur un numéro, ou sur un petit drapeau; suivant le résultat du jeu, le joueur pouvait gagner sept fois, une fois ou .douze fois la valeur de son enjeu. Les règles du jeu

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étaient strictement observées. Le produit des jeux, après prélèvement des intérêts calculés à 4 % du capital-actions de la société du kursaal, et d'une somme annuelle de 2000 francs pour des oeuvres d'utilité publique, était consacré à des mesures tendant à augmenter l'affluence des étrangers dans la station.

A Thoune, on ne jouait qu'au jeu des petits chevaux d'après le système au tableau, avec 9 numéros. Le joueur qui gagnait touchait sept fois la valeur de l'enjeu; lorsque le sort tombait sur le n° 5, toutes les mises revenaient au tenancier; on pouvait placer sur un numéro pair ou impair, ainsi que sur le rouge et sur le bleu, mais non sur les bandes. La participation au jeu était d'ailleurs faible et les recettes peu importantes.

On jouait aussi à Lucerne au 'jeu des petits chevaux suivant le système au tableau, avec 9 numéros et 4 bandes. Le minimum de l'enjeu était de 1 franc; le maximum était de 5 francs sur les numéros et de 20 francs sur les bandes; le joueur qui gagnait sur les bandes touchait la valeur de l'enjeu et sept fois sa mise s'il gagnait sur les numéros.

Le numéro 5 était réservé au tenancier. Il n'y avait pas de maximum pour la totalité des mises sur un numéro ou sur une bande.

Le résultat de l'enquête donna l'occasion au Conseil fédéral de revenir par son arrêté du 9 juillet 1897 *) sur la question de la tolérance du jeu des petits chevaux suivant le système au tableau. Il décida qu'il n'y avait pas lieu de prendre des mesures, au point de vue du droit fédéral, au sujet du jeu de hasard tel qu'il se pratiquait à Interlaken et à Thoune; par contre il admettait que le jeu de Lucerne revêtait dans ses parties essentielles le même caractère que le jeu prohibé à Genève par arrêté du 19 septembre 1896; la quote des enjeux le rendait même plus dangereux pour le public. Le Conseil fédéral acquit la conviction qu'il fallait régler d'une manière iiniforme la question des maisons de jeu en Suisse. Aussi autorisa-t-il le département de justice et police : a. à tolérer, sous réserve des dispositions à prendre ultérieurement, le jeu jusqu'à minuit à Lucerne et à Genève, l'enjeu de chaque joueur étant limité à 2 francs par numéro «t à 4 francs sur la bande; *) Voir Feuille fédérale 1898, I, 528.

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&. à convoquer à la fin de la saison d'été de 1897 une conférence des cantons intéressés chargée de régler uniformément les jeux de hasard pratiqués dans les kursaals et établissements analogues, les .décisions de la conférence devant être soumises à l'approbation du Conseil fédéral.

Le Conseil d'Etat du canton de Lucerne adressa, le 26 juillet 1897, une lettre au Conseil fédéral dans laquelle il exprimait sa vive surprise que l'on eût jugé à propos d'envoyer sur place un délégué du Conseil fédéral pour examiner les jeux de hasard et faire rapport ensuite, alors que le département de police lucernois et la société du kursaal étaient à la disposition des autorités fédérale pour donner tous les renseignements désirés sur l'exploitation du jeu; il exprimait, au surplus, des doutes sur la question de savoir si le Conseil fédéral ou le département fédéral de justice et police était compétent pour prendre une pareille mesure. Il ajoutait qu'il lui paraissait étrange qu'on eût réservé dans l'arrêté du 9 juillet 1897 de prendre ultérieurement des dispositions de police, attendu que les cantons étaient seuls compétents pour prendre de semblables mesures. Dans sa réponse, le Conseil fédéral fit valoir entre autres ce qui suit : « On ne saurait contester au Conseil fédéral et à ses départements le droit d'établir comme ils l'entendent les faits sur lesquels doivent se baser leurs ordonnances et leurs arrêtés.

Quant à la réserve de prendre d'autres dispositions ultérieures, il s'agissait en premier lieu de celles qu'a prises votre département militaire et de police et de celles que pourrait prendre notre département de justice et police, n va de soi que les autorités fédérales qui ont pour mission de veiller à l'exécution de l'article 35 de la constitution fédérale peuvent prendre à rencontre des maisons de jeu toutes espèces de mesures rentrant dans le cadre de la constitution.

En agissant ainsi, nous n'empiétons nullement dans les affaires de la police cantonale. » La société du Kurhaus de Lucerne demanda au Conseil fédéral de revenir sur son arrêté du 9 juillet 1897; cette requête fut écartée pour le motif que les requérants n'alléguaient aucun fait nouveau, ni moyen de droit. Par contre, le Conseil fédéral suspendit provisoirement l'exécution de l'arrêté, la société ayant recouru auprès de l'Assemblée
fédérale. Ce recours ayant été retiré après coup (voir chiffre 13 ci-dessous), aucune décision ne fut prise à ce sujet.

12. La conférence des délégués des cantons intéressés, dont il est question dans l'arrêté du Conseil fédéral du 9 juiï-

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let 1897, se réunit le 8 novembre 1897. Etaient représentés à cette conférence : les cantons de Berne, Lucerne, Grisons, Argovie, Vaud et Genève. La conférence était présidée par le chef du département fédéral de justice et police. On discuta d'abord la question de savoir si tous les jeux exploités dans des établissements publics avec des mises en argent tombaient sous le coup de la défense de l'article 35 de la constitution fédérale. La majorité des délégués des cantons répondit négativement à cette question, La notion même des maisons de jeu donna lieu à une discussion au cours de laquelle on proposa diverses définitions de la maison de jeu.

Cependant les délégués furent d'avis qu'il s'agissait seulement de soumettre les jeux de hasard à des restrictions pour leur conserver le caractère de jeu de récréation. Puis on passa à la discussion des règles à fixer pour autoriser ces jeux de hasard dans les divers kursaals de la Suisse. Voici en quelques mots le résultat de la discussion : a. Les opinions restèrent partagées sur la question de savoir si un jeu est prohibé pour la simple raison que .le croupier joue professionnellement contra le public et se réserve ainsi une chance de gain. On n'était pas même d'accord sur le point de savoir à quel moment on pouvait parler de la participation du croupier au jeu : est-ce au moment où il invite le public à faire ses jeux ou lorsqu'il ponte sur les petits chevaux restés libres, ou bien encore lorsqu'il se réserve les tickets non vendus ? On fit remarquer que si ce genre de participation au jeu devait constituer un caractère décisif des maisons de jeu, on pourrait interdire d'emblée tous les jeux, attendu que dans toutes les maisons de jeii le tenancier joue contre le public.

6. Par contre la conférence fut d'avis qu'une partie au moins du produit net des jeux devait être affectée à des oeuvres d'utilité publique, à condition toutefois que le croupier joue contre le public; on partait de l'idée que le produit net ne s'entendait que du gain du je.u de l'entrepreneur, à l'exclusion des taxes et des droits d'entrée.

c. La conférence fut aussi unanime à reconnaître qu'on devait limiter les enjeux dans une juste mesure, et l'on abandonna au Conseil fédéral le soin de s'entendre à ce sujet par correspondance avec les cantons. Néanmoins, on trouva qu'il serait
inopportun de fixer^un maximum pour les mises de tous les joueurs.

d. La conférence estima également qu'il ne fallait pas défendre absolument certaines catégories de jeux, pour le

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motif que la manière d'exploiter certains jeux, qui n'ont rien de dangereux par eux-mêmes et qui sont dès lors tolérés, peut les rendre plus nuisibles que certains jeux nouveaux que l'on considère comme dangereux en eux-mêmes.

e. Enfin on discuta la question de savoir si et comment le Conseil fédéral était compétent pour prendre des mesures de police à l'égard des jeux. Aucune décision ne fut prise à ce sujet. Quelques délégués contestèrent cette compétence au Conseil fédéral. Le président déclara à cette occasion que, d'après la manière de voir du Conseil fédéral, les cantons étaient compétents en premier lieu pour prendre de semblables mesures, mais que le Conseil fédéral s'était réservé le droit, afin de pouvoir faire respecter l'article 35 de la constitution fédérale, d'examiner les dispositions prises par les cantons et d'obliger ces derniers à prendre les mesures exigées par les circonstances pour empêcher le jeu de devenir dangereux. Il ajouta que rien n'empêchait les cantons d'interdire d'autres jeux que ceux qui étaient prohibés par le Conseil fédéral. Ces observations du chef dia département fédéral de police ne rencontrèrent, semble-t-il, aucune opposition.

Par son rapport du 27 décembre 1897, le département de justice donna connaissance au Conseil fédéral des délibérations de la conférence, dont il résumait les décisions comme suit : a. une partie du produit des jeux doit être affectée à des oeuvres d'utilité publique; 6. les enjeux doivent être modérés; c. il appartient en première ligne aux cantons d'édicter des mesures de police à l'égard des jeux. Le Conseil fédéral se réserve toutefois le droit de leur demander de prendre telles mesures qu'il jugerait nécessaires pour empêcher le jeu de devenir dangereux.

Là-dessus le Conseil fédéral arrêta ce qui suit le 11 janvier 1898 *) : « Le Conseil fédéral, après avoir pris connaissance du procès-verbal de la conférence du 8 novembre 1897 entre les directeurs de police des cantons de Berne, Lucerne, Grisons, Argovie, Vaud et Genève, au sujet des règles à fixer pour autoriser les jeux de hasard dans les divers kursaals de la *) Voir Feuille fédérale 1898, 1, 81.

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Suisse, décide de prendre, de son propre chef ou sur plainte portée, les mesures qui lui paraîtront nécessaires pour faire respecter les prescriptions de l'article 35 de la constitution fédérale (interdiction des maisons de jeu). Il renonce à établir des règles uniformes sur les jeux.

«Les décisions du Conseil fédéral du 9 juillet 1897 relatives aux jeux de hasard pratiqués dans les kursaals de Lucerne et de Genève sont confirmées. » Cet arrêté fut porté à la connaissance de tous les cantons intéressés.

13. On a vu que par arrêté du Conseil fédéral du 9 juillet 1897 l'exploitation des jeux de Lucerne avait été soumise à différentes restrictions; cependant l'exécution de cet arrêté fut suspendue provisoirement (voir chiffre 11 ci-dessus).

Par requête du 31 mars 1898, la société du Kurhaus de Lucerne demanda au Conseil fédéral de l'autoriser à exploiter comme par le passé le jeu des petits chevaux pour la saison d'été de 1898; elle s'engageait d'ores et déjà à ramener à 5 francs l'enjeu sur les bandes (au lieu de 10 francs précédemment); elle demandait en outre que le département cantonal de justice et police fût autorisé à interpréter l'arrêté du Conseil fédéral du 11 janvier 1898, dans ce sens qu'à partir de 1899 les mises fussent fixées de 1 à 3 francs sur les numéros ou sur les bandes du jeu des petits chevaux, sans toucher aux autres restrictions concernant la fixation des heures du jeu, la surveillance, etc. Les recourants faisaient principalement observer que le kursaal, qui avait pour la stations d'étrangers de Lucerne la plus grande importance, ne pouvait être exploité sans le produit des jeux; ils ajoutaient que ces recettes n'étaient consacrées qu'à des mesures tendant à augmenter l'affluence des étrangers dans la station. Le Conseil fédéral, considérant qu'en faisant droit à la requête on simplifierait la surveillance du jeu sans en augmenter le danger pour autant, décida, le 11 mai 1898, d'autoriser la société du Kurhaus de Lucerne à exploiter provisoirement le jeu des petits chevaux jusqu'à la fin de la saison d'été de 1898, à la condition que le maximum d'une mise sur les numéros et sur les bandes serait fixée à 5 francs, et que les mises totales d'un joueur ne dépasseraient pas 10 francs; il décida aussi, en modification de l'arrêté du 11 janvier 1898, de déclarer admissible une mise totale de 5 francs, au lieu de 4 francs sur les bandes et de 2 francs sur les numéros, enjeux précédemment tolérés. *) *) Voir Feuille fédérale 1899, I, 421.

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Ensuite de cette décision, la société du Kurhaus de Lucerne retira le recours qu'elle avait adressé à l'Assemblée fédérale contre l'arrêté du Conseil fédéral du 9 juillet 1897.

Cette décision fut portée à la connaissance du département genevois de justice et police, ainsi qu'à M. Durel, propriétaire du kursaal de Genève; celui-ci avait demandé, à l'instar de la société de Lucerne, l'autorisation de porter à 5 francs le maximum de l'enjeu.

Par office du 16 juin 1898, la direction de la police du canton de Berne avisait le Conseil fédéral que par décision du 1er juin même année, le Conseil-exécutif du canton de Berne avait fait droit à une requête de la société du Kurhaus d'Interlaken et porté le maximum de l'enjeu de 2 à 5 francs pour le jeu des petits chevaux et du chemin de fer du kursaal d'Interlaken. Cette autorisation était soumise à certaines règles qui furent affichées dans la salle de jeu, et dont voici les plus importantes : «La société du Kurhaus exploite les jeux sous son propre nom et sous sa propre responsabilité; elle ne peut affermer en aucune façon l'exploitation du jeu. Le produit net des jeux ne sera consacré qu'à des oeuvres d'utilité publique. La mise qui est de 5 francs au maximum doit se faire au comptant^ l'emploi de jetons est interdit. Il ne peut être joué que pendant les concerts de l'après-midi et du soir, c'est-à-dire de 4 à 6 heures et de 8% heures à 11 heures. Les mineurs ne «ont admis au jeu qu'accompagnés de leurs parents; l'entrée de la salle des jeux est interdite aux enfants astreints à fréquenter les écoles. La société du Kurhaus se réserve expressément la faculté d'interdire l'entrée de la salle des jeux ou la participation au jeu à d'autres personnes. » 14. A l'occasion du rapport de gestion du département de justice et police pour 1898, MM. les conseillers nationaux Eossel, Calame-Colin, Hilty, Iselin et de Planta déposèrent le postulat ainsi conçu : «Le Conseil fédéral est invité à prendre les mesures nécessaires pour assurer la stricte exécution de l'article 35 de la constitution fédérale (interdiction des maisons de jeu). » Le Conseil national refusa de prendre en considération le postulat par 73 voix contre 32, dans sa séance du 20 mars 1900. *) *) Voir Feuille fédérale 1901, II, 4.

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15. La société genevoise d'utilité publique profitant du mouvement d'opinion créé par le postulat Rössel et consortsadressa un mémoire au Conseil national, daté du 15 mars 1900, dans lequel elle faisait surtout ressortir qu'on jouait chaque année des sommes élevées aux petits chevaux du kursaal et du parc des Eaux-Vives à Genève. Le mémoire faisait allusion à l'ouverture d'un cercle au kursaal qui se livrait au jeu du baccarat dans un local accessible au public; on disait que cette société de joueurs n'avait plus le caractère de société privée.

