12.052 Message relatif à l'initiative populaire «Financer l'avortement est une affaire privée ­ Alléger l'assurance-maladie en radiant les coûts de l'interruption de grossesse de l'assurance de base» du 9 mai 2012

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Financer l'avortement est une affaire privée ­ Alléger l'assurance-maladie en radiant les coûts de l'interruption de grossesse de l'assurance de base», en leur recommandant de la rejeter.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

9 mai 2012

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Eveline Widmer-Schlumpf La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2012-0276

4991

Condensé L'initiative populaire «Financer l'avortement est une affaire privée ­ Alléger l'assurance-maladie en radiant les coûts de l'interruption de grossesse de l'assurance de base» a été lancée par un comité interpartis. Elle a pour objectif de radier le financement des avortements de la liste des prestations de l'assurance obligatoire des soins et demande à cette fin une modification de l'art. 117 de la Constitution disposant que, sous réserve de rares exceptions concernant la mère, l'interruption de grossesse et la réduction embryonnaire ne sont pas couvertes par l'assurance obligatoire des soins.

La modification du code pénal relative à l'interruption de grossesse, qui a été acceptée en votation populaire le 2 juin 2002 par 72,2 % des votants, a établi le caractère non punissable de l'interruption de grossesse pratiquée sur demande écrite de la femme au cours des douze semaines suivant le début des dernières règles, en sus des cas où l'interruption de grossesse est nécessaire pour écarter le danger d'une atteinte grave à la santé de la femme enceinte. La réforme prévoyait également une adaptation de l'art. 30 de la loi fédérale du 18 mars 1994 sur l'assurance-maladie, afin qu'en cas d'interruption de grossesse non punissable au sens du Code pénal, l'assurance obligatoire des soins prenne en charge les coûts des mêmes prestations que pour la maladie. La réglementation en vigueur a cherché à supprimer les barrières non seulement légales mais également financières à la pratique de l'interruption de grossesse. Elle a toutefois fixé des exigences précises qui assurent que ces interventions soient pratiquées dans de bonnes conditions et sur demande écrite de femmes correctement informées.

Le Conseil fédéral considère qu'une suppression du remboursement de l'interruption de grossesse par l'assurance-maladie aurait des conséquences sociales et sanitaires néfastes, pour les raisons suivantes.

Elle entraînerait une certaine incertitude. Les cas d'exception dans lesquels l'interruption de grossesse est remboursée seront définis en termes juridiques généraux, ce qui donnera lieu à de nombreuses discussions sur l'interprétation à leur donner, mais aussi à des pratiques divergentes. Certaines femmes obtiendront que leur interruption de grossesse soit présentée comme un cas d'exception et en obtiendront
ainsi le remboursement, alors que d'autres femmes dans une même situation devront financer elles-mêmes leur intervention. De plus, la nécessité de déterminer le droit au remboursement engendrera une augmentation des frais administratifs des assureurs.

Elle entraînerait une incitation à pratiquer des interruptions de grossesse en dehors du cadre légal. Or, ce cadre a été décidé par le législateur afin d'assurer la qualité des prestations médicales concernées et de garantir que la femme enceinte a été correctement informée, conseillée, et qu'elle a demandé l'interruption de grossesse par écrit. En dehors du cadre défini, la qualité des soins, notamment, ne saurait être garantie, ce qui pourrait avoir des effets néfastes sur la santé des femmes et par conséquent sur les coûts de l'assurance-maladie.

4992

Elle créerait un lien entre la situation économique de la femme et le choix d'interrompre ou non une grossesse. Or, le législateur a décidé que, dans notre société libérale, la décision du recours à l'interruption de grossesse devait être laissée à la femme, mais également que des considérations d'ordre économique ne devaient pas intervenir lorsque celle-ci procède à la nécessaire pesée des critères moraux, théologiques ou socio-éthiques.

Le Conseil fédéral estime que les économies que permettrait une radiation du remboursement de l'interruption de grossesse par l'assurance obligatoire des soins ne sauraient justifier les conséquences juridiques, sociales et sanitaires attendues. En effet, le taux d'interruptions de grossesse en Suisse est très faible en comparaison d'autres pays européens. Sans même déduire la participation aux coûts financée par les femmes concernées, les coûts de ces interventions représentent donc une part infime des coûts à charge de l'assurance obligatoire des soins. En outre, l'adoption de l'initiative populaire remettrait en question la possibilité d'obtenir une interruption de grossesse sûre et accessible, telle qu'elle est recommandée par le Parlement européen.

Pour toutes ces raisons, le Conseil fédéral propose de rejeter l'initiative populaire «Financer l'avortement est une affaire privée ­ Alléger l'assurance-maladie en radiant les coûts de l'interruption de grossesse de l'assurance de base», sans lui opposer de contre projet.

4993

Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Texte

La teneur de l'initiative populaire «Financer l'avortement est une affaire privée ­ Alléger l'assurance-maladie en radiant les coûts de l'interruption de grossesse de l'assurance de base» est la suivante: I La Constitution1 est modifiée comme suit: Art. 117, al. 3 (nouveau) Sous réserve de rares exceptions concernant la mère, l'interruption de grossesse et la réduction embryonnaire ne sont pas couvertes par l'assurance obligatoire.

