09.024 Message concernant l'approbation et la mise en oeuvre de la Convention de l'ONU sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens du 25 février 2009

Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons, en vous proposant de l'adopter, le projet d'arrêté fédéral portant approbation et mise en oeuvre de la Convention de l'ONU sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens.

Nous vous proposons en outre de classer l'intervention parlementaire suivante: 2005 P

05.3807

Législation sur la poursuite pour dettes et la faillite et relations extérieures (CN 14.12.2005, Widmer)

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

25 février 2009

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Hans-Rudolf Merz La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2008-3041

1443

Condensé La Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens a été adoptée par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies le 2 décembre 2004, par consensus. Elle a pour but d'instaurer des règles universellement applicables, définissant dans quelles conditions un Etat et ses biens peuvent, dans le cadre de procédures autres que les procédures pénales, être soumis à la juridiction des tribunaux d'un autre Etat. Vingt-sept années de négociations furent nécessaires à la rédaction d'un instrument susceptible d'emporter l'adhésion générale dans ce domaine du droit où subsistent des positions divergentes. La Suisse, qui a pris une part active à l'élaboration du texte, a aisément pu se rallier au consensus relatif à son adoption, car la convention codifie au niveau international, pour l'essentiel, des principes appliqués par le Tribunal fédéral depuis 1918. Selon ces principes dits de l'immunité restrictive, ou relative, l'Etat étranger est protégé par son immunité quand il agit dans l'exercice de la puissance publique (jure imperii), mais non pas pour les actes qu'il accomplit comme titulaire de droits privés (jure gestionis), au même titre qu'un particulier.

La Suisse a signé cette convention le 19 septembre 2006 à New York. En effet, la convention s'avère pour l'essentiel compatible avec notre ordre juridique et représente un résultat majeur dans la codification et le développement progressif des règles du droit international. Le Conseil fédéral propose à présent aux Chambres fédérales de l'approuver, car la ratification de cette convention paraît souhaitable à de nombreux égards.

La Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens répond en effet à la nécessité d'établir un régime uniforme et mondial dans un domaine essentiel au bon fonctionnement de la société internationale. La Suisse a un intérêt particulier à la stabilité juridique apportée par un régime des immunités étatiques universellement applicable, car de nombreuses conférences et organisations internationales ont établi leur siège sur son territoire, ce qui implique une forte présence de représentants étatiques sur son territoire. En ratifiant la convention, notre pays s'assure les meilleures conditions possibles pour la conduite de ses
relations avec les autres Etats.

Ce texte renforce également la sécurité juridique dans les rapports entre les Etats et les personnes privées. Le régime des immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens pose des problèmes complexes et les pratiques nationales en la matière ne sont pas uniformes. Tant les Etats que les particuliers gagneraient à la transparence et la prévisibilité apportées par un corpus de dispositions juridiquement contraignantes. La ratification de la convention est dans l'intérêt de la Suisse, car elle contribue à la prééminence et la sécurité du droit.

1444

A ce jour [état le 25.02.2009], six Etats ont ratifié la convention (Autriche, Iran, Liban, Norvège, Portugal et Roumanie) et vingt-huit autres Etats l'ont signée. Parmi les Etats signataires figurent des pays qui préconisaient par le passé une immunité absolue. Être parmi les premiers Etats à ratifier la convention, permettrait à la Suisse de rester fidèle à son engagement traditionnel en faveur du droit international et de jouer un rôle moteur dans l'établissement d'un régime juridique universellement applicable en matière d'immunité.

1445

Table des matières Condensé

1444

1 Introduction 1.1 Notion d'immunité des Etats 1.2 Immunités des Etats étrangers en Suisse 1.2.1 Historique 1.2.2 La pratique suisse

1448 1448 1449 1449 1450

2 La Convention sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens 2.1 Situation initiale 2.2 Genèse de la convention 2.3 Position de la Suisse 2.3.1 Position des autorités fédérales 2.3.2 Position des autorités cantonales 2.4 Aperçu du contenu et de la structure de la convention

1451 1451 1451 1452 1452 1453 1454

3 Commentaire des dispositions de la convention 3.1 Champ d'application 3.2 Principes généraux 3.3 Notion d'Etat aux fins de la convention 3.4 Exceptions à l'immunité de juridiction 3.5 Exceptions à l'immunité d'exécution 3.6 Dispositions diverses 3.7 Clauses finales

1455 1455 1456 1457 1457 1462 1463 1463

4 La convention et l'ordre juridique suisse 4.1 Généralités 4.2 Immunité de juridiction 4.2.1 Atteintes à l'intégrité physique d'une personne ou dommages aux biens 4.3 Immunité d'exécution 4.3.1 Distinction entre mesures de contrainte antérieures et postérieures au jugement 4.3.2 Insaisissabilité des biens de la banque centrale 4.4 Questions procédurales 4.4.1 Notification des actes introductifs d'instance 4.4.2 Jugements par défaut 4.4.3 Privilèges et immunités en cours de procédure

1464 1464 1465

5 Autres déclarations interprétatives

1473

6 Conclusion

1473

7 Conséquences 7.1 Conséquences pour la Confédération 7.2 Conséquences pour les cantons et les communes

1474 1474 1475

1446

1465 1467 1467 1468 1469 1469 1470 1472

7.3 Conséquences économiques 7.4 Autres conséquences

1475 1475

8 Programme de la législature

1475

9 Rapport avec le droit européen

1475

10 Classement d'une intervention parlementaire

1476

11 Constitutionnalité

1477

Arrêté fédéral portant approbation et mise en oeuvre de la Convention de l'ONU sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens (Projet)

1479

Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens

1481

1447

Message 1

Introduction

1.1

Notion d'immunité des Etats

L'immunité des Etats est une notion de droit international qui a pour but de protéger la souveraineté d'un Etat en soustrayant celui-ci à la juridiction d'un autre Etat. En droit des gens, le principe de territorialité implique que chaque Etat possède le droit exclusif d'exercer les fonctions étatiques sur son territoire, y compris la fonction juridictionnelle; cependant, l'absence de toute hiérarchie entre les Etats souverains exclut que l'un d'entre eux soit soumis à des actes d'autorité de la part d'un autre Etat. Ainsi, la règle selon laquelle un Etat ne saurait être attrait devant les tribunaux d'un autre Etat ou visé par des mesures de contrainte est parfois exprimée par l'adage «par in parem non habet imperium»1.

L'immunité des Etats est une institution ancienne; son régime a toutefois subi d'importantes évolutions. Jusqu'à la seconde moitié du 19e siècle, il était généralement reconnu en droit international public qu'un Etat étranger ne pouvait pas être soumis à la juridiction des tribunaux internes, à moins que cet Etat ne renonçât expressément à son immunité (principe de l'immunité absolue). A partir de la seconde moitié du 19e siècle, la jurisprudence et la doctrine ont admis peu à peu que cette immunité n'était justifiée que lorsque l'Etat agissait dans l'exercice de la puissance publique (jure imperii). En revanche, l'Etat étranger devait être assujetti à la juridiction des tribunaux internes quant il avait agi au même titre qu'un particulier, c'est à dire en cas de réclamations fondées sur un rapport juridique de droit privé (jure gestionis). Cette conception restrictive (principe de l'immunité relative) fut appliquée d'abord par les tribunaux italiens et belges, puis s'étendit à d'autres Etats, y compris la Suisse (voir ch. 1.2.2 ci-dessous). Elle s'est développée principalement pour tenir compte de l'activité économique croissante des Etats, engagés toujours plus fréquemment dans des transactions impliquant des particuliers. La théorie de l'immunité absolue a néanmoins continué à prévaloir dans certains pays, soucieux de voir leurs activités demeurer libres de toute interférence.

Comme en atteste le nombre élevé de décisions rendues à cet égard, le régime de l'immunité des Etats revêt une grande importance pratique pour les juridictions nationales. Il s'agit d'une problématique
très actuelle, mais aussi très complexe.

Derrière le litige opposant l'Etat étranger à la personne privée, l'immunité touche aux relations que celui-ci entretient avec l'Etat du for. Les décisions judiciaires relatives à l'immunité des Etats peuvent ainsi avoir des répercussions sur les relations diplomatiques. La matière est donc sensible, d'autant que la communauté des Etats demeure divisée sur l'étendue de l'immunité: s'il semble désormais admis que la conception restrictive occupe une place prépondérante, des différences marquées subsistent encore, et les pratiques nationales, développées par la jurisprudence ou fondées sur des lois, sont actuellement loin d'être uniformes.

1

Littéralement: «l'égal n'a pas d'autorité sur son égal».

1448

1.2

Immunités des Etats étrangers en Suisse

1.2.1

Historique

La Suisse, à l'instar de beaucoup d'autres pays, ne dispose pas d'une législation régissant l'immunité des Etats. La matière est réglée de façon jurisprudentielle, sur la base des principes généraux du droit international.

En 1923, un projet de loi sur le séquestre et les mesures d'exécution forcée sur des biens appartenant à des Etats étrangers2 s'est heurté à l'opposition du Conseil national, qui préférait laisser à la jurisprudence du Tribunal fédéral le soin de régler cette question. Les deux guerres mondiales ont par ailleurs donné lieu à une intervention législative du Conseil fédéral, fondée sur ses pleins pouvoirs: en 1918, il adoptait un arrêté excluant les mesures de contrainte à l'égard des biens d'un Etat étranger sous condition de réciprocité, et, en 1939, un arrêté prévoyant notamment que le séquestre de biens appartenant à un Etat étranger ne pouvait être opéré qu'avec son assentiment3. Ces arrêtés furent abrogés respectivement en 1926 et 19484. Après la deuxième guerre mondiale, des dispositions restrictives concernant les mesures d'exécution forcée à l'égard de biens appartenant à des Etats étrangers ont été insérées dans plusieurs accords conclus avec des pays de l'Europe de l'Est; il s'agissait alors d'assurer l'exécution des accords d'indemnisation des intérêts suisses. Devenues caduques, ces dispositions ne sont plus en vigueur.

En 1991, à l'occasion de la dernière révision d'ensemble de la loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP)5, on songea à introduire des règles spéciales concernant le séquestre des biens d'Etats étrangers. Cette possibilité fut toutefois écartée pour éviter de voir la loi empêcher le développement de la pratique du droit international et de la jurisprudence y relative6. Lors de cette même révision, il avait aussi été envisagé de conférer au Département fédéral des affaires étrangères la qualité pour former un recours de droit public contre une ordonnance de séquestre visant les biens d'un Etat étranger. On y renonça, au motif que les nombreux cas de séquestre de biens appartenant à des Etats étrangers dont s'étaient occupés les tribunaux suisses avaient montré que la pratique établie était suffisante, même sur le plan de la procédure7.

2 3 4 5 6

7

FF 1923 I 416 Voir ATF 82 I 75, consid. 9 et 10 (avec références).

RO 1926 305 et 1948 950 RS 281.1 A défaut de règle spéciale, l'art. 271, al. 1, ch. 4, LP s'applique donc également au séquestre des biens d'un Etat étranger (voir le message du Conseil fédéral du 8 mai 1991 concernant la révision de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, FF 1991 III 1, p. 188 à 189).

Message du Conseil fédéral du 8 mai 1991 concernant la révision de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, FF 1991 III 1, p. 189.

1449

1.2.2

La pratique suisse

Le Tribunal fédéral s'est rallié à la conception restrictive de l'immunité des Etats dès 1918 (ATF 44 I 49) et s'y est tenu par la suite8. Selon sa jurisprudence, le principe de l'immunité de juridiction des Etats étrangers n'est pas une règle absolue et d'une portée générale. Il faut au contraire faire une distinction suivant que l'Etat étranger agit en vertu de sa souveraineté (jure imperii), ou comme titulaire d'un droit privé (jure gestionis). C'est dans le premier cas seulement qu'il peut invoquer le principe de l'immunité de juridiction. Dans le second, en revanche, il peut être assigné devant les tribunaux suisses et faire dans notre pays, sous certaines conditions, l'objet de mesures d'exécution forcée. A cet égard, le Tribunal fédéral a été amené à poser une exigence supplémentaire. Pour qu'un rapport de droit privé auquel un Etat étranger est partie puisse donner lieu à une procédure en Suisse, notre Haute Cour exige en effet que ce rapport soit rattaché au territoire suisse (Binnenbeziehung), c'est-à-dire qu'il soit né ou doive être exécuté en Suisse, ou tout au moins que le débiteur ait accompli certains actes de nature à y créer un lieu d'exécution9.

