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6500 RAPPORT du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant l'octroi d'une amnistie partielle en matière d'infractions aux prescriptions sur les prix maximums du foin et du regain (Du 6 mai 1955)

Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous présenter le rapport suivant au sujet des demandes d'amnistie en faveur des personnes condamnées pour avoir enfreint en 1947 et en 1948 les prescriptions d'économie de guerre réglant le ravitaillement du pays en foin et en regain :

1. La sécheresse de l'été 1947 a eu pour effet de priver de vastes territoires de notre pays de la récolte de regain ou de la réduire à une quantité anormalement faible. La production du fourrage vert fut aussi des plus minimes, et nombreux furent les paysans qui se virent contraints d'entamer largement la récolte de foin dès l'été et l'automne de cette même année.

La sécheresse a affecté tout spécialement la région de Baie, celle de Hallau et du cours inférieur de la Thpur, la vallée de l'Aar de Bienne à Aarau, ainsi que le Plateau entre l'Emme et la Reuss. Dans ces régions, les précipitations n'ont atteint qu'environ 40 pour cent, dans les autres régions du Plateau comprises entre Berne et Frauenfeld, que la moitié de la normale. La situation fut un peu plus favorable en Suisse occidentale, où l'on nota sur le Plateau 60 à 70 pour cent, dans le Jura 70 à 80 pour cent de la normale. Dans le Valais, les précipitations varièrent entre 55 et 80 pour cent. Le sud du Tessin fut relativement sec, tandis que dans les

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Alpes on enregistra une quantité d'eau dépassant en général 70 pour cent de celle qui tombe en moyenne. Dans certaines parties des Grisons, les précipitations accusèrent même un léger excédent (voir le message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale du 26 septembre 1947 concernant des mesures extraordinaires pour venir en aide aux régions atteintes par la sécheresse; FF 1947, III, 197 s., spécialement pp. 199 et 200).

La pénurie de fourrage sec indigène ne put de loin être compensée par des importations. Les pays européens qui nous entourent eurent également à souffrir de la sécheresse. Certains ne délivraient pas de licences d'exportation. Là où des exportations étaient autorisées, les prix étaient presque prohibitifs. Les importations en provenance de territoires d'outremer se heurtaient à des difficultés de transport et aussi au niveau des prix très élevés. Les cultivateurs des régions atteintes par la sécheresse, qui avaient un urgent besoin de fourrage sec pour maintenir l'effectif minimum de leur bétail, cherchèrent donc à s'en procurer dans les régions suisses moins éprouvées. De leur propre initiative, comme aussi à la demande de ces agriculteurs, les marchands de fourrages et les syndicats agricoles s'efforcèrent d'acheter le plus possible de foin aux ,,exploitations suisses ayant un excédent, notamment dans le Jura, le Tessin et les cantons de Genève et Vaud. Les marchands et même des cultivateurs se rendirent à grands frais dans ces régions favorisées pour s'enquérir des réserves disponibles.

2. Par ordonnance n° 9 du 3 février 1947 (RO 1947, 87), l'office fédéral de guerre pour l'alimentation avait abrogé les prix maximums de 18 francs pour le foin et de 19 francs pour le regain (par 100 kilos, en vrac) fixés dans l'ordonnance n° 8 du 29 octobre 1946 (RO 1946, 924), qui avait abrogé avec effet au 31 octobre 1946 les anciennes mesures de réglementation (RO 1946, 928). Dès lors, le libre jeu des lois économiques, celle en particulier de l'offre et de la demande, déterminait les prix. Lorsqu'on été 1947 se manifesta une diminution de l'offre, il s'ensuivit naturellement des augmentations de prix qui atteignirent finalement un niveau très haut par suite de la forte disparité entre l'offre et la demande et des frais d'acquisition particulièrement élevés. Au début de septembre 1947 furent
payés des prix de 30 à 33 francs, et peut-être même de 40 francs dans certains cas.

Pour enrayer cette évolution et rétablir partiellement l'ancien état de choses, la division de l'agriculture du département fédéral de l'économie publique résolut, après consultation des autorités cantonales, de rétablir l'ancienne réglementation et d'édicter de nouvelles prescriptions sur les prix maximums. Par ordonnance du 10 septembre 1947 (RO 1947, 1007), elle assujettit, avec effet au 15 septembre, la vente et l'acquisition de foin et de regain au régime de l'autorisation. Etaient qualifiés pour délivrer les autorisations les offices communaux de la culture des champs, les offices

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cantonaux ou la division de l'agriculture, selon que les exploitations du vendeur et de l'acheteur étaient situées dans la même commune, dans différentes communes d'un même canton ou dans différents cantons (art. 1er).

Les propriétaires de foin et de regain avaient l'obligation d'annoncer à l'office communal les stocks de foin et de regain disponibles pour la vente.

Cet office devait, de son côté, signaler à l'office cantonal les stocks pouvant être attribués à d'autres communes du canton. Les excédents du canton étaient mis à la disposition de la division de l'agriculture pour satisfaire aux besoins d'autres cantons (art. 2). Les gouvernements cantonaux eurent la faculté de déclarer obligatoire la livraison des stocks de fourrages ligneux dépassant les besoins normaux d'une exploitation (art. 3). Les prix maximums à la production furent fixés à 20 francs pour le foin et à 22 francs pour le regain et le foin de montagne (par 100 kilos, en vrac, livré à la station de chemin de fer la plus proche). Les gouvernements cantonaux furent autorisés à prescrire, d'entente avec la division de l'agriculture, des prix spéciaux pour les fourrages ligneux provenant des cantons des Grisons, du Valais et du Tessin. Un supplément de 3 francs par 100 kilos de fourrage pressé pouvait être compté pour le pressage et le placement de la marchandise. Pour les livraisons par wagon de marchandise pressée, la marge du commerce de gros fut fixée à 75 centimes. Pour le chargement de foin et de regain non pressés, le commerce pouvait facturer un supplément de 1 franc à titre de marge du commerce de gros et d'indemnité pour les travaux de chargement. Dans le commerce de détail, les frais suivants pouvaient être mis à la charge de l'acheteur: Pour la répartition de la marchandise prise au wagon 1 fr. 20 par 100 kg ; Pour la livraison au magasin du revendeur . . 2 francs par 1QO kg II ne pouvait être exigé d'autres frais supplémentaires (art. 5 à 8).

Les prescriptions concernant la formalité de l'autorisation et les prix maximums étaient applicables non seulement aux marchés conclus après l'entrée en vigueur de l'ordonnance, mais aussi aux contrats d'achat déjà signés à ce moment-là mais non encore exécutés (art. 9). Les contrevenants étaient passibles des sanctions prévues dans l'arrêté du Conseil fédéral du 17 octobre 1944
concernant le droit pénal et la procédure pénale en matière d'économie de guerre (BS 10, 826).

L'ordonnance de la division de l'agriculture du 10 septembre 1947 resta en vigueur jusqu'au 24 avril 1948 (RO 1948, 432).

3. Les mesures précitées n'eurent pas le succès espéré. Il ne fut pas possible de ramener les prix aux maximums fixés. Bien qu'on ne puisse déterminer l'étendue des contraventions commises, on peut admettre que de très nombreux cultivateurs atteints par la sécheresse durent payer des prix exagérés pour le fourrage sec dont ils avaient besoin. Comme ce fut

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le cas plus tard pouf les prix maximums des porcs de boucherie, les vendeurs d'une marchandise devenue rare succombèrent à la tentation de tirer profit de la situation en dépassant les prix maximums. En outre, de nombreux marchands dépassèrent les marges prescrites. Ces marges, il est vrai, ne suffisaient pas à couvrir les frais lorsqu'un marchand devait se rendre à plusieurs reprises dans les régions de production pour y chercher et acheter le foin disponible. On peut constater le même manque de discipline que dans les cas où furent dépassés les prix maximums applicables aux porcs de boucherie.

Un établissement fédéral, le sanatorium militaire de Tenero, a, lui aussi, dépassé les prix maximums dans la vente de foin (voir le dossier n° 1, pièce justificative 2). En outre, selon les affirmations, à vrai dire non prouvées, d'un marchand de foin, un département cantonal de l'agriculture aurait commis des dépassements de prix dans l'achat de foin et déclaré à cette occasion que chacun savait depuis longtemps qu'il était impossible d'obtenir du foin aux prix maximums en vigueur (voir le dossier n° 1, pièce justificative 36). Le chef de l'office central d'approvisionnement en fourrages d'un autre canton fit à des acheteurs de foin des déclarations qui suscitèrent l'impression qu'à la division fédérale de l'agriculture on.

était d'avis que les dispositions de l'ordonnance du 10 septembre 1947 ne pouvaient être appliquées (voir le dossier n° 5, pièce justificative 12).

