Entraînements de pilotes militaires à l'étranger durant la période 1993­2000 Rapport final de la Délégation des Commissions de gestion des Chambres fédérales du 15 septembre 2000

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2000-2566

Rapport 1

Point de départ

Les entraînements de pilotes militaires suisses à l'étranger sont un sujet qui revient régulièrement sous une forme ou une autre sur le devant de l'actualité politique.

En 1993, la Délégation des Commissions de gestion (ci-après: la délégation) publiait un rapport détaillé sur les échanges de pilotes professionnels effectués entre la Suisse et l'Afrique du Sud. Ces échanges avaient eu lieu entre 1983 et 1988 à un moment où l'Afrique du Sud était au ban de la communauté internationale. Dans son rapport, la délégation critiquait le fait que ces échanges avaient été organisés par le commandant de l'aviation militaire et les services de renseignements à l'insu des chefs du Département militaire fédéral (DMF; actuellement, Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports, DDPS). Dans ses conclusions, la délégation recommandait au Conseil fédéral de mieux contrôler les activités des militaires détachés à l'étranger. Elle invitait également le Conseil fédéral à prendre les mesures adéquates visant à assurer la primauté des intérêts politiques sur les objectifs militaires.

Au printemps 2000, la délégation a décidé d'examiner une nouvelle fois la question des engagements de pilotes militaires suisses à l'étranger. Le but de la démarche est, pour la délégation, de vérifier la suite donnée à ses recommandations depuis la parution du rapport en 1993. Il s'agit aussi de s'assurer qu'en matière militaire notre pays ne collabore pas avec des Etats susceptibles de poser des problèmes sur le plan du droit et de la politique de neutralité.

Le présent rapport s'inscrit dans la volonté de la délégation d'assurer le contrôle de l'administration par la transparence. Il doit concourir à rendre plus sereine la discussion publique et à renforcer la confiance dans les institutions.

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Travaux de la délégation

La délégation a débuté ses travaux le 13 avril 2000 par un échange de vues avec le président de la Confédération, Monsieur Adolf Ogi, chef du DDPS. Elle lui a demandé par la suite d'établir une liste complète des échanges de pilotes entre la Suisse et l'étranger pour la période comprise entre 1993 et l'an 2000. Le 12 mai 2000, dans le cadre de l'examen du rapport de gestion 1999 du Conseil fédéral, le DDPS a informé les membres de la délégation sur les activités d'instruction de l'armée à l'étranger et sur les exercices communs avec des troupes étrangères. Etaient présents à cet entretien outre le chef du DDPS, le chef de l'étatmajor général, le commandant de corps Hans-Ulrich Scherrer, le divisionnaire Heinz Aschmann, sous-chef d'état-major de la direction de l'instruction, le divisionnaire Christophe Keckeis, suppléant du chef des Forces aériennes et le brigadier JeanJacques Duc, commandant de la brigade blindée 1. La délégation a entendu finalement, le 29 juin 2000, le commandant des Forces aériennes, le commandant de corps Hansruedi Fehrlin, ainsi que son suppléant le divisionnaire Keckeis.

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La délégation a élaboré le présent rapport lors de ses séances des 16 août et 15 septembre 2000. Conformément à la loi sur les rapports entre les conseils (art.

47quinquies, al. 7, LREC; RS 171.11), la délégation a soumis son rapport au Conseil fédéral afin qu'il puisse faire valoir son droit d'être entendu. Le Conseil fédéral s'est rallié aux constatations et à l'appréciation de la délégation. Il n'a pas non plus trouvé dans le rapport d'éléments qui devraient être maintenus secrets.

Le rapport final a été présenté à la Commission de gestion du Conseil des Etats le 27 octobre 2000 et à la Commission de gestion du Conseil national le 6 novembre 2000. Les commissions en ont pris acte. Elles ont décidé par ailleurs de publier le présent rapport et de le porter à la connaissance aussi bien des Chambres fédérales que de l'opinion publique.

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Constatations de la délégation

3.1

Entraînements effectués entre 1993 et 2000

Entre 1993 et fin juin 2000, les Forces aériennes suisses ont participé à 43 engagements d'entraînement à l'étranger dans les dix pays suivants: Allemagne, Autriche, Espagne, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Norvège, Pays-Bas et Pologne. Tous ces échanges étaient fondés sur des décisions d'autorités politiques (Conseil fédéral, chef du DDPS) concrétisées dans des accords bilatéraux, des mémorandums d'accord (MOU: memorandum of understanding) ou des autorisations spéciales du chef du DDPS.

