20.016 Message concernant le référendum obligatoire pour les traités internationaux ayant un caractère constitutionnel (Modification de l'art. 140 de la Constitution) du 15 janvier 2020

Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons le projet d'un arrêté fédéral sur le référendum obligatoire pour les traités internationaux ayant un caractère constitutionnel (modification de l'art. 140 de la Constitution), en vous proposant de l'adopter.

Nous vous proposons simultanément de classer l'intervention parlementaire suivante: 2016

M 15.3557

Référendum obligatoire pour les traités internationaux ayant un caractère constitutionnel (N 25.9.15, Caroni; E 29.2.16)

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

15 janvier 2020

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2019-3264

1195

Condensé Les traités internationaux qui comportent des dispositions de rang constitutionnel ou dont la mise en oeuvre exige une modification de la Constitution seront soumis au référendum obligatoire. Si selon une opinion largement répandue, ce cas d'application du référendum obligatoire relève déjà du droit constitutionnel non écrit, il doit cependant figurer expressément dans le texte de la Constitution.

Contexte En adoptant la motion 15.3557 Caroni, le Parlement a chargé le Conseil fédéral de lui soumettre un projet de modification constitutionnelle portant introduction du référendum obligatoire pour les traités internationaux ayant un caractère constitutionnel. S'il est aujourd'hui communément admis que ce référendum fait partie du droit constitutionnel non écrit, son inscription dans la Constitution contribuerait à améliorer la pratique, renforcer encore la légitimité démocratique du droit international et augmenter la sécurité du droit.

Contenu du projet Le droit constitutionnel en vigueur soumet l'adhésion à des organisations de sécurité collective ou à des communautés supranationales au référendum obligatoire pour les traités internationaux. La conclusion de pareils traités exige l'aval du peuple et des cantons.

Le projet vise à faire également figurer dans la Constitution le référendum obligatoire pour les traités internationaux ayant un caractère constitutionnel. Il ne crée pas un nouveau cas d'application du référendum obligatoire, mais inscrit dans le texte de la Constitution ce qui fait déjà partie du droit constitutionnel non écrit.

Les traités internationaux seront donc soumis au référendum obligatoire pour les traités internationaux s'ils comportent des «dispositions de rang constitutionnel».

Le terme désigne les dispositions qui touchent au catalogue des droits fondamentaux, entraînent un transfert des compétences de la Confédération et des cantons ou modifient les grandes lignes de l'organisation et de la procédure des autorités fédérales. Seront également soumis obligatoirement au vote du peuple et des cantons les traités «dont la mise en oeuvre exige une modification de la Constitution».

Dans le passé, le référendum obligatoire non écrit n'a été appliqué que dans trois cas. Selon toute probabilité, le référendum obligatoire pour les traités internationaux ayant caractère constitutionnel restera aussi très rare.

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Message 1

Contexte

1.1

Nécessité d'agir et objectifs visés

Le Conseil fédéral a proposé au Parlement, en 2010, d'inscrire dans la Constitution (Cst.)1 le référendum obligatoire pour les traités internationaux ayant un caractère constitutionnel dans le cadre du contre-projet direct à l'initiative populaire «Pour le renforcement des droits populaires dans la politique étrangère (accords internationaux: la parole au peuple!)»2. Le Parlement n'est pas entré en matière sur le contreprojet.

En juin 2015, le Conseil fédéral a approuvé un rapport en exécution du postulat 13.38053 sur le référendum obligatoire pour les traités internationaux ayant un caractère constitutionnel4. La motion 15.35575 a été déposée peu après. Le Conseil fédéral a proposé au Parlement de l'accepter. En adoptant la motion6, l'Assemblée fédérale a chargé le Conseil fédéral de lui soumettre un projet de modification constitutionnelle portant introduction du référendum obligatoire pour les traités internationaux ayant un caractère constitutionnel.

Dans son développement, l'auteur de la motion indiquait que l'instrument du référendum obligatoire figurant à l'art. 140 Cst. comportait une lacune: si les modifications de la Constitution (droit national) sont soumises au référendum et doivent obligatoirement obtenir la sanction du peuple et des cantons, ce n'est pas le cas des traités internationaux (droit international) qui ont matériellement un caractère constitutionnel. Il ajoutait que le référendum obligatoire était certes communément admis en matière de traités internationaux ayant un caractère constitutionnel, mais qu'il ne figurait pas expressément dans la Constitution. L'inscription de ce droit populaire dans la Constitution contribuerait à la clarté et à la sécurité du droit.

1 2

3 4 5 6

RS 101 Message du 1er octobre 2010 relatif à l'initiative populaire «Pour le renforcement des droits populaires dans la politique étrangère (accords internationaux: la parole au peuple!)», FF 2010 6353 6373 ss ; ci-après message «La parole au peuple!».

Po. 13.3805 du Groupe libéral-radical «Établir un rapport clair entre le droit international et le droit suisse».

Rapport CF en exécution du po. 13.3805, p. 10 ss Mo. 15.3557 Caroni «Référendum obligatoire pour les traités internationaux ayant un caractère constitutionnel».

Le Conseil national a accepté la motion sans discussion le 25 septembre 2015 (BO 2015 N 1873). Le 22 janvier 2016, la Commission des institutions politiques du Conseil des États (CIP-E) a proposé à l'unanimité l'adoption de la motion. Le Conseil des États s'est rallié à sa proposition le 29 février 2016 par 36 voix contre 9 (BO 2016 E 15).

1197

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1.2

Référendum obligatoire en matière de traités internationaux

1.2.1

Réglementation en vigueur avant la révision totale de la constitution

C'est en 1921 que le référendum a fait son entrée dans la Constitution pour la conclusion de traités internationaux7. L'art. 89, al. 3, de la Constitution de 1874 (aCst.)8 soumettait au référendum facultatif tous «les traités internationaux conclus pour une durée indéterminée ou pour plus de quinze ans».

Le référendum en matière de traités internationaux a été entièrement révisé en 1977.

Le référendum facultatif a été étendu aux traités qui prévoient l'adhésion à une organisation internationale ou qui entraînent une unification multilatérale du droit.

On a également inscrit à l'art. 89, al. 5, aCst. un référendum obligatoire en matière de traités internationaux pour l'adhésion à des communautés supranationales ou à des organisations de sécurité collective (voir l'art. 140, al. 1, let. b, Cst.). On a aussi envisagé à l'époque de soumettre au référendum obligatoire les traités internationaux d'importance constitutionnelle; le Conseil fédéral et le Parlement n'ont pas suivi cette voie plus avant. Le Conseil fédéral s'y est principalement opposé parce que les critères discutés alors ou demandés dans le cadre de la procédure de consultation ­ atteinte à la souveraineté, cession de droits de souveraineté, atteintes aux libertés, traités modifiant la Constitution ­ lui paraissaient trop imprécis9. C'est finalement la solution prévoyant un référendum obligatoire dans deux cas concrets seulement ­ adhésion à des communautés supranationales ou à des organisations de sécurité collective ­ qui a été mise en oeuvre, au motif «que le référendum obligatoire est à sa place lorsqu'il s'agit de décisions de politique extérieure ayant la plus grande portée et le plus grand poids»10.

Le référendum obligatoire en matière de traités internationaux au sens de l'art. 89, al. 5, aCst. (art. 140, al. 1, let. b, Cst.) n'a été appliqué que dans un cas: l'adhésion à l'ONU, considérée comme une organisation de sécurité collective11, qui a été rejetée en 1986. En 2002, l'adhésion à l'ONU s'est faite via l'adoption de l'art. 197, ch. 1, Cst., soumis au référendum obligatoire en tant que révision partielle de la Constitution au sens de l'art. 140, al. 1, let. a, Cst.

7

8 9 10 11

Pour avoir un aperçu complet de l'historique et de la réglementation alors en vigueur sur le référendum en matière de traités internationaux, voir le message du 23 octobre 1974 concernant de nouvelles dispositions sur le référendum en matière de traités internationaux, FF 1974 II 1133, ch. 2 (ci-après message nouvelles dispositions sur le référendum).

Voir aussi le message «La parole au peuple!», p. 6353, ch. 2.1.

www.ofj.admin.ch > État & Citoyen > Projets législatifs terminés > Réforme de la Constitution fédérale.

Message nouvelles dispositions sur le référendum, p. 1158 s.; voir aussi Zellweger, p. 284.

Message nouvelles dispositions sur le référendum, p. 1156.

Message du 21 décembre 1981 concernant l'adhésion de la Suisse à l'Organisation des Nations Unies, FF 1982 I 505 588.