Lorsqu'il s'agit d'opérer la distinction entre actes jure imperii et actes jure gestionis, le juge doit se fonder non sur leur but, mais sur leur nature. Il doit examiner si, à cet égard, l'acte relève de la puissance publique ou s'il s'agit d'un rapport juridique qui pourrait, dans une forme identique ou semblable, être conclu entre deux particuliers10. Des indications sur ce point peuvent résulter du lieu où l'acte a été accompli, par exemple. Ainsi, lorsqu'un Etat entre en relation avec un particulier sur le territoire d'un autre Etat sans que ses relations diplomatiques avec ce dernier soient en cause, il y a là un indice sérieux qu'il accomplit un acte jure gestionis.

Le Tribunal fédéral estime enfin qu'il ne se justifie pas de faire une distinction entre le pouvoir de juridiction (Gerichtsbarkeit) et le pouvoir d'exécution (Vollstreckungsgewalt) des autorités à l'égard d'un Etat étranger. Ainsi, dès l'instant où l'on admet qu'un Etat étranger peut être partie devant les tribunaux suisses à un procès destiné à fixer ses droits et ses obligations découlant d'un rapport juridique dans lequel il est intervenu, il faut admettre aussi
que cet Etat peut faire en Suisse l'objet de mesures propres à assurer l'exécution forcée du jugement rendu contre lui11. L'exécution forcée peut toutefois être exclue, suivant les circonstances, par la destination des biens appartenant à l'Etat étranger visés par ces mesures. Le Tribunal fédéral considère en effet, conformément aux règles de droit international applicables, que l'immunité d'exécution protège les biens de l'Etat étranger en Suisse lorsque celui-ci les a affectés à son service diplomatique, ou à d'autres tâches qui lui incombent comme détenteur de la puissance publique12. Cette jurisprudence constante a été intégrée dans la LP à l'occasion de sa révision d'ensemble de 199113.

8

9 10 11 12 13

Pour une revue détaillée de la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière, voir L'immunité de juridiction des Etats et des organisations internationales: la Pratique Suisse, par Dominique Favre, Juge au Tribunal fédéral, in Droit des immunités et exigences du procès équitable, Paris (Pedone) 2004, p. 43 à 55.

Voir notamment ATF 56 I 251; ATF 4C.379/2006.

Voir notamment ATF 86 I 23; 124 III 382; 130 III 136.

Voir notamment ATF 82 I 75, consid.10; 124 III 382.

Voir notamment ATF 111 Ia 62; ATF 1P.581/2000.

Art. 92, al. 1, ch. 11, LP (voir à ce sujet le message du Conseil fédéral du 8 mai 1991 concernant la révision de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, FF 1991 III 1, p. 94 à 95).

1450

2

La Convention sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens

2.1

Situation initiale

Le Comité d'experts pour la codification du droit international institué par la Société des Nations considérait déjà en 1928 que la question de l'immunité des Etats étrangers possédait «le degré de maturité suffisant pour faire l'objet d'une convention»14.

L'élaboration d'un régime universellement applicable fut toutefois entravée par l'existence de conceptions divergentes sur la portée du principe de l'immunité des Etats. Par la suite, de nombreux projets lancés au plan international tentèrent de remédier aux difficultés engendrées par ces disparités. A cet égard, il convient en particulier de mentionner les projets d'articles rédigés par l'International Law Association, ainsi que ceux de l'Institut de Droit international. Des études approfondies furent également menées par l'Association internationale des avocats, le Comité juridique consultatif afro-asiatique ou encore par l'Université Harvard aux EtatsUnis.

Certains problèmes particuliers furent résolus dans des conventions internationales de caractère spécialisé, comme la Convention internationale pour l'unification de certaines règles concernant les immunités de navires d'Etat, rédigée en 1926 et entrée en vigueur pour la Suisse le 28 novembre 195415. Des dispositions concernant les immunités des navires de guerre et autres navires d'Etat figurent aussi dans les Conventions sur la mer territoriale et la zone contiguë (art. 20, 21, 22) et sur la haute mer (art. 8 et 9), conclues à Genève en 195816. La Convention du 29 mai 1933 pour l'unification de certaines règles relatives à la saisie conservatoire des aéronefs17 prévoit par ailleurs que les aéronefs affectés exclusivement à un service d'Etat sont exempts de saisie conservatoire (art. 3, let. a). La Convention européenne du 16 mai 1972 sur l'immunité des Etats18 constitue jusqu'ici le seul instrument international de caractère général en matière d'immunité des Etats. Elle a joué un rôle non négligeable dans la rédaction de la Convention des Nations Unies, en tant que source d'inspiration. En effet, la technique législative choisie par la convention européenne, qui consiste à prévoir une disposition générale accordant l'immunité, assortie d'une liste d'exceptions explicites, se retrouve dans le texte onusien.

2.2

Genèse de la convention19

Enceinte privilégiée pour l'élaboration du droit international public, l'Organisation des Nations Unies établit par le biais de la Commission du droit international (CDI) des projets de texte pouvant ensuite être adoptés sous forme de conventions ouvertes à la ratification des Etats. Par sa résolution 32/151 du 19 décembre 1977, l'Assemblée générale de l'Organisation invita la CDI à entamer des travaux sur les immuni14 15 16 17 18 19

Annuaire de la Société des Nations, 1929, p. 283.

RS 0.747.331.51 RS 0.747.305.11 et 0.747.305.12 RS 0.748.671 RS 0.273.1 Pour plus de détails sur l'historique de l'élaboration de la convention, voir Gerhard Hafner, L'immunité d'exécution dans le Projet de Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, in Droit des immunités et exigences du procès équitable, Paris (Pedone) 2004, p. 85 à 89.

1451

tés juridictionnelles des Etats et de leurs biens. Un groupe de travail spécialement créé entama alors des recherches sur le sujet. Ses travaux, basés sur l'analyse comparative des pratiques étatiques, permirent à la CDI d'adopter, en 1991, un premier projet d'articles20. Soumis à l'Assemblée générale la même année, ce texte ne rencontra pas l'acceptation des Etats. L'Assemblée décida alors de constituer un nouveau groupe de travail qui reçut le mandat d'étudier les questions de fond soulevées par le projet d'articles, en vue d'élaborer un instrument susceptible d'emporter l'adhésion générale.

La recherche de solutions généralement acceptables nécessita encore de longues années de réflexion et de négociations. Dès le début des travaux de la CDI, le processus de codification avait été marqué par un environnement politique divisé sur la question des immunités étatiques. Tandis que la plupart des Etats occidentaux avaient adopté la conception restrictive de l'immunité, cette idée était fondamentalement rejetée par les pays communistes qui préconisaient une immunité absolue. La majorité des pays en développement, soucieux d'obtenir une protection adéquate à l'encontre des procédures judiciaires, s'opposaient également à l'approche restrictive. Ces divergences de vue affectèrent notablement l'élaboration du projet de convention. La situation commença pourtant à se modifier avec le recul des régimes communistes et, à partir de 1995, le contexte politique avait retrouvé suffisamment d'homogénéité pour que des compromis puissent être envisagés.

Les consultations menées au sein de l'Assemblée générale et des groupes de travail successifs aboutirent progressivement à un consensus basé sur l'approche restrictive.

Pour tenir compte des nouvelles tendances apparues depuis la soumission du projet de 1991, l'Assemblée générale décida en 1999 d'établir un troisième groupe de travail sous la présidence du Professeur Gerhard Hafner (Autriche). Après la publication de plusieurs rapports ciblant les principales difficultés de négociation et les solutions envisageables, un Comité spécial, institué en 2000, finalisa, sous la même présidence, l'élaboration des articles21. En mars 2004, ce comité adopta la version définitive d'un texte de convention. Le 2 décembre 2004, l'Assemblée générale l'adopta à son tour, par
consensus. Dans sa résolution 59/38, qui marque l'aboutissement de 27 ans de travail, elle invite les Etats à devenir partie à la Convention sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, ouverte à signature jusqu'au 17 janvier 2007.

2.3

Position de la Suisse

2.3.1

Position des autorités fédérales

La Suisse a activement participé aux travaux d'élaboration de cette convention car notre pays est, par tradition, engagé en faveur de la prééminence du droit et de la sécurité juridique. De plus, étant donné qu'un instrument international établissant un régime des immunités étatiques clair et uniforme ne pourra que favoriser le maintien des bonnes relations entre les Etats, il était important que la Suisse, qui accueille de 20 21

Rapport de la CDI sur les travaux de sa 43e session (Annuaire de la CDI, 1991, vol. II, p. 12 à 64).

Rapport du Comité spécial sur les immunités des Etats et de leurs biens, 24­28 février 2003 (UN Doc. A/58/22); Rapport du Comité spécial sur les immunités des Etats et de leurs biens, 1­5 mars 2004 (UN Doc. A/59/22).

1452

nombreuses conférences et organisations internationales sur son territoire, et donc de nombreux représentants étatiques, contribue à sa préparation. Lors des négociations, la délégation suisse a plaidé en faveur d'une immunité restreinte. Elle a oeuvré pour des solutions raisonnables, permettant de ménager à la fois les intérêts de l'Etat souverain, mais aussi ceux de ses partenaires privés, conformément à la pratique du Tribunal fédéral. Il va sans dire que le Conseil fédéral se félicite de l'aboutissement de tant d'années d'efforts, car la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens représente assurément un résultat majeur dans la codification et le développement progressif des règles du droit international.

La version de la convention qui a été adoptée est un compromis entre les différentes conceptions de l'immunité défendues au cours des négociations.

2.3.2

Position des autorités cantonales

Suite à la signature de la convention par la Suisse le 19 septembre 2006, l'examen d'une éventuelle ratification a été entamé. La convention n'impliquant que des adaptations mineures du droit national, on a renoncé à lancer une consultation au sens de l'art. 2 de la loi du 18 mars 2005 sur la consultation (LCo)22. En effet, bien que l'arrêté fédéral portant approbation et mise en oeuvre de la convention soit sujet au référendum prévu par l'art. 141, al. 1, let. d, ch. 3, de la Constitution (Cst.)23 (voir ch. 11 ci-dessous), les adaptations législatives proposées sont de nature technique.

Or, conformément aux lignes directrices du 30 août 2006 de la Chancellerie fédérale visant à consolider la pratique en matière de procédures de consultation sur les traités internationaux, les traités sans incidence ou avec incidences mineures sur le droit national ne sont pas soumis à une consultation au sens de l'art. 3, al. 1, let. c, de la loi fédérale du 18 mars 2005 sur la procédure de consultation24.

Le DFAE a néanmoins souhaité procéder à une audition des cantons au sens de l'art. 10 de la LCo, afin de connaître leur avis sur la convention. En effet, bien que celle-ci n'ait pas pour effet de confier des tâches d'exécution importantes aux cantons, ces derniers peuvent se trouver confrontés à des questions liées à l'immunité des Etats. La grande majorité des cantons ayant pris position sur la question a répondu à l'audition en approuvant la ratification de la convention et en indiquant ne pas avoir de remarques ou d'objections à formuler. Tout en se déclarant d'accord ou ne se prononçant pas sur la question de la ratification de la convention, les cantons de Genève, Vaud et Zurich ont formulé des remarques matérielles relatives à l'étendue de la convention et aux droits de l'homme, ainsi que des remarques d'ordre procédural. En particulier, il a été relevé que la convention s'annonce plus protectrice de l'immunité juridictionnelle des Etats que la pratique actuelle en Suisse et que la question des violations graves des droits de l'homme n'est pas réglée par la convention. Ces remarques sont traitées et prises en considération ci-après dans le cadre de l'examen de la convention en vue de sa ratification par la Suisse (voir ch. 4 cidessous).