Malgré le grand nombre d'infractions vraisemblablement commises, 140 dénonciations seulement parvinrent à l'office d'instruction pénale. La plupart provenaient de la section chargée de combattre le marché noir, subordonnée au secrétariat général du département de l'économie publique.

Les organismes auxquels étaient confiées les recherches dans les cantons de Saint-Gall et d'Unterwald-le-Haut furent les seuls qui procédèrent d'eux-mêmes à des investigations et dénoncèrent des inculpés. Les autres cantons se désintéressèrent de la poursuite de ces contraventions. Ce fut le cas notamment pour les cantons du Tessin, de Vaud et de Genève, qui mirent à la disposition des autres régions le foin qu'ils avaient en excédent.

Les agissements dénoncés firent l'objet de plaintes déposées dans la période allant de la fin janvier 1948 à juillet 1949. Le
23 juin 1949, lors de l'examen du rapport de gestion du Conseil fédéral, M. Gfeller, député au Conseil national, exprima le voeu que les dépassements de prix dans le commerce du foin ne fissent plus l'objet d'investigations et qu'on renonçât à renvoyer les inculpés devant le juge. Il alléguait que les prix avaient été dépassés sous l'empire de circonstances majeures, qu'il n'avait pas été possible d'obtenir au prix maximum le foin dont les cultivateurs avaient un urgent besoin et que même le foin importé, de moindre qualité, avait été payé à des prix plus élevés. Les prix n'auraient pu être maintenus à un niveau bas que si l'on avait séquestré les excédents. Or une telle mesure eût été difficilement exécutable.

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En revanche, l'association suisse des négociants eïi fourrage, à Zurich, dans une requête du 20 juin 1949, demanda au département de l'économie publique de ne pas entraver le cours normal de la procédure pénale. Elle déclarait que, par suite des exigences démesurées des producteurs, le commerce régulier, qui désirait s'en tenir aux prescriptions, avait été éliminé des affaires. Il serait injuste, en renonçant à la poursuite pénale, de placer les inculpés sur le même pied que les marchands honnêtes qui respectèrent les prescriptions et subirent de ce fait des dommages sensibles.

Par la suite, le chef du département de l'économie publique se résolut à soumettre au Conseil fédéral la question de l'opportunité de poursuivre les dépassements de prix sur les porcs de boucherie. Vu que des problèmes analogues se posaient au sujet de la poursuite des infractions aux dispositions fixant des prix maximums pour le foin, le département ordonna, le 18 juillet 1949, de suspendre également la poursuite de ces dernières infractions. Or, à cette date, une quinzaine d'inculpés ayant vendu ou acheté du foin dans le canton de Genève avaient déjà été renvoyés devant la cour pénale compétente ou même condamnés. Le 17 août 1950, le chef du département rendit enfin la décision suivante: 1. Il est renoncé à la poursiuite pénale des infractions concernant les dépassements des prix des porcs d'abattage, du foin et de la paille, commises dans les années 1947 et 1948. Il ne sera pas donné suite aux nouvelles dénonciations concernant des infractions analogues.

2. Le classement de ces affaires a lieu de façon interne, sans que les dénonciateurs ni les inculpés en soient informés.

Après un nouvel examen des faits, le chef du département acquit la conviction que les infractions les plus graves aux prescriptions concernant les prix maximums des porcs ne devaient pas rester impunies. Aussi donnat-il l'ordre de renvoyer devant le juge compétent tous les inculpés qui avaient dépassé les prix maximums d'un montant de 2000 francs ou plus.

Vu l'analogie existante, les poursuites furent continuées également dans les affaires dites de foin, mais sans être limitées aux cas où les dépassements de prix étaient supérieurs à 2000 francs.

Les enquêtes pénales furent ouvertes dans les années 1950, 1951 et 1952. La majeure partie des ordonnances de renvoi furent rendues dans la période allant de décembre 1951 à février 1953. Quatre-vingt-treize inculpés furent déférés au juge. A l'égard de trente-six autres inculpés, le secrétariat général du département classa l'affaire. Dans onze cas, l'office d'instruction pénale décida de ne pas ouvrir l'instruction pénale.

4. Les personnes qui avaient contrevenu à l'ordonnance de la division de l'agriculture du 10 septembre 1947 ne furent pas toutes traitées sur le même pied du point de vue du droit pénal et de la procédure pénale. Les inégalités constatées sont plus nombreuses et plus marquées que celles qui se produisent inévitablement dans chaque domaine de la poursuite

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pénale. Pour la dénonciation des contraventions, la pratique suivie par les cantons fut très variable. Les personnes dénoncées ne furent pas traitées non plus d'une façon uniforme, les différentes cours de première instance ayant apprécié très diversement la culpabilité des prévenus. Notamment sur le point de savoir dans quelle mesure ces derniers avaient agi en état de nécessité, les juges n'étaient pas tous du même avis. Le moment de la condamnation joua également un rôle. Les producteurs, marchands et consommateurs condamnés avant la suspension des poursuites pénales furent punis plus sévèrement que ceux dont la condamnation intervint dans les années 1951 à 1953.

La plupart des cultivateurs des régions affectées par la sécheresse qui payèrent des prix dépassant le maximum parce qu'ils étaient obligés d'aches ter du fourrage sec pour conserver un effectif minimum de bétail échappèrenà toute sanction. Il en est toutefois quelques-uns qui furent condamnét.

C'est ainsi que le juge unique de la troisième cour pénale condamna MM.

Stalder et Jost, cultivateurs, qui avaient acquitté un prix de 28 francs pour l'achat de 100 et 58 quintaux de foin, à des amendes de 300 et 200 francs, bien que leurs contraventions ne fussent pas plus graves, objectivement et subjectivement, que celles des acheteurs de foin demeurés impunis (voir les dossiers nos 11 et 1). Cette différence de traitement s'explique par le fait que les cas Stalder et Jost, à l'inverse des autres, furent vidés avant la suspension des poursuites pénales. Après la suspension, l'office d'instruction pénale et le secrétariat général du département furent d'avis que les faits imputables aux acheteurs de foin des régions éprouvées ne justifiaient pas l'ouverture d'une enquête et le renvoi desdits acheteurs devant le juge.

Les marchands de foin et les organes responsables des syndicats agricoles ne furent pas traités non plus sur un pied d'égalité. La deuxième cour pénale se contenta d'une dévolution partielle des gains illicites et de réprimandes, ayant admis que ces inculpés avaient, eux aussi, été plus ou moins contraints d'agir ainsi. Les autres cours prononcèrent, outre la dévolution à l'Etat des gains illicites, des amendes jusqu'à 1800 francs. Huit marchands de foin du canton du Tessin, qui avaient été dénoncés à l'office d'instruction
pénale par la section chargée de combattre le marché noir, échappèrent à des poursuites pénales en raison d'une omission du service de l'enregistrement (dossier n° 1); il en fut de même pour deux marchands de la Suisse allemande (dossier n° 9).

Le sanatorium militaire de Tenero, qui comptait parmi les producteurs de foin des régions privilégiées, échappa, par suite d'une omission, à des poursuites, bien qu'il eût été dénoncé pour avoir vendu 121 quintaux de foin à des prix excessifs. D'autres ,,producteurs du canton du Tessin ne furent pas inquiétés et ne furent pas dépistés non plus au cours de l'enquête ouverte contre les marchands. L'office d'instruction pénale renonça aussi

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à la poursuite de producteurs du canton de Vaud, bien que l'inculpé Steifen eût reconnu au cours de son interrogatoire avoir acheté du foin dans ce canton (dossier n° 4, pièces justificatives 12 et 64). Les producteurs de foin domiciliés dans le Jura bernois firent l'objet d'une instruction pénale et une partie d'entre eux furent renvoyés devant le juge. Le juge unique de la première cour pénales se borna à des réprimandes, tandis que celui de la sixième cour infligea des réprimandes et des amendes jusqu'à 20 francs.

Les producteurs du canton de Saint-Gali, du moins ceux qui furent poursuivis et renvoyés devant le juge, se virent infliger des réprimandes et des amendes jusqu'à 30 francs par le juge unique de la neuvième cour. A la différence de la plupart des autres producteurs de foin, ils furent condamnés à la restitution de leurs gains illicites. Le même juge unique condamna un producteur du canton d'Unterwald-le-Haut à une amende de 80 francs.

Quant aux producteurs du canton de Genève, ils furent punis assez sévèrement : Le juge unique de \& troisième cour prononça des amendes allant de 20 à 300 francs. Ces dernières condamnations intervinrent déjà en 1949.

Nous nous référons au isurplus à la liste des cas pénaux jointe au dossier et établie par le secrétariat général du département de l'économie publique.