Tous les entraînements de pilotes suisses à l'étranger ou avec des troupes étrangères sont conciliables avec le droit de la neutralité. Le droit international de la neutralité (conventions de la Haye du 18 octobre 1907, droit international coutumier) interdit en effet à la Suisse de prendre part directement à des conflits armés opposant des Etats tiers ou d'assister les belligérants en mettant à leur disposition des troupes, des armes ou son territoire. Ces règles sont applicables en cas de conflit armé entre Etats. En temps de paix, le droit de la neutralité ne limite en aucune manière la participation de la Suisse à des engagements d'entraînements à l'étranger ou avec des troupes étrangères. Cette coopération en matière d'instruction n'est pas liée à une adhésion à une alliance militaire; ils n'exposent ainsi pas la Suisse au risque d'être impliquée dans un conflit armé.

3.2

Accords de coopération actuellement valables avec l'étranger

A l'heure actuelle, les Forces aériennes participent à quinze accords bilatéraux avec dix armées de l'air étrangères, dont neuf européennes (voir tableau ci-dessous). Tous les pays voisins de la Suisse sont concernés à l'exception de l'Italie.

Sur le plan formel, les accords sont passés entre le Conseil fédéral suisse ou le DDPS d'une part, et les Gouvernements ou Ministères de la Défense des pays concernés d'autre part. Dans les faits, le Conseil fédéral approuve le plus souvent les accords et habilite généralement le commandant des Forces aériennes à les signer.

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En règle générale, les accords sont conclus pour une durée illimitée et peuvent être amendés d'un commun accord écrit entre les deux parties. Ils peuvent aussi être dénoncés conjointement par les deux parties, ou par l'une des deux parties moyennant préavis.

Le contenu des accords et leur objet varient suivant les cas. Ils touchent surtout à l'instruction technique, à l'entraînement, à la participation à des exercices communs ou à l'échange d'informations. Ils règlent en particulier les échanges de personnel ainsi que les détails des activités d'entraînement. Les entraînements peuvent prendre la forme d'entraînements à la recherche et au sauvetage, d'entraînements aériens communs ou d'entraînements des forces aériennes suisses dans des zones de l'espace aérien du pays concerné.

Il faut relever qu'il n'existe pas dans la loi fédérale sur l'armée et l'administration militaire (LAAM; RS 510.10) de disposition explicite permettant au Conseil fédéral de conclure de telles conventions. Selon une pratique constitutionnelle constante, ancrée récemment dans l'art. 47bisb, al. 3, LREC, le Conseil fédéral peut conclure seul des traités internationaux de portée mineure. Sont considérés comme tels les traités qui ne créent pas de nouvelles obligations pour la Suisse (let. a) et ceux qui règlent des questions administratives ou techniques (let. d). La LREC dispose également que le Conseil fédéral peut déléguer la compétence de conclure des traités internationaux à un département. La compétence de conclure des traités de portée mineure peut aussi être déléguée à un groupement ou à un office.

A une exception près, tous les accords de coopération entre les Forces aériennes suisses et l'étranger sont publics. Ils seront bientôt accessibles par la voie d'Internet (projet ELIAS 2 de la Direction du droit international public du Département fédéral des affaires étrangères). Par ailleurs, le nouvel art. 47bisb, al. 5, LREC, en vigueur depuis le 1er janvier 2000, exige que le Conseil fédéral présente chaque année à l'Assemblée fédérale un rapport sur les traités conclus par lui, un département, un groupement ou un office.

A noter finalement que la coopération avec la Pologne s'inscrit dans le cadre multilatéral du Partenariat pour la paix (PPP) auquel la Suisse a décidé de participer en 1996. Elle est mise en oeuvre par l'Etat-major général et a fait l'objet d'un échange de lettres entre le chef du DDPS et le Ministère de la défense polonais.

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Accords bilatéraux entre les Forces aériennes suisses et l'étranger (état: juin 2000) Pays

Objet de la collaboration

Entrée en vigueur

Allemagne

Coopération en matière d'exercices et d'instruction

2000

Autriche

Coopération en matière d'aviation militaire

1998

Belgique

Programmes d'échanges et activités communes d'entraînement

1999

Espagne

Echange d'informations en matière d'équipement d'avions

1998

Etats-Unis

Accord de coopération pour la sécurité des vols des avions de combat F/A-18 Hornet

1994

Etats-Unis (US Air Force in Europe)

Possibilités d'entraînement

1999

Etats-Unis (US Navy)