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1.2.2

Révision totale de la Constitution et réforme des droits populaires

Lors de la révision totale de la Constitution, le référendum en matière de traités internationaux a une nouvelle fois été soumis à un examen critique. Aucun besoin de réforme ne s'est fait sentir au sujet du référendum obligatoire; il a donc été repris tel quel dans la nouvelle Constitution. La réforme des droits populaires adoptée en 200312 n'a pas touché non plus au référendum obligatoire en matière de traités internationaux. Si des corrections ont ensuite été demandées à quelques reprises, les initiatives parlementaires déposées à cette fin ont échoué13.

1.2.3

Droit constitutionnel non écrit: référendum obligatoire sui generis

Selon la pratique des autorités fédérales et une partie de la doctrine14, il est possible de soumettre un traité international au peuple et aux cantons lorsque son importance l'élève au rang d'une norme constitutionnelle. Ce cas d'application du référendum obligatoire, s'il ne figure pas expressément dans le texte de la Constitution, relève selon une opinion largement répandue du droit constitutionnel non écrit. Il est souvent désigné sous les termes: «référendum obligatoire non écrit» ou «référendum obligatoire sui generis» (lat.: «de son propre genre»). Le complément sui generis exprime la difficulté à rendre suffisamment tangible ce référendum et la notion de Constitution (au sens matériel) qui lui est liée.

C'est lors de l'accession de la Suisse à la Société des nations, en 1920, qu'on s'est fondé pour la première fois sur un référendum obligatoire non écrit, autrement dit juste avant que le référendum (facultatif) pour les traités internationaux fasse son entrée dans la Constitution. Certes, l'accession à la Société des nations ne réclamait aucune modification constitutionnelle, de l'avis du Conseil fédéral, car elle ne portait atteinte ni à l'organisation, ni aux compétences de la Confédération. Mais ces considérations juridiques n'étaient pas décisives. Il s'agissait d'une question de première importance et les autorités fédérales avaient, dès lors, le devoir politique de 12

13

14

Deux propositions du Conseil fédéral visant à réformer les droits populaires ont échoué en 1999 lors des débats d'entrée en matière des deux Chambres fédérales. Peuple et cantons ont dans l'intervalle approuvé en 2003 une réforme des droits populaires. Depuis, les traités internationaux qui «contiennent des dispositions importantes fixant des règles de droit ou dont la mise en oeuvre exige l'adoption de lois fédérales» sont assujettis au référendum facultatif (art. 141, al. 1, let. d, ch. 3, Cst.); pour plus de détails, voir aussi le message «La parole au peuple!», p. 6358 s.

Voir la récapitulation faite dans le message «La parole au peuple!», p. 6361 s., évoquant les initiatives parlementaires suivantes: 05.407 Zisyadis du 18 mars 2005 «Référendum obligatoire pour l'AGCS»; 05.426 groupe UDC du 17 juin 2005 «Politique extérieure.

Vers plus de démocratie grâce à une extension du référendum en matière de traités internationaux»; 09.443 et 09.444 Reimann du 18 juin 2009 «Extension des instruments démocratiques. Institution d'un droit de référendum facultatif extraordinaire» et «Extension des instruments démocratiques. Institution d'un droit de référendum parlementaire».

Voir aussi la mo. 14.3397 Quadri «Référendum obligatoire pour les aides destinées à l'étranger» (rejetée le 16 juin 2016).

Voir le tableau qu'en dresse Brunner, p. 61.

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soumettre cette question, en dernier ressort, à l'organe dont elles tiennent leur pouvoir15. Le peuple et les cantons se sont prononcés en faveur de l'accession de la Suisse à la Société des nations en mai 1920.

D'autres éléments du référendum sui generis se sont développés lors de la conclusion de l'accord de libre-échange avec la Communauté européenne en 197216. Le Conseil fédéral expliquait alors qu'un traité international «doit être soumis au peuple et aux cantons, indépendamment de sa durée et de la possibilité de le dénoncer, lorsqu'il modifie profondément la structure de nos institutions ou entraîne un changement fondamental dans la politique extérieure de la Suisse»17. Ces deux conditions n'étaient pas remplies, raison pour laquelle le référendum obligatoire n'était juridiquement pas nécessaire. L'accord de libre-échange créait toutefois une situation nouvelle pour l'économie suisse, en particulier parce qu'il lui permettait d'accéder librement au grand marché européen. Ce pas «[est] d'une telle importance et préoccupe[nt] si fortement une partie de l'opinion publique, que renoncer à emprunter cette voie, inusitée il est vrai, serait en contradiction par trop flagrante avec l'usage qui veut que, dans d'autres domaines, le souverain participe à la formation du droit interne suisse»18. L'Assemblée fédérale a par conséquent soumis son arrêté d'approbation au référendum obligatoire19. Le peuple et les cantons ont accepté le projet le 3 décembre 1972. Le référendum obligatoire sui generis était donc utilisé pour la deuxième fois.

Après la réforme du référendum en matière de traités internationaux de 1977 et l'inscription du référendum obligatoire en matière de traités internationaux à l'art. 89, al. 5, aCst, l'opinion était que le référendum obligatoire sui generis subsistait20. Depuis, la question de savoir si un traité international a un caractère constitutionnel et s'il doit, pour cette raison, être soumis au référendum obligatoire, a été examinée à deux occasions. Il y a été répondu par l'affirmative pour l'Espace économique européen (EEE), et par la négative, après discussion, pour les accords bilatéraux II: ­

15 16 17 18 19

20

Accord sur l'EEE: le Conseil fédéral estimait que l'accord relatif à l'EEE n'impliquait aucune adhésion à une communauté supranationale au sens de l'art. 89, al. 5, aCst. (art. 140, al. 1, let. b, Cst.). Il a toutefois proposé aux Chambres fédérales de soumettre l'accord au référendum obligatoire, invoquant les faits que son champ d'application était vaste, que nombre de ses dispositions étaient directement applicables, qu'il entraînait nécessairement une adaptation du droit constitutionnel et qu'il soumettait la Suisse à la Message du Conseil fédéral du 4 août 1919 concernant la question de l'accession de la Suisse à la Société des nations, FF 1919 IV 567, 661 s.

Accord du 22 juillet 1972 entre la Confédération suisse et la Communauté économique européenne, RS 0.632.401; entré en vigueur pour la Suisse le 1er janvier 1973 Message du 16 août 1972 relatif à l'approbation des Accords entre la Suisse et les Communautés européennes, FF 1972 II 645 725.

Message du 16 août 1972 relatif à l'approbation des Accords entre la Suisse et les Communautés européennes, FF 1972 II 645 726 s.

Art. 2 de l'arrêté fédéral du 3 octobre 1972 approuvant les Accords entre la Confédération suisse et la Communauté économique européenne ainsi que les États membres de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, FF 1972 II 1024.

Voir le message EEE, FF 1992 IV 1 526 ss.

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compétence de la Cour AELE et de l'Autorité de surveillance de l'AELE. Le Conseil fédéral est arrivé à la conclusion que l'EEE échappait aux catégories de référendum prévues par la Constitution, mais qu'il avait déjà défendu l'avis, à d'autres occasions, qu'un traité international pouvait être soumis au peuple et aux cantons lorsque d'importantes raisons matérielles ou politiques plaidaient en ce sens. Selon lui, l'EEE était «sans aucun doute d'une signification politique et économique capitale pour notre pays.» et seul le référendum obligatoire entrait en considération21. L'Assemblée fédérale s'est ralliée à son opinion, donnant au référendum obligatoire sui generis l'occasion d'être utilisé pour la troisième fois22. L'accord sur l'EEE a été soumis au peuple et aux cantons le 6 décembre 1992 et rejeté de part et d'autre.

­

Accords bilatéraux II: aux yeux du Conseil fédéral, les accords d'association de la Suisse à Schengen et Dublin (AAS et AAD) ne remplissaient pas les critères développés par la jurisprudence et la doctrine sur l'application du référendum obligatoire sui generis. Il estimait que ces accords n'entraînaient pas «de modification politique fondamentale» et ne touchaient donc pas à l'ordre constitutionnel, justifiant sa position comme suit: «Les accords d'association ne limitent pas la souveraineté de notre pays et ne dérogent pas à la répartition interne des compétences telle qu'elle découle de la Constitution.

La Confédération et les cantons assureront la mise en oeuvre des accords dans les limites de leurs compétences respectives»23. L'Assemblée fédérale a donc assujetti les accords au référendum facultatif en matière de traités internationaux;24 le peuple a accepté le projet le 5 juin 2005.

