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FEUILLE FÉDÉRALE 108e année

Berne, le 1er mars 1956

Volume 1

Paraît, en règle générale, chaque semaine. Prix: 80 francs par an; 16 francs pour six mois, plus la» taxe postale d'abonnement ou de remboursement Avis: 60 centimes la ligne ou son espace; doivent être adressés franco à l'imprimerie des Hoirs C.-J.Wyss, société anonyme, à Berne

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MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant l'insertion, dans la constitution, d'un article 27 ter sur le cinéma (Du 24 février 1956) Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous soumettre un projet d'arrêté fédéral concernant l'insertion dans la constitution d'un article 27 ter sur le cinéma et de vous exposer ce qui suit: I. Le cinéma, son histoire, son importance 1. Aperçu historique La première représentation cinématographique publique et payante, qui eut lieu à Paris le 28 décembre 1895, fut un événement dont on ne pouvait guère, à l'époque, mesurer toute la portée. Bien des contemporains pensèrent même qu'il s'agissait là d'une de ces innombrables inventions et innovations qui tombent au bout de peu de temps dans l'oubli ou restent confinées dans les champs de foire. En réalité, la naissance du cinéma avait fait s'unir la chimie, l'optique, la mécanique et l'électricité en un tout extraordinaire qui, après la presse et antérieurement à la radio, devait à bref délai exercer sur les masses une action sans exemple.

Particulièrement en France et en Italie, bientôt aussi en Suède et au Danemark, puis en Amérique et dans beaucoup d'autres pays, on vit apparaître des producteurs de films et de nombreuses salles de projection.

En 1912/1913, J. Lasky, M. Goldfish et Cecil-B. de Mille, à la suite de difficultés financières et pour des raisons météorologiques, se transportèrent de New-York dans un petit village du nom de Hollywood, qui était situé dans le voisinage de Los Angeles et allait devenu- la métropole mondiale de l'industrie cinématographique. Le film, ce nouveau mode d'expression, avait commencé sur un large front sa marche triomphale.

Feuille fédérale. 108« année. Vol. I.

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En Suisse, il fit son apparition en 1896, à l'exposition nationale de Genève. Au début du XXe siècle, le précurseur de notre cinéma indigène, Georg Hipleh-Walt, ouvrit à Zurich la première salle permanente, que d'autres suivirent rapidement. Après l'armistice qui termina la première guerre mondiale, le cinéma prit un nouvel essor. Aujourd'hui, notre pays compte 539 salles de projection, contenant 191 500 places.

La production cinématographique est chez nous presque aussi ancienne que la projection. Ses débuts sont antérieurs à la première guerre mondiale.

Peu après la fin. des hostilités, elle devint plus systématique. L'année 1924 vit se créer à Zurich la Prsesens-Film AG, laquelle fit au début, comme les autres producteurs, uniquement des films publicitaires. Elle tourna plus tard des films documentaires de long métrage (par exemple Abessinienflug), après quoi elle se voua principalement, et avec un réel succès, à la production de films scéniques; en 1933, elle sortit le premier film suisse en dialecte, Wie d'Warret würkt.

On fait néanmoins remonter d'ordinaire la naissance du film scénique suisse à l'année 1938, celle où la Praesens lança son Füsilier Wipf. Ce film, projeté pour la première fois à Baie le 8 septembre 1938, représente le début de la véritable production suisse parce qu'il est le premier qui ait donné satisfaction tant par son affabulation que par sa technique. D'une manière générale, il imprima à la production cinématographique suisse une forte impulsion, qui était liée, il est vrai, à des considérations relevant de la spéculation et dont les suites ne furent pas toutes heureuses. Des personnes plus ou moins qualifiées se firent producteurs de films pour des raisons purement commerciales. Comme il leur manquait généralement les bases économiques et artistiques voulues, leurs entreprises disparurent pour la plupart après un premier et unique film. Au cours de cette inflation malsaine, 3 films furent tournés en 1939; en 1940, il en parut 9; en 1941, leur nombre fut même de 13. Peu d'entre eux atteignirent une qualité à peu près satisfaisante. C'est ainsi que deux films seulement de la production de 1941 méritent d'être mentionnés, à savoir Landammann Stauffacher, de la Prsesens-Film, et Bornéo und Julia auf dem Dorfe, de la Pro-Film. Après qu'eurent paru 11 films en 1942 et 5
en 1943 -- parmi lesquels MarieLouise, de la Prsesens-Film --, cette surabondance se réduisit notablement.

L'évolution fut moins impétueuse et, pour des raisons inhérentes au marché des films, revêtit un caractère moins spéculateur dans la production des films documentaires. Le style du documentaire est très proche de la conception suisse de la vie et de notre tournure d'esprit; c'est la raison pour laquelle nos meilleurs films scéniques (par exemple celui de la PrsesensFilm Die letzte Chance, 1944, qui obtint plusieurs prix à l'étranger) se sont distingués par leur caractère fortement documentaire et par un affranchissement des artifices de l'atelier. Le court métrage suisse s'est assuré une position remarquable sur le plan international, peu avant la deuxième guerre

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mondiale et après celle-ci (pendant la guerre même, le soin de tourner des documentaires fut assumé par le service cinématographique de l'armée).

Les documentaires suisses ont souvent été applaudis dans des manifestations cinématographiques internationales (festivals de Venise, de Cannes, d'Edimbourg, congrès du cinéma). Ce genre de film n'a pas exercé sur les spéculateurs le même attrait que le film scénique des années 1939 à 1943; il s'est développé de façon plus modeste, mais aussi plus constante et plus organique.

L'invention du cinéma sonore est une nouvelle date importante dans l'histoire du cinéma. Le 27 octobre 1927, fut projeté pour la première fois, en Amérique, le film The Jazz Singer, où jouait le nègre Al Jolson. Grâce au son optiquement enregistré, le cinéma s'enrichit de l'élément acoustique; mais il perdit en même temps son caractère international, du fait que le langage parlé n'était plus compris partout. Les films durent être ou bien synchronisés après coup (c'est-à-dire être parlés après coup dans d'autres langues), ou bien sous-titrés. Mais le film sonore finit par s'imposer, malgré les troubles économiques auxquels donnèrent heu le rééquipement technique des salles de cinéma, et les limitations linguistiques restreignant l'exploitation.

La création, au cours de ces dernières années, du cinéma en relief (Breitwandverfahren, Naturai Vision, Cinemascope, Cinerama, Raumfilm, etc.) n'a pas, du point de vue historique et artistique, l'importance que revêtit le passage du film muet au film sonore; il constitue seulement une nouvelle différenciation, sans modifier essentiellement le caractère fondamental de la représentation. Certains connaisseurs sont même d'avis que le cinéma en relief apporte, pour le moment tout au moins, un appauvrissement.

Le 6 août 1932, eut lieu à Venise, en même temps que la «Biennale», la première exposition internationale de l'art cinématographique. Le cinéma avait définitivement conquis ses lettres de noblesse et le temps où il n'était qu'un divertissement de champ de foire était révolu; il était devenu une puissance du monde moderne.

2. Importance psychologique et sociologique du cinéma Du point de vue psychologique, le cinéma est un mode d'expression qui a ses caractères spécifiques. D'abord, l'obscurcissement de la salle de projection modifie chez
le spectateur le sens du temps et endigue ses facultés critiques. Secondement, le cinéma, s'adressant avant tout à la vue, est compris sans grand effort intellectuel; d'où sa force de suggestion. En outre, il s'est développé avec le temps un véritable langage cinématographique; la succession des différentes séquences (rythme des images) et des positions (photos d'ensemble, plans moyens et gros plans) ainsi que leur durée sont des éléments essentiels de la grammaire cinématographique, que le spec-

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tateur, il est vrai, reconnaît rarement de lui-même, mais qu'il vit dans leur effet. La passivité déclenchée chez le spectateur de cinéma, qui le rend réceptif au récit filmé, abolit en lui la séparation habituelle entre le conscient et l'inconscient et permet par conséquent de faire directement appel à ce dernier; de tous les arts, le cinéma est celui qui est vécu le plus fortement par les êtres auxquels il s'adresse. En raison de la puissance de pénétration du langage cinématographique et de la possibilité qu'il a de profiter de l'absence de sens critique de l'inconscient (lequel parle également par images et par symboles), les systèmes totalitaires ont constamment voué au film une attention particulière.

Du point de vue sociologique, c'est avec raison qu'on a baptisé la salle de projection «le théâtre des petites gens», encore que les milieux financièrement et socialement bien placés de la population la fréquentent de plus en plus. Le fait qu'on peut se décider au dernier moment de s'y rendre, et sans faire toilette, son prix d'entrée plutôt modeste, la probabilité d'y trouver un agréable délassement et l'oubli des soucis journaliers, agissent comme un aimant sur d'innombrables personnes. Le spectateur vit au cinéma des aventures qui lui sont interdites, mais dont il peut emporter le reflet ; il pénètre là dans des milieux sociaux qui lui sont généralement fermés ; il y trouve en quelque sorte les succédanés de ses aspirations insatisfaites; en outre, défilent sous ses yeux des pays et des continents qu'il n'aura jamais l'occasion de visiter. Le cinéma fournit matière à ses rêves et à sa fantaisie.

II. Etat actuel et organisation du cinéma en Suisse 1. Les trois secteurs du cinéma L'économie cinématographique comprend trois branches, qui sont: la production, c'est-à-dire la confection des films, le louage ou distribution, soit le commerce qui sert d'intermédiaire entre la production et la représentation, et les salles de projection, qui présentent les films au public.

Dans les premiers temps, de 1895 à 1904 environ, les producteurs vendaient directement aux salles les copies des films qu'ils tournaient.

Mais l'énorme développement du cinéma nécessita bientôt, entre la production et les salles toujours plus nombreuses, un corps intermédiaire, à savoir le commerce de louage. Celui-ci prend en
charge les films confectionnés par le producteur et les fournit aux salles de projection. Aussi le louage occupe-t-il, du point de vue économique et culturel, une position-clé, surtout dans notre pays, qui ne produit lui-même qu'un très petit nombre de films et en est presque exclusivement réduit a importer des films étrangers.

a. La production cinématographique professionnelle embrasse actuellement dans notre pays une trentaine de maisons. Deux d'entre elles seulement (la Prsesens-Film AG et la Gloria-Spielfilm AG, toutes deux à

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Zurich) font des films scéniques; les autres producteurs tournent des films qui leur sont commandés par des autorités ou par des particuliers (films publicitaires et de propagande sur l'industrie, le tourisme, l'hygiène publique, la recherche, etc.).

La production de films scéniques n'est pas une tâche facile. En raison de la pluralité de nos langues et du nombre limité de nos salles, il est absolument impossible d'amortir en Suisse, même approximativement, le coût d'un tel film. Le producteur de films scéniques doit par conséquent pouvoir les exporter. Cela est, il est vrai, possible dans de nombreux pays. Mais la confection de versions en langues étrangères et les frais généraux d'exploitation absorbent une part importante du rapport brut. D'autre part, les producteurs suisses ne possèdent ni les moyens techniques, ni le personnel, ni les fonds nécessaires, pour sortir des films scéniques d'une façon plus ou moins continue. En fait d'atelier pour la confection de tels films, il n'existe actuellement qu'une modeste installation à Zurich. Le personnel artistique (auteurs de scénarios, metteurs en scène, photographes, découpeurs, etc.)

est peu nombreux dans notre pays, ce qui s'explique par le fait que les débutants n'ont pas de possibilités de travailler. Enfin, du point de vue financier, il faut pouvoir investir dans un film scénique 800 000 à 1 million de francs. C'est pourquoi les producteurs sont généralement obligés d'attendre les premières rentrées importantes de Suisse et de l'étranger, avant de pouvoir songer à engager de l'argent dans un nouveau film; cela allonge les pauses entre les productions et accroît les frais généraux permanents.

Après la hausse causée par la spéculation dans les années 1940 à 1943 (voir le chapitre premier), la production est tombée à un film par année en moyenne (voir le tableau I).

Le cas est autre pour la production sur commande. Ces dernières années ont été vraiment favorables pour elle. Les productions de films documentaires dites libres, c'est-à-dire de documentaires tournés sans avoir été commandés et ayant des sujets choisis librement par le producteur, ont malheureusement presque disparu, parce que ces filins comportaient un risque trop grand et qu'ils avaient de trop faibles possibilités d'exportation.

Un film de ce genre, loué en Suisse comme film
de complément, rapporte au plus 10 pour cent des frais de production; même si l'on parvient à le vendre dans un certain nombre de pays, il est douteux que les 90 pour cent restants rentrent sous la forme de paiement de licences, car, d'une manière générale, il est fait beaucoup trop de films de court métrage, ce qui pèse sur les prix. Pour les films exécutés sur commande, le producteur sait du moins qu'il couvrira ses frais. Mais il est clair que peu d'entre eux sont propres à être exportés. Et s'ils ont la qualité voulue, ils se heurtent malheureusement dans nombre de pays à des lois de protection qui limitent de façon massive l'entrée de filma documentaires étrangers et vont même jusqu'à l'empêcher. Dans ces pays-là, la production des courts métrages jouit non seulement d'une protection obligeant plus ou moins les salles à

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les projeter (Italie, France, Angleterre), mais encore d'une aide financière de l'Etat, ce qui, naturellement, favorise la production indigène et réduit ou supprime entièrement le besoin de recourir à la production étrangère.

Pour ces raisons, il y a relativement peu de films suisses de complément qui parviennent à l'étranger. Il est évident que les films exécutés sur commande, malgré l'aide appréciable qu'ils apportent aux producteurs, ne sont pas de nature à ouvrir des marchés.

b. Dans le domaine du louage, il existe actuellement en Suisse 40 entreprises environ. L'importation de films scéniques (spectaculaires) est contingentée (ACF n° 54 du 26 septembre 1938 et ordonnances y relatives de notre département de l'intérieur), tandis que l'importation de toutes les autres catégories de films est libre et soumise uniquement à l'obligation purement formelle du permis. Le contingentement se fait non pas par pays, mais par importateur (système des contingents individuels). Cette mesure de politique cinématographique a été prise en vue de limiter jusqu'à un certain point la quantité des films importés et de protéger ainsi les loueurs indépendants; elle procure à l'autorité d'utiles renseignements statistiques.

Il faut distinguer dans le louage entre les agences de loueurs étrangers et les loueurs indépendants. Les premières (elles sont encore au nombre de six, qui représentent toutes des maisons américaines) dépendent de la maison mère et travaillent sans assumer elles-mêmes un risque financier; elles transfèrent à l'étranger, après déduction des frais généraux qu'elles ont en Suisse, les sommes encaissées par elles. Les autres loueurs sont des sociétés suisses ou des particuliers qui importent et exploitent des filins à leurs propres risques, et qui sont juridiquement et matériellement indépendants des producteurs étrangers. La transformation de maisons de louage indépendantes en agences et la création de nouvelles agences sont empêchées par l'arrêté et les ordonnances précités. Le tableau ci-après montre que le but principal du contingentement, à savoir la protection des loueurs indépendants et la possibilité de créer de nouvelles entreprises de louage indépendantes, a été atteint : Quotes-parts d'importation, en pour-cent, des agences et des loueurs indépendants . , Année

Agences 6 ..

(en pour-oent)

Loueurs indépendants F , ..

(en pour-cent)

1939

43

57

1945 1948

42 28

58 72

1950 1951 1952 1953 1954 1955

31 29 31

69 71 69

28 29 28

72 71 72

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Mais, dans l'ensemble également, les importations ont pu, au cours des ans, être graduellement restreintes dans l'intérêt d'une compression du marché (voir le tableau II). En 1955, les agences ont utilisé 87 pour cent de leurs contingents et les loueurs indépendants 76 pour cent des leurs).

Aujourd'hui, les contingents attribués correspondent encore aux 3/6 des importations de l'année de base.'

Le loueur prend en charge les films séparément ou en série. En règle générale, il doit transférer au producteur un certain pour-r-ent des recettes que font les salles de projection. Pour les films de moyenne importance, cette part du producteur est fréquemment de 50 pour cent; pour les films plus coûteux, elle est de 60 pour cent et se trouve parfois encore plus élevée.

Très souvent, surtout lorsqu'il s'agit de filma de grande classe, le loueur doit, en plus de la part du producteur, assurer encore à celui-ci une garantie minimum, dont le montant atteint, dans des cas exceptionnels, 100 000 francs, et qui doit être payée quel que soit le rendement du film. Cela constitue une sorte de répartition des risques entre le producteur et le loueur.

Il arrive que le loueur contribue au financement de la production en fournissant sa garantie minimum avant même le tournage du film. La prise en charge d'un film par un loueur à un prix forfaitaire et sans participation du producteur aux recettes est aujourd'hui devenue très rare.

La durée de la licence est en général de cinq ans; elle est prolongée une et même plusieurs fois pour les films à succès. A l'expiration de la licence, les films doivent être renvoyés aux producteurs ou détruits (attestation d'un notaire). Cette mesure -- souvent critiquée dans le public -- a le but purement commercial d'éviter une saturation du marché des films.

Les négatifs sont naturellement gardés; avec l'autorisation des producteurs, les différentes archives cinématographiques conservent des copies positives, mais celles-ci ne peuvent en aucun cas être exploitées commercialement.

Vu la dépendance du marché suisse des films de la production étrangère, il est compréhensible qu'il doive supporter certains liens. L'autorité fédérale veille avec soin sur les mutations qui se produisent dans les entreprises de louage, afin d'empêcher le cas échéant, au moyen des prescriptions sur la
limitation des importations, la transformation de maisons indépendantes en agences ou la création de nouvelles agences.

ÏÏ y a une autre gêne imposée au loueur par le producteur étranger, celle de ne pas toujours pouvoir choisir un à un les films à exploiter, mais de devoir accepter à la fois trois à cinq films et même davantage. C'est ce qu'on appelle le louage en bloc et à l'averle. Ce système est, lui aussi, fondé sur le principe économique de la répartition des risques. Pour faire face à ses obligations, le loueur agit, dans ce cas-là, de la même manière à l'égard des cinémas.

Les agences, elles, n'ont la possibilité de faire un choix que dans la production de leur maison mère.