Echange de personnels militaires

1995

Finlande

Echange d'informations

1993

France

Accord d'entraînement et d'échanges

1997

France

Exercice de ravitaillement en vol

2000

Grande-Bretagne

Instruction des éclaireurs parachutistes

1993

Grande-Bretagne

Entraînement au combat aérien tactique en mer du Nord

1995

Norvège

Coopération en matière d'entraînement

1997

Pays-Bas

Coopération en matière d'entraînement au combat aérien tactique au dessus de la mer du Nord

1997

Pays-Bas

Participation à des exercices d'entraînement

1998

Outre les activités fixées dans les accords bilatéraux ou en relation avec le PPP, les Forces aériennes participent également à l'EURAC (European Air Chiefs' Conference) qui réunit 17 chefs d'aviation militaire d'Europe occidentale. L'EURAC est un forum de discussion sur l'aviation militaire. Son but est de contribuer à la sécurité et de renforcer les possibilités de coopération entre les forces aériennes.

3.3

Buts des engagements d'entraînement à l'étranger

L'instruction des Forces aériennes à l'étranger ainsi que leur participation à des exercices communs avec les armées de l'air d'autres pays visent plusieurs buts.

Cela permet en premier lieu d'avoir accès à des espaces d'entraînement et de tir présentant des caractéristiques et des étendues qui n'ont pas d'équivalents en Suisse.

En effet, l'exiguïté de notre espace aérien et l'évolution croissante du trafic aérien civil imposent des restrictions qui empêchent d'exploiter certaines potentialités 108

des avions des Forces aériennes. A l'exiguïté spatiale s'ajoutent en Suisse des restrictions importantes en matière de vols de nuit, de vols supersoniques et de vols en basse ou moyenne altitude. A titre d'exemple, il est possible en Norvège de s'entraîner au combat aérien en vol supersonique pendant la nuit, toutes choses qui sont interdites en Suisse par égard à l'environnement ou pour des raisons de sécurité.

La participation à des exercices communs avec des forces aériennes étrangères permet aussi, dans le combat aérien, de s'entraîner contre des avions et des armements différents. Les équipages suisses ont ainsi l'occasion de se mesurer à d'autres pilotes et d'approfondir leurs connaissances pratiques sur les possibilités d'autres forces aériennes. C'est ainsi que nos pilotes ont déjà pu s'entraîner avec des Tornados de la Royal Air Force britannique, des Mirages 2000 français, des F-15 de l'US Air Force Europe, des F-16 des Forces aériennes royales norvégiennes, néerlandaises ou belges. Grâce aux systèmes électroniques de conduite et d'exploitation dont dispose la Grande-Bretagne en Mer du Nord, il est possible également de mesurer les performances des pilotes au plus près de la réalité.

Les échanges sont nécessaires également pour identifier les faiblesses de l'instruction des pilotes, cerner les lacunes de la préparation matérielle et tester la valeur des procédures, l'objectif étant d'améliorer l'efficacité opérationnelle des unités exercées.

Finalement, grâce aux exercices avec des forces aériennes étrangères, il est possible d'évaluer l'interopérabilité de la conduite, de l'instruction, de l'équipement, des structures et des procédures des Forces aériennes suisses. Cette capacité à collaborer avec d'autres armées est essentielle notamment lors d'engagements conjoints. C'est en tous les cas ce qu'a démontré la participation des Forces aériennes suisses dans le cadre des actions d'entraide humanitaires en Albanie (opération ALBA). De l'avis même du commandant des Forces aériennes, l'interopérabilité de notre aviation est encore insuffisante en matière de fréquences radio et de procédures, par exemple.

En contrepartie des engagements à l'étranger, la Suisse offre à ses partenaires des possibilités d'instruction dans les domaines du transport aérien par hélicoptère ou du vol en milieu
alpin. Les Forces aériennes suisses mettent également à disposition leurs simulateurs de vol. Grâce à ce principe de réciprocité, il est possible de réduire les coûts des échanges d'entraînements.

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Appréciation

Sur la base des informations dont elle dispose, la délégation porte l'appréciation suivante: ­

La délégation n'a pas d'objections à formuler à propos des entraînements à l'étranger des Forces aériennes durant la période 1993­2000. Ces entraînements répondent clairement à un besoin d'instruction. Ils sont fondés sur des décisions prises par des autorités politiques (Conseil fédéral, chef du DDPS). Limités à l'instruction en temps de paix, ces engagements ne constituent en aucune manière un appui ou une assistance militaire à un Etat étranger. Ils ne constituent pas non plus un premier pas vers une adhésion à une alliance militaire. De ce fait, ils ne posent aucun problème sous l'angle du droit de la neutralité. Ces échanges se justifient au contraire par l'obliga109

tion qu'a la Suisse, en tant qu'Etat neutre, d'être en mesure de se défendre par ses propres moyens en cas de conflit. Les entraînements permettent aussi de montrer à l'étranger que les pilotes de notre aviation militaire seraient aptes à défendre le territoire national en cas de nécessité. Cela crédibilise notre neutralité armée sur le plan international. La délégation estime par ailleurs que ces échanges correspondent aux principes et objectifs de la politique étrangère du Conseil fédéral et du Parlement. En effet, les Forces aériennes suisses ne coopèrent qu'avec des Etats démocratiques qui respectent les droits de l'homme et les libertés fondamentales.

