N° 15

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FEUILLE FÉDÉRALE

76e année.

Berne, le 9 avril 1924.

Volume I.

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1833

MESSAGE

du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant

le projet d'une loi fédérale sur l'emploi délictueux d'explosifs et de gaz toxiques.

(Du 3l mars 1924.)

I.

Dans la session du mois de juin 1923, la commission de gestion du Conseil national a présenté lors de la discussion -du rapport de gestion du département fédéral de justice et police (ministère public fédéral) un postulat libellé comme suit: «Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il n'y a pas .lieu de présenter sans retard des propositions visant la modification des dispositions des art. 1 et 2 de la loi fédérale dû 12 avril 1894 complétant le code pénal fédéral, en vue de réduire considérablement le minimum des peines prévues par ces mêmes dispositions. » Ce postulat doit son origine à la constatation du rapport, de gestion (p. 393 du er texte français) que, lorsqu'il s'agit d'infractions à l'art. 1 de la loi fédérale précitée, les tribunaux évitent d'appliquer cette loi à raison du minimum élevé de la peine (dix ans de réclusion) et appliquent des lois cantonales moins sévères, ou bien prononcent la peine prévue à l'art. 1er, tout en recommandant à l'Assemblée fédérale de faire grâce dans une large mesure. Au cours de la discussion, le postulat a été transformé en motion, M. le conseiller national Brodtbeek ayant retiré une motion par lui présentée et tendant à la même fin. La motion a été .acceptée par le Conseil fédéral et adoptée par le Conseil national (Bulletin sténogr. du Conseil national, 1923, p. 466, Feuille fédérale. 76e année. Vol. I.

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467, 476 et 477). Dans sa session d'hiver de l'année 1923, leConseil des Etats a aussi adopté la motion.

II.

La loi de 1894 sur les délits contre la sécurité publique visait les crimes commis par les anarchistes au moyen d'explosifs. Il fallait à catte époque mettre un frein aux attentats à la dynamite et aux autres agissements criminels des anarchistes. Le Conseil fédéral et l'Assemblée fédérale espéraient que des peines sévères auraient un effet préventif.

Voilà pourquoi on édicta des sanctions rigoureuses (Messagedu Conseil fédéral, Feuille fédérale, édit. française, 1893,.

V. p. 770). L'application de la loi révéla toutefois à côté des attentats anarchistes l'existence de beaucoup d'autlres" cas moins graves que la loi réprimait avec une rigueur hors, de toute proportion. Il n'est plus difficile aujourd'hui de se procurer des explosifs; aussi les cas de moindre gravité, vont se multipliant et leur nombre dépasse celui des crimes anarchistes. La loi de 1894 porte l'empreinte des événements qui ont provoqué sa promulgation. La disproportion entre les peines qu'elle édicté et les infractions les plus fréquentes eut pour conséquence de fausser l'application de la loi. Ou bien le juge acquitte, ou bien il condamne pour tentative ou complicité au lieu de punir l'emploi délictueux ou la fabrication d'explosifs, ou bien il applique les dispositions moins sévères des lois cantonales sur les dommages causés à la.

propriété, ou bien encore il condamne en vertu de la loi fédérale, mais en même temps recommande à l'Assemblée fédérale de gracier les condamnés.

Voici quelques exemples tirés de la pratique pour illustrer ce que nous' avançons.

Dans l'affaire Spiller et consorts, où il s'agissait de la fabrication d'une bombe remplie d'explosifs ainsi que de la.

fabrication, du recel et de la détention d'explosifs, la Courd'assises de Zurich condamna simplement pour détention et recel, en prononçant contre les auteurs principaux des peines d'un an de réclusion et en acquittant d'autres délinquants qui avaient coopéré au délit. Les journieaux refevèrent que les jurés avaient cherché à mitiger les peines et libéré certains des accusés pour ne pas avoir à prononcer la sanction rigoureuse prévue à l'art. 2 (cinq ans de réclusion au minimum) -- (v. Kronauer, Das Bundesgesetz vom 12. April 1894 betr. Ergänzung des Bundestrafrechts

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vom 4. Februar 1853 in seiner Anwendung durch das Bundesstrafgericht, Schweiz. Zeitschrift für Strafrecht (Revue jpénale suisse), 21, p. 40; Lesch, Die Anarchistengesetze der Schweiz, p. 27 et 69).