3

II Les dispositions transitoires de la Constitution sont complétées comme suit: Art. 197, ch. 8 (nouveau) 8. Disposition transitoire ad art. 117, al. 3 (Assurance-maladie et assurance-accidents) Au terme d'une période transitoire de neuf mois suivant l'acceptation de l'initiative par le peuple et les cantons, et jusqu'à ce que les modifications législatives qu'elle induit soient entrées en vigueur, toute disposition aux termes de laquelle l'interruption de grossesse ou la réduction embryonnaire sont couvertes par l'assurance obligatoire est remplacée par la règle prévue à l'art. 117, al. 3 de la Constitution.

1.2

Aboutissement et délais de traitement

L'initiative populaire «Financer l'avortement est une affaire privée ­ Alléger l'assurance-maladie en radiant les coûts de l'interruption de grossesse de l'assurance de base» a été déposée le 4 juillet 2011 avec le nombre requis de signatures. Par décision du 16 août 2011, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait recueilli 109 597 signatures valables et qu'elle avait donc abouti2.

L'initiative revêt la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral ne présente aucun contre-projet. Conformément à l'art. 97, al. 1, let. a, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)3, le Conseil fédéral a donc jusqu'au 3 juillet 2012 pour 1 2 3

RS 101 FF 2011 6065 RS 171.10

4994

soumettre à l'Assemblée fédérale un projet d'arrêté fédéral accompagné d'un message. En vertu de l'art. 100 de cette même loi, l'Assemblée fédérale a quant à elle jusqu'au 3 janvier 2014 pour décider de recommander, soit l'acceptation, soit le rejet de l'initiative. Elle peut prolonger ce délai d'une année si l'un des conseils a pris une décision sur un contre-projet ou un projet d'acte en rapport étroit avec l'initiative fédérale (art. 105, al. 1, LParl).

1.3

Validité

L'initiative remplit les critères de validité énumérés à l'art. 139, al. 3, Cst.: ­

elle obéit au principe de l'unité de la forme, puisqu'elle revêt entièrement la forme d'un projet rédigé;

­

elle obéit au principe de l'unité de la matière, puisqu'elle porte exclusivement sur la question du remboursement par l'assurance sociale de l'interruption de grossesse;

­

elle obéit au principe de la conformité aux règles impératives du droit international, puisqu'elle ne contrevient à aucune d'elles.

L'initiative doit par conséquent être déclarée valable.

2

Objectifs et revendications du comité d'initiative

Les considérations qui suivent sur le comité d'initiative, l'objectif et les arguments principaux se fondent sur les documents publiés sur le site du comité d'initiative4 dans la version disponible au moment de la rédaction du présent message.

2.1

Comité d'initiative

Le comité d'initiative, composé de 27 personnes, se présente comme interpartis. Y sont représentés des membres de l'Union démocratique du centre (UDC), du Parti démocrate-chrétien (PDC), du Parti évangélique suisse (PEV), de l'Union démocratique fédérale (UDF) et des Libéraux-Radicaux (PLR). Trois membres du comité ne sont pas liés à un parti.

2.2

Objectif principal de l'initiative

Selon le comité d'initiative, beaucoup de citoyennes et de citoyens ignorent qu'ils cofinancent des avortements par le biais de leurs primes d'assurance-maladie, alors que les avortements ne sont pas une maladie. Le but de l'initiative est donc de radier le financement des avortements de la liste des prestations de l'assurance obligatoire des soins.

4

www.affaireprivee.ch; depuis le lancement de l'initiative, ces documents ont été modifiés et complétés. Les présentes considérations se réfèrent à la version disponible le 22 décembre 2011.

4995

2.3

Arguments principaux du comité d'initiative

Les arguments majeurs suivants sont avancés par le comité: 1.

l'assurance-maladie obligatoire est déchargée de prestations douteuses, l'avortement n'ayant pas sa place dans le catalogue de base de l'assurance obligatoire;

2.

la liberté individuelle est renforcée, personne ne devant être obligé de financer les avortements d'autrui avec ses primes d'assurance;

3.

la responsabilité individuelle est renforcée, quiconque envisageant pour soi l'éventualité d'un avortement pouvant conclure une assurance complémentaire ou supporter les coûts de l'intervention;

4.

les droits des parents sont renforcés, les adolescentes de moins de seize ans ne pouvant plus être poussées à un avortement à l'insu de leurs parents;

5.

une contribution positive est apportée à la baisse des primes de l'assurancemaladie obligatoire;

6.

il n'y aura plus, de la part de l'assurance-maladie, d'incitation financière en faveur des avortements, ce qui permettra d'en réduire le nombre.

2.4

Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

L'initiative populaire fait écho à une motion (09.3525) qui a été rejetée le 12 avril 2011 par le Parlement. Elle vise à radier le financement des avortements des prestations de l'assurance obligatoire tout en prévoyant qu'il appartiendrait au législateur de fixer les cas d'exception dans lesquels ladite assurance assurerait la couverture de ces interventions. La marge de manoeuvre du législateur serait limitée par les principes fixés par l'initiative. Le premier principe est la non-couverture des interruptions de grossesse et des réductions embryonnaires, le second principe est que les exceptions doivent être rares et motivées uniquement par rapport à la mère.

L'initiative s'applique à l'assurance obligatoire, sans opérer de distinction entre les domaines de l'assurance-maladie et de l'assurance-accidents. La prise en charge par l'assurance-accidents des séquelles d'un accident lors d'une intervention de grossesse serait donc également exclue. En revanche, l'initiative populaire ne s'applique pas à l'assurance d'indemnités journalières prévue par la loi fédérale du 18 mars 1994 sur l'assurance-maladie (LAMal)5.

