00.090 Message relatif au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, à la loi fédérale sur la coopération avec la Cour pénale internationale ainsi qu'à une révision du droit pénal du 15 novembre 2000

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, Nous avons l'honneur, par le présent message, de soumettre à votre approbation le projet d'arrêté fédéral relatif à la ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, le projet de loi fédérale sur la coopération avec la Cour pénale internationale ainsi que le projet de loi fédérale portant modification du code pénal et du code pénal militaire (infractions aux dispositions sur l'administration de la justice devant les tribunaux internationaux).

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

15 novembre 2000

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Adolf Ogi La chancelière de la Confédération, Annemarie Huber-Hotz

2000-2375

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Condensé Réunie à Rome, la Conférence diplomatique de Plénipotentiaires des Nations Unies sur la création d'une Cour pénale internationale a adopté le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (ci-après «Statut») le 17 juillet 1998 à une écrasante majorité (120 voix contre 7 et 21 abstentions).

Le Statut constitue la base légale de la Cour pénale internationale permanente ayant son siège à La Haye (ci-après «Cour pénale»). Cette Cour sera compétente pour juger les auteurs de crimes particulièrement graves qui touchent la communauté internationale dans son ensemble: le crime de génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre ainsi que le crime d'agression (cette dernière notion restant encore à définir).

La Cour pénale fonctionnera selon le principe de la complémentarité: elle interviendra uniquement dans les cas où les autorités nationales compétentes en premier lieu n'auront pas la volonté ou les moyens de poursuivre en justice avec toute la sévérité requise les auteurs des crimes commis sur le territoire national ou perpétrés par leurs ressortissants. Cela peut arriver, par exemple, lorsque le système de poursuite pénale n'est plus en état de fonctionner en raison d'actes de guerre. Il se peut aussi que les autorités nationales compétentes soient aux mains de personnes ayant elles-mêmes une part de responsabilité dans les crimes en cause, si bien qu'il serait illusoire de s'attendre à l'aboutissement d'une procédure pénale sérieusement menée. La complémentarité du Statut est destinée à combler les lacunes fréquemment constatées dans la poursuite pénale des auteurs de ces crimes particulièrement abominables. La Cour pénale n'a aucunement l'ambition de se substituer aux juridictions nationales. Elle ne se considère pas non plus comme une instance de recours au niveau international, qui serait habilitée à revoir les jugements pénaux de dernière instance rendus par les tribunaux nationaux.

Le Statut est fondé sur la reconnaissance du principe de la responsabilité pénale individuelle pour les violations les plus graves du droit des gens. Il reste en revanche muet sur la question de la responsabilité pénale des Etats. Le principal acquis du Statut de Rome réside dans la possibilité qu'il offre à la communauté internationale d'obliger les individus ayant violé les principes
humanitaires les plus élémentaires à répondre de leurs actes devant un tribunal international. La Cour pénale internationale est donc l'expression d'une justice exercée au nom de la communauté internationale tout entière.

Le Statut entrera en vigueur le premier jour du mois suivant le soixantième jour après la date de dépôt du soixantième instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies. A ce jour (15 novembre 2000), 115 Etats (dont la Suisse, le 18 juillet 1998) ont signé le Statut, mais seuls 22 d'entre eux l'ont ratifié. Nombreux sont cependant ceux qui ont annoncé une ratification prochaine. Au vu des efforts politiques considérables déployés dans le monde entier pour accélérer la création de la Cour pénale, il paraît réaliste de s'attendre à l'entrée en vigueur du Statut dans un proche avenir.

360

Eu égard à la tradition humanitaire de notre pays, à sa qualité d'Etat dépositaire des Conventions de Genève et à sa contribution non négligeable aux négociations ayant permis de faire aboutir le projet de Statut, il est important que la Suisse figure parmi les soixante premiers Etats à le ratifier. C'est en effet là une occasion pour notre pays de prouver son engagement en faveur du droit humanitaire et des droits de l'homme. A ces motifs de principe vient s'en ajouter un autre, plus pratique: l'entrée en vigueur du Statut sera suivie de la constitution d'une Assemblée des Etats Parties. Celle-ci sera appelée à prendre des décisions importantes dans la mesure où elle devra désigner les juges et le procureur, approuver les règles de procédure de la Cour ainsi que les «éléments des crimes» (instrument d'appoint pour l'interprétation des crimes définis dans le Statut), établir le régime financier et le budget, traiter des liens de la Cour pénale avec l'Organisation des Nations Unies et réglementer les privilèges et les immunités des personnes travaillant pour la Cour pénale. Il serait dommage que la Suisse ne saisisse pas l'occasion de prendre part à ces décisions parfois cruciales. Il importe donc qu'elle ratifie le Statut au plus vite.

Pressé par le temps, le Conseil fédéral a donc décidé de ne joindre au message relatif au Statut de Rome que les mesures législatives indispensables dans l'immédiat, c'est à dire les dispositions directement exigées par le Statut, notamment les bases légales nécessaires à une collaboration efficace des autorités suisses avec la Cour pénale.

Au vu des objectifs et du caractère complémentaire du Statut de Rome, d'autres adaptations de la législation nationale paraissent souhaitables. Par exemple la définition des crimes contre l'humanité contenue dans le Statut de Rome est la première qui soit issue de discussions et de négociations au niveau international.

On peut donc se demander si le moment ne serait pas venu d'introduire les éléments constitutifs du «crime contre l'humanité» dans notre législation pénale nationale.

Comme il ne s'agit cependant pas là de mesures directement nécessaires pour nous permettre de remplir les engagements que nous avons pris avec la signature du Statut, l'examen de ce type de questions sera dissocié de la discussion sur le Statut
lui-même et reporté à une date ultérieure. Le fait de distinguer les mesures d'exécution selon qu'elles sont exigées par le Statut ou non permettra un examen plus approfondi des adaptations législatives souhaitables sans que la ratification du Statut risque de s'en trouver retardée.

Le Conseil fédéral estime que la ratification du Statut de Rome ne souffre aucun ajournement. C'est la raison pour laquelle il soumet aujourd'hui aux Chambres fédérales le projet de ratification avec les mesures d'exécution directement requises aux termes du Statut. Le Conseil fédéral est néanmoins conscient que d'autres adaptations de la législation suisse seraient opportunes. Les travaux nécessaires ont déjà été entamés. Les résultats seront présentés aux Chambres fédérales dans le cadre d'un projet distinct, dont elles pourront débattre à une date ultérieure et sans être pressées par le temps.

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Message 1

Partie générale

1.1

Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale: un instrument au service du droit humanitaire et des droits de l'homme1

En instituant une Cour pénale internationale, le Statut de Rome vise à améliorer l'application du droit pénal international à l'échelle universelle. Bien qu'ayant déjà une longue histoire, le droit pénal international est une branche du droit qui se trouve encore en gestation. Les éléments essentiels dont il se compose sont les règles applicables dans le cadre de conflits armés ainsi que la définition des éléments constitutifs des crimes contre l'humanité. Valables aussi en temps de paix, celles-ci permettent de sanctionner les violations graves des droits de l'homme2. En substance, le droit pénal international impose aux individus les règles les plus élémentaires d'un comportement à la fois humain et humanitaire.

Malgré l'existence de ces normes juridiques, des millions d'enfants, de femmes et d'hommes ont, au cours de ce siècle, été victimes d'atrocités qui, pour reprendre les termes utilisés dans le préambule du Statut de Rome, «heurtent profondément la conscience humaine». Trop souvent, les auteurs et les responsables de ces actes sont restés impunis. On peut parfois même être tenté de croire que la brutalité des despotes et de leurs hommes de main est «récompensée» par le fait qu'elle leur permet de se maintenir au pouvoir à long terme et donc de se soustraire à l'action des autorités judiciaires. Eradiquer ce mal séculaire qu'est l'impunité, tel est l'objectif ambitieux formulé dans le Statut de Rome.

Le droit n'existe réellement que s'il est appliqué. Or, il arrive souvent ­ l'histoire du droit nous en fournit des exemples à foison ­ que les autorités de poursuite pénale nationales n'aient pas les moyens d'assurer une application efficace des normes fondamentales du droit pénal international. Le Statut de Rome porte donc création d'une autorité judiciaire internationale indépendante et permanente qui aura pour mission d'intervenir à chaque fois que les Etats ne pourront ou ne voudront pas satisfaire à leur obligation de poursuivre pénalement les personnes responsables de crimes internationaux. En instituant une telle instance, la communauté internationale se donne l'instrument souhaité de longue date grâce auquel elle a bon espoir de parvenir à mettre un terme à l'impunité de tant de crimes la touchant dans son ensemble. A chaque fois que cela se révélera nécessaire, cet instrument lui
permettra en effet de garantir la poursuite efficace des criminels au niveau international. Dans l'optique du droit international public, le Statut de Rome est un acquis de taille, que certains vont jusqu'à qualifier d'historique avant même son entrée en vigueur. Ce qui est certain, c'est que le Statut de Rome est un instrument capital au service du droit humanitaire et des principes fondamentaux de l'humanité. Fondé sur le droit et

1

2

362

Cf. Lucius Caflisch, Der neue Internationale Strafgerichtshof: ein Instrument zur Durchsetzung des humanitären Völkerrechts und der Menschenrechte, Liechtensteinische Juristen-Zeitung 1999, p. 3 à 12.

Cf. Message du Conseil fédéral du 31 mars 1999 relatif à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et révision correspondante du droit pénal, FF 1999 4911ss, p. 4914.

non sur la force, il représentera pour la communauté internationale un moyen de dépasser, voire de prévenir certaines des atrocités les plus abominables que l'être humain est capable d'infliger à ses semblables. Il mérite, à ce titre, d'être salué comme un instrument éminemment civilisateur.

1.2

Historique de la Cour pénale internationale

Instruments précurseurs Certaines formes primitives de justice supranationale existaient probablement déjà à l'époque de la Grèce antique. On a ainsi lieu de croire que des tribunaux ad hoc composés de membres des alliances victorieuses jugeaient les chefs des armées vaincues au terme des guerres que se livraient jadis les petits Etats riverains de la mer Egée3. A la fin du Moyen Âge, les chroniqueurs font état d'un procès qui aurait été intenté à un certain Pierre de Hagenbach, comte alsacien vassal de Charles le Téméraire, en l'an 14744. Selon leurs récits, cet homme accusé de violence abusive à l'encontre de la population, aurait ainsi été contraint de répondre de ses actes devant une cour composée de juges originaires de différentes régions du Saint Empire romain germanique: Alsaciens, Autrichiens, Allemands et Suisses.

Ce n'est toutefois qu'au XIXe siècle, avec l'émergence des Etats nationaux, que l'on peut ­ terminologie oblige ­ réellement commencer à parler de justice pénale internationale. La première revendication d'une cour pénale à caractère international au sens moderne du terme remonte à 1872. Fait remarquable: l'auteur de cette initiative était nul autre que le jeune Gustave Moynier, juriste genevois cofondateur du Comité International de la Croix-Rouge aux côtés d'Henry Dunant et président de cette organisation pendant de nombreuses années. Marqué par les atrocités commises durant la Guerre franco-allemande de 1870/71, Moynier avait élaboré un projet de convention portant création d'une autorité judiciaire internationale chargée de prévenir et de punir les violations de la Convention de Genève de 1864 sur la protection des blessés et des malades des armées en campagne. Ce projet visionnaire, voire révolutionnaire, fut rejeté par presque tous les chefs d'Etat européens de l'époque. Il fallut donc attendre non moins de 130 ans, durant lesquels d'innombrables personnes furent victimes de violences dépassant l'entendement, jusqu'à ce que l'idée de Moynier soit enfin réalisée.

Au terme de la Première Guerre mondiale, le concept d'une justice pénale internationale fut repris aux articles 227 à 230 du traité de Versailles. Les puissances victorieuses y affirmèrent leur intention d'instituer un tribunal ayant notamment pour tâche de poursuivre l'empereur allemand Guillaume II de
Hohenzollern. Ce projet n'a toutefois jamais dépassé le stade des déclarations d'intention. Tous les autres efforts, y compris ceux de diverses associations internationales non gouvernementales, qui ont été fournis à l'époque de la Société des Nations pour obtenir la création d'un tribunal pénal international, firent également long feu.

3 4

Christopher Keith Hall, The International Criminal Court Monitor Nr. 6 (novembre 1997), www.iccnow.org/html/monitor.htm.

Cherif M. Bassiouni, Crimes against Humanity in International Criminal Law, La Haye, Londres, Boston (Kluwer), 2e édition 1999, p. 463.

363

Les tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les alliés mirent sur pied les tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo. Ce fut la première fois que l'on instituait à l'échelle internationale une autorité judiciaire permettant le jugement des principaux responsables de crimes qui avaient touché la communauté internationale tout entière. Les deux tribunaux avaient la compétence de juger les auteurs de «crimes de guerre», de «crimes contre la paix» et de «crimes contre l'humanité». Par leur travail, ces deux tribunaux ont contribué de manière décisive à dépasser l'horreur de la Seconde Guerre mondiale en lui donnant un épilogue juridique aussi complet que possible au vu des circonstances de l'époque.

Les tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo sont des institutions qui ont marqué l'histoire du droit international à bien des égards. Sans vouloir diminuer leurs mérites ­ ils sont incontestables ­ force est néanmoins de constater que la manière dont ils ont été institués (il s'agissait d'instances ad hoc mises sur pied par les puissances victorieuses) et dont les crimes relevant de leur compétence ont été définis (la définition n'en a été donnée qu'a posteriori) sont loin d'en faire des modèles de perfection ou même des exemples à suivre dans le domaine de la justice internationale. Sans compter que les tribunaux dont l'institution est postérieure aux crimes pour lesquels ils sont compétents ne peuvent, par définition, déployer aucun effet préventif. Seule une institution permanente permettrait de pallier ces défauts.

Initiatives lancées dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies en vue de l'institution d'une Cour pénale permanente Pour les raisons présentées à l'alinéa précédent, les voix qui s'étaient élevées pour demander la création d'une cour pénale internationale permanente continuèrent de se faire entendre après la fin de l'expérience de Nuremberg. La Convention sur le génocide5 conclue en 1948 prévoyait ainsi déjà la création d'une cour pénale internationale à son article VI. A l'époque, la création du tribunal paraissait imminente.

La même année, l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies chargea en effet la Commission de droit international qui venait d'être créée de réaliser le
projet. En 1949, la Commission parvint à la conclusion que la création d'un tribunal pénal international était souhaitable et possible. Elle entama les travaux préliminaires, mais l'émergence de la Guerre froide rendit bien vite le projet irréalisable. La Commission se limita à étudier les questions juridiques de fond (élaboration d'un «Code des crimes contre la paix et l'humanité») et laissa de côté la dimension institutionnelle du problème, soit la création de l'autorité judiciaire internationale en tant que telle.

En 1989, Trinité-et-Tobago présenta à l'Assemblée générale des Nations Unies une initiative demandant que soient recherchés des moyens de lutter contre le trafic international de stupéfiants et d'autres crimes à caractère international. L'année suivante, l'Assemblée générale saisit l'occasion du traitement de cette intervention pour renouveler son mandat à la Commission de droit international. Plus de quarante ans après avoir reçu son premier mandat, celle-ci se repencha donc sur la question de la création d'un tribunal pénal international. Avec la fin du conflit EstOuest, le projet avait enfin trouvé un environnement favorable à sa réalisation.

5

364

FF 1999 4911

Les tribunaux ad hoc institués par le Conseil de sécurité Se sont alors déclarés les conflits armés en ex-Yougoslavie et au Rwanda. Leur brutalité ­ cela peut paraître paradoxal ­ a joué en faveur du projet en incitant le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies à créer des tribunaux spéciaux. C'était la première fois depuis le procès de Nuremberg que la communauté internationale se donnait les moyens de traduire des individus accusés de violations particulièrement graves du droit pénal international devant un tribunal international.

Ces deux tribunaux ad hoc ont fait prendre conscience de l'actualité du sujet tout en démontrant que le concept d'une instance pénale internationale était réalisable à notre époque.

Il est encore une autre raison pour laquelle les deux tribunaux ad hoc pour l'exYougoslavie et le Rwanda ont fait avancer le projet de cour pénale internationale: ces deux tribunaux sont nés de résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies6, qui ont été prises en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies consacré aux actions du Conseil de sécurité «en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'actes d'agression». L'intervention du Conseil de sécurité fondée sur les dispositions du chapitre VII présentait certes l'avantage d'être contraignante pour tous les Etats membres de l'Organisation des Nations Unies, tenus depuis lors de collaborer avec les tribunaux spéciaux7. A long terme, pourtant, cette manière de procéder impliquait le risque d'une certaine partialité, notamment en raison du droit de veto dont disposent les membres permanents du Conseil de sécurité. Comment, par ailleurs, définir les critères permettant de décider pour quels conflits un tribunal spécial deviendrait nécessaire ou souhaitable? Sans compter que cette solution implique la création d'un nouveau tribunal pour chaque nouvelle guerre. Rappelons ici que les voix qui se sont élevées pour revendiquer la création d'un tribunal pénal international se sont fait plus insistantes récemment, dans le sillage des conflits au Cambodge, au Burundi, au Timor oriental et en Tchétchénie.

Très récemment, l'établissement d'un tribunal spécial indépendant a été décidé en principe pour la Sierra Leone8. La perspective de devoir instituer un nouveau tribunal spécial à chaque nouveau conflit
paraissait généralement aussi peu prometteuse qu'attrayante. Cette façon d'aborder le problème aurait en effet impliqué non seulement un travail et une perte de temps considérables, mais aussi une «prolifération» indésirable des tribunaux internationaux, qui n'aurait pas été dans l'intérêt de l'unité du droit humanitaire à long terme. L'institution des deux tribunaux spéciaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda a ainsi fait apparaître clairement que les désavantages irrémédiablement liés à la mise en place de tribunaux internationaux ad hoc n'avaient toujours pas pu être éliminés un demi-siècle après les procès de Nuremberg et de Tokyo.

6

7

8

Tribunal ad hoc pour l'ex-Yougoslavie: Résolutions 808 et 827 du Conseil de sécurité, du 22.2. et du 25.5.1993; Tribunal ad hoc pour le Rwanda: Résolution 955 du Conseil de sécurité du 8.11.1994.

La Suisse s'est elle aussi engagée à coopérer: message du Conseil fédéral du 18.10.1995 concernant relatif à la coopération avec les tribunaux internationaux chargés de poursuivre les violations graves du droit international humanitaire, FF 1995 IV 1065.

Résolution 1315 du Conseil de sécurité du 14.8.2000.

365

Préparation de la Conférence de Rome L'année de l'institution du premier des deux tribunaux spéciaux par le Conseil de sécurité, la Commission de droit international a présenté un avant-projet de statut d'une future Cour pénale internationale permanente. Cet avant-projet de 1993 avait été conçu sous la forme d'un accord de droit international. Tenant compte des remarques apportées par les Etats auxquels l'avant-projet avait été soumis en consultation, la Commission de droit international a revu son projet avant de le présenter à l'Assemblée générale des Nations Unies en 1994. L'Assemblée a alors institué un Comité ad hoc composé de représentants gouvernementaux qu'elle a chargé d'examiner le projet. Le comité, qui s'est réuni en 1995, a siégé durant quatre semaines au total9. En 1996, le Comité ad hoc a obtenu le statut de Comité préparatoire. Il apparaissait en effet déjà que ses travaux allaient trouver leur aboutissement dans la préparation d'une conférence internationale. Le Comité préparatoire a terminé ses travaux au printemps 1998, à l'issue de quinze semaines de négociations supplémentaires.

Le rapport final du Comité contenait le projet devant servir de base de discussion à la Conférence de Rome10. Ce document de près de deux cents pages était encore très ouvert. Tout, pratiquement, était encore négociable puisqu'il englobait un catalogue d'une centaine d'options et se caractérisait par quelque 1600 passages mis entre parenthèses, qui devaient forcément encore faire l'objet de discussions. Ce document de travail préparé à l'intention de la Conférence de Rome était révélateur des divergences suscitées par le projet.

Chez certains Etats, l'idée de voir se créer une cour pénale permanente suscitait une attitude foncièrement critique. Les raisons de ce scepticisme étaient multiples: pour ce qui est des membres permanents du Conseil de sécurité, ils pouvaient craindre la possibilité d'une perte d'influence étant donné que le sort d'une cour pénale permanente fondée sur un accord international n'allait plus dépendre de leur bon vouloir.

D'autres Etats craignaient au contraire que le projet n'aboutisse à la création d'une espèce de «tribunal ad hoc permanent», d'une institution qui, dans la pratique, n'interviendrait qu'à l'initiative du Conseil de sécurité. D'autres encore redoutaient
l'intervention de toute autorité supranationale quelle qu'elle soit dans un domaine qu'ils continuent (au mépris de l'évolution du droit international dans ce domaine) de considérer comme des «affaires intérieures».

Très vite, néanmoins, il s'est trouvé des Etats prêts à faire front pour soutenir l'idée d'une cour pénale internationale. Cette coalition, opposée au groupe des Etats sceptiques, se composait essentiellement d'Etats européens, africains et latino-américains. Coordonné d'abord par le Canada, puis par l'Australie, ce groupe, auquel la Suisse a appartenu dès le début, s'était d'abord appelé «amis de la Cour pénale».

Afin de ne pas devoir qualifier d'«ennemis de la Cour pénale» les Etats qui ne faisaient pas partie de la coalition, ses membres l'avaient rebaptisée «like-minded group», ce qui a été traduit en «groupe des Etats pilotes». Cette coalition partageant les mêmes préoccupations défendait l'idée d'une cour pénale forte et indépendante.

9 10

366

Rapport du Comité ad hoc pour la création d'une Cour criminelle internationale, Nations Unies, Assemblée générale, document officiel, 50e session, 1995, A/50/22.

Rapport du Comité préparatoire pour la création d'une Cour criminelle internationale, Nations Unies, document A/CONF/183/2 et A/CONF/183/2/add. 1 du 14.4.1998.

Elle bénéficiait du soutien de la plupart des très nombreuses organisations non gouvernementales ayant pris une part active dans l'ensemble du processus de négociation.

Parmi les principales revendications des «Etats pilotes» figuraient: ­

la réduction du catalogue des crimes, doublée d'une concentration sur les crimes les plus graves;

­

en contre-partie, la reconnaissance «automatique» de la compétence de la Cour pour tous les crimes par tous les Etats Parties (sans qu'une déclaration de reconnaissance particulière ne soit nécessaire);

­

la définition d'une compétence territoriale qui soit la plus large possible afin de garantir au mieux l'universalité de la Cour, et

­

la possibilité d'obtenir l'ouverture de procédures par un procureur indépendant.

Or, ces revendications, précisément, s'écartaient des solutions proposées dans le projet de la Commission de droit international de 1994, raison pour laquelle le «groupe des Etats pilotes» jugeait nécessaire une refonte complète du Statut. Le document présenté à l'ouverture de la Conférence de Rome était donc le reflet de divergences fondamentales, qui prenaient racine dans les questions de principe pour se ramifier jusque dans les plus petits détails du texte. Sont encore venues s'y ajouter d'innombrables questions que l'on pourrait qualifier de techniques qui menaçaient de diviser les représentants des différentes traditions juridiques. La Conférence de Rome, qui devait durer cinq semaines, s'est donc ouverte sous de funestes auspices. La possibilité d'un échec devait être envisagée au même titre qu'un report à une date ultérieure.

La Conférence plénipotentiaire des Nations Unies sur la création d'une Cour p énale internationale, Rome, du 15 juin au 17 juillet 1998 11 La Conférence internationale sur la création d'une Cour pénale internationale a été solennellement ouverte le 15 juin 1998 par Monsieur Kofi Annan, Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies. Elle s'est donné un président en la personne de Monsieur Giovanni Conso, ancien ministre italien de la justice, ainsi qu'un président de la commission plénière en la personne de Monsieur l'ambassadeur Philippe Kirsch, conseiller juridique du gouvernement canadien. La Suisse était représentée au sein du comité de rédaction de la Conférence. La conférence a été attentivement suivie non seulement par les médias, mais aussi par de très nombreuses organisations non gouvernementales, ce que les participants venus de plus de 160 pays ont ressenti comme une obligation de résultat.

A force de longues et difficiles négociations, les parties sont parvenues à des compromis obtenus par consensus qui représentaient des progrès substantiels par rapport à la situation de départ. Dans un premier temps, les progrès ont toutefois porté essentiellement sur des questions techniques. A quelques jours de la fin de la conférence, il est apparu de plus en plus clairement qu'aucun accord ne pourrait être obtenu sur les questions fondamentales. L'avant-dernier jour de la conférence, le Bureau de la conférence a présenté un projet de compromis scrupuleusement équili11

Philippe Kirsch et John T. Holmes: The Rome Conference on an International Criminal Court: The Negociating Process, American Journal of International Law 1999, p. 2 à 12.

367

bré, qui était le fruit de consultations circonspectes. On y trouvait satisfaites les revendications fondamentales du «groupe des Etats pilotes», mais aussi diverses concessions faites au camp des Etats sceptiques, notamment concernant la question de la juridiction.

Le dernier jour de la conférence, le 17 juillet 1998, les Etats-Unis d'Amérique et l'Inde étaient les deux seuls Etats à remettre encore en cause le texte de compromis.

La Conférence a alors décidé à une nette majorité de ne plus entrer en matière sur les objections de ces deux Etats. Lors de la séance plénière qui a suivi, les Etats-Unis d'Amérique ont demandé que le projet de Statut fasse l'objet d'un vote non nominal. Le Statut a ainsi été adopté à une majorité impressionnante de 120 voix contre 7 et 21 abstentions. Ce résultat est surprenant dans la mesure où, même à ce momentlà, le «groupe des Etats pilotes» ne comptait guère plus de soixante membres. La coalition avait donc réussi le tour de force de persuader une soixantaine d'Etats supplémentaires grâce à des compromis qui, finalement, ne sont pas trop douloureux.

Comme le vote final n'a pas été l'objet d'un enregistrement officiel, on ne peut se fonder que sur la situation qui régnait alors pour tenter de le reconstituer. Relevons seulement que tous les Etats européens, pratiquement, ont dû voter en faveur du Statut, y compris les trois membres permanents européens du Conseil de sécurité que sont la France, le Royaume-Uni et la Russie.

Outre le Statut lui-même, les délégués ont aussi adopté l'Acte final de la Conférence diplomatique plénipotentiaire, qui contient, entre autres, la résolution F. Cette dernière porte création d'un Commission préparatoire, chargée d'élaborer les instruments annexes et de liquider tous les autres travaux effectivement nécessaires à la création de la Cour pénale.

Travaux de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale depuis 1999 La Commission préparatoire mentionnée dans la résolution F de l'Acte final s'est mise au travail au printemps 1999. Elle est en train d'élaborer les instruments annexes suivants: ­

les «éléments des crimes» (destinés à faciliter l'interprétation des définitions de crimes figurant dans le Statut);

­

le Règlement de procédure et de preuve;

­

un accord appelé à régir les relations entre la Cour et l'Organisation des Nations Unies;

­

les principes de base devant régir l'accord de siège qui sera négocié entre la Cour et l'Etat hôte (Pays-Bas);

­

le règlement financier et les règles de gestion financière;

­

un accord sur les privilèges et immunités de la Cour pénale;

­

un budget pour le premier exercice;

­

le règlement intérieur de l'Assemblée des Etats Parties.

Il est prévu que ces instruments seront adoptés lors de la première réunion de l'Assemblée des Etats Parties qui suivra l'entrée en vigueur du Statut. La Commission est également chargée de préparer des propositions de définition des éléments 368

constitutifs du crime d'agression. Ces dernières seront discutées par l'Assemblée des Etats Parties lors de la première conférence de révision, prévue sept ans après l'entrée en vigueur du Statut. La Commission préparatoire sera dissoute au terme de la première réunion de l'Assemblée des Etats Parties.

1.3

Rôle de la Cour pénale internationale dans le système international de maintien de la paix

L'application du droit au service de la paix Le Statut de Rome procède de la conviction que seule une paix fondée sur la justice peut être durable à long terme, que la justice est essentiellement fondée sur le droit et que le droit exige qu'il soit appliqué. En contribuant à l'application du droit, le Statut de Rome contribue donc forcément au maintien de la paix dans le monde à long terme. Faute d'avoir dans tous les cas un effet préventif suffisant, il permettra au moins de mettre un terme à l'impunité trop fréquente des crimes touchant la communauté internationale dans son ensemble.