5. Le 4 décembre 1953 et le 10 avril 1954, MM. Galli, Hochuli, Steffen, Zuber, Strahm et Renggli, qui avaient été condamnés par les cours pénales à des amendes de 80 à 1400 francs, pour avoir dépassé les prix lors de l'achat ou de la vente de fourrage sec, adressèrent à l'Assemblée fédérale des recours en grâce auxquels se joignirent les sociétés coopératives agricoles de Steffisburg, d'Unterwiggertal et de Kirchberg, ainsi que les maisons E. Steffen-Ris S.A., Utzenstorf, et Obst- und Landesprodukte A. G., Sursee. Ces trois sociétés et ces deux maisons de commerce avaient été déclarées solidaireTnent responsables du paiement de l'amende et des frais et condamnées à verser à la Confédération des montants de 200 à 2400 francs, représentant le bénéfice illicite. Dans son rapport du 7 mai 1954 (FF 1954, I, 857 s., spécialement p. 891), qui traitait les cinq cas précités, le Conseil fédéral arriva à la conclusion que les requêtes des condamnés ne remplissaient pas, quant au fond, les conditions
requises pour la grâce et qu'elles semblaient plutôt avoir le caractère de demandes d'amnistie. Ces considérations déterminèrent les cinq recourants prénommés et le condamné Renggli à retirer leurs recours en grâce.

Par la suite, le 14 juin et le 23 juillet 1954, ils adressèrent des demandes d'amnistie aux chambres fédérales. Une demande fut présentée également par M. Heiniger et la maison Heiniger S. A., à Herzogenbuchsee. Heiniger avait été condamné à une amende de 1800 francs, et la maison Heiniger déclarée solidairement responsable du paiement de l'amende et condamnée à verser à la Confédération une partie du bénéfice illicite, soit 5000 francs.

Les requérants demandent qu'il leur soit accordé une amnistie pour les amendes prononcées, les frais-et la dévolution à l'Etat des gains pré-

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tendument illicites; ils demandent en outre que les paiements effectués sous réserve leur soient remboursés.

A l'appui de ces conclusions et comme ils l'avaient déjà fait dans les recours en grâce, les requérants allèguent que les prescriptions de la division de l'agriculture sur les prix maximums ont été édictées beaucoup trop tard, à un moment où les prix avaient déjà atteint un niveau insolite et ne pouvaient plus être ramenés à un montant normal; que la marge de bénéfice imposée aux courtiers était insuffisante; que les producteurs des régions épargnées par la sécheresse avaient voulu profiter de la situation; que les cultivateurs des territoires sinistrés avaient été contraints de payer les prix exigés pour pouvoir obtenir le fourrage sec dont ils avaient un urgent besoin. Même le commerce des denrées fourragères, qui se situe entre acheteurs et vendeurs, n'a pu se soutraire à ces contingences exceptionnelles. Il a dû subir la pression des paysans et obtempérer à leurs exigences; il n'a pu abandonner à leur sort les paysans atteints par la sécheresse. Ce n'est pas dans un esprit de lucre, mais pour aider les paysans, que les commerçants ont acheté du foin pour le revendre. Il est naturel qu'ils aient voulu éviter des pertes en revendant le foin acheté. Vu les prix d'achat très élevés, les marchands n'ont pu réaliser de bénéfices ou n'obtinrent que des bénéfices minimes. La restitution des gains prétendus illicites apparaît donc comme injustifiée. Personne n'a respecté les prescriptions en vigueur, pas même le sanatorium militaire de Tenero et la direction de l'agriculture du canton de Berne. M. Weber, de Grasswil, député au Conseil des Etats, a lui-même acheté du foin à un prix dépassant le maximum prévu. Les autorités ont laissé entendre que des dépassements des prix maximums étaient tolérés. Les infractions n'ayant pas été poursuivies pendant un certain temps, les inculpés pouvaient admettre que les procédures avaient été abandonnées. Par leur décision d'ouvrir des poursuites pénales et dans l'exercice de ces poursuites, les autorités ont violé le principe de l'égalité devant la loi! Le traitement différentiel des producteurs de foin et des marchands de fourrages ne se justifie pas. Ces derniers ont été punis dix fois plus sévèrement, bien qu'ils eussent dû assumer des frais beaucoup plus
élevés. Ces inégalités de traitement et d'autres encore doivent être réparées par l'amnistie. L'amnistie se justifie aussi parce que les inculpés ont été privés d'une partie de leurs droits de défense par suite de la très longue durée de la procédure. Après la suspension des procédures pénales, ils s'étaient défaits d'une partie des pièces pouvant servir de preuve dans l'idée que l'affaire n'aurait pas de suite.

II

1. L'amnistie est mentionnée, avec la grâce, à l'article 85, chiffre 7, de la constitution, parmi les affaires qui sont de la compétence des chambres fédérales. Le droit fédéral ne connaît pas de prescriptions concernant la

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notion, l'objet, les conditions, les effets et la forme de l'amnistie. Ces questions ont toutefois été résolues en grande partie par la jurisprudence en matière de droit public.

2. Au sens du droit fédéral, l'amnistie est la renonciation par l'Etat à la poursuite pénale et à l'exécution de sanctions envers une pluralité de personnes non déterminées individuellement, mais dont les infractions sont caractérisées par des traits généraux communs. Cette renonciation a lieu pour des raisons importantes d'intérêt public (cf. : Jurisprudence des autorités administratives de la Confédération, fascicule 16, n° 31 ; Burckhardt, Kommentar, pp. 680, 683; Burckhardt, Droit fédéral, n° 2102, II).

L'amnistie se distingue de la grâce (dans le sens étroit du terme) par les caractéristiques susmentionnées. La grâce est uniquement la renonciation à l'exécution d'un jugement exécutoire, et non à la poursuite pénale avant le prononcé du jugement. La grâce déploie ses effets en faveur de personnes déterminées individuellement. Elle est accordée pour des motifs d'équité propres au requérant et non pour des raisons de bien public.

3. L'amnistie étant destinée à exclure ou à annuler, pour des raisons de bien public, des sanctions légales prévues pour des actes punissables, elle ne doit être accordée qu'à la condition que l'intérêt public commande de renoncer à poursuivre les délits considérés, et il faut en outre que cet intérêt public soit d'une importance tout à fait exceptionnelle. Il existe, en effet, d'autres intérêts publics exigeant précisément la poursuite des infractions et l'exécution clés sanctions prononcées. Il y a donc conflit d'intérêts. Lorsqu'il s'agit d'accorder une amnistie, on doit se demander lequel des intérêts publics opposés doit avoir le pas sur l'autre, l'intérêt à la condamnation et à l'exécution des sanctions ou celui à la renonciation à la poursuite des infractions. L'amnistie n'est possible et justifiée que lorsque cet intérêt-ci est, in concreto, plus fort que celui-là.

Cela n'est que rarement le cas. Il est de toute importance, dans un Etat régi par le droit, que la justice puisse suivre normalement son cours.

L'application de sanctions pénales est nécessaire à la réalisation du droit.

Les dispositions légales qu'on ne peut pas faire observer, au besoin par la force, et dont la violation
n'entraîne pas de sanction, courent le risque de demeurer lettre morte. Un emploi trop large de l'amnistie pourrait amener à ne plus prendre au sérieux les prescriptions légales en général ou celles d'un domaine particulier du droit. Le maintien du respect de la loi est trop important pour qu'il puisse être mis en jeu sans nécessité. La crainte de porter atteinte au principe de l'égalité devant la loi s'oppose aussi régulièrement à l'octroi de l'amnistie. De toute façon, les personnes bénéficiant d'une amnistie sont favorisées d'une manière injustifiée par rapport à celles qui doivent wubir une peine en raison d'infractions analogues commises antérieurement, .en même temps ou plus tard. D'autre part,

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l'amnistie met juridiquement sur pied d'égalité, d'une manière injustifiée en soi, des délinquants qui ont vraisemblablement tiré profit de leurs infractions et des personnes qui ont observé les prescriptions légales et renoncé à des bénéfices illicites.

Ces considérations de principe ont une telle importance qu'il n'est que peu de cas où les motifs en faveur d'une amnistie l'emportent. L'intérêt à la réalisation du droit, la sauvegarde du respect de la loi et de l'autorité de l'Etat, ainsi que l'égalité de traitement des individus ne doivent pas être sacrifiés à d'autres intérêts moins importants. Une amnistie ne doit être accordée que si elle s'impose de façon imperative. C'est avec raison qu'une grande retenue a été observée jusqu'à présent dans ce domaine (cf. Burckhardt, Kommentar, p. 683 s. ; Burckhardt, Droit fédéral, -n° 2102, II; Jurisprudence des autorités administratives de la Confédération, fascicule 16, n° 31 ; FF 1939, I, 116) et il est nécessaire qu'il en soit également ainsi à l'avenir.