5

RS 832.10

4996

3

Appréciation de l'initiative

3.1

Chronologie du régime de l'interruption de grossesse

3.1.1

Droit antérieur

Selon l'ancienne teneur des art. 118 et 119 du code pénal (CP)6, l'interruption de grossesse était punissable si elle était commise par la mère ou par un tiers.

L'interruption de grossesse était toutefois autorisée par l'art. 120 CP lorsqu'elle était pratiquée en vue d'écarter un danger impossible à détourner autrement et menaçant la vie de la mère ou menaçant sérieusement sa santé d'une atteinte grave et permanente (interruption dite à indication médicale). L'interruption devait alors être assortie du consentement écrit de la femme enceinte, et l'intervention, pratiquée par un médecin diplômé sur avis conforme d'un second médecin diplômé. Sous l'ancien droit, l'assurance obligatoire des soins prenait en charge, en cas d'interruption non punissable de la grossesse au sens de l'art. 120 CP, les coûts des mêmes prestations que pour la maladie. Cette disposition se fondait sur l'ancien art. 12quater LAMA, inséré dans la loi le 9 octobre 1981 et entré en vigueur le 1er mars 1982.

3.1.2

Initiatives ayant échoué

Différentes étapes ont marqué les débats sur l'interruption de grossesse. L'initiative populaire intitulée «Concernant la décriminalisation de l'avortement» a abouti le 27 décembre 19717. A titre de contre-projet à l'initiative populaire, le Conseil fédéral a adopté le 30 septembre 1974 un projet de «loi fédérale sur la protection de la grossesse, ainsi que sur le nouveau régime de répression de l'interruption de grossesse»8. Il y recommandait une solution élargie, dite des indications, incluant l'indication sociale. L'initiative populaire a été retirée le 24 février 19769, alors que la loi proposée par le Conseil fédéral a été rejetée par le peuple le 28 mai 197810.

Une initiative populaire intitulée «Pour la solution du délai» a abouti le 13 février 197611. Le Conseil fédéral a proposé le rejet de l'initiative et n'a pas présenté de contre-projet12. Le peuple a rejeté l'initiative populaire le 25 septembre 197713.

Lors de la session d'été 1978, quatre initiatives parlementaires (78.222, 78.223, 78.224, 78.225), suivies de quatre initiatives déposées par des cantons (78.204, 78.205, 78.207, 79.202) ont été déposées14. Une initiative parlementaire demandait l'établissement d'une solution des indications médico-sociales alors que les trois autres préconisaient d'institutionnaliser une solution fédéraliste en matière d'interruption non punissable de la grossesse. Les initiatives cantonales invitaient quant à elles le législateur à autoriser les cantons à légiférer en matière d'interruption de grossesse, éventuellement pour instituer la solution du délai. Aucune de ces initiatives n'a abouti.

6 7 8 9 10 11 12 13 14

RS 311.0 FF 1971 II 2045 FF 1974 II 706 FF 1976 I 850 FF 1978 II 363 FF 1976 I 849 FF 1976 II 778 FF 1977 III 951 Rapport/Avis du Conseil fédéral: FF 1979 II 1021, 1980 III 1050

4997

L'initiative populaire dite «Pour le droit à la vie» a abouti le 26 août 198015. Le Conseil fédéral a proposé de rejeter l'initiative et a présenté un contre-projet16. Ce dernier a été rejeté par les deux chambres. Le 9 juin 1985, l'initiative populaire a échoué devant le peuple17.

L'initiative populaire intitulée «Pour la mère et l'enfant ­ pour la protection de l'enfant à naître et pour l'aide à sa mère en détresse» a abouti le 18 janvier 200018.

Elle avait été déposée en réaction aux débats parlementaires concernant l'initiative parlementaire «Interruption de grossesse. Révision du Code pénal» (93.434, cf. point 3.1.3). Le Conseil fédéral a proposé le rejet de l'initiative dans son message du 15 novembre 200019, mais n'a pas proposé de contre-projet compte tenu des débats en cours au Parlement. L'initiative populaire a été rejetée par le peuple le 2 juin 2002 par 81,8 % des votants20.

3.1.3

Modification du 23 mars 2001 du code pénal (Interruption de grossesse)

L'initiative parlementaire 93.434 «Interruption de grossesse. Révision du Code pénal» a été déposée le 29 avril 1993 par la conseillère nationale Haering Binder.

Elle préconisait de réviser la réglementation relative à l'interruption de grossesse en introduisant la solution des délais et en prévoyant qu'à l'issue du délai légal, l'interruption ne soit autorisée qu'à la condition qu'un médecin confirme que la mesure est la seule susceptible d'écarter un danger menaçant la vie ou portant gravement atteinte à la santé physique ou psychique de la femme enceinte. Suivant la proposition de la Commission des affaires juridiques du Conseil national (CAJ-N), le Conseil national a décidé le 3 février 1995 de donner suite à l'initiative parlementaire. La CAJ-N a ensuite élaboré une proposition de modification des dispositions du CP.

Le texte adopté à l'issue des débats parlementaires définit deux cas de figure dans lesquels l'interruption de grossesse n'est pas punissable:

15 16 17 18 19 20

­

si un avis médical démontre qu'elle est nécessaire pour écarter le danger d'une atteinte grave à l'intégrité physique ou d'un état de détresse profonde de la femme enceinte, le danger devant être d'autant plus grave que la grossesse est avancée;

­

si, sur demande écrite de la femme qui invoque qu'elle se trouve en situation de détresse, elle est pratiquée au cours des douze semaines suivant le début des dernières règles par un médecin habilité à exercer sa profession et qui s'est au préalable entretenu de manière approfondie avec la femme enceinte et l'a conseillée.