Pour ce qui est de la prévention, relevons que les despotes, leurs acolytes et tous ceux qui se sont sali les mains à leur place pouvaient, jusqu'ici, avoir bon espoir de ne jamais devoir assumer la responsabilité de leurs infamies. Avec la création de la Cour pénale internationale, la probabilité qu'ils soient appelés à répondre de leurs crimes devant un juge augmente considérablement. La seule existence de la Cour pénale incitera vraisemblablement les Etats à prendre leurs responsabilités plus au sérieux, autrement dit à poursuivre les criminels avec encore plus de persévérance que jusqu'à présent. L'effet dissuasif proviendra non seulement de la Cour pénale internationale elle-même, mais plus encore de l'ensemble des législations nationales, appliquées désormais avec plus de rigueur. En portant création d'une cour internationale appelée à intervenir uniquement en cas de lacunes dans la poursuite pénale au niveau national, le Statut de Rome donne implicitement mandat aux Etats de combler ce type de déficiences. On peut donc s'attendre à ce que la Cour pénale ait un effet de catalyseur sur les ordres juridiques nationaux. S'il est certain que le fléau de l'impunité doit être combattu à tous les niveaux, il importe que la lutte commence à l'échelon national.

La création de la Cour pénale prouve que la communauté internationale est bien résolue à ne plus croiser les bras devant les crimes barbares portant atteinte aux fondements mêmes de l'humanité et de la coexistence pacifique, qu'elle est prête à faire tout ce qui est en son pouvoir pour que les responsables soient jugés. Dans le pire des cas envisageable du point de vue de la justice internationale ­ l'accusé ne peut pas être arrêté dans l'immédiat et n'est donc
à la disposition ni des tribunaux nationaux ni de la justice internationale ­ l'existence de la Cour ­ les expériences faites dans le contexte des tribunaux ad hoc l'ont bien montré ­ permet au moins de limiter sensiblement la liberté de mouvement de la personne recherchée. Si la Cour pénale n'est donc toujours pas un gage de réussite en ce qui concerne l'arrestation des grands criminels, elle permettra au moins de mettre un terme à l'insouciance avec laquelle ils pouvaient trop souvent, jusqu'ici, se rendre aux quatre coins du monde sans être inquiétés.

La seconde dimension pacificatrice de la Cour pénale internationale doit être vue dans le fait qu'elle contribuera ­ du moins au niveau juridique ­ à la maîtrise de situations dans lesquelles des sociétés entières se trouvent dans un état de crise 369

profonde. Tout être humain qui a survécu à un génocide, qui a été victime de crimes systématiques ou généralisés contre l'humanité ou qui a traversé une guerre dans laquelle les règles humanitaires les plus élémentaires ont été bafouées en sort traumatisé. Or, ce traumatisme ne touche souvent pas seulement des individus et leurs familles, mais peut affecter un peuple entier. Si rien n'est entrepris pour soigner rapidement cette blessure collective, elle peut marquer et déstabiliser l'ensemble d'une société pendant des générations et retarder dangereusement la reconstruction de la société civile. Les psychologues qui s'occupent de personnes traumatisées ont fait l'expérience que l'événement qui est à l'origine du traumatisme ­ torture, viol, prise d'otages ou autres ­ est souvent moins grave aux yeux des victimes que l'incompréhension, l'indifférence ou même le rejet auxquels elles sont confrontées par la suite. Il est possible que cette expérience faite sur le plan individuel soit transposable au niveau collectif12.

Bien qu'étant loin de pouvoir répondre aux besoins de toutes les victimes des crimes les plus graves, la Cour pénale internationale est un endroit où quelques-uns au moins de leurs représentants peuvent faire entendre leur voix. Elle signale, par son existence, que la communauté internationale n'est pas insensible au destin de tous ceux qui ont enduré des souffrances indicibles. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les victimes occuperont une place importante dans le travail de la Cour, qui veillera néanmoins à ne jamais laisser la vengeance prendre le pas sur la justice. Par sa recherche de la vérité et par la mise en accusation des véritables responsables, elle favorisera la guérison des traumatismes individuels et, à travers eux, de traumatismes collectifs parfois si profonds qu'ils peuvent prendre des dimensions historiques.

L'assimilation du vécu est capitale si les ennemis d'hier veulent pouvoir nourrir l'espoir de réapprendre à vivre en paix. Il convient de noter que la Cour pénale, par le biais de l'individualisation de la responsabilité, affranchit les peuples des conceptions diffuses de culpabilité collective, ce qui est d'une importance inestimable pour la prévention des conflits.

La Cour pénale internationale a donc un effet pacificateur non seulement du fait de son
action dissuasive, mais aussi en raison de son influence stabilisatrice.

La juridiction pénale est-elle toujours conciliable avec le maintien de la paix?

Il est bien évident que l'action de la Cour pénale au service des objectifs détaillés aux paragraphes précédents n'a pas la prétention d'être exclusive. D'abord ­ nous le mentionnerons au ch. 2.3.2 ­ la Cour est complémentaire des juridictions pénales nationales, dont l'intervention est prioritaire. Ensuite, le Statut de Rome reconnaît parfaitement l'importance que peuvent revêtir des mécanismes de maintien de la paix autres que juridiques. L'idée mentionnée en introduction de la relation entre la paix, la justice, le droit et l'application de ce dernier n'exclut pas certains conflits passagers entre les intérêts du maintien de la paix et ceux de la justice pénale internationale. Il peut ainsi se révéler nécessaire de négocier avec une personne soupçonnée de crimes de guerre pour obtenir le règlement d'un conflit armé, ce qui serait difficile, voire impossible si la justice pénale internationale avait déjà procédé à sa mise en accusation ou annoncé une inculpation imminente. L'intervention musclée des autorités judiciaires internationales en un moment aussi délicat pourrait ainsi menacer le règlement du conflit. Bien que la justice pénale internationale soit com12

370

Yael Danieli, International Handbook of Multigenerational Legacies of Trauma, New York (Plenum/Kluwer), 1998.

plémentaire et peut-être même conditionnelle du maintien de la paix à long terme, il se peut donc parfaitement que les intérêts de la première entrent parfois en conflit avec ceux du second.

Au niveau institutionnel, le maintien de la paix relève en premier lieu du Conseil de sécurité. La justice pénale internationale, elle, procède du système sanctionné par le Statut de Rome dans le cadre duquel les juridictions nationales et la juridiction internationale interviennent sur le mode de la complémentarité. Le lien entre la Cour pénale et le Conseil de sécurité sera l'objet d'un chiffre spécial du présent message (ch. 2.4). Nous nous contenterons donc de signaler ici que la possibilité de frictions entre maintien de la paix et juridiction pénale a été reconnue dans le Statut, dont les dispositions ­ notamment celles de l'art. 16 («Sursis à enquêter ou à poursuivre») et celles de l'art. 53 (principe modéré d'opportunité de l'action judiciaire) ­ permettent la recherche de solutions différenciées dans ce genre de cas.

Troupes internationales de maintien de la paix L'analyse de la place prise par le Statut de Rome dans les efforts internationaux de maintien de la paix serait incomplète si l'on ne faisait pas mention des rapports entre la Cour pénale et les troupes internationales de maintien de la paix. Les deux principaux aspects à relever sont les suivants: d'abord, la Cour pénale ne dispose pas de forces de police propres. Elle est donc tributaire de la collaboration des Etats, ce qui peut se révéler problématique lorsque les structures de l'Etat sollicité ont été détruites. Dans ce type de cas, on peut imaginer ­ cette éventualité est mentionnée dans le Statut ­ que la Cour pénale s'assure le concours de troupes internationales de maintien de la paix en mission dans l'Etat en question.

Le second aspect des rapports entre la Cour pénale et les troupes de maintien de la paix se matérialise par les craintes de certains Etats ­ parmi eux les Etats-Unis d'Amérique, qui ont, jusqu'à présent, fourni de gros contingents aux troupes de maintien de la paix ­ de voir ces troupes en mission sur le territoire d'un Etat ayant ratifié le Statut soumises à la juridiction de la Cour pénale. D'aucuns pensent donc que la création de la Cour pénale pourrait représenter une menace pour les missions des troupes
internationales de maintien de la paix.

Le Conseil fédéral ne partage pas ces inquiétudes. Même en admettant que des éléments appartenant aux troupes internationales de maintien de la paix commettent un crime relevant de la compétence de la Cour (voir ch. 1.4.1) durant leur mission, le principe de la complémentarité voudrait en effet que la Cour pénale internationale intervienne uniquement au cas où les autorités nationales (des Etats ayant envoyé les troupes en cause) ne poursuivraient pas sérieusement les auteurs présumés du crime.

Or, les Etats fournissant des contingents aux troupes internationales de maintien de la paix ont tout intérêt à voir la procédure rondement menée. Le risque de voir des troupes internationales de maintien de la paix commettre des crimes à grande échelle dans le cadre de leur mission sans que les Etats d'origine n'interviennent est donc faible. Et si jamais un tel cas se produisait malgré tout, on a peine à imaginer pour quelles raisons la Cour pénale devrait être tenue de faire preuve d'indulgence dans ce cas précis.

Il se pourrait que les objections formulées soient en définitive l'expression de craintes plus profondes: celles de voir la Cour pénale s'immiscer dans des questions de stratégie et de doctrine d'intervention lors d'opérations militaires. Ces craintes paraissent toutefois elles aussi infondées. Le Statut de Rome ne rend en effet pas

371

punissable la guerre en tant que telle, mais seulement certaines méthodes guerrières particulièrement condamnables, dont le caractère pénalement répréhensible est déjà reconnu par le droit coutumier ou si généralement admis que le passage de ce cap dans l'évolution du droit est imminent. Une infraction pénale devient un crime au sens du Statut seulement quand le niveau de gravité défini dans le Statut est dépassé.

1.4

Cour pénale internationale: la position de la Suisse

1.4.1

Rôle de la Suisse dans les négociations et résultats obtenus

Depuis le début des travaux, la Suisse a contribué activement à la création de la Cour pénale internationale. Le gros des travaux a été réalisé dans le cadre d'organes auxquels la Suisse a eu l'occasion de participer de plein droit. Contrairement à ce qu'elle a pu connaître lors de la préparation d'autres conventions élaborées sous l'égide des Nations Unies, la Suisse n'a donc guère souffert de son statut de nonmembre de l'Organisation des Nations Unies dans le cas précis. Pour l'essentiel, elle a en effet eu la possibilité de faire valoir son influence au même titre que n'importe quel autre Etat.

La Suisse a été l'un des membres fondateurs du «groupe des Etats pilotes», cette coalition d'Etats qui ont rompu des lances en faveur d'un tribunal fort et indépendant. Elle a, à ce titre, pu prendre une part active dans la formation de l'opinion du groupe. Pendant la conférence de Rome, par exemple, la Suisse s'est chargée de coordonner des parties significatives du catalogue des crimes ­ en particulier en ce qui concerne la liste des crimes de guerre ­ dans le cadre du «groupe des Etats pilotes».

Un des chevaux de bataille de la Suisse a été l'introduction d'un système de compétence automatique («inherent jurisdiction»). Cette notion implique que la compétence de la Cour ne dépend que de la qualité d'Etat Partie d'un Etat; en devenant Partie au Statut, un Etat accepte automatiquement l'exercice de la juridiction par la Cour pour tous les crimes définis dans le Statut. La Suisse ­ et avec elle l'ensemble du «groupe des Etats pilotes» ­ s'opposait, d'une part, à l'idée selon laquelle la Cour pénale aurait été contrainte de requérir l'accord de plusieurs Etats concernés avant d'intervenir dans un cas précis. La définition des «Etats concernés» proposée par les opposants au système de la juridiction automatique englobait l'Etat dont l'auteur présumé du crime est ressortissant, l'Etat sur le territoire duquel le crime a été commis, l'Etat dont la victime est un ressortissant et l'Etat sur le territoire duquel l'auteur présumé a été arrêté. D'autre part, la revendication de la compétence automatique s'opposait à toutes les propositions selon lesquelles les Etats devraient avoir le droit de ne reconnaître la compétence de la Cour que pour certaines catégories de crimes («opting out» ou «opting in») par le
biais d'une déclaration générale au moment de la ratification ou d'une déclaration dans un cas concret. Des systèmes aussi complexes seraient à coup sûr restés le plus souvent sans effets. C'est heureusement la solution plus simple défendue par la Suisse qui l'a finalement emporté à Rome.

Aux fins de donner au concept de la juridiction automatique de réelles chances d'être adopté, la Suisse souhaitait que les catégories de crimes soient limitées à celles qui faisaient pour ainsi dire l'unanimité à l'échelle mondiale: le crime de génocide, le crime contre l'humanité et le crime de guerre, autrement dit les crimes

372

les plus graves («core crimes») qui puissent exister dans le contexte du droit international public. A l'intérieur de ces catégories, la Suisse souhaitait néanmoins donner de ces crimes des définitions relativement larges: elle ne voulait en aucun cas que la description des actes constitutifs des crimes figurant dans le Statut représente un retour en arrière par rapport à l'état actuel du droit international (et plus particulièrement du droit humanitaire). Cette revendication a elle aussi été largement satisfaite dans le Statut. Pour ce qui est des «éléments des crimes» (cf. ch. 2.5. et annexe 1), qui seront subordonnés aux définitions des crimes figurant dans le Statut, la Suisse a également usé de son influence pour que le niveau atteint par la jurisprudence dans le domaine du droit humanitaire soit maintenu. Se fondant sur les travaux préliminaires du Comité International de la Croix-Rouge, elle a ainsi formulé, au sein de la Commission préparatoire, des propositions d'«éléments des crimes» relatives aux crimes de guerre qui ont été soutenues à une majorité impressionnante par les autres délégations. Le projet actuel relatif aux «éléments des crimes» repose très largement sur des projets rédactionnels présentés par la Suisse.

La limitation de la compétence de la Cour quant au fond aux crimes les plus graves aurait ­ de l'avis de la Suisse ­ justifié une définition généreuse de sa compétence quant au lieu. Comme la plupart des autres Etats membres du «groupe des Etats pilotes», la Suisse avait souhaité que l'appartenance d'un des Etats suivants au Statut suffise à établir la compétence de la Cour: l'Etat dont est ressortissant l'auteur du crime (Etat d'origine de l'auteur), l'Etat sur le territoire duquel le crime a été commis ou l'Etat dans lequel l'auteur du crime a été arrêté (Etat d'arrestation).

Toutefois, le Statut limite la compétence de la Cour aux cas où l'un des deux premiers Etats est partie au Statut13. Il s'agit là d'un compromis regrettable, qui rend d'autant plus importante l'adhésion d'un grand nombre d'Etats au Statut.

La Suisse a également fait sienne l'idée de la complémentarité, déjà ébauchée dans le projet de la Commission de droit international: en principe, l'action de la Cour doit être strictement subsidiaire à celle des autorités nationales; à partir du moment, toutefois,
où la Cour intervient, elle doit posséder des compétences relativement étendues pour peu qu'il soit établi qu'un Etat Partie au Statut ne peut ou ne veut pas mener sérieusement les poursuites pénales. Les éléments essentiels de cette idée se trouvent réalisés dans le Statut.

Aux fins de renforcer l'indépendance de la Cour pénale par rapport à d'autres instances, la Suisse a soutenu la thèse selon laquelle le procureur doit pouvoir prendre l'initiative d'ouvrir une procédure, ce qui implique toutefois que les décisions-clés du procureur doivent être soumises au contrôle juridique d'une Chambre spéciale de la Cour pénale chargée de la procédure préliminaire. Cette solution s'est révélée acceptable pour une grande majorité d'Etats.

Dans le domaine du droit procédural, la Suisse tenait à ce que l'accent soit mis sur l'efficacité, mais aussi sur le respect des droits de l'accusé et des victimes. Le Statut donne satisfaction sur ces deux derniers points puisque les droits de l'accusé y sont protégés de manière exemplaire et que les victimes disposent de droits de participation très étendus. En ce qui concerne l'efficacité de la procédure, seule la pratique permettra de juger véritablement. Il faut bien avouer que la tâche n'était pas facile puisqu'il s'agissait de trouver un terrain d'entente entre les principales traditions juridiques du monde et de construire sur ce dénominateur commun un système apte

13

Pour de plus amples détails, voir ch. 2.3.1.

373

à fonctionner. Au vu de la situation de départ, les résultats obtenus en matière de procédure sont donc eux aussi tout à fait appréciables.

Dans ses détails comme dans son ensemble, le Statut de Rome est le fruit d'innombrables compromis. Ces compromis sont parfois novateurs (comme ceux que l'on trouve dans les «Principes généraux du droit pénal», au chap. III, ou dans la partie consacrée aux règles de procédure, aux chap. V à VIII) dans la mesure où ils sont le produit inédit de la synthèse de vues souvent divergentes issues des différents systèmes juridiques existant de par le monde. Il est cependant aussi des compromis qui sont regrettables, comme ceux qui ont été consentis au sujet de la compétence de la Cour.

Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale ­ on peut néanmoins l'affirmer ­ répond aux attentes et aux exigences de la Suisse dans tous ses points importants.

Nous tenons à souligner qu'aucune des concessions qui ont été faites n'est de nature à saper l'efficacité ou la crédibilité de la Cour pénale internationale. Le fait que le Statut ait reçu l'aval de 120 Etats représentant tous les continents, toutes les cultures et toutes les traditions juridiques lors du vote final ayant eu lieu à Rome, le fait aussi que les réactions des organisations non gouvernementales aient été aussi positives, prouve bien que le Statut représente une base solide et largement acceptée sur laquelle pourra être construit le succès de la future Cour pénale.

1.4.2

La position des autorités fédérales

Il est dans la tradition de la Suisse de soutenir les mesures ayant pour but de sauvegarder et de promouvoir la paix et les droits de l'homme ainsi que les valeurs de la démocratie et de l'Etat de droit. En sa qualité d'Etat dépositaire des Conventions de Genève de 1949 ainsi que des deux protocoles additionnels, en sa qualité d'Etatsiège du Comité International de la Croix-Rouge, la Suisse se doit de jouer un rôle particulier dans le contexte des efforts visant à protéger, à faire évoluer et à faire appliquer le droit humanitaire.

Avec l'adhésion à la Convention du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression des crimes de génocide14, le crime de génocide sera reconnu comme un acte pénalement répréhensible par le droit suisse. La Suisse peut en outre se féliciter d'avoir collaboré avec succès avec les tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda et d'avoir ainsi contribué à permettre le jugement de criminels ainsi que leur condamnation à de justes peines.

La ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale ne représente donc qu'un pas de plus, qu'un progrès logique dans cette politique de respect du droit humanitaire et des droits de l'homme.

14

374

Les Chambres fédérales ont adopté l'arrêté fédéral portant approbation de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide le 24 mars 2000.

Le 7 septembre 2000, la Suisse a déclaré son adhésion à la convention. La disposition pénale relative au génocide entrera en vigueur le 15 décembre 2000.

1.4.3

La procédure de consultation

Le 5 juin 2000, le Conseil fédéral a autorisé le Département fédéral des affaires étrangères à ouvrir une procédure de consultation auprès des cantons, des Tribunaux fédéraux, des organisations faîtières de l'économie et d'autres organismes intéressés.

Cette procédure a pris fin le 15 septembre 2000.

On dénombre 48 réponses, dont 42 constituent une prise de position sur le fond.

Tous les participants ­ sauf un ­ sont favorables à la ratification du Statut de Rome, certains même la recommandant avec insistance. A noter, en particulier, que les 20 cantons qui se sont prononcés sur le fond approuvent le projet. Dans leur très grande majorité, les participants attachent beaucoup de prix à ce que la Suisse figure parmi les soixante premiers Etats à avoir ratifié le Statut de Rome, selon l'objectif défini par le Conseil fédéral. Dans presque toutes les réponses on relève la nécessité d'établir soigneusement une législation d'application.

Dans l'ensemble, les documents explicatifs et les dispositions proposées aux fins de permettre à la Suisse de s'acquitter des obligations découlant du Statut de Rome ont eu un écho très positif. On a enregistré également nombre de suggestions portant sur différents points de droit, suggestions dont nous avons parfois tenu compte dans le présent message. Enfin, quelques participants ont exigé une modification de la Constitution fédérale.

2

Partie spéciale: Contenu et domaine d'application du Statut

2.1

Observations générales

Le Statut de Rome est un ample traité, qui comporte 128 articles, certains très détaillés. Son préambule est suivi de treize chapitres. Le premier traite de l'institution de la Cour. Le deuxième ­ qui peut être considéré comme le coeur même du Statut ­ définit sa compétence, la recevabilité des affaires et le droit applicable; il aborde non seulement les crimes dont connaît la Cour, mais aussi ses traits caractéristiques (complémentarité, conditions de recevabilité des affaires, déclenchement des procédures, compétence territoriale). Le troisième chapitre contient des principes généraux du droit pénal. Le quatrième définit la composition et l'administration de la Cour. Le cinquième, le sixième et le huitième fixent ses procédures, tandis que le septième énumère les peines applicables. Les chap. IX et X englobent la coopération internationale et l'exécution. Le chap. XI traite de l'Assemblée des Etats Parties, le chap. XII du financement, et le chap. XIII contient les clauses finales.

Dans les pages qui suivent, nous passerons en revue les principaux points du Statut.

375

2.2

La Cour15

2.2.1

Aspects institutionnels (chap. I, art. 1 à 4 et 21)

La Cour pénale internationale repose sur un traité international. Elle n'engage juridiquement que les Etats Parties ­ sauf accords distincts allant plus loin. On aurait pu envisager d'autres solutions au plan institutionnel.

Eu égard au fait qu'il aurait été souhaitable que la Cour ait un caractère universel, il y aurait eu avantage à la créer par un amendement de la Charte des Nations Unies qui aurait engagé tous les Etats membres de l'Organisation. Mais cette révision aurait exigé l'accord des deux tiers de l'ensemble des membres ainsi que celui de tous les membres permanents du Conseil de sécurité (Chine, France, Russie, Royaume-Uni et Etats-Unis d'Amérique). Il s'est très tôt révélé que cette voie était impraticable. Contrairement, par exemple, à la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye, qui connaît de litiges entre Etats16, la Cour pénale internationale ne fait pas partie des Nations Unies17, auxquelles elle doit en fait être liée par un accord approuvé par l'Assemblée des Etats Parties (art. 2 du Statut).

La création de la Cour pénale internationale par décision du Conseil de sécurité, comme cela avait été fait pour les tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, se heurtait au fait que l'on ne pouvait pas compter sur le soutien nécessaire de tous les membres permanents du Conseil de sécurité, sans compter les incertitudes qui existaient sur le plan juridique.

Il est sans doute regrettable que l'on ait finalement dû recourir à la formule du traité, du fait que la Cour pénale n'atteindra ainsi que progressivement à l'universalité.

Mais cette solution présente un avantage certain pour ce qui est de l'acceptation de la Cour par les Etats du monde.

Contrairement à toutes les institutions comparables qui l'ont précédée, la Cour est permanente (art. 1); le quatrième chapitre du Statut développe les implications pratiques de ce caractère (voir ch. 2.2.2). Elle possède la personnalité juridique internationale (art. 4) et siège à La Haye (Pays-Bas). Elle passe avec son pays hôte un accord de siège qui doit être approuvé par l'Assemblée des Etats Parties. C'est là qu'elle siège normalement, mais elle peut aussi siéger ailleurs si elle le juge souhaitable (art. 3). Elle peut exercer ses fonctions et ses pouvoirs sur le territoire de tout Etat Partie et, par une convention à cet
effet, sur le territoire de tout autre Etat (art. 4).

Le principe de complémentarité est posé dès le premier chapitre, où il est expressément indiqué que la Cour est «complémentaire des juridictions pénales nationales» (art. 1). Ce principe de complémentarité est développé à l'art. 17 du Statut (se reporter ci-dessous au ch. 2.3.2).

L'art. 21 prévoit que la Cour applique en premier lieu le Statut, «les éléments des crimes» ainsi que le Règlement de procédure et de preuve. En second lieu, elle 15

16 17

376

Roy S. Lee (édit.), The International Criminal Court ­ The Making of the Rome Statute ­ Issues, Negotiations, Results , La Haye (Kluwer) 1999; Otto Triffterer (édit.), Commentary on the Rome Statute of the International Criminal Court ­ Observer's Notes, Article by Article, Baden-Baden (Nomos) 1999.

D'après l'art. 34, al. 1, du Statut de la Cour internationale de justice (CIJ), seuls les Etats ont la faculté d'être partie à la procédure devant la CIJ; RS 0.193.501.

Cf. chapitre XVI (art. 92 à 96) de la Charte des Nations Unies et l'art. 1 du Statut de la Cour internationale de justice.

applique, selon qu'il convient, les traités applicables et les principes et règles du droit international, y compris les principes établis du droit international des conflits armés. A défaut, elle applique les principes généraux du droit dégagés par la Cour à partir des lois nationales représentant les différents systèmes juridiques du monde, y compris, selon qu'il convient, les lois nationales des Etats sous la juridiction desquels tomberait normalement le crime. Ces principes ne doivent toutefois pas être incompatibles avec le Statut ni avec le droit international et les règles et normes internationales reconnues; l'application et l'interprétation du droit applicable doivent aussi être compatibles avec les droits de l'homme internationalement reconnus et se garder de toute discrimination.

Les sources du droit de la Cour pénale internationale sont différentes de celles de la Cour internationale de justice (CIJ) qui connaît des litiges entre Etats18, ce qui s'explique par les missions différentes des deux institutions. On remarquera l'allusion subtile à l'éventualité de différences nationales en matière d'application du droit dans la possibilité conférée à la Cour par l'art. 21 du Statut de Rome de dégager des principes généraux du droit à partir de lois nationales, y compris celles des pays sous la juridiction desquels tomberait normalement le crime. Cela a permis d'éviter la référence directe au droit national qui se trouvait encore dans le projet de la Commission du droit international19. Une telle référence aurait pu menacer l'universalité de la Cour.

2.2.2

Composition et administration de la Cour (chap. IV, art. 34 à 52)

Le quatrième chapitre du Statut couvre l'organisation de la Cour pénale internationale, les élections et nominations à ses postes, ainsi que ses principes d'administration. On notera que les Etats Parties se sont efforcés de rendre l'organisation de la Cour aussi souple que possible, de sorte qu'elle puisse à tout instant s'adapter à l'évolution des besoins sans que cela porte atteinte à son fonctionnement. La charge de travail de la future Cour étant imprévisible, et très probablement sujette à de fortes variations, il a fallu trouver une structure d'organisation capable d'absorber ces fluctuations et de garantir que la Cour pourra exercer pleinement ses fonctions à tout moment et sans délai indu. Au cours des négociations, il a souvent été avancé que la Cour n'avait pas à être complètement constituée dès le premier jour de son existence, mais que sa taille pourrait croître en fonction de ses travaux. Cette souplesse a été obtenue par le biais d'une série de mesures, qui garantissent toutefois aussi que la Cour pourra de nouveau être réduite après une période de travail intense.

La Cour pénale se compose de quatre organes: la Présidence, les Sections, le Bureau du Procureur et le Greffe (art. 34). L'activité juridictionnelle à proprement parler de la Cour est exercée par les Sections: Section des appels, Section de première instance et Section préliminaire. La Cour se compose de 18 juges.

18 19

Statut de la Cour internationale de justice, art. 38.

Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa 46 e session, Nations Unies, Assemblée générale, document officiel, 49e session, 1994, A/49/10, art. 33 du projet de Statut.

377

La gestion administrative de la Cour est confiée à la Présidence, qui se compose d'un Président, d'un Premier et d'un Second Vice-Présidents. Les juges élisent parmi eux pour trois ans le Président et les autres membres de la Présidence, à la majorité absolue. La Présidence décide notamment de la distribution des affaires aux chambres et propose aux Etats Parties d'accroître ou de réduire le nombre des juges (art. 35, 36 et 38).

Les sections et les chambres de la Cour (art. 39) Les fonctions judiciaires de la Cour sont exercées par trois sections: la Section préliminaire, la Section de première instance et la Section des appels. Cette subdivision correspond au déroulement en trois temps des affaires: la Chambre préliminaire prend les décisions judiciaires nécessaires pendant la phase d'enquêtes menées par le Procureur jusqu'à la confirmation des charges. Le procès proprement dit se déroule devant la Chambre de première instance, qui rend son jugement. Si le Procureur ou le condamné fait appel de cette décision, l'affaire passe devant la Chambre d'appel, dont la décision est finale.