22 23 24

RS 172.061 RS 101 Un des objectifs de la LCo est de simplifier la procédure de consultation et de limiter le nombre de procédures.

1453

2.4

Aperçu du contenu et de la structure de la convention

La Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens poursuit un double objectif: renforcer la prééminence du droit et la sécurité juridique, en particulier dans les rapports entre les Etats et les personnes privées, et contribuer à la codification et au développement du droit international ainsi qu'à l'harmonisation des pratiques dans ce domaine. Elle codifie, au plan international, les principes de l'immunité.

Dans le préambule, les Etats parties rappellent notamment l'objectif poursuivi par la convention. Celle-ci est ensuite divisée en 6 parties, qui s'articulent de la manière suivante: La portée de la convention (art. 1 et 3) et certains termes employés par elle (art. 2) sont définis dans l'introduction. Il y est encore précisé que la convention n'est pas rétroactive: ses dispositions ne seront pas applicables dans les procédures intentées avant son entrée en vigueur (art. 4).

La deuxième partie s'intitule principes généraux. Elle énonce le principe général selon lequel un Etat et ses biens jouissent de l'immunité de juridiction devant les tribunaux d'un autre Etat, sous réserve des exceptions contenues dans les autres dispositions de la convention (art. 5). Les modalités pour donner effet à l'immunité de l'Etat sont ensuite spécifiées, ainsi que les conditions et les effets d'un consentement de l'Etat à l'exercice de la juridiction des tribunaux d'un autre Etat (art. 6, 7, 8 et 9).

La convention énumère dans sa troisième partie les procédures dans lesquelles les Etats ne peuvent pas invoquer l'immunité de juridiction. Il s'agit de la liste exhaustive des exceptions à l'immunité de juridiction des Etats (art. 10 à 17). Si l'acte litigieux attribué à l'Etat correspond à l'une de ces exceptions, l'immunité doit être refusée, et l'Etat étranger devra se soumettre à la juridiction des tribunaux de l'Etat du for.

La quatrième partie de la convention, intitulée immunité des Etats à l'égard des procédures de contrainte en relation avec une procédure devant un tribunal, règle le problème de l'immunité d'exécution. Elle envisage d'abord le cas des mesures de contrainte antérieures au jugement (art. 18), puis celui des mesures de contrainte postérieures au jugement (art. 19 et 21). Elle définit également l'effet du consentement à l'exercice de la juridiction
sur l'adoption des mesures de contrainte (art. 20).

La cinquième partie contient différentes règles de procédure regroupées sous le titre dispositions diverses. Ces règles concernent la notification des actes introductifs d'instance (art. 22), le jugement par défaut (art. 23) et les privilèges et immunités reconnus à l'Etat en cours de procédure devant un tribunal (art. 24).

Les clauses finales, qui apportent notamment des précisions sur le règlement des différends, l'entrée en vigueur et la possibilité de dénoncer la convention, figurent dans la sixième partie (art. 25 à 33). Comme il ne s'y trouve pas de clause prohibant les réserves, le régime de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités25 est applicable. Des réserves compatibles avec l'objet et le but de la présente convention peuvent donc être formulées.

25

RS 0.111

1454

La convention comprend encore une annexe. Celle-ci, qui fait partie intégrante de la convention (art. 25), aide à la compréhension de certaines dispositions. Elle constitue ainsi du matériel d'interprétation, au sens de l'art. 31 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités. L'annexe ne peut toutefois pas être utilisée pour changer la portée des articles. Une phrase introductive à l'annexe précise en effet que celle-ci a pour but d'énoncer les points convenus en ce qui concerne les dispositions dont il est question.

3

Commentaire des dispositions de la convention

3.1

Champ d'application

D'après son art. 1, la convention s'applique à l'immunité de juridiction d'un Etat et de ses biens devant les tribunaux d'un autre Etat. Selon l'art. 2, al. 1, let. a, il faut entendre par «tribunal» tout organe d'un Etat, quelle que soit sa dénomination, habilité à exercer des fonctions judiciaires. Le commentaire de la Commission du droit international souligne à cet égard qu'il peut s'agir ­ selon les systèmes constitutionnels et juridiques ­ aussi bien d'un tribunal que d'un organe administratif. En outre, il est précisé que leurs fonctions judiciaires peuvent s'exercer avant l'ouverture de la procédure, au cours de celle-ci ou encore au stade final de l'exécution du jugement26.

La convention ne s'applique pas en présence d'un régime spécial d'immunité.

L'art. 3 préserve en effet les privilèges et immunités déjà accordés par le droit international existant à certaines entités ou personnes déterminées. Les immunités des missions diplomatiques et des postes consulaires de l'Etat, de ses missions spéciales, et de ses missions ou délégations auprès des conférences et organisations internationales, ainsi que les immunités des personnes qui y sont rattachées ne sont donc pas affectées par la présente convention27. De même, celle-ci n'affecte pas les immunités reconnues en droit international coutumier à la personne des chefs d'Etat, ainsi que celles dévolues aux aéronefs et aux objets spatiaux.

Le préambule précise en outre que les questions non réglées par la convention continuent d'être régies par les règles du droit international coutumier. On peut ainsi déduire du silence de la convention au sujet des activités militaires que celles-ci n'entrent pas dans son champ d'application. Ce raisonnement a été confirmé par une déclaration du Président du Comité spécial sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens lors de la présentation de la convention devant la Commission des questions juridiques de l'Assemblée générale des Nations Unies28.

26 27

28

Annuaire de la CDI, 1991, vol. 2, Deuxième partie, p. 14.

Ces immunités demeurent ainsi régies par la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques (RS 0.191.01), la Convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires (RS 0.191.02), la Convention du 8 décembre 1969 sur les missions spéciales (RS 0.191.2), ainsi que, le cas échéant, par les accords de siège conclus par le Conseil fédéral avec les organisations qui ont établi leur siège principal ou un siège secondaire en Suisse.

Voir l'Ordre du jour de la séance de la sixième Commission le 25 octobre 2004, point 142, ch. 36 (UN Doc. A/C.6/59/SR13).

1455

Sur un plan temporel, l'art. 4 prévoit que la convention n'est pas applicable aux procédures intentées avant son entrée en vigueur entre les Etats concernés. Contrairement à la Convention européenne sur l'immunité des Etats29, le moment auquel se sont déroulés les faits donnant lieu à une procédure n'a toutefois pas d'incidence sur l'application de la convention des Nations Unies.

Enfin, la convention s'applique à toutes les procédures devant les tribunaux de l'Etat du for à l'exception des procédures pénales. En effet, en adoptant le texte de la convention, l'Assemblée générale a précisé dans sa résolution 59/38 que celle-ci ne couvrait pas les poursuites au pénal30.

3.2

Principes généraux

La convention reconnaît le principe général de l'immunité de l'Etat et de ses biens devant les tribunaux d'un autre Etat à son art. 5; les exceptions figurant dans ses autres dispositions sont toutefois réservées.

L'art. 6 prévoit qu'un Etat donnera effet à l'immunité en s'abstenant d'exercer sa juridiction dans une procédure intentée devant ses tribunaux contre un autre Etat.

Une procédure est considérée comme intentée contre un autre Etat non seulement quand celui-ci est cité comme partie (al. 2, let. a), mais aussi quand la procédure vise à porter atteinte à ses biens, droits, intérêts ou activités, sans pour autant qu'il soit cité comme partie (al. 2, let. b). Le respect de l'immunité de l'Etat étranger devra être établi d'office par les tribunaux.

En vertu de l'art. 7, l'immunité ne s'applique pas si l'Etat en question est disposé à ce qu'une action soit intentée à son égard. Ainsi, l'Etat qui a expressément consenti à la juridiction des tribunaux de l'Etat du for dans le cadre d'une affaire déterminée perd le droit d'invoquer son immunité s'agissant de cette affaire. Le consentement d'un Etat s'étend à l'exercice de la juridiction des tribunaux compétents pour connaître des recours, mais ne vaut pas pour les mesures d'exécution (art. 20).

L'art. 8 traite des circonstances dans lesquelles la participation d'un Etat à une procédure est considérée comme une preuve de son consentement à l'exercice de la juridiction des tribunaux d'un autre Etat. S'il a intenté lui-même la procédure (let. a) ou s'il y a participé sans réserve (let. b), l'Etat étranger ne pourra plus se prévaloir de son immunité, à moins que sa participation n'ait eu pour seule fin d'invoquer l'immunité (al. 2, let. a) ou de faire valoir un droit ou un intérêt à l'égard d'un bien en cause dans la procédure (al. 2, let. b). En revanche, la comparution d'un représentant de l'Etat comme témoin (al. 3) ou le défaut de comparution de l'Etat lui-même (al. 4) ne peuvent être interprétés comme valant consentement à la juridiction du tribunal.

29 30

Voir l'art. 35, al. 3, de la Convention européenne du 6 mai 1972 sur l'immunité des Etats, RS 0.273.1.

Résolution 59/38 de l'Assemblée générale des Nations Unies (A/RES/59/38), par. 2.

Cette résolution est, au sens de la Convention de Vienne sur le droit des traités (RS 0.111), un élément à la lumière duquel le texte doit être interprété.

Elle peut également être considérée comme faisant partie des travaux préparatoires et par conséquent représenter un moyen complémentaire d'interprétation de la Convention.

Voir aussi Annuaire de la CDI, 1991, vol. 2, Deuxième partie, p. 14, par. 2.

1456

L'art. 9 définit l'étendue du consentement de l'Etat à l'exercice de la juridiction des tribunaux dans l'hypothèse d'une demande reconventionnelle. Quand celle-ci est formée contre un Etat dans une procédure qu'il a lui-même intentée (al. 1) ou dans laquelle il est intervenu pour introduire une demande (al. 2), l'Etat en question ne peut pas lui opposer son immunité, sauf si la demande reconventionnelle est fondée sur un rapport de droit ou sur des faits qui diffèrent de la demande principale, respectivement de la demande introduite par lui. Dans le cas où la demande reconventionnelle est introduite par l'Etat lui-même (al. 3), celui-ci ne peut pas invoquer son immunité à l'égard de la demande principale.

3.3

Notion d'Etat aux fins de la convention

Avant d'examiner si un acte déterminé fait partie des exceptions à l'immunité de juridiction des Etats, il faut d'abord établir si l'acte en question peut être attribué à un «Etat» étranger au sens de la convention. D'après l'art. 2, al. 1, let. b, le terme «Etat» désigne non seulement l'Etat lui-même et ses organes (ch. i), mais aussi les composantes d'un Etat fédéral ou les subdivisions politiques de l'Etat qui sont habilitées à accomplir des actes dans l'exercice de l'autorité souveraine et agissent à ce titre (ch. ii), les établissements ou organismes d'Etat ou autres entités, dès lors qu'ils sont habilités à accomplir et accomplissent effectivement des actes dans l'exercice de l'autorité souveraine (ch. iii), ou encore les représentants de l'Etat agissant à ce titre (ch. iv).

La convention prévoit donc une large définition des entités pouvant prétendre à ce que les compétences juridictionnelles de l'Etat du for ne s'appliquent pas à elles.

Ainsi, les cantons suisses jouiront de l'immunité pour les actes accomplis dans l'exercice de leur autorité souveraine. En revanche, des établissements tels que La Poste, les écoles polytechniques fédérales, les universités cantonales ou des sociétés telles que les CFF ne rentrent pas dans la catégorie visée au ch. iii, dans la mesure où ils n'accomplissement pas ­ du moins en l'état actuel ­ des actes dans l'exercice de l'autorité souveraine de l'Etat (notion de jure imperii)31.

La solution retenue à l'art. 2, al. 1, let. b, coïncide essentiellement avec la conception traditionnelle du Tribunal fédéral, selon laquelle seuls bénéficient de l'immunité l'Etat lui-même ou les entités remplissant une mission de souveraineté, compte tenu de la nature de l'acte accompli et du statut de son auteur32.