Dans les cas de l'accession de la Suisse à la Société des nations et de la conclusion de l'accord de libre-échange avec la Communauté européenne, le Conseil fédéral a estimé que les considérations juridiques n'étaient pas déterminantes et que le référendum obligatoire ne pouvait être qualifié de juridiquement nécessaire. Il a toutefois considéré ces traités comme des affaires de la plus haute importance réclamant l'aval du peuple et des cantons. L'explication montre clairement que le référendum obligatoire sui generis présente aussi des traits de référendum extraordinaire. Il est caractéristique du référendum extraordinaire que le projet concerné soit soumis au vote bien que le droit ne l'exige pas25.

21 22 23

24

25

Message EEE, FF 1992 IV 1 530 Ch. III de l'arrêté fédéral du 9 octobre 1992 sur l'Espace économique européen (EEE), FF 1992 VI 54.

Message du 1er octobre 2004 relatif à l'approbation des accords bilatéraux entre la Suisse et l'Union européenne, y compris les actes législatifs relatifs à la transposition des accords («accords bilatéraux II»), FF 2004 5593 5913. Une proposition faite au Conseil des États dans le but de soumettre l'accord au référendum obligatoire a échoué par 31 voix contre 6, BO 2004 E 728 s.

Art. 4, al. 1, de l'arrêté fédéral du 17 décembre 2004 portant approbation et mise en oeuvre des accords bilatéraux d'association à l'Espace Schengen et à l'Espace Dublin, FF 2004 6709.

Schmid, p. 132.

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1.2.4

Initiative populaire «accords internationaux: la parole au peuple!» et contre-projet direct

Les auteurs de l'initiative populaire «Pour le renforcement des droits populaires dans la politique extérieure (accords internationaux: la parole au peuple!)», déposée en 2009, soutenaient l'avis que la participation démocratique était insuffisante lors de la conclusion de traités internationaux. C'est pourquoi ils ont demandé que l'art. 140, al. 1, Cst. soit complété par une nouvelle let. d et que le référendum obligatoire en matière de traités internationaux soit substantiellement étendu26: Art. 140, al. 1, let. d 1

Sont soumis au vote du peuple et des cantons: d.

les traités internationaux qui: 1. entraînent une unification multilatérale du droit dans des domaines importants; 2. obligent la Suisse à reprendre de futures dispositions fixant des règles de droit dans des domaines importants; 3. délèguent des compétences juridictionnelles à des institutions étrangères ou internationales dans des domaines importants; 4. entraînent de nouvelles dépenses uniques de plus d'un milliard de francs, ou de nouvelles dépenses récurrentes de plus de 100 millions de francs.

Le Conseil fédéral a rejeté l'initiative, mais proposé d'inscrire dans la Constitution un référendum obligatoire pour les traités internationaux de rang constitutionnel. Il a rappelé que les sujets qui doivent être réglés dans la Constitution sont obligatoirement soumis au vote et requièrent l'approbation du peuple et des cantons. Lorsque les mêmes sujets sont réglées dans un traité international, il faut ­ selon le principe du parallélisme ­ que ce traité soit soumis à la même procédure d'approbation qu'une modification de la Constitution. Le Conseil fédéral a donc opposé le contreprojet direct suivant à l'initiative populaire «accords internationaux: la parole au peuple!»27: Art. 140, al. 1, let. b 1

Sont soumis au vote du peuple et des cantons: b.

26 27

les traités internationaux qui: 1. prévoient l'adhésion à des organisations de sécurité collective ou à des communautés supranationales; 2. contiennent des dispositions exigeant une modification de la Constitution ou équivalant à une modification de la Constitution;

Message «La parole au peuple!», p. 6356 (formulation proposée) 6362 s.

(argumentation du comité d'initiative).

Message «La parole au peuple!», p. 6373 ss.

1202

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Le Conseil fédéral notait qu'il n'était certes pas aisé de déterminer les règles dignes de figurer ou non dans la Constitution, mais retenait que tel est le cas des normes garantissant les droits fondamentaux, de celles qui garantissent la structure fédérale de l'État et de celles qui règlent l'organisation des autorités fédérales28.

Le Parlement n'est pas entré en matière sur le contre-projet, argumentant que la formulation du Conseil fédéral était certes plus précise que le texte de l'initiative, mais pas assez claire. Dans l'ensemble, le Parlement a surtout rejeté le contre-projet pour des raisons tactiques. L'initiative populaire a été soumise à votation sans contre-projet le 17 juin 2012. 75,3 % des votants et tous les cantons l'ont rejetée29.

Le texte envoyé en consultation (voir ch. 2.1) et le projet de modification de la Constitution que le présent message accompagne (voir ch. 3) tiennent compte des critiques exprimées par le Parlement.

1.3

Relation avec le programme de la législature et avec le plan financier ainsi qu'avec les stratégies du Conseil fédéral

Le projet n'est annoncé ni dans le message du 27 janvier 201630, ni dans l'arrêté fédéral du 14 juin 2016 sur le programme de la législature 2015 à 201931. Il donne suite à la motion 15.3557 adoptée par le Parlement.

1.4

Classement d'interventions parlementaires

Le projet du Conseil fédéral donne suite à la motion 15.3557. L'intervention parlementaire peut donc être classée.

28 29 30 31

Message «La parole au peuple!», p. 6377.

Arrêté fédéral du 24 juillet 2012 constatant le résultat de la votation populaire du 17 juin 2012, FF 2012 7159.

FF 2016 981 FF 2016 4999

1203

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2

Procédure préliminaire, consultation comprise

2.1

Projet envoyé en consultation

Lors des délibérations sur le contre-projet du Conseil fédéral à l'initiative populaire «accords internationaux: la parole au peuple!», le Parlement s'est inquiété, au plan matériel, de la formulation de type clause générale. En effet, elle ne réglait pas selon lui la question de savoir quand une disposition a caractère constitutionnel (voir ch. 1.2.4). Le projet envoyé en consultation a tenu compte de cette critique; le «caractère constitutionnel» d'un traité international a donc été illustré au moyen d'une liste exemplative.

L'avant-projet de modification de l'art. 140 de la Constitution (AP-Cst.) envoyé en consultation le 15 août 2018 avait donc la teneur suivante32: Art. 140, al. 1, phrase introductive et let. b bis 1

Sont soumis au vote du peuple et des cantons: bbis. les traités internationaux dont la mise en oeuvre exige une modification de la Constitution ou qui comportent des dispositions de rang constitutionnel dans l'un des domaines mentionnés ci-après: 1. le catalogue des droits fondamentaux, la nationalité suisse, les droits de cité ou les droits politiques; 2. les rapports entre la Confédération et les cantons ou les compétences de la Confédération; 3. le régime des finances; 4. l'organisation ou les compétences des autorités fédérales.

2.2

Synthèse des résultats de la consultation

Une nette majorité des 39 participants fait bon accueil à l'avant-projet: 29 d'entre eux y sont favorables, 4 expriment des réserves (parfois sérieuses) et 6 s'y opposent.

Une bonne partie des cantons soutiennent l'avant-projet tout comme la plupart des partis (PLR, PDC, PBD, pvl), sauf 1 qui propose d'importantes modifications (UDC) et 1 autre qui rejette le projet dans sa forme actuelle (PS). Parmi les associations, groupements d'intérêt et particuliers, la proportion des pour et des contre est équilibrée.

Les partisans du projet se félicitent de la proposition de concrétisation du «caractère constitutionnel» des traités internationaux. Ils estiment que la formulation augmente la sécurité du droit et facilite la mise en oeuvre pratique de ce référendum. Ils évo-

32

Le dossier envoyé en consultation, les avis reçus et la synthèse des résultats de la consultation peuvent être consultés à l'adresse: www.admin.ch > Droit fédéral > Consultations > Procédures de consultation terminées > 2018 > DFJP.

1204

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quent aussi en termes positifs le renforcement accru de la légitimité démocratique du droit international33.

Les voix critiques et les opposants au projet lui reprochent de ne pas ­ suffisamment ­ concrétiser le «caractère constitutionnel» et de soulever de nouvelles questions d'interprétation. Ils contestent aussi l'existence d'une pression justifiant une modification de la Constitution.

Les différentes remarques des participants portent notamment sur les points suivants: ­

L'art. 140, al. 1, Cst et par là même la règle qui régit le référendum obligatoire en matière de traités internationaux doit rester inchangé. En lieu et place, il faut adapter l'art. 141, al. 1, let. d, Cst. en abrogeant les ch. 1 à 3 pour que tous les traités internationaux soient assujettis au référendum facultatif.