La Cour s'organise par elle-même en sections dès que possible après l'élection des juges. L'affectation des juges aux sections est fondée sur la nature des fonctions assignées à chacune d'elles et sur les compétences et l'expérience des juges. Les sections ne doivent pas comporter uniquement des juges spécialisés dans le droit pénal et la procédure pénale ou dans le droit international, mais un mélange des deux catégories. Comme le prévoyait le projet de la Commission du droit international, le premier alinéa de l'art. 39 prévoit que les juges ayant l'expérience des procès pénaux sont majoritaires dans la Section préliminaire et la Section de première instance.

Les juges affectés à la Section des appels y siègent pendant toute la durée de leur mandat, tandis que ceux qui ont été affectés à la Section préliminaire ou à la Section de première instance y demeurent pendant trois ans; après quoi, ils peuvent passer dans une autre section, pour autant que toutes les affaires dont ils ont eu à connaître dans leur section sont réglées. Le Statut prévoit toutefois en outre une plus grande perméabilité entre la Section préliminaire et la Section de première instance dans la mesure où la Présidence peut, si elle estime que le
travail de la Cour l'exige, affecter provisoirement des juges d'une section à l'autre. Pour des raisons liées aux droits fondamentaux, il est toutefois interdit à un juge d'intervenir deux fois dans la même affaire avec des fonctions différentes: une fois en tant que membre de la Chambre préliminaire, et l'autre en tant que membre de la Chambre de première instance.

La principale différence entre les sections réside évidemment dans le fait que la Section préliminaire et la Section de première instance peuvent, pour l'exercice de leurs fonctions judiciaires, se constituer en deux chambres ou davantage, tandis que la Chambre d'appel est composée de tous les juges de la Section des appels. Au cours des négociations, la question de savoir s'il convenait de créer une seule ou plusieurs chambres préliminaires a été longtemps débattue. De nombreuses délégations prônaient la constitution de plusieurs chambres préliminaires, afin qu'il soit possible de traiter plusieurs affaires en parallèle car cela accélérerait le travail de la Cour. Pour répondre à l'impératif d'un maximum de souplesse, la Conférence diplomatique de Rome a renoncé à prévoir dans le Statut l'organisation détaillée de la Cour et à y fixer exactement le nombre de ses chambres. Elle a préféré que la Cour adapte par elle-même son organisation à ses besoins du moment, dans le cadre de la structure en sections qui lui a été impartie. Cette souplesse conférée au niveau préli378

minaire a été logiquement étendue à la Section de première instance. La création de deux chambres de première instance garantit que les affaires traitées en parallèle par les chambres préliminaires pourront être examinées simultanément en première instance, sans se heurter à des problèmes de sous-capacités.

Seule la Section des appels n'est pas subdivisible et constitue par elle-même la chambre d'appel. De plus, c'est la seule chambre à compter cinq membres. Les chambres de la Section de première instance en ont trois chacune, et les tâches de la Section préliminaire sont également confiées à trois membres. Le Statut ou le Règlement de procédure et de preuve peuvent toutefois prévoir qu'un seul juge exerce les fonctions de la Section préliminaire. Cette possibilité est cependant restreinte par l'al. 2, let. a de l'art. 57, qui impose la participation de l'ensemble de la Chambre préliminaire dans les décisions en matière de compétence et de recevabilité, dans les décisions d'autorisation d'enquêtes sur le territoire d'un Etat Partie, dans les décisions relatives à des informations touchant la sécurité nationale et dans le cadre de la confirmation des charges. En revanche, il serait envisageable, par exemple, que les décisions relatives à l'arrestation d'une personne soient, dans un premier temps (car un recours est possible), prises par un juge unique de la Chambre préliminaire. Si les Etats Parties augmentent ultérieurement le nombre total des juges, les nouveaux juges sont affectés à la Section préliminaire ou à la Section de première instance.

L'augmentation du nombre des juges d'appel exigerait en revanche que soit au préalable modifié l'art. 39.

Les juges (art. 35 à 37 et 40) Les juges de la Cour n'exercent pas tous leurs fonctions à plein temps. Ne sont présents en permanence au siège de la Cour que les trois membres de la Présidence.

Ils décident, en fonction de la charge de travail, de la mesure dans laquelle les autres juges sont tenus d'exercer leurs fonctions à plein temps. Si cette règle permet à la Cour de s'adapter rapidement à l'évolution des besoins, elle a pour effet que les juges qui n'exercent pas à temps plein à La Haye doivent trouver ailleurs une autre source de revenus ­ l'art. 35, al. 4, précisant qu'ils ne sont pas rémunérés de la même façon que les juges présents en
permanence. L'art. 40 ajoute que cette activité professionnelle ne doit pas être incompatible avec leurs fonctions judiciaires ni faire douter de leur indépendance. Au cours des négociations, certains exemples ont été donnés: chaires professorales à l'Université, ou postes de juge dans les systèmes judiciaires nationaux. Les juges à plein temps ne peuvent, quant à eux, se livrer à aucune autre activité de caractère professionnel.

La possibilité d'augmenter et, le cas échéant, de réduire à nouveau le nombre des juges constitue un autre moyen dont dispose la Cour pour s'adapter souplement à l'évolution des besoins. Toute modification du nombre des juges est impérativement décidée par l'Assemblée des Etats Parties, sur proposition de la Présidence. Si l'augmentation du nombre des juges ne semble guère poser de problème, la possibilité de réduire aussi leur nombre lorsque le volume des affaires dont connaît la Cour décroît a été âprement discutée à la Conférence diplomatique de Rome. Il a été avancé que des suppressions de postes auraient de fâcheuses répercussions pour les personnes concernées. La solution de compromis finalement trouvée a été que la réduction ne prenne pas effet dès la décision, car cela reviendrait à licencier des juges, mais que le nombre des juges diminue progressivement à mesure que le mandat des juges en exercice vient à expiration, jusqu'à ce que soit atteint le nouveau nombre décidé. Le nombre minimum des juges fixé par le Statut est de dix-huit.

379

Les juges doivent être des personnes jouissant d'une haute considération morale, connues pour leur impartialité et leur intégrité, et parlant couramment le français ou l'anglais ­ les deux langues de travail de la Cour. Ils doivent être spécialisés soit dans le droit pénal, soit dans le droit international ­ notamment le droit international humanitaire et les droits de l'Homme. Les candidats spécialisés en droit pénal et en procédure pénale doivent en outre disposer de l'expérience requise du procès pénal, en qualité de juge, de procureur ou d'avocat; les spécialistes du droit international doivent quant à eux posséder une grande expérience dans une profession juridique présentant un intérêt pour le travail judiciaire de la Cour. L'alliance de compétences théoriques et d'expérience professionnelle pratique doit garantir que les juges seront en mesure d'apprécier convenablement les points juridiques, mais aussi de maîtriser les aspects pratiques de la conduite d'un procès.

Tout Etat Partie peut présenter des candidats à un siège à la Cour. Les candidats doivent être ressortissants d'un Etat Partie, mais pas nécessairement de l'Etat qui les présente. En ce qui concerne la procédure de présentation, le Statut offre deux possibilités aux Etats Parties (art. 36, al. 4): ils peuvent être présentés soit selon la procédure applicable aux candidatures aux plus hautes fonctions judiciaires de l'Etat en question, soit selon la procédure définie dans le Statut de 1945 de la Cour internationale de justice (ci-après appelé Statut CIJ) 20.

En Suisse, les candidats à un siège au Tribunal fédéral peuvent être présentés par les groupes parlementaires ou par tout membre d'une chambre conformément aux dispositions du règlement de l'Assemblée fédérale (Chambres réunies)21. Le Statut CIJ confie le choix des candidats à un siège à la Cour internationale de justice à une commission de spécialistes indépendante, la mieux à même d'apprécier la compétence de la personne concernée (Statut CIJ, art. 4). Cette commission, que le Statut CIJ appelle «groupe national», se compose des spécialistes du droit international qui représentent le pays en qualité d'arbitres à la Cour permanente d'Arbitrage créée en 1899. La Suisse est membre de cette institution depuis 190022. Conformément à l'ordonnance donnant aux départements et aux
services qui leur sont subordonnés la compétence de régler certaines affaires (ordonnance sur la délégation des compétences)23, les quatre membres du groupe national suisse sont nommés par le Département fédéral des affaires étrangères24.

Le Conseil fédéral estime que cette procédure devrait aussi être appliquée à la nomination des candidats suisses à un siège à la Cour pénale internationale. La procédure de présentation des juges fédéraux conviendrait mal dans la pratique à la Cour pénale internationale car, bien que de nombreux candidats puissent être proposés en cours de procédure, personne ne sélectionne en fin de compte, comme l'exige le Statut, un seul candidat à proposer. C'est l'Assemblée fédérale (Chambres réunies) qui se charge de cette sélection en élisant le juge. En outre, les exigences auxquelles doivent satisfaire les juges de la Cour pénale internationale sont si spécifiques qu'il 20 21 22

23 24

380

RS 0.193.501 RS 171.12 Cf. art. 23 de la Convention de 1899 pour le règlement des conflits internationaux (RS 0.193.211) ainsi que l'art. 44 de la Convention de 1907 pour le règlement pacifique des conflits internationaux (RS 0.193.212).

RS 172.011 A l'heure actuelle, ce groupe se compose des anciens Professeurs de droit international D. Schindler (Zurich) et J.-M. Grossen (Neuchâtel), de l'ancien Juge fédéral R. Patry, ainsi que de l'ancien Conseiller juridique du Département fédéral des affaires étrangères, le Professeur L. Caflisch.

vaut mieux laisser à des spécialistes le soin de décider quel candidat les remplit le mieux et possède les meilleures chances d'être élu.

Aux fins de l'élection par l'Assemblée des Etats Parties, il est établi deux listes de candidats: la première contient les noms des spécialistes du droit pénal, et la seconde ceux des spécialistes du droit international. Les juges sont élus au scrutin secret par l'Assemblée des Etats Parties pour un mandat de neuf ans. A la première élection uniquement, un système d'échelonnement dans le temps a été prévu. Un tiers des juges élus, désignés par tirage au sort, sont nommés pour un mandat de trois ans, un autre tiers pour un mandat de six ans. Sont élus les candidats ayant obtenu le plus de voix et la majorité des deux tiers des Etats Parties présents et votants. A la première élection, neuf juges au moins sont élus sur la première liste, et cinq au moins sur la seconde. Les élections suivantes sont organisées de manière à maintenir la même proportion entre les spécialistes du droit international et du droit pénal. Au cours des négociations, la Suisse a beaucoup tenu à ce que la Cour dispose à tout instant d'un nombre suffisant de spécialistes du droit international; d'autres délégations, en revanche, jugeaient que la conduite des procès était plus importante que la connaissance du droit applicable, et qu'il était donc souhaitable que les spécialistes du droit pénal soient majoritaires. Le compromis trouvé à Rome garantit l'équilibre entre les spécialistes du droit international et du droit pénal, sans qu'une catégorie puisse l'emporter sur l'autre parmi les juges. L'art. 39 précise en outre expressément que chaque section doit comporter la proportion voulue de spécialistes du droit pénal et de la procédure pénale et de spécialistes du droit international, mais que la Section préliminaire et la Section de première instance sont principalement composées de juges ayant l'expérience des procès pénaux.

Le Statut est un peu plus souple en ce qui concerne les autres exigences imposées au collège des juges: l'art. 36, al. 8, du Statut stipule que les Etats Parties tiennent compte, dans le choix des juges, de la nécessité d'assurer dans la composition de la Cour la représentation des principaux systèmes juridiques du monde, une représentation géographique équitable et
une représentation équitable des hommes et des femmes. Il demande en outre expressément que soient choisis des juges spécialisés dans les questions liées à la violence contre les femmes ou les enfants. L'indépendance des juges est garantie par le fait qu'ils ne sont pas rééligibles (à l'exception des juges tirés au sort dont le mandat a été limité à trois ans à la première élection, dans un but d'échelonnement). Les juges sont ainsi protégés contre les tentatives de pression ou d'influence des Etats.

Le Bureau du Procureur et le Greffe (art. 42 et 43) L'art. 34 fait du Bureau du Procureur et du Greffe des organes en soi de la Cour.

Mais le Bureau du Procureur dépend énormément du Greffe dans l'exercice de ses fonctions. L'art. 42 rappelle que le Bureau du Procureur agit indépendamment en tant qu'organe distinct au sein de la Cour, et l'art. 38 le soustrait expressément à l'autorité de la Présidence. Il reçoit les communications et les renseignements concernant les crimes relevant de la compétence de la Cour, les examine, conduit les enquêtes et soutient l'accusation devant la Cour. Il est dirigé par le Procureur, qui exerce ses fonctions à la Cour à plein temps et est élu par l'Assemblée des Etats Parties. Il est secondé par un ou plusieurs procureurs adjoints habilités à procéder à tous les actes que le Statut requiert du Procureur.

381

Le Greffe (art. 43), tout en constituant aussi un organe distinct de la Cour, est soumis à l'autorité de la Présidence. Il est responsable de l'administration de la Cour (hormis le Bureau du Procureur) à qui il sert de service d'état-major. Outre ses tâches purement administratives, il assiste les victimes et les témoins qui comparaissent devant la Cour. Le Greffier crée à cet effet une division spéciale qui prend les mesures nécessaires de protection, d'aide et de sécurité. Il avait été initialement proposé de séparer les témoins de l'accusation des autres témoins et de les confier directement au Bureau du Procureur, mais cette solution a été préférée à Rome.

Autres dispositions La Cour possède des langues officielles et des langues de travail (art. 50). Cette formule garantit que la volonté politique d'un rayonnement aussi universel que possible de la Cour ne paralysera pas son travail par un foisonnement opaque de langues. Le travail quotidien se fait en français et en anglais. Tous les arrêts et décisions réglant des questions fondamentales sont traduits dans les six langues de l'ONU: anglais, français, espagnol, arabe, russe et chinois. Cette répartition a été retenue pour des questions de coût.

Les Règles de procédure et de preuve de la Cour sont enfin préparées par la Commission préparatoire et adoptées par l'Assemblée des Etats Parties à la majorité des deux tiers (art. 51). De plus, le Règlement de procédure et de preuve doit en particulier préciser, dans le chapitre IV, les dispositions relatives à la décharge et à la récusation des juges (art. 41), à l'engagement, à la perte de fonctions et aux sanctions disciplinaires (art. 45 et 47). La Cour adopte son propre règlement interne (art.

52).

2.3

Compétence de la Cour

2.3.1

Exercice de la juridiction (art. 12)

Selon l'art. 12, tout Etat qui devient partie au Statut accepte automatiquement la compétence de la Cour pour les crimes visés à l'art. 5 (génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre, crime d'agression, cette dernière notion restant encore à préciser). Cette juridiction automatique («inherent jurisdiction») n'était prévue dans le projet de 1994 de la Commission de droit international que pour le génocide, et pas pour les autres crimes25. L'exercice de la juridiction pour les crimes contre l'humanité ou les crimes de guerre aurait donc dépendu même vis-à-vis des Etats Parties au Statut, de leur acceptation préalable. Quelques Etats ont même proposé pendant les négociations d'aller encore plus loin et de n'autoriser la Cour à exercer sa juridiction que si les Etats suivants avaient donné leur accord préalable: a) l'Etat sur le territoire duquel le crime a été commis, b) l'Etat dont le ressortissant est l'auteur du crime, c) l'Etat dont le ressortissant est la victime et d) l'Etat sur le territoire duquel l'auteur présumé a été arrêté. Non seulement le Statut serait devenu une convention «à la carte», mais la Cour, avant d'intervenir dans un cas particulier, aurait aussi dû s'assurer de l'accord de tous les «Etats intéressés» pour ce qui est des catégories de crimes en question. Un tel système aurait bloqué l'action de la Cour dans 25

382

Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa 46 e session, Nations Unies, Assemblée générale, document officiel, 49e session, 1994, A/49/10, art. 21 du projet de Statut.

de nombreux cas. Il faut considérer comme un grand succès le fait d'avoir obtenu dans le Statut l'acceptation de la juridiction automatique de la Cour fondée sur des critères alternatifs et non cumulatifs, ce qui représente une solution à la fois simple et conséquente.

De plus, le Statut prévoit qu'un Etat qui n'est pas partie au Statut peut reconnaître la juridiction de la Cour en déposant une déclaration à cet effet auprès du Greffier de la Cour. Le Statut dispose par ailleurs qu'une telle reconnaissance vaut «à l'égard du crime dont il s'agit» (art. 12, al. 3). Ceci signifie, de l'avis général, qu'une reconnaissance ne s'applique pas à tel ou tel crime, par exemple un crime de guerre commis par un adversaire, mais vaut pour l'ensemble des crimes pertinents dans une situation donnée. Un Etat non-partie au Statut qui accepte la compétence de la Cour selon l'art. 12, al. 3, doit collaborer avec la Cour de la même façon que le doit un Etat Partie au Statut. Il est donc soumis à toutes les obligations imposées par le chap. IX du Statut.

La question du critère territorial de l'exercice de la juridiction de la Cour pénale internationale a été longuement débattue. L'art. 12, al. 2, prévoit que la Cour peut exercer sa juridiction lorsque l'Etat sur le territoire duquel le comportement en cause a eu lieu (Etat de commission) ou l'Etat dont l'auteur présumé est le ressortissant (Etat auteur) sont des Etats Parties au Statut (ou acceptent la compétence de la Cour conformément à l'art. 12, al. 3).

Le «groupe des Etats pilotes» et la Suisse avec lui auraient souhaité un autre point d'ancrage de la compétence de la Cour: l'Etat sur le territoire duquel l'auteur présumé aurait été arrêté (Etat de détention). Il a fallu malheureusement renoncer à cette proposition à la fin de la conférence de Rome, afin de pouvoir inscrire dans le Statut la compétence automatique de la Cour. Avec les critères de rattachement à l'Etat de commission ou à l'Etat auteur seulement, la Cour ne dispose pas, dans une première phase après l'entrée en vigueur du Statut tout au moins, d'une juridiction qui lui conférerait le caractère universel désiré. Le rayonnement universel du Statut ne manquera pas de s'étendre toutefois avec l'augmentation du nombre de ratifications (ou de déclarations d'acceptation de la compétence de la Cour). Il
faut cependant mentionner ici que, pour certains Etats, la solution prudente retenue par le Statut va déjà trop loin car certains de leurs ressortissants seraient potentiellement soumis à la juridiction de la Cour pénale internationale dès qu'ils commettraient un crime sur le territoire d'un Etat Partie au Statut. Il faut objecter ici que tous les Etats se sont toujours réservé de poursuivre et de juger les crimes commis chez eux indépendamment de la nationalité de l'auteur. La juridiction de la Cour pénale internationale conçue comme un complément à la juridiction interne des Etats ne fait que traduire ce principe à un niveau supérieur.

Enfin, il faut partir de l'idée que la Cour n'est pas soumise aux limites précédemment évoquées de sa compétence territoriale lorsque le Conseil de sécurité, se fondant sur le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, défère une situation à la Cour conformément à l'art. 13, let. b, du Statut.

Une exception aux règles générales de compétence, l'art. 124, sera expliquée au ch.

2.12 (clauses finales).

383

2.3.2

Complémentarité (art. 17)

La compétence de la Cour est complémentaire de la poursuite pénale interne à l'Etat.

Même en présence de crimes de la plus grande gravité et de portée internationale, ce sont les autorités pénales nationales qui doivent être chargées, en premier lieu, de la poursuite pénale. Ce principe déjà présent dans le projet de 1994 de la Commission de droit international26 et nullement contesté pendant les négociations constitue, par rapport à tous les précédents tribunaux pénaux internationaux de l'histoire, une nouveauté également par rapport aux deux tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. La Cour pénale internationale, conçue comme une instance permanente, ne doit intervenir que lorsque, dans un cas particulier, il existe un besoin véritable d'intervention de la part d'une instance internationale, c'est à dire uniquement lorsque le pays initialement compétent ne veut ou ne peut exercer la poursuite pénale de manière appropriée. La juridiction internationale ne complète ainsi la juridiction nationale que de manière ponctuelle. C'est la juridiction nationale qui conserve la priorité.

Le Statut de Rome propose de la sorte une solution sur mesure pour répondre aux besoins effectifs. Le caractère complémentaire permettra d'éviter l'inflation inutile d'un appareil international tout en préservant autant que possible la souveraineté pénale des Etats Parties au Statut. Le sens du Statut de Rome est de combler les lacunes dans la poursuite pénale, lorsqu'il y a des indications claires qu'une situation d'impunité intolérable pour la communauté internationale en serait autrement le résultat. Simultanément, cette conception souligne la responsabilité primaire des différents Etats pour la poursuite pénale, ce qui n'est d'ailleurs pas le moindre mérite du Statut de Rome.

La complémentarité est traitée dans l'article 17 du Statut comme une question de recevabilité. Il faut lire cette disposition à la lumière du préambule (par. 10) et de l'art.

1 (principe de complémentarité des juridictions pénales nationales). L'art. 17 énumère ainsi une série de critères selon lesquels une affaire est jugée irrecevable. Ce qui importe pour l'essentiel, c'est que la Cour elle-même décide en cette matière (compétence en fait de compétence). La Cour juge qu'une affaire est irrecevable lorsqu'elle «fait l'objet
d'une enquête ou de poursuites de la part d'un Etat ayant compétence en l'espèce, à moins que cet Etat n'ait pas la volonté ou soit dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites». Une affaire est également irrecevable lorsqu'elle «a fait l'objet d'une enquête de la part d'un Etat ayant compétence en l'espèce et que cet Etat a décidé de ne pas poursuivre la personne concernée, à moins que cette décision ne soit l'effet du manque de volonté ou de l'incapacité de l'Etat de mener véritablement à bien des poursuites». Une affaire est de plus irrecevable lorsque «la personne concernée a déjà été jugée pour le comportement faisant l'objet de la plainte», pour autant que le cas ne fasse pas l'objet d'une disposition d'exception ainsi qu'en dispose l'art. 20 («ne bis idem», voir ch. 2.3.4). Enfin, une affaire est irrecevable lorsqu'elle «n'est pas suffisamment grave pour que la Cour y donne suite».

Selon l'al. 2, pour examiner le «manque de volonté» d'un Etat, la Cour doit tenir compte des circonstances eu égard aux garanties d'un procès équitable reconnues par le droit international. Elle doit ici examiner si la procédure a été ou est engagée dans le dessein de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale pour 26

384

Ibidem, al. 3 du préambule et art. 35 du projet.

les crimes relevant de la compétence de la Cour, ou si la procédure a subi un retard injustifié incompatible avec l'intention de traduire en justice («to bring to justice») la personne concernée.

L'al. 3 de l'art. 17 précise la notion d'incapacité de l'Etat d'administrer une procédure pénale: la Cour considère que tel est le cas si «l'Etat est incapable en raison de l'effondrement de la totalité ou d'une partie substantielle de son propre appareil judiciaire ou de l'indisponibilité de celui-ci de se saisir de l'accusé, de réunir des éléments de preuve et les témoignages nécessaires ou de mener autrement à bien la procédure».

Le principe de complémentarité est l'expression du principe du fédéralisme selon lequel les problèmes doivent être réglés au niveau où ils trouveront au mieux leur solution: l'instance internationale n'a pas à intervenir tant que les instances de l'Etat veulent et peuvent exécuter une poursuite pénale sérieuse dans le domaine des crimes particulièrement graves du droit international. Ainsi, la souveraineté pénale des Etats Parties au Statut demeure intacte.

2.3.3

Déclenchement de la procédure (art. 13 à 15, 18 et 19)

La réglementation proposée du problème de la recevabilité ne dit pas encore qui peut déclencher une procédure par-devant la Cour, et quelle procédure doit s'appliquer dans ce cas. Les réponses à ces questions se trouvent dans les art. 13 à 15 ou 18 et 19 du Statut.

Il n'a jamais été contesté que les Etats étaient habilités à ester devant la Cour. L'art.

14 prévoit qu'un Etat Partie peut déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis, et prier le Procureur d'enquêter sur cette situation.

Par contre, la question a été contestée de savoir si le Conseil de sécurité serait habilité à déférer une situation à la Cour. L'argument a été avancé, contre cette possibilité, qu'un accord de droit international auquel ne sont pas parties la totalité de ses membres permanents et non permanents ne saurait conférer des compétences supplémentaires au Conseil de sécurité. Cet argument à première vue convaincant s'en est vu opposer d'autres: dans le passé et en se fondant sur le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le Conseil de sécurité a déjà mis sur pied deux tribunaux ad hoc.

L'une des raisons pour la création d'une Cour pénale internationale revêtant la forme d'un organe permanent résidait précisément dans l'intention de rendre inutile à l'avenir la création de tels tribunaux ad hoc. Afin d'atteindre cet objectif, il convient que l'accès à la Cour pénale internationale soit ouvert au Conseil de sécurité. Le fait de donner au Conseil de sécurité la capacité de déclencher une procédure devant la Cour pénale ne constitue donc pas une extension de ses compétences, mais bien plutôt la reconnaissance des compétences qui lui sont déjà conférées par la Charte des Nations Unies. L'art. 13, let. b, du Statut fait sienne cette approche et prévoit que le Conseil de sécurité agissant en vertu du chap. VII de la Charte des Nations Unies peut déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes paraissent avoir été commis, relevant de la compétence de la Cour, afin qu'il puisse enquêter à leur sujet.

Une troisième question a été encore plus contestée, à savoir si la Cour pouvait ouvrir une procédure à l'initiative du Procureur lui-même. Les opposants à cette proposi385

tion ont fait valoir que cette faculté conférerait au Procureur une position par trop forte qui pourrait faire l'objet d'abus de nature politique. Sous la pression du «groupe des Etats pilotes», le Procureur s'est finalement vu accorder le droit d'ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu de renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour. Des assurances de nature institutionnelle et de procédure sont toutefois prévues afin de limiter le risque d'une «politisation» de cette instance. Ainsi, certains actes d'enquête du Procureur, en particulier la formulation d'une accusation devant la Chambre préliminaire, peuvent faire l'objet d'un examen en droit.

Selon l'art. 15, le Procureur peut ouvrir une enquête en se fondant sur des informations dont il a pu vérifier le sérieux. A cette fin, il peut rechercher des renseignements supplémentaires auprès d'Etats, d'organes des Nations Unies, d'organisations gouvernementales et non gouvernementales ou de toutes autres sources. Il peut recueillir à cette fin des dépositions écrites ou orales au siège de la Cour. Si le Procureur conclut qu'il y a une base raisonnable pour ouvrir une enquête, il présente une demande d'autorisation dans ce sens à la Chambre préliminaire. Si celle-ci estime qu'il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête, elle donne son autorisation, sans préjudice des décisions que la Cour prendra ultérieurement en matière de compétence et de recevabilité. Une réponse négative de la Chambre préliminaire n'empêche pas le Procureur de présenter par la suite une nouvelle demande ayant trait à la même situation en se fondant sur des faits ou des éléments de preuve nouveaux.

L'art. 18 décrit la procédure suivie par la Cour pour prendre une décision préliminaire sur la recevabilité. Lorsque le Procureur ouvre une enquête à la demande d'un Etat Partie au Statut ou de sa propre initiative, il le notifie à tous les Etats Parties au Statut et aux Etats qui, selon les renseignements disponibles, auraient normalement compétence à l'égard des crimes dont il s'agit. Il peut le faire à titre confidentiel.

Dans le mois qui suit, un Etat peut informer la Cour qu'il ouvre ou qu'il a ouvert une enquête. S'il le demande, le Procureur lui défère le soin de l'enquête, à moins que la Chambre préliminaire ne l'autorise à faire
l'enquête lui-même. Lorsqu'il sursoit à enquêter, le Procureur peut demander à l'Etat concerné de lui rendre régulièrement compte des progrès de son enquête et des poursuites engagées à sa suite. Toute décision prise en vertu de l'art. 18 revêt un caractère provisoire et ne constitue aucune décision définitive sur la compétence de la Cour ni sur la recevabilité d'une situation. Toutefois, en raison des conséquences graves qu'elle peut avoir sur tous les intervenants dans la procédure, une telle décision constitue un arrêt intermédiaire qui peut être contesté en procédure accélérée devant la Chambre d'appel.