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e. Le tableau III montre quel a été le développement des salles de projection dans notre pays. Le nombre des places de cinéma par 1000 habitants a passé, de 31 qu'il était en 1946, à 39 en 1955. Les salles ont eu, parallèlement à l'essor économique général, des années prospères. On évalue aujourd'hui à 75 millions de francs les recettes brutes qu'elles font dans toute la Suisse. Sur ce chiffre, 60 à 65 pour cent environ restent au pays ; le surplus, soit 16 à 17 millions de francs, va à l'étranger en paiement de licences cinématographiques, Les arrangements financiers entre loueurs et salles sont analogues, dans leur structure, à ceux qui se font entre la production et le louage. Dans de nombreux cas, particulièrement dans les villes et autres localités importantes où il est donné des filma en première vision, le propriétaire de salle abandonne au loueur un certain pour-cent de ses recettes, au maximum 50 pour cent. Mais souvent, principalement pour les films de grande classe, il doit assurer en plus au loueur une garantie minimum. Tout un groupe de salles qui passent en ville ou à la campagne des films en deuxième vision, paie des redevances fixes.

2. Conventions entre associations professionnelles sur l'organisation du marché des films Dans les années «trente», les salles de projection de Suisse romande ainsi que celles de Suisse alémanique et du Tessin se groupèrent en associations d'abord peu cohérentes, puis bien organisées (association cinématographique de la Suisse romande -- Schweizerischer Lichtspieltheaterverband, deutsche und italienische Schweiz). De leur côté, les loueurs forment l'association des loueurs de films en Suisse (Filmverleiherverband in der Schweiz). Au cours des ans, ces deux groupements conclurent entre eux une convention dite d'intérêts. La disposition de ce texte la plus importante stipule que les membres de l'association des loueurs peuvent seuls livrer des films aux membres des deux associations de salles de projection et ne peuvent en livrer qu'à eux (il est prévu certaines exceptions, mais elles sont de nature secondaire). Cette disposition a conféré à la «convention d'intérêts» un caractère de monopole. Un outsider n'est pas en mesure, comme importateur, de placer ses films ou d'en obtenir comme propriétaire de saÛe. Cette organisation rigoureuse du marché des
films est souvent en butte à des attaques. En fait, elle a certains mauvais côtés; d'autre part, en l'absence d'un ordre légal suffisant, elle a empêché un chaos et, lors de pourparlers avec les autorités, elle met en face de ces dernières des partenaires compétents pour garantir l'exécution d'accords conclus avec eux.

Que, dans de tels cas, l'intérêt de l'association prime l'intérêt général, c'est un phénomène généralisé dans la vie économique. Cette primauté de l'intérêt particulier a toutefois un certain correctif dans le fait que des commissions paritaires, présidées par des juges fédéraux, prononcent en

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appel sur l'admission de nouveaux membres (loueurs ou salles). Ces décisions sont fondées avant tout sur l'appréciation du besoin qu'il y a, du point de vue économique, de consentir des admissions. C'est ainsi, par exemple, que, du 1er juin 1939 au 31 octobre 1955, il a été tranché, pour la Suisse alémanique et la Suisse italienne, 173 demandes d'ouverture de nouvelles salles. Sur ce nombre, 87 ont été accordées, dont 32 à des professionnels de la branche et 55 à des candidats étrangers à celle-ci. 86 demandes ont été rejetées. Dans une série de cas, il s'est agi de refus temporaires, qui, après renouvellement des demandes, ont été suivis d'autorisations.

L'organisation actuelle du cinéma dans notre pays repose donc, pour une part, sur le système étatique du contrôle des importations et du contingentement individuel des importations de films scéniques, et pour l'autre sur la convention de droit privé conclue entre l'association des loueurs et les associations de salles de projection. Bien que l'autorité fédérale ne soit naturellement pas liée, lors de l'attribution de contingents, aux décisions des associations concernant l'admission de nouveaux membres, elle a pu éviter jusqu'ici des conflits importants en aplanissant dans une certaine mesure les oppositions d'intérêts. Eu égard à leurs buts culturels, quelques loueurs de films ont obtenu des contingents sans être membres de l'association des loueurs. Bien que la pratique de notre département de l'intérieur en matière de contingentement soit devenue sensiblement moins stricte, l'économie cinématographique est intéressée au maintien des mesures prises par la Confédération. La disparition de celles-ci, en l'état actuel de la législation, aurait certainement et très rapidement pour conséquence une mainmise de l'étranger tout d'abord sur les entreprises de louage indigènes, puis aussi sur les salles de projection. Des tendances dans ce sens se sont manifestées au cours des années consécutives à la guerre; elles ont été bloquées par les mesures que prirent en partie l'Etat, en partie les associations.

3. Organisations culturelles Diverses organisations de notre pays s'occupent spécialement de procurer de bons films à certaines catégories de spectateurs. La fédération suisse du cinéma (Schweizerischer Filmbund), organisation faîtière, groupe principalement
les milieux qui s'intéressent aux films scéniques de réelle valeur artistique; au nombre de ces milieux figure la fédération suisse des guildes du cinéma et des ciné-clubs (Bund schweizerischer Filmgilden und Ciné-Clubs), laquelle s'emploie activement en faveur des films de qualité et en patronne éventuellement la projection. L'association suisse pour l'encouragement de la culture cinématographique (Schweizerischer Verband zur Förderung der Filmkultur), créée il y a quelques années, se propose également, d'après ses statuts, un but culturel, tout en ayant des attaches avec l'économie cinématographique. La fédération suisse du film culturel (Bund schweizerischer Kulturfilmgemeinden), qui est une subdivision du

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Cinéma scolaire et populaire suisse (Schweizer Schul- und Volkskino) à Berne, comprend 30 sections en Suisse alémanique, et se voue exclusivement au développement du film documentaire; les représentations qu'elle organise ont lieu généralement le dimanche en matinée.

Les commissions du cinéma et les services cinématographiques de la centrale suisse d'éducation ouvrière, de la fédération des églises protestantes de la Suisse et de l'association populaire catholique suisse ont l'appui de vastes milieux de la population. Ces institutions ne s'occupent pas seulement des questions culturelles, morales et sociales relatives au cinéma de façon théorique et en prenant part à des discussions; elles accomplissent aussi un travail pratique en procédant au choix et à la diffusion de bons films ainsi qu'en émettant des jugements circonstanciés à l'intention des spectateurs. Il en est de même de l'association protestante «Film et radio».

Il y a malheureusement encore du retard chez nous dans le développement d'un film d'enseignement organisé. Il a cependant pu être fondé en 1950, après de nombreux travaux préparatoires, une association des offices suisses du film d'enseignement (Vereinigung schweizerischer Unterrichtsfilmstellen).

Les archives suisses du cinéma, fondées à Baie en 1943, ont, pour des raisons financières, été transférées en 1950 à Lausanne, où elles sont installées de façon rationnelle.

lu. Postulats des chambres fédérales et propositions de milieux culturels concernant une législation fédérale sur le cinéma Nombreuses ont été, au cours des ans, les interventions faites au sein de votre autorité et les voeux formulés par des tiers en matière de politique cinématographique, et cela tant au point de vue économique qu'au point de vue culturel. Nous les résumons: 1. Le 4 septembre 1937, 32 organisations culturelles suisses de diverses tendances vous ont adressé un mémoire dans lequel elles formulaient des thèses communes sur le cinéma; elles y soulignaient entre autres (lettre B, chiffre 1) la nécessité d'élaborer une loi fédérale établissant des principes généraux pour mettre de l'ordre dans le cinéma en Suisse.

2. Peu de temps après, le 21 octobre 1937, M. Wilhelm Meile, conseiller national, déposa, au cours des délibérations dudit conseil sur la création d'une chambre du cinéma, le postulat
ci-après: Le Conseil fédéra) est invité à faire examiner aussitôt que possible par la chambre suisse du cinéma s'il n'y aurait pas lieu d'instituer dans une loi Ics principes généraux du régime du cinéma. Il devrait rechercher, au vu du résultat de cette étude, s'il n'est pas indiqué de déposer un projet de loi sur ce régime. La réglementation des questions liées au cinéma s'impose à bref délai pour des raisons nationales, économiques et morales.

Ce postulat fut adopté par le Conseil national le 26 avril 1938.

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3. Prenant position à l'égard de l'arrêté fédéral du 12 mars 1943 concernant la production d'un ciné-journal suisse et sa projection dans les salles de cinéma du pays (arrêté qui fut abrogé à la fin de la guerre), la commission des pouvoirs extraordinaires du Conseil des Etats déposa le l«r juillet 1943, et celle du Conseil national le 20 octobre 1943, le postulat ci-après : Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il ne conviendrait pas de stimuler la production cinématographique suisse et de régler l'industrie des cinématographes par la voie de la législation ordinaire.

Ce postulat fut adopté le 21 septembre 1943 par le Conseil des Etats et le 8 décembre 1943 par le Conseil national.

4. Par lettre du 27 octobre 1947, la communauté de travail «Pro Helvetia» (aujourd'hui fondation «Pro Helvetia»), exposa à notre département de l'intérieur que le cinéma avait besoin d'une réglementation générale sur le plan fédéral et que la Confédération devrait se faire attribuer la compétence nécessaire par la voie d'une révision constitutionnelle.

5. Dans sa séance plénière du 22 avril 1948, la chambre du cinéma décida, de son côté, de proposer à notre département de l'intérieur de mettre à l'étude une revision de la constitution; la Confédération devrait recevoir la compétence d'élaborer une loi sur les aspects non seulement économiques, mais encore culturels, du cinéma. A la suite de cette décision, le secrétariat de la chambre du cinéma adressa au département précité un rapport concernant une législation fédérale sur le cinéma.

6. Le 30 mars 1949, M. Emile Frei déposa au Conseil national le postulat ci-après: L'importance politique, culturelle, morale et économique du film rend indispensable une législation fédérale complète sur le film. Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il n'y aurait pas lieu de soumettre une proposition aux chambres, à l'intention du peuple et des Etats, pour insérer dans la constitution un article sur lequel pourrait se fonder cette législation.

Ce postulat fut adopté par le Conseil national le 28 septembre 1950.

7. En connexion avec le postulat Frei, la fédération suisse du cinéma (Schweizerischer Filmbund) adressa, le 5 mai 1953, au département de l'intérieur des propositions au sujet des matières qui devraient être réglées par une loûétablissant des principes généraux sur le cinéma (elle avait déjà insisté, dans une lettre du 16 avril 1949, sur l'opportunité d'insérer dans la constitution un article qui donnerait à la Confédération la possibilité de légiférer, d'une manière générale, sur les questions de cinéma).

8. Une série d'autres postulats du Conseil national ont trait à des problèmes spéciaux de politique cinématographique. Ce sont: Le postulat Cottier, adopté le 2 décembre 1947, concernant la diffusion du ciné-journal suisse en Suisse romande, le postulat de la commission de gestion du Con-

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seil national, adopté le 24 juin 1948, concernant l'augmentation des droits de douane sur les films en vue d'encourager la production cinématographique suisse, le postulat Studer-Escholzmatt, adopté le 6 juin 1950, concernant les mesures à prendre pour combattre la publicité cinématographique de mauvais aloi, le postulat Duttweiler, adopté le 13 décembre 1950, concernant une aide à l'industrie suisse du cinéma, le postulat Frei, adopté le 16 mars 1954, souhaitant un concordat. intercantonal pour protéger la jeunesse et le peuple contre l'influence de mauvais films, le postulat Oprecht, adopté le même jour, concernant l'encouragement de la production cinématographique suisse au moyen d'une imposition appropriée des importations de filma étrangers, le postulat Huber, adopté le 29 septembre 1954, concernant le cinéma et la presse, le postulat Aebersold, adopté le 15 mars 1955, demandant que soit subventionné le fonds suisse du film culturel, le postulat Frei du 28 septembre 1955, concernant des mesures combattant les mauvais films et la littérature de bas étage.

Nous reviendrons plus loin sur les questions que soulèvent ces différents postulats.

9. Le 15 juin 1954, M. Aleardo Pini, parlant au nom de la commission de gestion du Conseil national, exprima le voeu de voir bientôt présenter aux chambres un projet de loi qui préciserait les idées maîtresses de la politique à adopter par la Confédération en matière de cinéma.

Des exposés des motifs des différents postulats, des propositions qui nous ont été faites et de nombreuses opinions exprimées ressortent un certain nombre de désirs qui, il est vrai, se recouvrent en partie et sont en partie dépassés. En voici la liste: -- Lutte contre les monopoles privés dans l'économie cinématographique ; --· Protection de l'économie cinématographique contre l'infiltration étrangère ; -- Régime du permis, subordonné à un besoin existant, pour toutes les branches de l'économie cinématographique, en particulier pour les salles de projection; ,, -- Encouragement de la production suisse de filins scéniques et documentaires, en particulier par la création d'un fonds spécial qui y serait affecté ; -- Augmentation des charges fiscales grevant les importations de films; -- Solution de la question du film étroit (libération du film étroit, important au point de vue culturel, de certaines entraves sur le plan commercial) ;

465

-- Encouragement des activités culturelles déployées dans le domaine du cinéma, en général, et des associations de spectateurs en particulier ; -- Interdiction du louage à l'aveugle et en bloc; -- Intensification de la lutte contre le cinéma de bas étage par une uniformisation de la censure selon des principes déterminés, en particulier dans le domaine de la publicité cinématographique; -- Protection et encouragement du cinéma suisse dans ses rapports avec l'étranger, au triple point de vue économique, culturel et politique; -- Développement du ciné-journal suisse; -- Création d'archives du cinéma; -- Encouragement de la critique cinématographique, notamment par la création d'une revue cinématographique d'un niveau élevé; -- Amélioration de la formation professionnelle du personnel artistique du film; -- Emploi plus grand du cinéma comme moyen d'éducation.

Nous nous prononcerons sur ces suggestions dans les chapitres VI à X ci-après.

IV. Les législations étrangères sur le cinéma L'aperçu sommaire ci-après de la politique cinématographique pratiquée à l'étranger est limité aux Etats dont les conditions sont, dans une certaine mesure, comparables à celles de la Suisse. Il ne tient par conséquent pas compte, d'une part de l'URSS et des autres Etats du bloc soviétique, où tout le cinéma, de la production jusqu'à la projection, est directement ou indirectement étatifié ; d'autre part de l'Inde et du Japon, bien que la production de ces pays ait presque l'ampleur de celle des Etats-Unis. Parmi les pays considérés, l'Italie, la France et la Grande-Bretagne présentent de nombreux points communs par l'intensité et l'étroite parenté de leur politique cinématographique, tandis que celle des Etats-Unis a un caractère visiblement différent.

En Italie, la politique cinématographique est du ressort de la direction générale du spectacle (Direzione generale dello spettacolo), rattachée à la présidence du conseil des ministres. Cette direction agit en collaboration avec plusieurs organismes collégiaux. La présidence du conseil dispose, sur la proposition de l'un d'eux, du fonds du cinéma, auquel la caisse de l'Etat verse chaque année une contribution égale à 1 pour cent des recettes brutes des salles de projection (en 1954: 500 millions de lires).

A l'aide de ce fonds, il est alloué des subventions pour des buts
généraux de politique cinématographique. L'aide à la production individuelle consiste entre autres: a. Dans l'obligation de projeter les filma italiens recommandés par un comité technique, jointe à une importante réduction de l'impôt sur les spectacles à payer par les salles.

6. Dans des primes à la qualité et d'autres subventions versées après coup pour la confection d'un film, afin de faciliter une production ininterrompue.

466

c. Dans l'octroi de crédits par l'institut du crédit cinématographique, fondé avec la participation de l'office du trésor. Cet institut, doué de la personnalité juridique, peut financer la confection d'un film italien par des prêts allant jusqu'à 60 pour cent du coût probable.

Les questions générales relatives à l'importation et à l'exportation des filma sont préavisées par une commission interministérielle, que préside le sous-secrétaire d'Etat au ministère du commerce extérieur. Les films prévus pour l'exportation sont soumis à une censure spéciale. L'autorisation de la direction générale du spectacle est nécessaire pour construire ou transformer une salle permanente et pour ouvrir une entreprise de projection ambulante. Ladite direction fait examiner le besoin existant, ainsi que la capacité du requérant, par une commission spéciale d'experts. La censure des films, qui est préalable et obligatoire, est exercée en première instance par une commission composée d'un magistrat de l'ordre judiciaire, d'un haut fonctionnaire du ministère de l'intérieur et d'un fonctionnaire de la direction générale du spectacle; les préavis de cette commission vont à la direction précitée, qui accorde le visa.

Le système italien se retrouve, dans ses grandes lignes, en France. La seule différence est que le crédit consenti par l'Etat à la production ne peut servir qu'à des garanties à l'exportation. Les salles ont aussi droit à des subventions, en particulier pour se moderniser. Le fonds du cinéma est alimenté par un supplément à l'impôt sur les spectacles perçu sur les billets d'entrée et par une taxe de censure (taxe de sortie); il est géré par le centre national de la cinématographie, sous la surveillance d'une commission. Le centre national, établissement public indépendant partiellement financé par des contributions des organisations faîtières de l'économie cinématographique, est la centrale administrative où se traitent toutes les questions économiques et culturelles du cinéma. Son directeur général fixe le pour-cent des recettes nettes des salles qui doit être bonifié aux loueurs pour le louage des films.

La Grande-Bretagne également encourage la production en première ligne par le moyen de la projection obligatoire (screen quota) et aussi par ses crédits en faveur du cinéma. L'octroi de ces derniers est du
ressort d'un institut de crédit, officiel mais indépendant, dont les capitaux sont fournis par l'Etat et qui est placé sous la surveillance du ministère du commerce. Ce dernier fait fonction de centrale administrative pour toutes les questions d'économie cinématographique. Il lui est rattaché deux commissions permanentes d'experts: le Cinematograph film council et le National film production council. La confection des courts métrages commandés par les différents ministères s'effectue soit dans des régies, soit dans des entreprises privées, sous la direction du ministère de l'information ou du ministère des colonies. Une institution semiofficielle, le British film institute, dont les frais sont couverts en partie par l'Etat, joue le rôle de centrale culturelle du cinéma. D'importantes subventions de l'Etat sont allouées en faveur du développement du film scolaire. En revanche, les subventions aux producteurs de films scéniques et de courts métrages proviennent d'un fonds privé, qui tire ses moyens d'une augmentation des prix des places chères dans les salles, combinée avec des privilèges fiscaux. La censure n'est pas exercée par un organisme officiel centralisé, mais par un conseil privé, le British board of film censora; celui-ci est financé par les loueurs, mais est indépendant d'eux. Les entreprises de louage et les salles de projection sont sous le régime du permis (ministère du commerce). Les dispositions légales cherchent à entraver la formation croissante de trusts qui inquiète le Cinematograph film council depuis 1944. Le louage en bloc et à l'aveugle est interdit sous peine d'amende et de nullité du contrat de louage.