FF 1980 III 266 FF 1983 II 1 FF 1985 II 677 FF 2000 207 FF 2001 633 FF 2002 4786

4998

Pour ce second cas de figure, un certain nombre de conditions sont définies dans la loi. Ainsi est-il notamment établi qu'un dossier d'informations doit être remis contre signature à la femme enceinte et que le médecin doit s'assurer, si la femme enceinte a moins de seize ans, qu'elle s'est adressée à un centre de consultation spécialisé pour mineurs.

Selon la réforme adoptée par le Parlement, il appartient aux cantons de désigner les cabinets et les établissements hospitaliers qui remplissent les conditions nécessaires à la pratique de l'interruption de grossesse. Concernant le financement de l'interruption de grossesse, la loi prévoyait une modification de la LAMal afin que l'assurance obligatoire des soins prenne en charge, pour les interruptions de grossesse non punissables au sens de l'art. 119 CP, les coûts des mêmes prestations que pour la maladie.

La loi a été adoptée au vote final le 23 mars 2001 puis acceptée en votation populaire le 2 juin 2002 par 72,2 % des votants21. Elle est entrée en vigueur le 1er octobre 200222.

3.2

Aspects statistiques

Selon l'art. 119, al. 5, CP, toute interruption de grossesse doit être annoncée à l'autorité de santé publique compétente, en garantissant l'anonymat de la femme concernée et en respectant le secret médical. L'Office fédéral de la statistique (OFS) établit, à l'aide des données récoltées, une statistique des interruptions de grossesse.

En 2010, 11 092 interruptions de grossesse ont été effectuées, dont 10 641 parmi les femmes résidant en Suisse, alors que 80 290 naissances ont été recensées.

Parmi les interruptions de grossesse, 62 % ont été effectuées par voie médicamenteuse et 38 % de manière chirurgicale. On peut constater que plus de 60 % des interventions ont lieu durant les 7 premières semaines de grossesse. La méthode médicamenteuse est alors employée dans plus de 90 % des cas. 35 % des interruptions ont lieu entre 8 et 12 semaines. Dans 90 % de ces cas c'est la méthode chirurgicale qui est privilégiée.

La Suisse enregistre un taux d'interruptions de grossesse très faible en comparaison d'autres pays européens, tout particulièrement chez les adolescentes. Le taux d'interruptions de grossesse par an pour 1000 femmes entre 15 et 44 ans s'y élevait à 6,8 en 2010, alors qu'il s'élevait en 2009 à plus de 20 en Suède (20,8). Le taux se situait entre 10 et 20 en Angleterre et au Pays de Galles (17 en 2009), en France (16,8 en 2007), au Danemark (15,3 en 2009), en Espagne (11,4 en 2009), en Finlande (10,6 en 2009) et en Italie (10,3 en 2008). L'Allemagne représente le taux le plus proche de celui de la Suisse avec 7,1 interruptions de grossesse par an pour 1000 femmes entre 15 et 44 ans en 2010.

Le coût des interruptions de grossesse en Suisse s'élèverait à près de 8 millions de francs, ce qui représente environ 0, 03 % des coûts à charge de l'assurance obligatoire des soins. Cette estimation tient compte du coût estimé des interruptions médicamenteuses et des interruptions chirurgicales (en moyenne entre 600 et 1000 francs), mais pas de la part financée directement par les femmes concernées 21 22

FF 2002 4786 RO 2002 2989

4999

(franchise et quote-part). En effet l'interruption de grossesse n'étant pas une prestation spécifique à la maternité selon l'art. 29, al. 2, LAMal, elle n'est pas exemptée de la participation aux coûts, telle que cette exemption est prévue à l'art. 64, al. 7, LAMal. Il n'est pas possible d'établir une évaluation plus précise des coûts réellement à charge de l'assurance obligatoire des soins, mais ils sont inférieurs aux estimations présentées ici.

3.3

Aspects juridiques

L'ancien régime pénal ne délimitait l'indication de l'interruption légale de grossesse qu'en termes juridiques généraux, ce qui, comme dans tous les cas d'indication, laissait inéluctablement une large marge de manoeuvre aux médecins chargés d'établir les avis conformes23. Dans ce contexte, une notion large de la santé pouvait être utilisée, comme par exemple celle définie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS): la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité24. En fonction, notamment, des interprétations faites par les médecins, la pratique divergeait ainsi considérablement non seulement d'un canton à l'autre (une large majorité des cantons suisses admettant une pratique plus ou moins libérale en matière d'interruption de grossesse25), mais également au sein d'un même canton. L'application non uniforme du droit remettait en question le principe de l'égalité de traitement, qui veut qu'à des moments différents ou dans des lieux différents, deux situations semblables soient traitées de manière semblable. L'incertitude juridique qui découlait de cette situation (tant du point de vue des risques pénaux que de la possibilité de remboursement de l'intervention) était lourde à porter pour les médecins et les femmes concernées.

En observant l'application du CP, on constate qu'aucun jugement pénal ou quasiment n'a été prononcé en vertu des art. 118 et 119 CP depuis 1980. En outre, un des derniers arrêts du Tribunal fédéral des assurances (TFA) prononcé en vertu de ces articles concernait la question du remboursement des interruptions de grossesse. Le TFA rappelait le 14 mai 1982 (ATF 108 V 34 / RJAM 1982 no 517) que les prestations obligatoires ne comprennent pas seulement les mesures servant à éliminer des troubles physiques ou psychiques, mais également celles grâce auxquelles un dommage menaçant la santé ou l'aggravation d'un mal existant peuvent être évités.