Bilite, un autre délinquant, fabriquait et détenait des bombes; il conservait en outre chez lui des détonateurs et des produits chimiques explosifs. En démontrant à ses amis la fabrication d'un détonateur, il causa une explosion. La Cour pénale fédérale n'admit pas que Bilite eût fabriqué des matières explosibles ou donné des instructions pour leur fabrication (art. 2 de la loi); elle retint seulement la complicité du délit de fabrication de matières explosibles et prononça la peine d'un an et demi de réclusion (v. Kronauer, op. cit. p. 30 et sv. Lesch, p. 26).

Lorsque l'emploi d'explosifs a pour but d'alarmer des personnes déterminées ou la population et qu'un dommage de minime importance a été causé à la propriété, les tribunaux condamnent à une légère peine d'emprisonnement, voire à une simple amende, pour atteinte à la propriété et libèrent du chef de l'infraction à la loi fédérale de 1894.

On a fait la même expérience dans les cas où, par vengeance, des explosifs avaient servi à faire sauter un hangar ou une baraque.

Comme autorité investie du droit de grâce, l'Assemblée fédérale doit s'occuper depuis des années d'infractions à la loi fédérale de 1894. Dans la plupart des cas, il s'agit de demandes de remise de peines ou de réduction des minima élevés (v. Procès-verbaux de la deuxième commission d'experts III, p. 344). Les plus récents recours en grâce nous fournissent quelques exemples.

1. J. Seiler, dénué de ressources et un peu simple d'esprit, fut condamné à dix ans et une semaine de réclusion pour infraction à la loi fédérale de 1894 et dommages à la propriété. Il avait déposé des explosifs contre une maisonnette en planches dans le but de causer un dommage à la propriété d'autrui. Le préjudice fut de minime importance. L'Assemblée fédérale réduisit la j>eine à trois mois d'emprisonnement (Feuille féd. 1921, é'dit. franc., V, p. 60).

2. Edouard Trümpier avait été condamné à dix ans de réclusion pour infraction à la loi fédérale de 1894 et pour incendie. Etant en état d'ébriété, il avait placé une cartouche d'altorfite sur le seuil du bâtiment des pompes har bité par une famille. Trümpier _a été gracié après avoir

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purgé trois ans et demi de sa peine (Feuille féd. 1921, édit.

frano., IV. p. 407; 1923, II. p. 157 et sv.).

3. Eugène Biland avait été condamné à dix ans et trois mois de réclusion pour infraction à la loi fédérale de 1894 et pour dommages à la propriété et trouble de la tranquillité publique. De concert avec d'autres individus, il avait gravement troublé la paix et la sécurité publiques et porté atteinte à la propriété d'autrui, en faisant notamment sauter une hydrante au moyen d'un explosif. L'Assemblée fédérale a réduit la peine à quinze mois de réclusion (Feuille féd. 1923, édit. franc. II, p. 160).

III.

Le Conseil fédéral est d'accord avec la commission de gestion lorsqu'elle estime qu'il faut supprimer les minima élevés qui mettent obstacle à une juste application de la loi.

Mais cette suppression ne suffit pas à faire disparaître les inconvénients . qui se sont révélés. La répression doit être graduée de façon à s'adapter à la multiplicité et à la variété des emplois délictueux d'explosifs. En outre, il est nécessaire de définir à nouveau les infractions, en particulier l'emploi d'explosifs (art. 1er),. d'une part pour tenir compte des expériences de la pratique et des progrès de la science, et d'autre part pour supprimer les défauts de la loi en vigueur que l'on peut qualifier de loi de circonstance. Ce n'est qu'en revisant aussi bien les définitions que les sanctions de la loi qu'on pourra atteindre le but de la motion.

Une revision générale se justifie également du fait que toutes les peines édictées pour les différentes infractions devraient en tout cas être revisées pour établir la concordance entra elles. Au reste, du point de vue législatif, il est critiquable de compléter ou modifier une loi qui en complète elle-même une autre.

