ad 99.451 Initiative parlementaire Stérilisations forcées. Dédommagement des victimes (von Felten) Rapport du 23 juin 2003 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national Avis du Conseil fédéral du 3 septembre 2003

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, Conformément à l'art. 21quater, al. 4, de la loi sur les rapports entre les conseils (LREC), nous vous communiquons ci-après notre avis sur le rapport du 23 juin 2003 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national concernant le dédommagement des victimes de stérilisations forcées.

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

3 septembre 2003

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Pascal Couchepin La chancelière de la Confédération, Annemarie Huber-Hotz

2003-1620

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Avis 1

Situation

Le 5 octobre 1999, Mme Margrith von Felten, conseillère nationale, déposait une initiative parlementaire visant à créer les bases juridiques nécessaires afin que les personnes stérilisées contre leur volonté ou ayant consenti à une stérilisation sous la contrainte aient droit à une indemnité adéquate. Le 24 mars 2000, le Conseil national, sur proposition unanime de la Commission des affaires juridiques (CAJ-N), a donné suite à cette initiative.

La CAJ-N a chargé une sous-commission d'élaborer un projet. L'administration a été associée aux travaux de la sous-commission. Le 6 novembre 2001, la CAJ-N a adopté un avant-projet qui comprend deux parties. La première détermine les conditions auxquelles une stérilisation sera désormais considérée comme licite et les procédures à respecter. La seconde partie porte sur l'indemnisation des victimes de stérilisations et de castrations abusives. La CAJ-N a demandé au Conseil fédéral de mettre son projet en consultation. La procédure de consultation a duré de fin mars à fin juin 2002. Après la procédure de consultation, la CAJ-N a scindé son projet en deux projets de lois distincts, l'un sur la stérilisation et l'autre sur l'indemnisation des victimes de stérilisations et de castrations abusives. Le 23 juin 2003, elle a adopté à l'unanimité son rapport ainsi que les deux projets de loi.

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Appréciation générale

Nous saluons l'important travail fourni par la CAJ-N, dont le rapport a le mérite de poser le problème des abus perpétrés sur des personnes handicapées ou socialement marginalisées, parfois au nom de l'eugénisme, parfois dans un but d'hygiène sociale ou socio-économique, parfois encore dans l'intérêt présumé des personnes concernées.

L'initiative parlementaire s'inscrit dans la tendance actuelle qui veut que l'on porte un regard critique sur certaines pages sombres de l'histoire récente de notre pays (on pense par exemple à la réhabilitation des personnes ayant sauvé des réfugiés durant la deuxième guerre mondiale ou à l'opération «Enfants de la grand-route»). Cette démarche est à saluer, dans la mesure où elle permet de tirer les leçons du passé et de proposer des solutions pour l'avenir. En particulier, le Conseil fédéral approuve la réglementation de la stérilisation pour l'avenir dans le sens du projet de la CAJ-N, tout en formulant diverses propositions de modification.

Juger les faits du passé constitue un exercice délicat, dans la mesure où le regard que nous portons aujourd'hui sur notre histoire nécessite de prendre en compte des paramètres tels que le contexte social et économique, l'organisation de la société ou l'état des connaissances scientifiques à l'époque concernée. Ainsi, l'invention de la pilule contraceptive dans les années 1950 et la libération des moeurs qui a suivi dans les années 1960 et 1970 ont incontestablement permis une certaine ouverture concernant l'épanouissement sexuel des personnes handicapées mentales, ouverture qui était difficilement imaginable quelques décennies plus tôt. La compréhension de la psychiatrie s'est elle aussi considérablement modifiée au cours des dernières décen5798

nies: l'autorité et la liberté dont jouissaient les établissements psychiatriques et les médecins font que leurs méthodes thérapeutiques ont longtemps été acceptées sans discussion (et le sont parfois encore aujourd'hui). Ce n'est que depuis le début des années 1980 que le droit fédéral offre des garanties efficaces contre la privation de liberté à des fins d'assistance, mettant ainsi fin à bon nombre d'internements abusifs.

Nous avons également aujourd'hui le recul nécessaire pour savoir à quelles sombres extrémités peuvent conduire les théories eugénistes, lesquelles étaient très à la mode dans les milieux scientifiques de la première moitié du 20e siècle. Enfin, la qualité de la prise en charge des personnes socialement défavorisées a considérablement évolué en un siècle, en même temps que s'améliorait le niveau de vie de l'ensemble de la population.