­

La délégation relève que la compétence du Conseil fédéral de conclure des conventions internationales avec d'autres Etats en matière d'instruction militaire n'est pas inscrite dans la loi sur l'armée et l'administration militaire (LAAM). Elle repose sur une pratique reconnue par le droit constitutionnel ­ et inscrite récemment dans la loi sur les rapports entre les conseils (LREC) ­ qui donne au Conseil fédéral la compétence de conclure des traités d'importance mineure (Bagatellverträge). Avec l'accroissement de telles formes de collaboration, le Conseil fédéral a proposé au Parlement, dans son message du 27 octobre 1999, d'inscrire explicitement cette compétence dans la LAAM. Cette partie du projet de loi a déjà été adoptée par l'Assemblée fédérale le 6 octobre 2000.

­

La délégation a pu s'assurer que la Suisse ne procédait plus, depuis 1993, à des échanges de pilotes militaires avec l'Afrique du Sud ou avec Israël. Le DDPS ne conteste pas en revanche que de tels échanges ont eu lieu avant 1993, mais ils font clairement partie d'une époque révolue.

­

La délégation est d'avis que le DDPS a tiré les conséquences des critiques formulées par la délégation dans son rapport du 28 septembre 1993. Les procédures d'autorisation pour les échanges de militaires avec l'étranger ont été rendues plus strictes. Les directives du chef du DMF du 27 novembre 1987 concernant les personnes détachées à l'étranger ont été abrogées et remplacées par de nouvelles directives. Ces dernières sont beaucoup plus sévères et sont applicables également aux engagements de pilotes à l'étranger (directives du chef du DMF du 24 février 1995). Les échanges avec l'étranger font généralement l'objet de comptes rendus détaillés qui sont transmis au secrétariat général du DDPS qui dispose ainsi de l'information nécessaire. En outre, le département a renforcé son contrôle politique sur l'armée en étoffant les structures et les moyens du secrétariat général. C'est dire si, aujourd'hui, il serait difficilement imaginable, contrairement aux années quatre-vingts, qu'un chef des Forces aériennes puisse organiser des échanges de pilotes avec l'étranger à l'insu du chef du DDPS. Quant aux services de renseignements qui avaient joué un rôle important dans le cadre des échanges avec l'Afrique du Sud, ils ne sont plus impliqués dans l'organisation d'entraînements à l'étranger.

­

La délégation est d'avis que l'évolution positive décrite plus haut s'explique aussi par des considérations militaires. Dans les années de la Guerre froide, les Forces aériennes devaient se tenir en état de pouvoir affronter les avions du Pacte de Varsovie. Il fallait offrir aux pilotes suisses une préparation dans la perspective d'une possible guerre. L'intérêt de pouvoir échanger des informations avec des forces aériennes qui disposaient, comme l'Afrique du Sud et Israël, de matériels identiques aux nôtres (Mirages III) et d'expé-

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riences de combat contre des avions du bloc de l'Est (Mig) était évident.

Depuis le tournant de 1989/1990 en Europe, la donne politique et stratégique a changé. L'instruction de nos pilotes doit donc être recentrée sur les nécessités et menaces actuelles, telles qu'elles sont décrites dans le rapport du Conseil fédéral sur la politique de sécurité de la Suisse, du 7 juin 1999 (RAPOLSEC 2000). Vu l'évolution de la structure de sécurité européenne, la délégation est d'avis que la participation des Forces aériennes suisses à des échanges d'instruction avec l'étranger est justifiée.

15 septembre 2000

Au nom de la Délégation des Commissions de gestion: Le président, Franz Wicki, député au Conseil des Etats Le secrétaire, Philippe Schwab

Les Commissions de gestion ont pris acte du présent rapport et en ont approuvé la publication.

27 octobre 2000

Au nom des Commissions de gestion: La présidente de la commission du Conseil des Etats, Helen Leumann, députée au Conseil des Etats

6 novembre 2000

Le président de la commission du Conseil national, Rudolf Imhof, conseiller national

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