Le chef du département de justice transmit ce ménioir& au gouvernement de Genève, en demandant des renseignements sur les faits incriminés. JLe Conseil d'Etat répondit, le 11 mai 1900, que l'exploitation des jeux à Genève n'avait rien de prohibé et qu'on se conformait aux arrêtés du Conseil fédéral. Il ajoutait que si le produit des jeux était en général assez important, on lie pouvait cependant pas dire qu'un joueur pris séparément pût subir de grandes pertes en jouant aux petits chevaux, vu la modicité des enjeux, à moins de jouer d'une manière déraisonnable ; au surplus, il n'était parvenu aux autorités aucune plainte à ce sujet.

En ce qui concerne le cercle du kursaal, le gouvernement s'en rapportait en premier lieu à la correspondance échangée en 1898 entre le département fédéral de justice et police et le département cantonal de police de Genève. Notre département de justice avait en effet déclaré à cette époque, en réponse à une demande de Genève concernant la question de savoir si le propriétaire du kursaal pouvait rouvrir nu cercle, que cela dépendait de la manière dont le jeu serait exploité. Là-dessus, le département de justice de Genève avait autorisé le cercle. Enfin, le gouvernement faisait ressortir dans son rapport qu'il avait rendu tout spécialement le propriétaire du kursaal attentif à l'obligation qu'il avait d'éloigner le public des réunions du cercle, en évitant tout ce qui serait de nature à rendre public le jeu du baccarat qui se jouait dans le cercle.

Après avoir pris connaissance de ces déclarations, notre département de justice invita de nouveau les autorités genevoises à veiller strictement à l'observation des prescriptions constitutionnelles concernant la question du jeu.

16. En date du 29 décembre 1900, Henriot-Beaulieu à Genève porta plainte auprès du Conseil fédéral contre une décision du Conseil d'Etat de Genève aux termes de laquelle

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celui-ci avait refusé l'autorisation d'ouvrir dans le « Casino, de l'Espérance » un jeu de petits chevaux du même genre que celui qui était exploité au kursaal de Genève,; comme le gouvernement tolérait d'autre part le jeu du kursaal, le plaignant voyait dans cette différence de traitement une violation des articles 4 et 35 de la constitution fédérale.

Statuant sur cette plainte, le 15 février 1901, le Conseil fédéral n'entra pas en matière, pour le motif qu'il n'était pas compétent pour connaître des plaintes concernant uneprétendue violation de l'égalité des citoyens devant la loi (art. 4 C. F.) ; que l'article 35 de la constitution fédérale ne garantissait aucun droit individuel aux personnes privées, que dès lors un recours de droit public devant les autorités fédérales basé sur cet article était exclu; qu'enfin le Conseil national, d'accord avec le Conseil fédéral, avait décidé le 20 mars 1900, de tolérer le jeu des petits chevaux dans ses.

conditions actuelles.

17. La presse de la Suisse française s'occupa en avril.

1902 d'un procès retentissant entre le propriétaire et le tenancier du kursaal de Genève. Cette affaire fut jugée par le tribunal de Genève. On prétendait que le propriétaire louait l'exploitation du jeu des petits chevaux du kursaal pour une somme de 110 francs par jour, soit 221.450 francs par saison.

On en concluait que le produit du jeu des petits chevaux s'élevait annuellement à la somme de 300.000 francs environ.

Le département de justice et police eut vent de cette affaire ; il se vit dans l'obligation d'inviter le gouvernement de Genève à ouvrir une enquête et à faire rapport sur la question de savoir si l'on ne dépassait j?as au kursaal de Genève le maximum des enjeux, fixé à 5 francs par le Conseil fédéral. Dans son rapport du 13 juin 1902, le gouvernement exposait que le jeu du kursaal était soumis à une surveillance continuelle et que pendant la saison de 1901, on n'avait relevé que deux contraventions aux règles établies .

concernant la limitation des enjeux; il avait suffi d'en avertir le directeur pour que cet état de choses ne se renouvelât plus. Les recettes considérables provenant du jeu étaient dues au grand nombre des joueurs et non au montant élevé des mises. 200.000 personnes environ fréquentaient le kursaal pendant une saison. En fixant la moyenne des mises à 2 francs, on jouait environ 20.000 francs par soirée, ce qui explique le chiffre élevé de la location des jeux. Au sur-

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plus c'étaient surtout les étrangers qui étaient assidus au jeu et qui jouaient avec le maximum de l'enjeu.

Ce rapport ne donna lieu à aucune observation de la part du Conseil fédéral.

18. Dans sa séance du 11 août 1903, le Conseil fédéral eut de nouveau à s'occuper d'un recours porté par le sieur Jacob Egli, à Zurich, en son nom personnel et au nom du « cercle des étrangers » contre une décision du Conseil d'Etat du canton de Zurich. Le recourant avait loué un local dans sa maison au cercle des étrangers pour y pratiquer le jeu du baccarat. La préfecture de Zurich interdit ce jeu avec menace de recourir à d'autres mesures juridiques en cas de contravention à cette défense. Le gouvernement ayant approuvé cette décision, recours fut porté au Conseil fédéral.

Mais cette autorité décida de ne pas y donner suite en faisant valoir notamment ce qui suit, en ce qui concerne l'application de l'article 35 de la constitution fédérale : « En principe tout citoyen a .le droit de recourir contre les décisions des autorités cantonales; de son côté, le Conseil fédéral veille à l'observation de la constitution et prend de son propre chef les mesures nécessaires, en vertu de l'article 102, chiffre 2, de la constitution fédérale (voir aussi l'arrêté du Conseil fédéral dans une affaire analogue en matière d'inhumation).*) D'après l'article 35, le Conseil fédéral exerce la surveillance des maisons de jeu existantes et interdit d'en ouvrir de nouvelles. Mais la constitution fédérale ne touche pas à la compétence des cantons, qui ont la faculté de limiter encore à leur gré les jeux de hasard ou de les prohiber complètement. C'est à tort que le recourant prétend qu'en prohibant les maisons de jeux publiques, la constitution a voulu garantir les autres espèces de jeux de hasard; cette argumentation ne pourrait pas se soutenir même si l'article 35 n'avait en vue que les maisons de jeux publiques. D'ailleurs le texte de l'article 35 ne fait pas de distinction à ce sujet; il interdit indifféremment toutes les espèces de maisons de jeux, qu'il s'agisse de maisons de jeux publiques, clandestines ou privées. Or, il ressort des constatatations des autorités cantonales qu'il s'agit en l'espèce d'une maison de jeu au sens propre du mot ... En prohibant cette maison de jeu le gouvernement du canton a fait une saine application
de l'article 35 de la constitution fédérale. D'un autre côté on ne pourrait attaquer ce jugement d'après le droit fédéral, à supposer qu'ils ne s'agisse pas d'une société *} Voir Feuille fédérale 1900, IV. 760.

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«de jeu tombant sous le coup de l'article 35 souvent cité, attendu que la constitution ne garantit les jeux d'aucune façon; au contraire, elle abandonne aux cantons, comme on vient de le voir, la réglementation de toutes les circonstances -du jeu dès qu'il ne s'agit pas d'une maison de jeu au sens propre du mot. » 19. Pendant plusieurs années, les autorités fédérales n'eurent pas à s'occuper de l'application de l'article 35 de la constitution fédérale. Il est intéressant de constater que les sociétés de kursaal suisses visèrent d'elles-mêmes à une réglementation plus uniforme du jeu. C'est ainsi qu'il se forma en 1902 une association des sociétés des kursaals de Baden, Genève, Interlaken, Lucerne, Montreux et Tboune.

D'après l'article 5, lit. c, des statuts, l'assemblée des délégués -de l'association était compétente « pour donner à chaque instant, suivant les circonstances, des directions (p. ex. pour l'exploitation du jeu, etc.) obligatoires -pour tous les membres de l'association ». Faisant application de ces dispositions statutaires, l'assemblée des délégués de l'association élabora, en juin 1904, un règlement obligatoire pour tous ses membres, concernant l'exploitation des jeux des kursaals « à l'effet d'empêcher tous abus dans l'exploitation des jeux, d'appuyer les justes réclamations des membres et de travailler à donner le plus d'uniformité possible à l'exploitation des jeux des sociétés ».

Ce règlement n'autorise que le jeu des petits chevaux et les autres jeux analogues, tels que le jeu du chemin de fer; sont exclus tous les autres jeux de hasard comportant un enjeu en argent. En ce qui concerne la manière d'exploiter le jeu, le montant des enjeux, la durée du jeu et le système du jeu, on s'en remit en premier lieu aux dispositions des .concessions cantonales des kursaals et aux instructions générales du Conseil fédéral. Les sociétés exploitent le jeu sous leur propre nom, à leur propre compte et sous leur propre Tesponsabilité ; il est interdit d'affermer l'exploitation du jeu sous quelque forme que ce soit. Le maximum de l'enjeu d'un joueur est fixé à 5 francs pour chaque tour de jeu.

-Chaque société est libre de choisir le système de jeu qui lui convient (système au ticket ou au tableau). En règle générale, il ne sera joué que pendant les concerts et autres récréations musicales ou
dramatiques, en veillant à ce que les salles de jeu soient d'un accès facile et que les organes de surveillance puissent exercer non moins facilement le conFeuille fédérale suisse. 67TM« année. Vol. III.

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tròie; cìaiis tous les cas, le jeu ne pourra être prolongé air delà de minuit. Seules les personnes majeures peuvent prendre part aux jeux. Le produit net des jeux, après prélèvement des intérêts du capital engagé et des quotes d'alimentation d'un fonds d'amortissement, ne doit être consacré qu'à des oeuvres d'intérêt général ou d'utilité publique et à des.

mesures tendant à augmenter l'affîuence des étrangers dans.

la station.

L'administration du kursaal de Genève, pour ne pas rompre avec son système d'affermage et ne voulant pas se soumettre aux prescriptions relatives à l'emploi des recettes des jeux, sortit de l'association des sociétés des kursaals, après l'adoption de ce règlement.

20. Au cours des années 1909 à 1911, le Conseil fédéral fut saisi d'un grand nombre de pétitions dans lesquelles ou se plaignait de l'exploitation à Genève de jeux de hasard en violation de la constitution; on en réclamait la suppressionCes pétitions portaient les signatures du président et de la majorité des membres du conseil communal de Genève, du comité d'action de Genève contre les maisons de jeu (2090 signatures), des autorités religieuses et universitaires, d'hôteliers, de commerçants et d'autres citoyens de Genève. Les principaux griefs qu'on faisait valoir peuvent se résumer ainsi : Le kursaal de Genève s'est transformé au cours des dernières années en une véritable maison de jeu; on joue des sommes considérables au cercle des étrangers. On signalait également comme contraire à la constitution la présence de jeux automatiques, de même que l'introduction au kursaal du jeu de la boule qui venait de supplanter presque partout le jeu des petits chevaux. On avait également installé au parc des Eaux-Vives à Genève des automates et il y existait un « sporting club » ayant comme le cercle des étrangers du kursaal le caractère d'une maison de jeu.

Par office du 1er décembre 1909, le département de justice attira l'attention du Conseil d'Etat du canton de Genève sur le fait qu'il y aurait peut-être lieu d'intervenir en vertu des .

dispositions de la constitution fédérale. En avril 1910, le Conseil d'Etat de Genève fut de nouveau invité, après avoirpris connaissance des pièces justificatives produites, à examiner si le cercle des étrangers et le sporting club de Genève constituaient des maisons de jeu, au sens de l'article 35 de la constitution fédérale, et à faire, ensuite rapport à ce sujet. La correspondance avec le Conseil d'Etat

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traîna en longueur; elle rassembla cependant suffisamment d'indices pour autoriser la conclusion que le cercle des étrangers ne constituait pas comme on voulait le faire croire une simple société fermée. Aussi le département de justice prit-il la décision de déléguer à Genève deux de ses fonctionnaires supérieurs chargés d'examiner sur 'place ee qui se passait au cercle des étrangers. Cette inspection locale qui eut lieu au mois d'octobre 1910 établit que, contrairement à ce qu'on avait prétendu, le public pouvait entrer dans les salons de jeu et jouer sans avoir à présenter de papiers de légitimation; il suffisait d'exbiber une carte de visite et de verser une contribution de 5 francs. Dans ces conditions, l'affirmation qui tendait à représenter le cercle des étrangers comme une société fermée était contraire à la vérité et ne visait qu'à épargner à l'établissement l'application des me-.

sures prévues à l'article 35 de la constitution fédérale. Ce que l'on appelait une carte de membre n'était en réalité qu'une simple carte d'entrée. Le cercle était très fréquenté non seulement par les étrangers, mais aussi par les indigènes. Enfin l'inspection locale établit que le « baccaratchemin de fer», qu'on y jouait avec des enjeux élevés allant de 10 à 200 francs, rentrait dans la catégorie des jeux de hasard.

Le Conseil fédéral conclut de ces constations qu'on devait considérer le cercle des étrangers du kursaal de Genève comme une maison de jeu dont l'existence constituait une violation de l'article 35 de la constitution fédérale; il prononça la fermeture de ce cercle par arrêté du 21 avril 1911.*) Le Conseil d'Etat du canton de Genève fut chargé de l'exécution de cette décision.

A la même occasion, le Conseil fédéral chargea le département de justice de rechercher s'il existait encore à Genève d'autres maisons de jeu du genre du cercle des étrangers et de faire rapport à ce sujet. L'enquête devait aussi établir si le jeu de boule pratiqué à Genève et en d'autres lieux constitue pour le public un danger moral et économique plus grand que le jeu des petits chevaux qui n'avait été autorisé par le Conseil fédéral qu'avec un enjeu maximum de 5 francs. Enfin, le Conseil fédéral demandait s'il ne serait pas utile de revenir sur son ancienne jurisprudence et d'interdire tous les jeux de hasard analogïies au jeu des *) Voir Feuille fédérale 1911, II, 805.

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petits chevaux en tant du moins qu'ils étaient accessibles au public en général.

Par lettre du 28 avril 1911, le Conseil d'Etat du canton de Genève pria le Conseil fédéral de revenir sur son arrêté du 21 avril, en faisant part du sentiment de vive surprise que cette décision avait provoquée et en critiquant la manière de procéder du Conseil fédéral. Celui-ci n'entra pas en matière sur la requête qui lui était adressée. Dans sa réponse du 26 mai 1911*) il réfutait certaines allégations du Conseil d'Etat de Genève et faisait remarquer en particulier qu'en prenant des mesures énergiques en 1890 (voir chiffre 7 ci-dessus) contre différents cercles de Genève le gouvernement genevois avait partagé le point de vue du Conseil fédéral, suivant lequel on ne saurait admettre qu'il suffise à une maison de jeu de s'intituler société fermée pour éluder les dispositions de l'article 35 de la constitution fédérale.