La commission n'a pu, dans son examen, comme elle l'admet elle-même, se fonder sur des données sûres et complètes, si bien qu'il reste difficile de cerner l'ampleur du problème ou d'appréhender l'âge, l'état de santé et la situation sociale des victimes aujourd'hui. Il nous paraît délicat de créer un régime d'indemnisation particulier sans être mieux documentés sur la situation des personnes visées, les circonstances entourant les interventions et les besoins actuels des personnes concernées. Ainsi que le montre le rapport de la commission, il semble que les stérilisations pratiquées sans le consentement éclairé du patient recouvrent des réalités sociales et des pratiques très diverses d'un canton à l'autre, voire d'un médecin ou d'un établissement à l'autre. La limite entre des abus manifestes et des interventions dont la légitimité est aujourd'hui encore débattue est floue.

Au regard de ces réalités très diverses, il importe, de l'avis du Conseil fédéral, de faire une distinction ­ pour autant qu'une telle distinction soit possible a posteriori ­ entre ce qu'il faut considérer comme de véritables abus et des interventions, certes controversées, mais qui aujourd'hui encore font l'objet d'un débat éthique. Même si le droit européen établit le principe selon lequel une intervention ne peut être effectuée sur une personne n'ayant pas la capacité de consentir que pour son bénéfice direct (cf. art. 6, § 1 de la Convention sur les Droits de l'Homme
et la biomédecine1, signée par la Suisse le 7 mai 1999), il faut bien admettre que la stérilisation de personnes incapables de discernement pose des questions qui, aujourd'hui encore, sont particulièrement délicates et complexes, de l'avis même de la commission, et cela alors que nous disposons de moyens de contraception réversibles plus efficaces qu'autrefois. Il nous paraît dès lors excessif de considérer a posteriori comme un abus pouvant donner lieu à indemnisation toute stérilisation pratiquée sur un patient incapable de discernement et qui n'a pas été réalisée exclusivement dans l'intérêt de la personne concernée (art. 3, al. 3 du projet de loi sur l'indemnisation des victimes de stérilisations et de castrations abusives). Il n'est d'ailleurs pas exclu que même des stérilisations pratiquées en conformité avec des législations cantonales récentes puissent donner lieu à indemnisation dès lors que les conditions fixées par le projet de loi fédérale ne recouvrent pas entièrement les conditions prévues par le droit cantonal. La législation fribourgeoise, qui date de 1999, prévoit notamment le fait de ne pas être en mesure d'assumer ses obligations parentales comme l'une des conditions pouvant justifier la stérilisation d'une personne incapable de discernement; or, cette condition devrait sans doute être considérée comme abusive au sens de l'art. 3, al. 3 du projet de loi sur l'indemnisation des victimes de stérilisations et de castra1

Convention pour la protection des Droits de l'Homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, STE nº 164.

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tions abusives et pourrait donc donner lieu à indemnisation. On court le risque de créer un précédent qui conduirait à verser des réparations financières chaque fois que le législateur fédéral révise ses conceptions passées ou se montre plus exigeant que ne l'avait été le droit cantonal jusque là.

Nous formulons également des réserves quant à l'opportunité de créer un régime d'indemnisation particulier qui s'inspire de la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI, RS 312.5), mais s'en distingue en même temps en prévoyant un dédommagement pour des faits qui ne seraient pas couverts par celle-ci, soit parce qu'ils concernent des faits antérieurs à son entrée en vigueur, soit parce qu'ils ne répondent pas à la qualification d'infraction pénale en raison de l'art. 32 du Code pénal, soit encore parce que les droits sont atteints par la péremption. Il convient en effet de rappeler que la LAVI ne prévoit ni indemnisation, ni réparation morale pour les faits antérieurs à son entrée en vigueur, qu'elle présuppose une atteinte découlant d'une infraction et par conséquent d'un acte illicite et qu'elle prévoit un délai de péremption de deux ans. La différence de traitement opérée entre les victimes de stérilisations forcées d'une part et d'autres catégories de victimes d'autre part (comme les victimes d'infractions commises avant l'entrée en vigueur de la LAVI dans le domaine médical) risque d'être difficile à justifier. On connaît en effet d'autres exemples de traitements inadaptés qui ont conduit à l'impossibilité pour les personnes concernées ou leur descendance de procréer (par exemple la prescription du distilbène dans les années 1960).