Les art. 190, 191 et 192 du projet d© code pénal suisso fournissent la base de la revision proposée. Quelques adjonctions et modifications suffisent pour en faire la substance d'une loi spéciale sur l'emploi délictueux d'explosifs. Les articles cités du projet de code pénal ont été mis en harmonie avec les art. 160, 161 et 162 du code pénal militairei En faisant de ces dispositions une loi spéciale qui donnera lieu à une jurisprudence, l'intention du Conseil fédéral a naturellement été de préparer le terrain au code pénal suisse et non pas de le miner. L'entrée en vigueur du code uni-

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fié, qui renferme les mêmes règles, abrogera sans autre la^ loi spéciale.

La nouvelle définition des actes punissables sera examinée en détail sous chiffre IV ci-après. Qu'il suffise de relever pour le moment que, conformément au. nouveau coda pénal militaire, le présent projet de loi place les gaz toxiques sur le même plan que les explosifs. Les progrès réalisés par la technique permettent de se procurer des gaz délétères et de les employer contre des personnes ou des choses, tout comme les explosifs. Les expériences faites pendant la guerre et les mouvements révolutionnaires d'après guerre ont montré la nécessité d'une protection pénale contre l'emploi abusif de gaz toxiques.

Quant à l'adaptation des peines aux différentes catégories d'infractions, le présent projet s'est arrêté aux solutions suivantes: Suppression des minima élevés de la loi en vigueur; réduction générale des peines prévues; minimum de cinq ans de réclusion pour les cas graves de mise en danger au moyen de bombes; emprisonnement sans minimum spécial dans les cas peu graves de mise en danger au moyen d'explosifs ou de gaz toxiques, où ni la vie, ni la santé des personnes ne sont menacées, la propriété d'autrui étant seule exposée à un danger de peu d'importance. Le projet prévoit donc des peines sévères, mais non pas excessives, pour ces sortes de délits, qui méritent une répression rigoureuse, car ils dénotent des instincts dangereux et abjects. En même temps, le projet permet de tenir compte des circonstances et d'adapter la quotité de la. peine à la gravité de l'infraction.

IV.

Les actes -punissables à teneur du projet appellent les remarques suivantes: 1. La mise en danger au moyen d'explosifs ou de gaz toxiques (art. 1er) constitue le délit fondamental réprimé par la loi. C'est l'application de la peine prévue à l'art. 1er de la loi de 1894 qui a rencontré dans la pratique le plus grand nombre d'obstacles. La détermination des éléments de cette infraction a donc été le but essentiel et la base de la revision. La loi de- 1894 réprime l'usage de matières explosibles dans une intention criminelle. Elle ne distingue pas entre le délit consistant dans l'emploi même des explosifs et le délit à la commission duquel cet emploi devait

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servir (entreprises criminelles contre les personnes et les choses). A notre avis, la cause principale des difficultés rencontrées réside dans la réunion de l'emploi d'explosifs -- qui constitue un pur acte de mise en danger -- avec l'intention, juridiquement indépendante de ce fait, de commettre un délit contre les personnes ou les choses. Le projet de code pénal suisse a prévu l'emploi d'explosifs comme un délit distinct et proprement dit de « mise en danger ». Le présent projet reprend cette définition en faisant ressortir encore davantage le caractère de la mise en danger.

L'acte punissable consiste dans le fait de mettre sciemment en danger la vie et la santé des personnes ou la propriété d'autrui au moyen d'explosifs ou de gaz toxiques'.

L'agent crée un état de chose où, suivant les circonstamces, une atteinte à la vie, à la santé ou à la propriété est probable. Le juge doit rechercher dans chaque cas, au besoin en consultant des experts, si un pareil danger existe effectivement. Un résultat dommageable (mort, atteinte à l'intégrité corporelle ou mentale, dommages à la propriété) n'est pas requis. Le présent projet ne considère pas comme un élément constitutif du délit le fait de causer un danger collectif, en ce sens que seule la création d'un tel danger serait punissable, tandis que celle d'un danger individuel ne le serait pas. Le délit présente un danger collectif parce que le délinquant qui emploie des explosifs ou des gaz toxiques ne peut pas en limiter les effets.et que, dès lors, le danger individuel' implique un danger collectif. Il n'est par conséquent pas, nécessaire qu'une pluralité de personnes ou de choses soient menacées d'un danger, ni que les personnes ou les choses ainsi mises en danger soient déterminées. Dans l'emploi d'explosifs ou .de gaz toxiques, il ne dépend pas, dans la règle,, de la volonté de l'agent, mais de circonstances fortuites, qu'une personne déterminée ou plusieurs personnes soient mises en péril. Il serait injuste que le délinquant ne pût être puni que s'il a fait naître un danger collectif pour des personnes ou des choses. La loi parle d'ouïe façon générale de mise en danger au moyen d'explosifs, etc. En adoptant cette rédaction, on a voulu éviter les difficultés que la doctrine et la jurisprudence ont rencontrées dans l'interprétation de la notion de
« l'emploi », soit de l'utilisation, de l'usage ou da l'application d'explosifs. On a aussi voulu exprimer l'idée gué le délit de « mise en danger » est consommé non seulement lorsque le délinquant a fait détoner lui-même l'explosif, mais déjà lorsqu'il a déposé ou agencé des explosifs de façon