­

Il y a lieu de compléter l'avant-projet de manière à englober aussi les instruments du droit international ayant un caractère constitutionnel, qui ne sont certes pas contraignants à la date de leur signature (soft law), mais peuvent déployer des effets contraignants par la suite.

­

Bon nombre de traités internationaux présentent un «lien avec les droits fondamentaux» et devraient par conséquent être soumis à l'avenir au référendum obligatoire en matière de traités internationaux. La double majorité (peuple et cantons) exigée dans ce cas rendrait difficile, voire impossible, la conclusion de ces traités.

2.3

Appréciation des résultats de la consultation

Les avis livrés au sujet du degré de concrétisation du projet ont fourni l'occasion de procéder à des adaptations ponctuelles du texte normatif. Il subsistera toutefois des questions d'interprétation, ce qui est typique des dispositions constitutionnelles régissant les droits politiques et bien connu de tous, et que la pratique des autorités permettra de clarifier. Le degré de concrétisation du «caractère constitutionnel» d'un traité international ne peut être augmenté à loisir. L'explication réside avant tout dans l'imprécision de la notion de Constitution au sens matériel34. Les opinions divergent en effet beaucoup, aujourd'hui encore, sur ce qui «est digne de figurer dans la Constitution» ou qui «a caractère constitutionnel» (voir ch. 3.1.3).

Pour ce qui est de la nécessité de modifier la Constitution, qu'elle soit contestée ou supposée inexistante, il faut noter la chose suivante: si le droit non écrit constitue une source du droit reconnue, les normes développées par la jurisprudence des tribunaux et par la pratique politique qui ne sont pas inscrites et formulées dans un texte formel (la Constitution) ne donnent pas autant de garanties en matière de 33 34

La révision de 1977 (voir ch. 1.2.1) et celle de 2003 (voir ch. 1.2.2) ont déjà renforcé la légitimité démocratique du droit international.

Voir Zellweger, p. 283 et 285 s. D'aucuns avancent même parfois qu'il n'existe pas de notion de Constitution au sens matériel, comme Künzli, p. 52.

1205

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sécurité du droit et de transparence que des normes écrites. De plus, lorsqu'il n'existe guère de décisions judiciaires pour les clarifier, comme c'est le cas dans le domaine des droits politiques au niveau fédéral, le champ d'application et la portée du droit non écrit restent relativement imprécis. C'est pourquoi la sécurité du droit et la transparence seraient renforcées si le référendum obligatoire sui generis était inscrit dans la Constitution35.

La position du Conseil fédéral sur les remarques exposées plus haut est la suivante: ­

Les participants qui souhaitent qu'on abandonne la codification du référendum obligatoire sui generis et, qu'en lieu et place, on assujettisse tous les traités internationaux au référendum facultatif vont dans une toute autre direction que le projet envoyé en consultation, et donc que le mandat confié au Conseil fédéral par la motion 15.3557. Pour cette seule raison, leur revendication ne peut être examinée plus avant.

­

On entend par soft law toute une série d'instruments internationaux différents les uns des autres. Leur point commun est qu'ils ne sont pas contraignants en droit (soft), autrement dit ne fondent aucune obligation de droit international, mais prescrivent un comportement donné (law)36. Lorsqu'un instrument de soft law doit être transféré dans un traité international et par conséquent devenir juridiquement contraignant, dans le cadre d'un processus de négociation formel, les dispositions qui régissent la compétence en matière de signature de traités et de référendum sur les traités s'appliquent37. Il est donc inutile de compléter l'art. 140, al. 1, let. b bis, P-Cst.

­

Le simple «lien avec les droits fondamentaux» que présente un traité international ne suffit pas à justifier qu'il soit soumis au référendum obligatoire.

C'est le catalogue des droits fondamentaux qui doit être touché.

3

Présentation du projet

3.1

Réglementation proposée

3.1.1

Concrétisation du «caractère constitutionnel»

L'art. 140, al. 1, let. bbis, P-Cst. précise le caractère constitutionnel d'un traité international au moyen d'une liste dans le texte même de la Constitution (voir ch. 2.1).

L'objectif de ce plus grand degré de précision est de permettre de déterminer si un traité international doit être soumis, ou non, au référendum obligatoire. Le texte de la disposition tient aussi compte du fait que la portée des droits populaires doit ressortir aussi clairement que possible de la Constitution. Pareille formulation en35 36

37

Voir le rapport du CF en exécution du po. 13.3805, ch. 2.2.

Voir le rapport du Conseil fédéral du 26 juin 2019 « Consultation et participation du Parlement dans le domaine du droit souple« en réponse au postulat 18.4104, p. 4 s., à consulter à l'adresse: www.parlement.ch > 18.4104 > Rapport en réponse à l'intervention parlementaire.

Voir les art. 166, al. 2, et 184, al. 2, Cst.; ainsi que les art. 140, al. 1, let. b, et 141, al. 1, let. d, Cst. et 140, al. 1, let. bbis, P-Cst.

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traîne aussi un rapprochement avec le degré de précision de la règle (casuistique) prévue à l'art. 140, al. 1, let. b, Cst. La disposition proposée est la suivante: Art. 140, al. 1, phrase introductive et let. b bis 1

Sont soumis au vote du peuple et des cantons: bbis. les traités internationaux qui comportent des dispositions de rang constitutionnel ou dont la mise en oeuvre exige une modification de la Constitution; sont notamment de rang constitutionnel les dispositions relatives: 1. au catalogue des droits fondamentaux, à la nationalité et aux droits de cité ainsi qu'aux droits politiques, 2. aux rapports entre la Confédération et les cantons ainsi qu'aux compétences de la Confédération, 3. aux grandes lignes de l'organisation et de la procédure des autorités fédérales.

L'idée générale de la disposition est la même que lors de l'adoption de nouvelles dispositions sur le référendum en matière de traités internationaux, en 1977: il n'est ni souhaitable ni même possible «de régler dans la constitution tout cas futur, même le plus invraisemblable»38. Car au niveau de la Constitution, les notions de droit réclamant un degré de concrétisation parfois élevé sont très répandues. Elles permettent aux autorités de prendre des décisions et préciser et développer leur pratique de manière adaptée au cas d'espèce.

3.1.2

«Transfert» dans le droit écrit: trois cas de figure

Dans les travaux préparatoires des traités soumis jusqu'ici au référendum obligatoire sui generis, le champ d'application de ce droit populaire est défini comme suit39: un traité international doit être soumis au peuple et aux cantons lorsqu'il modifie profondément l'ordre constitutionnel, entraîne un changement fondamental dans la politique extérieure de la Suisse ou lorsque des raisons matérielles ou politiques très importantes plaident dans ce sens.

Ces trois cas de figure ne peuvent être transférés tels quels dans le droit écrit:

38 39

­

On peut parler de (profonde) atteinte à l'ordre constitutionnel quand une disposition d'un traité international revêt un «caractère constitutionnel» (voir ch. 3.1.3). Dans pareil cas, le référendum obligatoire en matière de traités internationaux s'applique; il faut donc l'inscrire dans le droit constitutionnel écrit.

­

Une modification de la politique extérieure de la Suisse ne devrait pas entraîner à elle seule l'application du référendum obligatoire en matière de traités internationaux, même si elle est de nature fondamentale. C'est seulement Message nouvelles dispositions sur le référendum, p. 1159.

Voir Brunner, p. 62 et son renvoi au message EEE, FF 1992 IV 529 s. et au message ALE CE, FF 1972 II 725 ss.

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quand un accord international contient des dispositions exigeant une modification de la Constitution (par ex. une adaptation des buts de la politique extérieure de la Suisse consacrés par l'art. 54, al. 2, Cst.) ou de portée équivalente que le référendum obligatoire entre en ligne de compte (selon l'art. 140, al. 1, let. bbis, P-Cst.). Ce cas d'application mérite d'être inscrit de manière différenciée dans le droit constitutionnel écrit.

­

On pourrait imaginer qu'un traité international n'ait pas un caractère constitutionnel et que certains invoquent sa signification politique capitale pour justifier qu'il soit soumis au vote du peuple et des cantons (voir ch. 1.2.3).

Ce cas de figure ne devrait pas être transféré dans le droit écrit. Le référendum obligatoire prendrait sinon les traits d'un référendum extraordinaire (voir ch. 1.2.3). Cette marge d'appréciation contournerait en outre partiellement un des buts du transfert dans le droit écrit, à savoir la meilleure prévisibilité et la facilitation de la mise en oeuvre du référendum obligatoire en matière de traités internationaux.