La création d'un régime d'indemnisation particulier pour les victimes de stérilisations forcées, indépendamment de l'existence ou non d'une infraction, ouvre un précédent qui peut s'étendre à de nombreuses autres atteintes aux droits fondamentaux (on pense par exemple aux victimes d'internements abusifs dans les établissements psychiatriques avant l'entrée en vigueur des dispositions sur la privation de liberté à fin d'assistance ou à la maltraitance dans les orphelinats ou les homes pour personnes âgées). La multiplication des régimes d'indemnisation particuliers risque de privilégier certaines catégories de victimes par rapport à d'autres,
au détriment de l'égalité de traitement et de la cohérence du système d'indemnisation aux victimes.

Ce risque n'est pas purement théorique si l'on compare les prestations prévues par le projet de loi fédérale sur l'indemnisation des victimes de stérilisations et de castrations abusives aux sommes versées il y a quelques années pour la réparation des torts causés aux victimes de l'opération «Enfants de la grand-route». Dans ce dernier cas, les sommes allouées portaient sur des montants allant de 2000 à 20 000 francs, alors que dans le cas des victimes de stérilisations abusives, on envisage aujourd'hui d'octroyer des montants pouvant aller jusqu'à 80 000 francs dans les cas particulièrement graves. Une telle différence de traitement paraît difficile à justifier et peut créer l'impression désastreuse pour les personnes concernées que certaines violations de la liberté personnelle suscitent plus de compassion que d'autres, selon que telle ou telle catégorie de personnes est concernée.

Nous n'entendons pas minimiser les drames personnels qui se sont joués à la suite de pratiques qui aujourd'hui peuvent être considérées comme inacceptables, mais il convient de resituer ces drames dans un contexte d'évolution permanente de la société qui fait que le progrès naît des erreurs et des injustices du passé. La reconnaissance qui est due par la société aux victimes de stérilisations abusives ne doit pas nécessairement passer par une compensation financière, qui, pour une partie des victimes, arrivera de toute manière trop tard. Plutôt que de chercher à réparer en 5800

permanence les injustices passées, au risque de rouvrir chez les personnes concernées des plaies qui s'étaient cicatrisées au fil du temps, nous jugeons préférable d'affecter les ressources disponibles à l'amélioration de la prise en charge et de l'encadrement actuels des personnes qui souffrent d'un handicap ou de difficultés psychologiques ou sociales et qui nécessitent un placement ou un accompagnement institutionnel.

D'autre part, si une compensation financière doit être accordée, elle incombe en priorité aux collectivités qui assument une part de responsabilité qui, à défaut d'être juridique, serait au moins politique ou morale à l'égard des faits. Cela permet en effet de distinguer clairement entre un régime général d'aide aux victimes qui procède d'un geste de solidarité de la collectivité et qui doit être identique pour tous (aide aux victimes d'infractions) et la reconnaissance par la collectivité concernée d'une forme de participation ou d'implication dans les torts causés. Or, les faits qui sont reprochés ici relèvent de la politique d'assistance, de la santé publique et de la surveillance tutélaire, tous domaines qui étaient et sont toujours essentiellement du ressort des cantons et des communes et sur lesquels la Confédération n'a que peu d'emprise. Il n'est ainsi pas établi, comme ce fut le cas pour l'opération «Enfants de la grand-route», que la Confédération ait apporté son soutien moral, politique ou financier à la politique de stérilisations abusives pratiquées par certains médecins ou établissements.

Il convient d'ajouter qu'une participation financière de la Confédération n'est pas non plus indiquée sous l'angle du projet de Réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons (RPT, FF 2002 2155), lequel met l'accent sur le fait qu'il incombe à la collectivité qui prend une décision d'en assumer toutes les conséquences. Certes, on pourrait être tenté d'arguer que la Confédération, en ne posant pas des limites claires à la stérilisation plus tôt, a péché par omission. Ce serait toutefois créer un dangereux précédent que d'admettre un droit à réparation chaque fois que la Confédération n'a pas fait usage immédiatement de sa compétence de légiférer. Si l'évolution de la société nécessite aujourd'hui de régler de nombreux
problèmes de manière uniforme au plan fédéral, cela n'a pas toujours été perçu ainsi.

Pour les raisons évoquées ci-dessus, le Conseil fédéral rejette la proposition du 23 juin 2003 de la CAJ-N concernant le projet de loi sur l'indemnisation des victimes de stérilisations et de castrations abusives.