L'amnistie n'est liée à aucune condition de forme particulière. C'est ainsi qu'il n'est notamment pas nécessaire que les contrevenants présentent une requête. Un intérêt public exige-t-il une amnistie, celle-ci peut alors -- et même doit -- être accordée d'office. Si quelques délinquants présentent une requête, l'amnistie ne doit pas être limitée aux seuls requérants, mais elle doit s'étendre aux autres personnes dont les infractions présentent les mêmes traits caractéristiques et que l'intérêt public commande de libérer de toute peine.

4. L'amnistie consiste essentiellement dans le fait que l'Etat renonce à poursuivre pénalement les délinquants. Depuis 1902, la jurisprudence de la Confédération en matière de droit public admet que des jugements rendus, mais non encore exécutés, peuvent aussi être l'objet d'une amnistie (cf.: Salis, Droit fédéral, vol. IV, n° 1731).

Il reste à savoir si l'Etat ne peut renoncer qu'à l'exécution des peines ou si les mesures prévues par la législation pénale et les frais de procès peuvent aussi faire l'objet de l'amnistie. Si l'autorité compétente décide, par la voie de l'amnistie, que des peines ne seront pas exécutées, c'est en raison d'importants intérêts publics primant l'intérêt que présente pour la justice la punition des infractions commises. Mais il est
également possible que d'importants intérêts publics s'opposent à l'exécution de mesures.

Il y a, à vrai dire, des mesures pour lesquelles l'amnistie ne se conçoit guère. Nous pensons en particulier à l'internement de criminels dangereux, nécessaire pour protéger la société (par ex. art. 14 et 42 CP). Le but de l'amnistie peut en revanche fort bien primer celui d'autres mesures, de sorte qu'il pourrait être alors indiqué de renoncer à l'exécution d'une mesure aussi bien qu'à l'exécution de la peine. Cette renonciation à une mesure peut entrer en considération précisément lorsqu'il s'agit, comme dans le cas qui nous occupe, de la dévolution à l'Etat d'avantages pécuniaires

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illicites ordonnée en vertu de l'article 10 de l'arrêté du Conseil fédéral du 17 octobre 1944 concernant le droit pénal et la procédure pénale en matière d'économie de guerre (RS 10, 826). On peut même admettre que, dans certains cas, l'exécution de la décision relative aux frais ne serait pas indiquée.

Enfin, il peut s'avérer nécessaire d'ordonner la radiation du jugement au casier judiciaire et de ne pas se contenter d'y inscrire l'amnistie, ainsi que le prévoit l'article 9, chiffre 7, lettre d, de l'ordonnance sur le casier judiciaire.

Jusqu'à présent, la jurisprudence n'a pas admis qu'une peine, une mesure ou une créance de frais déjà exécutées puissent être l'objet d'une amnistie (cf. : Burckhardt, Droit fédéral, n° 2104). Mais il ne devait s'agir que de peines dont l'exécution cause au condamné un mal qui, pour des raisons pratiques, ne peut plus être réparé. Quelle serait en effet la portée pratique d'une amnistie dans le cas où une peine privative de liberté, voire une condamnation à mort, a déjà été exécutée ? Si l'on conteste qu'il puisse y avoir amnistie en pareil cas, c'est manifestement à cause de l'impossibilité de réparer le mal causé au condamné. Mais si des considérations fondées sur l'intérêt public militent pour l'amnistie, il importe alors d'annuler non seulement les sanctions non encore exécutées mais aussi, si possible, celles qui le sont déjà. Les intérêts pris en considération en cas d'amnistie font en effet apparaître la sanction -- exécutée ou pas -- comme une mesure injustifiée. C'est pourquoi l'autorité compétente doit, logiquement, annuler un jugement déjà exécuté si cette annulation est encore possible.

Comme l'Etat est en mesure de rembourser les amendes perçues et les bénéfices illicites qui lui ont été dévolus, il peut en tout temps étendre les effets de l'amnistie aux amendes et à la dévolution des bénéfices illicites.

Cela vaut également pour les frais de procès. Des raisons d'équité disposent aussi en faveur de cette solution : le condamné qui, en s'acquittant promptement, a prouvé sa volonté d'expier ne doit, si possible, pas être traité plus mal que celui qui a causé des difficultés à l'autorité d'exécution.

Si, dans un cas concret, il existe des motifs d'accorder l'amnistie, l'autorité compétente doit décider dans quelle mesure elle entend faire usage de
son pouvoir dans les limites exposées ci-dessus. Pour prendre cette décision, comme pour déterminer si les conditions de l'amnistie sont remplies, elle doit peser les différents intérêts en présence. L'amnistie étant une immixtion extraordinaire dans le cours de la justice, elle ne devrait pas aller plus loin que ne l'exige la protection des intérêts publics à considérer. Cette remarque vaut, dans le cas concret, tant pour les peines que pour les mesures et frais judiciaires.

5. L'amnistie a pour effet de limiter la compétence des autorités de répression pénale. Cette limitation vaut pour les cas englobés dans l'amnistie.

Son étendue varie selon le stade dans lequel la procédure pénale se trouve et selon la teneur de la décision octroyant l'amnistie. L'amnistie limite, quant aux jugements rendus mais non encore exécutés, le pouvoir de l'autorité

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chargée de l'exécution des peines. Dans les cas non encore jugés, elle restreint le pouvoir des tribunaux pénaux ou même, suivant l'état de la procédure, celui des autorités d'instruction et de renvoi. La décision d'amnistie peut également prévoir, dans le cas des jugements déjà exécutés, l'obligation pour l'Etat de rembourser les amendes, les bénéfices qui lui ont été dévolus et les frais de procès.

En revanche, il est, à notre avis, faux de prétendre que l'amnistie a pour effet d'effacer les délits. La commission d'un délit est un fait qui, comme tel, ne peut plus être effacé. L'amnistie ne peut que modifier les conséquences juridiques normalement attachées à cet acte. C'est pourquoi il est faux de vouloir motiver l'obligation de rembourser les amendes déjà payées en prétendant que le délit est effacé. L'amnistie ne crée pas automatiquement l'obligation de rembourser les amendes payées; cette obligation n'existe que si la décision d'amnistie la prévoit expressément.

6. C'est l'Assemblée fédérale qui est compétente pour accorder une amnistie. Contrairement à la règle à suivre pour la grâce, les deux chambres doivent siéger séparément. La décision d'amnistie revêt la forme d'un arrêté fédéral simple. En règle générale, il est recommandable de le publier dans le Recueil officiel des lois et ordonnances de la Confédération.

III

1. Les requérants demandent que l'on renonce à l'exécution de jugements pénaux touchant l'économie de guerre. La demande est formulée en faveur de personnes déterminées qui transgressèrent, en automne 1947 et en hiver 1947/1948, les dispositions de l'ordonnance de la division de l'agriculture du 10 septembre 1947 réglant le ravitaillement du pays en foin et en regain. Les allégations des requérants s'appliquent également à d'autres personnes qui se rendirent coupables d'infractions du même genre et qui, même si elles n'ont pas présenté de demandes, doivent être traitées comme les requérants. S'il existe un intérêt public de renoncer à l'exécution de la peine, on ne comprendrait pas que les requérants seuls bénéficient de cette mesure, à l'exclusion de ceux qui commirent des infractions semblables. Bien que les demandes aient été présentées par des personnes déterminées ou en faveur de personnes nommément désignées, il y a lieu d'examiner si, pour des raisons majeures d'intérêt-public, l'Assemblée fédérale doit décider la renonciation à la poursuite pénale de toutes les personnes non désignées individuellement qui ont commis des infractions de même nature. Les requêtes des prénommés présentent ainsi les caractères de demandes d'amnistie.

2. Comme dans le cas des prix maximums des porcs, on peut se demander si des fautes ont été commises par les autorités dans l'accomplissement de leurs tâches, dans l'adoption et l'application des prescriptions

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en vigueur et en particulier dans l'exécution des poursuites pénales, et si, pour cette raison ou une autre, l'amnistie devrait être accordée dans l'intérêt du bien public.

A part les prétendues i'autes qui auraient été commises par les autorités, les requérants n'invoquent pas de motifs en faveur de l'amnistie.

De tels motifs ne ressortent d'ailleurs pas non plus du dossier. Trois questions se posent à propos des fautes alléguées: 1. Des fautes furent-elles commises ? 2. Est-il possible de les réparer par une amnistie ? 3. La réparation par le moyen de l'amnistie se justifie-t-elle objectivement ?

a. Dans l'adoption et l'application des prescriptions concernant l'approvisionnement du pays en foin et en regain et spécialement dans l'exécution des poursuites pénales, les autorités ont-elles commis des fautes qui pourraient justifier une amnistie ?

aa. On doit se demander en premier lieu s'il eût été indiqué de renoncer à la poursuite des infractions en raison d'éléments subjectifs ou parce qu'il n'y avait qu'une faute légère.