Le rapport de la commission du Conseil national sur la gestion du Conseil fédéral pour l'année 1911 consacre les lignes suivantes aux événements prérappelés **) : « A ce propos, nous nous plaisons à remarquer qu'en exigeant des cantons l'observation rigoureuse de l'interdiction des jeux, consacrée par l'article 35 de la constitution fédérale, le Conseil fédéral n'a toutefois pas demandé de la pousser aussi loin que quelques-uns l'auraient voulu, au risque de compromettre l'essor que l'institution des kursaals, avec la permission du jeu des petits chevaux, a donné à l'industrie des étrangers, qui est une source de prospérité pour plusieurs de nos villes suisses. Il est même à souhaiter que les conclusions auxquelles le Conseil fédéral va aboutir, après avoir consulté à ce sujet les directions de police de tous les cantons, seront en état de donner les garanties les plus rassurantes pour la sauvegarde des intérêts d'une industrie aussi importante que celle des étrangers, tout en fournissant à l'autorité centrale les moyens les plus sûrs et les plus efficaces pour combattre les vraies maisons de jeu, telles qu'elles sont prévues par l'article 35 de la constitution fédérale. » 21. En exécution de l'arrêté du Conseil fédéral du 21 avril 1911, le département de justice et police fit faire une enquête minutieuse dans l'été de 1911 sur la nature et les *) Voir Feuille fédérale 1911, III, 800.

**) Voir Feuille fédérale 1912, III, 625.

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conditions de l'exploitation des jeux dans les kursaals de la Suisse. Un fonctionnaire supérieur fut chargé de ce travail; il profita de la grande saison pour visiter toutes les stations d'étrangers possédant des kursaals. Cet inspecteur procéda partout de la façon suivante : il séjournait incognito dans la station et fréquentait le kursaal en qualité d'étranger; ce n'est qu'après quelques jours qu'il se présentait à la direction du kursaal pour compléter ses renseignements. Le résultat de cette enquête fut exposé en détail dans un rapport adressé au Conseil fédéral le 19 décembre 1911. Le département y faisait la genèse de l'article 35 de la constitution fédérale et reproduisait la jurisprudence des autorités fédérales dans ce domaine; basé sur ces données, il discutait à fond toute la question des jeux au point de vue juridique. Nous reproduisons ci-dessous les conclusions de ce rapport : a. Ou reconnaît que le jeu de boule, tel qu'il est exploité, présente pour le public plus de dangers moraux et économiques que le jeu des petits chevaux, attendu qu'on joue plus vite dans le premier que dans le second. Néanmoins, le jeu de la boule est préférable au jeu des petits chevaux, à condition qu'on puisse limiter le temps du jeu ou en ralentir le tempo; alors que les petits chevaux sont mis en mouvement par un mécanisme caché au public, l'opération du jeu de la boule se passe sous les yeux et sous le contrôle du public; en outre, on n'a pas ici, comme au jeu des petits chevaux, à constater l'avance d'un petit cheval sur les autres, à l'aide d'un mesurage subtil et souvent arbitraire. Il est à souhaiter que le jeu des petits chevaux disparaisse tout à fait pour faire place au jeu de la boule, à condition d'en régler l'allure et de limiter le temps du jeu.

6. Le département de justice ne jugeait pas opportun de supprimer d'une manière absolue les jeux de hasard du genre de celui des petits chevaux; il entendait plutôt chercher le remède dans certaines restrictions apportées à l'exploitation du jeu pour lui conserver le caractère du jeu de récréation, par opposition au jeu intéressé qui naît principalement ou exclusivement de l'esprit de lucre. Il proposait donc de fixer le maximum de l'enjeu à 2 francs ou à 5 francs suivant que le jeu était accessible ou non aux étrangers seulement, de défendre à un
joueur de ponter sur plusieurs cases à la fois, de ne tolérer clans le jeu de la boule que deux tours de jeux à la minute, de restreindre dans une juste mesure les chances de gain du tenancier, d'établir entre les cantons certaines règles uniformes pour la. police

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du jeu, et de soumettre au contrôle permanent de la police cantonale l'exploitation des jeux, sous la haute surveillance des autorités fédérales, avec le droit d'intervenir à chaque instant.

Le département de justice proposa au Conseil fédéral de le charger de convoquer les représentants de tous les cantons intéressés à une conférence dans laquelle seraient débattus et arrêtés les principes d'après lesquels les jeux de hasard pourraient être exploités à l'avenir dans les kursaals, en prenant comme base de discussion les conclusions du rapport du Conseil fédéral. Le département devait faire au Conseil fédéral des propositions définitives pour une réglementation durable de l'exploitation des jeux dans le cadre de l'article 35 de la constitution fédérale, en prenant comme base les conclusions du rapport du 19 décembre 1911.

Le Conseil fédéral se rallia en général à la manière de voir du département de justice et de police. Par arrêté du er 1 mars 1912*), il chargea ce département de convoquer les représentants de tous les cantons à la conférence projetée.

Les conclusions du rapport du département devaient servir de base aux débats de la conférence; on n'y ajouta que quelques points complémentaires pour préciser la manière de voir du Conseil fédéral. Enfin le département fut invité à soumettre au Conseil fédéral en temps utile ses propositions définitives sur cette matière.

De nombreux mémoires furent adressés de divers côtés au Conseil fédéral dans lesquels on demandait principalement la suppression totale des jeux de hasard en Suisse. Le Conseil fédéral ne jugea pas opportim de prendre d'autres mesures pour le moment.

22. La conférence intercantonale que le département de justice et police avait convoquée, sur la proposition du Conseil fédéral, se réunit à Berne les 18 et 19 mars 1912, sous la présidence du chef du département. La plupart des cantons y prirent part; seuls les gouvernements des cantons d'Appenzell Rh.-ext., d'Obwald, de Schaffhouse et de Zoug n'envoyèrent pas de délégués; le représentant du canton de Glaris fut empêché d'assister à la conférence.

Le président ouvrit les débats en précisant le point de vue du Conseil fédéral vis-à-vis des cantons : « Le Conseil *) Voir Feuille fédérale 1912, I, 538.

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fédéral estime que ce sont les cantons qui doivent en premier lieu prendre en main et organiser la police du jeu, tandis que le Conseil fédéral ne doit intervenir qu'en cas de violation de l'article 35 de la constitution fédérale.

Partant de oe point de vue, le Conseil fédéral n'a pas l'intention de réglementer cette matière au fédéral. La question ·de l'application de l'article 35 étant controversée, le Conseil fédéral estime qu'il est utile d'élucider cette question et de chercher une base d'entente qui pourrait peut-être aider les ·cantons à réglementer d'une manière uniforme l'organisation des jeux dans les kursaals de la Suisse. » Le président -attira l'attention des délégués sur le règlement de l'association des différentes sociétés des kursaals de 1904; il est vrai ·que ces prescriptions avaient été interprétées différemment dans les stations d'étrangers, ainsi que cela ressort suffisamment des constatations du département de justice.

La discussion générale porta d'abord sur les rapports ·entre la Confédération et les cantons en pareille matière et sur le point de vue des cantons en ce qui concerne la suppression radicale des jeux de hasard dans les cantons. Il n'y ·eut qu'une voix (celle du représentant de Baie-Ville) pour réclamer l'interdiction absolue des maisons de jeu.

Les questions qui firent l'objet de la discussion spéciale furent rangées en quatre groupes : a. Système d'affermage; emploi du produit net et reddition des comptes. L'interdiction du système d'affermage ne souleva aucune opposition; tous les délégués furent d'avis que les sociétés des kursaals devaient exploiter les jeux sous leur propre nom, à leur propre compte et sous leur propre responsabilité, et qu'il fallait interdire toute participation du personnel au produit du jeu. La conférence admit égale-, ment par toutes les voix contre une, qu'après avoir porté en compte un intérêt modéré pour le capital engagé dans l'entreprise, le surplus devait être consacré exclusivement à des oeuvres d'intérêt général et d'utilité publique. On tomba également d'accord sur l'obligation de soumettre chaque année les comptes d'exploitation des sociétés des kursaals à l'approbation des autorités cantonales.

b. Montant de l'enjeu; limitation des chances de gain du tenancier, différence à établir entre les indigènes et les étrangers. La
discussion ne fournit que des éclaircissements incomplets sur ces questions. On rejeta la proposition de remettre, comme en France, au joueur qui gagne sur un

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numéro 8 fois au lieu de 7 fois le montant de sa mise, lachance de gagner davantage ne pouvant que donner au jeu plus d'attrait. La proposition de réduire d'une manière générale à 2 francs l'enjeu maximum de 5 francs fut également combattue; les représentants des cantons possédant des kursaals faisaient valoir qu'il était nécessaire de maintenir le montant de l'enjeu à 5 francs pour pouvoir exploiter les, kursaals comme par le passé, attendu qu'une réduction nuirait dans une sensible mesure aux récréatitons musicales derétablissement, ce qui causerait un grave préjudice à la station d'étrangers. Enfin la majorité vota une proposition intermédiaire établissant une différence entre les kursaalsoù les jeux sont accessibles à tout le monde et ceux où ils ne le sont que sur production d'une carte de légitimation; le maximum de l'enjeu fut fixé à 5 francs pour ces derniers et à 2 francs pour les autres. On se réserva d'ailleurs d'examiner encore la question et en particulier celle de savoir à quelles conditions et de quelle manière seraient délivrées lèscartes de légitimation.

c. Vitesse et durée du jeu; jeu de la boule ou jeu des petits chevaux. La proposition tendant à remplacer partout le jeu des petits chevaux par celui de la boule ne rencontra pas d'opposition. On décida de limiter l'allure du jeu à deux tours par minute. Quant à la durée du jeu, on renvoya au, règlement des sociétés des kursaals.

d. Police des jeux : exclusion des mineurs et des militaires; local fermé, affichage du règlement des jeux; défense des automates. Ces questions ne soulevèrent pas de difficultés; les propositions réunirent l'unanimité des voix. On décida également à l'unanimité des voix moins une d'exploiter le jeu dans un local fermé et indépendant.

A la fin des délibérations, le président, répondant à une question concernant le caractère à attribuer aux décisions prises, déclara qu'il ne pensait pas à un règlement établi par les autorités fédérales, mais à des règles générales d'où seraient bannies toutes prescriptions de police ; il ajouta qu'il y aurait encore lieu d'entrer en relations plus étroites avec les délégués des cantons intéressés, et, par leur intermédiaire, avec les sociétés des kursaals, pour les engager, le cas échéant, à modifier leur règlement.

23. Quelques jours après la conférence, soit le 26 mars: 1912, le Conseil d'Etat du canton de Genève adressa une Jet-

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tre au département de justice dans laquelle il revenait sur quelques questions traitées à la conférence. Il déclarait ne, pouvoir se rallier à un traitement uniforme de tous les kursaals de la Suisse en ce qui concerne l'accès des jeux et le montant des enjeux. A Genève, par exemple, les conditionssont telles qu'il paraissait impossible d'établir une distinction entre les étrangers et les indigènes qui fréquentaient le kursaal; le système préconisé par quelques cantons de nedélivrer des cartes de légitimation qu'aux étrangers se heurterait dans la pratique à des difficultés continuelles et presque insurmontables. On ne pouvait réclamer d'un kursaal, comme celui de Genève, qui doit satisfaire à de si grandes, exigences et dont l'exploitation entraîne des frais si considérables, d'abaisser l'enjeu maximum à 2 francs.

Vu le résultat des délibérations de la conférence, le département de justice et police estima qu'il était nécessaire tout d'abord d'établir des dispositions au sujet de la délivrance des cartes de légitimation dans les kursaals où l'enjeu maximum est de 5 francs. Il chargea donc le délégué du gouvernement bernois, qui avait proposé cette solution, intermédiaire à la conférence, de faire une proposition à ce sujet. Après en avoir référé avec les sociétés des kursaals de Berne, de Thoune et d'Interlaken, la direction de la police du canton de Berne formula sa proposition comme suit : « La délivrance des cartes se fait par l'administrationdu kursaal elle-même ou, sous sa responsabilité, par d'autresbureaux autorisés à cet effet (bureau des étrangers, bureaux des hôtels). Les cartes sont au nom de l'ayant droit; elle& indiquent son domicile régulier; elles ne peuvent être.cédées, et ne sont valables que pour une saison de jeu au plus.

Il n'est délivré de cartes spéciales aux habitants du lieu" où le kursaal est situé que sur leur demande et à la condition que le requérant jouisse d'une bonne réputation et qu'il n'y ait pas lieu de craindre qu'il compromette sa situation économique par le jeu.

« S'il est fait abus du droit de délivrer des cartes, l'autorité de police cantonale peut en tout temps restreindre ou supprimer ce droit. » Les décisions de la conférence et cette proposition complémentaire fournirent au département de justice la matière d'un projet de nouveau règlement pour les jeux dans les kursaals; ce projet fut soumis au Conseil fédéral avec un

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rapport du 27 juin 1912, auquel on joignit le procès-verbal des délibérations de la conférence et le résumé des décisions prises. Le département déclara qu'il estimait préférable pour des motifs de forme d'abandonner la réglementation des jeux, non pas au Conseil fédéral, mais à la société des kursaals. Il avait donc l'intention de soumettre le nouveau projet de règlement aux cantons intéressés en les priant de lui faire savoir si les sociétés des kursaals étaient d'accord d'accepter ce projet et si les cantons étaient disposés à en surveiller l'exécution et à exercer le contrôle de la comptabilité des kursaals et de l'emploi du produit net. Dès que le règlement revisé aurait été accepté par l'association des sociétés des kursaals ou déclaré obligatoire par plusieurs cantons, le Conseil fédéral pourrait alors décider que les jeux de hasard exploités dans les kursaals d'après ce règlement ne tombaient pas sous le coup de l'article 35 de la constitution fédérale.

Le Conseil fédéral approuva, dans sa séance du 6 juillet 1912, la proposition du département de justice; celui-ci, par circulaire du 14 août 1912, donna connaissance du projet aux directions de police des cantons de Berne, Lucerne, Argovie, Vaud et Genève. Tenant compte des modifications proposées par les cantons et les sociétés des kursaals, le département de justice élabora un nouveau projet de règlement des jeux.

Dans sa réunion du 23 janvier 1913, l'assemblée des délégués de l'association des sociétés des kursaals déclara ce règlement exécutoire pour tous les membres de l'association. Les gouvernements des cantons de Berne, Lucerne, Argovie, Tessin et Vaud se déclarèrent prêts à exercer le contrôle tel que le prévoyait la circulaire du département de justice; le gouvernement de Genève éleva encore diverses objections et comme une nouvelle discussion était demeurée sans résultat, le Conseil fédéral se vit dans l'obligation de renoncer à de nouveaux pourparlers avec le canton de Genève.

24. L'exploitation des jeux se trouvait ainsi réglementée d'une manière uniforme, sinon dans toute la Suisse, du moins dans les sociétés des kursaals faisant partie de l'association. Le Conseil fédéral, rendit de son côté, le 12 septembre 1913, l'arrêté suivant sur l'exploitation des jeux de hasard dans les kursaals*) : *) Voir Feuille fédérale 1913, IV, 207 ; 1914, I, 412.

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I.