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Constitutionnalité du projet de loi sur l'indemnisation des victimes de stérilisations et de castrations abusives

On peut se demander si le projet de loi sur l'indemnisation des victimes de stérilisations et de castrations abusives repose sur une base constitutionnelle suffisante. A la demande de la CAJ-N, l'Office fédéral de la justice a examiné la question dans un avis de droit du 11 septembre 2000. L'Office fédéral de la justice n'a pas exclu que l'art. 124 Cst. puisse servir de base constitutionnelle pour l'indemnisation des personnes victimes de stérilisations forcées. Il relevait toutefois que l'aide prévue par l'art. 124 Cst. ne peut être accordée qu'à des victimes d'infractions. Il avait tout au plus admis que l'on puisse exceptionnellement étendre la notion de victimes 5801

d'infractions à des personnes stérilisées en conformité avec le droit cantonal lorsque ce dernier choque les conceptions actuelles et qu'il serait contraire à l'égalité de traitement de ne pas assimiler les personnes concernées à des victimes d'infractions.

On peut toutefois se demander si, avec le projet de loi sur l'indemnisation des victimes de stérilisations et de castrations abusives, on n'a pas étendu de manière excessive la notion de «victimes d'infractions», compte tenu du fait que la notion de stérilisation abusive y est définie de manière assez large, englobant des situations qui ne seraient pas constitutives d'une infraction au sens de la LAVI actuelle et qui ne peuvent à notre sens y être assimilées.

4

Autres remarques concernant le projet de loi sur l'indemnisation des victimes de stérilisations et de castrations abusives

Nous renvoyons pour l'essentiel aux observations que nous avons formulées plus haut. Pour le cas où notre proposition de renoncer au projet de loi ne serait pas suivie, nous formulons les remarques suivantes.

4.1

Notion de stérilisation abusive (art. 3)

Nous renvoyons aux remarques formulées au chiffre premier ci-dessus. La teneur de l'art. 3, et en particulier de son al. 3, est trop large à notre avis dans le cadre d'un régime d'indemnisation pour des actes commis par le passé, car elle permet de considérer comme abusives des interventions qui font aujourd'hui encore l'objet d'un débat éthique parmi les spécialistes et dans le public. Pourraient ainsi être considérées a posteriori comme abusives même des stérilisations pratiquées conformément à des lois cantonales récentes. En effet, le législateur cantonal doit pouvoir jouir d'un minimum de pouvoir d'appréciation dans l'exercice de ses compétences législatives originaires sans risquer d'être sanctionné rétroactivement par le législateur fédéral. Si le projet de loi sur l'indemnisation des victimes de stérilisations et de castrations abusives est maintenu, il doit se limiter à prévoir une réparation pour des cas d'abus manifeste. Dans le cas d'interventions effectuées sur des personnes durablement incapables de discernement, on peut également se demander quels seront les véritables bénéficiaires des prestations versées. Indirectement, ce seront les proches de la personne concernée qui bénéficieront dans certains cas des prestations accordées, alors qu'ils ont peut-être eux-mêmes provoqué l'intervention contestée ou y ont contribué activement. L'indemnisation devrait donc à notre avis être réservée à des cas d'abus manifestes pratiqués sur des personnes qui n'étaient pas durablement incapables de discernement.

5802

4.2

Modèle d'indemnisation calqué sur la LAVI (art. 4 ss)

Nous ne sommes pas favorables au projet de loi pour les raisons évoquées plus haut.

Si le projet de loi est néanmoins maintenu, nous proposons de suivre la proposition qui avait notamment été faite par le canton de Vaud dans sa réponse à la consultation, en introduisant une forme d'indemnité forfaitaire, à caractère essentiellement symbolique; celle-ci aurait le mérite de simplifier la procédure d'indemnisation et serait de ce point de vue sans doute plus appropriée qu'un système d'indemnisation calqué sur le modèle assez complexe de la LAVI.

4.3

Action en constatation des héritiers ou des proches (art. 4, al. 4)

Les droits de la personnalité sont intransmissibles. Ils ne passent pas aux héritiers et s'éteignent avec la mort (Personnes physiques et tutelle, H. Deschenaux/P.-H.