Jj'Espagne procède de manière analogue; peut-être insiste-t-elle davantage, dans sa législation sur le cinéma, sur le côté culturel et idéologique. Les privilèges accordés à la production nationale peuvent être étendus, dans certains cas, à des filma étrangers.

Le ciné-journal, dont la projection est obligatoire, est confectionné par une régie de l'Etat.

467

Au Danemark, l'action gouvernementale s'exerce principalement sur les salles de projection. L'ouverture et l'exploitation de celles-ci dépendent d'autorisations complotant la surveillance que la police exerce du double point de vue culturel et économique. Les caractéristiques de ces autorisations sont les suivantes : clause stipulant l'existence d'un besoin; certificat de capacité; indépendance personnelle et financière par rapport aux autres salles; obligation de choisir sur le marché les filma culturellement et artistiquement les meilleurs (lorsque ce choix n'est pas d'emblée imposé temporairement par le ministère de la justice pour des filma documentaires nationaux ou étrangers); obligation de mettre gratuitement la salle à la disposition d'écoles et de sociétés d'utilité publique pour des représentations culturelles. Les exploitants paient un impôt spécial, direct et progressif, en faveur du fonds national du cinéma, lequel dépend de l'Etat, mais n'est afîecté qu'en partie seulement à des buts cinématographiques culturels, principalement à l'encouragement de la production, et est administré par le ministère de la justice de concert avec le conseil national du cinéma. La centrale officielle du cinéma (Statens Filmcentral) exerce, en fait plus qu'en droit, un monopole sur le louage des filma de tout genre (surtout sur ceux de format étroit) destinés à l'éducation de la jeunesse et des adultes. Le louage en bloc et à l'aveugle est interdit aux loueurs sous peine d'amende. La société coopérative et semi-officielle de production Dansk Kulturfilm, qui bénéficie d'importantes contributions du fonds du cinéma, produit des filma scientifiques et documentaires, notamment pour le compte de la commission du cinéma des ministères. Les maisons de production indigènes sont soutenues par l'Etat, qui leur ristourne 25 pour cent de l'impôt sur les divertissements perçu sur leurs films et leur laisse la contribution due au fonds du cinéma, par les salles, pour ces films. Depuis la fin de la guerre, il a été produit au Danemark environ 50 films scéniques. Sur ceux qui sont importés de l'étranger (250 à 300 par année), il est perçu un droit de douane de 10 pour cent ad valorem et de 30 couronnes par kilogramme.

La Norvège est caractérisée par le fait que la moitié des 400 salles de projection du pays sont propriété
communale. Les gains que les communes en tirent et l'impôt sur les divertissements qu'elles perçoivent des salles privées constituent des ressources appréciables. Celles-ci couvrent par exemple les frais des manifestations culturelles, principalement ceux du théâtre lyrique, de la ville d'Oslo. Une centrale officielle du cinéma a à peu près les mêmes tâches que l'institution danoise du même nom. L'Etat stimule la production cinématographique nationale -- bien que le chiffre de la population soit inférieur à celui du Danemark, il est tourné chaque année en Norvège plusieurs films scéniques -- d'une part par des réductions de l'impôt sur les divertissements, d'autre part par des crédits et subventions pris sur un fonds (Statens Filmfonda) qu'alimenté la caisse de l'Etat et consentis sur la recommandation du conseil du cinéma (Statens Filmrad).

Sans aucun organisme administratif spécial -- le seul qui existe est le Statene Biografbyra, censure centralisée, comme en Norvège --, la Suède subventionne aussi, depuis 1951, les producteurs de filma scéniques en leur attribuant 20 pour cent de la part qui revient à l'Etat dans l'impôt sur les divertissements, lorsque celui-ci est perçu sur des représentations cinématographiques dont le programme est national. La densité extraordinairement forte des salles de projection -- 2500, avec un total de 650 000 places pour une population de 7,1 millions d'habitants -- appelait nécessairement uno limitation des constructions de nouvelles salles. Celle-ci n'a pas pris la forme d'une interdiction de bâtir sans autorisation de l'Etat, mais bien celle d'un cartel privé à la manière de la convention d'intérêts conclue en Suisse entre les associations économiques du cinéma; sont groupées dans ce cartel les 450 salles coopératives et les entreprises de production, dont les trusts englobent à leur tour, comme en Angleterre, des entreprises de louage et des salles de projection.

La tâche principale du National film board du Canada est de produire des courts métrages d'intérêt public, dans la plupart des cas pour le compte des administrations

468

centrale et provinciales. Cet onice diffuse méthodiquement ses filma, par le moyeu d'un réseau d'agences provinciales et locales, sur le marché non commercial, donc en dehors des salles de projection. Il travaille en commun avec le Canadiern, film institute, société privée d'utilité publique. La police du cinéma est affaire des provinces.

En Autriche, la compétence qu'a l'Etat fédéral de légiférer dans le domaine du cinéma, a une prépondérance manifeste sur celle des Länder. Il reste essentiellement à ces derniers la police du cinéma, qu'ils réglementent. Comme les Länder l'ont fait pour l'exploitation des salles de projection, l'Etat fédéral a soumis au régime de la concession les entreprises de production et de louage. La concession est accordée par le ministère fédéral du commerce, compte tenu de la capacité du requérant, de la concurrence et, en ce qui concerne les loueurs, du besoin existant. Les groupements professionnels Industrie du film et Salles de projection de la chambre fédérale de commerce, ainsi que les groupements correspondants des chambres de commerce des Länder, sont des corporations de droit public dont les intéressés sont tenus de faire partie.

Lesdits groupements sauvegardent les intérêts de l'économie cinématographique vis-à-vis de l'Etat, sans que celui-ci leur ait jusqu'à présent attribué des fonctions administratives, comme il en aurait juridiquement la possibilité. Le fonds général de l'Etat fédéral pour l'encouragement des exportations ouvre également, jusqu'à un certain point, des crédits pour l'exportation de filma. Le commerce du cinéma est frappé d'un impôt fédéral spécial sur le chiffre 'd'affaires, de 10 à 30 groschen par billet d'entrée, le Kulturgroschen. L'Etat fédéral et les Länder s'en partagent le produit dans la proportion d'un à trois. Parmi les buts culturels auxquels cet impôt peut être affecté, est aussi admise en pratique la production de films documentaires. Les décisions concernant l'emploi des sommes disponibles sont prises par le ministère fédéral de l'instruction, sur la proposition d'un conseil spécial. L'Etat fédéral peut prendre bien des mesures culturelles dans le domaine du cinéma grâce aux attributions étendues qu'il possède en matière scolaire. Sa centrale du cinéma et du film d'enseignement (Hauptstelle für Lichtbild und Bildungsfilm),
rattachée au ministère de l'instruction, est, avec les 7 bureaux des différents Länder et les 92 bureaux de district, le lieu où s'élabore la politique cinématographique de l'Etat.

En Allemagne occidentale, il s'est produit après la deuxième guerre mondiale un revirement profond dans l'évolution qui avait commencé en 1933 avec la création de la Reichsfdmkammer et qui avait pour but d'instituer un monopole d'Etat. La République fédérale tend actuellement à concentrer dans ses mains la législation sur l'économie cinématographique, tandis que la politique culturelle est réservée aux Länder, lesquels peuvent même conclure à leur gré des accords culturels avec des Etats étrangers. La République fédérale, il est vrai, a constitutionnellement la compétence d'édicter des dispositions sur les «conditions juridiques générales» du cinéma. La seule mesure officielle d'encouragement de la production consiste dans les réductions qu'apportent les Länder à l'impôt sur les divertissements, en faveur des filma d'une valeur particulière. Ceux-ci sont désignés par une institution de droit public qui siège à Wiesbaden et qui est née d'un concordat entre les administrations des Länder. Une autre institution, la Freiwillige Filmselbstkontrolle, également à Wiesbaden, a été créée à titre privé par l'organisation faîtière de l'économie cinématographique; elle s'efforce, à l'instar du British board of film censors et du Hays-office américain, de suppléer à l'absence d'un contrôle des films par l'Etat. Aux termes de ses statuts, ses commissions comprennent pour moitié des représentants de la République fédérale, des Länder, des Eglises et du mouvement de la jeunesse fédérale (Bundesjugendring).

Les Pays-Bas ne connaissent, en fait de mesures officielles de politique cinématographique, que la censure, laquelle est centralisée, et de modestes subventions à but culturel. Il existe en revanche un cartel privé, extrêmement rigide, le Nederlandsche Bioscoop-Bond, qui englobe toute l'économie cinématographique et possède ses propres tribunaux arbitraux. Cette institution prête, néanmoins, une oreille atten-

469 tive aux efforts culturels. C'est ainsi qu'elle oblige les salles de projection à montrer par année au moins douze films documentaires nationaux, choisis par elle; ils doivent passer chacun pendant une semaine dans les programmes ordinaires, à côté du cinéjournal néerlandais. L'importation des films est contingentée.

Les Etats-Unis d'Amérique ne possèdent pas de législation spéciale sur le cinéma.

Le département d'Etat est naturellement en droit de soutenir, par voie diplomatique, la Motion picture export association des producteurs dans leur lutte pour la conquête des marchés étrangers; sa Division oj international motion pictures peut aussi procurer à la centrale pour l'étranger du U. S. Information Service un choix de courts métrages qu'elle produit en partie elle-même. D'autre part, l'économie cinématographique doit se soumettre aux lois générales contre les trusts. Une organisation concentrant une puissance exagérée peut être contrainte dans certaines circonstances à se défaire d'un certain nombre de participations financières et à revenir à une ampleur raisonnable.

Le louage en bloc et à l'aveugle est interdit comme constituant un obstacle illicite à la libre concurrence. Il en est de même pour certaines ententes entre cartels. Une institution dont l'importance dépasse de beaucoup celle de la Freiwillige Filmselbstkontrolle de la République fédérale d'Allemagne est le Haye-Office, ainsi nommé d'après le sénateur Will-H. Hays (du cabinet Harding). La League of decency (ligue pour la moralité), puissante association de catholiques américains, publiait depuis longtemps sur les filma des appréciations qui avaient été d'emblée remarquées et se traduisaient par des pertes financières sensibles sur les filma fortement critiqués. Les producteurs de films américains furent finalement obligés de s'adapter aux critères de la ligue. Eu 1922, les magnats du film Zukor, Fox, Goldwyn, Selznick et Laemmle offrirent 100 000 dollars par an au sénateur Hays pour l'organisation d'un bureau de censure volontaire qui aurait à examiner le sujet, le scénario et le plan des filma avant leur réalisation. Ce bureau, tout d'abord prévu pour une période d'essai de trois ans, fit ses preuves. Hays fut à sa tête jusqu'en 1945. Du fait de cette auto-censure des producteurs de films, la question d'une censure officielle
ne s'est guère posée dans les Etats. La situation s'est toutefois un peu modifiée après la deuxième guerre mondiale, depuis que le film européen a pris pied aux Etats-Unis. Les Etats de l'Union et les communes, de qui relèvent les écoles, dépensent beaucoup pour le film d'enseignement.

Nous tenons à la disposition de vos commissions, au sujet de la législation étrangère, un rapport plus détaillé, qui mentionne ses sources.

V. Le droit en vigueur en Suisse . 1. Législation spéciale sur le cinéma a. Cantons La législation spéciale sur le cinéma se compose en première ligne des lois et ordonnances édictées par les cantons. Elles ont trait principalement à la police du cinéma, c'est-à-dire à la protection du public contre les dangers psychiques et physiques les plus graves qui sont inhérents au cinéma.

Tous les cantons ont aujourd'hui des dispositions de ce genre. Certaines d'entre elles ont déjà vu le jour avant la première guerre mondiale. Leur forme varie d'un canton à l'autre. Des prescriptions de sécurité, de police des constructions et de police du feu conditionnent l'autorisation (concession ou patente), soumise au paiement d'une taxe, qui est nécessaire pour l'exploitation d'une salle de projection et, à quatre endroits, pour Feuille fédérale. 108« année. Vol. I.

32

470

le louage des films. Les conditions qui doivent être remplies par le propriétaire de l'entreprise ne vont jamais, en raison de la liberté du commerce et de l'industrie, jusqu'à la possession d'un certificat de capacité professionnelle.

. Le droit cantonal de la censure cinématographique interdit, en général, la projection de films immoraux, brutaux ou choquants. Quelques cantons rangent e'xpressément dans cette dernière catégorie les films qui blessent le sentiment religieux. La censure s'exerce presque partout -- en tout cas dans la pratique -- après coup (Nachzensur). Plus exactement, le film doit être déclaré par la salle de projection à l'autorité de censure, laquelle peut le visionner ; cet examen facultatif est postérieur ou, exceptionnellement, préalable à la première représentation publique. Dans près de la moitié des cantons, la censure est faite par un collège central, dont les membres exercent leurs fonctions à côté de leurs occupations habituelles, tandis que, dans les autres cantons, elle relève des communes agissant parfois avec la collaboration d'une autorité cantonale. La censure s'étend aussi à la publicité faite pour les projections. En plus de la simple censure, il y a les mesures pour la protection de la jeunesse. Elles consistent principalement à interdire aux jeunes gens et jeunes filles n'ayant pas atteint un certain âge de fréquenter les représentations cinématographiques, à moins qu'il ne s'agisse de représentations spécialement organisées à l'intention de la jeunesse, avec un programme pédagogiquement irréprochable et approuvé par l'autorité scolaire. Dans la majorité des cantons, l'âge choisi est de seize ans, dans les autres de dix-huit ans.

On peut résumer comme suit les systèmes cantonaux régissant l'emploi du cinéma à l'école: Les administrations scolaires des cantons de BaieVille et de Saint-Gali, ainsi que celle de la ville de Zurich, ont .des offices cinématographiques. Les écoles des autres cantons peuvent s'affilier à l'une des deux centrales du cinéma scolaire de Berne ou de Zurich. Ces deux centrales, de caractère privé, forment avec les offices cinématographiques officiels l'«Association suisse des offices du film d'enseignement» (ASOFE), organisation faîtière qui collabore de son côté avec la conférence des chefs des départements cantonaux de l'instruction
publique.

6. Confédération Alors que le droit cantonal sur le cinéma a essentiellement un but de police et, dans une faible mesure, un but culturel, les dispositions spéciales de la Confédération ont principalement des buts de politique culturelle et économique. Elles ont toutes été édictées immédiatement avant ou immédiatement après le début de la deuxième guerre mondiale. La série en fut ouverte par l'arrêté fédéral du 28 avril 1938 instituant une chambre suisse du cinéma (1). Selon l'article premier, 2e alinéa, de cet arrêté, «la chambre (!) RS 4, 247.

471

suisse du cinéma cherche à établir une collaboration méthodique entre les milieux qui s'occupent du cinéma, en vue de sauvegarder les intérêts spirituels, intellectuels, politiques et économiques du pays. Elle sert d'organe consultatif aux autorités compétentes et leur fait des propositions». Aux termes du règlement d'organisation de ladite chambre, du 24 mai 1949/ 28 décembre 1900/18 août 1955 (*), il s'agit d'une commission d'experts du département de l'intérieur, comprenant vingt-sept membres.

Alors que régnait une désastreuse pléthore de films, on vit se manifester un effort en vue de concentrer l'économie cinématographique de notre pays, notamment le louage des films, entre les mains de trusts étrangers. Cela était fort inquiétant politiquement, culturellement et économiquement; les films auraient eu une provenance toujours plus unilatérale et leur qualité aurait sérieusement baissé. Il fallut donc protéger les loueurs indépendants en soumettant la totalité des importations de films au régime du permis, aux fins de contrôle, et en contingentant l'importation des films scéniques. Les dispositions nécessaires, à savoir l'arrêté n° 54 du Conseil fédéral, du 26 septembre 1938 ( 2 ), relatif à la limitation des importations et les deux ordonnances y relatives du département de l'intérieur (3), ont été fondées sur l'arrêté fédéral du 14 octobre 1933/22 juin 1939 concernant les mesures de défense économique envers l'étranger (4), lequel restera en vigueur jusqu'au 31 décembre 1956, et en dernière analyse sur les articles de la constitution se rapportant aux douanes.

Le ciné-journal suisse, qui représente un instrument de la défense spirituelle du pays, commença de paraître le 1er août 1940, après que sa projection dans toutes les salles de cinéma du pays eut été rendue obligatoire par un arrêté du Conseil fédéral du 16 avril 1940 (5), complété plus tard par un arrêté du Conseil fédéral du 12 mars 1943 (6), arrêtés pris tous deux en vertu des pouvoirs extraordinaires. Le ciné-journal est édité sous la responsabilité d'une fondation de droit privé, créée par la Confédération le 14 janvier 1942 et ayant son siège à Genève. L'obligation de le projeter fut supprimée par un arrêté du Conseil fédéral du 28 octobre 1945 ('), avec effet au 31 décembre 1945, en raison de l'abolition des pouvoirs
extraordinaires. L'association cinématographique de la Suisse alémanique et de la Suisse italienne la maintint volontairement à l'égard de ses propres membres, tandis que la Suisse romande reprit une entière liberté. Dans ces conditions, les taxes d'abonnement suffirent encore moins que précédemment à couvrir les frais du ciné-journal. Un arrêté fédéral du 11 juin (*) RO (2) RS (3) RS (0) RS (6) RO (·) RO (') RO

1949, 488; 1950, 1571; 1955, 796.

4, 248.

4, 251; RO 1952, 207.