3.1.3

La Constitution au sens formel et matériel

On distingue traditionnellement les notions de «Constitution au sens formel» et de «Constitution au sens matériel»40. Font partie de la Constitution au sens formel (ou droit constitutionnel formel) toutes les normes qui ont été arrêtées dans le cadre de la procédure constitutionnelle; l'importance de leur contenu (sont-elles dignes de figurer dans la Constitution ?) ne joue aucun rôle.

La notion de Constitution au sens matériel (ou droit constitutionnel matériel), en revanche, se fonde sur le contenu des normes constitutionnelles. Elle englobe toutes celles qui ont leur place dans la Constitution parce qu'elles forment le fondement de l'État de droit et de la démocratie et sont de ce fait «dignes de figurer dans la Constitution» ou ont un «caractère constitutionnel». Les avis divergent évidemment quant au «bon» contenu de la Constitution. La question de savoir quelles normes ont leur place dans la Constitution ou pas dépend des fonctions qu'on entend attribuer à la Constitution, autrement dit de la compréhension qu'on a de la Constitution. En conséquence, il est plus difficile de circonscrire la Constitution au sens matériel avec la même fiabilité que la Constitution au sens formel.

Les dispositions inscrites dans la Constitution (droit constitutionnel formel) sont généralement dignes de figurer dans la Constitution de par leur contenu même (droit constitutionnel matériel). Un recoupement entre les deux n'est toutefois pas forcément nécessaire dans tous les cas. Car il existe un droit constitutionnel formel qui n'est pas si fondamental en soi qu'il doive figurer dans le texte de la Constitution; une loi fédérale ou même une ordonnance pourraient suffire dans pareil cas. Cette réalité s'explique par le fait que c'est le processus constitutionnel démocratique qui décide quelles normes doivent être inscrites, et avec quel degré de précision, dans le texte de la Constitution41.

40 41

Voir à ce sujet et sur ce qui suit Tschannen, § 3 N 6 à 12.

Voir Tschannen, § 3 N 16.

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La définition de ce qu'est la Constitution a soulevé des questions fondamentales lors de la révision totale à laquelle elle a été soumise. On a cité à l'époque trois domaines de réglementation centraux42: ­

Garantie des droits et libertés fondamentaux de l'individu: la Constitution d'un État de droit a pour fonction de garantir les droits et les libertés des personnes qui vivent dans cet État. C'est le rôle des dispositions régissant les droits fondamentaux et les garanties des droits politiques.

­

Répartition des compétences entre Confédération et cantons: la Constitution fédérale définit les compétences et les tâches de la Confédération et ce faisant les limites de son action.

­

Détermination de l'organisation de l'État: la Constitution définit les organes suprêmes de l'État, règle leurs compétences et ­ dans leurs grandes lignes ­ les procédures par lesquelles le droit est conçu et mis en oeuvre.

L'art. 140, al. 1, let. bbis, P-Cst désigne ces domaines de réglementation et se rattache à la notion de Constitution matérielle aussi bien que formelle (voir ch. 4 pour plus de détails).

3.1.4

Place dans la systématique actuelle de l'art. 140, al. 1, Cst.

Le référendum obligatoire en matière de traités internationaux ayant un caractère constitutionnel est introduit dans un nouvel art. 140, al. 1, let. b bis, P-Cst. L'art. 140, al. 1, let. b, Cst. concernant le référendum obligatoire en cas d'adhésion à des organisations de sécurité collective ou à des communautés supranationales reste inchangé. Les deux cas de figure, à la fois importants et de grande portée, resteront mentionnés expressément dans le texte de la Constitution, même si pareille adhésion remplit généralement les critères prévus à l'art. 140, al. 1, let. b bis, P-Cst.

L'art. 140, al. 1, Cst. couvrira à l'avenir tous les cas de référendum obligatoire nécessitant la double majorité et l'art. 140, al. 2, Cst. les cas de référendum obligatoire réclamant la majorité du peuple.

3.2

Adéquation des moyens requis

Le présent projet ne devrait pas entraîner d'augmentation du nombre des objets soumis au vote, ou tout au plus une augmentation minime. Un système de référendum à la fois transparent et facile à manier est un des piliers centraux de l'État de droit et de la démocratie suisse. La tâche est donc en proportion avec la dépense financière (éventuelle) que l'organisation et l'exécution d'une votation populaire (obligatoire) engendre.

42

Voir le message nCst., FF 1997 I 1 13 s.; et aussi la catégorisation établie par Häfelin/Haller/Keller/Thurnherr, N 21.

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3.3

Mise en oeuvre

Aucune loi d'application sur le référendum obligatoire en matière de traités internationaux ayant un caractère constitutionnel n'est nécessaire. Les «adaptations techniques» sont inutiles dans le sens où ni l'art. 58 de la loi fédérale du 17 décembre 1976 sur les droits politiques (LDP)43, ni l'art. 81, al. 1, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)44 n'ont en particulier à être modifiés.

La nouvelle disposition constitutionnelle entrera en vigueur dès son acceptation par le peuple et les cantons (art. 195 Cst.). Dans une procédure d'approbation d'un traité international en cours, la date de l'arrêté de l'Assemblée fédérale portant approbation dudit traité sera déterminante. Si l'art. 140, al. 1, let. b bis, P-Cst. est entré en vigueur à cette date, la nouvelle disposition s'appliquera à la décision de soumettre le traité en question au référendum obligatoire.

4

Commentaire de l'art. 140, al. 1, let. bbis, P-Cst.

Phrase introductive La notion de «dispositions de rang constitutionnel» présente un lien avec la Constitution au sens matériel dans un premier cas de figure: un traité international approuvé par l'Assemblée fédérale dont les dispositions seraient intégrées dans la Constitution dans le cadre d'un processus législatif interne, en raison de leur contenu, et qui seraient ainsi «dignes de figurer dans la Constitution», sera soumis au référendum obligatoire en matière de traités internationaux. Peu importe que les dispositions en question soient directement applicables (self-executing)45 ou non et qu'elles fixent des règles de droit.

D'ordinaire, mais pas nécessairement, il existe un recoupement entre le droit constitutionnel formel et le droit constitutionnel matériel (voir ch. 3.1.3). Seront par conséquent soumis au peuple et aux cantons, dans un deuxième cas de figure, les traités internationaux «dont la mise en oeuvre exige une modification de la Constitution».

Cette formulation exprime le lien avec la Constitution au sens formel. Ainsi, les compétences fédérales inscrites pour la plupart aux art. 54 à 125 Cst. contiennent aussi des consignes très détaillées pour leur loi d'application (voir par ex. les art. 95, al. 3, let. a à d, 121, al. 3 à 6, et 121a Cst.). Si le traité dont la conclusion est envisagée est en conflit avec ces prescriptions constitutionnelles, il sera soumis au référendum obligatoire, ne serait-ce que pour cette raison.

La phrase introductive contient donc un critère formel (la mise en oeuvre du traité exige une modification de la Constitution) et un critère matériel (le traité contient des dispositions de rang constitutionnel). Un traité peut remplir un seul des deux critères ou les deux. Dans tous ces cas, le traité en question sera soumis au référendum obligatoire.

43 44 45

RS 161.1 RS 171.10 Voir à ce sujet le rapport droit international/droit interne, ch. 5.3.

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Le contre-projet direct à l'initiative populaire «accords internationaux: la parole au peuple!» reposait déjà sur cette idée: selon l'art. 140, al. 1, let. b, ch. 2, Cst. proposé alors, les dispositions d'un traité international «exigeant une modification de la Constitution» (critère formel) ou «équivalant à une modification de la Constitution» (critère matériel) devaient être soumises au référendum obligatoire. L'art. 141, al. 1, let. d, ch. 3, Cst. se fonde sur la même idée. Il prévoit que les traités internationaux qui «contiennent des dispositions importantes fixant des règles de droit» ou «dont la mise en oeuvre exige l'adoption [ou la modification ou l'abrogation] de lois fédérales» sont assujettis au référendum facultatif.

Il reste possible de procéder selon l'art. 141a, al. 1, Cst., qui permet à l'Assemblée fédérale d'intégrer les modifications constitutionnelles liées à la mise en oeuvre d'un traité international soumis de toute façon au référendum obligatoire dans le même arrêté en portant approbation («paquet»). Seuls les traités internationaux soumis au référendum obligatoire selon les règles générales en vigueur entrent cependant dans le champ d'application de l'art. 141a, al. 1, Cst. Le deuxième cas de figure montre clairement qu'un traité international sera aussi soumis au référendum obligatoire ­ et pourra en conséquence faire partie d'un «paquet» ­ s'il ne contient certes pas de disposition de rang constitutionnel, mais que sa mise en oeuvre exige une modification de la Constitution.