Steinauer, Berne 2001, § 536 ss; Natürliche Personen und Persönlichkeitsschutz, A. Bucher, 3e éd., Bâle 1999, § 510). Les héritiers ne peuvent donc en principe intenter une action en justice en invoquant une violation des droits de la personnalité du défunt. Le Tribunal fédéral a toutefois jugé que les héritiers pouvaient poursuivre une action défensive ouverte par le défunt de son vivant si la violation des droits de la personnalité du défunt constitue également une atteinte à leur propre personnalité (ATF 104 II 225 ss; Bucher, op. cit., § 562). L'action en constatation n'est en outre admissible que lorsqu'une situation de trouble cause encore concrètement ou peut causer à nouveau un trouble (ATF 120 II 371).

L'art. 4, al. 4 du projet de loi déroge à ces principes, dans la mesure où il permet non seulement aux proches, mais aussi aux héritiers, de poursuivre l'action en constatation intentée par le défunt, indépendamment de toute intérêt concret et de toute atteinte aux droits de la personnalité des héritiers ou des proches concernés.

Nous nous demandons si une telle dérogation aux principes en vigueur en matière de protection de la personnalité se justifie. Il nous semblerait plus cohérent, si l'on entend véritablement accorder un droit aux proches, de le faire en leur accordant un droit propre, comme le fait la LAVI; seuls devraient toutefois pouvoir intenter une action les proches qui ont eux-même subi une atteinte, en particulier du fait qu'ils n'ont pu avoir une descendance avec la personne stérilisée abusivement. Il conviendrait par ailleurs de renoncer à la mention des héritiers, car on voit mal l'intérêt que peut présenter la possibilité de poursuivre l'action en constatation pour des personnes qui n'entretenaient peut-être qu'un lien assez éloigné avec le défunt (et dont les intérêts pourraient diverger de ceux des proches).

4.4

Rôle des centres de consultation LAVI (art. 5, al. 2)

L'art. 5, al. 2, du projet prévoit la possibilité pour la personne concernée de s'adresser à un centre de consultation en matière d'aide aux victimes au sens de l'art. 3 LAVI. Le centre fournira gratuitement son aide pour effectuer les recherches

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et démarches nécessaires au dépôt d'une demande d'indemnisation et de réparation morale.

Dans la mesure où on ne peut estimer précisément le nombre de demandes qui seront déposées, il est difficile d'évaluer la charge de travail supplémentaire que pourrait représenter cette nouvelle tâche pour les centres de consultation LAVI, lesquels sont déjà pour la plupart surchargés. Il ne faudrait pas que les tâches ordinaires d'aide aux victimes d'infractions pâtissent de ce travail supplémentaire. A notre avis, l'art. 8 du projet suffit amplement: il charge l'autorité compétente d'établir les faits d'office et l'oblige à se satisfaire d'une motivation sommaire de la demande. En outre, il prévoit l'octroi d'une aide juridique si nécessaire. Nous proposons par conséquent de renoncer à l'al. 2 de l'art. 5.

4.5

Indemnités allouées aux cantons (art. 13)

Nous renvoyons sur ce point à nos remarques introductives du chiffre premier. Des indemnités de la Confédération ne se justifient ni sous l'angle de la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons, ni sous l'angle du projet de RPT.

4.6

Dispositions pénales (art. 12)

Compte tenu de la nouvelle partie générale du Code pénal adoptée le 13 décembre 2002, la référence aux arrêts comme sanction pénale devrait disparaître de l'art. 12.

4.7

Disposition transitoire (art. 15)

Nous proposons de compléter l'art. 15 par la précision suivante: Art. 15

Disposition transitoire

Les demandes d'indemnisation ou de réparation morale déposées avant l'entrée en vigueur de la présente loi en vertu de l'art. 12 LAVI et pour lesquelles il n'a pas encore été statué définitivement à cette date sont régies par la présente loi si elles portent sur des faits couverts par cette dernière.

Lorsqu'une demande d'indemnisation ou de réparation morale déposée en vertu de la LAVI ou d'une autre base juridique a déjà abouti à une décision définitive, la personne concernée pourrait formuler une nouvelle demande en vertu du projet de loi. Les montants déjà obtenus devraient alors être déduits des prestations accordées en vertu du projet de loi conformément à l'art. 6 de ce même projet, qui renvoie luimême à l'art. 14 LAVI.

5804

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Remarques sur le projet de loi sur la stérilisation

5.1

En général

Le Conseil fédéral soutient la proposition de la commission visant à réglementer légalement la stérilisation en général et la stérilisation de personnes incapables de discernement en particulier. Les abus survenus par le passé ne doivent plus pouvoir se reproduire.