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que l'explosion puisse se produire. Les .personnes et les . choses sont exposées à un danger réel 'lorsque des explosifs sont déposés de manière que l'explosion puisse être causée par le jeu d'un mécanisme ou accidentellement par un passant (v. Procès-verbaux de la deuxième commission d'experts, III p. 341, 345, 347 et 348; Zürcher, Exposé des motifs de l'avant-projet, traduction Gautier, p. 267 in fine et 268; arrêt de la Cour pénale fédérale du 13 novembre 1918 dans la cause Mougeot, Pricker et Zahnd).

Le projet, de même que la loi de 1894 et le projet de code pénal suisse, ne définit pas la notion de l'explosiï.

D'après la science et la jurisprudence, il faut entendre par explosifs les matières dont l'importance et le but économiques résident dans leur force destructive (v. Procès-verbaux cités p. 340; Zürcher, Exposé des motifs, trad. Gautier, p. 265, chiff. III, p. 269, chiff. IV; message du Conseil fédéral à l'appui d'un projet de code pénal suisse, p. 53). Le danger doit avoir été créé sciemment. Le délinquant doit savoir qu'en préparant ou employant des substances explosibles et des gaz toxiques, il fait naître un danger réel pour la vie, la santé ou la propriété d'autrui. Contrairement à la loi en vigueur, le présent projet ne prévoit pas comme élément ·constitutif du délit l'intention de porter atteinte à la vie, à la santé ou à la propriété.

Si cette intention délictueuse s'ajoute au fait que la mise ·en danger a lieu sciemment, et si l'acte est dirigé contre la vie, la santé ou la propriété ou contre l'Etat et l'autorité publique, on est en présence d'un cumul du délit de mise en danger avec les délits contre la vie et l'intégrité corporelle, contre la propriété, contre la paix publique, contre l'Etat -et l'autorité publique -- infractions qui sont soumises les unes à la législation pénale des cantons, les autres à celle de la Confédération. Dans tous ces cas de cumul, la disposition de l'art. 33 du code pénal fédéral est applicable. Le juge ne prononce que la peine du délit le plus grave, les autres délits étant considérés comme des circonstances spécialement aggravantes (RO des arrêts du Tribunal fédéral, 34 I p. 118; 40 I p. 443).

L'emploi de bombes aggrave le délit. Cet acte crée objectivement un danger plus grand que toelui provoqué par d'autres explosifs. Il est plus facile
de transporter des bombes et les déposer en vue de leur explosion. Leurs éclats peuvent causer des lésions et das destructions dont la gravité et l'étendue échappent à toute prévision. L'emploi de bombes

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dénote, en outra, des instincts criminels particulièrementdangereux. La question de savoir si, dans un cas concret, il s'agit d'une bombe au sens technique sera au besoin résolue par des experts. L'attentat anarchiste constitue au premier chef une infraction qualifiée dans le sens ci-dessus (v. Procèsverbaux cités, p. 340, 341, 347 et 348; Zürcher, Exposé des motifs,, trad. Gautier p. 267 et sv.). La loi considère comme de peu de gravité le cas où l'emploi d'explosifs ou de gaz toxiques n'a mis en danger ni la vie, ni la santé, mais a seulement exposé la propriété d'autrui à un danger de peu d'importance. Dans ce cas, la peine prévue est celle del'emprisonnement sans minimum spécial. Ces sanctions atténuées visent des cas tels que celui de l'affaire Seiler citée plus haut.