Ch. 1 à 3 L'énumération qui suit la phrase introductive, aux ch. 1 à 3, cite trois domaines typiques dans lesquels l'essentiel de la réglementation est fixé au niveau de la Constitution (voir ch. 3.1.3). Cette liste exemplative circonscrit directement les «dispositions de rang constitutionnel» dans le texte de la Constitution. L'art. 140, al. 1, let.

bbis, P-Cst. fonctionne donc comme une aide à la concrétisation de l'obligation d'inscrire certaines matières dans la Constitution ­ de manière comparable à celle de l'art. 164 Cst., qui fonctionne comme aide à la concrétisation de la nécessité d'inscrire certaines matières dans une loi. La phrase introductive énonce clairement que la liste n'est pas exhaustive. Un traité international peut par exemple contenir des dispositions relevant des principes
fondamentaux du régime des finances46, selon les critères du droit interne, de sorte qu'il a rang constitutionnel pour cette raison. Un traité international peut également contenir des dispositions qui, considérées de manière traditionnelle, ne font certes pas partie des trois domaines de réglementation centraux de la Constitution (voir ch. 3.1.3), mais présentent tout de même un caractère constitutionnel parce qu'elles sont fondamentales.

Le référendum obligatoire en matière de traités internationaux ayant un caractère constitutionnel doit s'inscrire dans le système référendaire existant. Ce nouvel instrument ne modifiera en rien la portée du référendum facultatif en matière de traités internationaux figurant à l'art. 141, al. 1, let. d, Cst. Les traités internationaux 46

Le «régime des finances» figurait encore dans le texte du projet envoyé en consultation (art. 140, al. 1, let. bbis, AP-Cst.). On y a renoncé dans le présent projet. D'abord, parce que cette notion ne permet guère de concrétiser davantage le caractère constitutionnel d'un traité international. Ensuite, parce que les dispositions constitutionnelles sur le «régime des finances» contiennent aussi des compétences fédérales qui pourraient relever de l'art. 140, al. 1, let. bbis, ch. 2, P-Cst. (voir ch. 4).

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qui, selon la pratique actuelle, sont assujettis au référendum facultatif le resteront s'ils ont le même type de contenu.

Ch. 1 La formulation couvre la garantie des droits et libertés fondamentaux de l'individu et repose largement sur la terminologie de la Constitution: les droits fondamentaux, la nationalité et les droits de cité sont des termes qui figurent dans les titres des chap.

1 et 2, titre 2, Cst. Ils englobent les garanties des droits fondamentaux de l'individu (art. 7 à 36 Cst.) et les bases constitutionnelles de la nationalité suisse (art. 37 à 40 Cst.). Bien que le terme de «droits politiques» figure lui aussi dans le titre du chapitre contenant les art. 37 à 40 Cst., les dispositions générales sur les droits politiques et celles qui régissent les droits populaires (initiative et référendum) ne sont pas réunies au même endroit, mais disséminées dans plusieurs articles de la Constitution (notamment les art. 34, 51, 136 à 142 et 149 s. Cst.).

Dans le système moniste de la Suisse, les normes de droit international deviennent valables en droit interne dès leur entrée en vigueur47. Le «catalogue des droits fondamentaux» au sens du ch. 1 comprend par conséquent aussi bien les droits fondamentaux inscrits dans la Constitution que ceux qui découlent (seulement) d'un des traités internationaux valables en Suisse.

L'option de la reconnaissance par le Tribunal fédéral de nouveaux droits fondamentaux non écrits a subsisté après la révision totale de 1999 et les efforts engagés alors pour reproduire la substance des droits fondamentaux dans le catalogue des art. 7 à 36 Cst. En conséquence, il importe peu ici que le droit fondamental concerné figure dans le droit constitutionnel écrit ou non écrit.

Les traités internationaux qui engagent la Suisse, parce qu'ils ont été approuvés dans le cadre de la procédure législative interne prévue à cet effet, peuvent allonger le catalogue des droits fondamentaux en vigueur dans le droit interne ou développer considérablement le contenu de droits existants. Ces traités touchent au catalogue des droits fondamentaux au sens du ch. 1. Un traité international peut aussi présenter ce lien ­ dans le sens inverse ­ en réduisant le catalogue des droits fondamentaux ou la sphère de protection matérielle ou personnelle d'un droit fondamental.

Lorsqu'un traité
international présente certes un lien avec les droits fondamentaux, mais ne touche pas au catalogue des droits fondamentaux, le référendum obligatoire n'a pas lieu d'être. Sont surtout visés ici deux types de traités: premièrement ceux qui, dans leur application, sont susceptibles d'entraîner une atteinte à la sphère de protection d'un droit fondamental (voir aussi l'art. 164, al. 1, let. b, Cst.: les restrictions des droits constitutionnels doivent figurer dans une loi). On peut citer comme exemple les traités qui régissent la remise d'une personne recherchée par l'État requis (accord d'extradition) ou les traités régissant la collaboration entre les autorités policières d'États. Il s'agit deuxièmement de traités qui régissent la procédure à suivre pour faire valoir des droits fondamentaux. Comme pareilles procédures sont réglées au niveau de la loi dans le droit interne, la modification de dispositions de procédure dans un traité sur les droits de l'homme pourrait (continuer d') être assu47

Rapport droit international/droit interne, ch. 8.2-

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jettie au référendum facultatif en matière de traités internationaux. Le référendum facultatif a récemment été considéré comme suffisant pour deux traités relatifs aux droits de l'homme. L'appréciation devrait rester la même après la mise en place de la nouvelle disposition sur le référendum obligatoire en matière de traités internationaux: ­

Le protocole no 15 à la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) 48, que l'Assemblée fédérale a approuvé le 18 mars 2016, entraîne des changements dans le mécanisme de contrôle (organisation et procédure de la Cour européenne des droits de l'homme) et modifie par conséquent le texte de la CEDH. Il contient des dispositions fixant des règles de droit qui sont importantes, parce qu'elles attribuent des compétences, touchent aux droits des personnes et règlent des questions institutionnelles et de procédure de la Cour. En Suisse, pareilles dispositions devraient être arrêtées sous la forme d'une loi fédérale (art. 164, al. 1, let. g, Cst.). Le traité international a donc été assujetti au référendum facultatif en vertu de l'art. 141, al. 1, let. d, ch. 3, Cst.

­

Le troisième protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant49 est de nature procédurale et contient différents éléments de contrôle: une procédure pour la présentation de communications individuelles, une procédure pour la présentation de communications interétatiques et une procédure d'enquête. Il confère notamment aux particuliers le droit de présenter au Comité des droits de l'enfant des communications contre la Suisse concernant des violations des garanties de la convention. La Suisse n'est certes pas liée par les constatations et recommandations du Comité, mais les autorités sont soumises à l'obligation de coopérer. Le protocole facultatif contient dès lors des dispositions importantes fixant des règles de droit et il a été assujetti au référendum facultatif50.

Il en irait autrement pour les protocoles additionnels à la CEDH qui étendent la liste des garanties de la CEDH et touchent au «catalogue des droits fondamentaux» garantis par la Constitution. La Suisse n'a pas ratifié à ce jour les 1 er, 4e et 12e protocoles additionnels. La reprise de ces protocoles pourrait, si elle se réalisait sans réserve, entraîner l'application de l'art. 140, al. 1, let. b bis, ch. 1, Cst. (référendum obligatoire)51.

48

49

50

51

Protocole no 15 portant amendement à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 24 juin 2013: FF 2015 2149 (texte conventionnel) et 2016 1959 (arrêté fédéral).

Protocole facultatif du 19 décembre 2011 à la Convention relative aux droits de l'enfant établissant une procédure de présentation de communications (RS 0.107.3); entré en vigueur pour la Suisse le 24 juillet 2017.

Message du 11 décembre 2015 portant approbation du Protocole facultatif du 19 décembre 2011 à la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 établissant une procédure de présentation de communications, FF 2016 179 203.

1er protocole additionnel: droit à des élections libres; 4e protocole additionnel: liberté de circulation dans le sens de la liberté de mouvement et d'établissement dans un État partie; 12e protocole additionnel: interdiction générale de discrimination, définie de manière plus étendue qu'à l'art. 8, al. 2, Cst.