Comme le rapport de la commission l'explique, une loi adaptée à la situation actuelle et future doit tenir compte de l'évolution sociale et de l'attitude beaucoup plus ouverte face à la sexualité. Alors que la société ne tolérait guère par le passé que des personnes ayant un handicap mental grave aient une vie sexuelle, ce qui a entraîné une séparation selon le sexe dans les établissements de séjour et de soins, ces personnes jouissent actuellement d'une vie plus indépendante et libre, y compris pour ce qui est de leur sexualité. Les établissements de séjour et de travail ne connaissent en général plus de séparation selon le sexe et les relations sexuelles entre les résidents sont admises si elles résultent de la libre volonté des personnes concernées. La question des moyens de contraception adéquats est donc centrale. Il existe aujourd'hui plusieurs moyens de contraception différents, ayant chacun ses avantages et ses inconvénients. Il n'est toutefois pas exclu que l'utilisation de ces moyens ne soit pas suffisamment fiable ou que l'injection périodique à la seringue tous les trois mois ne devienne un lourd fardeau à porter pour la personne concernée. Les conséquences de la grossesse, de la naissance, de la paternité ou de la maternité pour une personne incapable de discernement, ainsi que la restriction de sa liberté en vue d'empêcher des contacts avec l'autre sexe sont de ce fait à prendre en considération.

Toute réglementation de la stérilisation, et de même la décision concrète de stériliser, doit réaliser une pesée soigneuse des droits strictement personnels de la personne durablement incapable de discernement qui sont en jeu.

Comme la commission, le Conseil fédéral est d'avis que la stérilisation d'une personne passagèrement incapable de discernement doit être exclue et que celle d'une personne durablement incapable de discernement ne doit être admise qu'à des conditions strictes et à titre de recours ultime. Le Conseil fédéral estime cependant ­ en particulier au vu des résultats de la procédure de consultation ­ que les points suivants du projet de la commission sont critiquables.

5.2

Définition (art. 2, al. 1)

L'art. 2, al. 1, du projet définit la stérilisation comme l'opération qui consiste à supprimer, par une intervention médicale, de manière permanente et en principe définitive les facultés reproductrices d'une personne. Grâce aux progrès de la microchirurgie, une stérilisation ne peut toutefois plus être considérée comme définitive.

En ce qui concerne en particulier la reconstruction de trompes utérines non infectées (par exemple en cas de ligature des trompes), les chances de succès de porter un foetus vivant sont aujourd'hui de l'ordre de 80 à 90 % en l'absence d'autres facteurs aggravants (tels qu'un âge supérieur à 40 ans, des trompes trop courtes ou une sous-fertilité de l'homme). Quant à l'opération pratiquée sur un homme aux fins de lui faire recouvrer ses facultés reproductrices, son taux de succès tourne autour 5805

du même pourcentage, même s'il est vrai que les chances de succès s'amenuisent d'autant plus que la date de la stérilisation est ancienne. La norme définitoire doit donc prendre en compte cette évolution de la médecine. De plus, il importe, en cas de stérilisation d'une personne durablement incapable de discernement (art. 7), de s'assurer que soit choisi le mode d'opération qui permet le mieux à la personne concernée de recouvrer ses facultés reproductrices.

5.3

La question de l'âge (art. 3, 4, 5 et 7, al. 1)

L'avant-projet mis en consultation prévoyait pour la stérilisation une limite d'âge à 18 ans. La majorité de la commission veut abaisser cette limite à 16 ans. Le Conseil fédéral propose avec la minorité de la commission de maintenir la limite d'âge à 18 ans aux art. 3, 4 et 5 du projet. La motivation de la minorité mérite d'être approuvée (voir ch. 2.4 du rapport de la commission des affaires juridiques du Conseil national). Il faut avoir à l'esprit que même de jeunes personnes majeures ne disposent souvent pas de la maturité nécessaire pour appréhender dans toute son ampleur l'atteinte que constitue la stérilisation pour eux et pour faire des choix durables quant à leur volonté d'avoir des enfants et d'en assumer la charge. La majorité doit être de ce fait une condition minimale à la capacité de consentir. Le droit civil n'exclut certes pas de faire dépendre du consentement du représentant légal la validité d'un acte juridique strictement personnel de la personne partiellement incapable. Un éventuel consentement s'opposerait cependant, en regard du bien de l'enfant, aux limites de l'autorité parentale. Le Conseil fédéral approuve par contre la majorité de la commission à l'art. 7, al. 1. La situation d'une personne atteinte d'un handicap mental grave qui ne peut espérer recouvrer un jour sa capacité de discernement n'est pas comparable à celle d'une jeune personne dont la personnalité se développe encore.