Il est indéniable que de nombreux inculpés ont agi sous l'empire d'une certaine contrainte. C'est le cas notamment pour les cultivateurs des régions affectées par la sécheresse qui avaient un urgent besoin de fourrage sec pour nourrir leur cheptel et qui ne pouvaient se le procurer qu'en payant un prix dépassant le maximum autorisé. Considérant qu'il s'agissait là d'une faute légère, l'office d'instruction pénale renonça généralement à l'ouverture d'une enquête ; dans les cas où une enquête fut ouverte, le secrétariat général renonça au renvoi du délinquant devant le juge. Selon les pièces du dossier, seuls deux cultivateurs domiciliés dans les régions touchées furent condamnés pour achat de fourrage sec à des prix excessifs.

Il est permis d'admettre que, pour des raisons subjectives, la poursuite des infractions ne se justifiait pas dans ces cas.

On peut admettre aussi que les infractions commises par les marchands de foin l'ont été, dans une certaine mesure, par contrainte. Par marchands de foin nous entendons les maisons de commerce, les marchands occasionnels et les syndicats agricoles qui s'entremettaient entre le producteur et le consommateur pour la livraison de fourrage sec. Les requérants rendent vraisemblable que les cultivateurs des régions atteintes exercèrent
une forte pression sur le commerce pour obtenir à tout prix le fourrage sec dont ils avaient un urgent besoin et que les marchands de fourrages ne pouvaient guère abandonner leurs clients à leur sort.

Les demandes d'amnistie relèvent également que la situation a pris un caractère aigu parce que la division de l'agriculture a édicté ses prescriptions trop tard, soit à un moment où l'on ne pouvait plus ramener à un niveau normal les prix qui étaient déjà montés en flèche. Si l'on considère rétrospectivement l'évolution de la production et de la situation

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du marché au cours de l'année 1947, il est clair qu'il eût mieux valu limiter les prix du foin en été déjà, lorsque apparurent les premiers symptômes d'une forte hausse des prix. Le rapport entre l'offre et la demande aurait pu toutefois évoluer de telle sórte que l'adoption de prescriptions fédérales se serait révélée superflue. On ne peut aucunement reprocher à la division de l'agriculture d'avoir espéré encore au mois d'août 1947 une normalisation des conditions atmosphériques et d'avoir attendu jusqu'au mois de septembre pour édicter des prescriptions. Si elle avait édicté prématurément des prescriptions, qui se fussent révélées inutiles par la suite, des reproches ne lui auraient certainement pas été épargnés non plus.

Instaurés tardivement, les prix maximums ne pouvaient guère être appliqués d'une façon stricte. En fixant d'un jour à l'autre ou dans un délai de quelques jours des prix maximums officiels bien inférieurs aux prix formés jusqu'alors par le rapport entre l'offre et la demande, on créait inévitablement des injustices. Les vendeurs et acheteurs qui, avant l'instauration des prix maximums, étaient convenus en toute liberté des prix usuels, étaient ainsi contraints d'appliquer des prix plus bas quand le marché n'était exécuté qu'après l'entrée en vigueur des prescriptions. Il s'agit là d'atteintes à la liberté contractuelle, qui peuvent paraître nécessaires pour arriver au but visé, mais qui lèsent d'importants intérêts. Les atteintes à la liberté des contrats eussent été moins nombreuses et auraient eu, en l'espèce, des effets moins sensibles si les pouvoirs publics avaient fixé les prix maximums à un moment où les prix pratiqués librement sur le marché n'avaient pas encore dépassé fortement le niveau normal.

Ceux qui traitent les affaires de fourrage sec entre les producteurs et les consommateurs devaient éprouver tout particulièrement les rigueurs du nouveau régime. Si le marchand avait acheté le foin au producteur avant le 15 septembre 1947 et si le contrat avait été exécuté également avant cette date, le courtier était autorisé, mais aussi contraint par les circonstances, à payer le prix du marché, déjà très élevé. S'il revendait la marchandise au consommateur postérieurement au 15 septembre ou que le marché ne fût exécuté qu'après cette date, il était obligé de la céder au
prix maximum entré en vigueur dans l'intervalle, bien que ce prix pût être inférieur au prix de revient. L'ordonnance de la division de l'agriculture ne prévoyait pas de prix maximums spéciaux pour la période transitoire, alors que dans tous les autres domaines assujettis au contrôle des prix s'appliquait le principe selon lequel les prix maximums devaient suffire à couvrir les frais usuels dans la branche du vendeur. Comme des prix maximums relativement bas avaient été fixés à un moment où les prix pratiqués librement étaient déjà beaucoup plus élevés, et qu'il était impossible d'obtenir des dérogations dans les cas où un prix d'achat élevé avait été payé avant l'institution des mesures officielles, de nombreux marchands se trouvèrent dans la nécessité, pour ne pas subir de pertes, de dépasser

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les prix maximums pour le foin acheté avant le 15 septembre, mais revendu après cette date.

Il y a lieu d'examiner également si la division de l'agriculture, en fixant des prix maximums trop bas, n'a pas incité les intéressés à les dépasser.

Ce n'est évidemment pas le cas pour les prix payés aux producteurs. Les nouveaux prix maximums de 20 et 22 francs dépassaient de 2 et 3 francs les prix de 18 et 19 francs qui étaient encore obligatoires au début de février 1947. Selon les déclarations du département de l'économie publique, il ne fait aucun doute qu'ils suffisaient à couvrir les frais usuels des producteurs.

Les nouveaux prix étaient en outre, selon l'opinion incontestée du département de l'économie publique, en relation équitable avec les prix payés alors pour le lait et les produits laitiers. Les marges du commerce de gros et de détail prévues auraient également suffi à couvrir les frais de courtage, si ceux-ci n'avaient pas dépassé le taux des frais usuels calculés ordinairement pour l'achat et la vente de foin. Or, dans l'année de disette de 1947, il n'était guère possible d'acheter du foin en quantités suffisantes à des frais aussi bas. Les marchands ne pouvaient pas commander les quantités nécessaires -- comme c'est généralement l'usage -- en écrivant ou en téléphonant simplement au producteur. Ils devaient au préalable s'enquérir des stocks disponibles, ce qui nécessitait de multiples démarches. Ils étaient en général obligés d'envoyer leurs commis dans les territoires favorisés ou d'y aller personnellement, afin de se rendre compte des possibilités d'achat.

Lorsque certains courtiers entreprirent des prospections étendues, les autres durent en faire autant s'ils ne voulaient pas être éliminés du marché et voir tarir leurs ressources. Il est clair que, dans ces conditions, les courtiers eurent des débours beaucoup plus élevés qu'en temps normal, et l'on peut admettre leurs dires quand ils prétendent que, pour approvisionner en foin les cultivateurs des régions éprouvées, ils furent obligés de dépasser les marges du commerce calculées pour des conditions normales.

Les marchands furent également contraints, d'une manière générale, de payer pour le fourrage sec un montant plus élevé que le prix à la production fixé par l'autorité, les producteurs des régions favorisées entendant exploiter
la situation à leur profit. Or ces derniers ne furent pas empêchés efficacement par les autorités de dépasser les prix maximums. Des services publics contribuèrent même au relâchement de la discipline. Le sanatorium militaire de Tenero -- ainsi que le constatait un rapport de la section chargée de combattre le marché noir --· donna d'emblée le mauvais exemple en vendant du foin à des prix excédant ceux qui étaient prescrits. Des administrations publiques déclarèrent formellement ou donnèrent à entendre qu'il ne fallait pas prendre trop au sérieux les prescriptions en vigueur.

Dans plusieurs cantons, les organes commis à la recherche des infractions aux prescriptions relatives à l'économie de guerre restèrent passifs. Dans d'autres, la procédure répressive n'eut pas l'efficacité voulue parce que les infractions, par suite de l'insuffisance du personnel ou en raison de l'orga-

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nisation quelque peu compliquée de la procédure pénale, ne purent être jugées avec la célérité nécessaire au maintien de la discipline. Le relâchement de cette dernière contribua à la création d'un état de contrainte.

Dans ces conditions, on peut se demander si les marchands de fourrage et les cultivateurs des régions sèches étaient assez coupables pour être renvoyés devant le juge et se voir appliquer les sanctions pénales. Vu les prix à la production et les frais élevés du commerce, il convient de se demander aussi s'il était juste d'exiger des courtiers la restitution d'une partie des gains illicites. Selon l'avis du Conseil fédéral, les juridictions répressives auraient pu prendre sur elles de renoncer à la poursuite non seulement à l'encontre des cultivateurs des régions touchées, mais aussi à l'encontre des marchands. Il s'agit toutefois là de questions d'appréciation, sur lesquelles on peut fort bien différer d'avis.

bb. Les autorités de poursuite, d'instruction et de jugement ont-elles traité les infractions d'une façon si différentielle qu'on puisse y voir une faute dont il convient de tenir compte dans l'appréciation des demandes d'amnistie ?