3.4

Exceptions à l'immunité de juridiction

La convention, qui reflète la conception restrictive, limite le principe général de l'immunité de juridiction de l'Etat étranger énoncé à l'art. 5 par une série d'exceptions. Ces exceptions, énumérées aux art. 10 à 17, ont trait à l'activité jure gestionis de l'Etat, même si le texte ne le spécifie pas expressément. Pour l'application de ces exceptions, un lien particulier rattachant la cause avec l'Etat du for (territoire, natio31

32

A titre d'exemple, la jurisprudence du Tribunal fédéral range parmi les actes accomplis jure imperii les activités militaires, les actes analogues à une expropriation ou une nationalisation, les décisions de saisie d'objets d'une valeur historique ou archéologique (ATF 124 III 382, consid. 4a).

ATF 1A.94/2001, consid. 4b

1457

nalité, etc.) est généralement exigé. Ces liens de rattachement veillent à ce que l'objet du litige impliquant une exception à l'immunité entretienne une relation suffisamment étroite avec l'Etat du for; ils ne préjugent pas la compétence des tribunaux, laquelle obéit aux règles du droit international privé des Etats parties33.

Les exceptions à l'immunité de juridiction des Etats sont les suivantes: ­

les transactions commerciales (art. 10);

­

les contrats de travail (art. 11);

­

les atteintes à l'intégrité physique ou les dommages aux biens (art. 12);

­

la propriété, la possession et l'usage de biens (art. 13);

­

la propriété intellectuelle et industrielle (art. 14);

­

la participation à des sociétés ou autres groupements (art. 15);

­

les navires dont l'Etat est le propriétaire ou l'exploitant (art. 16);

­

les accords d'arbitrage (art. 17).

Ces exceptions sont présentées plus avant dans cette partie. On signalera d'ores et déjà que l'art. 10 ne s'applique pas si les parties à la transaction commerciale en sont expressément convenues autrement. En outre, les art. 11 à 16 sont de nature supplétive, les Etats concernés demeurant libres d'en convenir autrement que ce qui est prévu par la convention.

La première des exceptions à l'immunité joue un rôle fondamental dans la conception restrictive, étant donné l'implication croissante des Etats dans la vie économique. Elle concerne les procédures découlant des transactions commerciales effectuées par l'Etat avec les personnes physiques ou morales étrangères (art. 10). Une liste de transactions commerciales typiques figure à l'art. 2, al. 1, let. c, de la convention. Sont mentionnés, les contrats de vente de biens ou de prestations de services, les contrats de prêt ou autres transactions de nature financière, ainsi que tout autre contrat ou transaction commerciale, industrielle ou portant sur la fourniture de biens et de services, à l'exclusion des contrats de travail qui font l'objet de dispositions spécifiques34. L'art. 2, al. 2, précise que pour déterminer si un contrat ou une transaction est une «transaction commerciale», il convient de tenir compte en premier lieu de la nature du contrat ou de la transaction, mais aussi de son but dans les deux hypothèses suivantes: si les parties en sont ainsi convenues ou si, dans la pratique de l'Etat du for, ce but est pertinent pour déterminer la nature non commerciale du contrat ou de la transaction. En Suisse, le but de la transaction ne sera pas déterminant. Le Tribunal fédéral considère en effet que le but poursuivi ne saurait être décisif, car il vise toujours, en dernière analyse, un intérêt étatique. La pratique suisse recherche donc prioritairement quelle est la nature intrinsèque de la transac-

33

34

En Suisse, cette compétence se détermine selon la Convention du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (RS 0.275.11) et la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (LDIP; RS 291).

Art. 11 de la convention.

1458

tion en question35. L'approche établie par la convention présente plusieurs avantages. Tout en privilégiant la prise en compte de la nature de la transaction, elle respecte la liberté contractuelle des parties et reconnaît également l'importance de la pratique de l'Etat du for. Les différences entre les divers ordres juridiques peuvent subsister, mais les conséquences sont prévisibles pour toutes les parties intéressées à la transaction.

Il convient de noter que, d'après l'art. 10, une procédure découlant d'une transaction commerciale à laquelle une entreprise d'Etat est partie n'affecte pas l'immunité de l'Etat quand cette entreprise a une personnalité juridique distincte, ainsi que la capacité d'ester en justice et d'acquérir, de posséder ou de détenir des biens36. En d'autres termes, dans l'hypothèse où il serait attaqué en justice, notamment si l'entreprise d'Etat est insolvable, un Etat pourra invoquer son immunité devant les tribunaux d'un autre Etat lorsque la transaction commerciale dont le litige tire son origine voyait impliquée une de ses entreprises remplissant les conditions énoncées à l'art. 10, al. 3.

Ce principe souffre néanmoins une exception importante. L'annexe de la convention précise en effet que cela ne préjuge pas la question de la «levée du voile dissimulant l'entité», ni les questions liées à une situation où «une entité d'Etat a délibérément déguisé sa situation financière ou réduit après coup ses actifs pour éviter de satisfaire à une demande». La convention réserve ainsi les circonstances particulières où l'existence d'une entité distincte a pu être utilisée par l'Etat aux fins de se prémunir contre les conséquences de sa responsabilité. Dans ces circonstances spéciales, constitutives d'un abus de droit, il peut être fait abstraction de la personnalité juridique distincte de l'entité pour s'en prendre à l'Etat qui l'a créée. Valable tant pour l'introduction d'une procédure judiciaire que pour l'adoption de mesures de contrainte postérieures au jugement (voir annexe, point relatif à l'art. 19), cette réserve concerne des situations exceptionnelles soumises à l'appréciation des tribunaux37.

La seconde exception à l'immunité concerne les litiges relatifs aux contrats de travail conclus avec une personne physique, pour un travail devant être accompli en totalité ou en
partie sur le territoire de l'Etat du for (art. 11). La convention veille ainsi à la protection juridique des travailleurs, plus particulièrement à la main d'oeuvre locale qui a la nationalité de l'Etat du for ou qui réside habituellement dans l'Etat du for38. Cependant, dans certaines hypothèses, il sera fait droit à l'immunité 35

36

37

38

Voir notamment ATF 124 III 382, consid. 4a. Pour illustrer la différence entre la nature et le but de l'activité, on peut prendre l'exemple d'un Etat qui se porte garant d'une entreprise dont le siège se trouve sur son territoire lorsque cette dernière conclut un contrat commercial avec une entreprise étrangère. Dans cet exemple, l'Etat se porte garant de ses entreprises à l'étranger dans le but de protéger leurs intérêts économiques, ce qui revient à un intérêt étatique. En revanche, la nature de cette activité est commerciale, à l'instar d'un contrat de garantie entre deux particuliers. L'Etat ne saurait par conséquent opposer son immunité pour se soustraire à ses obligations contractuelles en refusant de rembourser les dettes de l'entreprise dont il s'est porté garant.

Ces entreprises d'Etat peuvent être actives dans les domaines les plus divers et avoir un poids plus ou moins important dans la société, suivant la culture politique de chaque pays (secteurs des transports publics, des services industriels, de l'énergie, des services financiers, du logement, du tourisme, de la culture, de la santé, de l'éducation, etc.).

Dans la jurisprudence suisse, la levée du voile social («Transparence», Durchgriff) se fonde sur l'interdiction de l'abus de droit et se limite à des situations très exceptionnelles (voir notamment ATF 113 II 31, consid. 2c).

Annuaire de la CDI, 1991, vol. 2, Deuxième partie, p. 45, par. 11.

1459

de l'Etat employeur. Ces hypothèses prennent en compte l'intérêt légitime de l'Etat à ne pas subir d'immiscions ni d'enquêtes dans la gestion de ses affaires souveraines en certaines circonstances particulières. L'immunité est ainsi admise si l'employé a été engagé pour s'acquitter de fonctions particulières dans l'exercice de la puissance publique (art. 11, al. 2, let. a), s'il jouit d'un statut particulier (membres du personnel diplomatique, fonctionnaires consulaires et autres personnes jouissant de l'immunité diplomatique, art. 11, al. 2, let. b; voir aussi annexe, point relatif à l'art. 11), si l'action a pour objet l'engagement, le renouvellement de l'engagement ou la réintégration d'un candidat (al. 2, let. c)39, si l'action a pour objet le licenciement d'un employé et si, de l'avis du chef de l'Etat, du chef du gouvernement ou du Ministre des affaires étrangères de l'Etat employeur, cette action risque d'interférer avec les intérêts de l'Etat en matière de sécurité (al. 2, let. d; voir aussi annexe, point relatif à l'art. 11)40, ou encore si l'employé est un ressortissant de l'Etat employeur et s'il n'a pas sa résidence dans l'Etat du for (al. 2, let. e). La convention réserve enfin les conventions écrites entre l'employé et l'Etat employeur (al. 2, let. f), pour autant qu'elles soient compatibles avec l'ordre public prévalant dans l'Etat du for.

Bien que certaines catégories de personnel ne soient pas explicitement mentionnées dans les cas de figure énumérés à l'art. 11, al. 2, elles n'en sont pas pour autant exclues d'office. C'est le cas par exemple du personnel administratif et technique des représentations diplomatiques et des employés consulaires des postes consulaires. En effet, selon les fonctions qu'ils exercent, ces employés peuvent tomber sous le coup de l'al. 2, let. a, c'est-à-dire être considérés comme des personnes engagées pour s'acquitter de fonctions particulières dans l'exercice de la puissance publique.

Dans un tel cas, l'Etat employeur pourra par conséquent opposer son immunité de juridiction41. On soulignera qu'en général, les membres du personnel administratif et technique des représentations diplomatiques et les employés consulaires des postes consulaires sont transférables, possèdent la nationalité de l'Etat employeur et bénéficient de voies de recours devant les
juridictions de l'Etat employeur. Le personnel de service, qui n'est pas non plus mentionné explicitement, peut néanmoins, selon les cas, tomber sous le coup de l'art. 11, al. 2. Un tel cas se présenterait notamment si l'employé de service était un ressortissant de l'Etat employeur et n'avait pas sa résidence permanente dans l'Etat du for au moment où l'action est engagée. Il n'est par conséquent pas possible de déterminer si l'immunité de l'Etat s'applique sur la seule base de la catégorie de personnel à laquelle l'employé appartient. Il revient ainsi au tribunal de l'Etat du for d'examiner, dans le cas d'espèce, si l'employé tombe sous le coup de l'art. 11 al. 2, comme le Tribunal fédéral l'a fait jusqu'à présent.

39

40

41

Cette disposition est sans préjudice des recours qui pourraient être ouverts aux fins d'obtenir une indemnité ou des dommages et intérêts en cas de licenciement abusif ou de non respect de l'obligation d'engager ou de renouveler l'engagement. Annuaire de la CDI, 1991, vol. II, pp. 44 à 45, par. 10.

Le fait que la Convention prévoit que seules les personnes aux échelons les plus élevés du gouvernement pourront déterminer si l'action en question risque d'interférer avec les intérêts de l'Etat en matière de sécurité et que l'expression «intérêts en matière de sécurité» vise la sécurité nationale et la sécurité des missions diplomatiques et des postes consulaires (voir annexe de la Convention) donne une certaine assurance que cette disposition ne sera pas invoquée de manière abusive par les Etats.

Annuaire de la CDI, 1991, vol. 2, Deuxième partie, p. 44, par. 9.

1460

S'agissant de l'art. 11, al. 2, let. c, qui prévoit que l'Etat peut opposer son immunité dans le cadre d'une action ayant pour objet l'engagement, le renouvellement de l'engagement ou la réintégration d'un candidat, on relèvera que cette disposition a pour but d'assurer que l'Etat accréditant conserve le droit discrétionnaire de nommer ou de ne pas nommer une personne à un poste officiel ou à un emploi. Bien que ce principe puisse s'avérer être un obstacle à des plaintes de discrimination à l'embauche42, il reste néanmoins conforme au droit international en la matière, tel que codifié par la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques43. A cet égard, l'entrée en vigueur de la convention ne changera par conséquent en rien le droit applicable en Suisse.