L'interruption de grossesse n'était en ce sens pas uniquement pratiquée pour prévenir un éventuel danger théorique, mais aussi pour empêcher qu'en maintenant la grossesse, la personne enceinte ne soit menacée dans sa vie ou sa santé. L'absence de jugement pénal en vertu des art. 118 et 119 CP fut évoquée lors des discussions concernant l'initiative
parlementaire Haering Binder, comme une indication du fait que la société n'avait pas, ou plus, la volonté de faire appliquer les dispositions pénales en vigueur sur l'interruption de grossesse non autorisée. L'introduction du régime du délai a donc institué une pratique libérale en matière d'interruption de 23 24

25

Notamment FF 1998 4734 4737 Préambule à la Constitution de l'Organisation mondiale de la santé, tel qu'adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19 juin-22 juillet 1946, signé par les représentants de 61 Etats le 22 juillet 1946 (Actes off. Org. mond. Santé, 2, 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948.

Notamment FF 1998 2629 2631

5000

grossesse déjà largement répandue et qui ne faisait pas, ou plus, l'objet de jugements pénaux.

La modification du CP du 23 mars 2001 relative à l'interruption de grossesse incluait la révision de l'art. 30 de la LAMal.26 La réforme a été adoptée au Conseil national par 107 voix contre 69 et au Conseil des Etats par 22 voix contre 20. Le référendum a été demandé mais le peuple s'est prononcé à une large majorité pour la réforme décidée par le Parlement.

Les explications du Conseil fédéral parvenues à tous les citoyens contenaient l'intégralité de la modification prévue, y compris l'adaptation de l'art. 30 LAMal.

En outre, le texte présenté par les comités référendaires mentionnait comme argument contre la modification du CP, le fait que la réforme prévoyait que tous les assurés participent, par le biais des primes d'assurance-maladie, aux frais des avortements. Les citoyens ont donc approuvé le régime du délai en ayant conscience que les coûts des interruptions de grossesse légales au sens du CP seraient pris en charge par l'assurance-maladie.

Le 12 avril 2011, le Conseil national a réaffirmé la volonté populaire en rejetant par 84 voix contre 5527 une motion (09.3525) qui visait le même but que l'initiative populaire qui fait l'objet du présent message.

3.4

Aspects pratiques

Avec la légalisation de l'interruption de grossesse et l'extension du droit au remboursement défini à l'art. 30 LAMal, les incitations à pratiquer une interruption en dehors du cadre légal établi ont disparu. Or, ce cadre permet d'assurer la qualité des prestations médicales concernées, de garantir que la femme enceinte a été informée, conseillée et qu'elle a, le cas échéant, demandé l'interruption de grossesse par écrit.

Un certain nombre de risques, notamment pour la santé des femmes ayant recours à l'interruption de grossesse, peuvent ainsi être évités.

La présente initiative, en demandant de radier les coûts de l'interruption de grossesse de l'assurance obligatoire des soins, sous réserve de rares exceptions, ne revient pas sur le caractère punissable des interventions pratiquées dans les cas de figure et aux conditions mentionnées dans le CP. Elle fait toutefois ressurgir l'incertitude concernant le droit au remboursement qui existait sous l'ancien droit, risquant ainsi de provoquer un retour aux anciennes pratiques qui avaient disparu grâce à la nouvelle législation. En effet, quels que soient les rares cas définis par la loi, les termes généraux du texte législatif laisseraient inévitablement une marge d'interprétation génératrice d'incertitude, la femme ne sachant pas si son assurance-maladie prendra ou non en charge les coûts liés à l'interruption de grossesse. Le Conseil fédéral pourra définir des exceptions mais, même si celles-ci sont déterminées le plus précisément possible, les discussions relatives à leur interprétation seront inévitables. D'une part, l'initiative attribue aux assureurs le soin de déterminer si les indications pour la prise en charge de l'interruption de grossesse sont remplies, alors qu'en droit actuel, il leur suffit de constater que l'intervention n'a pas entraîné de condamnation pénale pour accepter de la rembourser. D'autre part et comme sous l'ancien droit, les méde26 27

FF 2001 1257 BO 2011 N 663

5001

cins risqueront d'interpréter largement les cas particuliers définis dans la loi afin que certaines interruptions de grossesse soient présentées de manière à ce que les assureurs acceptent de les rembourser. Ces interruptions pratiquées par les médecins autorisés et dans le respect des autres conditions légales ne représenteraient pas de risque supplémentaire pour la santé des femmes concernées.

Par contre, il est possible que certaines femmes n'ayant pas les moyens de financer elles-mêmes une interruption de grossesse aient recours à des prestations ne respectant pas, ou ne respectant que partiellement, le cadre légal. Des interventions pourraient être offertes à des coûts moindres, en s'éloignant du cadre fixé par la loi. Ces pratiques seraient illégales et punissables, mais se répandront comme s'étaient répandues les interruptions de grossesse, alors que la loi les interdisait encore. Il faut relever que de telles pratiques pourraient représenter un risque pour la santé des femmes concernées, les interruptions de grossesse ainsi pratiquées présentant potentiellement une qualité de traitement moindre. Les femmes prendraient des risques pour leur santé et les complications (physiques ou psychiques) consécutives à des interventions de mauvaise qualité seraient à la charge de l'assurance obligatoire des soins.