Le délit commis à l'étranger est puni en Suisse lorsque le délinquant est arrêté sur territoire suisse et n'est pas extradé. A teneur de la loi de 1894, les délits perpétrés à.

l'étranger sont réprimés en Suisse s'ils sont dirigés contre la Confédération ou ses ressortissants. Le présent projet suit le système du projet de code pénal suisse pour la répression des infractions commises à l'étranger. D'après ce dernierprojet, l'acte commis à l'étranger est réprimé en Suisse, dans l'intérêt d'une défense commune de .tous les Etats contre ces attentats, sans égard au fait que l'acte est dirigé contre la Confédération et ses ressortissants ou contre un Etat étranger et ses ressortissants (principe de défense universelle). Mais notre loi ne doit être appliquée que si aucune répression n'intervient à l'étranger (v. message à l'appui du projet de code pénal suisse, p. 9 in fine et 10).

2. Fabrication, recel, transport d'explosifs ou de gaz toxiques, indications fournies pour la fabrication (art. 2).

Cette disposition, qui correspond à celle de l'art. 191 du projet de code pénal suisse, comprend les infractions prévues aux art. 2 et 3 de la loi de 1894. Les éléments constitutifs essentiels indiqués par cette loi ont été maintenus. Pour la justification de l'iart. 2 du présent projet, il suffit donc de renvoyer au message à l'appui de la loi en vigueur (v. Zürcher,.

Exposé des motifs, trad, Gautier, p. 269 et sv.). Outre l'cadjonction relative aux bomjbas et aux gaz toxiques et la réduction des peines, il y a lieu de signaler les
innovations, suivantes: La fabrication de bombes -- délit le plus grave -- est punie de. la peine la plus sévère. Cette infraction est placée en tête de l'article 2. Le fait de fournir des indications

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pour la fabrication est prévu dans un alinéa spécial; il tombe sous le coup d'une sanction moins rigoureuse. Quant à la transmission et ;au recel (al. 2), on a mis sur le même plan que les explosifs et les gaz toxiques les substances propres à leur ' fabrication. Il s'agit de corps dont le composé constitue l'explosif. La loi en vigueur ne mentionne pas les composants indépendamment du produit final. Cette lacune a été vivement ressentie dans la pratique. Il était facile d'éluder la loi en gardant à l'état séparé les différentes substances jusqu'au moment d'employer l'explosif. Or la détention, dans un but délictueux, des composants à l'état séparé implique les mêmes dangers que la détention du composé. La loi anglaise sur les explosifs (Explosive substances Act) qui a servi de modèle à la plupart des Etats comprend dans la notion des « explosive substances » aussi les matières qui entrent dans la composition des explosif (v. Kronauer, p. 39; Zürcher (trad. Grautier) p. 269; Lesch, p. 31 et sv., 77 et sv.).

Les infractions prévues à l'art. 2 ont un élément commun: il faut que le délinquant ait su ou ait dû présumer que les explosifs, les gaz toxiques ou les substances propres à leur fabrication étaient destinés à un emploi délictueux.

Par emploi délictueux, on doit entendre aussi bien le fait de créer un danger sciemment au sens de l'art. 1er, que le fait de commettre un délit qui implique réalisation d'un résultat et qui concourt avec la mise en danger. Il n'est toutefois pas nécessaire que l'agent ait connaissance d'un délit concret et déterminé; il suffit qu'il sache ou doive présumer, après un examen attentif, que les produits sont destinés à un emploi délictueux. L'Etat a le droit d'exiger une certaine circonspection de la part de quiconque manie des substances aussi dangereuses. Le projet de code pénal suisse adopte une solution analogue pour le recel (v. Procès-verbaux cités, p. 352 et sv.; Zürcher, Exposé des motifs, trad. Grautier, p. 257 et 149). Cette réglementation exclut la possibilité de poursuivre pénalement aussi bien la fabrication et le fait de fournir des indications à cette fin que la transmission et la détention lorsque l'agent se propose un but scientifique ou industriel. Il est du reste loisible aux cantons d'aller plus loin et d'édicter des prescriptions de police
administrative réglant le commerce des explosifs, etc.