Des inégalités se produisent dans tous les domaines de la poursuite pénale. D'abord, seules sont poursuivies -- il faut en prendre son parti -- les infractions qui parviennent à la connaissance des autorités de répression, les autres échappant aux sanctions. Malgré les efforts déployés par les agents de la force publique, il est impossible de découvrir tous les délits. Or, dans les cas qui nous occupent, les organes cantonaux chargés des recherches n'ont pas toujours fait les démarches qui s'imposaient. Les infractions perpétrées par les cultivateurs dans les territoires privilégiés et qui eussent justifié une sanction n'ont en tout cas pas été recherchées avec le zèle voulu. En revanche, on ne saurait voir une faute dans le fait que de nombreux cantons se désintéressèrent de la poursuite des infractions reprochées aux cultivateurs des régions éprouvées et aux marchands de fourrages ;. ils estimaient qu'eu égard à la situation existante, les infractions n'étaient pas suffisamment graves pour justifier des poursuites. D'autres cantons et la section chargée de combattre le marché noir, subordonnée au secrétariat général du département de l'économie
publique, déployèrent une activité louable pour la recherche des contraventions. En ce qui concerne tout au moins les marchands -- de même que les cultivateurs des régions privilégiées -- on pouvait estimer en effet que les conditions pour la poursuite pénale étaient réunies. Quant à savoir si, dans un cas concret, il y a une culpabilité assez grave, c'est là essentiellement une question d'appréciation où il est souvent difficile de se déterminer entre une réponse affirmative ou négative. Il est inévitable que des différences d'opinions se manifestent parmi les agents chargés des recherches.

Il serait aussi injuste, pour la même raison, de voir une faute dans le fait que les cas ont été tranchés différemment par les diverses cours pénales Feuille fédérale. 107e année. Vol. I.

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de première instance. De telles différences se manifestent dans tous les domaines où les poursuites pénales sont confiées à plusieurs juridictions coordonnées l'une à l'autre. Dans le cas des contraventions aux prescriptions fixant des prix maximums pour le foin, les inégalités furent, on ne peut le contester, particulièrement nombreuses et frappantes.

Les inégalités ne découlaient pas toutes d'une appréciation différente des infractions par les diverses autorités. Il s'en produisit également parce que certaines juridictions changèrent peu à peu d'avis sur la gravité des délits commis. C'est ainsi qu'avant la suspension des procédures par le département de l'économie publique, la pratique suivie pour l'ouverture de l'enquête pénale et pour le renvoi des délinquants était plus sévère qu'après la décision ordonnant la réouverture des procédures. Au début, on estimait qu'il y avait lieu de poursuivre non seulement les cultivateurs des régions favorisées et les marchands, mais encore, dans certaines conditions, les cultivateurs des régions éprouvées, alors que plus tard on arriva à la conclusion quei ce dernier groupe d'inculpés ne méritaient pas d'être punis.

En outre, certaines inégalités furent le résultat d'omissions. C'est ainsi que les organes responsables du sanatorium militaire de Tenero et huit marchands de foin du canton du Tessin échappèrent à des poursuites en raison d'une omission commise dans le service de l'enregistrement de l'office d'instruction pénale. Une omission pareille se produisit dans la procédure dirigée contre deux marchands de foin domiciliés en Suisse allemande. Ledit office renonça également à la poursuite de producteurs du canton de Vaud, bien que le dossier fît ressortir que du foin avait été acheté dans ce canton.

Des inégalités de traitement se produisirent enfin du fait que les autorités, interrogées au sujet des cas concernant le dépassement des prix du foin, ne donnèrent pas toujours des réponses pareilles à celles qui furent données à des questions analogues par les organes chargés d'instruire les cas de dépassement des prix maximums applicables aux porcs. Ces dernières infractions ne furent poursuivies que lorsque l'inculpé avait dépassé de 2000 francs les prix maximums. Les cours pénales ne prononcèrent la dévolution des gains illicites que pour les montants
dépassant cette limite.

Elle ne fut d'ailleurs prononcée qu'à l'encontre des producteurs. Dans les cas concernant le dépassement des prix du foin, la poursuite pénale ne dépendait pas d'un montant délictueux minimum. Des gains illicites furent dévolus à l'Etat, même dans des cas où ils n'atteignaient pas le montant de 2000 francs. Les cours pénales obligèrent non seulement les producteurs, mais encore les courtiers à restituer les gains illicites. Cette inégalité de traitement des cas concernant les prix du foin et des porcs s'explique en partie par les difficultés de fait que rencontrait l'application uniforme

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de principes déterminés, en partie aussi par l'attitude inconséquente des autorités.

ce. Enfin on peut se demander s'il n'aurait pas fallu renoncer à la poursuite pour des motifs de procédure.

De même que dans les cas de dépassement des prix fixés pour les porcs de boucherie, les pouvoirs publics eurent pendant longtemps une attitude hésitante. Après avoir décidé, le 18 juillet 1949, que les infractions aux prescriptions fixant les prix maximums pour le foin ne seraient plus poursuivies jusqu'à nouvel ordre, le département de l'économie publique résolut, le 17 août de l'année suivante, avec l'accord du Conseil fédéral, de renoncer définitivement à la répression des infractions qui n'avaient pas encore été déférées au juge. Malgré cette renonciation, le département ordonna plus tard la reprise des procédures, le Conseil fédéral l'ayant entre-temps autorisé, dans l'affaire des porcs, à revenir sur sa décision du 17 août 1950.

La décision du 17 août 1950 était une sorte de «suspension interne»; le département de l'économie publique avait donné l'ordre au secrétariat général et à l'office d'instruction pénale de classer ces affaires «de façon interne, sans que les dénonciateurs ni les inculpés en soient informés».

Mais on doit admettre qu'une partie au moins des inculpés eurent connaissance de cette décision, car elle avait été provoquée par une intervention de milieux proches des inculpés, et il n'est pas probable qu'ils n'aient pas été informés du succès de leur démarche. Dans leur demande d'amnistie, du 14 juin 1954 (p. 9), MM. W. Galli et consorts déclarent avoir «entendu dire» qu'on avait envisagé pendant plusieurs années au département de l'économie publique de ne pas poursuivre les instructions pénales en cours.

Mais même si les intéressés n'en ont pas été informés, la décision des pouvoirs publics se révélait en tout cas dans leur comportement. Les infractions ayant été commises pendant l'automne 1947 et l'hiver 1947/1948, les contrevenants qui en août 1950, soit près de trois ans après, n'avaient encore été ni poursuivis ni renvoyés devant les tribunaux pouvaient sans doute admettre que le département avait effectivement classé ces affaires.

Cette présomption s'imposait aussi du fait que divers motifs d'ordre matériel justifiaient l'abandon de toute poursuite pénale d'une grande partie
au moins des infractions. Dans sa demande d'amnistie du 23 juillet 1954, M. Renggli déclare n'avoir pas été peu étonné de recevoir en 1952, après quatre ans, une communication du département de l'économie publique l'informant de la clôture de l'instruction et, en avril 1953, une citation à comparaître devant une cour pénale de l'économie de guerre.

L'arrêté du Conseil fédéral du 17 octobre 1944 concernant le droit pénal et la procédure pénale en matière d'économie de guerre (RS 10, 826) ne connaît ni la suspension interne de la procédure, ni le classement des dénonciations.

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Lorsque l'office d'instruction pénale estimait que les agissements dénoncés ne pouvaient donner lieu à une peine ou que les conditions légales d'une poursuite n'étaient pas remplies, il devait -- en vertu de l'article 78 -- décider de ne pas ouvrir d'instruction. Lorsque, l'instruction étant déjà ouverte, les conditions légales de la poursuite pénale n'étaient pas réalisées, le secrétariat général devait suspendre la procédure en vertu de l'article 84.

Tant les décisions de ne pas ouvrir la procédure pénale que celles de la suspendre devaient être communiquées aux intéressés. Les ordonnances de classement acquéraient force de chose jugée formelle et matérielle ; elles ne pouvaient pas être attaquées, et le secrétariat général ne pouvait les modifier que dans le cas prévu par l'article 127, c'est-à-dire si de nouveaux faits ou moyens de preuve décisifs étaient découverts.

Si le secrétariat général avait décidé la suspension des procédures conformément à l'arrêté du Conseil fédéral du 17 octobre 1944 et communiqué ses décisions aux intéressés comme il en avait l'obligation, il serait clairement établi qu'en l'absence de motifs de revision il n'aurait pas pu revenir ensuite sur ses décisions. En revanche, il n'était pas expressément interdit de rapporter les décisions internes de suspension de la procédure, décisions qui n'étaient pas prévues et n'avaient pas été notifiées dans les formes aux intéressés. Il n'existait pas non plus de disposition légale interdisant formellement de modifier des décisions du département concernant la non-ouverture d'instructions pénales. Mais l'arrêté du Conseil fédéral du 17 octobre 1944 n'autorisait pas non plus la modification de telles décisions. L'article 78, 2e alinéa, ne concerne que la non-ouverture de l'instruction par l'office d'instruction pénale. L'arrêté du Conseil fédéral susmentionné ne disait pas si le département pouvait revenir sur ses décisions de ne pas ouvrir d'instruction. Il ne disait rien non plus des décisions «internes» de suspendre la procédure, décisions qu'il faut considérer comme inadmissibles.