« Le Conseil fédéral considère les jeux de hasard exploités dans les kùrsaals comme ne tombant pas sous l'interdiction établie par l'article 35 de la constitution fédérale, lorsque les principes ci-après sont observés : 1. La société qui exploite un kursaal doit être formée de façon à pouvoir être considérée comme le représentant auto·risé des intérêts de la station et à offrir les garanties nécessaires à l'exploitation correcte des jeux.

Il n'est toléré dans les kùrsaals aucun autre jeu de hasard que le jeu de la boule. Tous les autres jeux de hasard ·comportant un enjeu en argent sont prohibés.

2. Les sociétés exploitent le jeu sous leur propre nom, à leur propre compte et sous leur propre responsabilité. L'exploitation du jeu ne peut être affermée sous aucune forme.

3. Le produit net de l'exploitation du kursaal ne doit être consacré qu'à des mesures tendant à augmenter l'affluence des étrangers dans la station, ou encore à des oeuvres d'intérêt général ou d'utilité publique. Tout autre emploi de ce profit net est inadmissible.

Pour le calcul du produit net, il peut être porté en compte ;un intérêt de 5 % au maximum du capital engagé dans l'entreprise ainsi que des quotes d'alimentation d'un fonds d'amortissement et d'un fonds de réserve approprié aux 'circonstances. L'attribution des sommes versées dans ces deux fonds est soumise chaque année à l'approbation de l'autorité cantonale de surveillance.

4. Le personnel des jeux, y compris les organes chargés .de diriger et de contrôler les jeux ne pourra toucher aucun ·dividende ou tantième calculé sur le produit des jeux ou sur -celui de l'exploitation du kursaal dans son ensemble.

5. Les sociétés des kùrsaals sont tenues de soumettre annuellement leur compte d'exploitation à l'examen des autorités cantonales. Les organes de la Confédération ont le ·droit de prendre en tout temps connaissance de ces comptes.

6. Le jeu de la boule sera joué d'après le système au tableau. La chance de gain donnée au public ne peut être inférieure à un neuvième des numéros. Le joueur qui a ponté sur le numéro gagnant touchera 7 fois sa mise, celui qui a

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ponté sur la bande gagnante (rouge et bleue, lre et 2e classe, pair et impair) touchera le double de la mise.

7. L'allure du jeu doit être réglée de manière à ne pas dépasser cinq tours en deux minutes. La société du kursaal se charge de la contrôler.

8. Les mises doivent se faire au comptant. L'emploi de jetons est interdit.

9. La mise du joueur (qu'elle forme un tout placé sur un numéro ou sur une bande, ou qu'elle soit fractionnée ou répartie sur plusieurs numéros ou sur une bande et un ou plusieurs numéros) est fixée pour chaque tour de jeu au maximum suivant : o. 2 francs pour les salles de jeu auxquelles le public est admis sans carte spéciale; b. à 5 francs pour les salles de jeu dont l'accès n'est ouvert qu'aux porteurs d'une carte spéciale.

Les cartes spéciales prévues à la lettre b ci-dessus sont délivrées d'après les règles suivantes : La délivrance se fait par l'administration du kursaal elle même ou, sous sa responsabilité, par d'autres bureaux autorisés à cet effet (bureau des étrangers, bureau des hôtels). Les cartes sont au nom de l'ayant droit; elles indiquent son domicile régulier; elles ne peuvent être cédées et ne sont valables que pour une saison de jeu au plus.

Il n'est délivré des cartes spéciales aux habitants du lieu où le kursaal est situé que sur demande expresse, à la condition que le requérant jouisse d'une bonne réputation et qu'il n'y ait pas lieu de craindre qu'il compromette sa situation économique par le jeu.

S'il est fait abus du droit de délivrer des cartes spéciales, l'autorité de police cantonale peut en tout temps restreindre ou supprimer ce droit.

10. Il ne pourra être joué que pendant les concerts et autres récréations musicales ou dramatiques de l'après-midi et du soir, et le jeu ne pourra être prolongé au delà de minuit.

11. Les jeux seront installés dans une salle spéciale, séparée des autres locaux du kursaal et qui ne pourra pas servir de passage ou de promenoir pour le public.

12. L'entrée de salle des jeux est interdite aux enfants astreints à fréquenter les écoles (au-dessous de 15 ans). Les

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mineurs de 15 à 20 ans sont admis dans la salle à la condition d'être accompagnés de leurs parents (père, mère) ; toutefois, ils ne sont pas autorisés à prendre part au jeu.

13. Le jeu est interdit : a. au personnel portant uniforme des entreprises publiques de transports, y compris les chemins de fer spéciaux, les tramways et entreprises de bateaux; b. au personnel portant uniforme des postes, des télégraphes et des douanes fédérales; c. à tout le personnel employé à l'administration et à l'exploitation du kursaal..

14. Les prescriptions concernant la police des jeux .(chiffres 12 et 13) et le règlement des jeux (chiffres 6 à 9) seront affichés dans la salle des jeux.

15. Les bâtiments appartenant à la société du kursaal ou .pris à bail par elle ne peuvent être utilisés pour d'autres jeux, ni dans leur ensemble, ni en partie; il est interdit aux sociétés des kursaals de louer des locaux de jeux à des tiers.

II.

Les cantons veillent à l'observation de ces prescriptions et exercent un contrôle de police sur les jeux. Ils vérifient -les comptes annuels des kursaals et notamment l'emploi du produit net. Les comptes doivent être tenus à la disposition ·du département de justice et de police.

Il est loisible aux cantons de soumettre les jeux à des (restrictions plus étendues ou de les interdire complètement.

III.

Le Conseil fédéral se réserve la faculté d'interdire en tout temps les jeux dans tout kursaal qui, soit par son organisation, soit par la manière d'exploiter les jeux, ne satisferait pas aux conditions ci-dessus énoncées.

IV.

Ces dispositions entreront en vigueur le 1er janvier 1914.» *

*

*

Les cantons intéressés furent invités à veiller à ce que les règles adoptées clans cet arrêté fussent appliquées à par-

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tir du 1er janvier 1914. A la même occasion le Conseil fédérai chargea le département militaire suisse d'interdire par ordredé service l'accès des jeux à tous les militaires en uniforme.

Les prescriptions reproduites dans la première partie de l'arrêté du Conseil fédéral sont presque identiques à celle» du nouveau règlement élaboré par le département de justice et adopté par l'association des sociétés des kursaals dont il est question ci-dessus. Elles n'en diffèrent qu'en ce que le règlement en question ne contient pas le premier alinéa du chiffre 1 de l'arrêté du Conseil fédéral et que le deuxième alinéa du texte allemand parle des « Glücksspiele » au lieu des «Hasardspiele»; le chiffre 3 est rédigé un peu différemment; et le chiffre 10 ajoute que le jeu ne doit pas commencer avant 3 heures de l'après-midi. Pour le surplus les deux textes sont identiques.

25. Les conseillers nationaux Graber, Affolter, Frei (Baie), Greulich, Grimm, Näher, Naine, Pflüger, Bickli, Schenkel, Seidel, Sigg (Genève), Sigg (Zurich), Studer (Winterthour) et Wullschleger déposèrent, le 18 décembre 1913, l'interpellation suivante au Conseil national : «Les soussignés désirent interpeller le Conseil fédéral sur l'application de l'article 35 de la constitution fédérale et sur l'arrêté du Conseil fédéral du 12 septembre 1913 concernant l'exploitation des jeux de hasard dans les kursaals. » Le chef du département de justice et police répondit à l'interpellation, le 2 avril 1914, dans le sens de l'interprétation donnée à l'article 35 de la constitution fédérale et de la jurisprudence admise par le Conseil fédéral. L'interpellant se déclara non satisfait; il n'y eut pas de discussion.

26. Dans le courant de l'année 1914, le département de justice fut informé qu'on exploitait des jeux de hasard dans un hôtel de St-Moritz. Il demanda des renseignements au département de justice des Grisons, en renvoyant à l'arrêté du Conseil fédéral du 12 septembre 1913. L'enquête établit qu'une société fermée, 1'« Engadine club »,. avait exploité depuis le mois de janvier jusqu'en mars 1914, des jeux de hasard dans une villa louée a St-Moritz. Comme la société n'existait plus, le département de justice ne donna pas d'autres suites à l'affaire; il y a lieu toutefois de relever les lignes suivantes d'une lettre adressée au canton des Grisons, le 1er février 1915 : .

".!

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« II résulte de ces constatations qu'il ne s'agissait pasd'une maison de jeu, dans laquelle le public avait libre accès; le jeu de hasard n'avait pas le caractère d'un jeu qu'on exerce professionnellement. Nous estimons dès lors qu'il n'y a pas violation de l'article 35 de la constitution fédérale. » 27. Suivant une publication parue dans la Feuille du.

commerce suisse, en mars 1914, il a été fondé sous le nom de « Société genevoise du kursaal » une société par actions ayant pour objet la location et l'exploitation du kursaal de.

Genève. Le département de justice demanda au Conseil d'Etat de Genève, en date du 26 mars, si la composition de cette société nouvellement fondée répondait aux conditionsde l'arrêté du Conseil fédéral du 12 septembre 1913 et si l'on n'avait pas violé les dispositions concernant l'affermage: (art. I, chiffres 1 et 2). Enfin le département de justice désirait être renseigné sur les relations de la nouvelle société avec la société immobilière et d'exploitation du kursaal existant depuis 1911, en particulier sur l'emploi du produit net des jeux ainsi que sur les transformations rendues nécessaires au bâtiment du kursaal par l'arrêté du Conseil fédéral; enfin si le « cercle du Léman » qui avait succédé au cercle des étrangers avait quitté les locaux du kursaal.

Le Conseil d'Etat de Genève transmit, le 5 mai 1914, au département de justice un rapport de la société immobilière et d'exploitation du kursaal d'où il ressortait que la nouvelle société genevoise du kursaal avait affermé l'exploitation de l'établissement d'abord pour 300.000 francs par année,, ensuite pour 400.000 francs. Par office du 15 juin, le département de justice rendit le Conseil d'Etat de Genève attentif au fait que ce mode d'exploitation était prohibé par les principes adoptés par le Conseil fédéral. Il faisait remarquer ensuite que la majorité des 11 actionnaires de la nouvelle société habitaient l'étranger, qu'ils avaient plus de la moitié du capital-actions, et qu'un membre du conseil d'administration était également étranger, de sorte qu'on pouvait considérer difficilement cette société comme le représentant autorisé des intérêts de la station de Genève, au sens du chiffre 1 de l'arrêté du Conseil fédéral du 12 septembre 1913. Enfin, le département exigea de nouveau l'éloignement du cercle du Léman du
kursaal, d'autant plus qu'il avait appris qu'on jouait dans ce club le jeu du baccarat avec des enjeux élevés.

Le gouvernement de Genève, sans contester ce dernier fait, estimait cependant qu'il n'y avait pas de motif d'intervenir, attendu qu'il s'agissait d'une société fermée. Le dé-

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parlement fédéral de justice répondit que la présence de ce -club de jeu au kursaal n'en paraissait pas moins incompatible avec le chiffre 15 de l'arrêté souvent cité, même s'il était installé clans des locaux séparés; il ajoutait que l'autorité fédérale se verrait contrainte de prendre des mesures plus .sévères, au cas où l'on tolérerait plus longtemps cet état de choses.

Dans un rapport du 1er février 1916, le gouvernement ·genevois exposait qu'il était de l'intérêt de la ville de tolérer l'exploitation du kursaal à Genève. Les autorités ·cantonales chargées de la surveillance de cette exploitation n'avaient pas eu à intervenir; une enquête ouverte dernière.ment avait établi que la société qui avait loué le kursaal observait ponctuellement les instructions du département de police de Genève ainsi que les dispositions de l'arrêté fédéral concernant le jeu de la boule. En ce qui concerne l'affermage de l'exploitation du kursaal, il est justifié par les ·circonstances; au surplus, il y a eu en 1914 un dèficit assez considérable pour l'exploitation et il en sera probablement : ainsi en 1915. On joue tous les jours au jeu du baccarat au ·cercle du Léman, même avec des enjeux très élevés. Cependant le Conseil d'Etat estime que, vu la jurisprudence des .tribunaux genevois et l'interprétation donnée à l'article 35 de la constitution fédérale dans l'arrêté même du Conseil fédéral, il n'a pas à s'immiscer dans les affaires de cette société privée, attendu que ses membres répondent euxmêmes des chances du jeu sans avoir recours à un croupier.

Quant aux salons loués au cercle, ils sont indépendants de ceux du kursaal; ils servent également à divers buts privés et aussi de salles de réunion pour les membres du club; l'administration du kursaal ne peut contrôler ce qui se passe dans ces réunions. Le jeu de hasard ne constitue -qu'une partie de l'activité du club, de sorte qu'il ne peut pas être question de la location de locaux pour d'autres jeux (art. I, chiffre 15, de l'arrêté fédéral).

Statuant sur cette affaire, le 5 mai 1916, le Conse.il fédéral a rendu l'arrêté suivant : « L'exploitation du jeu de la boule au kursaal de Genève est interdite aussi longtemps que n'est pas fournie au Conseil fédéral la preuve que l'organisation et l'exploitation du kursaal répondent aux exigences de l'arrêté rendu par le Conseil fédéral le 12 septembre 1913. » *) *) Voir Feuille fédérale 1916, II, 697.

49 A l'appui de cette décision, le Conseil fédéral fait remarquer que l'organisation et l'exploitation du kursaal de Genève violent sur plus d'un point les dispositions de l'arrêté fédéral du 12 septembre 1913. Tout d'abord, la société genevoise du kursaal n'est pas formée de façon à pouvoir être considérée comme le représentant autorisé des intérêts de la station de Genève, au sens de l'article I, chiffre 1; en louant l'exploitation du jeu à cette société on a cherché évidemment à éluder les dispositions de l'article I, chiffre 2. En outre, la tolérance du jeu du baccarat dans les locaux du kursaal loués au cercle du Léman est contraire au chiffre 15 du même article; car il est indifférent que ce club ait le caractère d'une société privée ou non, l'essentiel c'est que les locaux du kursaal ne peuvent être utilisés pour d'autres jeux. Ce n'est qu'à la condition de renoncer aux jeux de hasard que ce cercle pourrait rester dans les locaux du kursaal. Les faits relevés ci-dessus constituent autant de violations des principes contenus dans l'arrêté du 12 septembre 1913. Le Conseil fédéral en conclut que le jeu de la boule pratiqué au kursaal de Genève constitue une exploitation de jeu interdite par l'article 35 de la constitution fédérale, et il en prononce l'interdiction pour aussi longtemps qu'on n'aura pas fait disparaître les inconvénients signalés plus haut.

D. Législation étrangère.

Pour être plus complet et avoir un point de comparaison, il importe de jeter un coup d'oeil sur la législation actuelle des jeux de hasard dans les pays qui nous entourent.

Les maisons de jeu publiques ont été interdites en Allemagne par la loi du 1er juillet 1868; les maisons au bénéfice d'une concession devaient être fermées le 31 décembre 1872.