10, 523; RO 1954, 1345.

1940, 376.

1943, 210.

1945, 889.

472

1952 (*) a fixé à 300 000 francs par an une subvention de la Confédération à cette entreprise.

2. Législation générale Si Ton se demande dans quelle mesure la législation spéciale sur le cinéma est susceptible d'être développée dans les limites de la constitution fédérale actuelle, il faut se souvenir des attributions non écrites de la Confédération en matière culturelle. Selon la jurisprudence et la doctrine, ce droit constitutionnel coutumier, dont l'existence est rappelée dans le message du 22 janvier 1948 concernant la réforme constitutionnelle des finances de la Confédération ( a ), dans celui du 3 décembre 1951 sur la subvention au ciné-journal suisse ( 3 ) et dans celui du 19 mai 1953 sur les économies à faire dans le domaine des subventions fédérales (4), n'autorise la Confédération qu'à effectuer des prestations financières. Celles-ci, comme la subvention au ciné-journal, ne sont parfois pas accordées par la simple voie du budget, mais font l'objet d'un arrêté fédéral.

Parmi les normes de la constitution écrite, il y a lieu de rappeler tout d'abord l'article 8, lequel donne à la Confédération la compétence de conclure des traités avec des Etats étrangers. En tant qu'ils contiennent des règles de droit, ces traités, une fois ratifiés et publiés dans le Recueil des lois, équivalent à des lois fédérales. Ce droit des gens n'a pour notre pays qu'une importance relativement minime du point de vue de la politique cinématographique; en effet, nous nous sommes toujours refusés, pour des raisons de principe, à conclure des accords culturels bilatéraux généraux et de longue durée, qu'ils s'étendissent ou non à l'échange de films. Tout au plus l'accord international du 25 septembre 1952 pour l'importation d'objets de caractère éducatif, scientifique ou culturel (5), accord culturel multilatéral qui a été élaboré sous l'égide de l'Unesco et auquel la Suisse a adhéré, peut-il être considéré comme important du point de vue du cinéma, du fait qu'il oblige à exonérer certaines catégories de films des droits de douane et d'autres impositions.

L'idée plusieurs fois soulevée de lier à la subvention à l'école primaire payée en vertu de l'article 27 bis de la constitution certaines conditions ayant pour effet d'encourager le cinéma scolaire, nécessiterait, pour être réalisée, une modification de l'article
6 de la loi du 19 juin 1953 subventionnant l'école primaire publique (6).

Les articles douaniers de la constitution (art. 28 et 29) offrent de meilleures possibilités. Il ne faut pas sous-estimer le rôle des droits de douane (!)

(2) (») '(*) ' ··«) («)

FF 1952, FF 1948, FF 1951, FF 1953, BO 1963, BO 1953,

II, 394.

I, 329.

III, 986.

II, 469.

461.

967.

473

et des taxes d'importation analogues en tant que source fiscale dont la Confédération peut disposer pour sa politique cinématographique, dans les limites des dispositions constitutionnelles ainsi que sous réserve du droit des gens et des nécessités de sa politique commerciale. Mais les mesures de politique cinématographique qu'on penserait financer en premier lieu par une augmentation de la charge fiscale sur les importations de films ne pourraient pas être fondées sur l'article 29, 3e alinéa, de la constitution.

Selon la doctrine dominante, en effet, il faut entendre par mesures exceptionnelles que la Confédération peut prendre temporairement dans des circonstances extraordinaires celles qui sont dirigées contre la politique commerciale d'un Etat étranger s'écartant de principes libéraux; il s'agit des limitations dites compensatoires apportées au trafic des marchandises et des paiements et allant du renforcement des droits de douane jusqu'au contingentement. Ne peuvent pas se fonder sur le 3e alinéa de l'article 29 les réglementations de l'économie interne. Or, si les mesures de politique cinématographique visent aussi des buts économiques, elles entrent pour la plupart dans cette dernière catégorie. Le contrôle et le contingentement des importations, mentionnés au paragraphe 16 ci-dessus et destinés à protéger les loueurs de films indépendants, n'ont par conséquent qu'une base constitutionnelle fort restreinte. Nos messages des 9 février 1951 et 18 août 1954 demandant la prorogation de l'arrêté fédéral sur la matière (*) n'en font aucun mystère.

Les articles économiques de la constitution paraissent, au premier abord, propres à servir de base juridique à des mesures de politique cinématographique revêtant un caractère économique. C'est ainsi qu'en vertu de l'article 31 bis, 2S alinéa, la Confédération aurait théoriquement le droit de légiférer elle-même sur ce qui est aujourd'hui de la compétence des cantons, c'est-à-dire sur le cinéma envisagé comme un aspect de l'exercice du commerce et de l'industrie. Mais on forcerait le sens de la constitution en déduisant des articles économiques que la Confédération serait autorisée à prendre d'autres mesures, ne relevant pas de l'économie. Les buts spécifiques des mesures à prendre en matière de politique cinématographique ne consistent pas uniquement
à sauvegarder des intérêts dans l'exercice du commerce et de l'industrie, mais partent de la nécessité d'autres mesures touchant la politique culturelle et les intérêts de l'Etat. Ce sont là des domaines avec lesquels les articles économiques n'ont rien de commun. Il ne serait dès lors pas satisfaisant de vouloir fonder le Yutur encouragement de la production cinématographique suisse ou l'actuel contrôle des importations de films sur l'article 31 bis, 2e alinéa, et l'institution d'un permis pour l'ouverture de nouvelles salles de projection ou l'actuel contingentement des importations de films scéniques sur l'article 31 bis, 3e alinéa, lettre a. Il serait d'ailleurs difficile de prouver que de telles dérogations à la liberté du commerce f 1 ) FF 1951, 1,381-419; 1954, II, 253-271.

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et de l'industrie s'imposent parce que la branche considérée est menacée dans son existence. Si, d'autre part, on se réclamait de l'article 31 bis, 3e alinéa, lettre d, pour combattre les effets fâcheux du cartel des associations cinématographiques, on susciterait les mêmes doutes constitutionnels. Se heurtent à une difficulté semblable les efforts déployés pour soumettre les personnes qui travaillent à la création du film aux prescriptions édictées par la Confédération, en application de l'article 34ter, 1er alinéa, lettre g, sur la formation professionnelle dans l'industrie, l'artisanat, le commerce, l'agriculture et le service de maison, et pour instituer en leur faveur des bourses dans le sens de l'article 50, lettre d, de la loi fédérale du 26 juin 1930 sur la formation professionnelle (1). Ces prescriptions apparaissent d'emblée inapplicables à un personnel artistique, donc à la majorité des artisans du film.

Dans cet ordre d'idées, il ne faut pas oublier non plus la compétence que confère à la Confédération, en matière de rétorsion fiscale à l'égard de l'étranger, l'article 6, lettre a, de l'arrêté fédéral du 29 septembre 1950 concernant le régime financier de 1951 à 1954 ( 2 ). Si cette disposition ou une disposition analogue était, lors de la réforme des finances fédérales, incorporée dans les nouveaux articles financiers de la constitution, il s'ouvrirait d'intéressantes perspectives pour une imposition spéciale des licences cinématographiques dont il faut transférer les paiements à l'étranger; en effet, il y a une différence appréciable, et parfois très lourde, entre l'imposition dont les Etats étrangers frappent chez eux les licences d'exploitation de films suisses et l'imposition relativement faible à laquelle la Suisse soumet les licences afférentes à l'exploitation de films étrangers dans notre pays.

(Seraient réservées les conventions sur la double imposition.) Par ailleurs, l'impôt sur le chiffre d'affaires perçu sur les marchandises importées pourrait jusqu'à un certain point revêtir le caractère d'impôt sur les licences, si la valeur imposable d'un film était toujours estimée en fonction de la somme des licences effectivement dues. Ce serait là une généralisation d'une méthode déjà prévue dans le droit en vigueur; nous renvoyons à l'article 49 de l'arrêté concernant l'impôt
sur le chiffre d'affaires en liaison avec l'article 3 de l'ordonnance n° 1 du département des finances et des douanes du 8 août 1952 (s) concernant l'impôt sur le chiffre d'affaires (tarif de l'impôt sur l'importation des marchandises).

La garantie de la liberté de la presse (art. 55 Cst.) s'étend aussi à la critique cinématographique dans la presse, en tant que celle-ci est digne de ce nom et ne se ravale pas au rang de simple réclame dans le texte. Mais elle ne garantit le droit à la libre critique des films que contre des interventions illicites de l'Etat. Plus actuelle serait une garantie contre des (») RS 4," 37.

( 2 ) RO 1950, 1507.

( 8 ) RO 1952, 611.

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atteintes pratiquées ouvertement ou de façon dissimulée par l'économie cinématographique privée, atteintes auxquelles il n'est malheureusement guère possible de remédier dans l'état actuel du droit fédéral, comme le Tribunal fédéral l'a constaté récemment dans un cas particulièrement typique (1). Nous renvoyons sur ce point à notre exposé concernant le postulat Huber sur le cinéma et la presse, chapitre IX, paragraphe 4, lettre b, ci-après.

La compétence que l'article 64 de la constitution donne à la Confédération de légiférer en matière de droit civil, renferme certaines possibilités de pratiquer une politique cinématographique. Cela est vrai notamment pour le droit d'auteur sur les oeuvres cinématographiques. Il faut, par conséquent, s'attendre qu'une future revision totale de la loi fédérale du 7 décembre 1922/24 juin 1955 concernant le droit d'auteur sur les oeuvres littéraires et artistiques ( 2 ) vouera davantage d'attention aux oeuvres cinématographiques. C'est notamment sur ce point que la loi sur le droit d'auteur est surannée, ainsi que nous l'avons constaté à propos de son adaptation à la convention de Berne du 9 septembre 1886, revisée à Bruxelles en 1948 (3).

Un autre problème du cinéma serait également résolu sur le terrain du droit privé si la sanction contre certaines clauses contractuelles -- nous pensons surtout au louage à l'aveugle et en bloc -- consistait dans la nullité des actes juridiques contenant de ces clauses, sans qu'il soit nécessaire de recourir à des mesures de droit administratif ou pénal (la Confédération pourrait d'ailleurs, en vertu de l'article 64 bis de la constitution, édicter des dispositions pénales contre ces actes juridiques). Des mesures de droit civil moins radicales contre les cartels et autres accords faisant obstacle à la libre concurrence, comme les préconisent les défenseurs du marché libre, ne s'appliqueraient en revanche pas spécifiquement au cinéma; les outsiders de l'économie cinématographique, qui en étaient réduits jusqu'à présent à porter plainte pour boycottage en se fondant sur l'article 28 du code civil et sur l'article 41 du code des obligations, considéreraient toutefois ces mesures comme un progrès accompagnant ou remplaçant les mesures de droit public qui pourraient être prises selon l'article 31 bis, 3e alinéa, lettre d, de la
constitution.

On ne saurait, dans l'élaboration et l'exécution de dispositions sur le cinéma, faire abstraction des commissions d'experts permanentes qui peuvent être instituées en vertu de l'article 104 de la constitution. La chambre suisse du cinéma en est une. Le fait que l'article 104 ne parle que d'experts n'exclut pas la possibilité d'attribuer à la chambre du cinéma, dans les lois et ordonnances fondées sur d'autres dispositions constitutionnelles, la compétence de prendre des décisions en plus de celle de donner des avis.

(i) ATF 80, II, 29 s. dans l'affaire Seelig c. Studio 4 S. A.

(3a ) ES, 2, 807; BO 1955, 877.

( ) FF, 1954, II, 646.

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VI. Nécessité de créer une base constitutionnelle pour permettre à la Confédération de légiférer en matière de cinéma 1. On ne peut plus contester l'importance que revêt le cinéma dans la vie actuelle. Il n'y a pas à décider ici s'il est un art au plein sens du terme, Le fait est que, dans ses productions les plus importantes, il atteint un haut degré artistique et satisfait les plus grandes exigences. Ses éléments mécaniques et le fait qu'il peut prêter à une exploitation par les spéculateurs l'éloignent, il est vrai, facilement de l'art. Ce qui est toutefois décisif pour nous, c'est que le film, par ses possibilités spécifiques de réalisation et d'expression, répond de façon particulière aux besoins de l'homme moderne.

On ne s'expliquerait autrement pas le développement considérable qu'il a pris au cours des dernières décennies et qui ressort de sa statistique.

Depuis 1937, année où nous vous avons adressé notre message sur la création d'une chambre suisse du cinéma, le nombre des salles de projection a de nouveau sensiblement augmenté dans notre pays, malgré les mesures restrictives prises par les associations professionnelles. A fin 1955, ce nombre avait passé de 355 à 553, celui des places disponibles de 132 000 à 196 600.

Alors qu'il existait en moyenne 30 places pour mille habitants en 1937, il y en a aujourd'hui 39. Ce chiffre oscille dans les différents cantons entre 12 (Appenzell Rh.-Int.) et 73 (Neuchâtel), dans les villes importantes entre 40 (Berne) et 87 (La Chaux-de-Fonds). On évalue en Suisse à 35 millions le total annuel des entrées dans les salles, ce qui représente une fréquentation approximative de 100 000 spectateurs par jour. D'après les indications du Schweizerischer Lichtspieltheaterverband et de la Sui sa, les recettes annuelles des salles de projection s'élèvent à 75 millions de francs (non compris l'impôt sur les billets). De l'avis de la première association précitée, les capitaux investis dans les salles de notre pays atteindraient près de 300 millions de francs. Ces chiffres ne reflètent que l'aspect extérieur du problème, mais on peut en déduire l'importance qu'a prise le cinéma dans notre vie quotidienne.

La forte représentation des milieux économiquement et socialement modestes dans le public des représentations et l'attraction particulière que celles-ci exercent
sur les jeunes sont des raisons de plus pour ne pas traiter le cinéma en quantité négligeable. De même, il serait inconséquent de se désintéresser du cinéma parce que la fréquentation en est devenue pour de nombreuses gens une sorte de fuite devant la réalité, voire une servitude.

De tels phénomènes ne parlent pas contre, mais en faveur d'une étude approfondie des problèmes du cinéma. Ce dernier doit être, aujourd'hui, pris tout à fait au sérieux. Il n'y a pas de doute que la production cinématographique ne soit capable de s'appliquer à des sujets toujours plus profonds, On a constaté, ces dernières années, qu'elle est appelée non seulement à servir de moyen d'information, d'instruction ou de délassement, mais encore à élever l'âme et à susciter de nobles émotions.

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2. Il est évident que l'Etat ne doit pas s'occuper de tous les aspects du cinéma. De nombreux domaines peuvent et' doivent être laissés à l'initiative privée et à l'impulsion créatrice des cinéastes. Mais que les pouvoirs publics doivent réglementer le cinéma dans des limites déterminées, cela ressort de la nature des choses. En effet: a. Par sa nature technique et par les conditions dans lesquelles se fait sa projection, le film exerce sur les individus une action psychologique et sociologique d'une intensité peu commune, dont il peut user et abuser pour n'importe quel but.

6. Le commerce du filin, en raison du facteur d'incertitude qui lui est inhérent, revêt un caractère de spéculation prononcé, qu'il traduit par ses efforts pour rejeter ses risques sur autrui ou tout au moins pour les diminuer, ce qui entraîne des conséquences économiques et culturelles.

c. L'enchevêtrement international du cinéma a pour résultat que d'une part nos loueurs de films et nos exploitants de salles sont dépendants de la production cinématographique étrangère, et que d'autre part l'activité des producteurs suisses dépend de leurs possibilités d'écouler leurs productions à l'étranger; notre pays en souffre dans ses intérêts.

L'influence de ces trois facteurs est encore accentuée aujourd'hui par le film dit à trois dimensions, avec ses aspects psychologiques et économiques, ainsi que par l'extension de la télévision qui fait naturellement concurrence au cinéma. Il existe, d'ailleurs, d'étroites relations entre le développement de la télévision et les incessants efforts d'innovation accomplis dans le domaine de la technique cinématographique.

Si l'on examine les problèmes que soulève le cinéma du point de vue du bien général, puis si l'on compare l'importance des innombrables matières qui ont fait l'objet de normes légales et celle que revêt le cinéma dans la vie du citoyen, de la famille, de la société et de l'Etat, on reconnaît sans peine que des mesures législatives dans ce domaine sont pleinement justifiées. On peut, on doit même parler de la nécessité sociale d'une législation sur le cinéma.

3. On pourrait soutenir le point de vue que le soin de s'occuper du cinéma en tant que phénomène de la vie culturelle doit être exclusivement laissé aux cantons. Ces derniers ont déjà leur propre législation en matière de
cinéma et ils doivent la conserver; au besoin, l'une ou l'autre question de cinéma trouverait encore une solution rationnelle dans l'ordre juridique cantonal. Mais on ne peut pas ignorer que le cinéma n'est pas seulement affaire culturelle; il a en plus un côté technique et un côté économique.

Les faits et les tendances qui résultent de ses éléments techniques et de son enchevêtrement international font naître toute une série de problèmes législatifs et administratifs qui dépassent les possibilités d'action naturelles

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des cantons. Il y a aussi lieu de considérer que l'économie cinématographique de notre pays se caractérise par une forte organisation, consciente de son but et s'étendant à tout le territoire, ce qui lui permet souvent d'agir en face des autorités comme un corps unique; au contraire, les milieux qui s'intéressent au cinéma du point de vue culturel n'ont pas ensemble de réelle cohésion. Ce rapport des forces est disproportionné.

Du fait que le cinéma a un élément culturel, il ne faut donc pas tirer des conclusions erronées sur la politique à suivre du point de vue législatif.

Si la législation de nos cantons, contrairement à celle d'Etats étrangers, s'est en général bornée à une certaine réglementation partielle de la projection des films, cela s'explique précisément en grande partie par le fait qu'une législation générale sur le cinéma dépasse, par la nature des choses, les possibilités de la législation cantonale. D'autre part, un coup d'oeil sur les dispositions du chapitre premier de la constitution fédérale et sur la législation fédérale en vigueur suffit pour faire constater que les efforts en vue de créer une législation fédérale sur le cinéma ne sauraient être taxés de tentative de centralisation injustifiée. Du reste, les chambres fédérales se sont déjà prononcées dans un sens positif sur cette question de principe à propos de nos messages des 13 juillet 1937 et 19 mars 1938 concernant la création d'une chambre suisse du cinéma ; en effet, la création de cette chambre, selon l'arrêté fédéral du 28 avril 1938, avait notamment pour but de délimiter les attributions entre les cantons et la Confédération en matière de réglementation et d'encouragement du cinéma suisse. C'est dans le même sens qu'ont été formulés les postulats mentionnés au chapitre III.