Les délits commis à l'étranger sont punis en Suisse dans les mêmes conditions que les actes visés par l'art. 1er.

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3. Négligence dans l'emploi d'explosifs ou de gaz toxiques (art. 3). Cette disposition correspond à celle de l'art. 192 du projet de code pénal suisse. Il s'agit ici d'imprudence dans le maniement d'explosifs, de bombes ou de gaz toxiques que le délinquant a acquis dans un but autorisé et détient de façon licite. Le danger spécial inhérent à ces produits impose ä quiconque les manie une grande prudence. Le fabricant, chimiste ou inventeur qui compose ces produits et les conserve, l'entrepreneur qui les utilise pour ses travaux, le particulier ou le fonctionnaire qui les transporte, tous doivent prendre les précautions voulues pour empêcher que la manipulation de ces substances mette en danger les personnes et les propriétés.

Dans le cas de la mise en danger par négligence, il suffit également que 1© danger existe; la réalisation d'un résultat dommageable n'est pas nécessaire. Fréquemment, il y aura cumul de mise en danger par négligence et d'homicide, de lésions corporelles ou d'incendie par imprudence (v. ProcèS" verbaux cités, p. 340, 342, 344 et 347). Les accidents survenus ces derniers temps dans les fabriques d'explosifs et leurs dépôts justifient l'adoption d'une disposition correspondant à celle de l'art. 192 du projet de code pénal suisse.

L Menaces alarmant la population (art. 4). Cette disposition reproduit celle de l'art. 224 du projet de code pénal suisse. Elle doit remplacer l'art. 4 de la loi fédérale de 1894, aux termes duquel «celui qui, dans l'intention de répandre la terreur dans la population ou d'ébranler la sûreté publique, incite à commettre des délits contre les personnes ou les propriétés, ou donne des instructions en vue de leur perpétration, sera puni d'un emprisonnement de six mois au moins ou de la réclusion ». En réunissant ainsi la terrorisation et l'incitation au délit, on limite étroitement le champ d'application de cette disposition. L'arrêt de la Cour pénale fédérale du 29 mai 1900 dans la cause Bertoni, Frigerio et Held (EO 26, I. p. 227 et sv.) constate ,que Fincitation à commettre des délits contre les personnes ou les propriétés est caractérisé et déterminé par l'intention de répandre la terreur dans la population et d'ébranler la sécurité publique. Et ces effets ne doivent pas être simplement le résultat de la perpétration du délit visant à la lésion d'un
droit déterminé, ils doivent être le but immédiat du délit!

lui-même. C'est ce qui a décidé le législateur à insérer dans le code pénal fédéral un art. 52bis (loi fédérale du 30 marsi 1906 complétant le code pénal fédéral en ce qui concerne les

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crimes anarchistes). Cette disposition complémentaire punit «celui qui, publiquement, incite à commettre des crimes anarchistes ou donne des instructions pour les commettre ou fait publiquement l'apologie de crimes de ce genre». L'intention de répandre la terreur n'est donc pas un élément nécessaire clé cette dernière infraction. L'art. 4 de la loi fédérale de 1894 et l'art. 52bis du code pénal fédéral sont remplacés dans le projet de code pénal fédéral suisise par les dispositions sur les menaces alarmant la population (art. 224) et sur la provocation publique au délit (art. 225). Cette réglementation distingue nettement entre les menaces destinées à jetez* l'effroi dans la population, d'une part, et la provocation au, délit, d'autre part (V. message à l'appui du projet de code pénal suisse, p. 63 et 64). Il se justifie d'adopter la disposition de l'art. 224 du projet de code pénal plutôt que la disposition critiquable de l'art. 4 de la loi de 1894. Par contre, la disposition de l'art. 225 dudit projet sort du cadre de la présente loi spéciale, et il convient d'en faire abstraction d'autant plus qu'elle est déjà contenue dans l'art. 52bis, en tanti qu'il s'agit de crimes anarchistes.

V.

En ce qui concerne le rapport entre la loi spéciale et le code 'pénal fédéral, il y a lieu d'observer qu'à teneur de l'art. 5 du présent projet les dispositions générales du code pénal fédéral sont applicables aux infractions réprimées par la loi spéciale. En revanche, on ne saurait adopter le système de la responsabilité par cascade institué aux art. 69 à 72.