On a déjà vu que cette mesure a contribué à l'adoption dans notre constitution d'un article sur les maisons de jeu. En Allemagne les jeux de hasard ne sont pas prohibés comme tels ni les autres espèces de jeu. Ils ne sont poursuivis que s'ils sont pratiqués dans des conditions spéciales, professionnellement ou dans les lieux publics, d'une manière abusive ou frauduleuse (voir art. 284 et 285 du code pénal allemand).

C'est dans cette mesure seulement que l'interdiction des jeux est appuyée de sanctions pénales.

Quant à la France, elle avait supprimé les maisons de jeu par la loi de 1836; l'article 410 du code pénal menace Feuille fédérale suisse. 68me année. Vol. III.

4

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d'une peine « ceux qui auront tenu une maison de jeu dehaèard et y auront admis le publie soit librement, soit sur présentation des intéressés ou affiliés, les banquiers de cette maison tous administrateurs, préposés ou agents de ces établissements ». La cour de cassation a reconnu dans deux arrêts des années 1811 et 1839 que la publicité était le critère de la punissabilité, tandis que le montant des enjeux était indifférent. Cependant la France tolère actuellement des malsons de jeu publiques dans ses stations balnéaires et cliniatériques; mais elle en défend l'accès à une certaine catégorie de personnes. La loi réglementant le jeu dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatériques date du 15 juin 1907; elle fut suivie de divers décrets d'exécution. Les différentes prescriptions régissant la matière font l'objet d'une « Instruction sur le règlement des* jeux dans les cercles et casinos des stations balnéaires, thermales et climatériques » du 18 mai 1909. On ne tolère que quelques jeux spécialement désignés (petits chevaux et les jeux similaires du baccarat, écarté, whist, bridge, besigue et piquet), à condition qu'ils ne soient exploités que dans les établissements prérappelés. Les conditions d'entrée sont réglées différemment. Le jeu des petits chevaux est accessible aux personnes qui se légitiment par une carte d'entrée du casino; les autres jeux ne sont accessibles qu'aux personnes qui payent une contribution et qui sont en possession d'une carte de légitimation contenant l'indication exacte de leur état civil. Le 15 % du produit brut de l'exploitation des jeux doit être remis aux autorités des oeuvres d'intérêt général ou d'utilité publique, sous réserve de quelques prestations aux communes. L'instruction contient des prescriptions très détaillées sur la surveillance de l'exploitation du jeu et le contrôle des recettes; on entre jusque dans les plus petits, détails des règles du jeu.

La législation des autres Etats voisins va encore plus loin dans cette matière. L'Italie défend absolument les maisons de jeu publiques. Nonobstant cette interdiction, les jeux de hasard étaient pratiqués dans de nombreux kursaals et casinos, ainsi que nous l'apprennent différents comptes rendus de journaux italiens. Après les avoir tolérés au commencement, le gouvernement prit
tout à coup des mesures énergiques et supprima toutes les exploitations de jeu; elles, devaient disparaître de tout le royaume. Cette interdiction., souleva des réclamations de la part des entrepreneurs d&

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ces maisons; ils proposèrent une solution intermédiaire, la réglementation des jeux suivant le système français. C'est dans ce but et pour exercer de l'influence sur les autorités du pays qu'un congrès eut lieu en novembre 1912. Il semble que le but du congrès ne fut pas atteint, car le gouvernement interdit catégoriquement les jeux de hasard même sous la surveillance de l'Etat.

L'Autriche prohibe également tous les jeux de hasard proprement dits; elle possède un catalogue des jeux défendus; aux termes de l'article 522 du code pénal général, est punissable toute personne qui prend part à des jeux semblables, de même que celle qui autorise le jeu dans sa maison.

De même qu'en Italie, les jeux de hasard publics sont absolument interdits en Hongrie, en Angleterre et en Espagne. La Belgique possède, comme la Suisse, des jeux de hasard tolérés par les autorités supérieures. Enfin, quelques Etats d'Amérique considèrent comme un délit tous ' les jeux de hasard ainsi que le produit du jeu (voir dictionnaire de la science politique de. Elster, 3e éd., vol. 7, p. 681).

E. Discussion juridique.

I.

La demande d'initiative en modification de l'article 35 de la constitution fédérale revêt la forme d'un projet rédigé de toutes pièces. L'Assemblée fédérale doit décider si elle adhère au projet d'initiative, tel qu'il est formulé, ou si elle le rejette; suivant l'article 121, alinéa 6, de la constitution fédérale, elle peut procéder de différentes manières. Si elle décide d'approuver le projet, celui-ci sera soumis à l'adoption ou au rejet du peuple et des cantons. Il en est de même, si les deux conseils n'arrivent pas à prendre une décision concordante (voir loi fédérale concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale du 27 janvier 1892, art. 9).. Si l'Assemblée fédérale décide ne pas adhérer au projet, elle le soumet à la votation du peuple et des cantons. Elle peut, en même temps, présenter une proposition de rejet ou soumettre également à la votation du peuple et des cantons un projet élaboré par elle '(art. 10 et 11 de la loi précitée). Suivant la décision des

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deux conseils, le peuple et les cantons auront à se prononcer simplement pour l'acceptation ou le rejet de la demande d'initiative, ou bien ils devront choisir entre les projets élaborés.

H.

Il y a lieu de rechercher tout d'abord sur quels principes on doit se fonder pour prendre position à l'égard de la demande d'initiative; il convient à cet effet de comparer le régime actuel avec celui que créerait l'adoption de l'initiative.

La demande d'initiative ne se rapporte qu'aux deux premiers alinéas de l'article 35 de la constitution fédérale; elle ne touche pas au troisième alinéa qui traite des loteries.

Ces deux premiers alinéas sont remplacés par des dispositions nouvelles faisant l'objet de trois alinéas. Le premier consacre le même principe que l'alinéa correspondant de notre article actuel; il interdit de même d'une manière générale l'ouverture de maisons de jeux. Le principe posé par la constitution doit ainsi demeurer le même. La disposition essentielle de la demande d'initiative est celle du deuxième alinéa, qui contient une définition de la maison de jeu : « est considérée, dit-il, comme maison de jeu toute entreprise qui exploite des jeux de hasard. » Le troisième alinéa du projet, qui n'est que la conséquence des deux premiers, dispose que les exploitations de jeux de hasard actuellement existantes doivent être supprimées dans le délai de 5 ans dès l'adoption du nouvel article de la constitution. Cette disposition remplacerait le premier alinéa, deuxième phrase, et le deuxième alinéa de notre article actuel.

L'adoption de la demande d'initiative modifierait le droit ' en vigueur, tant au point de vue de la forme qu'au point de' vue du fond.

a. Au point de vue de la forme, le projet a ceci de nouveau qu'il veut insérer dans la constitution même une définition de la maison de jeu, tandis que l'article 35 actuel interdit simplement les maisons de jeu, sans dire ce qu'il entend par cette expression. Jusqu'ici, par conséquent, le Conseil fédéral étant chargé d'appliquer la constitution fédérale et de veiller à ce que les interdictions qu'elle décrète soient observées, c'était à lui de fixer la notion de maison de jeu. L'absence d'une définition dans la constitution a

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laissé jusqu'à présent à l'autorité executive une grande latitude dans l'application de l'article 35. L'initiative veut resserrer cette liberté d'interprétation, sinon l'exclure complètement, en délimitant le champ d'application de l'interdiction par une définition des maisons de jeu.

b. Quant au fond, le projet d'initiative crée aussi une nouveauté, qu'il est moins facile de préciser. L'autorité executive n'a pas toujours donné à l'interdiction des maisons de jeux une interprétation uniforme. Il est certains caractères, peu nombreux, il est vrai, comme nous le verrons plus loin, sur l'importance desquels, au point de vue de ce qu'il faut entendre par maison de jeu, le Conseil fédéral a varié au cours des années pendant lesquelles il a dû appliquer l'article constitutionnel. Quoique nous n'ayons pas encore une définition des maisons de jeu ni dans la constitution, ni dans la loi, et quoique la notion des maisons de jeu ne soit pas établie par une jurisprudence constante du Conseil fédéral, on peut dire néanmoins que le projet d'initiative, en considérant comme maison de jeu, toute entreprise qui exploite des jeux de hasard, donne à l'interdiction une extension plus grande que ne fait l'interprétation actuelle. C'est précisément cette extension de l'interdiction que vise l'initiative; ce qu'on veut atteindre par cette nouvelle rédaction, ce sont notamment les jeux exploités dans les kursaals suisses et à propos desquels surtout les opinions sont divisées touchant la manière dont il y a lieu d'interpréter l'article 35.

C'est aux deux points de vue indiqués qu'on doit examiner le projet d'initiative. On doit d'abord examiner s'il est désirable ou même nécessaire d'insérer dans un article de la constitution une définition des maisons de jeu, et si cela constituerait un progrès sur le texte actuel de l'article 35. Mais le plus important est d'examiner les dispositions mêmes de l'article projeté. C'est de la question de savoir s'il faut approuver ou non la définition que le projet donne dés maisons de jeu que dépend l'attitude à prendre à l'égard de l'initiative.

Dans cet ordre d'idées, il y a lieu d'exposer en premier lieu la notion de la maison de jeu suivant l'interprétation et la jurisprudence du Conseil fédéral. A cette notion on opposera celle du projet d'initiative. Suivant le résultat de la comparaison et de la critique de ces deux notions, on examinera s'il y a lieu de proposer à l'Assemblée fédérale d'élaborer un projet distinct.

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'.

IIL

Ce qui distingue essentiellement, au point de vue de la forme, le projet d'initiative de l'article 35 de la constitution fédérale actuellement en vigueur, c'est l'insertion dans la constitution même de la définition de la maison de jeu. En règle générale, le législateur peut se passer de définitions lorsque les termes ou les expressions dont il se sert sont suffisamment clairs et précis pour exclure toute incertitude.

Mais alors même que ce n'est pas le cas, comme par exemple pour l'expression de «maison de jeu», le législateur peut avoir des motifs pour éviter de faire une définition dans la loi et s'en remettre à la science et à la jurisprudence.

A ce point de vue, on peut dire que l'incertitude qui a régné au sujet de l'interprétation de l'article 35 parle en faveur de l'adoption d'une définition des maisons de jeu dans le texte même de la constitution. Il serait dès lors à sotihaiter que le législateur dise dans la constitution ce qu'il entend par « maisons de jeu », si cette définition devait dissiper tous les doutes. Il ne faut pas oublier toutefois que même les définitions légales ne précisent pas toujours les notions de droit, de manière à exclure toute incertitude; car les expressions dont on se sert dans la définition même peu-, vent aussi donner lieu elles-mêmes à une interprétation différente. Or c'est précisément le cas dans le projet : la définition de « jeux de hasard » ne va pas sans difficulté, et il n'est pas toujours facile non plus de dire quand on se trouve en présence d'une « entreprise ». Le projet ne donne donc pas de la maison de jeu une définition absolument exempte d'équivoque et n'excluerait pas toute incertitude dans l'interprétation et l'application de l'interdiction.

D'un autre côté les définitions légales courent le risque de ne pouvoir, dans leur teneur rigide, s'adapter à l'évolution constante des choses et de devenir trop étroites avec le temps, tandis que la doctrine et la jurisprudence peuvent et doivent tenir compte des circonstances et des faits nouveaux dans l'interprétation et l'application des lois. Les notions constitutionnelles subissent l'influence du temps; une disposition de la constitution datant d'aujourd'hui atteindra peut-être d'autant mieux son but à une époque ultérieure qu'elle sera moins rigoureusement ajustée aux conditions actuelles. Nous rappellerons ici l'interdiction de l'absinthe de l'article 32t<>r de ]a constitution fédérale; cet article non plus

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ne contient pas de définition de l'absinthe et des imitations ·de l'absinthe. On a agi avec prudence en abandonnant à la législation fédérale et à la jurisprudence le soin d'appliquer l'article de la constitution et de déterminer les boissons qui tombent sous le coup de cette interdiction.

Il existe donc des motifs pour adopter ou rejeter une définition des maisons de jeu dans le texte de l'article 35.

Que les auteurs de l'initiative se soient décidés pour une définition légale, c'est ce qu'expliqué déjà, le but même qu'ils se proposent. Ils ont en vue une exploitation de jeu spéciale bien connue en Suisse; ils en réclament et en poursuivent par l'initiative la suppression. Du moment que la constitution interdit déjà les maisons de jeu, il ne pouvait s'agir pour eux que de l'introduction d'une disposition nouvelle qui ferait immanquablement tomber ces exploitations de jeux sous l'interdiction.

Le Conseil fédéral estime, au contraire, qu'il est préférable de faire abstraction d'une définition des maisons de jeu dans la constitution. Il estime que la notion des maisons de jeu n'est pas immuable et qu'il ne faut pas la fixer une fois pour toutes par une formule qu'on ne puisse plus modifier. Le développement de la question des maisons de jeu parle précisément en faveur de cette manière de voir. Lorsque l'interdiction des maisons de jeu fut introduite dans la nouvelle constitution de 1874, il est évident qu'elle était dirigée contre l'exploitation des jeux publics de Saxon, le seul établissement de jeu public existant encore en Suisse. Il s'agissait de faire disparaître ce « tripot » et d'empêcher l'ouverture d'établissements semblables dans le pays. En conséquence, il eût été superflu de préciser davantage ce que l'on .entendait à l'article 35 par une maison de jeu, ou par les maisons de jeu qui « existent actuellement ». La maison de jeu de Saxon disparut. Ce n'est que plus tard qu'on vit naître ça et là des jeux dans les kursaals, puis certaines ·sociétés de jeu, tels que les cercles à Genève. De là la question de l'interprétation de l'article 35; les autorités eurent à examiner si les nouvelles exploitations de jeu tombaient sous le coup de l'interdiction des maisons de jeu. Il va de .soi qu'on ne pouvait considérer comme décisive la ressemblance plus ou moins grande de ces jeux nouveaux avec les anciens jeux de Saxon; il fallait décider, indépendant nient de cette question, si ces nouvelles exploitations de jeux étaient compatibles avec l'article 35.

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Si la constitution de 1874 avait précisé l'objet de l'interdiction des maisons de jeu d'après le type des jeux de Saxon, cette interdiction eût pu ne pas s'appliquer aux exploitations nouvelles; et l'on n'aurait plus eu la possibilité de les faire tomber sous le coup de l'article 35. Pareille chose pourrait se produire à l'avenir, si nous acceptions le projet d'initiative et supprimions les jeux exploités actuellement dans les kursaals de la Suisse. Il peut surgir, sous une forme encore inconnue, d'autres exploitations plus dangereuses que les jeux actuels des kursaals, mais auxquelles la définition du projet ne s'appliquerait pas. L'article de la constitution manquerait alors son but et une nouvelle revision deviendrait nécessaire.

Nous estimons qu'une interdiction des maisons de jeu, sans définition, est plus élastique; on peut l'interpréter dans un sens plus large et elle offre dès lors plus de garantie pour l'avenir qu'une interdiction qui, comme celle du projet d'initiative, se trace elle-même des limites pouvant devenir un jour trop étroites. C'est pourquoi le Conseil fédéral donne la préférence à une rédaction de l'article 35 ne contenant pas .

de définition des maisons de jeu.