Le législateur puis le peuple ont décidé de légaliser l'interruption de grossesse sous certaines conditions (délai, entretien du praticien avec la femme enceinte, annonce des interventions à l'autorité). Ces conditions permettent de garantir la sécurité sanitaire et juridique des personnes concernées. Le Conseil fédéral est donc d'avis qu'il conviendrait de maintenir le lien entre le caractère non punissable d'une interruption de grossesse et la possibilité d'en obtenir le remboursement par l'assurance obligatoire des soins.

3.5

Remboursement par l'assurance obligatoire des soins

Selon les compétences que leur reconnaît la Constitution, la Confédération et les cantons s'engagent notamment, au titre des buts sociaux, à ce que toute personne bénéficie de la sécurité sociale et des soins nécessaires à sa santé, et qu'elle soit assurée contre les conséquences économiques de la maladie et de l'accident (art. 41 Cst.). Les compétences de la Confédération comprennent l'élaboration de prescriptions et l'adoption de mesures dans le domaine de la procréation médicalement assistée, du génie génétique et de la médecine de la transplantation, ainsi que de prescriptions relatives à l'assurance-maladie et à l'assurance-accidents. Elle prend, dans les limites de ses compétences, des mesures afin de protéger la santé. En tant qu'autorité législative notamment, la Confédération définit les prestations prises en charge par l'assurance obligatoire des soins (art. 24 ss. LAMal) ainsi que les fournisseurs de prestations admis à pratiquer à la charge de cette assurance (art. 35 ss. LAMal).

Avant la modification du CP, les interruptions de grossesse n'étaient remboursées par l'assurance obligatoire des soins que si elles étaient légales, c'est à dire indiquées médicalement. Avec l'instauration du régime du délai, des femmes en bonne santé, pour lesquelles la grossesse ne représente pas un danger, ont obtenu le droit d'interrompre une grossesse, alors que celle-ci n'est pas une maladie. Mais le législateur a considéré qu'une grossesse non désirée comporte toujours un risque pour la santé. Son interruption n'est pas une opération de convenance, mais une intervention médicale thérapeutique, comme beaucoup d'autres dans le domaine de la reproduc5002

tion, par ailleurs payées par l'assurance-maladie (traitement de la stérilité). Comme celles-ci, elle assure l'intégrité physique et psychique de la patiente. Le législateur a donc décidé d'adapter l'art. 30 LAMal, afin de mentionner explicitement qu'en cas d'interruption de grossesse non punissable au sens de l'art. 119 CP, l'assurance obligatoire des soins prend en charge les coûts des mêmes prestations que pour la maladie. Ainsi, tout comme pour les autres prestations de l'assurance obligatoire des soins, l'interruption de grossesse doit être efficace, appropriée et économique. En outre, toutes les dispositions légales relatives à la qualité s'appliquent.

3.6

Aspects éthiques

Du point de vue moral, théologique et socio-éthique, une grossesse non désirée représente toujours une situation de conflit éthique. Avec la mise en place du régime du délai, le législateur a instauré pour les personnes concernées, le droit au respect de leur décision. Un nouveau paradigme s'applique: le législateur a décidé que, dans notre société libérale, la responsabilité de la décision du recours à cette intervention devait être laissée à la femme concernée. L'introduction du régime du délai avait pour but, non pas de régler le dilemme qui se présente aux personnes, mais d'offrir une voie possible dans la prise de responsabilité, qui soit l'expression de la confiance placée par la société dans les personnes concernées par ce choix.

Le législateur a dans le même temps estimé que ce choix devait être éclairé et émis sans contrainte, notamment d'ordre pécuniaire. Il a donc, d'une part, édicté des règles pour garantir que la femme enceinte sera conseillée et informée et, d'autre part, décidé que l'interruption de grossesse serait remboursée par l'assurance obligatoire des soins. La suppression du remboursement créerait un lien entre la situation économique et le choix d'interrompre ou non une grossesse, ce qui n'est pas souhaitable. En effet, la responsabilité du choix laissé à la femme est lourde. Les critères moraux, théologiques ou socio-éthiques qui entrent en ligne de compte ne doivent pas être entravés par des considérations économiques. Le Conseil fédéral ne souhaite pas, notamment, que des femmes de condition sociale modeste soient désavantagées par leur situation économique au moment de devoir opérer le choix d'interrompre une grossesse.

3.7

Effets sur les coûts

Les coûts des interruptions de grossesse à la charge de l'assurance obligatoire des soins sont limités et stables. Outre le fait que les femmes concernées participent aux coûts des prestations fournies, le nombre d'interventions est en Suisse remarquablement limité en comparaison internationale.

En outre, le développement de la possibilité de procéder aux interruptions par intervention ambulatoire ainsi que le développement des interventions par voie médicamenteuse, grâce à la mise sur le marché de la pilule abortive Myfégine, ont contribué à réduire les coûts.

La suppression du remboursement de l'interruption de grossesse par l'assurance obligatoire des soins, aurait des conséquences sur la santé des femmes qui recourraient à des interventions illégales. Or, c'est l'assurance obligatoire des soins qui prendrait en charge les prestations concernées. Il faut également prendre en considé5003

ration le fait que les assureurs devront vérifier dans chaque cas si l'interruption de la grossesse a été déterminée par une situation exceptionnelle reconnue par la loi. On constaterait alors une augmentation sensible des frais administratifs et, le cas échéant, des coûts occasionnés par les expertises médicales.