Les -seuls délits de presse qui entrent en considération sont, en effet, ceux consistant dans le fait ,de fournir des indications pour la fabrication d'explosifs, etc. et d'alarmer la population. Or, pour ces délits, il faut s'en tenir au. principe général de la responsabilité pénale, car en cette matière on ne peut reconnaître à l'auteur le droit de rester anonyme ni admettre que le délinquant soit représenté. Aussi bien, la loi de 1894 a-t-elle déjà exclu le système de la responsabilité par cascade.

VI.

La question de la jwidi&tà,an est réglée par l'art. 6 conformément à l'art. 125 de l'organisation judiciaire fédérale applicable aux causes pénales qui sont soumises à la juridiction, de la Confédération. C'est la Cour pénale fédérale

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gui doit en principe connaître de ces causes, mais il est loi-: sible au département fédéral de justice et police d'en déférer l'instruction et le jugement aux autorités cantonales, ce qui est et restera la règle. Les actes prévus et punis par le droit cantonal, qui sont connexes avec les infractions à la loi fédérale, seront jugési par la Cour pénale fédérale oui par les autorités cantonales auxquelles les causes auront été déférées (art. 9 et 76 du code pénal fédéral). Il n'y a pas 'de motif de se départir de cette règle. La disposition exceptionnelle de l'art. 7 de la loi spéciale en vigueur s'est révélée inapplicable. Elle prévoit que, sHl y a connexité entre un des délits mentionnés dans la loi fédérale et des actes réprimés par le droit cantonal, ce sont les tribunaux cantonaux: qui doivent connaître de ces dernières infractions, le droit de grâce appartenant également aux autorités cantonales. Lorsque la Cour pénale fédérale juge le délit prévu par la loi fédérale, mais que le délit de droit commun est déféré à la juridiction cantonale, il y a, nécessairement deux condamnations, ce qui est contraire à la justice et aux principes fondamentaux du droit pénal. Pour éviter cette double condamnation, le département fédéral de justice et-police est obligé de déférer aux tribunaux cantonaux des causes qui, d'après leur importance, devraient être jugées par la Cour pénale fédérale. Les cantons n'ont pas à craindre que, si l'on s'en tient à la règle générale, les peines prévues paar, leurs lois pour les actes en connexité avec les infractions à la loi fédérale ne soient pas aippliquées. Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédérai (RO 34, I. p. 118'), la disposition de l'art. 33 du code pénal fédéral est aussi applicable lorsqu'il y a. cumul de délits réprimés les uns pair le droit fédéral, les autres pair le droit cantonal. L'art. 9 du code pénal fédéral prescrit- expressément que les assises fédérales peuvent, dans ces cas, « appliquer toutes les peines qui rentrent dans la compétence des tribunaux du canton, même la peine de mort». La règle de l'art. 9 vaut aussi pour la Cour pénale fédérale créée plus tard -- la jurisprudence l'a reconnu.

Les affaires Biland et Trümpier citées plus haut ont montré à quelles difficultés les autorités fédérale et cantonale se heurtent lorsqu'elles doivent
liquider en commun des recours en grâce. Dans le cas où un tribunal cantonal a prononcé une peine unique, réprimant à la fois l'infraction à la loi fédérale et celle à la loi cantonale, il est pratiquement impossible que les deux instances investies du droit de grâce

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exercent pleinement ce droit, puisque la peine globale prononcée ne permet pas de distinguer dans quelle mesure elle s'applique à chacun des délits connexes. Le droit de grâce ne peut être exercé librement que par l'autorité qui, suivant la gravité de l'infraction commise contre le droit fédéral ou contre le droit cantonal, doit se prononcer en premier lieu (v. affaire Trümpler, Feuille fédérale, édit. française, IV.

p. 408). Dans les cas Bila,nd et Trümpler, les autorités cantonales ont été bridées dans, le libre exercice de leur droit de grâce par le fait que l'Assemblée fédérale avait déjà statué. La Commission fédérale des grâces a expressément constaté à cette occasion les inconvénients inhérents à la règle exceptionnelle de l'art. 7 de la loi en vigueur.

* .

*

*

Nous vous proposons d'adopter le projet de loi ci-annexé.

Veuillez agréer, Monsieur le président et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

Berne, le 31 mars 1924.