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Selon le ch. 1, les «dispositions relatives à la nationalité et aux droits de cité» peuvent être de rang constitutionnel. Les bases constitutionnelles de la nationalité et des droits de cité suisses sont concentrées dans les art. 37 à 40 Cst. Tel est le cas par exemple des triples droits de cité (art. 37, al. 1, Cst.). Les art. 38 à 40 Cst., bien que ne figurant pas sous le titre 3 de la Constitution «Confédération, cantons et communes», concernent principalement le partage des compétences dans le domaine des droits de cité (voir aussi le commentaire du ch. 2). Il résulte du droit de cité suisse des droits et devoirs constitutionnels particuliers. Ainsi, les droits politiques en matière fédérale sont réservés aux Suisses (art. 136, al. 1, Cst.)52. Les « dispositions relatives aux droits de cité » ne devraient par conséquent revêtir que très rarement une importance de niveau constitutionnel. En règle générale, elles ont, dans le meilleur des cas, un rang légal ­ le référendum obligatoire ne devrait donc pas entrer en ligne de compte.

Le ch. 1 mentionne enfin les «droits politiques». Cette notion vise l'ensemble des droits de participation accordés aux citoyens suisses par la Constitution, à savoir, concrètement, le droit de vote et d'éligibilité, la participation aux votations fédérales et le droit de signer des initiatives constitutionnelles et des demandes de référendum en matière fédérale53. La nature et l'ampleur des droits politiques ont rang constitutionnel. Elles doivent toutefois être précisées dans des normes légales; le mandat législatif correspondant figure à l'art. 39, al. 1, Cst. (voir aussi art. 164, al. 1, let. a, Cst., selon lequel les dispositions fondamentales sur l'exercice des droits politiques doivent être édictées sous la forme d'une loi fédérale). Certaines décisions sur l'exercice des droits politiques sont certes déjà prises au niveau de la Constitution (voir par ex. art. 39, al. 2 et 3, Cst.). Cependant, le fait de déterminer si certaines dispositions sur les (l'exercice des) droits politiques ont matériellement rang constitutionnel ou légal peut présenter certaines difficultés 54. Cela dit, on peut faire le même constat que dans le domaine des droits de cité: les dispositions relatives aux droits politiques ne devraient que rarement avoir un rang constitutionnel.

Ch. 2
La répartition des compétences entre Confédération et cantons est un des sujets centraux de la Constitution. Un traité international sera aussi soumis au référendum obligatoire s'il touche «aux rapports entre la Confédération et les cantons ainsi qu'aux compétences de la Confédération». Sont d'abord visées les modifications des rapports entre Confédération et cantons régis par le chap. 1, titre 3, Cst. Les dispositions en question (art. 42 à 53 Cst.; voir aussi art. 3 Cst.) forment une sorte de «partie générale» sur les rapports entre Confédération et cantons (maximes du fédéralisme suisse)55. Les traités internationaux ne contiennent généralement pas de

52

53 54 55

Les Suisses jouissent de la liberté d'établissement (art. 24 Cst.) et ne peuvent être expulsés de Suisse ou remis à une autorité étrangère contre leur volonté (art. 25, al. 1, Cst.).

Les hommes suisses sont astreints au service militaire ou, si les conditions légales sont remplies, au service civil de remplacement (art. 59, al. 1, Cst.).

Wyttenbach / Wyss, in: BS-BV-Kommentar, Art. 164, N 24.

Voir à ce sujet Tschannen, in: SG-BV-Kommentar, Art. 164, N 16.

Biaggini, remarques liminaires concernant les art. 42 à 53 Cst., N 20.

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dispositions du genre de ces maximes. Dans la pratique, néanmoins, les cas de figure suivants se sont déjà posés: ­

«Clause de fédéralisme»: l'art. 35 de la Convention du 17 octobre 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel56, par exemple, contient des règles spécifiques pour les «régimes constitutionnels fédératifs ou non unitaires». Le Conseil fédéral a déclaré au sujet de cette disposition57: «Cette clause [...] constitue une reconnaissance explicite de la répartition interne des compétences existant dans les États fédératifs. Si, selon la répartition interne des compétences, il appartient aux cantons de prendre des mesures de mise en oeuvre de la Convention, il incombe à la Confédération d'informer les autorités cantonales des dispositions conventionnelles pertinentes et de leur recommander l'adoption des mesures législatives destinées à les concrétiser. En revanche, cette clause n'a aucune influence sur la compétence interne de la Confédération pour conclure la Convention, qui résulte de l'art. 54 Cst.». Si pareils traités ne touchaient pas au partage actuel des compétences, ils seraient donc exclus du nouveau référendum obligatoire en matière de traités internationaux.

­

Création d'autorités centrales: lorsqu'un traité international contient pareille disposition, les conflits avec l'autonomie des cantons en matière d'organisation garantie par l'art. 47, al. 2, Cst. sont possibles. Ils peuvent généralement être évités à l'aide de mesures de mise en oeuvre appropriées. Citons à ce sujet l'exemple de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption58. Lors de l'adhésion de la Suisse, on s'est demandé quelle unité administrative devrait servir d'autorité centrale. Le Conseil fédéral avait proposé ­ considérant le fédéralisme de la Suisse ­ de répartir la fonction entre Confédération et cantons59.

La proposition n'entraînait aucun changement dans la répartition des compétences.

Le volumineux chap. 2, titre 3, Cst. fonde de nombreuses compétences fédérales aux art. 54 à 125, souvent accompagnées de consignes matérielles données au législateur. Le chap. 3 sur le régime des finances (art. 126 à 135 Cst.) contient d'autres compétences fédérales. Un traité international donnant directement à la Confédération des compétences qui appartenaient jusque-là aux cantons en vertu de la Constitution ou qui limitent considérablement la marge de manoeuvre des cantons devrait être soumis au référendum obligatoire en vertu du ch. 2. Dans l'optique du droit international, le niveau étatique auquel il incombe de remplir lesdites obligations importe généralement peu. Les traités internationaux sont pour la plupart «aveugles au fédéralisme», parce que les obligations qui en sont issues s'adressent à la Confé56 57 58 59

RS 0.440.6; entrée en vigueur pour la Suisse le 16 octobre 2008.

Message du Conseil fédéral du 21 septembre 2007 relatif à la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, FF 2007 6837 6859.

RS 0.211.221.311; entrée en vigueur pour la Suisse le 1er janvier 2003.

Pour plus de précisions, voir le message du Conseil fédéral du 19 mai 1999 concernant la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale ainsi que la loi fédérale relative à la Convention de La Haye sur l'adoption et aux mesures de protection de l'enfant en cas d'adoption internationale, FF 1999 5129, 5143 s.; message «La parole au peuple!», p. 6377.

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dération en tant que sujet du droit international. Il existe toutefois des exemples de traités internationaux qui concernent la répartition fédéraliste des tâches et l'attribution de compétences, comme la Convention-cadre européenne du 21 mai 1980 sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales60 et ses protocoles additionnels. Le Conseil fédéral était toutefois d'avis, à l'époque, que cette convention n'apportait aucune modification de compétence61.

Il reste peu probable à l'avenir qu'un traité international contienne une disposition de rang constitutionnel qui modifie la répartition des compétences en vigueur. On peut davantage s'attendre à des traités qui obligent la Suisse à modifier ou transférer des compétences dans un domaine matériel donné. Si la mise en oeuvre d'un tel traité exige une modification de la Constitution, il sera soumis au référendum obligatoire.

Ch. 3 Le ch. 3 reproduit le troisième domaine de réglementation central de la Constitution, à savoir la détermination de l'organisation de l'État. Les termes utilisés sont tirés du titre 5 Cst. («Autorités fédérales») et des titres de section («Organisation» et «Procédure») des chap. 2 et 3 (le chap. 4 sur le «Tribunal fédéral et autres autorités judiciaires» ne possède pas de titres de section). Le terme «Autorités fédérales» comprend les autorités supérieures de la Confédération: l'Assemblée fédérale, le Conseil fédéral et son administration et le Tribunal fédéral.

La formulation du ch. 3 reprend en partie celle de l'art. 164, al. 1, let. g, Cst. Dans les deux dispositions, le terme organisation comprend aussi l'attribution de compétences aux autorités fédérales. La procédure des autorités fédérales englobe par exemple les relations de l'Assemblée fédérale et du Conseil fédéral et le droit procédural, dans la mesure où la procédure se déroule devant une autorité fédérale 62. Si on considère l'art. 140, al. 1, let. bbis, ch. 3, P-Cst. et l'art. 164, al. 1, let. g, Cst. au plan de la systématique, on observe une chose: certaines décisions concernant l'organisation et la procédure se règlent au niveau de la Constitution. Il s'agit des dispositions qui régissent les grandes lignes de l'organisation des autorités63. Les questions que le droit constitutionnel ne règle pas ­ mais qui sont «fondamentales»
au sens de l'art. 164, al. 1, 2e phrase, Cst. ­ doivent l'être dans la loi64. Ou inversement: pour conclure au rang constitutionnel de dispositions sur l'organisation et la procédure des autorités fédérales, il faut que leur importance aille au-delà ce qui est déjà considéré comme «important» ou « fondamental » mesuré à l'aune de l'art. 164, al. 1, let. g, Cst.