La décision proprement dite portant sur la compétence de la Cour ou sur la recevabilité d'une situation se prend en vertu de l'art. 19 du Statut. Celui-ci ne détermine pas à quel moment précis cette décision doit être prise, mais se borne à en définir les règles. Selon l'art. 19, al. 1, la Cour s'assure qu'elle est compétente pour connaître de toute affaire portée devant elle. Elle peut d'office se prononcer sur la recevabilité de l'affaire conformément à l'art. 17. La recevabilité d'une affaire et la compétence de la Cour peuvent être contestées par un accusé ou par toute personne à l'encontre de laquelle a été délivré un mandat d'arrêt ou une citation à comparaître, ou par l'Etat compétent à l'égard du crime considéré du fait qu'il mène ou qu'il a mené une enquête pénale, ainsi que par tout Etat qui doit avoir accepté la compétence de la Cour selon l'art. 12 (Etat de commission ou Etat de l'auteur). Chacune de ces personnes et chacun de ces Etats ne peut soulever l'exception portant sur la compétence de la 386

Cour qu'une seule fois, et ceci en règle générale avant l'ouverture du procès ou à l'ouverture du procès. La question est tranchée par la Chambre préliminaire. Si, exceptionnellement, l'exception est soulevée au cours du procès, c'est la Chambre de première instance qui tranche. Il peut être fait appel des décisions portant sur la compétence ou la recevabilité devant la chambre d'appel. Le Procureur est également habilité à soulever devant la Cour et de sa propre initiative la question de la recevabilité ou de la compétence. Toute procédure selon l'art. 19 revêt en principe un caractère suspensif dans la mesure ou le Procureur sursoit à enquêter en attendant que la Cour statue. Il peut toutefois lui demander l'autorisation de prendre les mesures d'enquête nécessaire pour préserver des éléments de preuve (s'il y a un risque appréciable que les éléments de preuve ne soient plus disponibles par la suite). Le Procureur peut également demander l'autorisation à la Cour de recueillir la déposition orale ou écrite d'un témoin, ou de terminer le rassemblement et l'examen des éléments de preuve dans le cadre d'une enquête préliminaire. Enfin, il peut empêcher, en coopération avec les Etats concernés, la fuite des personnes contre lesquelles il a déjà requis un mandat d'arrêt. Quand la Cour a jugé une affaire irrecevable au regard de l'art. 17 dans le cadre de la procédure prévue par l'art. 19, le Procureur ne peut lui demander de reconsidérer sa décision que s'il est certain que des faits nouvellement apparus infirment les motifs pour lesquelles l'affaire avait été jugée irrecevable.

Au total, il existe donc de nombreuses assurances institutionnelles et procédurales pendant la phase critique d'ouverture d'une procédure et de transition de la compétence relevant du droit national à la compétence ressortissant du droit international.

Le Procureur se voit accorder une position relativement forte et indépendante, puisqu'il peut ouvrir une procédure de sa propre initiative, tout en étant tout de même soumis, aux moments critiques et décisifs, à un contrôle juridique par la Chambre préliminaire de la Cour.

2.3.4

«Ne bis in idem» et absence d'effet rétroactif (art. 20 et 11)

Il y a lieu de mentionner ici deux autres caractéristiques du Statut: l'interdiction de juger une personne pour des faits ayant déjà fait l'objet d'un jugement et la prohibition de tout effet rétroactif.

L'art. 20 décrit le principe «ne bis in idem» selon lequel nul ne saurait être jugé deux fois pour les mêmes faits. Ce principe est invoqué ici dans trois différentes configurations. Il s'agit tout d'abord de la Cour elle-même: nul ne peut être jugé par la Cour pour des actes constitutifs de crimes pour lesquels il a déjà été condamné ou acquitté par elle (font naturellement exception les dispositions du Statut en matière d'appel et de réexamen). Ensuite, l'interdiction s'applique égale-ment aux autorités nationales: nul ne peut être jugé par une autre juridiction pour un crime pour lequel il a déjà été condamné ou acquitté par la Cour.

Enfin, l'interdiction s'applique dans l'autre sens: quiconque a été jugé par une autre juridiction pour un comportement tombant sous le coup des art. 6, 7 ou 8 ne peut être jugé par la Cour pour la même affaire que si la procédure devant l'autre juridiction:

387

a.

avait pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale, ou

b.

a été menée d'une manière qui, dans les circonstances, était incompatible avec l'intention de traduire l'intéressé en justice.

Le principe «ne bis in idem» constitue ici dans une certaine mesure le pendant du principe de complémentarité contenu dans l'art. 17.

Une deuxième caractéristique du Statut est sa non-rétroactivité. D'après l'art. 11 du Statut, la Cour n'a compétence qu'à l'égard des crimes commis après l'entrée en vigueur du Statut (ou, pour un Etat, qui devient partie au Statut après l'entrée en vigueur de celui-ci, après l'entrée en vigueur du Statut pour cet Etat, sauf si ce dernier a fait la déclaration de l'acceptation de la compétence de la Cour conformément à l'art. 12, al. 3). Au regard des crimes commis à ce jour dans le monde, on pourrait regretter la non-rétroactivité du Statut. Toutefois, cette solution stricte était la seule voie possible vers la création d'une Cour pénale internationale en raison des réserves politiques et juridiques soulevées. Il est d'autant plus important, à cet égard, que le plus grand nombre possible d'Etats ratifie rapidement le Statut.

2.4

Relations entre la Cour et les Nations Unies, en particulier avec le Conseil de sécurité 27

Il a déjà été indiqué (voir sous ch. 2.2.1) que la Cour pénale internationale est une instance créée par un traité international, un «organe issu d'un accord international».

En particulier, la Cour ne compte pas parmi les organes des Nations Unies et n'est donc pas responsable vis-à-vis de cette organisation. Le Statut de Rome et son développement par la voie de la révision ne ressortissent donc pas de la responsabilité d'un organe des Nations Unies (par exemple de l'Assemblée générale). C'est plutôt une Assemblée des Etats Parties au Statut qui accompagnera le destin de la Cour (voir le chap. XI, art. 112 du Statut).

La possibilité qu'a le Conseil de sécurité de déférer une situation à la Cour dans le cadre de ses compétences selon le chap. VII de la Charte des Nations Unies a déjà été évoquée (voir ch. 2.3.3). Un cas de cette nature pourrait, entre autres conséquences, avoir des suites financières pour les Nations Unies (art. 115, let. b). Cette question et d'autres encore seront abordées en détail par la première Assemblée des Etats Parties au Statut après l'entrée en vigueur de celui-ci, lorsqu'il y aura notamment lieu d'établir le régime financier de la Cour et de négocier un accord entre la Cour et les Nations Unies.

Il y a lieu de commenter ici l'art. 16 du Statut qui, jusqu'à maintenant, n'a été évoqué qu'en passant (ch. 1.3). Cette disposition donne au Conseil de sécurité la possibilité de demander à la Cour de surseoir à enquêter ou à poursuivre pendant douze mois. Cette possibilité d'intervention du Conseil de sécurité dans une procédure judiciaire paraît à première vue surprenante et difficilement compréhensible. Elle résulte toutefois de considérations justifiées. Le but de la Cour pénale internationale est de punir des crimes capitaux concernant l'humanité toute entière, et d'exercer ainsi un effet de prévention et de stabilisation médiate. Le Conseil de sécurité de son côté exerce une fonction de promotion directe et de maintien immédiat de la paix.

27

388

Pascal Arnold, Der UNO-Sicherheitsrat und die strafrechtliche Verfolgung von Individuen, Bâle, Genève, Munich (Helbing & Lichtenhahn) 1999.

En règle générale, les fonctions de ces deux instances se complètent, mais des frictions peuvent toutefois survenir dans des circonstances exceptionnelles. Pour assumer son rôle, le Conseil de sécurité peut se voir contraint de mener des négociations pendant les phases critiques d'un conflit avec les parties à ce conflit, bien que ces personnes soient sous le poids d'accusations de crimes. Dans de tels cas exceptionnels, l'arrestation ou l'accusation de telles personnes par la Cour pénale internationale pourrait faire obstacle à une solution pacifique dans certaines circonstances. Il est difficile de résoudre le dilemme entre les intérêts directs de préservation ou de rétablissement de la paix et la sanction des crimes capitaux, qui ne sert qu'indirectement la promotion de la paix.

Le fait que le Conseil de sécurité, en vertu du chap. VII de la Charte, peut adopter une résolution demandant à la Cour de respecter un moratoire de douze mois pour son enquête et d'éventuelles poursuites pénales est la compensation prévue par le Statut. Le cas échéant, ce délai peut être prolongé par le biais de l'adoption d'autres résolutions. La subtilité de cette solution réside dans le fait qu'en raison des dispositions internes sur l'adoption des résolutions par le Conseil de sécurité (art. 27, al.

3, de la Charte des Nations Unies), le veto d'un seul membre permanent suffit pour faire échouer l'adoption d'une résolution de cette nature. Certaines organisations non gouvernementales ont déjà évoqué la notion de «veto constructif» dans ce cas, à savoir d'un veto dont les effets s'exerceraient en faveur de la poursuite de la procédure judiciaire par-devant la Cour pénale internationale. Dans la mesure où au moins neuf membres du Conseil de sécurité, y compris l'intégralité des cinq membres permanents, doivent être d'accord pour adopter une résolution demandant à la Cour un sursis à enquêter ou à poursuivre, le risque d'un recours abusif à l'art. 16, qui consacre le droit d'intervention du Conseil de sécurité, est limité. Simultanément, on a reconnu, à juste titre, qu'il pouvait se présenter, dans les faits, des situations dans lesquelles le souci d'une poursuite pénale efficace peut passer, à court terme, après l'intérêt qu'il y a à éviter ou à apaiser un conflit armé.

2.5

Les crimes du Statut (art. 5 à 9)

Selon l'art. 5 du Statut, la compétence de la Cour est limitée aux crimes les plus graves, qui touchent l'ensemble de la communauté internationale: le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression. Le seuil fixé par le Statut pour donner lieu à l'ouverture d'une poursuite pénale devant la Cour est dès lors élevé. C'est ce seuil élevé qui garantit que la compétence de la Cour ne s'étendra pas aux crimes ordinaires, dont le jugement continuera à relever de la compétence exclusive des tribunaux nationaux des Etats Parties.

2.5.1

Le génocide (art. 6)

Le crime de génocide représente le crime le plus grave qui soit. Il présuppose, comme caractéristique, l'intention spécifique de l'auteur de détruire, totalement ou partiellement, un groupe qui se distingue par sa nationalité, sa race, sa religion ou par son appartenance ethnique. Le génocide peut être commis au travers de plusieurs actes: meurtre des membres du groupe, atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale des membres du groupe, soumission du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, mesures visant à entra389

ver les naissances au sein du groupe ainsi que transfert forcé des enfants du groupe à un autre groupe.

Il est généralement reconnu que l'interdiction du génocide a un caractère de droit coutumier impératif (jus cogens) ainsi qu'un effet erga omnes. Sa violation est poursuivie au niveau international par les deux tribunaux pénaux pour l'exYougoslavie et le Rwanda. Le crime de génocide a été internationalement réprimé pour la première fois par la Convention pour la prévention et la répression du génocide de 1948. A ce jour, 132 Etats ont ratifié cette Convention. Au printemps 2000, les Chambres fédérales suisses ont approuvé l'adhésion de la Suisse à cette Convention ainsi que les révisions que cette adhésion rend nécessaires en droit suisse28. Le 7 septembre de cette année, le Conseil fédéral a déclaré l'adhésion de la Suisse à cette Convention. Par conséquence, la disposition pénale relative au génocide entrera en vigueur le 15 décembre 2000.

2.5.2

Les crimes contre l'humanité (art. 7)

Dans le cas des crimes contre l'humanité, il s'agit des violations graves des droits de l'homme qui sont commises de manière généralisée ou systématique contre les membres de la population civile, souvent par leur propre Etat d'origine. Tout comme le crime de génocide, les crimes contre l'humanité peuvent également être commis en temps de paix, en dehors de tout conflit armé. D'après le Statut de la Cour pénale internationale, les crimes contre l'humanité peuvent être commis au travers des actes suivants: meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation ou transfert forcé de population, emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international, torture, viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable, disparition forcée de personnes, crime d'apartheid ainsi que d'autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

Les crimes contre l'humanité ont été poursuivis pour la première fois après la Seconde Guerre mondiale par les tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo. Dans les années 90, une compétence semblable a été confiée aux tribunaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. Il est généralement reconnu que l'interdiction de perpétrer des crimes contre l'humanité a un caractère de droit international coutumier. L'ordre juridique suisse ne connaît cela dit pas la notion de crime contre l'humanité. Toutefois, dans la plupart des cas, les actes individuels sont d'ores et déjà couverts par les dispositions actuelles du code pénal. Afin d'assurer la poursuite sans lacune des crimes contre l'humanité en Suisse, les modifications nécessaires devraient être introduites dans le droit suisse dans les meilleurs délais.

28

390

Pour de plus amples détails de la Convention et de la mise en oeuvre en droit suisse, voir message du 31 mars 1999 relatif à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et révision correspondante du droit pénal, FF 1999 4911 ss.

2.5.3

Les crimes de guerre (art. 8)

2.5.3.1

Généralités

L'art. 8 du Statut donne à la Cour la compétence de sanctionner les crimes de guerre. Par crimes de guerre au sens du Statut, il faut entendre une série de violations graves du droit international des conflits armés qui sont détaillées à l'art. 8, al.

2. Ces violations graves peuvent être commises tant à l'occasion d'un conflit armé international que non international.

Comme le titre de l'art. 8 l'indique déjà, le Statut est loin de punir toutes les violations du droit international humanitaire. Seules les violations graves, et plus précisément les crimes énumérés dans le Statut, seront de la compétence de la Cour pénale internationale. Cela n'enlève rien aux devoirs des Etats, tels qu'ils sont notamment énoncés dans les Conventions de Genève et dans leurs Protocoles additionnels, de faire cesser toute violation du droit international des conflits armés et d'assurer, par le biais de leurs ordres juridiques internes, la sanction adéquate de tout crime de guerre.

La création de la Cour pénale internationale doit en première ligne être comprise par les Etats comme une incitation pressante à respecter et à faire respecter les obligations du droit international humanitaire découlant des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels, tout d'abord au sein de leurs forces armées, et, dans la mesure du possible, de leur population civile. Les Etats doivent prendre toutes les mesures nécessaires (instruction, intégration dans le processus de commandement, dans toute prise de décision, à tous les échelons, au sein de leurs forces armées et de leur appareil gouvernemental) pour garantir le respect de ce droit et la sanction de ses violations29. Dans la perspective du Statut, un crime de guerre doit être poursuivi, où qu'il ait été commis et quel que soit son auteur, la Cour n'intervenant que si le ou les Etats tenus de poursuivre un criminel de guerre ont failli à leur obligation de répression (principe de complémentarité), sa création doit en premier lieu avoir un effet préventif.

Le Conseil fédéral rappelle enfin que la promotion du droit international humanitaire fait partie de ses objectifs constants; un effort accru est déployé depuis plusieurs années au sein de l'armée pour diffuser et assurer l'application du droit international humanitaire. A l'avenir, cet effort devra encore être amplifié.
Quant à la répression des crimes de guerre, ceux-ci ont été punis sur le plan international pour la première fois après la Seconde Guerre mondiale par les tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo. Dans les années nonante, des compétences correspondantes ont été données aux tribunaux pénaux internationaux pour l'exYougoslavie et le Rwanda. En Suisse, en 1968 déjà, la révision du Code pénal militaire a créé les bases nécessaires pour poursuivre et punir en Suisse toutes les violations du droit international des conflits armés.

29

Voir les art. 83 et 87 du premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1977. Voir également le préambule du Statut: «Rappelant qu'il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux».

391

2.5.3.2

Les crimes de guerre commis durant les conflits armés internationaux

Les let. a) et b) de l'art. 8, al. 2, traitent des crimes de guerre commis durant les conflits armés internationaux. Les huit infractions retenues dans la let. a) reprennent intégralement et littéralement les crimes de guerre tels qu'ils sont énoncés dans les quatre Conventions de Genève de 194930. Quant à la let. b), elle rassemble les autres violations graves du droit international humanitaire telles qu'elles sont consacrées par le droit coutumier (26 infractions). La plupart de ces violations graves sont également ancrées dans des instruments conventionnels, notamment dans le Règlement sur les lois et coutumes de la guerre de 190731, dans la Convention de La Haye de 1954 sur la protection des biens culturels32, dans le premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 197733 ainsi que dans la Convention de 1993 sur les armes chimiques34.

2.5.3.3

Les crimes de guerre commis durant les conflits armés non internationaux

La notion de conflit armé non international est traitée par le Statut aux let. d) et f); les conflits armés non internationaux y sont définis comme «ne présentant pas de caractère international», étant précisé que les «situations de troubles et tensions internes telles que les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence ou les actes de nature similaire» ne sont pas considérés comme des conflits armés non internationaux.

Les infractions pour lesquelles la Cour est compétente sont listées aux let. c) et e).

La let. c) criminalise les violations graves de l'art. 3 commun aux Conventions de Genève de 1949, qui est la seule disposition des Conventions de Genève de 1949 applicable aux conflits armés non internationaux: atteintes à la vie, à l'intégrité corporelle (mutilation, torture), à la dignité de la personne (traitements humiliants et dégradants) commises au détriment de toutes les personnes qui ne participent pas ou plus directement aux hostilités (comme par exemple les combattants «qui ont déposé les armes, ou les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention ou par toute autre cause»), prises d'otages et «condamnations et exécutions effectuées sans jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables».

La let. e) traite des violations graves du droit international des conflits armés qui ne sont pas ancrées dans l'art. 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 mais qui ont comme lui un caractère coutumier reconnu. La plupart des dispositions de cette lettre correspondent aux infractions contenues dans la let. b) à propos des conflits armés internationaux. Matériellement, la let. e) reprend pour l'essentiel le contenu du deuxième Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1977 relatif à la 30

31 32 33 34

392

Art. 50, première Convention de Genève de 1949; RS 0518.12, art. 51, deuxième Convention de Genève de 1949; RS 0.518.23, art. 130, troisième Convention de Genève de 1949, art. 147; RS 0.518.41, quatrième Convention de Genève de 1949; RS 0.518.51.

RS 0.515.112 RS 0.520.3 RS 0.518.521 RS 0.515.08

protection des victimes des conflits armés non internationaux35, complété, en ce qui concerne la conduite des hostilités dans les conflits armés non internationaux, par une série de normes coutumières qui n'ont pas fait l'objet de droit conventionnel.

Enfin, devant la crainte exprimée par certains Etats que la Cour s'immisce dans leurs affaires intérieures, il a été précisé à l'art. 8, al. 3, que la compétence de la Cour, en matière de conflits armés non internationaux, «n'affecte pas la responsabilité d'un gouvernement de maintenir ou rétablir l'ordre public dans l'Etat ou de défendre l'unité et l'intégrité territoriale de l'Etat par tous les moyens légitimes», étant entendu que ne peuvent constituer des moyens légitimes que des moyens qui respectent les exigences du droit international, en première ligne les droits de l'homme et le droit international humanitaire.

2.5.4

Le crime d'agression

Le crime d'agression ne représente pas une nouveauté du Statut de la Cour pénale internationale, puisque le statut du tribunal militaire international de Nuremberg a déjà connu ce crime. La Cour ne pourra toutefois pas exercer tout d'abord sa compétence à l'égard de ce crime puisque, lors de l'élaboration du Statut, les Etats n'ont pas pu se mettre d'accord sur une définition du crime de l'agression. Sept ans au plus tôt après l'entrée en vigueur du Statut, la conférence de révision décidera de l'adoption d'une définition détaillée du crime d'agression. La procédure d'adoption sera conforme aux art. 121 et 123 du Statut. Ceci veut dire qu'un Etat pourra faire objection à l'adoption et ainsi garder la faculté d'exclure l'application de l'agression pour ses ressortissants ou son territoire. La définition de l'agression devra être compatible avec les dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies. La Commission préparatoire de la Cour pénale internationale a déjà entamé les négociations.

2.6

Principes généraux du droit pénal et peines

2.6.1

Principes généraux du droit pénal (chap. III: art. 22 à 33)

Le projet de la Commission du droit international concernant le Statut d'une Cour pénale internationale, projet datant de 1994, ne contenait pas de principes généraux du droit pénal, mais uniquement une référence aux sources de droit applicables: le Statut, les conventions applicables, les principes du droit des gens et, le cas échéant, des règles du droit national36. Ce simple renvoi a été perçu par de nombreux Etats comme insuffisant. Une Cour pénale internationale permanente devrait ­ a-t-on dit ­ disposer de principes généraux du droit pénal, afin de pouvoir se conformer pleinement à l'exigence posée par le principe de la légalité «nullum crimen sine lege». De plus, pour une cour dotée d'une vocation de répression universelle, les diverses traditions juridiques du monde devraient être dûment prises en considération.

35 36

RS 0.518.522 Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa 46 e session, Nations Unies, Assemblée générale, document officiel, 49e session, 1994, A/49/10, art. 33 du projet de Statut.

393

En l'occurrence, il s'agissait de répondre à quelques-unes des questions qui au niveau national sont réglées dans la «Partie générale» des codes pénaux. En font partie l'inscription du principe de la légalité, la description de formes de participation telles que l'incitation ou la complicité, la définition de la tentative, de l'erreur et l'énumération des motifs qui, exceptionnellement, peuvent entraîner une exclusion de la punissabilité.

Tenter de formuler de tels principes généraux de droit pénal à l'échelon international s'est avéré épineux. On s'est rapidement entendu sur le postulat de base, à savoir qu'une telle entreprise ne pouvait avoir qu'un effet limité au Statut. En d'autres termes, quels que soient les résultats des pourparlers portant sur les «principes généraux», ces derniers devaient s'appliquer exclusivement aux crimes définis dans le Statut et dans la seule perspective de procédures engagées devant la Cour pénale internationale. Autrement dit, il n'était pas question de créer une partie générale du droit pénal international que les Etats appliquent obligatoirement, de manière directe ou indirecte. Entre autres, cela signifie concrètement que lesdits principes généraux décrits dans le Statut ne devront par principe pas être transposés dans le droit des Etats Parties. Mais il convient de relativiser cette affirmation dans la mesure où l'application globale du droit pénal est soumise à la réserve de complémentarité de l'art. 17. En d'autres termes, le droit national ne peut connaître des lacunes sous l'angle de la punissabilité ni de motifs d'exclusion outranciers tels que la Cour, en appliquant l'art. 17, soit persuadée que l'Etat en question «n'a pas la volonté» ou «est dans l'incapacité» d'exécuter des poursuites pénales sérieuses. Une analyse du droit pénal suisse montre que de telles lacunes n'existent pas et que, par conséquent, il n'y a actuellement aucun besoin de mesures d'adaptation en ce domaine.

Sont retenus dans le Statut les principes généraux «nullum crimen sine lege» (art. 22) et «nulla poena sine lege» (art. 23), l'interdiction d'effets rétroactifs (art.

24) ainsi que l'imprescriptibilité (art. 29). Ont été réglés les formes de la commission et de la participation (art. 25), la responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques (art. 28),
l'élément psychologique (art. 30), les motifs d'exonération de la responsabilité pénale (art. 31), les motifs d'erreurs (art. 32) ainsi que l'ordre hiérarchique et l'ordre de la loi (art. 33). L'art. 26 exclut la responsabilité pénale des enfants de moins de 18 ans à l'égard du Statut. L'art. 27 est d'importance fondamentale, puisqu'il précise que les immunités ou règles de procédures attachées à la qualité officielle d'une personne n'empêchent pas la Cour de procéder contre cette personne. Tous ces principes seront expliqués de manière plus détaillée dans l'annexe 2, ch. 1 de ce message.

2.6.2

Les peines (chap. VII: art. 77 à 80)

Conséquence du principe «pas de peine sans loi» («nulla poena sine lege») inscrit dans l'art. 23, le Statut définit dans son chap. VII les peines que la Cour peut prononcer. Contrairement à ce qui avait été prévu dans le projet de la Commission de droit international de 199437, il n'a pas été possible de renvoyer simplement au système pénal d'un ordre juridique national, par exemple au régime de sanctions de l'Etat sur le territoire duquel le crime en question a été commis. Ce n'est pas seulement le fait de ranger des crimes au sens de l'art. 5 du Statut dans les crimes ­ éven37

394

Ibidem, art. 47 du projet de Statut.

tuellement définis autrement ­ du droit national et de leur attribuer les conséquences pénales s'y rattachant qui aurait pu entraîner des difficultés. En effet, les sanctions prévues par le droit national auraient pu, de surcroît, s'avérer totalement inappropriées ou s'étendre à des types de peine qu'il n'appartient pas à une Cour pénale internationale de prononcer (peine de mort et peines corporelles). Par conséquent, il n'y avait pas d'autre solution que de définir dans le Statut même les peines infligées par la Cour.

L'art. 77 prévoit, à titre de condamnation principale, une peine d'emprisonnement de 30 ans au plus. Si l'extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient, il est possible de dépasser exceptionnellement cette sanction maximale et prévoir une peine d'emprisonnement à perpétuité. La Cour doit pourtant réexaminer la peine initialement prononcée si le condamné a purgé les deux tiers de sa peine ou accompli 25 ans d'emprisonnement dans le cas d'une condamnation à perpétuité, et puis répéter cet examen à intervalles réguliers (art. 110). À titre de peine complémentaire, la Cour peut infliger une amende et la confiscation des avoirs tirés du crime. La Cour peut ordonner que ces moyens soient versés au fonds au profit des victimes et de leurs familles. Ce fonds est institué par l'Assemblée des Etats Parties et géré selon les principes fixés par cette dernière.

La Cour fixe la peine conformément aux critères énoncés à l'art. 78. L'art. 80 précise que le chapitre VII du Statut n'affecte pas l'application par les Etats des peines que prévoit leur droit interne. Il n'existe donc aucun besoin de transposition dans le droit national. L'annexe 2, ch. 2 de ce message contient de plus amples détails relatifs au chap. VII du Statut.

2.7

La procédure devant la Cour (chap. V, VI et VIII)

Contrairement au cas des deux tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, où l'établissement et le développement des règles de la procédure ont été largement confiés aux juges, le Statut de Rome contient en lui-même des clauses relativement détaillées portant sur la procédure. Un grand nombre d'Etats ont soutenu que c'était l'affaire des Etats Parties que de fixer dans ses grandes lignes la procédure devant une Cour pénale internationale permanente. Selon eux, il relève de la responsabilité première des Etats Parties de prévoir dans le Statut comme tel que la Cour respecte les droits fondamentaux de l'accusé. En outre, toujours de l'avis desdits pays, il est d'une importance immédiate pour les Etats Parties d'avoir la faculté de reconnaître dans quelle mesure ils pourraient être eux-mêmes parties dans une procédure. Enfin, il s'agit de garantir lors de l'institution d'un organe international à vocation universelle que les règles de la procédure reflètent les modèles de toutes les traditions juridiques importantes du monde.

Hormis les dispositions susmentionnées régissant la procédure dans le chap. II et portant sur l'ouverture d'une enquête (ch. 2.3.3), la procédure pénale devant la Cour est essentiellement réglée par les chap. V, VI et VIII. Lors de l'élaboration de ces règles de procédure, se sont notamment opposés les Etats de l'espace «common law» anglo-saxon et ceux nourris d'une tradition de droit romain. Au cours des négociations, il s'est rapidement révélé que ces deux systèmes juridiques importants ne constituaient pourtant pas des blocs homogènes. Au contraire, même au sein de ces traditions règnent des conceptions très différentes de la façon d'organiser correc395

tement une procédure pénale. Plus importante que la reconnaissance de cette hétérogénéité étonnante a été la deuxième observation révélant qu'à travers toutes les différences, tout ordre procédural poursuit le même objectif, à savoir l'institution d'une procédure pénale qui favorise autant que possible l'établissement de la vérité ­ ceci bien sûr dans le respect des droits fondamentaux de l'accusé et des exigences liées à une procédure efficace. Afin de pouvoir placer la Cour sous l'angle de sa procédure à l'enseigne de cet objectif, il a fallu qu'après de longues négociations, toutes les parties se défassent de leurs préjugés, passent au feu de l'autocritique leurs propres idées en matière de droit et examinent sans parti pris toutes les propositions, peu importe les origines de celles-ci. Tout au long de ce processus, les règles de procédure appliquées devant les deux tribunaux ad hoc ont été une source d'inspiration, mais il n'a pas été possible de les reprendre telles quelles ­ les réserves formulées par les Etats influencés par la tradition juridique continentale n'étant pas la seule raison de cette impossibilité.

Dans l'ensemble, il n'y a pas à rougir du résultat atteint avec le Statut de Rome. La réglementation de la procédure pénale devant la Cour pénale internationale peut être considérée comme le produit de la tentative fructueuse de fondre en un tout ­ utilisable et fonctionnel ­ la meilleure part des divers systèmes juridiques, en particulier dans les espaces de la «common law» et de la «civil law».