La troisième exception à l'immunité de l'Etat, qui couvre aussi bien les actes jure imperii que les actes jure gestionis44, vise les actions en réparation pécuniaire consécutives à un dommage corporel ou matériel imputable à un Etat étranger (art. 12).

Un Etat étranger se verra en effet privé de son immunité en cas d'atteinte à l'intégrité physique d'une personne ou de dommage aux biens, à la condition toutefois que l'acte ou l'omission se soient produits, en totalité ou en partie, sur le territoire de l'Etat du for et, qu'à ce même instant, son auteur ait été présent sur ce territoire. Cette disposition, parfois appelée «l'exception délictuelle», vise avant tout les dommages liés au décès accidentel ou les dommages corporels ou matériels causés par des accidents de la circulation par exemple. L'art. 12 a néanmoins été conçu de manière suffisamment large pour couvrir également les dommages intentionnels comme les coups et blessures ou encore l'incendie criminel45.

La propriété, la possession et l'usage de biens constituent la quatrième exception: les procédures concernant la détermination de ces droits seront soumises à la juridiction de l'Etat du for quand il s'agit de biens immobiliers situés sur son territoire ou de biens mobiliers ou immobiliers sur lesquels l'Etat étranger a une prétention pour cause de succession, de don, d'administration ou d'insolvabilité (art. 13).

Un Etat ne pourra pas non plus exciper de son immunité dans des procédures se rapportant à la détermination de droits de propriété intellectuelle et
industrielle (art. 14). L'annexe précise au sujet des art. 13 et 14 que la détermination des droits litigieux vise non seulement l'établissement de leur existence, mais aussi de leur contenu, portée et étendue.

La participation de l'Etat à des sociétés ou autres groupements ayant ou non la personnalité juridique sera à certaines conditions soustraite du domaine de l'immunité (art. 15). La convention requiert à cet effet que la société ou les groupements en question comprennent des parties autres que des Etats ou des organisations internationales (let. a), et soient constitués selon la loi de l'Etat du for ou aient leur siège ou leur principal lieu d'activité sur son territoire (let. b).

L'immunité sera également exclue dans les contentieux relatifs à l'exploitation des navires dont un Etat est le propriétaire ou l'exploitant si, au moment des faits, le navire était utilisé autrement qu'à des fins de service public non commerciales (art. 16). Il en va de même pour les procédures concernant le transport d'une cargaison à bord d'un tel navire (al. 3), à moins qu'il ne s'agisse d'une propriété de l'Etat 42 43 44 45

On pense notamment à des plaintes de discrimination à l'embauche déposées en vertu de la loi du 24 mars 1995 sur l'égalité (LEg; RS 151.1).

RS 0.191.01, art. 7.

Annuaire de la CDI, 1991, vol. 2, Deuxième partie, p. 47, par. 8.

Annuaire de la CDI, 1991, vol. 2, Deuxième partie, pp. 46 à 47, par. 4.

1461

utilisée ou destinée à être utilisée à des fins de service public non commerciales (al. 4). L'immunité de l'Etat demeure toutefois la règle quand il s'agit de navires de guerre et de navires auxiliaires ou d'une cargaison transportée sur un navire de ce type (al. 2 et 4). La production devant le tribunal d'une attestation signée par un représentant diplomatique ou par une autre autorité compétente de l'Etat vaudra preuve du caractère du navire ou de la cargaison (al. 6).

Enfin, un accord d'arbitrage écrit, que l'Etat conclut avec une personne physique ou morale étrangère et qui vise les contestations relatives à une transaction commerciale (y compris les questions d'investissement), aura pour effet d'exclure l'immunité dans une procédure se rapportant soit à la validité, à l'interprétation ou à l'application de cet accord, soit à la procédure d'arbitrage elle-même, soit encore à la confirmation ou au rejet de la sentence arbitrale (art. 17; voir aussi annexe, point relatif à l'art. 17)46. A moins que l'accord d'arbitrage n'en dispose autrement, un Etat étranger qui consent à l'arbitrage n'est donc pas habilité à opposer par la suite son immunité de juridiction au pouvoir de supervision des tribunaux compétents.

Dans le même sens, l'art. 177, al. 2, de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé47 empêche la partie étatique à une convention d'arbitrage de se réfugier après coup derrière une incapacité à s'en remettre à un arbitrage édictée par son droit national.

3.5

Exceptions à l'immunité d'exécution

La saisie de biens appartenant à un Etat étranger constitue une atteinte grave et directe à sa souveraineté. La plupart des pays reconnaissent de ce fait à l'immunité d'exécution une étendue qui lui est propre, généralement bien plus large que celle de l'immunité de juridiction. A cet égard, le régime instauré par la convention amène à faire une distinction entre les mesures de contrainte antérieures et celles postérieures au jugement.

D'après l'art. 18, les mesures de contrainte antérieures au jugement sont exclues, sauf si l'Etat y a expressément consenti dans les formes prévues à cet effet ou s'il a réservé ou affecté des biens à la satisfaction de la demande. En revanche, après le jugement, des mesures de contrainte sont envisageables aussi à d'autres conditions.

L'art. 19 autorise en effet les mesures de contrainte non seulement en cas de consentement exprès de l'Etat ou s'il a affecté des biens à cette fin, mais aussi si les biens, situés sur le territoire de l'Etat du for et utilisés ou destinés à être utilisés autrement qu'à des fins de service public non commerciales, présentent un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée. Cette solution coïncide avec la jurisprudence du Tribunal fédéral, qui considère que ce qui vaut pour l'immunité de juridiction vaut en principe aussi pour l'immunité d'exécution, la seconde n'étant qu'une simple conséquence de la première, sous la seule réserve que les mesures d'exécution ne concernent pas des biens destinés à l'accomplissement d'actes de souveraineté48.

46

47 48

Les formes autonomes d'arbitrage, qui prennent appui sur des traités internationaux tels que la Convention du 18 mai 1965 pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d'autres Etats (RS 0.975.2), ne sont pas couvertes par cette disposition.

RS 291 ATF 124 III 382, consid. 4a.

1462

Des catégories spécifiques de biens sont énumérées à l'art. 21. Les biens qui se trouvent dans cette énumération exemplative demeurent protégés par l'immunité étatique, car ils sont, de par leur nature même, considérés comme des biens non commerciaux. Y figurent notamment les biens utilisés par l'Etat dans l'exercice de ses fonctions diplomatiques, consulaires ou militaires, les biens de sa banque centrale ou les biens appartenant à son patrimoine culturel49. L'affectation de l'un de ces biens à la satisfaction de la demande faisant l'objet de la procédure ou le consentement de l'Etat à l'adoption des mesures de contrainte sont toutefois réservés (art. 21, al. 2).

3.6

Dispositions diverses

La cinquième partie de la convention prévoit des dispositions d'ordre procédural.

L'art. 22 réglemente la transmission des actes judiciaires lorsqu'une procédure est intentée contre un Etat et cite les divers moyens de procéder à la signification ou notification d'une assignation ou de toute autre pièce instituant une procédure contre un Etat50. En outre, les documents doivent, si nécessaire, être accompagnés d'une traduction dans l'une des langues officielles de l'Etat concerné (al. 3).

L'art. 23 s'assure que le tribunal veille au respect de la procédure de notification de l'acte introductif d'instance (let. a) et laisse s'écouler un délai de quatre mois au moins après la notification (let. b) avant de rendre un jugement par défaut contre un Etat étranger. Le tribunal doit en outre s'être préalablement assuré que l'Etat ne jouit pas de l'immunité dans l'affaire en question, suivant les dispositions de la convention (let. c). Le délai pour former un recours contre ce jugement ne peut être inférieur à quatre mois depuis le jour où l'Etat étranger est réputé en avoir reçu la copie (al. 3).

Enfin, d'après l'art. 24, aucune sanction ne peut être prise à l'encontre d'un Etat qui refuserait de se conformer à une injonction du tribunal d'un autre Etat. En outre, l'Etat défendeur dans une procédure engagée devant un tribunal étranger est dispensé de fournir un cautionnement ou un dépôt en garantie du paiement des frais et dépens de la procédure en question.

3.7

Clauses finales

La sixième partie de la convention contient des clauses finales classiques concernant notamment la relation de la convention avec les autres accords internationaux, le règlement des différends relatifs à l'interprétation ou à l'application du texte, ainsi que la signature, l'adhésion et l'entrée en vigueur de la convention. On se limitera ici au commentaire des clauses les plus importantes.

49 50

L'insaisissabilité des biens appartenant à une banque centrale étrangère ne coïncide pas avec la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière (voir ch. 4.3.2 ci-dessous).

Selon le pays concerné, il est utilisé le terme soit de «signification», soit de «notification». Ces termes ont le même sens; par souci de simplification, il ne sera repris ici que le terme de notification.

1463

D'après l'art. 26, les dispositions de la convention ne porteront pas atteinte aux droits et obligations découlant d'autres accords internationaux qui lient les Etats parties et portent sur les mêmes questions. La présente convention a donc un caractère subsidiaire par rapport aux instruments internationaux spécialisés, mais aussi par rapport aux autres conventions générales sur l'immunité des Etats, comme la Convention européenne sur l'immunité des Etats de 1972.

La disposition sur le règlement des différends relatifs à l'interprétation ou à l'application de la convention (art. 27) est calquée sur d'autres instruments également élaborés dans le cadre des Nations Unies et auxquels la Suisse est partie. La saisine de la Cour internationale de Justice est prévue si la négociation et l'organisation d'une procédure d'arbitrage ont préalablement échoué.

Enfin, il convient de souligner que la convention ménage pour les Etats parties la possibilité de la dénonciation (art. 31). La dénonciation prend effet un an après la date de réception de sa notification au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies. La convention continue toutefois à s'appliquer à toute question relative aux immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens soulevée dans une procédure intentée avant que la dénonciation ait pris effet.

4

La convention et l'ordre juridique suisse

4.1

Généralités

La convention se fonde sur l'approche tendant à faire la distinction entre les activités de nature commerciale (jure gestionis) et les activités liées à l'exercice des fonctions publiques (jure imperii), c'est-à-dire le principe de l'immunité restrictive. Cette approche est celle adoptée par les tribunaux suisses dès 1918 et celle reprise par la Convention européenne sur l'immunité des Etats à laquelle la Suisse est partie depuis 1982. Il en découle que, pour l'essentiel, la convention des Nations Unies ne s'écarte pas de la pratique suisse en matière d'immunité juridictionnelle des Etats.

Cela dit, du fait qu'elle est basée sur un compromis entre des Etats dont les pratiques peuvent varier considérablement, la convention et la pratique suisse présentent des divergences inévitables en ce qui concerne certains points spécifiques. Dans les quelques cas où de telles divergences sont constatées, la convention se montre plus protectrice de l'immunité des Etats que la pratique suisse.

Il s'agit ici de mettre en lumière uniquement les points spécifiques sur lesquels la convention se démarque de la pratique suisse et d'en examiner les conséquences sur l'ordre juridique interne. On soulignera d'ores et déjà que les dispositions de la Convention sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens sont formulées de manière suffisamment précise de sorte qu'elles s'appliquent directement dans l'ordre juridique suisse (self-executing).

1464

4.2

Immunité de juridiction

4.2.1

Atteintes à l'intégrité physique d'une personne ou dommages aux biens

Lien territorial (Binnenbeziehung) La convention prévoit qu'un Etat ne peut pas invoquer son immunité de juridiction dans le cadre d'une action civile découlant d'atteintes à l'intégrité physique d'une personne ou de dommages à des biens, à condition que deux liens territoriaux soient réunis: l'acte délictuel (ou l'omission) doit s'être déroulé sur le territoire de l'Etat du for et son auteur doit avoir été présent sur ce même territoire au moment des faits (art. 12). Ce double lien territorial avec l'Etat du for, qui est conforme à la pratique des Etats et qui a été repris dans la Convention européenne sur les immunités des Etats de 1972 (art. 11)51, a pour but d'éviter le «forum shopping», c'est-à-dire lorsque des procédures civiles sont instituées dans les Etats qui n'ont aucun lien avec les faits en question.