4. Il ressort du chapitre V du présent message que le droit constitutionnel et les lois de la Confédération actuellement en vigueur ne sont pas une base légale suffisante pour les mesures qu'il y aurait lieu de prendre en matière de politique cinématographique.

L'arrêté fédéral du 28 avril 1938 concernant la création d'une chambre suisse du cinéma se borne à instituer cet organisme et n'est au fond qu'un acte administratif. De même, l'arrêté fédéral du 11 juin 1952 allouant, une subvention annuelle à la fondation du ciné-journal suisse ne
représente qu'un simple arrêté financier. Les arrêtés sur lesquels reposent le contrôle et le contingentement des importations de films, soit l'arrêté n° 54 du Conseil fédéral du 26 septembre 1938 relatif à la limitation des importations et les ordonnances d'exécution qui s'y rapportent, ont leur fondement juridique dans l'arrêté fédéral du 14 octobre 1933/22 juin 1939 sur les mesures de défense économique envers l'étranger, dont la validité cessera, conformément à l'arrêté fédéral du 30 septembre 1954, à fin 1956. Toutes les autres dispositions du droit fédéral qui sont applicables au cinéma sont des parties de lois et ordonnances de caractère général et n'atteignent que de façon secondaire et fragmentaire la matière qui nous occupe ici.

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En ce qui concerne le droit constitutionnel fédéral, notons que les articles économiques (art. 31 s. Cst.), du fait de leur objet et de leur ratio legis, couvrent le seul aspect économique du cinéma, mais non ses côtés politiques et culturels. Enfin, les articles douaniers (art. 28 et 29 Cst.) ne s'étendent même qu'à une partie seulement des intérêts économiques; ils ne s'appliquent pas aux intérêts économiques internes, ceux qui précisément jouent le rôle le plus grand du point de vue de la politique cinématographique.

Si donc une législation appropriée à la nature et à l'importance du cinéma doit voir le jour sur le plan fédéral, ce ne sera que sur la base d'un article constitutionnel spécial.

5. Il reste à préciser le rapport que peut avoir un article constitutionnel sur. le cinéma avec la liberté de la presse, et en outre avec un article constitutionnel sur la radiodiffusion et la télévision.

a. Comme le cinéma ne rentre pas, par définition, dans la notion de presse, la liberté de la presse garantie par la constitution ne s'étend pas non plus au cinéma. Nous l'avons déjà dit dans notre message du 19 octobre 1951 concernant la revision de l'article 55 de la constitution.

6. Par un postulat du 27 mars 1952, le Conseil des Etats nous a invités à faire aux chambres des propositions pour une revision de l'article 36 de la constitution concernant la régale des postes et des télégraphes et pour un projet de loi sur la radiodiffusion et la télévision. Lors de la discussion de notre rapport à l'Assemblée fédérale du 13 janvier 1953 concernant le statut du service suisse de radiodiffusion, nous avons, en date du 22 septembre 1953, accepté un postulat de la commission du Conseil national nous invitant à vous faire, dans un délai de quatre ans, des propositions « sur la création d'une base légale spéciale pour le service de la radiodiffusion suisse et la télévision». Dans notre message du 8 mars 1955 concernant l'aménagement de la télévision suisse (1), nous avons constaté que durant la période d'expérimentation transitoire, c'est-à-dire jusqu'à fin 1957, il y aura lieu d'ajouter à la constitution un article donnant à la Confédération la compétence de légiférer dans le domaine de la radiodiffusion et de la télévision.

Non seulement pour gagner du temps, mais aussi en raison de la nature des choses,
nous estimons nécessaire de traiter à part la question d'une base constitutionnelle pour une législation fédérale sur le cinéma. Sans parler des différences techniques existant entre le film d'une part, la radiodiffusion et la télévision d'autre part, il y a lieu de relever que leurs statuts juridiques diffèrent essentiellement, par le fait que la transmission électrique ou radioélectrique de signaux, d'images et de sons est une régale de la Confédération, tandis que le cinéma appartient totalement au domaine de l'économie t1) FF 1955, I, 432.

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privée. L'existence d'une régale exerce une influence déterminante aussi bien sur les possibilités de la législation fédérale que sur les rapports entre la Confédération, d'une part, et les usagers des installations ou les cantons, d'autre part. Traiter séparément la question du cinéma ne supprime pas, il est vrai, la nécessité d'harmoniser dans une certaine mesure les règles à édicter pour ces domaines distincts et de fixer les limites de ces règles.

Cette remarque s'appliquera à fortiori au cas où, tôt ou tard, la télévision viendrait à se combiner avec la projection cinématographique.

VIL Consultation des gouvernements cantonaux et des organismes économiques et culturels Après s'être occupé pendant près de vingt ans des problèmes du cinéma, notre département de l'intérieur avait rédigé, il y a quelque temps, le texte d'un article constitutionnel sur cette matière. Il avait la teneur suivante: Article 27ter 1 La Confédération peut, à l'eoet de protéger et d'encourager le cinéma suisse indépendant, édicter des dispositions légales et prendre des mesures correspondantes, en particulier pour favoriser la production cinématographique indigène, pour réglementer les importations de films et pour élever le niveau de la culture cinématographique.

2 L'ouverture et l'exploitation de nouvelles salles de cinéma peuvent être subordonnées à la capacité personnelle de l'exploitant et à l'existence d'un besoin.

8 La censure cinématographique, la censure de. la publicité pour les spectacles cinématographiques, la protection de la jeunesse, le cinéma d'enseignement, en outre l'édiction et l'exécution de dispositions de police sur la construction et l'exploitation des salles de cinéma, ainsi que la procédure pour les autorisations d'ouvrir de nouvelles salles, sont de la compétence des cantons.

Cet avant-projet devait servir de base pour l'étude subséquente et avait été intentionnellement conçu de manière à provoquer une mise au point générale des problèmes en cause. Il attribuait à la Confédération une compétence générale, avec des réserves spéciales en faveur des cantons.

La chambre suisse du cinéma fut d'abord consultée sur cet avant-projet en tant qu'organe administratif spécialisé et comme représentante des intérêts publics, culturels et économiques existant en matière de cinéma ; elle recommanda d'étendre le régime du permis aux trois branches de l'industrie cinématographique (production, louage et projection) et de remplacer le critère de la capacité par celui, plus général, de l'intérêt public. Nous autorisâmes ensuite le département de l'intérieur, le 11 mars 1955, à soumettre son avant-projet aux gouvernements cantonaux ainsi qu'aux principales associations économiques et culturelles. Reçurent la documentation du département, outre les gouvernements cantonaux, 93 sociétés et institutions (16 associations économiques et culturelles du cinéma, 45 autres organismes culturels, 14 organismes d'utilité publique et 18 économiques). Des réponses parvinrent de 23 cantons et des 71 sociétés et institutions ci-après:

481 Association des producteurs suisses de filins, Association des loueurs de films en Suisse, Schweizerischer Lichtspieltheaterverband, Association cinématographique suisse romande, Schweizerischer Fümbund, Association suisse des offices du film d'enseignement, Cinéma scolaire et populaire suisse, Fédération suisse des sociétés pour le film documentaire, Association protestante suisse pour le film et la radio, Association suisse pour le développement de la culture cinématographique, Cinémathèque suisse, Verband schweizerischer Kino-Liegenschaftseigentümer, Société des écrivains suisses, Société suisse des libraires et éditeurs, Société des libraires et éditeurs de la Suisse romande, Schweizerischer Bühnenverlegerverband, Commission mixte de politique en matière de presse, Association de la presse suisse, Association suisse des éditeurs de journaux, Schweizerische Vereinigung freier Berufsjournalisten, Schweizerisoher Freisinnig-Demokratischer Presseverband, Verein schweizerischer katholischer Publizisten, Association des musiciens suisses, Société suisse du théâtre, Syndicat des théâtres suisses, Gesellschaft schweizerischer Dramatiker, Société romande des auteurs dramatiques, radiophoniques et de cinéma, Vereinigung schweizerischer Bühnenschriftsteller, Association suisse des artistes du théâtre, Centre national suisse du théâtre, Société suisse des femmes peintres, sculpteurs et décorateurs, Schweizerischer Werkbund, Fondation «Pro Helvetia», Société suisse des sciences morales, Association des bibliothécaires suisses, Association suisse des femmes universitaires, Office central universitaire suisse, Société suisse des professeurs de l'enseignement secondaire, Société suisse des instituteurs, Société suisse des institutrices, Société pédagogique de la Suisse romande, Société suisse des instituteurs catholiques, Fédération suisse des associations de l'enseignement privé, Association des universités populaires suisses, Société suisse de radiodiffusion (service de télévision), Centrale suisse d'éducation ouvrière, Fédération des églises protestantes de la Suisse, Association populaire catholique suisse, Société suisse d'utilité publique, Alliance de sociétés féminines suisses, Société d'utilité publique des femmes suisses, Ligue suisse des femmes catholiques, Fondation «Pro Juventute», Cartel suisse des associations de jeunesse, Cartel romand d'hygiène sociale et morale,

482 Union suisse pour la moralité publique, Vereinigung für Rechtsstaat und Individualreehte, Union suisse du commerce et de l'industrie, Union suisse des arts et métiers, Union centrale des associations patronales suisses, Association suisse des banquiers, Union suisse des paysans, Union syndicale suisse, Communauté d'action nationale des salariés, Fédération suisse des syndicats chrétiens nationaux, Union suisse des syndicats autonomes, Union suisse des coopératives de consommation, Union des coopératives Migros, Office national suisse du tourisme, Fédération suisse du tourisme, Suisa, société suisse des auteurs et éditeurs.

Le tableau ci-après donne les résultats de cette consultation, schématiquement exposés pour les points principaux: 1. Question de principe. Y a-t-il nécessité de créer une base constitutionnelle en vue d'une législation fédérale sur le cinéma ?

Réponse affirmative: Réponse négative:

19 cantons (dont 1 avec réserve) 62 sociétés et institutions 3 cantons (dont 2 en ce qui concerne le moment présent) 5 sociétés et institutions

2. Avis d'ensemble sur le premier avant-projet du département de l'intérieur Approbation sans réserve : 5 10 Avec des propositions de modification: 15 42

cantons sociétés et institutions cantons (dont 2 sous condition) sociétés et institutions

3. Clause donnant une compétence générale à la Confédération, avec réserves spéciales pour les cantons Pour:

10 cantons (dont 1 avec réserve) 30 sociétés et institutions

Contre:

9 cantons 17 sociétés et institutions

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4. Certificat fédéral de capacité pour l'ouverture et l'exploitation de nouvelles salles de projection Pour: 5 cantons 11 sociétés et institutions Contre : 14 cantons (dont 4 rappelant la compétence des cantons en matière de police des arts et métiers) 31 sociétés et institutions 5. Clause fédérale exigeant l'existence d'un besoin pour l'ouverture et l'exploitation de nouvelles salles de projection Pour : 9 cantons 31 sociétés et institutions Contre : 11 cantons (dont 4 se prononcent pour une compétence cantonale) 12 sociétés et institutions 6. Rapport avec la législation sur la radiodiffusion et la télévision Trois cantons sont d'avis que le fondement constitutionnel d'une législation fédérale sur le cinéma devrait être établi en même temps que · celui qui aurait trait à la radiodiffusion et à la télévision (un canton préconise même l'élaboration d'un seul projet réunissant ces trois questions). Cinq sociétés et institutions souhaitent également que les trois problèmes soient traités ensemble ou du moins au même moment, tandis que deux autres se prononcent résolument pour une séparation des matières.

Nous nous rendons naturellement compte qu'un exposé purement numérique comme celui qui précède a une valeur très relative et que pour apprécier correctement les résultats de l'enquête, il faut considérer aussi le poids de chacun des avis exprimés. Il y a lieu de noter encore que les cantons et les organismes consultés ont émis, à propos d'une législation fédérale sur le cinéma, de nombreuses, intéressantes et précieuses considérations et propositions. Parmi les thèmes que traitent les différents avis, nous nous bornons à mentionner l'encouragement de la production cinématographique et celui des activités culturelles du domaine du cinéma, la connexion nécessaire entre la limitation des importations de films et le contrôle de l'ouverture de nouvelles salles de projection, le principe selon lequel des dispositions légales de la Confédération sur le cinéma doivent avoir un caractère subsidiaire, la collaboration des .groupements de l'économie cinématographique et des organismes culturels intéressés dans l'application des lois fédérales d'exécution, ainsi que la nécessité d'une protection juridique de la liberté de la presse dans la critique de représentations cinématographiques publiques. Pour ne pas allonger, nous renonçons à commenter davantage ici les résultats de l'enquête. Ils sont consignés

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dans un rapport de notre département de l'intérieur, que nous tiendrons à la disposition de vos commissions.

Ont, de leur propre initiative, pris position au sujet du problème d'une législation fédérale sur le cinéma : le groupe parlementaire inter-partis pour les questions de cinéma et le parti socialiste suisse.

Le groupe, parlementaire inter-partis pour les questions de cinéma estime nécessaire une législation fédérale sur le cinéma; il est toutefois opposé à ce que le futur article constitutionnel tienne compte de points de vue de politique artisanale (séances des 22 mars et 21 juin 1955).

L'avis exprimé par le parti socialiste suisse (lettre au département de l'intérieur du 14 juin 1955) recommande un article constitutionnel unique pour la radiodiffusion, la télévision et le cinéma ; il met l'accent sur l'aspect politique et culturel de ces activités et demande le régime du permis pour l'ouverture et l'exploitation de nouvelles salles de projection.

Les abondants articles de la presse suisse relatifs à l'avant-projet du département de l'intérieur n'apportent aucune modification essentielle au tableau des résultats de l'enquête de ce département.

Les associations de la presse suisse ont naturellement fait connaître leurs avis au cours de ladite enquête. Représentées par la commission mixte de politique en matière de presse, elles se sont bornées, dans un rapport commun du 14 juin 1955, à affirmer en principe le besoin d'une réglementation fédérale du cinéma et'à exposer les points de vue juridique, politique et économique qui intéressent la presse. Elles ont insisté, encore que dans une forme générale, sur la nécessité de garantir et formuler juridiquement la liberté de la critique cinématographique. «Le législateur», est-il dit dans la lettre de la commission de politique en matière de presse, «aura à trouver la forme appropriée pour supprimer toute entrave indésirable de la libre critique cinématographique. L'intérêt public l'exige manifestement». (Les organismes s'occupant du théâtre se sont prononcés dans le même sens, tandis que le Schweizerischer Filmbund, la société des écrivains suisses, la fondation «Pro Helvetia», la société suisse des instituteurs, la centrale suisse d'éducation ouvrière, l'association populaire catholique suisse et l'union syndicale suisse proposent sans hésiter
une clause à introduire dans l'article constitutionnel.)

VIII. Délimitation des attributions de la Confédération et des cantons 1. Nouveau projet d'article constitutionnel et considérations générales

Une délimitation des attributions de la Confédération et des cantons ne porte aucun jugement de valeur. Il s'agit simplement de déterminer quelle collectivité publique est le mieux à même de s'acquitter d'une tâche donnée.

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Vu les résultats de l'enquête mentionnée au chapitre VII, le département de l'intérieur a élaboré un nouveau projet d'article constitutionnel sur le cinéma tenant compte autant que possible des avis exprimés. Ce nouveau projet a la teneur suivante : Article mer 1 La Confédération peut légiférer sur l'encouragement de la production cinématographique suisse et sur celui des activités culturelles déployées dans le domaine du cinéma, sur la réglementation des importations de films, ainsi que sur l'ouverture et la transformation d'entreprises de projection de films.

2 Les cantons et les associations culturelles et économiques du cinéma seront préalablement consultés.

3 Ces associations pourront être appelées à coopérer à l'application des dispositions d'exécution.

4 La censure des représentations cinématographiques et de la publicité faite pour elles, la protection de la jeunesse, le cinéma d'enseignement, la faculté d'édicter et appliquer des dispositions de police en matière de construction et d'exploitation, restent de la compétence des cantons.

6 Si la législation fédérale assujettit l'ouverture et la transformation d'entreprises de projection de films à des autorisations, il appartiendra aux cantons d'accorder ces dernières, selon la procédure qu'ils détermineront.

Ce nouveau texte, dans lequel on a renoncé à la clause générale, fixe la compétence de la Confédération: Faculté d'édicter des dispositions légales sur l'encouragement de la production cinématographique suisse et sur celui des activités culturelles déployées dans le domaine du cinéma, sur la réglementation des importations de films et sur l'ouverture et la transformation d'entreprises de projection de films.

Demeurent expressément de la compétence des cantons: La censure des représentations cinématographiques et de la publicité qui est faite pour ces représentations, la protection de la jeunesse, le cinéma d'enseignement, la faculté d'édicter et d'appliquer des dispositions de police en matière de construction et d'exploitation, ainsi que les autorisations et la procédure à suivre pour celles-ci au cas où la Confédération viendrait à régler les conditions dans lesquelles peuvent être ouvertes ou transformées des entreprises de projection de films. A cela s'ajoute pour les cantons le droit d'être consultés avant que des dispositions fédérales ne soient édictées.

Comme, en vertu de l'article 3 de la constitution fédérale, les cantons exercent tous les droits qui ne sont pas délégués au pouvoir fédéral, on pourrait soutenir qu'au 4e alinéa du projet ci-dessus il est superflu de réserver expressément des attributions aux cantons. Cela peut être exact, du point de vue formel. Mais, il y a lieu de considérer qu'en vertu du droit actuellement en vigueur la Confédération aurait la possibilité de légiférer aussi en matière de police cinématographique; l'article 3lois, 2e alinéa, de la constitution lui confère, en effet, la compétence générale d'édicter des prescriptions sur l'exercice du commerce et de l'industrie, compétence qui Feuille fédérale. 108" année. Vol. I.