Si ces décisions étaient des décisions administratives ordinaires, on pourrait, en l'absence d'une disposition légale disant expressément le contraire, les modifier si des intérêts dignes de protection le rendaient nécessaire et si d'autres intérêts
plus importants, par exemple celui de la sécurité juridique, ne s'y opposaient pas. On ne peut, il est vrai, pas poser comme règle valable en toutes circonstances que l'intérêt de la sécurité juridique prime tous les autres. Toutefois, ces décisions internes de ne pas ouvrir d'instruction et de suspendre la procédure ne sont pas des décisions de droit administratif, mais bien de procédure pénale. Malgré cela, il convient d'examiner, par la voie de l'interprétation, en partant des mêmes principes, la question de leur modification, que le droit positif ne règle pas. Dans la procédure pénale, l'intérêt de la sécurité juridique, qui s'oppose à la modification, a plus d'importance qu'en droit administratif.

Lorsqu'une procédure pénale est terminée par une décision de suspension favorable à l'accusé, l'affaire doit normalement en rester là. Toute procé-

95â dure pénale menace d'importants intérêts personnels du prévenu, et lui cause habituellement de sérieuses inquiétudes, même lorsque l'accusation se révèle infondée. Cette situation doit une fois prendre fin. On ne peut pas laisser indéfiniment le prévenu à la merci de l'opinion changeante de l'autorité chargée de la poursuite pénale. Il doit pouvoir compter que les décisions de l'autorité ont été prises après mûre réflexion et ne seront pas modifiées tant que de nouveaux faits ou moyens de preuve n'auront pas été découverts. L'intérêt de la sécurité juridique prime ici régulièrement les autres intérêts pouvant militer pour une modification. Cela étant, la décision de suspension a, comme un jugement d'acquittement, en quelque sorte le caractère d'une promesse faite au prévenu de ne plus le poursuivre à l'avenir pour le fait incriminé. La même remarque vaut pour le cas où le département décide de ne pas ouvrir l'instruction.

Ces considérations, qui militent avant tout en faveur du caractère définitif des décisions prises et communiquées conformément aux dispositions légales, valent également pour des décisions «internes» contraires aux prescriptions en vigueur, lorsqu'il y a lieu d'admettre qu'elles sont parvenues à la connaissance des prévenus. Il serait injuste que les pouvoirs publics puissent s'accorder une plus grande liberté en donnant à leurs décisions ou à la communication de celles-ci une forme non prévue par la loi. Au moment où une partie au moins des prévenus connaissaient probablement déjà sa décision du 17 août 1950, le département a requis les poursuites pénales. Ce faisant, il a commis une erreur, de même que le Conseil fédéral, qui autorisa le département à modifier sa décision du 17 août 1950 en ce qui concerne l'affaire, analogue, dite des porcs d'abattage. Il aurait fallu renoncer à cette modification en considération de la sécurité juridique, même si la décision s'était révélée matériellement fausse. Puisque des motifs de droit pénal militaient pour l'arrêt des poursuites au moins dans un grand nombre de cas, il y avait d'autant moins de raisons de reprendre ces poursuites.

b. Est-il effectivement possible de réparer ces fautes en accordant une amnistie ?

On pourrait, sans hésiter, répondre aifirmativement si des poursuites pénales avaient été exercées et si des infractions
avaient été punies alors que les conditions requises n'auraient pas été remplies. Si un individu est poursuivi et frappé d'une amende ou d'une autre sanction sans que l'élément subjectif du délit ou telle autre condition soit réalisé, ou même s'il eût été justifié de renoncer à la poursuite en raison de la légèreté de la faute, une réparation est toujours possible. La condition en est toutefois que la peine ne soit pas encore exécutée ou que, par sa nature, elle puisse encore être annulée après son exécution.

La réparation est également possible lorsque la poursuite n'aurait pas dû avoir lieu ou n'aurait pas dû être continuée pour des raisons de procédure,

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mais -- comme c'est le cas en l'espèce -- a été exercée bien que le département ait décidé la suspension ou le classement et qu'on doive admettre que cette décision est parvenue à la connaissance des contrevenants. Les peines infligées au cours de poursuites exercées à tort peuvent être annulées par la suite au moyen d'une amnistie, si leur nature le permet.

On peut cependant se demander si l'amnistie est un moyen propre à effacer les inégalités de traitement qui se sont produites dans les cas dont il s'agit ici. Si ces inégalités consistent dans le fait qu'un certain nombre de cas ont donné lieu à des sanctions alors que d'autres cas analogues n'y ont pas donné lieu, ou que certaines infractions ont été punies plus sévèrement que d'autres, il est en soi possible de rétablir par une amnistie l'égalité de traitement entre les infractions qui furent punies et celles qui ne le furent pas, entre celles qui furent punies plus sévèrement et celles qui le furent moins. Un tel nivellement n'est cependant justifié que lorsque le traitement moins sévère apparaît juste et le traitement plus sévère, inéquitable. C'est alors seulement que la faute résidant dans l'application de traitements différents peut être corrigée par une amnistie.

Si, en revanche, une peine sévère était justifiée, l'octroi d'une amnistie serait une deuxième faute qui viendrait s'ajouter à celle qui réside dans la punition moins sévère de certains contrevenants. L'égalité de traitement devrait alors être réta.blie par une punition plus sévère des infractions jugées avec trop de clémence, supposé que la procédure permette encore une telle modification.

A notre avis, les inégalités dans la poursuite des infractions aux prescriptions sur les prix maximums du foin consistent dans le fait que certains cas furent traités équitablement, d'autres trop sévèrement et d'autres pas assez. Ont en particulier été traités trop sévèrement les deux agriculteurs résidant dans les contrées où la sécheresse avait sévi et qui, malgré l'état de contrainte dans lequel ils s'étaient trouvés, furent condamnés pour avoir acquis du foin à des prix excessifs, alors que d'autres agriculteurs parmi lesquels le parlementaire mentionné par les requérants, ne furent, à raison, pas poursuivis, eu égard à cet état de contrainte. Il serait ici tout à fait possible de
réparer la faute à l'origine de l'inégalité de traitement en accordant une amnistie aux deux agriculteurs en question. Et si l'on est d'avis que les marchands de foin furent aussi punis trop sévèrement, l'amnistie serait, dans leur cas également, un moyen propre à rétablir l'égalité. L'amnistie permettrait aussi d'arriver dans l'affaire du foin à une solution semblable, en ce qui concerne la dévolution à l'Etat des bénéfices illicites, à celle adoptée dans l'affaire des porcs, pourvu que la pratique suivie dans ce cas puisse se défendre. En revanche, il ne serait pas possible de rétablir par une amnistie l'égalité juridique en faveur des agriculteurs des contrées où il y eut surproduction. En effet, ceux d'entre eux qui ont été punis d'une manière relativement sévère ont été traités comme

955 ils le méritaient puisqu'ils ne pouvaient invoquer aucun état de nécessité.

Il est injuste que de nombreux agriculteurs de cette catégorie aient échappé à toute poursuite ou été frappés de peines relativement douces. Dans ces cas, une amnistie n'effacerait pas la faute commise, mais elle en serait une seconde.

c. Convient-il de corriger par une amnistie, dans les limites des possibilités existantes, les fautes commises par les pouvoirs publics ?

Une telle correction n'est justifiée que lorsqu'elle apparaît nécessaire en raison d'un intérêt public et que cet intérêt l'emporte sur ceux qui s'opposent à l'amnistie.

Un important intérêt public commande sans doute que les décisions des autorités pénales soient matériellement justes. Si elles prononcent des peines sans que les conditions exigées par la loi soient remplies et si elles violent même le principe de l'égalité devant la loi, une correction est en soi tout à fait souhaitable. Un intérêt public encore plus important exige toutefois que l'autorité fasse preuve de retenue en octroyant des amnisties.

Chaque amnistie est une atteinte au cours normal de la justice et met en danger non seulement l'autorité des tribunaux pénaux, mais aussi celle de l'Etat et du droit en général. Elle porte également atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. Celui-ci interdit à l'Assemblée fédérale d'exercer, en traitant des demandes d'amnistie, les fonctions d'une cour pénale suprême. Le fait qu'un certain nombre de cas pénaux auraient été jugés d'une manière incorrecte et ne respectant pas le principe de l'égalité devant la loi ne doit donc pas être le seul motif d'accorder une amnistie.