60 61

62 63 64

RS 0.131.1; entrée en vigueur pour la Suisse le 4 juin 1982.

Message du Conseil fédéral du 20 mai 1981 relatif à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales, FF 1981 II 801 805.

Tschannen, in: SG-BV-Kommentar, Art. 164, N 32.

Voir l'avis du Conseil fédéral du 2 septembre 2015 sur la motion 15.3557 Caroni «Référendum obligatoire pour les traités internationaux ayant un caractère constitutionnel».

Voir aussi Tschannen, in: SG-BV-Kommentar, art. 164, N 16.

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Conséquences

5.1

Conséquences pour la Confédération

5.1.1

Application

Le référendum obligatoire en matière de traités internationaux au sens de l'art. 89, al. 5, aCst. ou de l'art. 140, al. 1, let. b, Cst. n'a jusqu'ici été appliqué qu'une seule fois. Le référendum obligatoire sui generis (non écrit) l'a lui été à trois reprises (voir ch. 1.2.1 et 1.2.3). Le présent projet vise à opérer un «transfert différencié» de cette pratique dans le droit écrit (voir ch. 3.1.2). Le référendum obligatoire en matière de traités internationaux restera selon toute vraisemblance appliqué dans de rares cas exceptionnels (voir les exemples donnés au ch. 4).

Le Conseil fédéral ne veut pas préjuger de l'évolution à venir, raison pour laquelle il n'indique pas si tel ou tel traité international en cours de négociation ou pour lequel de premières discussions exploratoires sont menées sera un jour soumis au nouveau référendum obligatoire.

5.1.2

Conséquences économiques

Les coûts d'une votation populaire se partagent entre la Confédération, les cantons et les communes: la Confédération met à la disposition des cantons les textes soumis au vote, la brochure d'explication et les bulletins de vote, tandis que les cantons assurent l'exécution de la votation sur leur territoire et arrêtent les mesures nécessaires (art. 11, al. 1, et 10, al. 2, LDP).

L'acceptation de l'initiative populaire «accords internationaux: la parole au peuple!» aurait conduit à une augmentation de 30 % des objets soumis au vote et à une votation populaire supplémentaire par an. En présentant son contre-projet à l'initiative, le Conseil fédéral estimait qu'il n'entraînerait qu'une faible augmentation des objets mis en votation populaire et vraisemblablement aucune augmentation du nombre des scrutins. Il supposait donc que l'acceptation de son contre-projet n'engendrerait que des «dépenses supplémentaires minimes»65. Cette estimation des conséquences financières peut être reprise au sujet de l'avant-projet destiné à mettre en oeuvre la motion 15.3557. Les besoins financiers éventuels pourront être couverts avec les ressources disponibles.

65

Message «La parole au peuple!», p. 6379 (indication des frais administratifs de préparation, de mise en oeuvre et de suivi d'une journée de votation et des dépenses liées aux explications destinées aux électeurs et aux bulletins de vote).

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5.1.3

Conséquences en matière de personnel

Le transfert du référendum obligatoire sui generis non écrit dans la Constitution et son application à l'avenir ne réclament pas davantage de ressources en personnel.

5.2

Conséquences pour les cantons et les communes

Le projet n'entraînera probablement qu'une augmentation minime des objets soumis au vote. Les conséquences devraient être à peu près les mêmes pour les cantons et les communes, qui assument les coûts de l'organisation de la votation (voir ch. 5.1.2).

5.3

Autres conséquences

Le projet ne devrait avoir aucune conséquence sur l'économie, la société et l'environnement. Les centres urbains, les agglomérations et les régions de montagne ne sont pas directement touchés. La question des conséquences dans ces domaines n'a donc pas été approfondie.

6

Aspects juridiques

6.1

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

Le droit interne détermine l'autorité compétente pour la conclusion du traité et règle quels traités internationaux sont soumis au référendum (facultatif ou obligatoire). Le projet ne concerne que la procédure d'approbation interne. Il est compatible avec les obligations internationales de la Suisse.

6.2

Forme de l'acte à adopter

En vertu de l'art. 140, al. 1, let. a, Cst., les révisions de la Constitution sont soumises au référendum obligatoire et doivent être soumises au vote du peuple et des cantons.

Le Conseil fédéral soumet à l'Assemblée fédérale, conformément à l'art. 163, al. 2, Cst. et à l'art. 23 LParl la modification de la Constitution nécessaire à la mise en oeuvre de la motion 15.3557 sous la forme d'un arrêté fédéral.

6.3

Frein aux dépenses

Le projet ne contient pas de dispositions relatives aux subventions et ne prévoit ni crédits d'engagement ni plafonds de dépenses. Il n'est donc pas soumis au frein aux dépenses (art. 159, al. 3, let. b, Cst.).

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Bibliographie Biaggini Giovanni, Kommentar zur Bundesverfassung der Schweizerischen Eidgenossenschaft, Zurich 2007 Brunner Babette, Das Staatsvertragsreferendum: Ein Volksrecht im Wandel, thèse, Zurich 2014 Ehrenzeller Bernhard/Schindler Benjamin/Schweizer Rainer J./Vallender Klaus A.

(éd.), Die Schweizerische Bundesverfassung. St. Galler Kommentar, 3 e éd., Zurich/ Saint-Gall 2014 Häfelin Ulrich/Haller Walter/Keller Helen/Thurnherr Daniela, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 9e éd., Zurich 2016 Künzli Jörg, Demokratische Partizipationsrechte bei neuen Formen der Begründung und bei der Auflösung völkerrechtlicher Verpflichtungen, RDS 2009 I, pp. 47 à 75 Schmid Stefan G., Alte Unbekannte: Das Behördenreferendum und das ausserordentliche Referendum im kantonalen Staatsrecht, ZBl 2013, pp. 127 à 158 Tschannen Pierre, Staatsrecht der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 4 e éd., Berne 2016 Waldmann Bernhard/Belser Eva Maria/Epiney Astrid (éd.), Bundesverfassung.

Basler Kommentar, Bâle 2015 Zellweger Valentin, Die demokratische Legitimation staatsvertraglichen Rechts, in: Cottier/Achermann/Wüger/Zellweger (éd.), Der Staatsvertrag im schweizerischen Verfassungsrecht, Berne 2001, pp. 251 à 416

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Liste des sources citées à plusieurs reprises Rapport du Conseil fédéral du 12 juin 2015 (Clarifier la relation entre le droit international et le droit interne) en exécution du postulat 13.3805, à consulter sous: www.parlament.ch > 13.3805 > Rapport en réponse à l'intervention parlementaire (cit.: rapport CF en exécution du po. 13.3805 Rapport du Conseil fédéral du 19 novembre 2014 en exécution du postulat Stöckli 13.4187 du 12 décembre 2013 (40 ans d'adhésion de la Suisse à la CEDH: bilan et perspectives), FF 2015 353 (cit.: rapport CEDH) Rapport du Conseil fédéral du 5 mars 2010 sur la relation entre droit international et droit interne, FF 2010 2067 (cit.: rapport droit international/droit interne) Message du Conseil fédéral du 1er octobre 2010 relatif à l'initiative populaire «Pour le renforcement de droits populaires dans la politique étrangère» (accords internationaux: la parole au peuple!)», FF 2010 6353 (cit.: message «La parole au peuple!») Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 1 (cit.: message nCst.)

Message du 18 mai 1992 relatif à l'approbation de l'accord sur l'Espace économique européen, FF 1992 IV 1 (cit.: message EEE) Message du 23 octobre 1974 concernant de nouvelles dispositions sur le référendum en matière de traités internationaux, FF 1974 II 1133 (cit.: message nouvelles dispositions sur le référendum) Message du 16 août 1972 relatif à l'approbation des Accords entre la Suisse et les Communautés européennes, FF 1972 II 645 (cit.: message ALE CE) Rapport additionnel du Conseil fédéral au rapport du 5 mars 2010 sur la relation entre droit international et droit interne, FF 2011 3401 (cit.: rapport additionnel droit international/droit interne)

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