33

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est en concurrence avec celle des cantons (art. 31, 2e al.). Mais même indépendamment de cela, il est recommandable de faire des réserves expresses en faveur de la législation cantonale, car déjà dans le champ déterminé par le premier alinéa du nouveau projet, des doutes pourraient s'élever tôt ou tard sur l'étendue de la compétence conférée à la Confédération. Enfin, la réserve du 4e alinéa répond à une exigence d'ordre psychologique. Que, d'autre part, l'énumération d'attributions cantonales faite au 4e alinéa n'a pas un caractère limitatif, c'est chose évidente.

Si les modifications fondamentales qui pourraient se produire dans le cinéma devaient exiger une autre délimitation de la compétence fédérale, il y aurait alors lieu d'adapter l'article constitutionnel à la nouvelle situation, selon le processus naturel de formation de notre droit constitutionnel.

Nous estimons que le nouveau projet du département de l'intérieur répond aux conditions et nécessités actuelles. Avant de parler du domaine qu'il attribue à la législation fédérale, nous dirons ci-après quelques mots sur celui qu'il laisse aux cantons.

2. Censure et protection de la jeunesse On ne peut pas contester sérieusement la. nécessité d'une censure et d'une protection spéciale de la jeunesse dans le domaine du cinéma, si l'on considère les choses sans parti pris. Cette nécessité découle de la nature particulière du cinéma, dont nous avons parlé plus haut, et de l'importance des biens vitaux et des valeurs communes qu'il y a heu de protéger contre des influences nuisibles. Une censure centralisée serait une simplification pour l'économie cinématographique. Mais cet avantage technique ne saurait être déterminant. La compétence de censurer les représentations cinématographiques et la publicité faite pour elles doit, pour des raisons de principe, rester aux cantons. Elle le devrait, du point de vue fédéral, même si une majorité de cantons se déclaraient prêts à renoncer à cette partie de leur souveraineté.

Lorsqu'on 1922 notre département de justice et police, étudiant la possibilité d'un concordat intercantonal en matière de censure cinématographique, procéda à des sondages auprès des cantons au sujet d'une censure fédérale préalable, qui aurait été ou facultative ou obligatoire, la réaction des cantons ne fut pas positive. Un postulat
Zimmerli, adopté par le Conseil national le 9 décembre 1921, nous avait invités à examiner s'il n'y aurait pas lieu d'introduire à l'article 31 de la constitution fédérale une disposition donnant aux cantons la compétence de soumettre l'industrie du cinéma aux restrictions qu'exigeait le bien public; en discutant de ce postulat, le Conseil national exprima le voeu, le 8 octobre 1926, que notre département de justice et police provoquât la conclusion d'accords intercantonaux en matière de censure et examinât si une loi fédérale ne pourrait pas mieux régler la censure préalable. Dans la séance qu'elle tint à Berne le 22 no-

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vembre 1926, la conférence des chefs des départements cantonaux de justice et police estima, à la majorité, que l'application de concordats sur la censure cinématographique se heurterait à de grandes difficultés ; aussi se prononçat-elle par treize voix contre trois en faveur d'une loi fédérale. Mais quand, dix ans plus tard, notre département de l'intérieur prépara la création d'une chambre suisse du cinéma, il fut admis d'emblée que la censure cinématographique et la protection de la jeunesse devaient rester l'apanage des cantons. Cette idée se retrouve dans tous les messages mentionnés au chapitre VI ci-dessus et a été expressément confirmée dans l'arrêté fédéral du 28 avril 1938 instituant une chambre suisse du cinéma (art. 1er, 3e alinéa).

Nous ne nous en sommes pas écartés par la suite.

La compétence des cantons en matière de censure cinématographique n'a naturellement pas pour effet de rendre inapplicables les dispositions de lois fédérales générales qui s'étendent également au cinéma et à la publicité faite en faveur de représentations cinématographiques. Nous pensons d'une part au code pénal (art. 204 et 212, ce dernier spécialement en ce qui concerne la protection de la jeunesse) ainsi qu'à la législation sur les douanes et sur les postes (art. 36, 4e al., de la loi du 1er octobre 1925 sur les douanes (1), art. 25 de la loi du 2 octobre 1924 sur le service postal ( 2 ), concernant les publications et autres objets de caractère immoral), d'autre part aux dispositions générales de la Confédération sur la protection de l'Etat. En outre, doit être évidemment réservée, pour le temps de guerre, une censure extraordinaire exercée par des organismes fédéraux en vue de la sûreté extérieure et intérieure du pays et pour sauvegarder notre indépendance et notre neutralité.

En admettant qu'une censure cinématographique centralisée fût juridiquement et politiquement admissible, on ne pourrait guère en attendre un réel succès. Certains cantons la jugeraient trop molle, d'autres probablement trop rigoureuse. Aussi tomberait-elle vraisemblablement bientôt en discrédit.

Lorsque l'on parle de la nécessité d'une réglementation légale du cinéma, il ne faut pas, au demeurant, oublier le rôle primordial que doivent jouer dans ce domaine la famille, l'Eglise et l'école. Se préoccupent aussi des effets du
cinéma de nombreuses institutions et associations d'utilité publique; toutefois, pour une influence profonde importe naturellement moins l'organisation des efforts que l'action d'homme à homme. Si l'on se mettait individuellement, mais systématiquement et sur une large base, à réprouver les mauvais films et à recommander les films de qualité, on constaterait plus rapidement qu'on ne l'admet communément un changement non seulement dans les programmes des salles de projection et dans les offres des loueurs, mais aussi dans le niveau de la production étrangère.

(') BS, 6, 378.

( a ) RS, 7, 761 s.

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II a été fait à ce sujet des expériences concrètes, tout à fait concluantes.

D'une manière générale, on peut dire que des mesures officielles à l'effet de protéger les valeurs spirituelles et morales demeurent à la longue inefficaces si leur application n'est pas vigoureusement soutenue par la population.

Le moyen le plus simple de mettre de l'ordre dans le cinéma serait naturellement que l'économie cinématographique elle-même entreprît cette tâche méthodiquement. C'est ce que cherche à faire l'«autocontrôle» en Amérique, en Grande-Bretagne et en Allemagne. A ce propos, nous citons ici les dispositions des statuts du Schweizerischer Lichtspieltheater-Verband (association des salles de Suisse allemande et de Suisse italienne) qui ont trait à la publicité de mauvais aloi. L'article 37 desdits statuts a la teneur suivante (nous traduisons): 1 Toute publicité déloyale ou de mauvais aloi, en paroles et en images, est interdite et sera l'objet de sanctions infligées par le comité conformément à l'article 43 des statuts.

2 Est notamment réputée déloyale toute publicité mensongère ainsi que toute autre publicité qui, par rapport aux concurrents, induit en erreur ou est contraire à la bonne foi.

8 Est notamment réputée de mauvais aloi la publicité a. Qui est contraire au droit public; 6. Qui n'est pas compatible avec l'intérêt national ; c. Qui, de l'avis de tout homme convenable et jugeant normalement, est contraire aux bonnes moeurs; d. Qui est manifestement de mauvais goût; e. Qui est de nature à nuire gravement à la réputation et aux intérêts légitimes des salles de projection en général et de l'association en particulier; /. Qui fait allusion à des entreprises concurrentes.

Malheureusement, l'application éventuelle de ces dispositions ne se fait que sur plainte. Mais le droit de plainte est reconnu aussi bien aux autorités qu'aux particuliers.

Une communication du service de presse du Schweizerischer Lichtspieltheater-Verband, qui a été reprise par la presse suisse en automne 1954 et qui avait trait aux films de bas étage et aux excès du louage des films en bloc et à l'aveugle, se terminait ainsi (nous traduisons) : Les salles de projection doivent rejeter en partie la responsabilité des films sur les maisons de production et celle de la publicité sur les entreprises de louage. Elles ne veulent pas endosser plus longtemps les fautes morales des autres branches de l'économie cinématographique. Elles sont décidées à exiger carrément un constant relèvement du niveau des programmes. Elles ont toutefois besoin à cet effet de l'appui des milieux de spectateurs qui vouent leur intérêt au bon film.

Il est du devoir de toutes les personnes et communautés conscientes de leur responsabilité de faire usage des possibilités pratiques qui leur sont offertes par cette déclaration de bonne volonté.

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3. Enseignement L'enseignement est, en principe, affaire des cantons. Il n'en est pas autrement des parties de l'enseignement qui se servent du film.

a. Par «cinéma d'enseignement» au sens de l'article constitutionnel que nous proposons, il faut entendre l'enseignement par le film. Il est certain que le film, en tant que moyen d'enseignement, exerce à maint égard une action suggestive et utile. Cependant, sa valeur pédagogique ne doit pas être surestimée. De l'avis d'instituteurs expérimentés, l'image fixe est, d'une manière générale, supérieure à l'image mouvante comme moyen d'enseignement. Elle offre des possibilités plus vastes et d'un effet plus profond, car ce qu'elle représente peut être entièrement assimilé par le spectateur.

6. Non moins important que l'enseignement par le film est l'enseignement ayant le film pour l'objet. L'importance d'une telle matière d'enseignement est claire si l'on songe combien l'adolescent entre vite en contact avec le monde du cinéma et doit rapidement y appliquer des facultés critiques. On pourrait accomplir là, dans notre pays, un bon travail constructif, à l'instar de ce qui se fait dans des Etats étrangers.

4. Police cantonale du commerce et de l'industrie De même que la censure et la protection de la jeunesse, la police en' matière de construction et d'exploitation (au sens étroit) des salles de projection est partie intégrante de la police générale du commerce et de l'industrie exercée par les cantons. A cet égard, il y a encore deux problèmes qui présentent un intérêt spécial, à savoir celui des films employés dans la télévision et celui des rapports entre critiques cinématographiques et salles de projection.

a. Emissions de films dans la télévision. Pour des raisons matérielles, la censure officielle des cantons ne peut guère s'exercer directement sur les films qui figurent aux programmes de la télévision. Aussi la société suisse de radiodiffusion, à laquelle sont confiés l'établissement et l'émission de ces programmes, fait-elle elle-même la censure nécessaire, comme nous l'avons dit dans notre message du 8 mars 1955 sur l'aménagement de la télévision suisse (l) et confirmé dans notre réponse du 1er juillet 1955 à la question Alfred Grutter du 22 mars 1955; elle se fonde pour cela sur les décisions des censures cantonales. Quelques cantons, faisant
usage des droits que leur confère en matière de police du commerce et de l'industrie l'article 31, 2e alinéa, de la constitution fédérale, ont édicté des dispositions sur l'admission des jeunes gens aux représentations publiques de télévision (Tessin, décret du Conseil d'Etat du 11 mai 1954; Unterwald-le-Haut, arrêté du Conseil d'Etat du 12 janvier 1955; Soleure, ordonnance du Conseil d'Etat du 12 octobre 1955). Par ailleurs, il va sans dire que les prescriptions (!) FF 1955, I, 385.

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générales de police des cantons qui sont applicables aux auberges le sont également à la fréquentation des spectacles télévisés dans de tels établissements.

b. Situation du critique cinématographique, à l'égard de l'exploitant d'une salle de 'projection. Comme la législation fédérale ne contient, de l'avis du Tribunal fédéral (1), aucune règle qui confère au critique cinématographique, à l'égard de l'exploitant d'une salle, le droit d'assister à la projection de films, la législation cantonale revêt, dans ce domaine, une importance spéciale. Il y a des années déjà que le canton de Lucerne a introduit dans sa loi sur le cinéma une clause selon laquelle l'exploitant d'une salle est tenu d'autoriser les critiques cinématographiques attitrés des journaux quotidiens de la place à assister gratuitement aux séances de projection (art. 18.

4e al., de la loi du 3 mars 1942). Sous l'impression, probablement, du litigo qui a fait l'objet de l'arrêt du Tribunal fédéral mentionné ci-dessus, d'autres cantons ont, depuis lors, également voué leur attention à ce problème dans leurs législations.

En ce qui concerne les dispositions de la législation fédérale sur la presse et la télévision qui touchent le cinéma, et au sujet des relations entre ces dispositions et une législation fédérale sur le cinéma, nous renvoyons aux exposés du chapitre VI, paragraphe 5, lettre 6, et du chapitre IX, paragraphe 4, lettres a et b.

5. Application de dispositions de droit fédéral à l'ouverture et à la transformation d'entreprises de projection de films Si, dans notre projet, l'application du régime du permis pour de nouvelles salles de projection et le soin de régler la procédure y relative sont de la compétence des cantons, c'est pour un motif fédéraliste. En effet, l'interprétation et l'application du droit ne sont pas de simples fonctions mécaniques. La solution envisagée permettrait de tenir convenablement compte, dans l'examen des demandes, de conditions et conceptions qui diffèrent d'un endroit à l'autre. Une certaine égalité juridique dans l'interprétation et l'application de la loi serait d'ailleurs assurée par la possibilité de recourir à notre autorité conformément à l'article 125, 1er alinéa, lettre b, de la loi du 16 décembre 1943 sur l'organisation judiciaire fédérale ( 2 ), possibilité que le législateur fédéral
pourrait, le cas échéant, remplacer par une voie de recours spéciale.

6. Concordats intercantonaux En vertu de l'article 7 de la constitution fédérale, les cantons ont le droit de conclure entre eux des concordats aussi sur les questions de cinéma.

Cette possibilité subsistera, après l'adoption de l'article constitutionnel sur (') ATF 80, II (26s.)

( a ) KS 8, 656.

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le cinéma, pour celles de ces questions qui resteront de la compétence des cantons.

L'éventualité d'un concordat a une importance pratique principalement dans le domaine de la censure des films. Sans doute, les tractations qui ont eu lieu en vue de la conclusion d'un ou plusieurs concordats sur cet objet n'ont jamais réussi à susciter un véritable mouvement dans ce sens.

L'idée d'un concordat intercantonal sur la censure a été discutée pour la première fois en 1913, à Hérisau, par la conférence des chefs des départements cantonaux de justice, et police. Elle reçut du postulat Zimmerli de l'année .1921 (voir chapitre III) une impulsion nouvelle. Mais il ne put jamais se former une majorité parmi les cantons. La même expérience a été faite dernièrement, lors d'une enquête à laquelle notre département de l'intérieur a procédé à propos du postulat Frei concernant le cinéma et la criminalité dans la jeunesse. Ce postulat, adopté par le Conseil national le 16 mars 1954, nous invitait à «prendre l'initiative d'un concordat intercantonal qui aurait pour but l'application de toutes les mesures qui sont de la compétence légale des cantons et auraient pour objet de mieux protéger les adolescents et la population tout entière contre les funestes effets des films de crimes, de gangsters et autres films peu recommandables». Dans sa réponse à M. Frei, le chef du département de l'intérieur dut déclarer que la pensée d'un tel concordat n'éveillait aucun enthousiasme dans la plupart des cantons ; à en juger par les résultats de l'enquête, on ne pourrait en aucun cas compter sur une participation de tous les cantons et, dans ces circonstances, ü serait préférable de songer à un réseau d'accords plus modestes, tendant à une information réciproque de certains cantons sur leur pratique en matière de censure. Cela ne veut toutefois pas dire que l'idée d'un concordat plus général doive être abandonnée; les développements possibles du cinéma peuvent d'ailleurs l'imposer.

IX. Matière d'une législation fédérale sur le cinéma 1. Généralités Dans notre projet d'article constitutionnel sur le cinéma (1er alinéa), nous avons attribué à la Confédération ou considéré comme terrain de collaboration, entre la Confédération et les cantons, conformément aux critères exposés plus haut, les tâches qui ne peuvent pas être accomplies
par les cantons ou ne peuvent l'être par, eux seuls qu'imparfaitement. Il s'agit naturellement en premier lieu de tout ce qui a trait à l'indépendance du cinéma suisse, ainsi que des problèmes soulevés directement ou indirectement par la provenance étrangère de la quasi-totalité des films. La notion d'indépendance contient d'abord un élément national, donc politique. Mais elle présente aussi, indirectement, des aspects moraux et artistiques. Qu'on songe seulement à la nature des films qui se projetteraient

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dans notre pays s'il n'y avait sur notre sol aucun contrôle de l'activité commerciale et de la propagande, politique ou non, de l'étranger.

Il n'est, cela va sans dire, pas possible de fixer déjà maintenant les détails de l'application légale de l'article constitutionnel. Nous indiquons ci-après les problèmes qui, du point de vue du bien public, peuvent faire l'objet d'une législation fédérale sur le cinéma.

2. Industrie du cinéma a. Production. La production indigène est le nerf vital de tout cinéma indépendant. Si l'on considère le cinéma suisse sous cet angle, on fait cette constatation primordiale que nos entreprises de louage et nos salles de projection doivent presque entièrement chercher leurs films dans la production étrangère. Alors que, depuis la fin de la dernière guerre, il n'a guère été produit qu'un film scénique suisse par an, notre pays en a importé chaque année 500 en moyenne. Aux inconvénients culturels et politiques d'un tel état de choses s'ajoute le problème de la langue dans laquelle les films parlés sont projetés. Ne pas accorder d'attention à la langue dans l'éducation ou dans la vie publique risque toujours de provoquer la décadence de la culture ; il en est de même dans le cinéma. On ne peut pas regarder comme très heureux, du point de vue culturel, le fait, par exemple, que la moitié environ des films scéniques importés en Suisse sont de provenance anglo-saxonne et sont, par conséquent, ou bien parlés anglais ou bien synchronisés après coup dans une de nos langues nationales (ce qui est rarement le cas pour la Suisse alémanique). C'est un motif de plus pour accueillir avec bienveillance la demande qui nous est faite d'encourager la production cinématographique suisse.