La pratique suisse en la matière exige également «certains liens» entre la cause et le territoire de la Suisse, la Binnenbeziehung52. Le Tribunal fédéral précise que le rapport de droit en cause doit être né en Suisse ou doit y être exécuté ou, tout au moins, que le débiteur ait accompli certains actes de nature à y créer un lieu d'exécution53. Ainsi, il semble que le double lien territorial exigé par la convention soit plus étroit que celui exigé par la jurisprudence du Tribunal fédéral. Il en découle que la convention pourrait se montrer plus protectrice des immunités juridictionnelles des Etats dans le cadre d'actions civiles découlant d'atteintes à l'intégrité physique d'une personne ou de dommages à des biens.

Violations graves des droits de l'homme Du point de vue du droit comparé, à l'heure actuelle dans la plupart des Etats, seules les violations des droits de l'homme ayant été commises sur le territoire de l'Etat du for peuvent faire l'objet d'une procédure se rapportant à une action en réparation pécuniaire. Le flou règne toutefois encore en ce qui concerne les actes commis hors du territoire de l'Etat du for. Or, la question s'est posée de savoir si l'exigence prévue par la convention d'un double lien territorial entre l'Etat du for et le fait en cause n'est pas disproportionnée en cas de violations graves des droits de l'homme ou de normes impératives de droit international (jus cogens) commises hors de l'Etat du for.

Cette question fut examinée par le groupe de travail de
la Commission du droit international en vue de déterminer s'il convenait de prévoir une disposition spécifique permettant de faire échec à l'immunité des Etats dans le cas d'actions civiles consécutives à des violations graves des droits de l'homme perpétrées hors de l'Etat 51

52 53

A noter que la convention des Nations Unies s'applique à un plus grand nombre de cas que la convention européenne étant donné qu'elle inclut les actes qui se sont produits, en totalité ou en partie, sur le territoire de l'Etat du for. L'art. 11 de la convention européenne avait été calqué sur celui de l'art. 10, par. 4, de la Convention de La Haye du 1er février 1971 sur la reconnaissance et l'exécution des jugements étrangers en matière civile et commerciale.

Voir notamment ATF 4C.379/2006.

Voir notamment ATF 120 II 400, consid. 4b.

1465

du for. Bien que le groupe de travail ait constaté une certaine évolution de la pratique des Etats dans ce sens, il n'émit aucune recommandation concrète. Il précisa toutefois que ces faits récents «ne devraient pas être négligés»54. On soulignera ici que le Tribunal fédéral a également constaté que «la jurisprudence et la doctrine n'apportent guère d'enseignement pour ce qui est d'une action en responsabilité civile pour la réparation des dommages consécutifs à des crimes contre l'humanité, la vie et l'intégrité corporelle, commis à l'étranger, par des auteurs étrangers»55.

Confrontée à cette question, la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg a jugé, dans un arrêt rendu en 2001 à neuf voix contre huit, que l'immunité de l'Etat, dans une affaire civile découlant d'actes de torture commis hors de l'Etat du for, n'était pas en contradiction avec le droit à un procès équitable garanti par l'art. 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH; RS 0.101)56. La Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, telle qu'adoptée par l'Assemblée générale, est ainsi conforme à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. En ratifiant cette convention, la Suisse respecte par conséquent les exigences de la CEDH.

Bien que la convention reflète l'état actuel du droit international en la matière, il n'est pas exclu que de nouveaux développements relatifs à cette question voient le jour. En effet, la tendance actuelle laisse présager une éventuelle évolution du droit international allant vers une exception à l'immunité des Etats dans le cadre de procédures civiles découlant de violations graves des droits de l'homme commises hors de l'Etat du for57.

Or, le fait que la convention ne traite pas explicitement les cas de violations graves des droits de l'homme commis à l'étranger ne doit pas être considéré comme un obstacle à l'évolution du droit international sur la question. Par souci de transparence, le Conseil fédéral propose que la Suisse formule une déclaration interprétative concernant ce point lors de la ratification de la convention. Le but d'une telle déclaration serait de souligner le fait que la question de l'immunité des Etats en cas de violations graves des droits de l'homme commises en dehors de l'Etat du for ne fait pas l'objet de la
convention et que celle-ci n'empêche par conséquent pas l'évolution du droit international en la matière58. Ainsi, la Suisse démontrerait son ouverture à un développement du droit international dans ce sens, sans pour autant se profiler comme un Etat accueillant les actions en réparation pécuniaire pour violations graves des droits de l'homme. En effet, il faudrait d'abord constater une telle évolution du droit international avant de l'appliquer au niveau national.

54 55 56 57

58

Annexe au Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante et unième session, 3 mai-23 juillet 1999, pp. 180­181 (UN Doc. A/54/10).

ATF 4C.379/2006, consid. 3.4.

Arrêt Al-Adsani c/Royaume-Uni [Grande Chambre] (21 novembre 2001, Recueil des arrêts et décisions de la Cour EDH 2001-XI, no. 35763/97).

On pense notamment aux opinions dissidentes de juges de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Al-Adsani c/Royaume-Uni, Op. cit. (note 56). Il convient également de mentionner que certaines juridictions nationales n'ont pas retenu l'exception de l'immunité de l'Etat dans des actions en dommages et intérêts pour violation de normes impératives de droit international. On peut citer par exemple l'affaire Ferrini c. République fédérale d'Allemagne, arrêt du 11 mars 2004, Cour Suprême italienne, Rivista di Diritto Internazionale, Vol. 84, No 2, 2004, affaire qui fait l'objet d'un différend entre l'Allemagne et l'Italie devant la Cour internationale de Justice.

La Norvège a également formulé une déclaration interprétative relative à l'art. 12 allant dans le sens de celle proposée par le Conseil fédéral.

1466

Le Conseil fédéral propose par conséquent la déclaration interprétative suivante: «Déclaration interprétative ad art. 12: La Suisse considère que l'art. 12 ne règle pas la question des actions en réparation pécuniaire pour violations graves de droits de l'homme prétendument attribuables à un Etat et commises en dehors de l'Etat du for. Par conséquent, la présente convention ne préjuge pas les développements du droit international dans ce domaine.»

4.3

Immunité d'exécution

4.3.1

Distinction entre mesures de contrainte antérieures et postérieures au jugement

La grande sensibilité relative aux mesures de contrainte explique en grande partie les difficultés rencontrées au sein des Nations Unies lors de l'élaboration de la convention. Un compromis a toutefois pu être obtenu en la matière.

Le régime de la convention onusienne coïncide avec les principes appliqués par le Tribunal fédéral dans la mesure où celle-ci autorise la saisie des biens d'un Etat étranger situés en Suisse qui ne sont pas utilisés à des fins de puissance publique et qui présentent un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée. La convention subordonne toutefois cette éventualité à l'existence d'un jugement. Or, d'après la LP59, il n'est pas indispensable de se fonder sur un jugement pour procéder à des mesures de contrainte à l'encontre des biens du débiteur, y compris quand celui-ci est un Etat étranger60. Ainsi, les mesures conservatoires à l'encontre des biens appartenant à un Etat étranger sont admises. Une fois entrées en vigueur, les règles de la convention l'emporteront sur les dispositions du droit interne; la LP réserve d'ailleurs expressément les traités internationaux61. La ratification de la convention aura donc pour effet de modifier les conditions requises jusqu'ici par la LP pour procéder à des mesures de contrainte contre les biens d'un Etat étranger quand l'Etat en question est aussi partie à la convention. La possibilité de saisir des biens appartenant à cet Etat dépendra alors de son consentement ou de l'existence d'un jugement. Cette réglementation constitue toutefois une avancée réelle par rapport à la Convention européenne sur les immunités des Etats, à laquelle la Suisse est partie. En effet, la convention européenne n'est pas parvenue à surmonter les divergences de vue des Etats sur cette question délicate et exclut toute exécution forcée ­ que ce soit antérieurement ou postérieurement au jugement ­ à moins que l'Etat concerné n'y ait expressément consenti par écrit62. En autorisant certaines mesures d'exécution forcée après le jugement, la convention onusienne rejoint la conception du Tribunal fédéral qui considère le pouvoir d'exécution de l'Etat du for comme le corollaire de son pouvoir de juridiction.

Le Conseil fédéral est favorable au régime de la convention dans la mesure où il contribuera à la prévisibilité de la loi applicable en
Suisse en matière de mesures de contrainte à l'encontre des biens étatiques. Enfin, on soulignera que ce régime conférera une protection adéquate pour les biens de la Suisse à l'étranger. Ainsi, 59 60 61 62

RS 281.1 Voir notamment art. 271, al. 1, ch. 4 LP (cas de séquestre).

Art. 30a LP.

Art. 23, Convention européenne du 16 mai 1972 sur l'immunité des Etats, RS 0.273.1.

1467

aucune mesure conservatoire ne pourra être prise contre des biens suisses se trouvant sur le territoire d'un autre Etat partie à la convention avant qu'un jugement ne soit prononcé par un tribunal de cet Etat, à moins que la Suisse n'y donne son consentement.

4.3.2

Insaisissabilité des biens de la banque centrale

La convention autorise les mesures de contrainte postérieures au jugement si les biens visés par ces mesures sont d'usage commercial, tout en prévoyant une série de biens qui, de par leur nature, ne sont pas considérés comme des biens d'usage commercial et bénéficient par conséquent d'une protection particulière. Parmi ces biens se trouvent notamment les biens de la banque centrale ou d'une autre autorité monétaire de l'Etat, qui sont dès lors insaisissables. Or, cette interdiction de saisie des biens d'une banque centrale dans le cadre de mesures de contrainte est contraire à l'art. 92, al. 1, ch. 11, LP et à la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière63.

En effet, ce dernier admet la saisie de biens appartenant à une banque centrale étrangère si trois conditions cumulatives sont remplies. Premièrement, la prétention du demandeur doit être liée à l'activité jure gestionis de l'Etat poursuivi. Deuxièmement, la prétention qui fait l'objet de la procédure doit être issue d'un rapport de droit qui présente un lien avec la Suisse. Enfin, les biens saisis en Suisse ne doivent pas être affectés à des tâches incombant à l'Etat comme détenteur de la puissance publique64. La ratification de la convention aurait pour conséquence un changement de la pratique suisse en la matière.

Après une évaluation de la question et une pesée de tous les intérêts en cause, le Conseil fédéral est favorable à l'approche adoptée par la convention. L'immunité accordée aux banques centrales étrangères protège leurs fonds déposés en Suisse, contribuant ainsi à la prévisibilité et crédibilité de notre place financière. La convention assurera également la protection des avoirs de la Banque nationale suisse (BNS) se trouvant sur le territoire d'Etats parties à la convention. On rappellera à cet égard l'affaire Granville Gold Trust Switzerland v. Commissione Del Fallimento/Inter Change Bank de 1996 qui avait démontré les conséquences financières que pouvait avoir la saisie de biens de notre banque centrale65.

La solution contenue dans la convention correspond d'ailleurs à l'immunité d'exécution accordée aux dépôts auprès de la Banque des Règlements Internationaux (BRI) à Bâle, dépôts qui sont précisément des placements de banques cen-

63 64 65

Voir notamment ATF 110 Ia 43, consid. 4b.

ATF 134 III 122, consid. 5.2.

Granville Gold Trust Switzerland v. Commissione Del Fallimento/Inter Change Bank, 928 F.Supp. 241 (E.D.N.Y. 1996). Dans cette affaire, le requérant, Granville Gold Trust, avait intenté un procès contre l'Office cantonal des faillites tessinois devant un tribunal américain en réclamant la somme de 125 milliards de dollars. Après une condamnation par défaut, une assignation a été issue pour geler tous les avoirs des banques suisses sur le territoire américain, y compris ceux de la Banque nationale suisse (BNS) et des banques cantonales. L'arrêt en première instance a finalement été annulé en appel sur la base de l'immunité juridictionnelle et du manque de lien avec le territoire américain.