5.4

Stérilisation de personnes durablement incapables de discernement (art. 7)

Selon le projet de la commission, la stérilisation de personnes durablement incapables de discernement est autorisée à titre exceptionnel, lorsqu'«elle est pratiquée exclusivement dans l'intérêt de la personne concernée» (art. 7, al. 2, let. a). En regard notamment des stérilisations abusives survenues par le passé (voir ch. 1.4 du rapport de la commission des affaires juridiques du Conseil national), il apparaît justifié au Conseil fédéral d'exiger que la stérilisation d'une personne durablement incapable de discernement intervienne dans l'intérêt de la personne concernée, déterminé en tenant compte de toutes les circonstances. Des considérations de politique sociale par exemple ne doivent jamais influencer une décision de stérilisation. Cependant, comme cela a été relevé dans plusieurs prises de position lors de la procédure de consultation, il est exagéré de prévoir explicitement que les intérêts de tiers comme ceux des proches ne doivent pas être pris en compte. Le Conseil fédéral propose donc de biffer le terme «exclusivement».

5806

La stérilisation n'est de plus autorisée que si la personne concernée «n'a pas manifesté d'opposition à l'intervention» (art. 7, al. 2, let. a). D'après le rapport explicatif de la commission des affaires juridiques du Conseil national, il ne s'agit pas uniquement du refus de la stérilisation en elle-même, qui nécessiterait un degré minimal de capacité de discernement pour être juridiquement contraignant. Au contraire, une peur diffuse conduisant au refus de l'intervention du médecin constitue déjà une opposition juridiquement efficace. Le médecin ne peut qu'aider la personne concernée à surmonter ses appréhensions lors d'un entretien visant à éclaircir la situation (ch. 2.6.1.2 ad art. 7). Ce concept de «volonté naturelle (qui s'oppose)» de la personne incapable de discernement ne convainc pas, comme cela a été souligné lors de la procédure de consultation par des participants d'horizons différents. Une application stricte de la norme conduirait en règle générale à une interdiction de fait de la stérilisation, car de nombreuses personnes ayant un handicap mental grave ont une peur disproportionnée d'examens ou d'actes médicaux et particulièrement des piqûres, ce qui se manifeste par exemple même chez le dentiste. Une décision négative en raison de la peur exprimée face à une intervention médicale pourrait cependant avoir pour conséquence une grossesse, un accouchement ou, sous certaines conditions, un avortement. Ces conséquences seraient encore plus dures pour une femme incapable de discernement, car, selon l'art. 7, al. 2, let. b, une décision de stérilisation implique qu'aucune méthode de contraception appropriée n'est possible. Les mesures visant à empêcher les contacts sexuels ne peuvent également pas être considérées comme étant dans l'intérêt de la personne incapable de discernement.

La stérilisation est autorisée lorsque «la conception et la naissance d'un enfant sont à prévoir» (art. 7, al. 2, let. c). Le Conseil fédéral approuve cette condition. La stérilisation à titre préventif d'une femme inactive sexuellement en prévision d'un danger abstrait de viol n'est pas admissible. Le Conseil fédéral ne souhaite cependant pas aller aussi loin que la commission dans l'interprétation de la let. c. N'est par exemple pas suffisante selon le rapport explicatif de la commission, pour une personne
incapable de discernement qui se montre intéressée à avoir des relations sexuelles, l'expectative générale que des relations vont se créer et que des contacts sexuels auront lieu un jour. Il faut au contraire une possibilité concrète et sérieuse de grossesse ou d'accouchement sur la base du fait que la personne concernée a un partenaire sexuel ou des contacts sexuels avec plusieurs partenaires (ch. 2.6.1.2 ad art. 7).

Cette exigence n'est pas praticable; elle aurait pour conséquence négative qu'une femme durablement incapable de discernement devrait d'abord avoir des relations sexuelles sans être protégée pour remplir la condition de la stérilisation. Comme aujourd'hui les homes, les communautés etc, qui accueillent des personnes ayant un handicap mental ne connaissent pratiquement plus la séparation selon le sexe, une protection en temps voulu contre une grossesse non désirée est nécessaire, car le personnel ne peut guère prévoir le début précis de relations intimes.