IV.

Abordant maintenant la discussion des dispositions mêmes du projet, nous déterminerons en premier lieu l'objet de l'interdiction des maisons de jeu d'après l'article 35 actuel et d'après le projet d'initiative, puis nous choisirons la formule qui convient le mieux comme principe constitutionnel. On ne peut pas établir d'une manière certaine le sens de notre article 35 par une simple formule du genre de celle du projet d'initiative; on' doit plutôt recourir à l'interprétation. Jusqu'ici, c'est le Conseil fédéral qui a été chargé d'appliquer et d'interpréter cet article, en sa qualité d'autorité executive supérieure de la Confédération ; il l'a fait dans de nombreuses ordonnances et décisions dont il a été question plus haut. Mais il a toujours évité de donner une définition proprement dite des maisons de jeu pour conserver sa liberté d'interprétation. Il s'est contenté d'établir certains principes qu'il considérait comme essentiels et de déterminer les conditions dans lesquelles l'exploitation des jeux de hasard est compatible avec la constitution.

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C'est donc en nous basant sur les déclarations et les décisions du Conseil fédéral et de son département de justice et police que nous établirons les points juridiques les plus essentiels qui permettent de déterminer à peu près la notion de la maison de jeu suivant la manière de voir du Conseil fédéral. En l'absence d'une définition objective des maisons de jeu, il y a lieu, pour comparer le régime actuel avec celui que créerait l'adoption du projet d'initiative, de prendre pour base la notion des maisons de jeu d'après le Conseil fédéral.

Car, en cas de rejet de l'initiative et du maintien intégral de l'article 35, le Conseil fédéral continuera évidemment à interpréter et à appliquer cet article conformément à sa manière de voir.

Les expressions allemandes « Spielbank » et « Spielhaus » (maisons de jeu) peuvent avoir une signification différente.

Mais il ne peut et ne pouvait s'agir pour le Conseil fédéral d'établir une définition abstraite et de la prendre pour base de l'interdiction des maisons de jeu. Le Conseil fédéral se trouve en présence d'une prescription légale concrète qu'il doit interpréter et appliquer en lui donnant le sens qui lui revient d'après son but et la place qu'elle occupe dans la constitution. Il s'ensuit que l'historique de l'article 35 et les motifs qui l'ont fait admettre ne sont pas sans importance pour son interprétation. Il faut bien se garder toutefois, comme nous l'avons dit plus baut, d'interpréter cet article dans un sens trop restreint, comme si l'on n'avait voulu atteindre que cette sorte de jeux qu'il s'agissait en 1874 de faire disparaître ou de tenir éloignés de notre pays, c'est-à-dire les jeux de Saxon et ceux qui étaient exploités dans quelques stations balnéaires de l'Allemagne.

L'article 35 a évidemment pour but de couper court aux inconvénients et aux dangers qu'entraînaient ces exploitations de jeux et que jusqu'à la revision de la constitution on n'avait pu combattre efficacement ou qu'en partie seulement.

La genèse de l'article 35 peut et doit donc aujourd'hui encore être prise en considération, non pour définir la maison de jeu, mais pour apprécier les motifs de l'interdiction. C'est précisément cette considération qui engage le Conseil fédéral à prendre pour guide, dans l'interprétation et l'application de l'interdiction des maisons de jeu,
le bien du peuple et à considérer comme maisons de jeu interdites les exploitations de jeux qui constituent un danger moral et économique pour la population; car c'est justement à cause de ce danger que certains jeux sont prohibés par la constitution; il n'y a pas

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de raison pour interdire d'autres exploitations de jeu qui n'ont pas ces inconvénients.

Le danger des jeux de hasard est tout d'abord de nature économique; ils peuvent occasionner des pertes d'argent. Us présentent en outre un danger moral, celui d'exciter la passion du jeu : l'appât d'un gain sans peine conduit à jouer d'une manière excessive et engendre facilement le dégoût du travail honnête, mais plus pénible. C'est en cela que consiste, à côté des pertes financières des joueurs, le danger économique et social des jeux de hasard. Ces deux dangers, le danger économique et le danger moral, sont tout à fait relatifs; Us dépendent non seulement de l'espèce et de l'exploitation des jeux, mais encore de la condition des personnes qui prennent part au jeu, comme aussi du caractère des joueurs. Aussi est-il très difficile de dire d'une manière générale si un établissement de jeu est dangereux dans ce sens ou non. Ce danger économique ou moral du jeu ne doit pas être conçu comme la caractéristique essentielle de la maison de jeu, mais plutôt, d'après la « ratio » de la disposition constitutionnelle, comme l'élément général qu'on ne doit pas perdre de vue pour déterminer les caractères particuliers d'une maison de jeu et en apprécier l'importance.

C'est la détermination de ces caractère qui donne lieu à toutes l'es difficultés auxquelles se sont heurtées jusqu'ici l'interprétation et l'application de l'article 35. Dans tous les cas où les autorités fédérales eurent à se prononcer sur l'admissibilité d'une exploitation de jeux, il s'agissait simplement de savoir si l'exploitation devait être considérée ou non comme une maison de jeu dans le sens de l'article 35 de la constitution fédérale; si c'était le cas, l'exploitation devait être supprimée; dans le cas contraire, les autorités fédérales n'avaient pas de motif ni la compétence d'intervenir. Le caractère de maison de jeu paraissait douteux tantôt pour un motif, tantôt pour un autre. Car on n'en trouve guère dont on ne puisse contester qu'il soit distinctif de la maison de jeu.

1. L'expression maison de jeu (Spielhaus, casa di giuoco) suppose tout d'abord un local aménagé pour l'exploitation du jeu, comme l'indiquent clairement les textes allemand et italien, « Errichtung », « stabilimento », expressions plus claires que l'expression française «
ouvrir des maisons de jeu ».

Il doit donc s'agir d'un établissement d'un caractère plus ou moins durable; l'exploitation à titre occasionnel et exceptionnel d'un jeu de hasard dans un local quelconque ne

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suffit pas pour qualifier ce dernier de maison de jeu. La simple installation d'une maison pour l'exploitation des jeux suffit-elle pour lui conférer le caractère de maison de jeu ?

Ou faut-il de plus une entreprise avec une organisation spéciale ? Dans le premier cas, on pourrait peut-être employer l'expression allemande « Spielhaus », mais non l'expression « Spielbank ». Cette dernière expression suppose un banquier, c'est-à-dire un entrepreneur chargé d'établir et d'organiser les jeux. Il n'est pas nécessaire qu'il prenne part au jeu ou qu'il joue contre le public; il suffit qu'une occasion permanente soit offerte de jouer pour de l'argent.

'· II est également sans importance que le bâtiment dans lequel les jeux sont installés serve exclusivement à ce but; car l'exploitation du jeu peut très bien avoir lieu dans un établissement ayant encore et peut-être principalement une autre destination. De fait, la plupart des jeux de hasard sont installés dans des kursaals, casinos ou autres établissements analogues. On aurait donc tort de prétendre que les jeux exploités dans les kursaals de la Suisse ne tombent pas sous le coup de l'article 35 de la constitution fédérale, par ce motif que ces établissements servent en premier lieu de rendez-vous aux étrangers auxquels ils offrent des distractions de tous genres (concerts, représentations théâtrales et autres réjouissances semblables). Il ne suit pas de là que les jeux de hasard, qui sont eux aussi un centre d'attraction pour les étrangers, ne puissent avoir le caractère d'une maison de jeu prohibée. Que les jeux soient exploités dans un établissement poursuivant encore d'autres buts, qu'ils soient même subordonnés à ces buts, cela importe assez peu.

2. En revanche, on ne peut parler d'une «banque» (maison de jeu) que si l'entrepreneur exploite professionnellement le jeu; il doit l'exploiter dans l'intention et dans le but de gagner de l'argent. Ce sera d'ailleurs presque toujours le cas, autrement l'entrepreneur n'aurait aucun intérêt à organiser des jeux. D'un autre côté, il n'est pas nécessaire qu'il y prenne part lui-même. Son gain peut consister dans certaines sommes payables d'avance (provisions, taxes, etc.); il reçoit aussi des sommes fixes ou une part déterminée des mises, sans participer aux chances de gain des joueurs. Il y a des jeux de
hasard dans lesquels les joueurs tiennent la banque à tour de rôle et jouent contre les autres joueurs; dans ce cas l'entrepreneur perçoit des sommes fixes. Dans ces sortes de jeux, l'exploitation est aussi une source de revenus pour l'entrepreneur.

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Lorsque nous exigeons que le jeu soit exploité professionnellement, nous nous plaçons au point de vue de l'entrepreneur. Cette circonstance doit être bien distinguée du motif qui pousse le joueur à jouer; c'est ce motif qui crée la différence très importante qu'il y a entre le jeu d'agrément et le jeu intéressé; nous en parlerons encore plus loin. Cette différence est sans importance en ce qui concerne l'exploitation professionnelle du jeu par le tenancier. Il est évident que ce dernier peut exploiter le jeu dans un but de lucre, alors même que tous les joueurs ou la plupart d'entre eux ne jouent que pour l'agrément. Le montant des enjeux, qui est de la plus haute importance pour la qualification du jeu au point de vue du joueur, n'est pas encore une preuve de l'activité professionnelle de l'entrepreneur, même lorsque ce dernier participe aux chances de gain. Il est vrai que dans ce cas les mises élevées augmentent le bénéfice de l'entrepreneur; mais les gains s'ajoutent les uns aux autres pour lui et constituent un bénéfice même lorsque les mises sont si faibles que le joueur peut difficilement être tenté de jouer de son côté dans un but de lucre. L'entrepreneur exploite le jeu professionnellement, même si les joueurs ne le font pas;, il tient la banque, que le public joue pour de l'argent ou simplement pour son plaisir.

On a prétendu que les installations de jeux dans les kursaals suisses ne rentraient pas dans la catégorie des maisons de jeu, attendu qu'elles ne versent soi-disant aucune somme aux sociétés des kursaals, le produit net de l'exploitation des jeux devant, en effet, d'après les prescriptions existantes et à part un modeste dividende représentant l'intérêt du capital engagé dans l'entreprise, être consacré entièrement à des oeuvres d'utilité publique, notamment au développement de l'industrie des étrangers. Cette argumentation se contredit elle-même et ne se soutient pas au point de vue juridique. Il est incontestable que les kursaals retirent de l'exploitation des jeux des bénéfices considérables, et c'est là le but principal de l'installation des jeux. Ce qui le prouve bien, c'est que les sociétés des kursaals ont toujours affirmé que c'était grâce au produit des jeux qu'elles pouvaient organiser dans les grandes stations d'étrangers toute espèce d'attractions coûteuses, telles
que les concerts et les représentations théâtrales, si bien qu'en supprimant, les jeux on devrait renoncer a la plupart de ces attractions, faute de moyens suffisants; que c'était même une question d'existence pour certains kursaals.

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L'emploi du produit de l'exploitation des jeux à des oeuvres d'intérêt général et d'utilité publique, notamment pour attirer les étrangers, ne saurait prouver que ces établissements ne sont pas des maisons de jeu, dans le cas où d'autres caractères obligeraient de les considérer comme tels.

D'un autre côté, l'emploi du produit des jeux est une chose ·qui n'a rien à voir avec la question de principe concernant les jeux; une entreprise a-t-elle le caractère d'une maison de jeu, la manière d'employer le produit du jeu ne lui fait pas perdre cette qualité, quand même ce produit profiterait au public ou même dans une certaine mesure aux joueurs.

3. Il est plus difficile de résoudre la question de savoir si les exploitations publiques, accessibles au public en général, peuvent seules être considérées comme des maisons de jeu, ou s'il faut comprendre aussi sous cette dénomination les jeux exploités dans des sociétés privées et fermées. Les autorités fédérales n'ont jamais eu à ce sujet d'opinion bien arrêtée. En 1871, Stämpfli ayant proposé un article interdisant d'ouvrir des maisons de jeu, la commission du Conseil national pour la revision de la constitution voulait d'abord le modifier de manière qu'il ne s'appliquât qu'aux « maisons de jeu publiques»; on a ensuite supprimé le mot «publiques», ce qui peut s'expliquer par deux raisons diamétralement contraires : ou bien on considérait que la publicité était déjà renfermée dans la notion de maison de jeu et qu'il était dès lors superflu de l'indiquer, ou bien on voulait interdire non ·seulement les maisons de jeu publiques, mais encore les maisons de jeu privées, ce qui supposait que l'on ne considérait pas l'élément de la publicité comme renfermé déjà dans la notion de maison de jeu. La suppression du mot « publiques » n'autorise donc aucune conclusion sur la conception qui prévalait à cette époque.

Le Conseil fédéral, de même que le département de justice, ont témoigné d'une manière claire et précise dans toute une série de décisions qu'ils considéraient que les établissements de jeu privés ne tombaient pas sous le coup de l'article 35 de la constitution fédérale. Nous renvoyons notamment à l'arrêté rendu en 1911 ordonnant la fermeture du cercle des étrangers de Genève, pour ces deux motifs, jugés décisifs, qu'on y jouait des sommes élevées et qu'il
ne s'agissait pas d'une société fermée. D'un autre côté, le Conseil fédéral a fait remarquer dans son arrêté sur le recours Egli {en 1903) que l'article 35 ne faisait aucune distinction à ce

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sujet, mais qu'au contraire il interdisait toutes les maisons de jeu, publiques, privées ou clandestines. Le département fédéral de justice écrivait de son côté en 1895 à celui de Genève que, si l'on jouait avec des mises élevées dans les cercles, ces établissements devaient être considérés comnie des maisons de jeu. Toutefois on peut dire que la jurisprudence du Conseil fédéral a admis presque constamment que' la publicité de l'exploitation du jeu était une des conditions de l'existence d'une maison de jeu au sens de l'article 35.

C'est ce qu'a exprimé dernièrement encore le département fédéral de justice dans sa lettre du 1er février 1915 au département de justice des Grisons, dans l'affaire de l'«Engadine club » de St-Moritz.

On ne saurait soutenir sans réserve que seuls les établissements publics peuvent être considérés comme des maisons de jeu. Il est vrai qu'il y a de bonnes raisons en faveur de cette interprétation. L'expression « maison de jeu » (Spielhaus) semble désigner plutôt une exploitation accessible au.

public; on ne comprendrait guère que le texte allemand se serve de l'expression « Spielbank » pour désigner une société de jeu fermée. De pareilles sociétés n'auraient évidemment pas besoin d'une concession. Lorsque l'article 35 dispose dans son deuxième alinéa que les concessions qui auraient été accordées sont déclarées nulles, il est évident qu'il ne vise que les entreprises publiques. Mais ce qui parle le plus en faveur de cette interprétation c'est la « ratio legis », c'est-àdire la raison qu'avait le législateur d'édicter une défense gui vise surtout le danger économique des maisons de jeu.