Le chap. V (art. 53 à 61) du Statut règle la procédure préliminaire. La responsabilité de cette partie de la procédure incombe en premier lieu au Procureur. Il est soumis, toutefois, à un contrôle juridique effectué par la Chambre préliminaire. Les droits fondamentaux de la personne qui fait l'objet de l'enquête sont garantis par l'art. 55.

Les art. 58 et 59 définissent les motifs de détention et décrivent la procédure lors de l'arrestation. La confirmation de l'acte d'accusation devant la Chambre préliminaire met fin à la procédure préliminaire (art. 61).

Le chap. VI (art. 62 à 76) concerne la procédure principale qui débouche sur l'audience (art. 63 à 65). Les droits procéduraux de l'accusé sont protégés par l'art. 67.

A ceci, on ajoute la présomption d'innocence de l'art. 66. L'art. 68
traite de la protection et de la participation au procès des victimes et des témoins. En plus de la disposition générale relative aux preuves (art. 69), les art. 72 et 73 règlent les particularités en cas de renseignements touchant à la sécurité nationale . Le jugement peut être rendu séparément pour la question de la culpabilité et de la peine (art. 74 et 76). Une audience distincte peut avoir lieu pour examiner la question de la réparation en faveur des victimes (art. 75).

L'art. 70, qui vise les atteintes à l'administration de la justice de la Cour, est d'importance pour la mise en oeuvre sur le plan national. Pour être à même de contrôler sa propre procédure, la Cour doit pouvoir punir les atteintes à l'administration de la justice, par exemple le faux témoignage, la falsification des éléments de preuve ou la corruption d'un membre ou agent de la Cour. Mais l'art. 70, al. 4, prévoit aussi que la Cour peut déléguer aux Etats la poursuite pénale des atteintes à l'administration de la justice. C'est pourquoi chaque Etat Partie doit veiller à ce que dans son droit pénal national, les dispositions régissant les atteintes à l'administration de la justice soient étendues de manière à couvrir également les procédures engagées devant la Cour pénale internationale ­ ceci pour autant que les délits en question soient commis sur le territoire de cet Etat ou par l'un des ressortissants dudit Etat. Il n'est donc pas nécessaire que le droit national connaisse les mêmes délits que ceux prévus à

396

l'art. 70, al. 1. La Suisse s'acquitte de cette obligation par la loi sur la modification du code pénal et du code pénal militaire 38.

Finalement, le Statut prévoit dans son chapitre VIII (art. 81 à 85) des possibilités relativement étendues d'appel et de révision.

Les dispositions relatives aux procédures préliminaire, principale et d'appel seront décrites de façon plus détaillée dans l'annexe 3 de ce message.

2.8

Coopération internationale et assistance judiciaire (chap. IX: art. 86 à 102)

2.8.1

Principes

Généralités Afin de porter une appréciation sur les dispositions du chap. IX, il convient d'avoir en mémoire que la Cour ne dispose pas de services de police judiciaire et qu'en règle générale39, elle n'est pas habilitée à procéder elle-même à des investigations sur le territoire des Etats Parties. Elle est donc tributaire, dans une large mesure, de la coopération desdits Etats. Aussi les dispositions du chap. IX consacré à la coopération ont-elles une importance primordiale pour le fonctionnement de la Cour. Cela explique que ces normes soient plus détaillées que celles que l'on trouve habituellement dans les conventions multilatérales. De même elles ont une force obligatoire quasi absolue pour les Etats Parties (art. 86). Afin d'accroître l'efficacité des enquêtes, la Cour est, en outre, habilitée à conclure des accords de coopération avec des Etats non Parties au Statut (art. 87, al. 5, let. a) ou des organisations intergouvernementales (art. 87, al. 6).

La coopération a trait principalement aux importantes étapes de la procédure que constituent les enquêtes et la poursuite pénale. C'est pourquoi les obligations statuées au chap. IX ne doivent pas être considérées isolément mais mises en relation avec l'ensemble du Statut, notamment avec les dispositions du chap. V. D'ailleurs, l'obligation générale de coopérer établie à l'art. 86 s'étend à l'ensemble du Statut.

Quand bien même on ne saurait considérer la coopération avec la Cour comme une entraide judiciaire internationale «classique», les dispositions pertinentes des instruments de droit international public existants ont servi dans une large mesure de base à l'élaboration du chap. IX. Lors de ces travaux, également, les négociations ont été empreintes des conceptions différentes des Etats selon que leur tradition juridique repose sur la «civil law» ou la «common law». Ces différences ont toutefois été aplanies grâce aux membres du «groupe des Etats pilotes» ­ qui, quelle que soit leur tradition juridique, ont oeuvré à l'adoption des solutions les plus simples possibles, se ralliant au besoin dans leur démarche au droit de l'Europe continentale. Certaines concessions ont également dû être accordées à d'autres Etats. Dans l'ensemble, les modalités et possibilités de coopération prévues par le Statut correspondent, dans une large mesure, à celles que l'on trouve dans les instruments du Conseil de l'Euro-

38 39

Pour la mise en oeuvre en droit suisse de l'obligation découlant de l'art. 70 al. 4, voir ch. 3.2 de ce message.

S'agissant des trois exceptions, cf. ch. 2.8.3: Enquêtes du Procureur.

397

pe40 applicables par la Suisse ainsi que dans la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale (EIMP)41. Toutefois, outre quelques dispositions de détail qui s'écartent de ces textes, l'obligation presque absolue de coopérer avec un organe international est une nouveauté pour la Suisse.

Restriction des possibilités de refuser la coopération En concordance avec le sens et le but de la coopération explicités ci-dessus, l'art. 86 impose aux Etats Parties de coopérer «pleinement» avec la Cour, conformément aux dispositions de l'ensemble du Statut. «Pleinement» signifie en particulier que le Statut n'admet aucun motif de refuser un transfèrement et ne tolère, s'agissant des autres formes de coopération, que le motif de l'atteinte à la sécurité nationale. Une telle rigueur se justifie compte tenu de la compétence de la Cour à raison de la matière. Celle-ci est en effet limitée aux crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale (art. 5, al. 1), ce qui exclut d'emblée la plupart42 des motifs de refus. Les Conventions du Conseil de l'Europe en matière d'entraide judiciaire et d'extradition43 habilitent «de manière classique» les Etats requis à refuser l'entraide si la demande se rapporte à des infractions politiques, militaires ou fiscales. Eu égard aux crimes qui relèvent de la compétence de la Cour, il ne semble guère concevable que l'on puisse invoquer l'infraction fiscale; par ailleurs, la faculté de refuser la coopération en arguant de ce que la demande porte sur une infraction militaire empêcherait dans une large mesure la poursuite des auteurs de crime de guerre; en outre, la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide44 statue l'impossibilité de se prévaloir de l'infraction politique pour refuser la coopération en cas de pareil crime. La Cour est, au surplus, conçue comme une institution complémentaire. Elle n'est fondée à intervenir ­ à titre subsidiaire ­ que si les Etats n'entendent pas poursuivre sérieusement une certaine infraction pénale grave ou ne sont pas en mesure de le faire45. Par conséquent, il est en principe loisible aux Etats Parties d'assurer eux-mêmes la poursuite pénale. S'ils décident et sont à même de le faire, ils peuvent, dans le cas d'espèce, exclure dans une certaine mesure l'applicabilité des normes du
chap. IX (cf. art. 95). Mais la complémentarité implique aussi que lorsque la Cour entend agir elle-même pour empêcher qu'un crime reste impuni, elle échappe aux restrictions imposées par le droit régissant l'entraide judiciaire et l'extradition classiques et dispose, en pareille occurrence, de moyens suffisamment efficaces pour obtenir, dans un délai utile, la coopération effective des Etats.

En relation avec l'art. 93, al. 1, let. l, collaborer pleinement signifie, en outre, pour l'Etat requis, avoir l'obligation de prêter toute forme d'assistance non interdite par 40

41 42

43

44 45

398

Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (RS 0.351.1); Convention européenne d'extradition (RS 0.353.1) et Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (RS 0.311.53).

RS 351.1 Pour d'autres exceptions non admissibles dans le cas d'une demande de remise, cf. ch. 2.8.2 ci-après concernant la double punissabilité, la citoyenneté et la règle «ne bis in idem».

Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (RS 0.351.1); Convention européenne d'extradition (RS 0.353.1) et Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (RS 0.311.53).

FF 1999 4911 Cf. art. 17 et le commentaire y relatif au ch. 2.3.2.

sa législation. Cette disposition qui apparaît d'emblée comme ayant une portée très large doit être appréhendée en relation avec l'ensemble du Statut auquel l'alinéa susmentionné fait d'ailleurs référence. La procédure pénale devant la Cour, telle que la prévoit le Statut, est empreinte tant en droit matériel (chap. II, III et VII) qu'en droit procédural (chap. V, VI et VIII) de principes élevés sur lesquels se fonde tout Etat de droit. En obligeant les Etats Parties à coopérer étroitement, le Statut vise à empêcher que les garanties qu'il prévoit perdent tout effet parce que les Etats n'en tiendraient pas compte lors de l'exécution des demandes émanant de la Cour. Cette obligation générale de coopérer, d'une part, est compensée par le fait que la Chambre préliminaire assure un contrôle judiciaire de la coopération demandée (art. 57 s).

D'autre part, la personne inculpée a la possibilité de faire valoir ses droits au plus tard lors de la confirmation des charges (art. 61, al. 6).

Du point de vue des Etats Parties, également, la coopération avec la Cour ne peut être considérée comme relevant de l'entraide judiciaire au sens classique du terme.

Ce constat a, du reste, été souligné dans le cadre de l'arrêté fédéral relatif à la coopération avec les tribunaux internationaux chargés de poursuivre les violations graves du droit international humanitaire (ci-après «arrêté fédéral»)46, arrêté dont les dispositions ont été conçues en conséquence. La Cour n'est, en effet, pas une autorité étrangère à proprement parler: l'entraide n'est pas accordée à un autre Etat mais à une instance internationale à laquelle la Suisse apporte également son concours.

Cette constatation réduit à néant un certain point de vue souverainiste qui joue habituellement le rôle de frein dans le cadre de l'entraide judiciaire.

En se prévalant de la souveraineté, les Etats visent aussi à sauvegarder leur conception du droit puisqu'ils ne coopèrent qu'avec ceux dont le droit pénal répond à des principes bien déterminés. Ainsi, la Suisse47 exige que la procédure pénale de l'Etat étranger satisfasse aux principes découlant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH)48 et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques49. La procédure instituée par le Statut ­
nous l'avons déjà relevé ­ satisfait à ces exigences, de sorte que de ce point de vue également la Suisse n'a pas à formuler de réserve fondée sur son droit de souveraineté.

Enfin l'obligation de coopérer est relativisée par le fait que plusieurs dispositions du Statut ­ art. 97, mais aussi les 91, al. 4, 93, al. 3, 94, al. 1, 96, al. 3, 98 et 100, al. 1, let. f ­ prévoient des consultations entre l'Etat requis et la Cour. Celles-ci visent à accroître l'efficacité de la coopération et à éviter d'inutiles confrontations entre cet Etat et la Cour.

Procédure L'art. 87 règle les questions générales de forme et de procédure qui se posent en rapport avec la coopération. Le Statut prévoit que les demandes de la Cour sont adressées par la voie diplomatique. Toutefois, elles peuvent l'être aussi par le canal d'Interpol. Dans les cas d'urgence, la demande peut être faite par tout moyen laissant une trace écrite (art. 92, al. 2, et art. 96, al. 1). Cette possibilité nouvelle fondée 46

47 48 49

Message du Conseil fédéral du 18 octobre 1995 concernant l'arrêté fédéral relatif à la coopération avec les tribunaux internationaux chargés de poursuivre les violations graves du droit international humanitaire (FF 1995 IV 1065).

Cf. art. 2 EIMP et ATF 123 II 511 et 124 II 132.

RS 0.101 RS 0.103.2

399

sur l'évolution future contribuera à rendre la coopération plus efficace. On sait, en effet, combien le facteur temps peut être d'importance significative en matière de coopération. S'agissant de la coopération, il est loisible aux Etats Parties de choisir un autre canal approprié pour la réception des demandes de la Cour. Lors de la ratification, il semble judicieux d'indiquer que les demandes peuvent être transmises directement à l'Office fédéral de la justice, désigné par la Suisse comme autorité compétente pour les recevoir. Cette solution a déjà été adoptée dans le cadre de la coopération avec les deux tribunaux ad hoc50. Elle permet une coopération à la fois plus rapide et plus efficace.

Si un Etat Partie n'a pas opté pour une langue officielle, les demandes de coopération et les pièces justificatives y afférentes sont rédigées dans l'une des deux langues de travail de la Cour, à savoir l'anglais ou le français (art. 87, al. 2, en liaison avec l'art. 50, al. 2). Sur ce point encore, il apparaît opportun que la Suisse émette une déclaration par laquelle elle requiert que les demandes et les pièces justificatives susnommées lui soient adressées dans l'une de ses trois langues officielles ­ français, allemand ou italien ­ ou soient traduites dans l'une de ces langues 51.

Enfin, le fait qu'un Etat puisse être confronté simultanément à deux demandes de coopération, l'une émanant de la Cour et l'autre d'un autre Etat, pose un problème de nature fondamentale. Aussi l'art. 90 contient-il des règles de procédure relatives aux demandes concurrentes. Ces règles, prévues en premier lieu pour les cas de remise, valent également pour les autres formes de coopération lorsqu'il n'est pas possible de faire droit aux deux demandes concurrentes (art. 93, al. 9, let. a, ch. ii).

Les règles de procédure susmentionnées confèrent par principe la priorité aux demandes de coopération présentées par la Cour sur celles émanant d'autres Etats. Le Statut opère une distinction entre différents cas qui peuvent se produire dans les alternatives suivantes: ­

la demande concurrente émane d'un Etat Partie ou d'un Etat non Partie;

­

la recevabilité de la procédure devant la Cour est déjà établie ou ne l'est pas encore;

­

la demande concurrente porte sur le même fait ou sur un fait différent.

Par principe, ces situations sont réglées de la manière suivante: la demande de la Cour a priorité sur les autres, dès lors que celle-ci a jugé, en application des art. 18 ou 19, que l'affaire était recevable (al. 2 et 4). Si la demande concurrente émane d'un Etat non Partie et qu'il existe envers cet Etat une obligation de droit international public d'extrader, la décision est laissée à la libre appréciation de l'Etat requis, le Statut prévoyant, toutefois, des critères à prendre en compte dans cette décision (al. 6). Il en va de même lorsque la demande concurrente se rapporte à la même personne, mais se réfère à une autre infraction (al. 7). Lorsqu'à la suite de la notification d'une demande concurrente, la Cour a jugé une affaire irrecevable (parce qu'elle considère que l'Etat non Partie concerné se chargera de la poursuite pénale) et si, ultérieurement, l'Etat requis rejette la demande d'entraide de l'Etat non Partie, il doit en aviser la Cour (al. 8). Le Procureur dispose ainsi de la possibilité de demander à la Cour une nouvelle appréciation de la recevabilité (art. 19, al. 10).

50 51

400

Art. 4 de l'arrêté fédéral relatif à la coopération avec les tribunaux internationaux chargés de poursuivre les violations graves du droit international humanitaire (RS 351.20).

Cf. Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (RS 0.351.1), déclaration ad art. 16, al. 2; Convention européenne d'extradition (RS 0.353.1), déclaration ad art. 23.

Immunité Dans les relations internationales, l'immunité des Etats ou l'immunité diplomatique d'une personne sont des motifs pouvant être invoqués pour refuser de coopérer ou restreindre la coopération demandée. Depuis quelque temps, notamment en relation avec les demandes d'extradition d'Augusto Pinochet52, le bien-fondé de tels motifs est de plus en plus remis en cause dès lors qu'il s'agit de poursuivre l'auteur d'un crime de droit international public. Ce point délicat a été réglé à l'art. 98 qui exige que la Cour obtienne la coopération de l'Etat tiers lorsque la demande d'assistance qu'elle a présentée contraindrait l'Etat requis à agir de façon incompatible avec l'obligation qu'a celui-ci en droit international de respecter les immunités attachées à l'Etat tiers.

Le libellé ouvert de cette disposition et le lien que celle-ci a avec l'art. 27, qui statue que la qualité officielle d'une personne n'exonère pas celle-ci de sa responsabilité pénale devant la Cour, ont conduit à des débats sur la portée exacte de l'art. 98. Au sein du «groupe des Etats pilotes», on s'accorde à reconnaître, dans une large mesure, que la réserve des immunités à laquelle l'art. 98 fait allusion n'a, finalement, plus aucune portée pratique, du moins dans le cadre des relations entre Etats Parties au Statut53. Dans le cadre des travaux de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale, une règle d'interprétation a été intégrée dans le Règlement de procédure et de preuve. Elle va dans le sens susmentionné sans pour autant figer prématurément à un certain stade le régime des immunités dans le cadre du droit pénal international, régime qui en est au début d'une évolution 54.

Sanctions en cas de refus injustifié Le Statut prévoit des consultations entre l'Etat requis et la Cour chaque fois que celui-ci éprouve des difficultés à exécuter une demande de coopération émanant de la Cour (cf. notamment l'art. 97, mais aussi les art. 89, al. 2 et 4, 91, al. 4, 93, al. 3, 96, al. 3, et 98). Ces consultations contribueront à éliminer les obstacles à la coopération et à rendre celle-ci aussi large et efficace que possible. Si, lors de ces consultations aucune solution n'est trouvée, la Cour peut prendre acte de la violation de l'obligation et en référer à l'Assemblée des Etats Parties ou au Conseil de sécurité lorsque
c'est celui-ci qui l'a saisie (art. 87, al. 7 en relation avec l'art. 112, al. 2, let.

f). Toutefois, cette procédure doit être comprise comme une «ultima ratio».

D'ailleurs, le Statut ­ et cela est significatif ­ ne précise pas quelles sanctions peuvent être infligées à l'Etat fautif.

52

53 54

Regina v. Bow Street Metropolitan Stipendiary, ex parte Pinochet Ugarte , [1998] 4 All ER, 897 s. et Regina v. Bow Street Metropolitan Stipendiary Magistrate and others, ex parte Pinochet Ugarte (No. 2) , [1999] 1 All ER, 577 s.

Cf. aussi l'art. 6 du projet de loi fédérale concernant la coopération avec la Cour pénale internationale (annexé au présent message).

Texte final du projet de Règlement de procédure et de preuve, Rapport de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale du 30 juin 2000, Nations Unies, document PCNICC/2000/INF/3/Add. 1, Règle 195.

401

Dépenses Les dépenses ordinaires afférentes à l'exécution des demandes sur le territoire de l'Etat requis sont à la charge de cet Etat55. Les dépenses extraordinaires sont quant à elles supportées par la Cour. Sont notamment réputés tels, les frais liés aux voyages nécessaires au transfèrement d'une personne, les frais de traduction, d'interprétation et de transcription de même que les frais de déplacement et de séjour et autres frais de même nature des membres de la Cour (art. 100).

2.8.2

Remise

Définition et délimitation Aux termes de l'art. 102, on entend par «remise» le fait pour un Etat de livrer une personne à la Cour en application du Statut. Ainsi donc, la notion de «remise» se distingue clairement de celle d'«extradition» qui désigne le fait pour un Etat de livrer une personne à un autre Etat. Ce distinguo répond surtout à une exigence exprimée principalement par les membres du «groupe des Etats pilotes». La notion de remise n'a toutefois été introduite dans le Statut qu'après un débat nourri qui a eu lieu à la Conférence de Rome. La précision ainsi apportée vise à souligner la différence essentielle existant entre, d'une part, l'extradition, acte qui associe deux Etats, partenaires égaux et souverains et, d'autre part, la remise à la Cour qui consiste à transférer une personne à cette instance internationale instituée par les Etats Parties.

La distinction ne relève donc pas purement du «jeu» terminologique, mais se réfère au concept différencié sur lequel elle se fonde.

Le Statut règle lui-même, dans une large mesure, la procédure à suivre dans l'Etat requis aux fins de remise d'une personne à la Cour (art. 59). Le transfèrement de personnes à un autre Etat continue toutefois d'être régi par le droit en matière d'extradition et les normes limitatives qu'il contient, cela même si les personnes en question sont inculpées de crimes relevant de la compétence de la Cour (art. 6 à 8).

Procédure de remise Les dispositions régissant la procédure de remise figurent non seulement au chap. IX, mais encore au chap. V du Statut. Cette situation provient du fait que, du point de vue juridique, toute personne qui a été arrêtée à la demande de la Cour se trouve également en la détention de la Cour56. Ainsi, certains droits, par exemple la vérification du mandat d'arrêt, ne peuvent être invoqués que devant la Cour (à ce sujet, cf. ch. 2.7. et annexe 3 ch. 1 ad art. 59, al. 2). La procédure applicable à la remise d'une personne déjà condamnée correspond dans une large mesure à celle qui vaut pour une personne qui fait l'objet d'une instruction pénale, de sorte que le Statut ne décrit que cette dernière procédure qui revêt davantage d'importance dans la pratique.

Sur requête du Procureur, la Chambre préliminaire délivre un mandat d'arrêt qui porte le nom de la personne visée et contient d'autres éléments d'identification aussi précis et complets que possible, une référence précise au crime relevant de la com-

55 56

402

Cf. art. 31 EIMP; art. 24 CEExtr.

ICTR, Appeals Chamber, Jean-Bosco Baryagwiza v. The Prosecutor , ICTR-97-19, jugement du 3 novembre 1999.

pétence de la Cour, qui justifie l'arrestation, enfin l'exposé succinct des faits dont il est allégué qu'ils constituent ce crime (art. 58).

En vertu du mandat d'arrêt, la Cour peut demander à tout Etat Partie l'arrestation de la personne concernée (art. 89, al. 1). Elle accompagne sa demande d'un signalement suffisant pour l'identifier, de renseignements sur le lieu où elle se trouve probablement, d'une copie du mandat d'arrêt (et, si la personne recherchée a fait l'objet d'une condamnation passée en force, d'une copie de cette condamnation et du jugement), ainsi que de tous documents, déclarations et informations qui peuvent être prescrits dans l'Etat requis pour procéder à la remise (art. 91). Toutefois, ces prescriptions ne doivent pas entraîner une charge plus lourde que les normes applicables en matière d'extradition. Cette disposition a été adoptée pour les Etats régis par le système «common-law» qui peuvent ainsi continuer à poser leurs exigences quant au fardeau de la preuve. Compte tenu des informations figurant dans le mandat d'arrêt et dans les pièces justificatives, la Suisse pourrait d'ores et déjà ­ c'est à dire en vertu de sa législation actuelle57 ­ donner suite à une demande de remise en se référant aux deux premiers points.

En cas d'urgence, la Cour peut demander l'arrestation provisoire de la personne recherchée en attendant que soit présentée la demande de remise (art. 92). La demande d'arrestation provisoire peut être faite par tout moyen laissant une trace écrite. Elle contient, outre le signalement de la personne recherchée, un exposé succinct des faits pour lesquels elle l'est, ainsi qu'une déclaration affirmant l'existence à l'encontre de ladite personne d'un mandat d'arrêt (et éventuellement d'un jugement établissant sa culpabilité) et indiquant que ce mandat suivra. Si l'Etat requis n'a pas reçu la demande de remise et les pièces justificatives dans le délai de soixante jours à compter de l'arrestation, il peut remettre la personne concernée en liberté, ce qui ne préjuge en rien de son arrestation et de sa remise ultérieures. Lors de la Conférence de Rome, le délai en question a prêté à une controverse telle qu'il a fallu se résoudre à codifier ce point dans le Règlement de procédure et de preuve. Il a fallu attendre les délibérations de la Commission préparatoire pour
que l'on parvienne à un consensus autour du délai de 60 jours58. Ce délai diverge de celui ­ plus court ­ qui est prévu dans la convention ad hoc du Conseil de l'Europe et qui a été repris dans l'EIMP59. Les 60 jours reposent sur l'expérience faite dans le cadre des transfèrements à l'un des tribunaux ad hoc. Si l'on songe au temps que prennent la procédure de délivrance d'un mandat d'arrêt et l'obtention des garanties qu'il implique, la durée possible de la détention en l'absence de demande formelle de remise paraît se justifier.

Dès que l'Etat concerné a reçu la demande, il prend des mesures en vue de faire arrêter la personne recherchée (art. 59, al. 1). Une fois arrêtée, la personne est déférée immédiatement à l'autorité judiciaire compétente de l'Etat de détention qui vérifie que le mandat d'arrêt vise bien cette personne, que ses droits au sens du Statut et de la législation nationale ont été respectés, et qu'elle a été arrêtée selon la procédure régulière (al. 2).

57 58

59

Art. 28 et 41 EIMP; cf. ci-après ch. 3.3.4, commentaire de l'art. 17 du projet de loi fédérale concernant la coopération avec la Cour pénale internationale.

Texte final du projet de Règlement de procédure et de preuve, Rapport de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale du 30 juin 2000, Nations Unies, document PCNICC/2000/INF/3/Add. 1, Règle 188.

Art. 16 CEExtr./art. 50 EIMP: 18 jours, prolongation possible jusqu'à 40 jours au maximum.

403

La procédure peut être abrégée si, durant la détention provisoire, la personne arrêtée consent à être remise. En pareille occurrence, la notification de la demande formelle de remise devient sans objet (art. 92, al. 3). Cependant, l'Etat requis peut continuer d'exiger cette demande, par exemple, lorsque la Cour n'a pas encore statué sur la recevabilité de l'affaire en question.

Compétences L'Etat Partie est lié par le mandat d'arrêt décerné par la Cour. Il n'est pas habilité à le soumettre à vérification sur demande de la personne arrêtée. Celle-ci ne peut que requérir la vérification du mandat par la Cour, dès qu'elle comparaît devant elle (art. 60, al. 2).

En revanche, la personne arrêtée a, dans l'Etat de détention, le droit de demander sa mise en liberté provisoire. Il appartient à l'Etat de détention de statuer sur la demande, la Chambre préliminaire devant toutefois être préalablement avisée de la présentation de cette demande. Ladite Chambre fait ensuite des recommandations à l'autorité compétente de l'Etat de détention (art. 59, al. 5). Le Statut lui-même prévoit qu'en dépit de la gravité des crimes allégués, la mise en liberté provisoire peut être justifiée par l'urgence et des circonstances exceptionnelles (art. 59, al. 4), l'Etat devant toutefois rester en mesure de s'acquitter de son obligation de remettre la personne à la Cour. Dans ces conditions, la mise en liberté provisoire restera l'exception.

Double incrimination, citoyenneté, principe «ne bis in idem» Ainsi que nous l'avons déjà exposé au ch. 2.8.1 (Généralités), les motifs généraux qui, d'ordinaire, habilitent un Etat à refuser de donner suite à une demande d'entraide judiciaire ou d'extradition ne sont pas applicables dans le cadre de la coopération avec la Cour. De même, les motifs spécifiques qui ont cours en matière d'extradition ne sont pas opposables ou ne le sont que conditionnellement lorsqu'il s'agit de remettre une personne à la Cour.

Il est, par exemple, compréhensible qu'un Etat n'ait pas le droit d'invoquer l'absence de la double incrimination pour refuser de remettre une personne à la Cour. Le Statut n'exige pas des Etats Parties qu'ils reprennent dans leur droit interne les éléments constitutifs des crimes tels que le Statut les définit. Eu égard à la compétence complémentaire de la Cour, il serait toutefois
absurde que les Etats qui ne sont pas habilités par leur droit interne à poursuivre pénalement les auteurs de ces crimes puissent se soustraire à l'obligation de donner suite aux demandes de remise de la Cour (cf. art. 17, al. 1, let. a). En ratifiant le Statut, les Etats Parties s'engagent tout au moins à reconnaître que la Cour est compétente pour connaître des crimes définis aux art. 6 à 8. Par conséquent, dans le cadre de la coopération avec la Cour, il n'y a aucune possibilité de soulever l'exception de l'absence de double incrimination.

Pour des raisons similaires, l'Etat requis ne peut pas exciper non plus du fait que la personne dont la remise est demandée est un ressortissant: lui laisser une telle latitude serait contraire à l'art. 12, al. 2, let. b, qui fonde la compétence de la Cour si la personne accusée du crime en question a la citoyenneté de l'Etat requis. Tolérer une telle exception reviendrait à réduire à néant l'un des éléments sur lesquels repose la compétence de la Cour. Si chaque Etat voulait reconnaître la compétence d'une Cour pénale internationale uniquement à l'égard des ressortissants des autres Etats

404

et non à celui de ses propres nationaux, il ne resterait à cette Cour pratiquement plus aucune juridiction.