En plus d'une tâche culturelle générale, le cinéma suisse doit encore remplir quelques fonctions spéciales de caractère politique et culturel: II peut contribuer à atténuer les divergences qui divisent notre peuple dans ses idées politiques et dans sa conception du monde, et exercer une action féconde sur les échanges culturels à l'intérieur du pays. Il a, d'autre part, un rôle essentiel à jouer dans nos rapports avec les Suisses de l'étranger. Le film constitue, en effet, un lien efficace entre la patrie et les colonies suisses à l'étranger; mais jusqu'à présent, les nombreuses et instantes demandes de
films suisses faites par nos compatriotes établis au loin n'ont malheureusement été satisfaites que d'une manière tout à fait insuffisante. Enfin, le cinéma devrait être partie intégrante de la propagande culturelle suisse à l'étranger. Si l'on se représente qu'il y a dans le monde 93 000 salles de projection comprenant 53 millions de places assises et qu'elles vendent annuellement 10 milliards de billets d'entrée, on conçoit quelles possibilités s'offrent au film en tant que moyen de propagande, même pour un pays dont la production est de faible volume. Avec des moyens relativement modestes, il est ici possible d'obtenir un puissant effet. La première condition est natu-

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tellement que le film soit de réelle qualité. Mais un vrai film suisse se disringue par des traits qui n'appartiennent qu'à lui ; il est, en ce sens, irremplaçable, et c'est en cela que réside essentiellement sa justification artistique.

Il est notoire que la production cinématographique suisse est, depuis des années, en butte à de grosses difficultés économiques ; le vif et légitime succès remporté par certains de ces films scéniques à l'étranger n'y change rien. Si même des maisons de production ayant depuis longtemps fourni la preuve de leur capacité sont financièrement dans l'impossibilité de sortir des films de façon continue, cela prouve dans quelles conditions économiques déplorables elles doivent travailler. En ce qui concerne la production de films documentaires dite libre, c'est-à-dire ne se faisant pas sur commande d'un intéressé, elle a presque complètement disparu en Suisse au cours de ces dernières années, comme nous l'avons dit au chapitre II. Ce phénomène est dû à l'exiguité du marché que forme notre pays ainsi qu'aux difficultés d'exportation que suscite l'étranger par ses entraves commerciales et par les mesures protectionnistes qu'il a prises au profit de ses propres films.

Comment une production libre serait-elle encore possible, alors que la confection d'un bon film documentaire coûte environ 50 000 francs, que la quote-part revenant au producteur sur le louage en Suisse n'atteint pas, dans le cas le plus favorable, le dixième de cette somme et que l'exportation, si elle peut finalement se faire après des démarches extrêmement difficiles, rapporte au plus 2500 à 6000 francs dans un pays étranger ?

La production cinématographique suisse se heurte encore à une autre difficulté, qui a des répercussions artistiques et des effets économiques sur le louage au pays et à l'étranger. C'est la pluralité des langues usitées dans notre pays et le fait qu'il est normal, même artistiquement, qu'un film authentiquement suisse produit en Suisse allemande soit parlé en dialecte.

Si l'on considère enfin les exigences financières accrues auxquelles le film suisse devra faire face à l'avenir en raison des innovations techniques (film en couleur, film en relief, concurrence de la télévision), il devient évident que cette branche de notre production culturelle ne peut pas être simplement abandonnée
à son sort.

Comme les efforts faits sur le terrain de l'économie privée en vue de procurer les ressources nécessaires à la production cinématographique suisse par la perception d'un «sou du cinéma» (supplément sur les billets d'entrée), n'avaient pas eu de résultat positif, M. Hans Oprecht, conseiller national, déposa, le 29 septembre 1953, un postulat de la teneur suivante: Le Conseil fédéral est prié d'examiner si, en ponformité des postulats adoptés par les deux chambres au sujet d'une législation sur le cinéma et une aide immédiate à l'industrie du cinéma, la Confédération ne devrait pas prendre des mesures pour procurer à la production suisse de films récréatifs et documentaires un appui qui lui permette de soutenir la concurrence sur le marché. Les ressources nécessaires pourraient être obtenues par une imposition de l'importation des films étrangers, à un taux adapté à ceux qui sont d'usage internationalement.

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Ce postulat fut adopté par le Conseil national le 16 mars 1954. Il créait une nouvelle base de départ pour la réalisation d'une aide immédiate, d'abord provisoire, à la production cinématographique suisse. L'affaire sembla, au début, être sur le bon chemin. L'idée était de réunir des fonds en augmentant les taxes d'importation perçues sur les films étrangers en vertu de l'arrêté n° 54 du Conseil fédéral du 26 septembre 1938 concernant la limitation des importations et en vertu de l'ordonnance d'exécution du département de l'intérieur. Elle s'était déjà concrétisée, à ce département, dans un avant-projet d'arrêté fédéral et dans un projet de message à l'Assemblée fédérale. Mais un examen plus approfondi fit constater des empêchements de droit et de législation qui entraînèrent l'abandon de ce projet spécial. Le postulat Oprecht se trouva donc absorbé, lui aussi, dans le problème général d'une législation fédérale sur le cinéma. Quant au postulat Aebersold demandant une subvention au fonds suisse du cinéma culturel, qui avait dans une certaine mesure un rapport avec le précédent et qui fut adopté par le Conseil national le 15 mars 1955, nous en avons provisoirement tenu compte en portant une demande de crédit dans notre projet de budget fédéral pour 1956.

Nous détaillerons plus tard, au besoin, les mesures à prendre pour l'encouragement de la production cinématographique suisse, lorsqu'il pourra reposer sur une base constitutionnelle non équivoque. Pour l'instant, nous nous bornons à en esquisser les traits essentiels, tels que nous nous les représentons. Ses modalités financières pourraient, à notre avis, consister selon les cas, en garanties contre les risques, en avances, en subventions à fonds perdu ou en primes; celles-ci, accordées pour des films d'une valeur particulière, faciliteraient la continuité de la production des entreprises récompensées. L'examen des projets de films, notamment des scénarios et des listes du personnel artistique, n'est pas tâche facile pour l'autorité; il ne serait pas effectué par des fonctionnaires, mais par un groupe de personnes qualifiées, prises soit dans la chambre suisse du cinéma, soit dans la fondation «Pro Helvetia»; ou encore, vu les bonnes expériences faites avec le ciné-journal suisse, cet examen pourrait être confié à une fondation qui serait spécialement
instituée. Une telle solution procéderait des mêmes considérations qui ont conduit dans le domaine général de la culture à la création de la fondation «Pro Helvetia» et, pour le ciné-journal suisse, à celle d'une institution autonome; ladite solution serait donc aussi libérale que possible.

Ce que nous avons dit plus haut montre que l'encouragement de la production cinématographique suisse n'est pas seulement un problème financier. Celui de l'exportation revêt, lui aussi, une importance capitale.

Aussi notre département de l'économie publique poursuivra-t-il ses efforts pour ouvrir et aplanir au film suisse le chemin de l'étranger.

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II existe, d'autre part, des rapports directs entre le sort du cinéma suisse et la limitation des importations. Ils seront mis en lumière dans le prochain chapitre.

En terminant, qu'il nous soit permis de dire ici l'importance que nous attachons à une aide efficace de la Confédération en faveur de la production cinématographique suisse, non seulement en raison de la situation difficile de celle-ci, mais aussi pour des raisons générales de politique cinématographique.

b. Importation et louage. Du fait que la plupart des films projetés dans notre pays sont de provenance étrangère, le louage et l'importation occupent, comme nous l'avons fait observer au chapitre II, une position-clé dans le cinéma suisse. Les influences étrangères de nature économique, culturelle et politique qui s'exercent plus ou moins par l'importation des films soulèvent pour notre cinéma autant de questions et, là où ces influences dépassent une certaine mesure, suscitent des dangers qu'il faut prendre au sérieux du double point de vue politique et culturel. Vu les rapports du louage avec la production d'une part, avec les salles de projection d'autre part, il n'existe dans le domaine du cinéma pour ainsi dire aucun problème d'importation et de louage qui n'ait pas en même temps sa répercussion directe ou indirecte sur les deux autres branches de l'économie cinématographique.

La limitation des importations de films, décrétée en 1938 sur la base de l'arrêté fédéral concernant les mesures de défense économique envers l'étranger, a pour but direct de protéger économiquement les entreprises suisses de louage relativement indépendantes. Ce qui est vrai pour la production et, comme nous le verrons plus loin, pour les salles de projection, l'est aussi pour le louage : des conditions économiques malsaines et chaotiques constituent toujours un terrain fertile pour des influences indésirables de nature culturelle et politique.

De nombreux connaisseurs de la situation sont d'avis que la limitation des importations et les barrières ainsi opposées à l'inondation de films qui se produirait autrement chez nous, ont eu un effet direct et positif sur la qualité des films importés.

En ce qui concerne les effets exercés sur la production cinématographique suisse, nous notons ce qui suit : La limitation des importations est un moyen bon et
raisonnable d'obtenir de l'étranger des concessions pour l'exportation de films suisses. Inversement, une importation illimitée de films étrangers en Suisse aurait pour effet d'écraser le film suisse et de le bannir de nos salles de projection, car on devrait s'attendre à une mainmise de l'étranger' sur ces établissements par acquisition graduelle. De plus, le louage s'intéresse parfois à la production de films déterminés, ce qu'il manifeste en fournissant des garanties au producteur ou même en souscrivant des parts de capital.

Les loueurs eux-mêmes ont donc, dans certains cas, un pied dans la production.

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De l'autre côté, les salles de projection dépendent des loueurs parce qu'elles ont besoin d'eux, donc de l'étranger, pour se procurer des films. Cette dépendance va encore beaucoup plus loin, étant donné que les loueurs cherchent à se décharger sur les salles de projection des garanties, charges et risques qui leur sont imposés par les producteurs étrangers. Qu'on songe, par exemple, au fâcheux système du louage à l'aveugle et en bloc.

Pour toutes ces raisons, l'importation et le louage des films sont la pierre angulaire de l'économie cinématographique suisse. C'est sur ce point que devra porter en première ligne une législation fédérale sur le cinéma.

Une limitation des importations désormais fondée sur l'article constitutionnel projeté devra contingenter non seulement les films scéniques comme actuellement, mais encore les films documentaires et certaines autres catégories de courts métrages, afin que nous ayons en main un instrument dont nous puissions nous servir dans des négociations avec l'étranger en vue d'activer l'exportation de nos films documentaires.

Il va de soi qu'une politique sensée en matière d'importation de films devra toujours tenir compte du libre développement des entreprises d'intérêt public, particulièrement de celles qui ont un but éducatif, social, scientifique ou culturel. Déjà dans le système actuel de contingentement, de tels milieux obtiennent sans difficulté, s'ils justifient de leur activité, un contingent extraordinaire ou même l'autorisation d'importer hors contingent. En d'autres termes, le contingentement des importations ne doit ni priver notre pays de films de valeur, ni affaiblir notre vie culturelle; cela serait directement contraire à son but.

c. Salles de projection. Nous avons déjà dit plus haut qu'un accroissement exagéré du nombre des salles de projection dans notre pays compromettrait l'indépendance de ces entreprises à l'égard de l'étranger. Une activité commerciale sans scrupules dans une branche de l'économie idéologiquement et politiquement «intéressante» fournit à l'étranger de nombreuses occasions d'intervenir et lui donne presque automatiquement la possibilité d'exercer des influences indésirables. D'autre part, les salles de projection déjà existantes, même exploitées dans un esprit suisse, peuvent naturellement moins bien résister aux
exigences et offres de l'étranger si elles sont en proie à des difficultés économiques. Or, on peut aisément conclure de ce que nous avons exposé plus haut quel aspect culturel et politique prendrait une mainmise de l'étranger sur nos salles de projection.

Il est donc nécessaire que les autorités aient un certain contrôle de l'ouverture de nouvelles entreprises de projection de -films. Il est naturel qu'on englobe dans ce contrôle la transformation d'entreprises déjà existantes, si l'on ne veut pas qu'il y ait possibilité de tourner la loi. En revanche, on peut renoncer à l'introduction d'un certificat fédéral de capacité pour l'exercice de la profession d'exploitant de salle de projection, vu les résultats de l'enquête à laquelle notre département de l'intérieur a procédé auprès des

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gouvernements cantonaux et des associations intéressées. Cette renonciation est d'autant plus admissible que les cantons peuvent, en vertu de leur compétence en matière de police du commerce et de l'industrie (art. 31, 2e al., de la constitution), faire dépendre leurs autorisations de qualités et conditions personnelles à remplir par le requérant.

Une petite minorité de cantons et associations soutiennent que la limitation des importations suffit à garantir, sur le plan fédéral, l'indépendance du cinéma suisse, et qu'il n'y a dès lors aucune nécessité, pour la Confédération, de contrôler l'ouverture de nouvelles salles de projection. C'est une manière de voir à laquelle notre connaissance de la situation internationale dans le domaine de l'économie cinématographique et de la politique cinématographique ne nous permet pas de nous rallier. Cette thèse est contredite par les faits suivants: 1. La limitation des importations, telle qu'elle est pratiquée par la Confédération depuis 1938 et le serait en application d'une législation fédérale sur le cinéma fondée sur un article constitutionnel, porte uniquement sur le volume des importations; elle ne tient compte ni du contenu, ni de la qualité, ni de la provenance des films.

2. Ce contrôle des importations ne touche en rien à la répartition des films entre les salles de projection du pays; or, cette répartition n'est pas sans importance pour certains intérêts étrangers.

3. Les loueurs, quels que puissent être leurs rapports de droit et d'organisation avec les trusts étrangers de production et de vente, sont constamment exposés à une certaine pression de la part de ces derniers, du fait de la dépendance dans laquelle ils se trouvent de l'offre et de la livraison et en raison des liens commerciaux qui en résultent. Selon les facteurs qui déterminent à un moment donné les conditions du marché suisse du film, cette pression a des effets plus ou moins marqués qui, suivant les circonstances, peuvent se propager jusqu'à nos salles de projection.

4. Les agents d'intérêts étrangers n'ont pas toujours besoin, pour arriver à leurs fins, de passer par les loueurs. Ils peuvent directement tenter de s'infiltrer dans le commerce suisse de la projection par le moyen de participations financières et personnelles ou même par celui d'acquisitions (peut-être camouflées
au début) de salles; le but serait de se faire graduellement une position de départ pour parvenir à une domination politique, idéologique ou commerciale. Les salles de projection figurent en toute première ligne dans le dispositif de combat de la guerre moderne de propagande, laquelle, comme on sait, ne s'arrête devant aucune frontière nationale. Une fois les salles conquises, il est aisé de s'emparer du louage et de la production d'un pays.

Pourquoi, se demandera-t-on, les salles de projection suisses ont-elles donc, en l'absence d'une surveillance fédérale, résisté à la mainmise de

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l'étranger? Il faut en chercher l'explication (mis à part certains facteurs momentanés et variables) dans les «contrats d'intérêts» qui ont été conclus entre l'association suisse des loueurs et les deux associations de salles. C'est, en effet, l'organisation du marché réglée dans ces contrats, appuyée sur le contingentement des importations par l'Etat, qui a empêché l'étranger de dominer chez nous le commerce de la projection. Il y a, pour le prouver, des exemples concrets. Les conventions conclues par les associations précitées présentent aussi d'ailleurs, des traits fâcheux (voir ci-après la lettre d, 66). En outre, leur validité n'est pas assurée à jamais; au contraire, les pourparlers pour leur renouvellement font chaque fois apparaître des divergences assez profondes. Si donc le louage bénéficiait dorénavant d'une protection légale définitive sans que les salles jouissent d'un appui correspondant, l'intérêt des loueurs au maintien des accords contractuels diminuerait fortement. La rupture d'équilibre qui s'ensuivrait pourrait conduire à la suppression de l'organisation contractuelle du marché. Il en résulterait finalement un état chaotique caractérisé par une augmentation désordonnée du nombre des salles de projection, par l'abaissement de la qualité des programmes dû à une concurrence effrénée, par un affaiblissement de la résistance des exploitants de salles aux influences étrangères et par la liberté d'action offerte aux étrangers qui voudraient s'implanter dans tous les compartiments du cinéma suisse et le commander politiquement ou commercialement. Dans de telles conditions, la limitation des importations ne rimerait plus à rien; au contraire, elle s'exercerait en fin de compte dans un sens contraire aux intérêts du pays.

Cet exposé sommaire suffit sans doute à démontrer que la limitation des importations et un certain contrôle exercé sur l'ouverture de nouvelles entreprises de projection de films doivent aller de pair. Il est néanmoins entendu que ces deux sortes de mesures doivent servir l'intérêt culturel et politique du pays, non pas les intérêts particuliers d'un groupement économique. Elles ont forcément certains effets économiques, et cela provient de la nature complexe du cinéma, dans lequel l'élément économique est inséparablement lié à l'élément culturel. Mais il ne faut pas
en déduire qu'au fond nous vous proposons des mesures ayant pour but de protéger l'exercice d'une industrie ou d'un commerce. S'il en était ainsi, il ne serait pas nécessaire de créer une base constitutionnelle spéciale, car, dans ce cas, nous pourrions nous fonder sur les articles économiques de la constitution, particulièrement sur l'article 316is.

On peut se demander s'il ne faudrait pas laisser aux cantons la faculté de décider que l'ouverture et la transformation d'entreprises de projection de films seront soumises au système du permis. Notre réponse est négative.

L'étroite relation qui existe entre une telle mesure et les problèmes que soulèvent internationalement l'économie cinématographique et la politique pratiquée dans le cinéma, jointe à la nécessité de prévoir un régime valable pour l'ensemble du pays, justifie ici, à notre avis, une législation spécifique-

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ment fédérale. Comme l'exécution des règles édictées par le législateur fédéral incomberait aux cantons sous réserve de recours à l'autorité fédérale (voir chapitre VIII, paragraphe 6), il serait équitablement tenu compte des légitimes désirs d'ordre fédéraliste.

La liaison de la compétence de réglementer les importations de films avec celle de légiférer sur l'ouverture et la transformation d'entreprises de projection de films est le point cardmal du présent projet. Le régime des permis pour les entreprises de projection ne représente, au fond, que le développement organique et conséquent d'une idée réalisée en partie seulement par la limitation des importations. Si l'on songe aux expériences qui ont été faites pendant plus de quinze ans avec le contrôle des importations, en particulier avec le système des contingents individuels (pratiquement équivalent au régime des permis), et au fait que presque tous les cantons et associations ont déclaré justifié et nécessaire le maintien de ces mesures, on peut admettre que l'introduction éventuelle du régime des autorisations pour de nouvelles entreprises de projection de films aura des effets tout aussi bienfaisants. Nous disons bien «introduction éventuelle», car, dans notre idée, la Confédération ne devra faire usage de cette compétence qu'en cas de nécessité, c'est-à-dire que si l'évolution de l'économie cinématographique l'y oblige.

d. Problèmes communs au louage et aux salles de projection aa. Louage à l'aveugle et en bloc. Cette opération est fréquemment mentionnée par les personnes qui veulent mettre de l'ordre dans le cinéma.