Bien que les avoirs de la BNS n'aient finalement pas été saisis, le seul fait qu'une telle somme puisse éventuellement être saisie a eu des conséquences visibles sur le marché financier suisse.

1468

trales étrangères66. Il serait cohérent de soumettre les dépôts de banques centrales à un régime d'immunité d'exécution uniforme, que les dépôts soient effectués auprès de la BRI ou d'autres banques.

On notera également que certains Etats souhaitant assurer la sécurité, et par là même l'attrait, de leur place financière ont reconnu l'intérêt et la nécessité de conférer une protection particulière aux biens des banques centrales étrangères et ont adopté des lois à cet effet67.

Il convient enfin de souligner que l'insaisissabilité des biens de la banque centrale telle que prévue par les art. 19 et 21 de la convention n'est pas exprimée en termes absolus. En effet, une saisie de biens appartenant à une banque centrale étrangère est admise si l'Etat en question donne expressément son consentement ou s'il a réservé ou affecté des biens à la satisfaction de la demande qui fait l'objet de la procédure.

Ainsi, les entreprises suisses pourront, à l'instar de certaines entreprises qui le font déjà, inclure des clauses explicites de renonciation à l'immunité d'exécution dans les contrats qu'elles concluent avec des Etats. En outre, l'annexe de la convention précise les termes de l'art. 19 en soulignant que ce dernier «ne préjuge ni la question de la , ni les questions liées à une situation dans laquelle une entité d'Etat a délibérément déguisé sa situation financière ou réduit après coup ses actifs pour éviter de satisfaire à une demande, ni d'autres questions connexes». La convention réserve ainsi les circonstances particulières où un Etat aurait utilisé, par abus de droit, sa banque centrale aux fins de se protéger des biens d'une saisie. Cette réserve concerne des situations exceptionnelles soumises à l'appréciation des tribunaux.

Le Conseil fédéral propose par conséquent de ratifier la convention en l'état, malgré la divergence entre les art. 19 et 21 d'une part et la pratique du Tribunal fédéral et la LP d'autre part. On notera à cet égard que cette loi prévoit une disposition réservant l'application des traités internationaux68 et que, par conséquent, aucune modification législative n'est nécessaire.

4.4

Questions procédurales

4.4.1

Notification des actes introductifs d'instance

L'art. 22, al. 3, dispose que les documents de notification des actes introductifs d'instance doivent être accompagnés, s'il y a lieu, d'une traduction dans l'une des langues officielles de l'Etat concerné. Dans l'intérêt d'une réglementation uniforme

66

67

68

Accord du 10 février 1987 entre le Conseil fédéral suisse et la Banque des règlements internationaux en vue de déterminer le statut juridique de la Banque en Suisse (RS 0.192.122.971.3), art. 4, al. 4.

Voir en particulier le State Immunity Act de 1978 (Royaume-Uni), sections 13 et 14, mais aussi le Foreign Sovereign Immunities Act de 1976 (Etats-Unis), section 1611 (b) et la récente loi modifiant le Code judicaire en vue d'instituer une immunité d'exécution à l'égard des avoirs de banques centrales étrangères et d'autorités monétaires internationales, publié le 14 août 2008 (Belgique, Lois publiées au Moniteur Belge: Août 2008).

Art. 30a LP, RS 281.1

1469

qui préserve le plurilinguisme prévalant aussi dans certains cantons, il semble opportun que la Suisse fasse la déclaration interprétative suivante69: «Ad art. 22, al. 3: Si l'Etat concerné est un canton suisse, la Suisse considère qu'il y a lieu de comprendre, par langue officielle, l'une des langues officielles du canton dans lequel l'acte doit être signifié ou notifié.»

4.4.2

Jugements par défaut

Délais La convention prévoit (art. 23, al. 1, let. b) qu'un tribunal de l'Etat du for ne pourra rendre un jugement par défaut que si un délai de quatre mois au moins entre la date de notification et la date du jugement s'est écoulé. Ce délai est applicable peu importe les voies empruntées pour transmettre la notification, que se soit par la voie diplomatique ou d'autres voies prévues par des conventions et arrangements particuliers entre l'Etat du for et le demandeur ou entre l'Etat du for et l'Etat concerné.

Or, ce délai de quatre mois se démarque de la pratique procédurale actuelle devant certaines juridictions des prud'hommes au niveau cantonal. En effet, la procédure prud'homale est régie par les principes de simplicité et de célérité, principes qui doivent en particulier être respectés lorsque la valeur litigieuse d'une plainte est moindre70. Ces règles de procédure du droit suisse imposent par conséquent des délais inférieurs à quatre mois.

La convention prévoit également un délai de quatre mois pour former un recours contre un jugement par défaut (art. 23, al. 3). Ce délai court à partir du moment où l'Etat ayant fait défaut reçoit ou est réputé avoir reçu une copie du jugement. Il est, là encore, plus long que celui généralement accordé par les règles de procédure aux niveaux cantonal et fédéral pour faire opposition à défaut ou pour former un recours contre un jugement.

Il est légitime que la convention accorde suffisamment de temps à un Etat souverain pour répondre d'une plainte ou former un recours contre un jugement par défaut. Ce délai de quatre mois paraît ainsi raisonnable et proportionné, voire même souhaitable afin d'encourager la participation des Etats dans des procédures instituées à leur encontre. On soulignera enfin qu'il est également dans l'intérêt de la Suisse de se voir accorder un tel délai dans des procédures intentées contre elle auprès d'un tribunal d'un autre Etat partie à la convention. Le Conseil fédéral estime par conséquent qu'il n'y a pas lieu de formuler une réserve à l'art. 23 de la convention.

On soulignera que sur le plan fédéral, très peu de lois sont affectées par le délai imposé par la convention. En effet, la plupart des lois fédérales contenant des dispositions relatives à la procédure prévoient une clause réservant les conventions et

69

70

Une déclaration analogue a été faite ad art. 5, al. 3, de la Convention de La Haye relative à la signification et la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale; RS 0.274.131.

Art. 343 du code des obligations; RS 220.

1470

traités internationaux71. La loi fédérale du 4 décembre 1947 de procédure civile fédérale72, qui quant à elle ne prévoit pas une telle clause réservant les traités internationaux, ne prévoit toutefois aucun délai précis mais stipule que «Le juge fixe les délais qui ne sont pas prévus par la loi»73. Dans la mesure où le terme «loi» inclura la convention une fois que cette dernière sera entrée en vigueur pour la Suisse, une modification de cette loi n'est pas nécessaire.

En revanche, dans le cas de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF)74 et de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA)75, les délais de recours ­ nettement plus courts que celui prévu par la convention ­ sont déterminés de manière très précise76 et aucune disposition réservant les traités internationaux n'est prévue.

Qualité pour faire recours d'un jugement par défaut La convention reste silencieuse quant à la question de savoir quelles parties à la procédure ont qualité pour faire recours d'un jugement par défaut. Il en découle que, sous le régime de la convention, chacune des parties à la procédure serait susceptible de former un recours contre une décision, peu importe si elle a pris part à la procédure ou non. Or, la LTF et la PA prévoient que seules les parties ayant pris part à la procédure devant l'autorité précédente pourront former un recours contre une décision de cette autorité. La convention se démarque par conséquent de la pratique procédurale actuelle devant certaines autorités judiciaires et administratives.

Modifications du droit en vigueur Afin de remédier à ces divergences de nature procédurale en cas de jugement par défaut, nous proposons de modifier comme suit la LTF et la PA de façon à réserver explicitement l'application de la convention.

1. Loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative77 Art. 4a (nouveau) IV. Immunité des Etats

71 72 73 74 75 76 77

Pour les procédures tombant sous le régime de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, la présente loi n'est applicable que dans la mesure où aucune disposition de la convention n'y déroge.

Voir notamment l'art. 30a LP et l'art. 1, al. 2, de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (LDIP); RS 291.

RS 273 Art. 9 de la loi fédérale du 4 décembre 1947 de procédure civile fédérale (RS 273).

RS 173.110 RS 172.021 Voir art. 100 LTF, et 50 PA.

RS 172.021

1471

2. Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral78 Titre précédant l'art. 71a

Section 13

Immunité des Etats (nouveau)

Art. 71a (nouveau) Pour les procédures tombant sous le régime de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, la présente loi n'est applicable que dans la mesure où aucune disposition de la convention n'y déroge.

Ces modifications législatives entreront en vigueur en même temps que la convention pour la Suisse.

Sur le plan cantonal, les autorités pourront décider de procéder à une modification de leurs règles procédurales si elles l'estiment opportun. On soulignera toutefois que le code de procédure civile (art. 2) adopté par le Parlement le 19 décembre 2008, qui uniformisera et régira la procédure civile dans tous les cantons, prévoit une clause réservant les traités internationaux79. La question de l'incompatibilité des délais ne se posera par conséquent plus une fois que le code sera entré en vigueur.

4.4.3

Privilèges et immunités en cours de procédure

L'art. 24 de la convention prévoit l'interdiction d'infliger une amende ou toute autre peine à un Etat qui ne se conformerait pas à une décision du tribunal de l'Etat du for lui enjoignant d'accomplir ou de s'abstenir d'accomplir un acte déterminé ou de produire une pièce ou divulguer toute autre information aux fins d'une procédure.

Or, le code des obligations et la LTF prévoient qu'un juge peut dans certains cas infliger une amende à une des parties à la procédure80. Ces dispositions laissent une certaine discrétion au juge en ne lui imposant pas l'obligation d'infliger une amende, mais en lui en donnant la possibilité. Une fois la convention entrée en vigueur, les tribunaux suisses ne pourront plus recourir à l'amende à l'encontre d'un Etat.

L'art. 24 prévoit également à son al. 2 qu'un Etat partie à une procédure n'est pas tenu de fournir un cautionnement ou un dépôt en garantie du paiement des frais et dépens d'une procédure à laquelle il est défendeur devant un tribunal d'un autre Etat. Or, la LTF prévoit que chaque partie à une procédure doit avancer les débours causés pendant la procédure par ses réquisitions ou une partie des débours causés par les réquisitions communes ou par des actes accomplis d'office par le Tribunal fédéral81. La modification de la LTF proposée ci-dessus82 permettra de remédier à cette divergence en matière procédurale.

78 79 80 81 82

RS 173.110 FF 2009 21, art. 2 Art. 343 CO et 33 LTF Art. 63, LTF.

Voir ch. 4.4.2 ci-dessus.

1472

5

Autres déclarations interprétatives

En adoptant le texte de la convention, l'Assemblée générale des Nations Unies a précisé dans sa résolution 59/38 que celle-ci ne couvrait pas les poursuites au pénal83. Ainsi, la convention s'applique à toutes les procédures devant les tribunaux de l'Etat du for à l'exception des procédures pénales. Bien que cela soit précisé dans ladite résolution, il pourrait s'avérer opportun de formuler une déclaration interprétative à ce sujet.

Le Conseil fédéral propose par conséquent la déclaration interprétative suivante: «Déclaration interprétative générale: Conformément à la résolution 59/38 adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 2 décembre 2004, la Suisse entend par la présente que la convention ne s'applique pas aux procédures pénales.»

6

Conclusion

Le régime instauré par la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens parvient à établir un équilibre satisfaisant entre le besoin de protection des justiciables et les prérogatives de puissance publique, qui sont l'apanage de l'Etat et doivent demeurer libres de toute interférence des tribunaux étrangers. En outre, il reproduit dans une large mesure les principes établis par le Tribunal fédéral depuis 1918. On soulignera que ce dernier a constaté que la convention des Nations Unies codifie les principes généraux du droit des gens en matière d'immunité des Etats et qu'elle se veut la codification de la coutume internationale84. Ainsi, bien que la convention ne soit formellement applicable qu'entre ses Etats parties, les principes sur lesquels elle est fondée restent pertinents pour les autres Etats.