Dans le cadre de l'arrêté relatif à la coopération avec les tribunaux internationaux chargés de poursuivre les violations graves du droit humanitaire en ex-Yougoslavie et au Rwanda60, la Suisse avait déjà décidé qu'un citoyen helvétique pouvait être transféré à l'un ou l'autre des deux tribunaux à condition que ce dernier donne la garantie qu'il serait restitué à la Suisse à l'issue de la procédure61. Compte tenu des obligations imposées aux Etats Parties par le Statut, la Suisse ne peut plus exiger de la Cour une telle garantie. Toutefois, en se déclarant disposée à assurer l'exécution de la peine sur son territoire, elle peut rendre possible une restitution. En effet, compte tenu des difficultés que l'on a constaté à trouver un Etat qui accepte d'assurer l'exécution de la peine, on peut supposer que la Cour restituera à la Suisse ses ressortissants aux fins de cette exécution. Cependant, en tout premier lieu, il importe de relever qu'il est possible d'éviter la remise d'un ressortissant suisse en conduisant une procédure pénale en Suisse (ce qui n'est pas le cas avec les deux tribunaux ad hoc, dont la raison d'être ne repose pas sur le principe de la complémentarité).

La procédure pénale est régie par un principe: nul ne peut être jugé pour des actes pour lesquels il a déjà été condamné ou acquitté62. Ce principe a été repris à l'art. 20 du Statut. Toute personne arrêtée dans le cadre d'une procédure d'extradition63 ou de remise peut s'en prévaloir. Cependant, s'agissant de la remise, elle ne peut le faire que devant la Cour (art, 89, al. 2). A défaut de cette compétence exclusive accordée à la Cour, toute la procédure relative à la recevabilité serait remise en cause (art. 17 à 19). Un Etat pourrait ainsi réduire à néant les effets d'une décision prise par la Cour en la matière, ce qui serait réellement absurde alors même que la compétence de la Cour est fondée sur le fait que l'Etat en question n'a pas la volonté de poursuivre pénalement une personne (art. 17, al. 1, let. a et b, première variante dans chaque cas). L'interdépendance de ces dispositions ressort également à l'art. 19, al.

2, let. a, aux termes duquel la personne poursuivie a le droit de contester la compétence de la Cour.
Enfin, le fait que la personne dont la remise a été réclamée fait l'objet de poursuites ou exécute une peine dans l'Etat requis pour un crime différent de celui pour lequel sa remise à la Cour est demandée (art. 89, al. 4) n'a pas pour effet d'exclure toute remise de ladite personne à la Cour. Cela ne signifie toutefois pas que la Cour puisse ne pas tenir compte de ce fait. En pareille occurrence, des consultations, dont le but est d'arrêter les modalités de la remise, sont prévues entre la Cour et l'Etat requis.

Dans de telles situations, on peut notamment envisager la remise temporaire de la personne concernée64.

Transit L'art. 89, al. 3, règle dans les détails le transit d'une personne remise à la Cour, réduisant au minimum la mise en péril de cette remise. La personne transportée reste détenue pendant le transit. Aucune autorisation n'est nécessaire si la personne est transportée par voie aérienne et si aucun atterrissage n'est prévu sur le territoire de 61 62 63 64

Cf. art. 16, al. 3, du projet de loi fédérale concernant la coopération avec la Cour pénale internationale ainsi que le commentaire y relatif au ch. 3.3.4.1.

Art. 4 Prot. no 7 CEDH (RS 0.101.07), art. 4, par. 7 Pacte ONU II (RS 0.103.2).

Art. 9 Convention européenne d'extradition (CEExtr; RS 0.353.1).

Cf. art. 58 EIMP, art. 26 du projet de loi fédérale concernant la coopération avec la Cour pénale internationale ainsi que le commentaire figurant au ch. 3.3.4.3.

405

l'Etat de transit. Dans les autres cas, la Cour transmet une demande de transit qui contient le signalement de la personne transportée, un bref exposé des faits et de leur qualification juridique, ainsi que le mandat d'arrêt et l'ordonnance de remise. En cas d'atterrissage imprévu, la personne transférée reste en détention, la Cour devant cependant présenter une demande de transit dans un délai de 96 heures. Si la demande n'est pas reçue dans ce délai, la personne concernée doit être remise en liberté. Quand bien même cela n'est pas précisé, la remise en liberté, par analogie avec l'art. 92, al. 4, ne préjuge en rien la présentation ultérieure d'une demande de transfèrement.

Règle de la spécialité En matière d'extradition, la règle de la spécialité a une portée fondamentale. Elle garantit non seulement à l'Etat qui accorde l'extradition, mais encore à la personne extradée que celle-ci ne peut être jugée que pour les faits pour lesquels la demande d'extradition a été acceptée65. Le Statut reprend ce principe et l'assortit de la règle habituelle66 selon laquelle l'Etat qui a remis une personne peut, si la Cour le lui demande ultérieurement, étendre les effets de la remise à des faits supplémentaires.

2.8.3

Autres formes de coopération

Procédure Dans la pratique, les demandes de coopération émaneront principalement du Procureur qui a pour mission de recueillir des éléments de preuve aux fins d'apprécier la responsabilité pénale (art. 54). Toutefois, l'initiative peut également être prise par la personne inculpée qui demande à la Cour l'administration de preuves67, pour l'aider à préparer sa défense (art. 57, al. 3, let. b). Dans les deux cas, la Chambre préliminaire statue sur la demande. Formellement parlant, elle est l'organe requérant (art. 57, al. 3 en liaison avec l'art. 54).

La demande contient les éléments suivants: l'exposé succinct des motifs de la demande et de la nature de la coopération demandée, l'exposé succinct des faits, l'exposé des motifs des procédures à respecter, enfin, tout renseignement nécessaire selon le droit de l'Etat requis pour qu'il soit donné suite à la demande (art. 96, al. 2).

Cette clause générale exhaustive constitue une fois encore une concession consentie aux Etats régis par le système «common law», pour leur permettre de continuer à imposer leurs exigences formelles dans leurs rapports avec la Cour également. Il reste à espérer que cela ne compliquera pas inutilement la procédure.

En principe, l'Etat requis donne suite à la demande de la manière précisée par la Cour (art. 99, al. 1). Cette règle permet d'assurer que les droits de toutes les personnes impliquées dans la procédure seront respectés et que les éléments résultant de la procédure d'assistance pourront être utilisés devant la Cour dans leur intégralité.

Cependant, il est loisible à l'Etat requis de communiquer les documents et les éléments de preuve produits dans leur langue originale (al. 3).

65 66 67

406

ATF 123 IV 42, cons. 3 et réf.

Cf. art. 14, al. 1 a CEExtr.

Cf. art. 138 de la loi fédérale du 15 juin 1934 sur la procédure pénale fédérale (RS 312).

Formes possibles de coopération Lors de la Conférence de Rome, un débat de fond a eu lieu entre, d'une part, un groupe d'Etats qui souhaitaient que le Statut contienne une liste exhaustive des diverses formes d'assistance possibles, en d'autres termes des dispositions uniformes pour l'ensemble des Parties contractantes et, d'autre part, des Etats qui étaient partisans d'une clause générale renvoyant à la législation interne des Etats Parties.

De ce débat est issu le compromis que constitue l'art. 93, al. 1: une liste non exhaustive des formes possibles de coopération, c'est à dire les formes usuelles d'entraide judiciaire68, telles l'interrogatoire des personnes faisant l'objet d'une enquête ou de poursuites, l'audition de témoins ou d'experts, la transmission de dossiers et de documents de la Cour, la réunion de pièces justificatives, enfin l'identification, le gel ou la saisie du produit des crimes, des biens, des avoirs et des instruments qui sont liés aux crimes, aux fins de leur confiscation éventuelle (let. a à k). La liste est complétée par une clause générale (let. l) qui statue que d'autres formes d'assistance sont possibles, à condition qu'elles soient autorisées par la législation de l'Etat requis. Cette clause permet aux Etats d'exclure certaines formes de coopération délicates à leurs yeux, telles, à titre d'exemple, les écoutes téléphoniques. Le recours à une clause générale répond à la compétence ­ également formulée de manière ouverte ­ de la Chambre préliminaire qui est de rendre les ordonnances et de délivrer les mandats qui peuvent être nécessaires aux fins d'une enquête (art. 57, al. 3). La formulation ouverte qui a été choisie permet d'empêcher les Etats Parties d'exclure, par principe, les instruments de coopération qui viendront s'ajouter à ceux qui existent aujourd'hui. On peut d'ores et déjà inférer de la clause générale le recours aux vidéo-conférences69, outil qui est mentionné à plusieurs reprises dans le Règlement de procédure et de preuve.

Interrogatoire Lorsqu'une personne dont on a des raisons de soupçonner qu'elle a commis l'un des crimes relevant de la juridiction de la Cour est interrogée dans l'Etat requis (art. 93, al. 1, let. c), elle doit être informée de ses droits au sens de l'art. 55. Cette obligation qui répond à un droit essentiel de la défense70 doit,
dans l'intérêt de la justice pénale internationale, être interprétée de manière très libérale. Aussi, en cas de doute, importe-t-il d'attirer abondamment l'attention des personnes concernées sur cette disposition, même si on ne dispose (encore) contre elles d'aucun élément concret de suspicion.

Comparution d'une personne devant la Cour Le Statut opère une distinction entre deux situations: d'un part, la comparution volontaire de témoins ou d'experts, d'autre part la comparution, aux fins de déposition comme témoin ou de confrontation, de personnes détenues. Lorsqu'une personne comparaît volontairement devant la Cour, celle-ci peut la faire bénéficier d'un sauf-conduit (art. 93, al. 2). A vrai dire, en pareille occurrence, l'octroi d'un sauf-

68 69

70

Cf. art. 63 EIMP.

Si les vidéo-conférences n'ont pas été expressément mentionnées dans la liste c'est uniquement parce que certains Etats qui ne disposent pas des moyens nécessaires pour en organiser, se sont opposés à cette mention.

Cf. art. 6, par. 3 CEDH; art. 14, par. 3 Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

407

conduit va de soi71; pourtant, le Statut s'est écarté volontairement de cet automatisme. La disposition potestative qu'il contient vise à empêcher que des auteurs de crimes se voient garantir une forme d'immunité, ce qui pourrait être considéré comme choquant de la part de la justice internationale. Aussi le Règlement de procédure et de preuve donne-t-il au Procureur et aux victimes la possibilité d'être entendus sur ce point par la Chambre préliminaire72. L'obligation de faciliter la comparution volontaire de personnes déposant comme témoins ou experts que le Statut impose aux Etats (art. 93, al. 1, let. e) consistera donc essentiellement à demander un sauf-conduit pour ces personnes. Dans le second cas de figure ­ la comparution d'une personne détenue dans un Etat Partie ­ deux conditions fondamentales doivent être remplies: la personne concernée doit avoir donné son consentement et l'Etat requis son accord (art. 93, al. 7). La personne transférée en vue de sa comparution reste détenue. Elle est restituée dès que possible à l'Etat requis. Quand bien même ces exigences sont conformes au standard habituel73, l'Etat requis peut subordonner le transfèrement à des conditions supplémentaires.

Saisie A l'instar de ce que prévoit l'EIMP74, la saisie porte d'une part sur les moyens de preuve et, d'autre part, en vue de la confiscation, sur les objets ayant servi à commettre l'infraction ainsi que sur les produits et les valeurs qui résultent directement ou indirectement de celle-ci. La saisie peut également être ordonnée dans l'intérêt des victimes (art. 57, al. 3, let. e, en liaison avec l'art. 75, al. 2).

La Chambre préliminaire ne peut, cependant, ordonner la saisie que si un mandat d'arrêt ou une citation à comparaître a été délivré (art. 57, al. 3, let. e). Aussi est-il essentiel que les Etats n'attendent pas ce moment pour prendre d'eux-mêmes les mesures conservatoires qui s'imposent. Le Procureur peut d'ailleurs requérir de telles mesures (art. 54, al. 1, let. b). La saisie n'a aucune influence sur les droits des tiers de bonne foi (art. 54, al. 1, let. k in fine). Ceux-ci peuvent faire valoir leurs droits devant les autorités compétentes de l'Etat concerné et également devant la Cour (art. 75, al. 3 et 77, al. 2, let. b).

Restriction de la coopération Quand bien même, s'agissant de ce qu'il
est convenu d'appeler les «autres formes de coopération», le Statut prévoit formellement des motifs permettant de les refuser, il s'agit, à y regarder de plus près, non pas d'un refus mais bien plutôt d'une limitation de l'ampleur de la coopération. Ce constat ressort en particulier de l'art. 93, al. 3, qui prévoit qu'en cas d'impossibilité de donner suite à une demande de coopération, des consultations entre l'Etat concerné et la Cour doivent avoir lieu. Elles ont, notamment, pour but de permettre à l'Etat requis d'accorder la coopération demandée sous une autre forme ou à certaines conditions.

Si un Etat Partie est requis par la Cour de fournir un document qui lui a été communiqué à titre confidentiel par un Etat non Partie, il n'est pas tenu de remettre ce document à la Cour (art. 73). Il doit cependant chercher à obtenir l'autorisation de cet 71 72

73 74

408

Cf. art. 12 CEEJ et art. 73 EIMP.

Texte final du projet de Règlement de procédure et de preuve, Rapport de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale du 30 juin 2000, Nations Unies, document PCNICC/2000/INF/3/Add. 1, Règle 191.

Cf. art. 11 CEEJ et art. 70 EIMP.

Art. 74 et 74a.

Etat de transmettre le document en question. Si l'Etat tiers est également un Etat Partie, il doit consentir à la transmission du document ou, si ce document contient des informations touchant à la sécurité nationale, appliquer la procédure prévue à l'art. 72.

D'ailleurs, l'art. 93, al. 4, qui fait référence à l'art. 72 susmentionné, prévoit une dérogation à l'obligation de donner suite à une demande de coopération lorsque cette demande a pour objet la communication d'informations qui touchent à la sécurité nationale de l'Etat requis. Cette disposition est d'une grande importance75. Non seulement l'Etat requis mais encore la personne censée être interrogée ou entendue peut se prévaloir de la protection d'informations touchant à la sécurité nationale (art. 99, al. 5 en liaison avec l'art. 72, al. 2). En se fondant sur ces dispositions, un Etat peut refuser tout ou partie de la coopération demandée, si elle porte sur la production de documents ou la divulgation d'éléments de preuve qui touchent à sa sécurité nationale (art. 93, al. 4). L'Etat est cependant tenu d'examiner s'il ne pourrait pas accorder la coopération sous une autre forme ou à certaines conditions.

L'une d'entre elles pourrait être que la Cour s'engage à n'utiliser les documents ou les informations que pour recueillir des éléments de preuve nouveaux (art. 93, al. 8, let. b). Le Statut prévoit encore d'autres solutions que la Cour peut adopter (art. 72, al. 7)76.

Si l'exécution immédiate d'une demande devait nuire au bon déroulement de l'enquête ou des poursuites en cours dans l'Etat requis, celui-ci peut surseoir à l'exécution de la demande (art. 94). Il a la même faculté lorsque la Cour examine une exception d'irrecevabilité conformément aux art. 18 ou 19 (art. 95). Dans les deux cas, cependant, le Procureur peut exiger des mesures provisoires aux fins de préserver des éléments de preuve. Toutefois, en cas d'examen d'une exception d'irrecevabilité, il doit y être expressément autorisé par la Chambre préliminaire (art. 18, al. 6, ou art. 19, al. 8).

Lorsqu'un Etat rejette définitivement une demande de coopération, il en informe sans retard le Procureur en lui communiquant les raisons de son refus (art. 93, al. 6).

Ainsi que nous l'avons déjà exposé, une telle situation devrait être l'exception. En effet, selon toute vraisemblance,
il ne sera pas aisé aux Etats de trouver des motifs justifiant un refus total de la coopération demandée par la Cour.

Enquêtes du Procureur Dans trois cas, le Procureur est habilité à enquêter directement sur le territoire d'un Etat Partie. En premier lieu, il peut exécuter lui-même une demande qui n'exige pas le recours à des mesures de contrainte lorsque l'Etat requis est celui sur le territoire duquel il est allégué que le crime a été commis (art. 99, al. 4, let. a). Dans ce cas également, il mène préalablement avec l'Etat requis des consultations aussi étendues que possible. Ensuite, le Procureur peut aussi requérir d'un Etat Partie l'autorisation de procéder aux actes d'instruction nécessaires. Celui-ci peut assortir l'octroi de l'autorisation de certaines conditions (art. 99, al. 4, let. b). Cette possibilité ­ d'ores et déjà prévue dans l'arrêté fédéral relatif à la coopération avec les tribunaux internationaux ad hoc77 ­ a donné toute satisfaction. Dernier cas de figure, enfin: la Chambre préliminaire, ayant constaté qu'un Etat n'est plus en mesure de donner 75 76 77

Cf. art. 1a EIMP; art. 2, let. b, CEEJ.

Pour le tout, cf. ch. 2.7 et l'annexe 3, ch. 2 du message ad art. 72.

RS 351.20; art. 22.

409

suite à une demande de coopération parce qu'aucune autorité compétente n'est disponible à cet effet, peut autoriser le Procureur à procéder à des actes d'instruction sur le territoire de cet Etat (art. 57, al. 3, let. d) 78.

Assistance prêtée par la Cour En règle générale, les demandes de coopération émanent de la Cour, les Etats en étant les destinataires. Toutefois, il peut également arriver qu'un Etat ait besoin d'informations de la part de la Cour. Lorsqu'un Etat Partie mène une procédure pénale pour un comportement qui, soit réunit les éléments constitutifs au sens des art. 6 à 8, soit constitue un crime grave au regard de la législation nationale, la Cour peut lui prêter assistance (art. 93, al. 10). L'Etat en question doit adresser sa demande au Greffier, celle-ci devant ­ mutatis mutandis ­ répondre aux exigences posées à l'art. 96. Toutefois, lorsque la demande a trait à des documents que la Cour détient d'un autre Etat, cette dernière doit requérir l'assentiment de cet Etat avant d'y donner suite. Cette manière de procéder garantit que chaque Etat reste maître de ses informations.

2.9

Exécution (chap. X: art. 103 à 111)

Généralités La Cour n'a pas de possibilité d'exécuter elle-même ses décisions. Elle est donc tributaire du concours que lui prêtent les Etats Parties et l'Etat hôte, les Pays Bas. Le principe supérieur qui doit régir l'exécution est celui de l'égalité de traitement des personnes condamnées. C'est la raison pour laquelle, même pendant l'exécution de la peine dans un Etat, la Cour reste formellement compétente. Les dispositions du chap. X du Statut sont influencées par ce principe général. Il en découle que la peine infligée par la Cour et les autres ordonnances qu'elle rend lient l'Etat qui assure l'exécution. Toutefois, les normes relatives à l'exécution des peines privatives de liberté ont une valeur optionnelle pour les Etats Parties, puisque le Statut ne les oblige pas à assurer l'exécution des peines de personnes condamnées.

Procédure L'Etat concerné doit, d'abord, déclarer qu'il est en principe disposé à recevoir des personnes condamnées par la Cour en vue de l'exécution de leur peine (art. 103, al.

1, let. a). Il peut assortir son acceptation de conditions (let. b). Il semble indispensable que, lors de la ratification, la Suisse se déclare prête à accepter des condamnés.

Ce n'est en effet qu'à cette condition qu'il sera possible­ si tant est que le cas se produise ­ à des ressortissants suisses de purger leur peine en Suisse. L'acceptation par la Suisse est, toutefois, limitée par le fait que le condamné doit avoir sa résidence habituelle en Suisse ou être de nationalité suisse pour pouvoir prétendre à l'exécution de sa peine en Suisse. Cette condition va dans le sens de l'idée de resocialisation qui sous-tend l'exécution des peines dans le cadre des relations entre Etats.

La déclaration prévue par le Statut est en harmonie avec la solution adoptée dans l'arrêté fédéral relatif à la coopération avec les deux tribunaux ad hoc79.

78 79

410

Cf. ch. 2.7 et annexe 3, ch. 1 du message ad art. 57.

RS 351.20; art. 29, al.1.

En se référant à la liste des Etats qui se sont déclarés disposés à recevoir des condamnés et en prenant en compte les critères énumérés à l'art. 103, al. 3, la Cour désigne l'Etat qu'elle entend charger de l'exécution dans le cas d'espèce. L'Etat qui a été ainsi désigné doit faire savoir à la Cour s'il accepte ou non sa désignation. Ce faisant, il est tenu d'aviser la Cour de toute condition et de toute circonstance qui serait de nature à influer sur l'exécution de la peine. Eu égard au principe de l'uniformité de l'exécution de la peine (art. 105) et compte tenu des exigences minimales auxquelles celle-ci doit être conforme (art. 106), force est de constater qu'en la matière, les Etats ne jouissent que d'une faible marge de manoeuvre. Cela est encore plus patent si l'on prend, en outre, en considération le fait que la Cour peut décider à tout moment de modifier la désignation de l'Etat chargé de l'exécution (art. 104). Si aucun Etat Partie n'a accepté d'assurer l'exécution de la peine, celle-ci est purgée, aux frais de la Cour, dans l'Etat hôte (art. 103, al. 4).

Réduction de la peine Le respect du principe de l'égalité de traitement qui s'applique aux personnes condamnées par la Cour exige également que les réductions de peine ressortissent de la compétence exclusive de celle-ci. Ainsi donc, le Statut dénie aux Etats toute compétence non seulement en matière de réduction de peine (art. 110) mais encore s'agissant des autres formes de réduction de la durée effective de la détention. Le premier réexamen de la peine par la Cour a lieu lorsque la personne a purgé les deux tiers de sa peine ou accompli 25 années d'emprisonnement dans le cas d'une condamnation à perpétuité (art. 110, al. 3), les critères à prendre en compte étant fixés à l'alinéa 4 ainsi que dans le Règlement de procédure et de preuve80. Afin de procéder, comme elle le doit, à l'audition du condamné avant de prendre sa décision (al.

4), la Cour pourra également, selon toute vraisemblance, recourir à la vidéoconférence ou dépêcher un juge dans l'Etat qui assure l'exécution 81.

Contrôle exercé par la Cour L'exécution de la peine est soumise au contrôle de la Cour (art. 106, al. 1). Cette clause plutôt rudimentaire est complétée par le Règlement de procédure et de preuve. La Cour pourra demander des rapports fournis par l'Etat ou par
un tiers ou visiter, à certaines conditions, des personnes condamnées82. Ce contrôle sera facilité par le fait que les communications entre les condamnés et la Cour sont libres et confidentielles (art. 106, al. 3).

Règle de la spécialité Le fait que la personne condamnée reste placée sous la juridiction de la Cour pendant qu'elle purge sa peine sur le territoire de l'Etat qui assure l'exécution a une autre incidence: cet Etat ne peut poursuivre pénalement la personne pour un comportement antérieur à son transfèrement dans l'Etat chargé de l'exécution qu'avec l'assentiment de la Cour (art. 108). Celle-ci statue après avoir entendu le condamné et sur la base d'un dossier identique à celui qui doit être constitué dans le cadre 80

81 82

Texte final du projet de Règlement de procédure et de preuve, Rapport de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale du 30 juin 2000, Nations Unies, document PCNICC/2000/INF/3/Add. 1, Règle 223.

Ibidem, Règle 224.

Ibidem, Règle 211.

411

d'une procédure d'extradition. Il n'est pas nécessaire de requérir l'accord de la Cour si la personne condamnée demeure volontairement sur le territoire de l'Etat chargé de l'exécution après avoir accompli la totalité de la peine prononcée par la Cour ou retourne sur le territoire de cet Etat après l'avoir quitté, se soumettant ainsi à l'autorité pénale de cet Etat. Ces dispositions s'appliquent également par analogie au cas où un autre Etat demanderait l'extradition de la personne condamnée (art. 107, al. 3).

Fuite Si une personne condamnée s'est enfuie de l'Etat chargé de l'exécution, celui-ci doit en aviser la Cour. Après entente avec la Cour, l'Etat chargé de l'exécution peut requérir la remise de la personne par l'Etat où elle s'est réfugiée ou encore la Cour, elle-même, peut présenter une demande en se prévalant des dispositions du chap.

IX. Cette solution augmente la probabilité que la personne en fuite puisse être arrêtée (art. 111).

Exécution des peines d'amende et des mesures de confiscation A la différence de l'exécution des peines privatives de liberté, le recouvrement des amendes et l'exécution des mesures de confiscation prononcées par la Cour est obligatoire pour les Etats Parties dès lors qu'ils ont ratifié le Statut. Toutefois, les Etats procèdent exclusivement selon leur droit national.

Sont exécutoires, d'abord, toutes les peines d'amende et ordonnances de confiscation rendues par la Cour contre l'auteur de l'infraction, au sens de l'art. 77. Le sont aussi les ordonnances statuant la réparation aux victimes sous la forme de la restitution, de l'indemnisation ou de la réhabilitation (art. 75, al. 5). Lorsqu'un Etat Partie n'est pas en mesure d'exécuter une ordonnance de confiscation rendue par la Cour, il prend des mesures pour récupérer ­ autant que possible ­ la valeur du produit, des biens ou des avoirs dont la Cour a ordonné la confiscation.

La Cour peut ordonner que les valeurs confisquées soient affectées au Fonds au profit des victimes, défini à l'art. 79.

Dans le cadre de l'exécution, les droits que pourraient faire valoir des tiers de bonne foi doivent être préservés (art. 109, al. 1 et 2). Sous ce rapport, la participation prévue à l'art. 75, al. 3, des personnes intéressées à la procédure devant la Cour est un indice à prendre en compte mais non un motif pour exclure qu'ils puissent faire valoir leurs droits devant une juridiction nationale.

2.10

Assemblée des Etats Parties (chap. XI: art. 112)

La Cour pénale internationale, qui dispose de la personnalité juridique internationale (cf. art. 4), est institutionnellement suivie par l'Assemblée des Etats Parties, dont l'art. 112 définit les tâches, l'organisation et les procédures de travail. Chaque Etat Partie dispose d'un représentant à l'Assemblée. Les autres Etats peuvent y siéger à titre d'observateurs s'ils ont signé le Statut ou l'Acte final (al. 1).

L'al. 2 énumère les compétences de l'Assemblée: elle examine et adopte les recommandations de la Commission préparatoire. Cette disposition est à lire en conjonc412

tion avec la résolution F de l'Acte final de la Conférence diplomatique de Rome, qui crée une Commission préparatoire chargée de préparer divers projets de textes d'application (cf. ch. 1.2, ci-dessus: Commission préparatoire). Ce pouvoir défini à l'al. 2 jouera un rôle particulièrement déterminant la première fois que l'Assemblée des Etats Parties se réunira, immédiatement après l'entrée en vigueur du Statut; c'est pourquoi cette première réunion de l'Assemblée des Etats Parties sera particulièrement importante (al. 2, let. a).

L'Assemblée supervise en outre la Présidence, le Procureur et le Greffier en ce qui concerne l'administration de la Cour (al. 2, let. b). Elle examine et arrête le budget de la Cour (let. d). En plus, elle examine les rapports et les activités du Bureau créé par ses soins et prend les mesures qu'ils appellent (let. c), décide s'il y a lieu, conformément à l'art. 36, de modifier le nombre des juges (let. e) et examine, conformément à l'art. 87, al. 5 et 7, toute question relative à la non-coopération des Etats (let. f). Elle s'acquitte enfin de toute autre fonction compatible avec les dispositions du présent Statut et du Règlement de procédure et de preuve (let. g). Il faut en particulier mentionner ici les fonctions qu'assigne le chap. IV à l'Assemblée des Etats Parties en ce qui concerne l'élection des organes de la Cour.

L'Assemblée se dote d'un Bureau, composé d'un Président, de deux VicePrésidents, et de 18 membres élus par elle pour trois ans (art. 112, al. 3). Le Président de la Cour, le Procureur et le Greffier ou leurs représentants participent, selon qu'il convient, aux réunions de l'Assemblée et du Bureau (al. 5). L'Assemblée peut créer les autres organes subsidiaires qu'elle juge nécessaires, notamment un mécanisme de contrôle indépendant (al. 4).