Au nom. du Conseil fédéral suisse : Le président de la Confédération, CHUAED.

Le chancelier de la Confédération, STEIGER.

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(Projet.)

Loi fédérale concernant l'emploi délictueux d'explosifs et de gaz toxiques.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA

CONFÉDÉRATION SUISSE,

Mise en danger de la vie ou de la propriété au moyen d'explosifs ou de gaz toxiques.

Fabrication, recel et transport d'explosifs ou de gaz toxiques.

!

vu l'article 64bis de la Constitution fédérale; vu le message du Conseil fédéral du 31 mars 1924, décrète : Article premier.

Celui qui, au moyen d'explosifs ou de gaz toxiques, aura sciemment mis en danger la vie ou la santé des personnes, ou la propriété d'autrui, sera puni de la réclusion.

Le juge pourra prononcer l'emprisonnement si le délin,quant a exposé la propriété d'autrui à un danger de peiï d'importance.

La peine sera la réclusion pour cinq ans au moins si le délinquant s'est serlvi de bombes.

Le délinquant est aussi punissable, lorsqu'il a commis le délit à l'étranger, s'il est arrêté en Suisse et n'est pas extradé.

Art. 2.

Celui qui aura fabriqué des explosifs, des bombes ou des gaz! toxiques, sachant O'VL devant prjésumeS .qu'ils étaient destinés à un emploi délictueux, sera puni de la réclusion jusqu'à dix ans ou de l'emprisonnement pour six mois au moins.

Celui qui se sera procuré soit des explosifs, soit .dies gaz toxiques, ou des substances propres à leur fabrication, soit des bombes, ou qui les aura transmis à autrui, reçus d'autrui, conservés, recelés ou transportés, sachant ou devant présumer qu'ils étaient destinés à un emploi délictueux, sera puni de la réclusion jusqu'à cinq ans ou de l'emprisonnement pour un mois au moins.

615

Celui qui, sachant ou devant présumer, qu'une personne se propose de faire un emploi délictueux d'explosifs, de bombes ou de gaz toxiques, lui aura donné des indications pour en fabriquer, sera puni de la réclusion jusqu'à trois ans ou de l'emprisonnement.

Le délinquant est aussi punissable, lorsqu'il a commis le délit à l'étranger, s'il est arrêté en Suisse et n'est pas extradé.

Art. 3.

Celui qui, au moyen d'explosifs, die bombes ou de gaz toxiques, aura par négligence mis en danger la vie ou la santé des personnes, ou la propriété d'autrui, sera puni de l'emprisonnement jusqu'à cinq ans.

Arj;. 4.

Celui qui aura jeté l'alarme dans la population par la menaice d'un danger pour, la vie, la santé ou la propriété, notamment par la menace d'assassinat, de pillage ou d'incendie, sera puni de la réclusion jusqu'à trois ans ou de l'emprisonnement.

Art. 5. · Les dispositions g'énériales' du code pénal fédéral dû 4 février 1853 sont applicables. Les articles 69 à 72 de ce code ne sont pas applicables.

Art. 6.

Les actes punissables à teneur de la présente loi sont soumis à la juridiction pénale de la Confédération.

Le département fédéral de justice et police peut déférer l'instruction et le jugement de ces infractions aux autorités cantonales (art. 125 de la loi fédérale sun l'organisation judiciaire fédérale du 22 mars 1893, modifiée par. les lois fédérales des 6 octobre 1911 et 25 juin 1921).

Art. 7.

Dès l'entrée en vigueur; de la présente loi, la loi fédérale du 12 avril 1894 complétant le code pénal fédéral du 4 février 1853 sera abrogée.

Art. 8.

Le Conseil fédéral fixera la date de l'entrée en vigueur de la présente loi.

Négligence dans l'emploi d'explosifs ou de gaz toxiques.

Menaces alarmant la population.

Application du code pénal fédéral.

Juridiction.

Loi abrogée.

Entrée en vigueur.

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MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant le projet d'une loi fédérale sur l'emploi délictueux d'explosifs et de gaz toxiques. (Du 31 mars 1924.)

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1924

Année Anno Band

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Volume Volume Heft

15

Cahier Numero Geschäftsnummer

1833

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

09.04.1924

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601-615

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