4

Nécessité d'un contre-projet

Pour les motifs exposés ci-dessus, le Conseil fédéral propose de rejeter l'initiative populaire sans présenter de contre-projet ou de projet en rapport étroit avec l'initiative (art. 97, al. 2, LParl). Il estime en outre que le peuple a déjà exprimé sa volonté sur la question du remboursement des prestations liées à l'interruption de grossesse lorsqu'il a approuvé la modification du CP du 23 mars 2001, le 2 juin 2002, par 72,2 % des votants. La modification de l'art. 30 de la LAMal faisait partie intégrante de l'objet soumis à votation. Le Conseil fédéral constate par ailleurs que le Parlement a rejeté le 12 avril 2011 une motion (09.3525) ayant en partie la même teneur que la présente initiative populaire.

Le Conseil fédéral considère que la loi actuelle répond à des exigences d'intégrité juridique et éthique que l'initiative populaire en discussion remet en question. Le Conseil fédéral estime de même que tout contre-projet ou projet en rapport étroit avec l'initiative remettrait lui aussi en cause ces exigences.

5

Comparaison internationale

Les législations en matière d'interruption de grossesse sont très variables en Europe.

En Suède, l'interruption est autorisée sur demande de la femme jusqu'à 18 semaines depuis les dernières règles. Les coûts sont quasi intégralement financés par le système d'assurance-maladie, les patientes ne paient qu'une faible participation.

Au Royaume-Uni, l'interruption de grossesse est autorisée jusqu'à 24 semaines depuis les dernières règles sous conditions (indications médico-sociales et décision de deux médecins). Elle est remboursée par le système étatique.

En France, l'interruption se pratique jusqu'à 12 semaines de grossesse, soit 14 semaines après le 1er jour des dernières règles, sur demande de la femme qui se déclare en situation de détresse du fait de sa grossesse. L'interruption de grossesse est financée à 80 % par le système d'assurance-maladie, à 100 % si la femme a moins de 18 ans ou vit dans une certaine précarité économique.

Au Danemark, l'interruption de grossesse est autorisée sur demande de la femme jusqu'à 12 semaines à partir du 1er jour des dernières règles. Elle est remboursée par le système étatique.

En Espagne, l'interruption de grossesse est autorisée jusqu'à 14 semaines depuis les dernières règles sur demande de la femme. Elle est entièrement prise en charge par le système d'assurance-maladie.

En Finlande, l'interruption de grossesse est autorisée jusqu'à 12 semaines sous conditions (indications médico-sociales et décision de deux médecins). Elle est remboursée par le système étatique, mais la femme doit prendre les frais d'hospitalisation à sa charge.

5004

En Italie, l'interruption de grossesse est autorisée sous conditions (indications médico-sociales définies par la femme) jusqu'au 90e jour de grossesse et elle est totalement prise en charge par le système d'assurance-maladie.

En Allemagne, l'interruption de grossesse est autorisée jusqu'à 12 semaines après la conception lorsque la femme se déclare en situation de détresse ou lorsque la grossesse est le résultat d'un viol. Les coûts liés à l'interruption de grossesse (information, preuve de la grossesse) sont partiellement remboursés, mais pas l'intervention elle-même. Si les femmes sont dans une situation économique précaire, d'autres coûts sont pris en charge. Si la grossesse résulte d'un viol ou si son interruption est médicalement justifiée, l'intervention est totalement prise en charge par le système d'assurance-maladie.

Bien que les législations diffèrent d'un pays à l'autre, le remboursement est généralement prévu par le système d'assurance-maladie, respectivement par le système étatique. Un lien direct entre remboursement et taux d'interruption de grossesse ne peut être établi sur la base des statistiques présentées au ch. 3.2.

6

Relation avec le droit européen

6.1

Le droit de l'Union européenne

Aux termes de l'art. 3 du Traité sur l'Union européenne (TUE), l'Union a pour mission de promouvoir la justice et la protection sociales. La libre circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Union est fixée à l'art. 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Elle requiert une coordination des régimes nationaux de sécurité sociale, ce que prévoit l'art. 48 TFUE. Le droit de l'Union ne prévoit pas l'harmonisation des régimes nationaux de sécurité sociale, les Etats membres conservant la faculté de déterminer la conception, le champ d'application personnel, les modalités de financement et l'organisation de leur système de sécurité sociale. La coordination des régimes nationaux de sécurité sociale est mise en oeuvre par le règlement (CE) no 883/200428 et par son règlement d'application no 987/200929. Depuis le 1er juin 2002, date de l'entrée en vigueur de l'Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes30, la Suisse participe à ce système de coordination sur la base de l'ancien règlement du Conseil no 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté et de son règlement d'application no 574/7231.

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29

30 31

Règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, JO L 166 du 30.4.2004, p. 1; rectifié au JO L 200 du 7.6.2004 Règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, JO L 284 du 30.10.2009, p. 1 RS 0.142.112.681 RS 0.831.109.268.1 et 0.831.109.268.11

5005

6.2

La Convention européenne des droits de l'homme

Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), la Convention du 4 novembre 1950 sur la sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH)32 ne garantit pas de droit absolu à l'avortement. L'interruption de grossesse relève cependant de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH) de la femme enceinte et de l'enfant à naître. Les Etats signataires ont dans leur législation une grande marge d'appréciation pour trouver un équilibre dans les situations de conflit entre la mère et l'enfant (CEDH, Arrêt du 16 décembre 2010, [Grande Chambre], A, B et C c. Irlande, Requête no 25579/05, §212 et 231 ss).