Il appartient en principe aux autorités pénales, et plus particulièrement à l'autorité de dernière instance, d'établir si, dans un cas concret, les conditions requises pour la punition du coupable sont remplies et s'il se justifie de traiter certains cas différemment des autres. Pour des raisons de principe, l'Assemblée fédérale devrait donc renoncer, en l'espèce, à corriger des jugements pénaux par une amnistie fondée sur le simple fait qu'on peut soutenir qu'un état de contrainte a exclu toute culpabilité chez les contrevenants ou l'a diminuée dans une mesure telle que des sanctions n'auraient pas dû être appliquées. Même si l'Assemblée fédérale est d'avis qu'il
y a eu inégalité de traitement, cela ne suffit pas pour motiver une amnistie. De telles considérations ne peuvent jouer en faveur d'une amnistie qu'en concours avec d'autres considérations fondées sur l'intérêt public.

Dans le cas particulier, le bien-fondé des jugements n'est pas seul en question. Les pouvoirs publics ont commis une faute de procédure pénale en rouvrant des poursuites dont la suspension, décidée à titre interne, était connue des prévenus. Il peut sembler à première vue que cette faute de procédure soit moins grave qu'un traitement matériellement inéquitable et qu'aucun intérêt public quelconque ne puisse être invoqué en faveur

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d'une correction. Envisager les choses de cette façon, ce serait toutefois méconnaître que, parvenue à la connaissance des intéressés, la décision interne du département pouvait être interprétée -- tout comme une décision notifiée dans les formes prescrites -- en ce sens qu'ils ne seraient plus poursuivis pour les faits incriminés. La modification de la décision du département du 17 août 1950 et la reprise des poursuites firent apparaître une certaine irrésolution des pouvoirs publics. De plus, les intéressés considèrent cette manière d'agir comme déloyale, presque comme un manquement à la parole donnée, quand bien même les autorités compétentes n'avaient jamais formellement promis de suspendre les poursuites.

En portant atteinte, même de façon injustifiée, à la confiance dans la volonté des autorités de tenir leurs promesses en toutes circonstances, on met en danger des intérêts publics de la plus haute importance. Faire naître et maintenir une confiance aussi grande que possible est, d'une façon générale, mais spécialement dans une démocratie qui connaît le referendum, une tâche politique de premier ordre. Un peuple qui n'a plus confiance en ses autorités peut être tenté de dépasser les limites d'une saine critique et d'une opposition raisonnable et d'entraver, voire d'arrêter l'accomplissement d'importantes tâches de l'Etat. Le Conseil fédéral considère que la sagesse politique commande impérieusement de faire tout ce qui est possible pour maintenir et fortifier cette confiance. Cela revient à dire qu'il convient d'annuler des sanctions infligées par les cours pénales aux personnes contre lesquelles les autorités ont décidé à tort, et d'une manière propre à nuire à la confiance du peuple dans les pouvoirs publics, d'exercer des poursuites alors qu'il avait été décidé de ne pas en exercer et qu'il n'y avait pas de raison de revenir sur cette décision.

C'est pourquoi le Conseil fédéral est d'avis qu'il y a une bonne raison de décréter une amnistie au moins en faveur des personnes qui n'avaient pas encore été renvoyées devant les tribunaux le 17 août 1950 et qui étaient ainsi au bénéfice de la décision interne d'arrêter les poursuites. Des considérations d'équité exigent cependant qu'on inclue également dans l'amnistie les quelques prévenus qui furent par hasard renvoyés devant les tribunaux trop
tôt pour être touchés par la décision du 17 août.

Dans le cas présent, l'idée d'une amnistie se défend d'autant mieux que les désavantages qui accompagnent cette mesure sont ici relativement peu graves. Pour les infractions contre l'ordonnance du 10 septembre 1947, la décision de ne pas exercer de poursuites ne peut causer à l'autorité de l'Etat et du droit un préjudice aussi grand que dans les autres cas. En effet, la plupart des inculpés se trouvaient dans un état de contrainte rendant leur culpabilité si légère qu'on aurait pu fort bien renoncer dès le début aux poursuites. Il y a lieu de relever que l'amnistie dont il est question ici ne concerne qu'une toute petite partie des très nombreuses infractions aux prescriptions régissant l'économie de guerre. Notons enfin que les cas

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dont il s'agit offrent cette particularité qu'ils se rapportent à des condamnations prononcées après annulation d'une décision de ne pas poursuivre et ne peuvent constituer un précédent que pour les seules affaires de dépassement des prix maximums des porcs d'abattage.

3. Il reste à déterminer dans quelle mesure une amnistie jugée nécessaire doit être accordée. Se justifie-t-il de lever toutes les peines et mesures et même, éventuellement, de libérer les condamnés de l'obligation de payer les frais de procès ?

Il semble indiqué d'annuler complètement les amendes infligées; le but de l'amnistie, soit le rétablissement des rapports de confiance, ne serait pas atteint si l'Assemblée fédérale se contentait de réduire les amendes, par exemple de la moitié. Mais les personnes qui ont été condamnées à des amendes rie doivent pas être favorisées par rapport à celles qui ont reçu des réprimandes. Il ne suffit donc pas d'annuler les amendes; il faut les remplacer par des réprimandes. Rien ne justifierait de limiter l'amnistie aux jugements non encore exécutés. Les amendes payées peuvent et doivent être remboursées. Dans la mesure où ils ne se sont pas encore exécutés, les condamnés doivent être libérés de l'obligation de payer. De même, la responsabilité solidaire doit être supprimée pour les amendes.

Les condamnés qui ont acquis des avantages pécuniaires illicites en enfreignant les mesures d'économie de guerre ne peuvent- prétendre les conserver en vertu d'un intérêt digne de protection. En ordonnant la dévolution à l'Etat des bénéfices illicites, les tribunaux ont voulu corriger les conséquences juridiquement indésirables des infractions. Il n'est pas indiqué d'annuler cette correction par le moyen de l'amnistie. Il appartenait aux tribunaux de décider si et dans quelle mesure une telle correction était nécessaire. Même si le bien-fondé de leurs décisions n'est pas toujours évident, en particulier du point de vue de l'égalité de traitement, l'Assemblée fédérale devrait, eu égard aux considérations de principe énoncées ci-dessus quant à la séparation des pouvoirs, renoncer, selon nous, à intervenir ici dans les affaires de la justice. En outre, il serait contraire au principe de la bonne foi que les condamnés puissent tirer de la décision interne du département de l'économie publique de suspendre les
poursuites non seulement le droit d'être libérés de toute peine, mais aussi la promesse de pouvoir conserver leurs avantages illicites.

Ce serait enfin aller trop loin que d'inclure les frais de procès dans l'amnistie. Les réprimandes infligées conformément à l'article 7, 2e alinéa, de l'arrêté du Conseil fédéral du 17 octobre .1944 ne devraient pas non plus être touchées. Si les autorités s'étaient contentées d'infliger cette peine, en mettant les frais à la charge des prévenus, l'intérêt public n'exiger ait pas l'octroi d'une amnistie. Une suspension des poursuites pénales aurait

958 pu être combinée avec un avertissement et la mise des frais à la charge des intéressés (art. 71, 72 et 84, 1er al., ch. 4, de l'ACF du 17 octobre 1944).

Nous fondant sur ces considérations, nous avons l'honneur de vous proposer d'adopter le projet d'arrêté fédéral ci-joint prévoyant l'octroi d'une amnistie partielle.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 6 mai 1955.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Max Petitpierre 10699

Le chancelier d& la Confédération, Ch. Oser

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(Projet)

ARRÊTÉ FÉDÉRAL accordant

une amnistie partielle en matière d'infractions aux prescriptions sur les prix maximums du foin et du regain

L'Assemblée fédérale de la Confédération suisse,

vu l'article 85, chiffre 7, de la constitution; vu le rapport du Conseil fédéral du 6 mai 1955, arrête:

Article premier Une amnistie partielle est accordée, conformément aux dispositions suivantes, aux personnes qui ont dépassé durant la période du 15 septembre 1947 au 24 avril 1948 les prix maximums du foin et du regain: a. Aucun acte de poursuite pénale ne sera plus dirigé contre les personnes qui n'ont pas encore été condamnées; 6. Les amendes infligées sont annulées et remplacées par des réprimandes ; c. La responsabilité solidaire est annulée dans la mesure où elle concerne le paiement des amendes; d. Les amendes déjà payées seront remboursées.

Art. 2 Le présent arrêté, qui n'est pas de portée générale, entre immédiatement en vigueur. Il sera publié dans le Recueil des lois fédérales.

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RAPPORT du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant l'octroi d'une amnistie partielle en matière d'infractions aux prescriptions sur les prix maximums du foin et du regain (Du 6 mai 1955)

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18.05.1955

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