Oe sont, en effet, principalement sinon uniquement ' les exploitations de jeu publiques, auxquelles le public a libre accès, qui présentent ce danger. On ne peut pas dire que le bien public soit directement compromis lorsque seuls les membres d'une société fermée prennent part au jeu et s'exposent à subir des pertes; ces entreprises privées ne donnent guère au public la tentation de jouer.

Mais la publicité n'est pas exclue par le simple fait qu'il faut être porteur d'une carte de légitimation pour avoir accès aux salles de jeu, comme cela se pratique dans quelques kursaals de la Suisse. Ces restrictions apportées à la fréquentation du jeu ne l'empêchent pas d'être accessible à un cercle
de personnes indéterminé; c'est cette circonstance précisément qui constitue le critère de la publicité. H n'en est pas ainsi lorsque le jeu n'est accessible qu'à un certain nom-

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bre de personnes que l'on reçoit dans une société privée à certaines conditions, et que l'on considère dès lors comme membres de la société. Le Conseil fédéral a toujours inter-< prêté la publicité dans ce sens; il a dû rechercher attentivement dans bien des cas si, par des restrictions plus ou moins fictives, on n'avait pas cherché à donner à une exploitation réellement publique l'apparence d'un établissement privé.

4. Remarquons que seuls les jeux de hasard (Zufalls-,, Glücks- ou Hasardspiele) -- par opposition aux jeux d'adresse ou de réflexion -- peuvent constituer des maisons de jeu. Cette distinction touche à l'essence du jeu et porte sur les facteurs qui déterminent le résultat du jeu. Il est parfoisdifficile de marquer la limite entre les deux sortes de jeux.

Mais ce problème n'a jamais soulevé de difficulté en pratique dans la question des maisons de jeu, de sorte que nous pouvons nous dispenser d'entrer dans plus de détails à ce sujet. Nous considérons comme jeu de hasard tout jeu dont le résultat dépend exclusivement ou principalement du hasard. Il est vrai que l'activité du joueur et les mises sont aussi un facteur de succès dans les jeux de hasard ; mais le cours même du jeu qui amène le résultat final est tout à fait fortuit, et le joueur n'a sur lui aucune influence quelconque. Il s'est toujours agi de jeux de ce genre dans les cas où il fallait décider si l'exploitation d'un jeu était compatible avec l'article 35.

5. Une autre condition d'une maison de jeu consiste dans un enjeu en argent ou en une valeur susceptible d'être appréciée en argent. Qu'on supprime la mise et le gain en argent, on admettra difficilement qu'un entrepreneur puisseexploiter professionnellement le jeu dans un but de lucre; au reste, il n'y aurait absolument pas de motif de supprimer un jeu qui n'offre pas le danger de faire perdre de l'argent aupublic. Les jeux de hasard, de par leur nature et leur raison d'être, ne s'entendent guère qu'avec des enjeux susceptibles d'être appréciés en argent, puisque sans cela, le résultat étant fortuit, ils n'offriraient aucun attrait. Il en est autrement des jeux d'adresse, où le résultat du jeu est influencé parl'habileté des joueurs et qui, leur procurant par là déjà une certaine satisfaction, ont moins besoin d'un enjeu en argent pour éveiller l'intérêt.

Il est facile
de reconnaître dans chaque cas si l'on jouepour de l'argent ou non; mais cette constatation ne résout pas la difficulté que soulève la définition de cet élément de jeu..

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Gar il ne s'agit point en réalité de savoir si par maison de jeu il faut entendre l'exploitation de jeux de hasard avec enjeux en argent, mais si le montant des enjeux doit entrer en ligne de compte, s'il peut exercer une influence sur le caractère du jeu et s'il a dès lors une importance de principe. C'est là le noeud du problème des maisons de jeu. Cette question est en rapport très étroit avec la distinction établie ci-dessus entre le jeu d'agrément et le jeu d'intérêt.

Le Conseil fédéral a toujours admis dans sa jurisprudence que le montant des enjeux avait une importance essentielle pour la notion des maisons de jeu. 'A cet égard aussi, il s'est inspiré du but qu'a voulu atteindre le législateur par l'interdiction : la suppression des maisons de jeu qui présentent pour le public un danger économique et moral.

Or ce danger n'est appréciable que lorsque les jeux sont pratiqués en vue du gain, c'est-à-dire par esprit de lucre.

Lorsqu'on ne joue que pour se divertir, le jeu n'occasionne guère des pertes considérables et il n'y a pas à craindre non plus qu'en excitant chez le joueur la passion du jeu ou en le détournant du travail, il exerce sur lui une influence pernicieuse. Un pur jeu d'agrément ne tombe donc pas, selon le sens et le but de l'interdiction constitutionnelle, sous le coup de l'article 35 de la constitution. Le jeu de hasard n'est pas seulement un jeu d'agrément quand les enjeux et les gains en argent font complètement défaut -- on joue rarement à des jeux de hasard sans enjeux -- mais quand ils sont si faibles que l'intérêt du joueur ne peut être le but du jeu ou n'en peut être qu'un but accessoire. A un faible enjeu correspond 'un gain proportionné, qui est représenté par un multiple de l'enjeu. En jouant avec de faibles enjeux, le joueur ne s'expose pas à perdre de grandes sommes, même s'il est poursuivi par la malchance; d'un autre côté, il ne sera pas tenté de continuer le jeu par esprit de lucre, le gain qu'il peut espérer étant trop peu important. Ce qui distingue le jeu d'agrément du jeu intéressé, ce n'est pas l'existence d'un enjeu, mais le montant de l'enjeu. Un enjeu sans importance rend le jeu plus attrayant, sans convertir une distraction en une opération de lucre et donner au jeu le caractère dangereux qui justifie sa suppression. Si l'on admet qu'un jeu sans enjeu
en argent, par conséquent sans danger pour le public, ne constitue pas une maison de jeu, on doit admettre qu'il en est de même lorsque les joueurs jouent pour de l'argent, avec des enjeux si faibles que le jeu ne saurait constituer un danger pour le public. Plus les enjeux

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sont élevée, plus les pertes sont considérables et plus est grand le danger que le joueur se laisse séduire par l'appât de gains importants. Les jeux avec mises élevées sont dan.gereux au point de vue économique et moral ; on y joue plus par esprit de lucre que pour se divertir; ils sont donc condamnables. L'article 35 de la constitution fédérale a précisément pour but d'interdire de semblables jeux.

C'est guidé par ces vues que le Conseil fédéral a tou.jours considéré le montant des enjeux comme 'la chose essentielle et le véritable critère pour juger si une exploitation de jeux tombait ou non sous le coup de l'interdiction.

Dans l'application de l'article 35, le Conseil fédéral a constamment fait remarquer qu'une maison de jeu ne pouvait ·être tolérée qu'a la condition que le montant des enjeux ne fût pas dangereux. C'est en s'inspirant de ce principe que dans son arrêté du 12 septembre 1913 il a déterminé les conditions dans lesquelles l'exploitation des jeux de hasard dans les kursaals ne constituent pas une violation de l'article 35 et fixé l'enjeu maximum d'un joueur pour un tour de jeu à .2 francs ou à 5 francs, suivant que les jeux sont accessibles au public avec ou sans une carte de légitimation.

Le Conseil fédéral estime encore aujoxird'hui qu'il n'y a pas lieu de s'écarter de cette interprétation, qui est celle, à ;son avis, qui répond le mieux au sens et à l'esprit de l'interdiction des maisons de jeu.

Il n'en a pas moins toujours apprécié à leur valeur les raisons qui la combattent. Elle fait dépendre le caractère de maison de jeu d'une quantité qu'aucune règle sûre et d'une portée générale ne permet de déterminer. Il est impossible, du moins en théorie, de fixer pour le montant des enjeux une limite au delà de laquelle le jeu devient intéressé et en deçà de laquelle il reste un jeu d'agrément. Elle varie naturellement suivant les couches de la population et, à l'intérieur de la même couche, suivant les individus, c'est-à-dire suivant leiu- situation financière et leurs habitudes. Où une per-sonne joue en vue de réaliser un gain, telle autre risque la même mise ou même une mise supérieure pour le seul plaisir de jouer. Le danger économique est tout aussi relatif; des pertes répétées de un ou de quelques francs peuvent être .graves pour un homme peu aisé, alors que pour un homme
riche la perte de sommes élevées pourra être de peu d'importance. Il est difficile de fixer la limite et de dire où commence le danger économique et moral du jeu; mais la diffiFeuille fédérale suisse. 68me année. Vol. III.

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culte de distinguer entre les deux sortes de jeux ne prouve pas qu'on n'ait pas raison de les distinguer.

On trouve du moins un critère d'une justesse approximative en prenant pour base une moyenne générale. Et on est obligé de le faire, si on veut appliquer d'une manière uniforme et d'après le même principe l'interdiction des maisons de jeu. Pour juger d'après le montant des enjeux si l'on a affaire à.un jeu d'agrément ou à un jeu intéressé, on ne saurait tenir compte de la situation individuelle du joueur; autrement, il serait impossible de décider si telle exploitation de jeu doit être considérée comme une maison de jeu; à l'égard de tel joueur, il faudrait, suivant les motifs et le but de sa participation au jeu, trancher la question par l'affirmative, à l'égard de tel autre par la négative, alors que la décision doit être prise suivant un principe général et le même pour chaque établissement. On doit donc se fonder sur une moyenne générale.

C'est ce que le Conseil fédéral a tenté de faire spécialement pour les jeux des kursaals suisses dans son arrêté du 12 septembre 1913. Le public qui fréquente les kursaals et prend part aux jeux est très mélangé; à côté des étrangers, de nombreux habitants du pays participent aux jeux, sinon partout dans le même proportion. En ce qui concerne les étrangers qui visitent notre pays on peut admettre qu'ils jouissent en général d'une certaine aisance permettant de ne» pas fixer trop bas le maximum des enjeux. Mais si l'on veut que l'article 35 atteigne son but, il faut viser, dans sou application, à protéger aussi la population indigène. Comme parmi les habitants du pays qui prennent part aux jeux, il en est de condition assez modeste, on doit abaisser le plus possible le maximum des enjeux, au risque de mécontenter- les gens aisés et notamment les étrangers exigeants et de rendre pour eux le jeu sans attrait. La diversité du public qui fréquente les kursaals a conduit aussi à établir pour les enjeux des maxima différents, suivant qu'un contrôle est exercé ou non à l'entrée.

Grâce à ces prescriptions restrictives et aux autres mesures qui ont été prises et auxquelles se sont d'ailleurs soumises librement la plupart des sociétés de kursaals, les jeux de ces établissements ont perdu la plus grande partie de leurs dangers. On ne peut plus guère prétendre qu'ils présentent pour le bien public un danger que le législateur de la constitution devrait se faire un devoir de supprimer. Avec;

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des enjeux maxima de 1 ou 2 francs,, le public des kursaals, y compris les habitants du pays, ne jouera plus, à de très rares exceptions près, que pour l'agrément. La perspective d'un gain médiocre excitera difficilement la passion du jeu.

Nous croyons donc pouvoir dire que les motifs qui ont fait adopter l'article 35 ne justifient pas son application aux jeux, de hasard actuellement exploités dans les kursaals suisses.

Nous n'avons en vue, il est vrai, que l'espèce de jeu et le genre d'exploitation qui se soumettent au règlement des sociétés des kursaals et aux directions du Conseil fédéral; nous n'hésiterions pas à considérer comme maison de jeu dans le sens de l'article 35 une entreprise qui exploiterait toute espèce de jeux de hasard sans limiter le montant des enjeux.

V.

Nous passons à l'examen et à la critique du projet d'initiative.

1. Le projet remplace la notion actuelle des maisons de jeu, telle qu'elle résulte de la jurisprudence du Conseil fédéral, par une notion qui ne comprend plus, d'après le texte même du projet, que deux éléments, savoir : a. Une entreprise. Le sens de cette expression n'est pas au-dessus de toute espèce de doute. Elle suppose en tout cas une organisation spéciale, ainsi qu'un local aménagé en vue d'une exploitation durable. C'est d'ailleurs ce qu'on peut conclure de l'expression « maison de jeu » que l'on a maintenue dans le projet. A ce point de vue, le projet n'apportera pas de modification à l'état actuel des choses, et nous pouvons nous contenter de renvoyer à ce qui a été exposé plus haut sous IV, chiffre 1.

b. L'exploitation de jeux de hasard. On a également fait observer déjà (voir IV, 4) qu'il est difficile de marquer la limite entre un jeu de hasard et un jeu d'adresse, mais qu'on n'avait guère l'occasion de le faire en pratique. Jusqu'à présent on n'a pas tenu compte des jeux dont le résultat n'est pas dû ou du moins n'est dû qu'en partie au hasard pour décider si l'on avait affaire à une maison de jeu; il.en sera de même à l'avenir.

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Le projet d'initiative ne comprenant pas l'élément de la publicité dans la définition qu'il donne des maisons de jeu, on doit en conclure qu'il ne considère pas la publicité de l'exploitation du jeu comme un élément de cette notion.

Il s'ensuit que les jeux de hasard exploités dans des sociétés fermées et qui ne sont accessibles qu'à leurs membres devraient tomber sous le coup de l'interdiction. Le projet n'exige pas que l'entrepreneur exploite le jeu professionnellement. On peut se demander toutefois si la notion de maison de jeu ne renferme pas l'exploitation professionnelle, ainsi que nous l'avons admis (voir IV, chiffre 2). Nous pouvons laisser la question ouverte, puisque l'établissement d'une exploitation de jeu durable avec une organisation spéciale peut toujours être considérée comme une entreprise professionnelle.

Enfin le projet ne semble pas même exiger qu'on joue pour de l'argent ou des valeurs susceptibles d'être estimées en argent. L'omission de cette exigence dans la définition s'explique probablement par le fait que la mise au jeu d'une valeur est considérée généralement comme impliquée dans la notion des jeux de hasard. La mise en argent doit évidemment constituer, d'après le projet aussi, un des éléments essentiels de la notion de maison de jeu. Nous avons déjà exposé plus haut (voir IV, chiffre 5) qu'on ne peut guère concevoir l'exploitation d'une maison de jeu sans enjeux en argent; d'ailleurs on ne verrait pas quel motif avait le législateur pour défendre des jeux incapabales d'entraîner le moindre gain et la moindre perte économique. Comprise autrement, la disposition de l'article 35 concernant l'interdiction des maisons de jeu n'aurait plus aucun rapport avec la disposition du dernier alinéa concernant les loteries. Par contre -- et ce point est très important -- on n'attribuerait aucune importance au montant des enjeux. La teneur de la définition, qui embrasse toute entreprise de jeux de hasard, interdit de faire à cet égard aucune distinction, et nous ne doutons pas qu'on ait précisément choisi ce texte dans le but de supprimer les distinctions introduites par la jurisprudence quant au montant des enjeux. Il suffirait des enjeux les plus faibles pour qu'on eût affaire à une « banque », c'està-dire à des jeux exploités dans un but de lucre par l'entrepreneur. Le motif qui
pousse une personne à jouer serait aussi indifférent; il n'y aurait pas à considérer si et dans quelle mesure elle prend part au jeu par esprit de lucre ou simplement pour se distraire.

ea La notion de maison de jeu, telle que l'entend le projet d'initiative, a une extension beaucoup plus grande que celle qui résulte de l'interprétation de l'article 35 par le Conseil fédéral. En déclarant maison de jeu et en interdisant comme telle toute entreprise qui exploite des jeux de hasard, elle enveloppe dans cette interdiction les exploitations de jeu privées et exclut toute prise en considération du montant des enjeux. Il est évident qu'aux termes de cette définition on doit considérer spécialement comme maisons de jeu les jeux exploités aujourd'hui dans les kursaals suisses. L'adoption, du projet d'initiative aurait pour conséquence de faire disparaître tous ces jeux, sans exception. Tel est le véritable but de l'initiative : la suppression des jeux de hasard dans les kursaals.