L'Assemblée se réunit une fois par an au siège de la Cour ou au Siège de l'Organisation des Nations Unies; lorsque les circonstances l'exigent, elle tient des sessions extraordinaires (al. 6). L'Assemblée et le Bureau s'efforcent dans toute la mesure possible d'adopter leurs décisions par consensus. Si le consensus n'est pas possible, et à moins que le Statut n'en dispose autrement, les décisions sur des questions de fond sont prises à la majorité des deux tiers des présents et votants; la majorité absolue des Etats
Parties constitue le quorum pour le scrutin. La majorité simple des Etats Parties présents et votants suffit pour les décisions sur les questions de procédure. Bien évidemment, chaque Etat Partie dispose d'une voix (al. 7).

L'al. 8 prévoit qu'un Etat Partie en retard dans le paiement de sa contribution aux dépenses de la Cour ne peut participer au vote ni à l'Assemblée, ni au Bureau, si le montant de ses arriérés est égal ou supérieur à la contribution dont il est redevable pour les deux années complètes écoulées; l'Assemblée peut toutefois admettre des exceptions. L'Assemblée adopte son propre règlement intérieur (al. 9); ses langues officielles et ses langues de travail sont celles de l'Assemblée générale des Nations Unies (al. 10).

Comme on l'a dit, la première réunion de l'Assemblée des Etats Parties, après l'entrée en vigueur du Statut, sera très importante car y seront discutés et adoptés de nombreux textes d'application du Statut ­ en particulier le Règlement de procédure et de preuve figurant dans la résolution F, ch. 5 de l'Acte final de la Conférence de Rome, les «éléments des crimes», l'accord appelé à régir les relations entre la Cour et les Nations Unies (cf. art. 2 du Statut), les principes de base devant régir l'accord de siège entre la Cour avec son pays hôte (cf. art. 3), le règlement financier et les règles de gestion financière (art. 113), un accord sur les privilèges et l'immunités de la Cour, le budget pour le premier exercice et le règlement intérieur de l'Assemblée

413

des Etats Parties. Outre tous ces travaux, l'Assemblée devra, à la réunion qui suivra l'entrée en vigueur du Statut, procéder à tous les scrutins: élection des juges et du Procureur, recommandations concernant l'élection du Greffier et élection des membres du Bureau de l'Assemblée des Etats Parties.

D'autres points de repères pourraient apparaître à la conférence de révision du Statut, qui doit être organisée sept ans après l'entrée en vigueur du Statut (art. 123).

2.11

Financement de la Cour pénale (chap. XII: art. 113 à 118)

Toutes les questions financières se rapportant à la Cour sont régies par le Statut, le règlement financier et les règles de gestion financière adoptées par l'Assemblée des Etats Parties (art. 113). Ce qui a pour effet que les dépenses de la Cour et de l'Assemblée des Etats Parties, y compris le Bureau de cette dernière et ses organes subsidiaires, sont intégralement réglées en puisant dans les ressources financières de la Cour (art. 114).

Les ressources financières de la Cour proviennent, selon les art. 115 et 116, de trois sources: les contributions des Etats Parties, les Nations Unies et les contributions volontaires.

Les contributions des Etats Parties sont calculées selon le barème des quotes-parts convenu, fondé sur le barème adopté par l'Organisation des Nations Unies pour son budget ordinaire, et adaptées conformément aux principes sur lesquels ce barème est fondé. La contribution d'un Etat Partie dépend de sa capacité de paiement, surtout appréciée sur la base de son revenu national. En cas d'adhésion d'un nouvel Etat Partie au Statut, le barème est adapté en conséquence (art. 117).

L'art. 115 ne peut rien dire de contraignant en ce qui concerne la deuxième source de financement, à savoir les ressources financières fournies par l'Organisation des Nations Unies, car l'accord de l'Assemblée générale des Nations Unies est nécessaire sur cette question. De plus, on escompte que les Nations Unies seront particulièrement disposées à prendre en charge les frais des procédures liées à la saisine de la Cour par le Conseil de sécurité en vertu de l'art. 13, let. b.

Outre ces deux sources de financement, la Cour peut recevoir et utiliser à titre de ressources financières supplémentaires les contributions volontaires des gouvernements, des organisations internationales, des particuliers, des entreprises et d'autres entités, mais selon des critères fixés par l'Assemblée des Etats Parties (art. 116). La Commission préparatoire de la Cour pénale internationale est chargée d'élaborer un projet de règlement financier.

L'art. 118 prévoit que les rapports, livres et comptes de la Cour, y compris ses états financiers annuels, sont vérifiés chaque année par un contrôleur indépendant.

Le financement de la Cour, avec son pilier principal (les quotes-parts des Etats Parties) et ses deux piliers auxiliaires, peut être considéré comme assurant son existence économique et garantissant son indépendance financière.

414

2.12

Clauses finales (chap. XIII: art. 119 à 128)

Le Statut de Rome, dont les textes anglais, arabe, chinois, espagnol, français et russe font également foi, est déposé auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies (art. 128). Pour la Suisse, la version française constitue donc un original. La traduction allemande a été mise au point lors d'une Conférence de traduction commune avec l'Allemagne et l'Autriche.

Le Statut entre en vigueur le premier jour du mois suivant le 60e jour après la date de dépôt du 60e instrument de ratification (art. 126). Le quorum de 60 ratifications nécessaire à l'entrée en vigueur du Statut constitue un compromis; les propositions s'étalaient de 30 à 90 ratifications.

Le Statut n'admet aucune réserve (art. 120); toutefois, au moment de la ratification, un Etat peut déclarer que, pour une période de sept ans à partir de l'entrée en vigueur du Statut à son égard, il n'accepte pas la compétence de la Cour en ce qui concerne l'art. 8 (crimes de guerre) lorsqu'il est allégué qu'un crime a été commis sur son territoire ou par ses ressortissants (disposition transitoire, art. 124); cette disposition représente le prix que la Conférence diplomatique de Rome a dû payer pour qu'un Etat important accepte le Statut. Ce prix transitoire était d'autant plus justifié que le «groupe des Etats pilotes» a ainsi pu obtenir le principe du rejet de toute réserve, ce qui constitue un point central âprement disputé du Statut.

Un Etat Partie peut se retirer du Statut, avec un préavis d'un an (art. 127, al. 1). Le retrait ne dégage pas l'Etat des obligations mises à sa charge par le Statut lorsqu'il en était Partie (art. 127, al. 2).

Tout différend relatif aux fonctions judiciaires de la Cour est réglé par décision de la Cour. Tout autre différend entre les Etats Parties concernant l'interprétation ou l'application du présent Statut est soumis à l'Assemblée des Etats Parties, qui peut chercher à résoudre elle-même le différend ou faire des recommandations sur d'autres moyens de le régler, y compris le renvoi à la Cour internationale de justice (CIJ), en conformité avec le Statut de celle-ci (art. 119). Pour ceux qui préfèrent une juridiction d'arbitrage obligatoire ­ dont la Suisse ­ le vague de cette disposition n'est guère satisfaisant. Au cours de la négociation du Statut, il est apparu que de nombreux Etats nourrissaient
des réserves à l'égard de cette forme de règlement des différends. Même au sein du «groupe des Etats pilotes», qui sont pourtant parvenus à s'entendre sur bien des positions progressistes, l'accord n'a pas pu être obtenu sur ce point.

Le Statut ne peut être amendé qu'à l'expiration d'un délai de sept ans à compter de sa date d'entrée en vigueur (art. 121, al. 1); cette restriction ne s'applique toutefois pas aux amendements à caractère exclusivement institutionnel (art. 122, al. 1, voir ci-dessous). Cette règle a pour but d'éviter que les soixante premiers Etats Parties n'amendent le traité contre la volonté d'autres Etats qui, bien qu'ayant participé à sa préparation, ne l'auraient pas encore ratifié. Sept ans après l'entrée en vigueur du Statut, le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies doit convoquer une conférence de révision (art. 123, al. 1); cette disposition reflète une préoccupation qu'ont fait valoir des membres du «groupe des Etats pilotes»: ils espéraient améliorer ainsi les chances pour que les Etats Parties du moment corrigent certaines faiblesses du Statut imputables à l'attitude d'Etats qui sembleraient de toute façon ne pas devoir ratifier le Statut.

415

Des conférences de révision peuvent être convoquées ultérieurement, la décision étant prise à la majorité simple par les Etats Parties (art. 123, al. 2); cette même majorité simple peut aussi décider de se saisir directement ou de ne pas se saisir du tout des propositions d'amendement qui lui sont soumises (art. 121, al. 2).

L'adoption d'un amendement requiert au moins la majorité des deux tiers des Etats Parties (art. 121, al. 3).

Les règles d'entrée en vigueur des amendements présentent une certaine complexité.

La solution trouvée, qui s'appuie sur une proposition suisse, représente un compromis entre deux préoccupations légitimes, mais apparemment inconciliables. D'une part, il fallait respecter le principe traditionnel du droit international selon lequel les amendements ne doivent pas pouvoir s'appliquer à des Etats Parties contre leur volonté. D'un autre côté, il paraissait tout aussi légitime de vouloir préserver la cohésion du Statut. Si les amendements n'entrent en vigueur que pour les Etats qui les ratifient, cela suscitera très rapidement des complications pratiquement insurmontables dans l'application du Statut. Le «groupe des Etats pilotes» a donc beaucoup travaillé à préserver dans toute la mesure possible la cohésion du Statut. Il a payé pour cela un prix notable: le quorum élevé de ratifications, qui rend les amendements beaucoup plus difficiles à faire passer.

La préservation de la cohésion du traité est à la base des amendements. Ils entrent en vigueur erga omnes lorsque les sept huitièmes des Etats participants les ont ratifiés (art. 121, al. 4). Ce quorum extrêmement élevé, proche du consensus, empêche que des Etats isolés ne fassent obstacle à l'entrée en vigueur d'amendements souhaités par la grande majorité. Un Etat Partie qui n'a pas accepté un amendement peut se retirer du Statut avec effet immédiat (art. 121, al. 7). Cette clause garantit que dans un cas extrême, un amendement ne pourra pas entrer en vigueur contre la volonté d'un Etat Partie, même si le prix à payer est lourd: l'Etat concerné n'aura plus qu'à se retirer du traité. Cette règle a permis de rapprocher les deux principes apparemment inconciliables mentionnés ci-dessus (cohésion du Statut et souveraineté des Etats Parties).

Il y a deux exceptions à la règle de base d'entrée en vigueur des amendements:
les amendements portant sur la liste des crimes (art. 5 à 8) n'entrent en vigueur que pour les Etats Parties qui les ont acceptés (art. 121, al. 5). A la mise au point des derniers détails de l'ensemble, il a encore été obtenu ­ ce qui va à l'encontre du principe de juridiction générale ­ que les citoyens d'Etats Parties qui n'ont pas ratifié un amendement ne puissent être poursuivis pour avoir violé cet amendement s'ils se trouvent sur le territoire d'un Etat qui a ratifié l'amendement (art. 121, al. 5).

La seconde exception à la règle de base d'entrée en vigueur des amendements concerne les dispositions de nature purement institutionnelle (art. 122 et 36, al. 2). Les amendements des articles énumérés à l'art. 122 entrent en vigueur eo ipso (c'est-àdire sans avoir à être ratifiés) six mois après avoir été adoptés à la majorité des deux tiers des Etats Parties. Cette disposition doit permettre aux Etats Parties de répondre promptement aux besoins administratifs de la Cour. Initialement, le Statut ne prévoyait cette procédure facilitée d'amendement que pour le relèvement du nombre des juges (art. 36, al. 2). C'est en fait la délégation suisse qui a demandé, en contrepoids aux obstacles mis à l'amendement des autres articles du Statut, d'étendre la procédure facilitée d'amendement aux dispositions énumérées à l'art. 122. Bien que la règle générale de l'art. 122 concorde avec les modalités de la règle spéciale de l'art. 36, al. 2, ce dernier a été conservé pour des raisons historiques au lieu d'être fondu dans l'art. 122.

416

3

Le Statut et l'ordre juridique suisse

3.1

Généralités

Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale rappelle en son préambule (par. 6) qu'il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux. En conséquence, le Statut est conçu de telle sorte que la Cour n'intervient que lorsque les Etats ­ par volonté ou incapacité ­ ne remplissent pas le devoir consistant à entreprendre des poursuites pénales, à prononcer des condamnations et à fournir une assistance judiciaire. Comme la Cour est instituée à titre d'organe complémentaire et laisse encore aux divers Etats la responsabilité première des mesures destinées à l'interdiction ainsi qu'à la répression de ces crimes, les Etats seront tenus à l'exécution de cette obligation encore plus fortement que jusqu'ici. Il est toujours du devoir des Etats ­ mais avec davantage d'efficacité, dans la mesure de leurs possibilités ­ de veiller à ce que de tels crimes affectant l'ensemble de la communauté internationale puissent au moins faire l'objet de sanctions après coup, si tant est que l'on n'ait pas réussi à les empêcher totalement. C'est pourquoi, il est indispensable que les Etats disposent de mesures efficaces permettant véritablement, en pareils cas, des poursuites pénales ou des prestations d'assistance judiciaire. En ce sens, le Statut ne mise pas uniquement sur l'activité de la future Cour internationale. Tout aussi vitale se révèle en effet l'impulsion donnée aux Etats pour qu'ils consentent plus d'efforts encore dans le but de forcer à rendre compte de leurs actes les personnes responsables de crimes majeurs relevant du droit international public.

Le Statut en soi aborde de diverses manières la définition des devoirs et fonctions impartis aux Etats en vertu de ses dispositions. En premier lieu, la chose s'avère simple à chaque fois que le Statut impose des obligations juridiques directes aux Etats. Tel est notamment le cas pour ce qui touche à la coopération de ceux-ci avec la Cour (chap. IX) et à l'exécution de jugements (chap. X), ce dernier domaine présentant également des engagements à option qui n'existent qu'à condition que l'Etat concerné se soit préalablement déclaré prêt à les assumer (voir à ce sujet le ch. 3.3 relatif à la loi fédérale sur la coopération avec la Cour pénale internationale).

Il est un autre domaine où, le cas
échéant, les Etats sont directement tenus de prévoir des mesures d'exécution à l'échelon national. Il s'agit de l'art. 70, al. 4, relatif aux atteintes à l'administration de la justice devant la Cour. En l'espèce, le Statut décrète que tout Etat Partie étend les dispositions de son droit pénal réprimant les atteintes à l'intégrité de ses procédures d'enquête ou de ses systèmes judiciaires, de telle sorte que les infractions en question soient également réprimées lorsqu'elles portent sur l'intégrité des procédures d'enquête ou du système judiciaire de la Cour pénale internationale (cf. également à ce sujet le ch. 3.2 relatif à la révision du code pénal et du code pénal militaire).

Cependant, la situation est bien plus complexe dans le domaine du droit pénal matériel. A cet égard, le Statut comme tel ne s'exprime qu'indirectement par le biais du principe de la complémentarité. Si le Statut définit certains crimes d'une façon déterminée, il n'impose pas aux Etats l'obligation de prévoir de manière identique les mêmes crimes dans leur ordre juridique national. Il faut toutefois préciser ici que de tels devoirs peuvent découler en partie de sources juridiques constituant la toile

417

de fond du Statut. Par exemple, la Convention de 194883 contre le génocide, qui impose aux Etats une véritable obligation de criminaliser le génocide, a parrainé les définitions de crimes contenues dans le Statut. Les quatre Conventions de Genève de 1949 ainsi que les deux protocoles additionnels de 1977 ­ sources juridiques qui ont inspiré la définition des crimes de guerre selon l'art. 8 du Statut ­ contiennent également des obligations de poursuites pénales. Mais ceci ne change rien à l'affirmation de principe selon laquelle le Statut de Rome ne contraint pas en tant que tel les Etats Parties à prévoir ni à punir ces actes de la même manière dans leurs codes pénaux nationaux. Les Etats doivent néanmoins faire diligence en la matière, et cela découle essentiellement du principe de la complémentarité inscrit dans l'art. 17. En effet, s'ils ne veulent pas risquer de perdre dans un cas particulier leur compétence primaire en faveur de la Cour pénale internationale, il doivent veiller à ce que les crimes relevant de la compétence de ladite Cour soient sanctionnés d'une façon ou d'une autre dans leur ordre juridique interne.

Si un Etat se sent en mesure d'ouvrir une procédure d'enquête et d'entamer des poursuites pénales en conformité aux critères de l'art. 17, il n'a pas d'obligation de transposer dans son droit les dispositions du Statut en ce qui concerne le droit pénal matériel. Par contre, si sur la base d'un examen des éléments constitutifs d'une infraction selon le droit national, il considère qu'il existe de véritables lacunes sous l'angle de la punissabilité de l'acte en question, il doit combler de tels manques. Est déterminant pour l'appréciation le critère suivant: la clause de la complémentarité de l'art. 17 est ­ tout comme la conception globale du Statut de Rome ­ fondée sur le résultat. Le but est de mettre fin à l'impunité. Sous cet éclairage, il est absolument indifférent à la Cour de savoir en vertu de quelle disposition pénale nationale et au risque de quelle peine prévue il est ouvert une procédure contre l'auteur d'une infraction, pour autant que se dessine la volonté de l'Etat de demander sérieusement des comptes à la personne impliquée. La qualification de droit pénal d'un acte selon le droit interne est donc sans importance, du point de vue de la clause de la complémentarité,
aussi longtemps qu'il n'en résulte pas de véritable lacune du point de vue de la punissabilité de l'acte concerné ou tant qu'un crime majeur en droit international public n'est pas traité, aux yeux du droit national, comme une simple peccadille.

Il en va de même pour les peines prévues: seule une incohérence grave et inexplicable entre l'appréciation sur l'opportunité de réprimer un crime conformément au Statut et le traitement de ce même crime sous le régime du droit interne pourrait pousser la Cour à se déclarer compétente dans une affaire (p. ex. lorsque les organes étatiques chargés des poursuites pénales ont monté un simulacre de procès afin d'épargner le délinquant).

Avec l'inscription du crime de génocide dans le code pénal et l'introduction d'une large description des crimes de guerre dans le code pénal militaire, la Suisse est bien armée pour deux des trois catégories de crimes pour lesquels la Cour est matériellement compétente. Plus problématique apparaît l'absence de l'infraction des crimes contre l'humanité dans notre droit national. Une analyse de celui-ci montre qu'en règle générale, les crimes définis à l'art. 7 du Statut y sont également soumis à des peines à un titre ou à un autre et que, compte tenu de motifs d'aggravation de la peine éventuellement applicables, ils sont généralement assortis de peines suffisamment sévères pour remplir les critères de l'art. 17 du Statut. Ainsi n'y a-t-il pas pour 83

418

Message du Conseil fédéral du 31 mars 1999 relatif à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et révision correspondante du droit pénal; FF 1999 4911.

la Suisse de besoin immédiat de prendre des mesures d'adaptation à l'échelon national en matière de droit pénal matériel. Mais pour autant, il n'est pas prétendu ici que la reprise de la catégorie des crimes contre l'humanité dans notre droit n'est pas souhaitable ou que, eu égard au caractère de droit international public coutumier attaché à ladite catégorie (cf. ci-dessous ch. 2.5), cette reprise n'est pas même exigée. Le Conseil fédéral aimerait faire progresser ces travaux aussi rapidement que possible, sans toutefois retarder par là le projet de ratification.

60 ratifications sont nécessaires à l'entrée en force du Statut. Etant donné la tradition humanitaire de la Suisse, le rôle de notre pays en qualité d'Etat dépositaire des Conventions de Genève et l'influence non négligeable de notre pays en ce qui concerne l'avènement de ce Statut, le Conseil fédéral estime indispensable que nous fassions partie des 60 premiers pays qui ratifieront cet acte ­ les Etats fondateurs du Statut. A cela s'ajoute que peu après l'entrée en vigueur dudit Statut, une Assemblée des Etats Parties sera convoquée aux fins de prendre des décisions importantes: élection des juges et du Procureur, adoption du mode de financement et du budget, approbation du Règlement de procédure et de preuve de la Cour, approbation des «éléments des crimes», accord appelé à régir les relations entre la Cour pénale internationale et les Nations Unies, pour ne citer que quelques-unes d'entre elles. A toutes ces décisions, partiellement destinées à ouvrir des perspectives, la Suisse doit pouvoir participer.

La pression politique exercée en vue de la création de la Cour pénale internationale est très grande, à travers le monde entier. De nombreux pays, que ce soit hors ou au sein de l'Europe, s'efforcent de ratifier le plus rapidement possible le Statut de Rome. Quelques Etats, qui l'ont déjà ratifié, ont choisi une voie inusuelle pour eux aussi, en ce sens qu'ils ont déjà ratifié cet acte sans avoir achevé au plan national les travaux de mise en oeuvre nécessaires. Certains n'ont même pas encore abordé le problème. C'est notamment le cas de l'Italie. La France a ratifié le Statut, elle aussi, sans adopter antérieurement de législation d'application. Dans le cas de l'Allemagne également, la mise en oeuvre devra intervenir en une deuxième
phase après la ratification, notamment dans le domaine de l'assistance judiciaire. On présume que l'élaboration d'une telle législation est toujours possible avant l'entrée en vigueur du Statut. Même une troisième étape a été prévue en Allemagne, la création d'un véritable code pénal contenant des dispositions de droit pénal international qui tiendra compte des développements en la matière favorisés par le Statut de Rome.

Le Conseil fédéral considère qu'une telle façon de procéder n'est pas judicieuse pour la Suisse. Même si la ratification du Statut de Rome est soumise à une urgence extérieure, le Conseil fédéral estime que la Suisse doit pouvoir remplir les engagements issus directement, avec effet obligatoire de cet instrument international, au moment de sa ratification. D'un autre côté, les travaux liés aux adaptations du droit national ne devraient pas retarder la ratification du Statut lorsque celui-ci ne fait qu'inviter indirectement les Etats à adopter un certain comportement ou lorsqu'il s'agit, au plan national, de mesures d'optimisation.

La première étape ne devrait comporter que des travaux de mise en oeuvre exigés de façon urgente par la ratification. C'est la raison pour laquelle seront soumis aux Chambres fédérales, simultanément au projet de ratification, le projet d'une loi fédérale sur la coopération avec la Cour pénale internationale ainsi qu'un projet de loi fédérale portant modification du code pénal et du code pénal militaire (exclusivement sur les atteintes à l'administration de la justice). Tous les autres travaux de cette nature, qui ne sont pas absolument indispensables, seront présentés aux Cham419

bres dans le cadre d'un deuxième paquet. Ainsi, grâce à cette façon de procéder, le risque sera considérablement réduit que le Statut de Rome n'entre en vigueur sans la Suisse et que ce pays ne gâche une chance de participer activement à des décisions importantes pour l'avenir de la Cour. Les travaux de la deuxième étape pourront se réaliser ensuite sans urgence d'origine extérieure. Ceci permetra entre autres une meilleure coordination avec les questions en suspens en matière de réforme de la justice, par exemple la création d'un tribunal pénal fédéral de première instance. La séparation en deux phases des travaux liés à l'application du Statut permet également la mise au point de solutions défendables et orientées vers le futur dans le domaine du droit pénal matériel, dont l'une pourrait notamment consister en la création d'un «code pénal international» selon l'exemple allemand.

3.2

Révision du code pénal et du code pénal militaire: extension des atteintes à l'administration de la justice à la procédure devant la Cour

Selon l'art. 70, al. 4, du Statut, les Etats Parties étendent les dispositions de leur droit pénal qui répriment les atteintes à l'intégrité de leurs procédures d'enquête ou de leur système judiciaire aux atteintes à l'administration de la justice commises au titre de cet article, pour autant que ces atteintes soient perpétrées sur leur territoire ou par l'un de leurs ressortissants.

Cette disposition nécessite une interprétation, en particulier son rapport avec l'alinéa 1 de l'art. 70 du Statut qui porte sur des atteintes à l'administration de la justice commises à l'encontre de la Cour au sens large du terme et que celle-ci connaît de son propre chef. D'après la genèse et la teneur de cet al. 4, il est toutefois possible de déduire que les Etats Parties, d'après la volonté du Statut, ne sont pas tenus de transposer les éléments constitutifs d'infractions de l'al. 1 dans leur droit national. Il s'agit plutôt, dans le cadre de l'al. 4, d'une clause d'assimilation: les normes pénales existantes, qui protègent le cours de la justice pénale sur le plan national, doivent également s'appliquer aux procédures devant la Cour pénale internationale. En d'autres termes, les Etats Parties sont tenus de criminaliser les atteintes à l'administration de la justice de la Cour qui sont décrits à l'alinéa 1 de l'art. 70, dans la mesure où elles sont considérées, par leur droit pénal national, comme des actes contraires à l'intégrité de leur propre système de justice.

Il y a donc lieu d'examiner si les éléments constitutifs d'infraction décrits dans l'art. 70, al. 1, qui constituent aussi des atteintes à l'administration de la justice selon le droit pénal suisse, doivent également être couverts par le droit suisse lorsqu'ils sont dirigés non pas contre l'administration du droit pénal en Suisse, mais contre l'administration de la justice de la Cour. Il s'agit en l'occurrence de la dénonciation calomnieuse, de l'entrave à l'action pénale ainsi que du faux témoignage (art. 303, 305 et 307 CP et art. 178, 176 et 179 du code pénal militaire).

Conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 89 IV 206), l'infraction de la dénonciation calomnieuse (art. 303 CP) peut également être réalisée en cas de communication à une autorité étrangère; la disposition ne protège donc pas exclusivement l'administration de la
justice de la Confédération et des cantons.

En outre, l'art. 305 CP (entrave à l'action pénale), ne protège en principe que l'administration du droit pénal en Suisse (ATF 104 IV 238 ss). Par contre, le ch. 1bis de l'art. 305 stipule formellement que quiconque aura soustrait à une poursuite 420

pénale ouverte à l'étranger ou à l'exécution d'une peine privative de liberté ou d'une mesure de sûreté prononcée à l'étranger pour un des crimes visés à l'art. 75bis sera également puni au titre d'entrave à l'action pénale. Cette disposition garantit que l'entrave à l'action pénale, elle aussi, est applicable aux procédures devant la Cour pénale internationale.

S'agissant enfin du faux témoignage, il n'existe pas à notre connaissance d'arrêt de notre cour suprême statuant sur la question de savoir si l'art. 307 CP peut trouver application aussi pour des procédures judiciaires à l'étranger ou devant des cours internationales. Selon une opinion de la doctrine, les faux témoignages devant la Cour européenne des droits de l'homme (et l'ancienne Commission européenne des droits de l'homme) ne sont de toute façon pas punissables 84.

Afin de garantir de manière satisfaisante l'applicabilité de l'art. 307 CP aux faux témoignages devant la Cour pénale internationale, il y a lieu de compléter l'art. 309 («Affaires administratives») par une deuxième phrase qui prévoie également l'applicabilité des art. 306 à 308 CP (Faux témoignage d'une partie, Faux rapport et atténuations de peines) procédures devant les cours internationales dont la Suisse admet la compétence. Par analogie, on ajoutera dans le Code pénal militaire un art. 179b, de contenu similaire. En conséquence, la solution ainsi adoptée ne sera pas uniquement applicable en rapport avec la Cour pénale internationale, mais aussi en relation avec d'autres cours internationales, dont la Suisse accepte la compétence à titre obligatoire.

En ce qui concerne la corruption active de membres du personnel de la Cour, l'art. 322septies CP répond aux exigences du Statut puisque cette norme pénale s'applique aux personnes agissant pour un Etat étranger ou une organisation internationale en tant que membre d'une autorité judiciaire ou autre, en tant que fonctionnaire, en tant qu'expert, traducteur ou interprète commis par une autorité ou encore en tant qu'arbitre ou militaire. En ce qui concerne l'encouragement de la corruption ou l'acceptation d'un avantage indu par un membre du personnel de la Cour en relation avec ses activités officielles (corruption passive), une disposition pénale sera intégrée dans le Code pénal suisse pour faire suite à la ratification
prévue de la Convention pénale du Conseil de l'Europe sur la corruption.

Les autres délits prévus par l'art. 70, al. 1, du Statut ­ il s'agit pour l'essentiel d'atteintes à l'intégrité corporelle et à la vie, au patrimoine, à la liberté ainsi que de falsifications de documents ­ ne concernent pas uniquement les biens juridiques à l'intérieur du pays; ils sont donc en principe applicables également lorsqu'ils sont commis pour influencer une procédure devant la Cour. Dans cette mesure, le besoin d'adapter la loi ne se fait pas sentir non plus en l'occurrence.

84

Stephan Trechsel, Schweizerisches Strafgesetz ­ Kurzkommentar, 2e édition 1997, note 2 ad art. 307 CP.

421

3.3

Loi fédérale concernant la coopération avec la Cour pénale internationale

3.3.1

Introduction

En vertu de l'art. 88 du Statut, les Etats Parties sont tenus de prévoir, dans leur législation nationale, les procédures qui leur permettent de coopérer avec la Cour.