Le projet de la commission pose enfin comme condition qu'une grossesse, la venue au monde d'un enfant ou la séparation inévitable d'avec l'enfant mettraient sérieusement en danger la santé physique ou psychique de la femme ou de l'homme (art. 7, al. 2, let. d). Il s'ensuit, selon le rapport explicatif de la commission des affaires juridiques du Conseil national, que la stérilisation est illicite lorsque la séparation inévitable de l'enfant ne met pas (sérieusement) en danger la santé physique ou psychique de la personne concernée ­ en raison d'une indifférence pathologique par exemple. Le simple fait que la personne concernée ne pourra pas s'occu5807

per de l'enfant et en sera donc séparée ne suffit pas à justifier la stérilisation (ch. 2.6.1.2 ad art. 7). Cela signifie en d'autres termes qu'une personne incapable de discernement qui peut développer une relation affective avec l'enfant pourra être stérilisée, alors qu'il serait interdit de stériliser une personne émotionnellement indifférente en raison de son handicap mental grave. Cette solution n'est pas convaincante. A cela s'ajoute que la charge de la grossesse et la grande douleur causée par une séparation ultérieure de l'enfant se feront sentir bien plus tôt chez la femme que chez l'homme. Le danger existe donc que les conditions de la stérilisation seront bien plus vite considérées comme remplies chez la femme que chez l'homme. Il faut enfin relever que, sans tenir compte de cela, la mise en danger de la santé physique ou psychique de la personne concernée du fait de la grossesse, de la venue au monde d'un enfant ou de la séparation inévitable d'avec l'enfant n'est guère susceptible d'un diagnostic ou d'un pronostic fiables. Le Conseil fédéral propose donc de formuler la let. c de manière plus objective et de régler la séparation inévitable de l'enfant de manière indépendante. La souffrance causée à la mère ou au père par la séparation est implicitement incluse. Il importe en outre de prendre également en considération le cas dans lequel la grossesse mettrait fortement en danger la santé de la femme concernée.

Il faut relever en dernier lieu que la notion d'incapacité durable de discernement n'est pas particulièrement claire. Le Conseil fédéral accueillerait donc favorablement une lettre additionnelle précisant que la personne concernée n'a aucune chance de recouvrer sa capacité de discernement, en cas de vraisemblance confinant à la certitude.

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Propositions du Conseil fédéral relatives au projet de loi sur la stérilisation

Se fondant sur les explications qui précèdent, le Conseil fédéral propose de formuler l' art. 2, al. 1, ainsi que les art. 3 et 7 comme suit (modifications en italique): Art. 2, al. 1 1

La stérilisation consiste à supprimer de manière permanente, par une intervention médicale, les facultés reproductrices d'une personne.

Art. 3

Stérilisation de personnes âgées de moins de 18 ans

La stérilisation d'une personne âgée de moins de 18 ans est interdite.

L'art. 7 est réservé.

Art. 7

Stérilisation de personnes durablement incapables de discernement

1 La stérilisation d'une personne âgée de plus de 16 ans et durablement incapable de discernement est interdite, sous réserve des conditions prévues à l'al. 2.

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Elle est exceptionnellement autorisée si: a.

elle est pratiquée, toutes circonstances considérées, dans l'intérêt de la personne concernée (biffer le reste);

b.

la conception et la naissance d'un enfant ne peuvent pas être empêchées par d'autres méthodes de contraception appropriées ou par la stérilisation volontaire du partenaire capable de discernement;

c.

la conception et la naissance d'un enfant sont à prévoir;

d.

la séparation d'avec l'enfant après la naissance est inévitable parce que les responsabilités parentales ne peuvent pas être exercées ou parce qu' une grossesse mettrait fortement en danger la santé de la femme;

e.

la personne concernée n'a aucune chance d'acquérir la capacité de discernement;

f.

le mode d'opération choisi est celui dont la probabilité de réversibilité est la plus élevée;

g.

l'autorité tutélaire a donné son autorisation selon l'art. 8.

Avis du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral rejette la proposition du 23 juin 2003 de la CAJ-N concernant le projet de loi sur l'indemnisation des victimes de stérilisations et de castrations abusives. Par contre, il approuve sur le principe le projet de loi sur la stérilisation. Le Conseil fédéral est d'accord avec la minorité de la commission concernant les art. 3 à 5. Les propositions concernant l' art. 2, al. 1, ainsi que les art. 3 et 7 figurent au ch. 6.

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