Toute incursion dans le droit à la vie privée doit prendre en considération l'interdiction de discrimination selon l'art. 14 CEDH. L'interdiction d'interrompre la grossesse n'est pas la seule à être considérée comme une incursion dans le droit à la vie privée, l'exclusion de la prise en charge des coûts de traitement par l'assurance obligatoire des soins peut aussi être considérée comme telle (cf. CEDH, Arrêt du 8 janvier 2009 dans l'affaire Schlumpf c. Suisse, Requête no 29992/06). Le Conseil fédéral est d'avis que le texte de l'initiative populaire pourra être interprété de manière à éviter une éventuelle incompatibilité avec la CEDH.

6.3

Les instruments du Conseil de l'Europe

La Charte sociale européenne du 18 octobre 1961 est le pendant de la Convention européenne des droits de l'homme pour les droits économiques et sociaux. Le droit à la sécurité sociale y est fixé à l'art. 12. La Suisse a signé la Charte le 6 mai 1976, mais le Parlement ayant refusé en 1987 de la ratifier, ce traité ne lie pas notre pays.

La Charte sociale européenne révisée du 3 mai 1996 met à jour et adapte le contenu matériel de la Charte de 1961. Elle constitue un accord distinct de la Charte sociale européenne de 1961 qu'elle n'abroge pas. Le droit à la sécurité sociale figure également à l'art. 12. La Suisse n'a pas ratifié cet instrument.

Le Code européen de sécurité sociale du 16 avril 1964 a été ratifié par la Suisse le 16 septembre 197733. Notre pays n'en a toutefois pas accepté la partie II relative aux soins médicaux, qui nécessite notamment que soit garantie l'attribution de prestations médicales aux personnes protégées en cas d'état morbide, quelle qu'en soit la cause, et en cas de maternité. Le bénéficiaire peut être tenu de participer aux frais des soins médicaux reçus en cas d'état morbide et la durée des prestations servies peut être limitée à 26 semaines par cas.

Le Code européen de sécurité sociale révisé du 6 novembre 1990 constitue aussi un accord distinct du Code européen de sécurité sociale, qu'il n'abroge pas. Le Code révisé n'est pas encore en vigueur.

32 33

RS 0.101 RO 1978 1491

5006

6.4

Compatibilité du projet avec le droit européen

Ni le droit de l'Union européenne ni les instruments du Conseil de l'Europe ne contiennent de règles relatives à l'interruption de grossesse: l'initiative populaire n'est donc pas en contradiction avec le droit européen.

Même si le droit européen laisse une certaine liberté d'appréciation aux Etats sur les questions liées à l'interruption de grossesse, le Parlement européen a émis plusieurs résolutions34 qui recommandent aux Etats membres et aux pays candidats à l'adhésion d'Europe centrale et orientale non seulement de légaliser l'interruption de grossesse, mais aussi de la rendre sûre et accessible à tous. La radiation du remboursement de l'interruption de grossesse par l'assurance obligatoire des soins peut être considérée comme une remise en question de la possibilité d'obtenir une interruption de grossesse sûre et accessible, telle qu'elle est précisément recommandée par le Parlement européen.

7

Conclusions

L'initiative populaire intervient alors que le peuple a déjà pris position en 2002 sur l'établissement d'un lien entre le caractère non punissable d'une interruption de grossesse et la possibilité d'en obtenir le remboursement. Le Conseil fédéral considère que ce lien doit être maintenu.

En acceptant de modifier le CP, le peuple a admis le caractère non punissable de l'intervention de grossesse, mais en posant des conditions claires. Si le remboursement des interruptions par l'assurance obligatoire des soins était supprimé, il existerait un risque que certaines interventions soient pratiquées en dehors du cadre légal.

L'accès à l'information, exigé par le CP, et la qualité des prestations, exigée dans le cadre de l'assurance-maladie, ne seraient alors pas assurés. Outre les risques sanitaires et le caractère illégal de telles pratiques, le Conseil fédéral estime que les exigences prévues par le CP risquent de ne plus être appliquées correctement.

La suppression du remboursement des interruptions de grossesse par l'assurance obligatoire des soins mettrait à mal la sécurité qui est actuellement assurée aux femmes et aux praticiens concernés. En définissant dans la loi des exceptions, les discussions autour de l'interprétation de ces cas particuliers et les contrôles nécessaires avant de rembourser les interruptions de grossesse entraîneraient à la fois des incertitudes et une augmentation des coûts administratifs des assureurs.

Enfin, le Conseil fédéral estime que la décision d'interrompre une grossesse est bien trop lourde pour que des considérations économiques entrent en ligne de compte. De plus, l'interruption de grossesse est une intervention médicale thérapeutique qui assure l'intégrité physique et psychique des patientes. Il est donc indiqué qu'elle fasse partie des prestations remboursées par l'assurance obligatoire des soins.

34

Notamment les résolutions suivantes: Résolution du Parlement européen du 8 mars 2011 sur la réduction des inégalités de santé dans l'Union européenne (P7_TA-PROV(2011)0081) et Résolution du Parlement européen du 8 mars 2011 sur l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'Union européenne (P7_TA-PROV(2011)0085)

5007

Le taux d'interruption de grossesse en Suisse est stable avec une tendance à la baisse. Il est inférieur aux taux observés dans les autres pays européens. Les coûts à charge de l'assurance obligatoire ne constituent donc pas ici un problème. Au vu des considérations qui précèdent et compte tenu de l'effet extrêmement limité de la suppression du remboursement de l'interruption de grossesse sur la maîtrise des coûts de l'assurance-maladie, le Conseil fédéral propose de soumettre l'initiative au vote du peuple et des cantons en leur recommandant de la rejeter, et sans présenter de contre-projet.

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