2. La définition des maisons de jeu que donne le projet d'initiative découle d'une conception opposée à celle dont s'est inspiré le Conseil fédéral dans l'application de Tinter-, diction des maisons de jeu. Nous ne croyons pas nous trom-.

per en disant que les initiants partent de ce principe que les maisons de jeu, dans l'acception la plus large du mot, sont moralement condamnables. Toute exploitation d'un jeu de hasard qui se joue pour de l'argent ou une autre valeur susceptible d'être appréciée en argent peut être, considérée comme moralement condamnable en ce qu'elle spécule sur la passion des hommes pour le jeu et en tire profit. Dès lors, que la morale condamne ou non le motif qui pousse une personne au jeu, que par conséquent le joueur joue pour se distraire ou par esprit de lucre, peu importe; il n'y a pas a considérer non plus si et dans quelle mesure l'exploitation du jeu est réellement préjudiciable. Tandis que le Conseil fédéral vise en première ligne à protéger le joueur, voyant avant tout dans le danger économique des jeux de hasard la raison de l'interdiction des maisons de jeu, les initiants semblent la voir dans l'activité de l'entrepreneur, qu'ils jugent immorale et voudraient supprimer.

.

Cette manière de voir, que nous présumons être l'idée dominante des initiants, peut certainement se défendre et on ne doit pas la rejeter de prime abord. Mais, pour choisir entre les deux solutions, il faut moins se fonder sur un axiome général que se demander quelle est la formule qui convient le mieux comme article constitutionnel et peut le mieux atteindre son but. On ne doit donc pas perdre de vue les conséquences pratiques de l'application de l'interdiction.

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3. Le projet d'initiative a un grand avantage sur l'article 35 actuel, celui de donner à l'interdiction des maisons de jeu un sens plus clair et plus précis. Il le doit à l'adoption d'une définition de la maison de jeu et à la concision qui la distingue. Par les éléments qu'elle renferme, comme par ceux qu'elle exclut, cette définition offre une base d'interprétation beaucoup plus sûre que l'article 35 actuel. On a d'ailleurs montré plus haut que son interprétation n'est pas exempte non plus de toute incertitude. Cette définition de la maison de jeu a le caractère rigoureux d'un principe. Elle supprime les distinctions subtiles entre le jeu d'agrément et le jeu intéressé, comme entre les diverses situations économiques des joueurs et les différents motifs qui les poussent à jouer.

Elle doit en particulier sa précision à ce qu'elle fait complètement abstraction du montant des enjeux et rejette ce critère incertain, qui n'est ni à l'abri de toute critique ni d'une application générale et qui donnera toujours quelque chose d'arbitraire à la détermination de la notion de maison de jeu.

Mais par là aussi le projet fait de l'interdiction des maisons de jeu une mesure draconienne très difficile à justifier. Nous estimons qu'interdire complètement tout jeu de hasard exploité professionnellement, c'est aller trop loin.

Une interdiction constitutionnelle des maisons de jeu ne peut à l'avenir, comme dans le passé, avoir d'autre sens et d'autre but que de préserver notre pays des maisons de jeu qui présentent un danger pour la population. On atteint suffisamment ce but, à notre avis, en restreignant considérablement l'exploitation des jeux dans les établissements existants et en. les soumettant à une surveillance constante, comme cela se pratique depuis longtemps. Grâce à ces restrictions, les jeux des kursaals ne présentent presque plus aucun danger. Or personne ne contestera la justesse de ce principe, que l'Etat ne doit restreindre la liberté individuelle des citoyens et la liberté de l'industrie qu'autant que l'exige l'intérêt général. Il ne doit pas recourir aux mesures les plus rigoureuses quand des mesures plus douces constituent pour le peuple une sauvegarde tout aussi efficace.

Nous devons en outre signaler un danger que l'acceptation du projet d'initiative entraînerait nécessairement, le danger
qu'on n'élude l'interdiction. Il serait incomparablement plus grand que sous le régime actuel; on peut le prédire avec certitude. H est difficile de faire disparaître en-

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fièrement les jeux de hasard; si on les interdit d'une manière .absolue et sous toutes les formes, ils se joueront à huis clos et deviendront plus dangereux que pratiqués publiquement, parce qu'ils échapperont à la surveillance de l'Etat. L'application de l'interdiction imposerait aux autorités fédérales et cantonales une tâche autrement ardue que ne l'a fait jusqu'ici l'application de l'article 35. Comment les organes de l'Etat pourraient-ils atteindre toutes les entreprises de jeux de hasard exploitées dans des sociétés privées ? Car ces .entreprises tomberaient aus.si sous le coup du nouvel article de la constitution. L'interdiction constitutionnelle ne pourrait donc être appliquée strictement, et c'est là un grave inconvénient du projet. La question de savoir si la règle à édicter est pratiquement applicable est une de celles dont le législateur ne peut se désintéresser, s'il ne veut créer de prime abord des difficultés aux autorités administratives et porter atteinte au prestige de la loi. Il devra donc examiner avec beaucoup de soin s'il ne vaut pas mieux tolérer un mal que l'on ne parviendra pas à extirper en l'abolissant dans la loi, quitte à le soumettre à une réglementation, qui lui ôtera justement ce qu'il a de dangereux. A cet égard, l'article 35 actuel, qui autorisait une interprétation dans le sens indiqué, est certainement préférable à l'interdiction absolue qu'on propose.

4. Après avoir pesé les raisons pour et contre le projet des initiants, nous n'avons pu nous convaincre que, comparé à l'ancien article 35, il représente une heureuse innovation.

Aux avantages d'une plus grande clarté et d'une interprétation plus sûre il joint certains caractères que nous considérons comme des inconvénients : une formule rigide qui le rend incapable de s'approprier aux circonstances nouvelles et lierait les autorités dans l'application future de l'interdicïion, une extension beaucoup trop grande de celle-ci, une rigueur inutile, d'où un danger plus grand que la loi ne soit éludée et une aggravation des difficultés d'exécution. Ces inconvénients nous paraissent l'emporter sur les avantages.

Sans doute, l'article 35 actuel n'est rien moins qu'une disposition parfaite et idéale. Il est au contraire, comme l'a révélé une expérience de plusieurs dizaines d'années, l'un des plus épineux de la constitution
fédérale et dont l'application a rencontré le plus de difficultés. Et pourtant c'est grâce à lui que le fameux « tripot » de Saxon a disparu, que, dans la .suite, de dangereuses sociétés de jeu ont pu être supprimées,

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t;t qu'enfin les jeux de hasard dans les kursaals peuvent êtrequalifiés de sans danger. Le but que se proposait l'interdiction constitutionnelle des maisons de jeu a donc somme toute été atteint.

VI.

Comme de justes motifs s'opposent à l'acceptation du projet, nous avons profité de l'occasion que nous offrait l'initiative pour chercher une autre solution qui permettrait de remplacer l'article 35 par une disposition répondant mieux encore aux besoins de la pratique. Cette disposition n'interdirait pas complètement les jeux de hasard, mais tâcherait de définir clairement les jeux admissibles et devrait être, autant que possible, d'une application pratique. Il nous a paru avant tout désirable d'éviter entièrement l'expression de «maison de jeu» («Spielbank» et « Spielhaus »), pour mettre un terme aux difficultés d'interprétation qu'elle soulève.

On pourrait parfaitement s'en passer. L'interdiction des maisons de jeux prévue par l'article 35 aussi bien que par le projet d'initiative pourrait donc être remplacée par une disposition prescrivant que la concession des jeux de hasard publics avec enjeux en argent est de la compétence de la Confédération, qui en contrôle l'exploitation. On pourrait aussi se servir de la même formule que pour les loteries, qui.

présentent les plus étroits rapports avec ces jeux, et la fondre avec le dernier alinéa de l'article 35, de sorte que le nouvel article serait ainsi conçu : « La Confédération peut prendre les mestires nécessaires concernant les jeux de hasard, publics et les loteries. » Dans les deux cas, on poserait un principe général, dont l'exécution serait réglée par la législation fédérale, comme devrait l'être aussi l'exécution de l'article 35, 3e alinéa. Les mesures nécessaires contre les jeux de hasard ne pourraient être prises par les autorités administratives que sur la base de dispositions légales touchant la; nature et l'étendue de ces mesures. Dans le cas où l'on donnerait à la première formule la préférence, il faudrait au moins fixer par une loi les conditions à remplir pour obtenir la concession et la procédure à suivre pour l'accorder.

Il résulte de là que les deux propositions ne résoudraient pas le problème des jeux de hasard; elles changeraient seulement la base juridique de la solution à lui donner et renverraient celle-ci à un temps indéterminé. Seule la loi fédérale à édicter pourrait déterminer le cadre dans lequel les jeux

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de hasard seraient autorisés et fixer les conditions de leur exploitation. -Cette loi pourrait tenir .compte, il est vrai, desexpériences faites et trouverait sans doute de précieuses indications dans le règlement des sociétés des kursaals et dans l'arrêté du Conseil fédéral du 12 septembre 1913. Mais les.

difficultés d'une solution satisfaisante surgiraient de nouveau, et il est à craindre que l'opposition des abolitionnistes et des divergences d'opinion parmi les partisans mêmes de la réglementation des jeux ne fissent échouer la loi. Avec un.

simple principe posé dans la constitution on n'obtiendrait même pas le résultat que permet d'atteindre l'article 35 actuel, lequel dans son interdiction des maisons de jeu contient au moins une règle de droit matériel qui confère au Conseil fédéral la compétence et lui impose l'obligation de: veiller à l'observation de l'interdiction et de prendre des mesures contre les exploitations de jeux qu'il estime contraires, à la constitution. Il faudrait donc une disposition transitoire qui conserverait au Conseil fédéral jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi, les compétences qu'il possède actuellement en vertu de l'article 35.

La revision de la constitution dans le sens de ces propositions non seulement ne supprimerait pas la question des maisons de jeu, mais compliquerait encore la situation juridique et en ajournerait pour longtemps le règlement définitif. Enfin rien ne garantit qu'une loi fédérale permettrait, de surveiller plus étroitement les jeux de hasard que le système actuel et de lutter plus efficacement contre les dangers/ qu'ils présentent; car ce n'est pas seulement la lettre de la loi qui importe, mais avant tout son application.

Pour éviter ces conséquences, on pourrait essayer de déterminer dans le nouvel article constitutionnel lui-mêmeles caractères d'un jeu de hasard admissible, soit en mainte-?

nant en principe l'interdiction des maisons de jeu et en y ajoutant une définition de ces établissements différente de la définition du projet, soit en laissant de côté cette notion et en déterminant les conditions auxquelles l'exploitation des jeux de hasard est licite. Mais pour des raisons de principe et des raisons pratiques cette voie n'est pas non plus pratir cable. La constitution ne pose que les principe; c'est aux lois,, ordonnances et
autres actes législatifs d'en régler l'applica^ tion. Il ne faut donc pas songer à réglementer les jeux dans la constitution même. Tout au plus pourrait-on déterminer quelques-unes des conditions les plus essentielles (notamment

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en ce qui concerne les systèmes de jeu admissibles et le montant des enjeux). Mais .un pareil article constitutionnel manquerait sans doute de l'élasticité voulue; il cesserait bientôt de s'adapter à un état de choses qui évolue constamment et au bout d'un temps relativement court devrait être revisé.

Ce serait encore le Conseil fédéral qui devrait en surveiller l'observation. Il devrait encore, comme il l'a fait jusqu'ici, décider dans chaque cas particulier si telle exploitation de jeu n'est pas contraire à la constitution, et, comme celle-ci ne détermine pas les caractères qui rendent un jeu admissible, il devrait derechef les déterminer lui-même. Le nouveau régime ne serait guère différent du régime actuel, mais il aurait cet inconvénient de lier le Conseil fédéral, précisément dans les questions les plus importantes, par une formule qui, peu de .temps après peut-être, se révélerait insuffisante, au lieu qu'aujourd'hui il peut du moins, dans l'application de l'article 35, tenir compte de l'évolution des choses.

Nous renonçons par ces motifs à l'idée d'élaborer un projet de revision distinct de celui de l'initiative.

VII.

Entre le projet d'initiative et l'article 35 actuel de la constitution fédérale, le Conseil fédéral, pour les raisons exposées plus haut, ne saurait hésiter et donne la préférence à ce dernier, qui lui paraît toujours, malgré certains avantages incontestables du projet, la solution, sinon idéale, tout au moins la meilleure. Il ne se dissimule pas que l'application de l'article 35, s'il est maintenu sous sa forme actuelle, lui imposera comme par le passé une tâche délicate et hérissée de difficultés. Il saluerait donc avec joie toute revision de cet article qui dissiperait les doutes auxquels son interprétation a donné lieu et -.supprimerait une fois pour toutes les difficultés que rencontre son application. Mais on ne doit toucher au texte de la constitution que s'il y a nécessité de le reviser et si cette revision constitue un progrès véritable.

Le projet d'initiative, en tant du moins qu'il s'agit de son contenu, ne satisfait pas, suivant le Conseil fédéral, à cette exigence. L'article 35 a créé, en ce qui concerne les maisons de jeu, un état de choses supportable; quant à savoir si l'adoption du projet d'initiative aurait des résultais encore plus

75 satisfaisants, c'est ce dont aux yeux du Conseil fédéral on n'a aucune garantie.

Par ces motifs, et en application de l'article 10 de la loi fédérale du 27 janvier 1892 concernant le mode de procéder pour les demandes ·d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, nous vous proposons de décider de rejeter la demande d'initiative et de la soumettre à la votation du peuple et des cantons, en leur en proposant le rejet et sans présenter de contre-projet de l'Assemblée fédérale.

Veuillez agréer, monsieur le président et messieurs, l'assurance de notre parfaite considération.

Berne, le 27 mai 1916.

Au nom du Conseil fédéral suisse : Le président de la Confédération, DECOPPET.

Le chancelier de la Confédération, SCHATZMANN.

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Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant l'initiative populaire pour la modification de l'article 35 de la constitution fédérale (interdiction des maisons de jeu). (Du 27 mai 1916.)

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