Divers pays ont, au cours de ces dernières années, tenté de l'empêcher par des interdictions légales; mais celles-ci, au dire de spécialistes, sont facilement tournées. Il n'est pas facile de trouver une solution. Non seulement des dispositions de droit privé (nullité de tels contrats) sont inefficaces, mais même les moyens de droit public dont chaque Etat dispose individuellement ne paraissent pas lui permettre de supprimer le mal à lui tout seul; d'après les expériences faites, il sera vraisemblablement nécessaire d'aborder et de résoudre le problème sur une base internationale. En aucun cas néanmoins, la résignation n'est de mise à son égard. Il faut chercher une solution ; car imposer à un loueur ou à un exploitant de
salle des séries de ôbns dont il ne veut pas pour des raisons financières, culturelles ou morales, est une pratique intolérable.

bb; Réglementation privée du marché du film. Nous avons relevé au chapitre II, paragraphe 2, que la réglementation du marché du film par les conventions passées entre l'association des loueurs et les deux associations de salles de projection a des aspects positifs et négatifs. Ses avantages sont: Le fait que l'organisation (concrètement limitée aux seuls membres des associations contractantes) est librement consentie; la responsabilité qui en découle pour les participants ; la mise à l'arrière-plan de considérations

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de politique étrangère et de politique commerciale qui préoccuperaient davantage des autorités. Au revers de la médaille appartiennent : Le caractère de monopole que revêtent lesdites conventions; leur orientation dans un sens purement économique et vers le seul intérêt professionnel; de ce fait, dans certains cas, un manque de compréhension pour les nécessités culturelles et politiques.

Dans les circonstances présentes, comme nous l'avons vu sous lettre c, la réglementation contractuelle du marché, jouant avec le contingentement des importations, fait digue contre l'afflux d'intérêts étrangers sans scrupules dans l'économie cinématographique suisse.

Cette réglementation ne peut pas, du point de vue culturel, être qualifiée d'idéale. On ne doit toutefois pas en voir seulement les mauvais côtés.

Les statuts de l'association des loueurs de films en Suisse et ceux du Schweizerischer Lichtspieltheater-Verband contiennent des dispositions concrètes contre la mainmise économique de l'étranger sur le cinéma suisse ; le Schweizerischer Lichtspieltheater- Verband contribue notablement, depuis des années, à maintenir en vie le ciné-journal suisse, et cette même association s'est efforcée pendant un certain temps d'améliorer la publicité faite en faveur des représentations cinématographiques. Ce sont là des choses qu'on ne peut pas simplement ignorer.

3. Activités culturelles déployées dans le domaine du cinéma Ces activités sont celles de tout un ensemble d'associations et institutions qui n'ont que de vagues rapports entre elles et qui n'ont pas la puissance des associations de l'économie cinématographique. Il y a là, pour l'Etat, une raison de plus de les soutenir. On peut grouper sous le terme d'«activités culturelles déployées dans le domaine du cinéma» le cinéma non professionnel (lequel comprend également la confection, la fourniture et la projection de films), le film étroit (dit aussi «de format réduit») à but culturel, la formation artistique et le recrutement du personnel créateur du film, l'éducation des adultes en matière de cinéma, les associations de spectateurs, les revues cinématographiques, les cinémathèques, la critique cinématographique, le film d'amateur. Il conviendra d'examiner en temps voulu lesquelles de ces activités méritent d'être encouragées par la Confédération, et à quelles
conditions.

Quelques remarques en corrélation avec ce qui précède : Jusqu'à présent, les associations de l'économie cinématographique ont fait la vie dure au film étroit (film de format réduit), lequel, en raison de ses caractéristiques techniques (dimensions, poids, absence de danger d'incendie) et de son faible prix, convient spécialement bien à des buts culturels. Cette attitude aussi a, du moins partiellement, ses causes dans l'enchevêtrement international du cinéma. En vertu d'un accord tacite,

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il n'est généralement fait pour les films de format normal des copies en format étroit que quelque temps après leur parution, afin de ne pas nuire à leur exploitation. Le film étroit peut atteindre aujourd'hui à une qualité telle que le profane n'est plus guère à même de le distinguer du film de format normal. Il est vraisemblable qu'il jouera un rôle toujours plus grand.

Nous n'attribuons pas à l'éducation des adultes en matière de cinéma la même importance qu'à celle de la jeunesse dans le même domaine, bien qu'il y ait entre elles une certaine analogie. Il ne faut pas tenir pour du dilettantisme les cours et représentations qu'organisent certaines institutions comme les universités populaires. L'éducation cinématographique a une réelle valeur parce qu'elle apprend aux individus à choisir entre les spectacles et que, grâce à sa répercussion sur la plus ou moins grande fréquentation des salles de projection et par conséquent sur l'ensemble de l'économie cinématographique, elle s'attaque au problème du bon film par la racine. A la longue, par une action intelligente et consciente, elle peut conduire à des changements dans la composition des programmes des salles de projection.

4. Séparation entre la législation fédérale sur le cinéma et celles sur la télévision et sur la presse a. Nous avons indiqué, au chapitre VI, paragraphe 5, lettre b, les raisons pour lesquelles la télévision et la radiodiffusion ne nous semblent pas pouvoir être réglementées en même temps que le cinéma. On pourrait toutefois se demander si un article constitutionnel sur le cinéma et la législation fondée sur cet article ne devraient pas tout au moins parler de la télévision dans la mesure où celle-ci fait usage du film. Nous avons tranché la question négativement parce que le droit de la télévision, comme celui de la radiodiffusion, doit avoir de l'unité. Il faut d'ailleurs se rappeler qu'un modus vivendi a été trouvé avec les cantons pour la censure des films qui figurent dans les programmes de télévision et que quelques cantons, en édictant des dispositions sur l'accès des jeunes aux représentations publiques de télévision, ont admis et fait comprendre la tâche des autorités dans ce domaine (voir ci-dessus au chapitre VIII, paragraphe 5, lettre a). Dans ces conditions, le désir d'un statut du film employé dans la télévision,
à l'effet d'établir expressément une égalité juridique de traitement entre les films télévisés et ceux qui passent dans les salles de projection, a perdu de son acuité dans l'économie cinématographique.

b. La nature de la presse exige également que celle-ci ait en droit fédéral un statut uniforme et indépendant. Cela n'est contesté en principe par personne et détermine la forme sous laquelle doit être traitée la demande de protection juridique de la liberté de la presse pour la critique des représentations cinématographiques publiques (voir chapitre VII). La question Feuille fédérale. 108» année. Vol. I.

34

502

fait, au demeurant, partie du problème soulevé par le postulat Huber du 25 mars 1954, adopté par le Conseil national le 29 septembre de la même année, dont la teneur est la suivante: Comment les rapports entre la presse, les propriétaires de salles et les organisateurs de représentations théâtrales, présentations de films et autres manifestations pourraientils être réglés, tout en sauvegardant les intérêts privés, de façon que l'accomplissement des tâches qui sont d'intérêt public soit garanti ? Il s'agit là en particulier des droits de la critique, de la valeur de ce qui est présenté au public et du maintien de conditions économiques saines, dans le domaine considéré ici. Le Conseil fédéral est prié de soumettre aux chambres des propositions quant aux moyens d'atteindre ce but.

Après avoir entendu l'exposé des motifs, le chef du département de justice et police se déclara prêt à étudier ce postulat, en tant qu'il avait trait à la presse, lors de la revision de l'article 55 de la constitution.

Nous rappelons, à ce propos, que certains cantons ont déjà cherché eux-mêmes à résoudre le problème des rapports entre critiques cinématographiques et exploitants de salles (voir au chapitre VIII, paragraphe 5, lettre 6).

X. Observations générales sur la portée, l'interprétation et l'application de l'article constitutionnel proposé 1. En regard de l'importance que le cinéma a prise aujourd'hui dans la vie publique, notre projet d'article constitutionnel sur le cinéma est une proposition modérée. Nous avons renoncé à la clause générale («protéger et encourager le cinéma suisse indépendant») et à d'autres points («mesures correspondantes» en plus de «dispositions légales», «élever le niveau de la culture cinématographique»), ainsi qu'à la subordination de l'ouverture et de l'exploitation, de nouvelles salles à la «capacité personnelle de l'exploitant». En outre, les cantons et les associations culturelles et économiques du cinéma reçoivent le droit d'être consultés avant que la Confédération ne légifère; ces associations pourront, de plus, être appelées à coopérer à l'application des dispositions d'exécution. Le présent projet représente le minimum de possibilités que doit raisonnablement conserver une future législation fédérale sur le cinéma.

2. Pour interpréter notre projet d'article constitutionnel, il faut partir des conditions et des buts qui doivent être inhérents à une législation fédérale sur le cinéma et par conséquent d'un critère spécifiquement culturel et politique. Ce faisant, il importe de distinguer nettement les trois domaines législatifs que sont la politique du commerce et de l'industrie, la pouce du commerce et de l'industrie, et la politique culturelle jointe à la politique générale de l'Etat. Les deux premiers domaines relèvent, c'est clair, d'autres dispositions de la constitution fédérale.

3. Bien entendu, la législation fédérale ne devra en aucun cas copier aveuglément ce qui se fait à l'étranger, mais rechercher des solutions

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adaptées aux conceptions et aux caractères originaux de notre pays. D'où les considérations que voici: a. Une législation fédérale sur le cinéma devra essentiellement avoir un caractère subsidiaire, c'est-à-dire ne pbrter que sur les questions dans lesquelles des solutions librement consenties, des mesures d'associations et les législations cantonales ne permettent pas d'atteindre les buts voulus.

C'est là un point sur lequel les avis d'importants groupements ont insisté avec raison.

b. Lorsque nous parlons de mesures officielles en matière de culture, nous nous en tenons toujours au principe que la vie culturelle de notre pays ne peut pas se passer de liberté et qu'un encouragement de la culture par la Confédération doit, comme il est dit dans l'arrêté fédéral du 28 septembre 1949 concernant la fondation «Pro Helvetia» (1), «s'appuyer sur les forces vives des cantons, des différentes régions linguistiques et des divers milieux culturels». A ce propos, il faut noter expressément que certaines tâches dont la Confédération s'occuperait, en vertu du nouvel article constitutionnel, pour encourager les «activités culturelles déployées dans le domaine du cinéma» n'auraient aucun caractère d'exclusivité à l'égard des cantons. Des mesures fédérales peuvent précisément se justifier par la nécessité d'une coopération de la Confédération et des cantons sur des points déterminés.

c. Une politique fédérale bien conçue s'efforcera sans cesse de faire collaborer entre eux l'industrie cinématographique et les milieux s'occupant de la. culture dans le domaine du cinéma, même si elle se heurte à des obstacles. C'est le système qui répond le mieux à notre conception de l'Etat et qui peut rendre inutiles bien des mesures officielles.

4. Il est dans la nature des choses que l'application de certaines dispositions de l'article constitutionnel proposé implique des dérogations à la liberté du commerce et de l'industrie; c'est le cas pour la réglementation des importations de films et pour des normes touchant l'ouverture et la transformation d'entreprises de projection de films. Il n'est pas nécessaire de le dire expressément dans l'article constitutionnel sur le cinéma, car l'article 31, 1er alinéa, de la constitution réserve déjà, d'une manière générale, les dispositions restrictives de cette dernière et de la
législation qui en découle.

L'encouragement de la production cinématographique suisse et celui des «activités culturelles déployées dans le domaine du cinéma» ne doivent pas, eux, entraîner de dérogation à la liberté du commerce et de l'industrie; si, en Europe, il est courant que les pays producteurs de films obligent leurs salles de projection à composer de films indigènes un certain pour-cent de leurs programmes, cette mesure protectionniste, qui ne soulève même pas de protestation, serait chez nous, en tant qu'intervention directe de l'Etat dans le libre choix des citoyens en matière culturelle, contraire à toutes les conceptions suisses.

(») BO 1949, II, 1439.

504

5. Comme nous l'avons fait observer au début du chapitre IX, il n'est pas possible de fixer aujourd'hui les détails de la législation qui appliquera l'article constitutionnel proposé.

6. L'application de l'article constitutionnel devra-t-elle intervenir au moyen à'une loi d'ensemble ou de plusieurs lois ou arrêtés séparés ? Vu les expériences que nous avons faites jusqu'ici, nous inclinerions plutôt à donner la préférence à ce dernier mode de procéder, dans les intentions suivantes: Favoriser le développement organique du droit, sérier les problèmes selon leur degré d'urgence et pouvoir les étudier isolément plus à fond, pouvoir plus facilement adapter ensuite les dispositions légales existantes au développement rapide du cinéma.

Nous espérons qu'il ressort clairement du présent message que nous n'avons nullement le dessein d'instituer un «bailli fédéral .du cinéma».

L'idée d'étatifier le cinéma suisse nous est totalement étrangère. L'auteur du postulat n° 5616, le conseiller national Emil Frei, a déjà fourni à ce sujet les éclaircissements nécessaires lorsqu'il a motivé, le 16 mars 1954, un autre postulat portant également sur le cinéma.

On ne peut pas tout attendre d'une législation fédérale sur le cinéma.

Une saine évolution de celui-ci a pour condition fondamentale la collaboration volontaire des différents milieux intéressés au cinéma suisse. Une telle collaboration permettrait, comme nous l'avons dit, à la Confédération de ne faire que modérément usage des attributions qui lui auraient été conférées par l'article constitutionnel. Par ailleurs, l'encouragement du film de qualité et la lutte contre le mauvais film sont des tâches qui s'imposent à chaque citoyen et à toutes les collectivités conscientes de leur responsabilité.

Nous avons l'honneur de vous proposer d'adopter le projet d'arrêté fédéral ci-après.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 24 février 1956.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Feldmann 10956

Le chancelier de la Confédération,

Ch. Oser

505

(Projet)

ARRÊTÉ FÉDÉRAL concernant

l'insertion, dans la constitution fédérale, d'un article 27 ter sur le cinéma L'Assemblée fédérale de la Confédération suisse, vu l'article 85, chiffre 14, l'article 118 et l'article 121, 1er alinéa, de ia constitution ; vu le message du Conseil fédéral du 24 février 1956, arrête:

I II est inséré dans la constitution fédérale la disposition ci-après : Article 27 ter La Confédération peut légiférer sur l'encouragement de la production cinématographique suisse et sur celui des activités culturelles déployées dans le domaine du cinéma, sur la réglementation des importations de films, ainsi que sur l'ouverture et la transformation d'entreprises de projection de films.

2 Les cantons et les associations culturelles et économiques du cinéma seront préalablement consultés.

3 Ces associations pourront être appelées à coopérer à l'application des dispositions d'exécution.

4 La censure des représentations cinématographiques et de la publicité faite pour elles, la protection de la jeunesse, le cinéma d'enseignement, la faculté d'édicter et appliquer des dispositions de police en matière de construction et d'exploitation, restent de la compétence des cantons.

6 Si la législation fédérale assujettit l'ouverture et la transformation d'entreprises de projection de films à des autorisations, il appartiendra aux cantons d'accorder ces dernières, selon la procédure qu'ils détermineront.

1

II

Le présent arrêté sera soumis à la votation du peuple et des cantons.

Le Conseil fédéral est chargé de l'exécution.

10955

506 Tableau I

Filins scéniques produits en Suisse de 1933 à 1955 Année

Nombre de

1933 1934

films

1 2(1) 3 (") 1 («) 2 3 2 2 1 (") 1 (1) 1(1) 2 9

1935 1936 1937 1938 1939 1940

Année

1941 1942 1943 1944 1945 1947 1948 1949 1951 1952 1953 1954 1955

Nombre de films

13 11 5 2 1 1 1 1 1 2 2 1 3

(*) Coproduction avec la France.

( 2 ) Coproduction avec l'Allemagne.

(a) Confectionnés en Autriche à l'aide d'un personnel artistique étranger.

Tableau II Films scéniques importés annuellement Année

1934 1935 1936 1937 1938 1939 1940 1941 1943 1944 1945

.... .

.... .

.... .

.... .

.... .

f1) . . . .

.... .

.... .

(22) . . ..

( ). . . .

(s). . . .

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

Nombre de films .

578 .

676 .

666 .

651 .

710

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

502 352 472 283 158 606

Année

1946 1947 1948 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955

(!) ESet de l'introduction du contingentement.

( 28) Blocus des films à Lisbonne.

( ) Levée du blocus.

Nombre de films 420 439 507 472 507 455 450 527 438 513

Tableau HI Nombre de salles de projection en Suisse, et nombre de places par 1000 habitants Année

Suisse alémanique

Suisse romande

Tessin

Total

1935 1936 1937 1938 1939 1940 1941 1942 1943 1944 1945

199 199 207 202 202 206 206 211 211 219 219 242

122 122 125 123 123 122 122 105 105 108 108 115 115 120 120 139 139 149 166 167 171

22 22 23 23 23 23 23

343

1946 1947 1948 1949 1950 1951 1952

1953 1954 1955 10955

242

260 260 291 291 322 321 328 337

22

22 23 23 23 23 25 25 29 29 38 43 44 45

343 355

348 348 351 351 338 338 350 350 380 380 405 405 459 459 509 530

539 553

Places par 1000 habitants

_ -- -- -- -- -- -- -- -- -- --

31 31 33 33 36 36 38 38 39 39

Schweizerisches Bundesarchiv, Digitale Amtsdruckschriften Archives fédérales suisses, Publications officielles numérisées Archivio federale svizzero, Pubblicazioni ufficiali digitali

MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant l'insertion, dans la constitution, d'un article 27 ter sur le cinéma (Du 24 février 1956)

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1956

Année Anno Band

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09

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7074

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

01.03.1956

Date Data Seite

453-507

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