Le Conseil fédéral estime important que la Suisse devienne partie à la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens.

Cette dernière répond en effet à la nécessité d'établir un régime uniforme et mondial dans un domaine essentiel au bon fonctionnement de la société internationale. La complexité des problèmes que pose l'immunité des Etats étrangers place constamment nos autorités devant des tâches juridiques difficiles qui peuvent avoir des incidences délicates au plan international. La décision du Conseil fédéral du 16 novembre 2005, aux termes de laquelle les biens culturels faisant partie de la collection du Musée national des Beaux-Arts Pouchkine de Moscou qui avaient été saisis par les autorités du Canton du Valais pouvaient quitter le territoire suisse, a démontré l'intérêt public attaché au respect du droit des immunités des Etats85. Pour la bonne conduite de ses relations internationales, la Suisse a donc tout intérêt à la 83

84 85

Résolution 59/38 de l'Assemblée générale des Nations Unies (A/RES/59/38), par. 2.

Cette résolution est, au sens de la Convention de Vienne sur le droit des traités (RS 0.111), un élément à la lumière duquel le texte doit être interprété. Elle peut également être considérée comme faisant partie des travaux préparatoires et par conséquent représenter un moyen complémentaire d'interprétation de la Convention. Voir aussi Annuaire de la CDI, 1991, vol. 2, Deuxième partie, p. 14, par. 2.

ATF 134 III 122, consid. 5.1 (avec références).

Voir à ce sujet le communiqué de presse de la Chancellerie fédérale du 16 novembre 2005.

1473

sécurité juridique apportée par un régime des immunités étatiques universellement applicable. En outre, comme l'a déjà relevé le Conseil fédéral86, la Suisse a même un intérêt particulier à la mise en place de cette convention, car de nombreuses organisations et conférences internationales ont établi leur siège sur notre territoire, notamment à Genève, qui est devenue au fil du temps un centre important de la coopération intergouvernementale et un carrefour de rencontres internationales. La présente convention permettrait ainsi à notre pays d'exercer dans les meilleures conditions possibles son rôle d'Etat hôte, lequel implique la présence de nombreux représentants étatiques sur notre territoire.

Comme le rappelle son préambule, la convention ne vise pas seulement à renforcer la prééminence du droit et la sécurité juridique dans les relations entre les Etats, mais aussi dans les rapports entre les Etats et les personnes privées. Tant les Etats que les particuliers gagneraient en effet à la transparence et à la prévisibilité apportées par un corpus de dispositions juridiquement contraignantes. A cet égard, la convention semble avoir trouvé des solutions de compromis particulièrement efficaces, notamment en ce qui concerne le régime relatif aux transactions commerciales. Il est également satisfaisant de constater que, dans le domaine de l'immunité d'exécution, la convention des Nations Unies va plus loin que la convention européenne en la matière (voir ch. 4.3 ci-dessus). En autorisant, dans certaines circonstances, les mesures de contrainte postérieures au jugement, le texte onusien fournit aux justiciables un instrument essentiel au respect des décisions des tribunaux et, de la sorte, renforce la position de l'individu.

Ratifier la convention serait ainsi pour notre pays l'occasion de réaffirmer son attachement à l'Etat fondé sur le droit. La ratification de ce texte par la Suisse permettrait également de promouvoir la conception restrictive de l'immunité auprès des Etats où prévaut encore le principe de l'immunité absolue.

7

Conséquences

7.1

Conséquences pour la Confédération

En ce qui concerne l'immunité de juridiction des Etats, la réglementation instituée par la convention est essentiellement conforme aux principes appliqués par le Tribunal fédéral. On peut dès lors affirmer que la ratification de la convention n'entraînera pas de modifications substantielles de sa jurisprudence en la matière.

S'agissant de l'immunité d'exécution, la convention aura des conséquences sur la pratique suisse en matière de mesures conservatoires. Ces dernières ne seront plus autorisées à l'encontre de biens appartenant à un autre Etat partie à la convention, à moins qu'il ne donne son consentement (voir ch. 4.3.1 ci-dessus). Il en ira de même pour les mesures d'exécution à l'encontre de biens appartenant à une banque centrale étrangère (voir ch. 4.3.2 ci-dessus).

Enfin, la convention aura des conséquences sur l'application des règles procédurales dans le cadre de procédures intentées contre un Etat étranger, en particulier en ce qui

86

Rapport du 26 février 2003 sur la coopération de la Suisse avec l'Organisation des Nations Unies, ainsi qu'avec les organisations internationales ayant leur siège en Suisse, FF 2003 2339, p. 2360.

1474

concerne la fixation de délais en cas de jugements par défaut (voir ch. 4.4.2 cidessus).

7.2

Conséquences pour les cantons et les communes

La ratification de la convention n'aura pas de grandes conséquences pour le droit cantonal. Elle affectera dans une certaine mesure les procédures cantonales en matière de délais pour rendre et former un recours contre un jugement par défaut (voir ch. 4.4.2 ci-dessus). Les cantons devront examiner la question de savoir s'ils veulent modifier les dispositions pertinentes en attendant l'entrée en vigueur du code de procédure civile suisse87, qui prévoit une clause réservant les traités internationaux.

La convention n'aura aucune conséquence pour les communes.

7.3

Conséquences économiques

La ratification de la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens renforcera la prévisibilité et la sécurité juridique pour les entreprises suisses ayant des rapports commerciaux avec les Etats étrangers.

Elle crée également un cadre juridique clair pour l'immunité des avoirs d'Etats étrangers en Suisse ce qui contribuera à la stabilité et à la crédibilité de notre place financière. Les effets économiques, même s'ils sont difficiles à mesurer à ce stade, ne pourront être que positifs.

7.4

Autres conséquences

La ratification de la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens n'aura ni conséquences financières pour la Suisse, ni effets sur l'état du personnel.

8

Programme de la législature

Le message concernant la ratification de la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens est annoncé dans le message du 23 janvier 2008 sur le programme de la législature 2007 à 201188.

9

Rapport avec le droit européen

Il convient ici d'examiner brièvement dans quelle mesure l'entrée en vigueur de la convention affectera les obligations de la Suisse en droit européen, en particulier

87 88

FF 2009 21.

FF 2008 639, p. 714.

1475

celles découlant de la Convention européenne sur l'immunité des Etats de 1972 et de la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 auxquelles elle est partie.

La ratification de la convention des Nations Unies n'affectera pas les relations juridiques entre les Etats parties à la Convention européenne sur l'immunité des Etats. En effet, la convention onusienne réserve expressément les autres accords internationaux existant en matière d'immunité (art. 26). Cependant, on notera que la convention européenne, dont le champ d'application est plus limité et dont le contenu est moins progressiste que la convention onusienne89, n'a eu qu'un impact limité.

En effet, elle n'a été ratifiée que par huit Etats européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suisse) et n'a guère joué de rôle pour le développement de la jurisprudence nationale en la matière. Le Tribunal fédéral ne s'est d'ailleurs que très rarement référé à cette convention dans sa pratique. En outre, le Tribunal européen en matière d'immunité des Etats institué par le Protocole additionnel90 à la convention européenne n'a jamais été saisi. Dans ce contexte, le Conseil fédéral a l'intention de dénoncer la convention européenne et son Protocole additionnel ­ seul ou d'un commun accord avec les autres Etats parties ­ dès que la majorité des Etats parties à la convention européenne aura ratifié la convention onusienne et que cette dernière sera entrée en vigueur.

S'agissant du régime européen des droits de l'homme, la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens coïncide avec la CEDH et la pratique de la Cour européenne des droits de l'homme. En effet, bien que l'octroi de l'immunité de juridiction constitue une restriction du droit d'accès à un tribunal tel que prévu par l'art. 6 CEDH, qui inclut également le droit à l'exécution d'une décision prononcée, la pratique de la Cour considère que des limitations à ce droit sont admissibles, si ces dernières poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Dans sa jurisprudence, la Cour a par le passé estimé que des limitations relevant de la doctrine de l'immunité des Etats remplissaient les conditions requises91.

10

Classement d'une intervention parlementaire

Le 14 décembre 2005, un postulat92 a chargé le Conseil fédéral d'examiner les moyens d'éviter que les réquisitions de poursuite ne mettent à mal les relations extérieures de la Suisse et ne portent atteinte à ses intérêts ou à son image. En outre, le Conseil fédéral a été chargé de présenter ses conclusions au Parlement dans un rapport et, le cas échéant, de prendre les mesures nécessaires ou de lui proposer les modifications législatives requises. Ce postulat avait été déposé suite à la saisie de tableaux prêtés par un musée russe à la Fondation Pierre-Gianadda à Martigny (voir 89 90 91

92

Voir ch. 4.3.1 ci-dessus ainsi que la note de bas de page 51.

RS 0.273.11, 6 Etats parties [état le 25.02.2009].

Cour européenne des droits de l'homme, décision du 2 octobre 2006 déclarant irrecevable la requête no 58694/00 (Petar Alexandrov et Gospodinka Alexandrova Kirovi c. la Bulgarie et la Turquie); cf. également les arrêts Al-Adsani c. Royaume-Uni, Op. cit. (note 56),, pp. 79 ss, par. 56; McElhinney c. Irlande du 21 novembre 2001 [Grande Chambre], requête no 31253/96, par. 37; Fogarty c. Royaume-Uni, du 21 novembre 2001 [Grande Chambre], Recueil 2001-XI, requête no 31253/96, par. 37.

Po 05.3807 Législation sur la poursuite pour dettes et la faillite et relations extérieures (CN 14.12.2005, Widmer Hans).

1476

ch. 6 ci-dessus). Dans cette affaire, le Conseil fédéral avait dû intervenir pour lever la saisie judiciaire afin de sauvegarder les intérêts du pays. La question soulevée dans le postulat sera réglée à travers l'application des art. 18 à 21 de la convention relatifs aux immunités d'exécution. Le Conseil fédéral propose par conséquent de classer cette intervention parlementaire.

11

Constitutionnalité

La constitutionnalité de l'arrêté fédéral portant approbation de la Convention de l'ONU sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens repose sur l'art. 54 Cst.93, selon lequel les affaires étrangères relèvent de la compétence de la Confédération. En outre, la compétence qu'a l'Assemblée fédérale d'approuver les traités internationaux découle de l'art. 166, al. 2, Cst.

Selon l'art. 141, al. 1, let. d, Cst., les traités internationaux sont sujets au référendum facultatif s'ils sont d'une durée indéterminée et ne sont pas dénonciables, s'ils prévoient l'adhésion à une organisation internationale ou s'ils contiennent des dispositions importantes fixant des règles de droit ou dont la mise en oeuvre exige l'adoption de lois fédérales. La convention est de durée indéterminée, mais prévoit la possibilité pour les Etats de la dénoncer (art. 31). Elle ne prévoit pas d'adhésion à une organisation internationale. En revanche, la convention contient des dispositions importantes fixant des règles de droit. D'après l'art. 22, al. 4, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement94, sont réputées fixant des règles de droit les dispositions générales et abstraites d'application directe qui créent des obligations, confèrent des droits ou attribuent des compétences. Les dispositions de la convention créent des obligations, confèrent des droits et seront directement applicables dans l'ordre juridique suisse (self-executing)95. Ainsi, dans le cadre de procédures judiciaires impliquant des Etats parties, les dispositions de la convention se substitueront aux règles de droit interne. En outre, la mise en oeuvre de la convention exige l'adoption de lois fédérales au sens de l'art. 141, al. 1, let. d, Cst., à savoir la modification de la LTF et de la PA afin que les règles procédurales contenues dans la Convention dérogent, le cas échéant, à celles contenues dans ces lois. La LTF sera modifiée sur la base des art. 188 à 191c, Cst. et la PA sur la base des art. 177, al. 3, et 187, al. 1, let. d, Cst. Pour ces raisons l'arrêté fédéral est sujet au référendum.

93 94 95

RS 101 RS 171.10 Voir ch. 4.1 ci-dessus.

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