S'il leur est loisible d'aménager ces procédures comme ils l'entendent, l'art. 86 du Statut, qui prévoit que tout Etat Partie coopère pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu'elle mène contre les crimes relevant de sa compétence, fixe le principe supérieur guidant chaque Etat dans cet aménagement. La procédure en vigueur en Suisse ne doit donc pas entraver indûment cette coopération ni exclure l'utilisation de moyens de preuve dans le cadre de la procédure devant la Cour en raison d'une violation des garanties de procédure de la Cour (art. 69 du Statut).

Pour concrétiser cette coopération en Suisse, trois variantes ont été envisagées.

D'abord, deux solutions qui se seraient fondées sur la loi fédérale sur l'entraide pénale internationale (EIMP)85. La première aurait consisté à fixer dans un bref texte législatif les particularités de la coopération et à renvoyer, pour le reste, aux normes de l'EIMP. C'est cette solution qui avait été retenue lorsqu'il s'est agi de réglementer la coopération avec les deux tribunaux ad hoc. La deuxième variante aurait induit une révision partielle de l'EIMP. En fin de compte, les deux solutions ont été rejetées parce que chaque révision future de l'EIMP aurait soulevé des questions supplémentaires quant à la compatibilité des nouvelles normes avec le Statut. Une analyse plus fine a, enfin, fait ressortir que les dérogations à l'EIMP induites par le Statut l'emportaient sur les points communs aux deux textes, ou du moins les compensaient. En d'autres termes, les synergies obtenues avec l'EIMP auraient, somme toute, été restreintes.

La troisième variante ­ celle qui a été finalement retenue ­ consiste à élaborer une loi autonome détaillée. Cette variante semble appropriée parce que la coopération avec la Cour pénale internationale ­ nous l'avons déjà relevé (cf. ch. 2.8) ­ n'est pas une coopération de type classique (entre deux Etats) mais bien plutôt une coopération sui generis. L'élaboration d'une loi nouvelle permet de prendre en compte les particularités de cette coopération dans leur ensemble et d'aménager les procédures en conséquence.

La loi se fonde sur les obligations
découlant des chap. IX et X du Statut ainsi que sur les dispositions de procédure figurant dans les autres chapitres, dispositions qui revêtent également de l'importance pour la coopération (cf. art. 86 du Statut ainsi que ch. 2.8.1). Quand bien même le Statut, une fois ratifié par la Suisse, y sera applicable et même si certaines normes, notamment au chap. IX, ont été formulées de manière suffisamment claire pour pouvoir, au besoin, être appliquées directement, l'ensemble des dispositions du Statut a été concrétisé, cela à la fois pour garantir la sécurité du droit et pour faciliter la compréhension du texte. En d'autres termes, toutes les questions que soulève la coopération de la Suisse avec la Cour seront dorénavant réglées dans une seule et unique loi. Chaque fois que cela était possible, c'est-à-dire chaque fois que cela était compatible avec les clauses du Statut, les

85

422

RS 351.1

dispositions de l'EIMP et de l'arrêté fédéral relatif à la coopération avec les tribunaux internationaux ad hoc («arrêté fédéral»)86 ont été reprises mutatis mutandis.

Afin d'assurer une coopération optimale, la loi institue un service central qui sera l'interlocuteur de la Cour. Ce service jouera le rôle principal sur le plan de la procédure interne. En principe, il se limitera à arrêter les décisions formelles qui seront ensuite exécutées par les autorités qu'il aura désignées. Cette répartition des tâches entre deux niveaux ­ elle est habituelle en matière d'extradition ­ a été également choisie s'agissant de la coopération avec la Cour. Elle s'inspire de la procédure prévue à l'art. 79a EIMP ainsi qu'aux art. 19, al. 2 et 18, al. 2 de l'arrêté fédéral.

Cependant, à la différence de ce que prévoit l'EIMP, cette réglementation d'exception est érigée en règle s'agissant de la coopération avec la Cour, solution qui paraît judicieuse compte tenu de la complexité et de la gravité des cas qui relèvent de la juridiction de la Cour (cf. art. 79a, let. c EIMP). La complexité est due notamment au fait que la question de la compétence de la Cour joue un rôle déterminant pour la coopération, cette compétence devant être appréciée à la lumière du Statut. La limitation des possibilités de refuser d'accéder aux demandes de coopération de la Cour (pour de plus amples détails, cf. ch. 2.8.1) se traduit sur le plan de la procédure interne suisse, par une réduction proportionnelle des possibilités de recours qui s'offrent aux personnes impliquées. On entend ainsi éviter d'accorder des droits de recours qui matériellement n'ont aucune chance d'aboutir. La perte de certains droits de recours sur le plan de la procédure interne est cependant compensée par les voies de droit prévues dans le cadre de la procédure devant la Cour. Comme cette compensation n'est toutefois possible que pour les personnes qui jouissent de la qualité de parties devant la Cour, les possibilités de recours en procédure interne ont été maintenues pour les autres personnes.

La nouvelle loi comporte, tout d'abord, une partie générale, subdivisée en deux chapitres, qui contient les dispositions communes relatives à la remise et aux autres formes de coopération et qui règle les compétences (cf. ch. 3.3.2 et 3.3.3 ci-après).

Viennent ensuite
trois chapitres dont les dispositions régissent la remise (ch. 3.3.4), les autres formes de coopération (ch 3.3.5), enfin l'exécution des sanctions prises par la Cour (ch. 3.3.6).

3.3.2

Dispositions générales

Objet (art. 1) et droit applicable (art.2) Il ressort de l'art. 1 que la loi ne régit que la coopération avec la Cour pénale internationale permanente instituée par le Statut de Rome. Partant, l'applicabilité de la nouvelle loi aux relations avec les deux tribunaux ad hoc est exclue (cf. art. 59).

L'art. 2 statue, de manière complémentaire, que les dispositions des autres textes suisses régissant l'entraide judiciaire, notamment l'EIMP ou l'arrêté fédéral, ne sont pas applicables à la coopération avec la Cour. Cela n'exclut en aucun cas l'application du droit constitutionnel ou du droit international public. De même, l'art. 2 implique que la loi doit être interprétée à la lumière du Statut, du Règlement de procédure et de preuve, ainsi que de la jurisprudence de la Cour. Cela est d'ailleurs

86

Arrêté fédéral du 21 décembre 1995 relatif à la coopération avec les tribunaux internationaux chargés de poursuivre les violations graves du droit international humanitaire (RS 351.20).

423

le corollaire de l'idée selon laquelle, dans certaines circonstances, les Etats Parties procèdent pour le compte de la Cour à des actes d'instruction qui doivent être en conformité avec le Statut (cf. ch. 2.8).

3.3.3

Coopération avec la Cour

Alors que la première section définit les compétences sur le plan suisse, ainsi que les principes sur lesquels les décisions doivent ainsi être basées, la deuxième régit le partage des compétences entre les autorités suisses et la Cour en distinguant trois cas de figure. La troisième régit les relations avec la Cour et la quatrième établit les dispositions de procédure applicables à toutes les formes de coopération.

3.3.3.1

Principes de la coopération

Service central (art. 3) Cette disposition établit le principe selon lequel la coopération avec la Cour ressortit au premier chef au service central. Compte tenu de la complexité de la matière et des spécificités caractérisant la coopération avec la Cour, il se justifie d'instituer un tel service. En sus des tâches expressément énumérées, le service central aura pour mission de suivre l'évolution de la jurisprudence de la Cour. Ce n'est qu'à cette condition qu'il est possible de garantir que la coopération accordée par la Suisse soit en harmonie avec les concepts du droit tels qu'ils émanent de la Cour. S'agissant de la délimitation des compétences (art. 7) ou des immunités (art. 6), il est même indispensable de connaître la jurisprudence de la Cour. Si le service central est, en premier lieu, l'interlocuteur de la Cour, il est aussi celui des autorités chargées de l'exécution. Son intégration au sein de l'Office fédéral de la justice (al. 1), compétent en matière d'entraide judiciaire et d'extradition, lui permet de bénéficier de l'infrastructure nécessaire. Les attributions du service central sont vastes (al. 2). Il est non seulement l'interlocuteur de la Cour (let. a), mais encore l'autorité appelée à statuer dans le cadre des demandes de remise et autres formes de coopération présentés par la Cour. Il statue sur la recevabilité de la coopération requise et, au besoin, sur l'opportunité de contester la compétence de la Cour (let. b), arrête les mesures nécessaires, y compris la désignation d'un défenseur d'office et désigne le canton ou l'autorité fédérale chargé de l'exécution des demandes de coopération (let. c et d).

En ce qui concerne les sanctions de la Cour, le service central décide de l'exécution des peines privatives de liberté et exécute les amendes (let. g). Les attributions conférées au service central doivent être assorties des compétences décisionnelles nécessaires. C'est la raison pour laquelle celui-ci est le seul à arrêter des décisions sujettes à recours. Dans le cadre des actions intentées contre ces décisions, il est cependant possible d'examiner également la licéité des actes des autorités d'exécution. Afin d'être en mesure d'assumer cette responsabilité, le service central doit remplir une fonction de surveillance. Il n'a, cependant, pas cette fonction dans le cadre de la
reprise des poursuites pénales pour atteinte à l'administration de la justice de la Cour (let. f). En l'occurrence, il ne fait que transmettre la demande de la Cour à l'autorité compétente. Cette exception par rapport à la manière dont est réglé généralement le rôle du service central en matière de coopération se justifie car, sur le point susmentionné, il ne lui appartient pas de statuer puisqu'il ne dispose d'au-

424

cune compétence en matière de poursuites pénales (cf. ci-dessus ch. 3.2 s'agissant de la révision y relative du Code pénal et du Code pénal militaire).

Consultations (art. 4) Par souci de clarté, la tâche du service central qui consiste à procéder à des consultations avec la Cour a été codifiée en un article distinct. Le Statut attache à cette institution une telle importance, qu'il se justifiait de la mettre en relief sous l'angle matériel également. Nous avons déjà exposé (ch. 2.8.1) que ces consultations visent à renforcer la coopération et à prévenir les conflits entre la Cour et les Etats Parties.

On réalise pleinement leur importance à la lecture de la liste ­ non exhaustive ­ des problèmes sur lesquels elles peuvent porter. Les questions en rapport avec la sécurité nationale (let. b; cf. art. 44) ou avec les immunités (let. d; cf. art. 6) ont une portée capitale. En effet, avec le point réglé à la lettre a, ces questions sont celles qui risquent le plus d'entraîner des divergences de vues entre la Cour et un Etat Partie quant à l'obligation de donner suite à une demande de coopération, divergences qui, en définitive, pourraient amener la Cour à en référer à l'Assemblée des Etats Parties ou au Conseil de sécurité conformément à l'art. 87, al. 7, du Statut. Ces consultations exigent une connaissance profonde des intérêts en cause. Ainsi donc, dans le cadre des consultations également, le service central est l'interlocuteur tout indiqué de la Cour.

Autorités chargées de l'exécution (art. 5) Cet article doit être mis en relation avec l'art. 2 qui règle les compétences du service central. Sa structure découle de la répartition claire des attributions entre le service central doté des compétences décisionnelles et les autorités chargées de l'exécution.

On trouvera une amorce de cette réglementation à l'art. 19, al. 2, de l'arrêté fédéral qui prévoit le même partage des attributions dans les cas particulièrement complexes. Les autorités chargées de l'exécution doivent s'abstenir de procéder à des actes motivés et attaquables qui touchent la procédure de coopération (al. 1). Cela ne signifie toutefois pas que soient exclues les mesures de contrainte que les autorités chargées de l'exécution sont amenées à prendre dans le cadre de leur mission, en vertu de leurs propres règles de procédure pénale
(audition de témoins, blocage de comptes, etc.) Cette interdiction a, cependant, pour effet de conférer au seul service central la responsabilité de la procédure de coopération proprement dite. En conséquence, les actes auxquels procèdent les autorités d'exécution ne sont pas sujets à recours (al. 2). Enfin, les autorités chargées par le service central de l'exécution sont tenus de s'acquitter avec diligence des mesures ordonnées par celui-ci.

Immunités (art. 6) Jusqu'à quel point les immunités ont-elles encore une valeur face aux crimes les plus graves qui touchent la communauté internationale, en d'autres termes face aux crimes qui relèvent de la juridiction de la Cour? Sur cette question, la pratique adoptée par les Etats, la jurisprudence et la doctrine sont en pleine évolution. Dans le cadre de la demande d'extradition dont a été saisi le Royaume Uni à l'encontre de l'ex-président chilien Augusto Pinochet, mais aussi et surtout à la faveur du mandat d'arrêt décerné contre Milosevic87 et de l'ordonnance de saisie qui en est le corollaire, la Suisse a soulevé le problème que pose l'immunité dont jouissent les chefs 87

FF 1999 4796 (Décision de l'Office fédéral de la police du 23 juin 1999).

425

d'Etat. La portée de la question des immunités est également précisée dans le Statut.

En effet, son art. 98 stipule que la Cour ne peut poursuivre l'exécution d'une demande qui «contraindrait l'Etat requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière d'immunité des Etats ou d'immunité diplomatique d'une personne ou de biens d'un Etat tiers». Pourtant, l'art. 27 du même Statut établit expressis verbis le défaut de pertinence de la qualité officielle au regard de la Cour. Même si cette apparente contradiction peut être résolue (cf. ch. 2.8.1 ci-devant), l'application pratique de ces dispositions ne sera pas sans engendrer des difficultés ni sans être sujette à des fluctuations. Si, dans un cas concret, le point de vue de la Cour diverge de celui des autorités suisses compétentes en matière de poursuites pénales et si les consultations n'ont pas permis d'aplanir ces divergences, soit parce que la Cour a accepté de modifier sa demande soit encore parce qu'elle a obtenu le consentement de l'Etat concerné, la décision que devra prendre la Suisse sur le plan interne, à savoir celle de lever ou non l'immunité, prendra une connotation politique au sens où l'entend, par exemple, l'art. 1a EIMP. En pareille occurrence, la décision ne doit plus appartenir au service central. Après l'échec des consultations (art. 44, al. 1, applicable par analogie), il transmet la demande de la Cour au Département fédéral de justice et police qui peut demander au Conseil fédéral de lever l'immunité en question (al. 1). Afin d'éviter que le retard causé par cette procédure ne mette en péril l'exécution de la demande, le Département peut aussi prendre des mesures provisionnelles (al. 2) qui seront levées en cas de décision négative du Conseil fédéral.

3.3.3.2

Compétence de la Cour

Détermination de la compétence (art. 7) Le fait que la Suisse, soit dès le stade de la décision préliminaire sur la recevabilité au sens de l'art. 18 du Statut, soit dans le cadre d'une procédure de contestation de la compétence au sens de l'art. 19, al. 2, let. b, du Statut, puisse invoquer la primauté de la procédure nationale, relativise, dans une certaine mesure, le principe selon lequel les Etats Parties n'ont pas le droit de refuser de coopérer. Aussi l'art. 6 représente-t-il une disposition-clef de la loi. Il permettra notamment de faire valoir la compétence de la juridiction suisse dans des procédures dirigées contre des ressortissants suisses, de sorte que ceux-ci puissent être poursuivis en Suisse. La décision de contester la compétence de la Cour a surtout des conséquences pour l'autorité compétente en matière de procédure suisse, si bien que le service central doit prendre cette décision après entente avec cette autorité (al. 1). Cette manière de faire est idéale puisqu'elle permet à l'autorité chargée de l'instruction et au service central de mettre en commun leurs connaissances de la pratique de la Cour aux fins d'arrêter la décision la mieux appropriée aux circonstances. La décision de ne pas contester la compétence de la Cour dans un cas d'espèce revient à reconnaître cette compétence et doit être assimilée à une décision de la Cour en la matière. En conséquence, l'al. 2 prévoit qu'en pareil cas tous les documents réunis au titre de la procédure ouverte en Suisse sont transmis à la Cour. Ce mode de procéder a donné satisfaction, par exemple dans l'affaire Musema qui a été déférée au tribunal ad hoc pour le Rwanda, puisque le jugement de celui-ci s'est intégralement appuyé sur les

426

éléments de preuve recueillis dans le cadre de la procédure menée en Suisse88. Autre conséquence de la non contestation de la compétence de la Cour: la procédure entamée en Suisse est suspendue, à défaut de quoi le principe «ne bis in idem» (interdiction de mener une double poursuite pénale pour la même infraction) pourrait être violé. Pour prendre sa décision concernant l'opportunité de contester la compétence de la Cour, la Suisse met en balance les intérêts que présente une poursuite pénale menée en Suisse, d'une part, et une procédure conduite devant la Cour, d'autre part. Cette mise en balance ne prend pas en compte les intérêts individuels, de sorte que la personne concernée ne peut pas former recours contre ladite décision.

Il lui est, cependant, loisible de contester la compétence de la Cour conformément à l'art. 19, al. 2, du Statut. Seuls les art. 24 et 26 de la loi se prononcent sur ce droit, et non l'art. 7.

Dénonciation et transmission spontanée d'éléments de preuve et d'informations (art. 8) Comme dans ses enquêtes, notamment lorsqu'il s'agit de recueillir des éléments de preuve, la Cour est tributaire de la coopération avec les Etats, elle risque de ne pas avoir connaissance de certains éléments de preuve. C'est la raison pour laquelle, il paraît judicieux de reprendre dans la loi la règle de la transmission spontanée de renseignements et d'éléments de preuve, qui figure à l'art. 67a EIMP et à l'art. 8 de l'arrêté fédéral. Même si cette règle fait défaut dans le Statut, elle n'en ouvre pas moins à la Cour d'intéressantes possibilités supplémentaires. L'intégration de cette disposition dans le chapitre relatif aux compétences poursuit simultanément un autre but. Le Statut ne prévoit pas la possibilité pour un Etat de déférer un cas concret à la Cour. Cette lacune a été voulue pour éviter que la Cour ne soit surchargée ou que l'on n'abuse de sa juridiction à des fins politiques. Toutefois, lorsque, dans le cadre d'une enquête, une autorité suisse parvient à la conclusion qu'il pourrait être dans l'intérêt de la justice internationale, de mener une procédure devant la Cour, elle peut, en lui transmettant spontanément des renseignements et des moyens de preuve, faire en sorte que le Procureur soit en mesure d'ouvrir sa propre enquête conformément à l'art. 15, al. 1, du Statut. La
transmission n'induisant pour la Cour aucune obligation d'engager une poursuite pénale, l'art. 7 de la loi ne viole en rien le Statut.

La jurisprudence n'a prohibé la transmission spontanée de renseignements et d'éléments de preuve que lorsqu'elle vise à éluder les conditions l'entraide judiciaire89. Toutefois, cette interdiction n'est pas d'importance dans le contexte qui nous occupe puisque l'entraide est accordée lorsque la Cour est compétente, et que cette compétence est soit déjà établi, soit les autorités suisses ont pour but de l'établir.

Renvoi d'une situation à la Cour (art. 9) Le renvoi d'une situation à la Cour par un Etat Partie est le pendant du renvoi par le Conseil de sécurité90. En l'occurrence, il s'agit d'une décision politique qui ressortit donc au Conseil fédéral. Quand bien même il s'agit d'un pur renvoi de procédure qui n'exige donc pas un exposé exhaustif de l'affaire, il semble judicieux de faire transiter la requête ad hoc par le service central, qui pourra ainsi parfaire ladite 88 89 90

ICTR, Trial Chamber 1, The Prosecutor v. Alfred Musema, ICTR-96-13-T, jugement du 27 janvier 2000.

ATF 125 II 356, en particulier cons. 12c.

Cf. ch. 2.3.3 ci-dessus à propos du déclenchement de la procédure.

427

requête, au besoin en collaboration avec les autres autorités concernées. On peut inférer de ce qui précède que le service central est également compétent pour suivre le traitement ultérieur de la demande (cf. art. 53, al. 3, let. a du Statut).

3.3.3.3

Correspondance avec la Cour

Forme et transmission des demandes de la Cour (art. 10) La règle de base statuée à l'art. 87, al. 1 et 2, du Statut est complétée par une norme reflétant la spécificité suisse, qui fixe les langues dans lesquelles les demandes doivent être rédigées ou traduites (al. 2) ainsi que par une disposition habilitant la Cour à transmettre ses demandes directement au service central (al. 1). Lorsque les demandes ont trait à des mesures provisionnelles, il est loisible de les transmettre ­ ce qui est déjà le cas aujourd'hui ­ par l'entremise d'Interpol. A signaler, toutefois, une nouveauté: la possibilité de recourir à tout moyen laissant une trace écrite (al. 3). A la lumière de cette définition, il est, par exemple, possible de transmettre la demande par courrier électronique (E-mail), la sécurité voulant toutefois que la demande soit confirmée ultérieurement par le canal normal. Cette innovation permettra de diffuser de manière informelle et rapidement les informations nécessaires dans les cas d'urgence. Le paragraphe 4 impose enfin au service central de communiquer l'irrecevabilité de la demande, notamment concernant les formes de coopération demandées (cf. art. 30) avant le rejet définitif de la demande (cf. art. 93, al. 5, du Statut).

Demandes émanant de la Suisse (art. 11) En principe, il est loisible aux autorités suisses de requérir la coopération de la Cour.

Toutefois celle-ci ne donne suite à de telles requêtes que dans la mesure où il s'agit de crimes graves au sens de l'art. 93, al. 10, let. a, du Statut. Cette condition a d'ailleurs été reprise dans la loi (al. 1). Cette possibilité revêt notamment de l'importance à la suite d'une décision reconnaissant la compétence de la Suisse, celle-ci disposant alors pour mener sa procédure de toutes les pièces recueillies par la Cour. Les exigences formelles auxquelles doivent satisfaire les demandes adressées par la Suisse sont identiques à celles qui valent pour les demandes de la Cour.

Elles doivent être rédigées ou traduites dans une des langues officielles de la Cour (al. 2). Afin d'éviter des pertes de temps, le service central renvoie les demandes aux autorités compétentes pour qu'elles y apportent les corrections nécessaires avant qu'il ne les transmette à la Cour. Il est loisible à la Cour d'assortir l'exécution des demandes de conditions qui,
conformément à l'al. 3, lient les autorités suisses. Dans ce contexte, on pense en premier lieu à la formulation d'une réserve de spécialité aux termes de laquelle les pièces ne peuvent être utilisées que dans le cadre de la procédure pénale ouverte pour crime grave.

Frais (art. 12) S'agissant de la répartition des frais entre la Cour et la Suisse, la loi (al. 1) reprend la règle figurant à l'art. 100 du Statut. Dans son ensemble, l'art. 14 correspond par analogie à la réglementation adoptée dans l'EIMP qui établit une distinction entre frais ordinaires et extraordinaires, seuls ces derniers étant à la charge de la Cour. La clause générale figurant à la lettre f permettra de facturer à la Cour des actes d'instruction parfois coûteux (écoutes téléphoniques/vidéoconférences). S'agissant des relations entre les cantons et la Confédération, la règle qui prévaut est celle 428

selon laquelle, en principe, seuls les frais de détention et ceux résultant de la désignation d'un défenseur d'office sont facturés. Pour ce faire, et c'est là une nouveauté, on prendra pour base le barème dont la Cour a convenu avec l'Etat-hôte pour l'indemnisation des frais de détention (al. 3).

3.3.3.4

Autres Dispositions

Transit (art. 13) Les conditions énumérées à l'art. 93, al. 3, du Statut qui ont été reprises à l'art, 9 de la loi correspondent à l'esprit de la réglementation prévue à l'art. 20a EIMP.

Compte tenu du rapport de confiance existant avec la Cour, rapport qui est à la base de la nouvelle loi, la Suisse n'exigera pas de demande de remise, mais autorisera le transit des détenus remis à la Cour même si celle-ci tarde à présenter les demandes y relatives. En cas d'atterrissage imprévu sur le territoire suisse toute autorité de police ou de poursuite pénale peut mettre en détention la personne à remettre à la Cour (al. 3).

Demandes concurrentes (art. 14) Compte tenu du fait que le Statut règle ce point de manière détaillée et claire et étant donné que la décision y relative ne revêt qu'une importance mineure pour les personnes concernées, il a été renoncé à réglementer dans les détails le cas des demandes concurrentes, une référence directe au Statut étant préférable. Si, en pareille occurrence, la Suisse a décidé d'accorder la priorité à la demande présentée par l'Etat et que cette demande est toutefois rejetée par la suite, la Suisse est tenue d'en aviser la Cour (al. 2). Cet avis est d'importance, car il permet au Procureur de demander à la Cour de reconsidérer sa décision d'irrecevabilité conformément à l'art. 19, al. 10, du Statut.

Indemnisation (art. 15) Cette disposition reprend, par analogie, la réglementation prévue à l'art. 15 EIMP.

Compte tenu de l'art. 85 du Statut, il importe cependant de préciser les choses, car l'indemnisation prévue par le droit national ne saurait avoir pour vocation de corriger les effets de la jurisprudence de la Cour. A noter que si la Cour a déjà statué sur l'octroi d'une indemnité, cette décision lie les tribunaux suisses.

3.3.4

Remise des personnes poursuivies ou condamnées par la Cour

La procédure de remise prévue est simple et rapide. Par ailleurs, elle est conforme aux exigences posées par le Statut, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, enfin la Convention européenne des droits de l'homme. La procédure comporte les trois étapes que sont la diffusion de la demande d'arrestation de la personne concernée (art. 18), l'arrestation et la mise en détention (art. 19 à 21), enfin la remise à la Cour (section 3). A la différence de ce qui vaut dans le domaine de l'extradition entre Etats, la personne arrêtée ne peut former recours que contre sa détention. Cette restriction s'impose à la lumière du Statut qui prévoit que l'Etat requis ne peut pas refuser de donner suite à une demande de remise dès lors que la 429

Cour s'est déclarée compétente. Elle est, toutefois, compensée par le fait que la personne à remettre peut contester la compétence de la Cour, ce qui entraîne par principe l'ajournement de la remise.

3.3.4.1

Conditions

Principe (art. 16) L'al. 1 établit le principe découlant du Statut, selon lequel toute personne doit être remise à la Cour s'il ressort de la demande que le crime pour lequel elle est poursuivie relève de la compétence de la Cour. En l'occurrence, l'exigence de la double punissabilité que l'on fait valoir d'ordinaire dans le cadre d'autres procédures d'entraide n'est pas déterminante puisqu'il s'agit de crimes particulièrement graves qui sont généralement reconnus comme tels. Quand bien même le Statut ne contient pas de disposition établissant l'obligation pour les Etats de légiférer sur ces crimes, il serait absurde qu'un Etat puisse se prévaloir de ce que de tels crimes ne sont pas punissables selon son droit national pour refuser la remise demandée par la Cour91.

Le principe est précisé à l'al. 2 qui dispose que l'exécution de la demande peut être ajournée lorsque la compétence de la Cour fait ou doit encore faire l'objet d'un examen. En pareille occurrence, le Procureur peut, conformément à l'art. 19, al. 8, let. c, du Statut demander à la Cour l'autorisation de prendre toutes les mesures visant à empêcher la fuite de la personne poursuivie. La contestation de la compétence de la Cour présuppose généralement une compétence concurrente, de sorte que la personne dont la remise est demandée se trouve d'ores et déjà en détention à des fins d'instruction, d'extradition ou d'exécution d'une peine, en vertu de la procédure menée sur le plan national. Il est donc de règle que la personne dont la remise est demandée reste en détention également durant l'ajournement de la demande.

L'al. 3 traite de la remise de citoyens suisses soupçonnés d'avoir commis un crime de génocide, un crime contre l'humanité ou un crime de guerre, ou d'avoir participé à l'un de ces crimes. Cet alinéa statue une exception au caractère plutôt théorique, puisque la Suisse à coutume de mener elle-même les procédures pénales contre ses ressortissants et qu'elle contesterait la compétence de la Cour (cf. art. 7) si celle-ci entendait conduire une procédure contre un citoyen suisse. La réglementation prévue s'inspire de la solution adoptée dans l'arrêté fédéral, selon laquelle un citoyen suisse ne peut être transféré à un tribunal ad hoc que si ce dernier donne la garantie qu'il sera restitué à la Suisse à l'issue de la procédure. Il
a fallu cependant légèrement modifier cette règle puisque le Statut fait obligation aux Etats Parties de donner suite, sans réserve aucune, aux demandes de remise de la Cour (art. 89, al. 1, en relation avec l'art. 120 du Statut). Le service central est toutefois tenu de demander à la Cour, en vertu de l'art. 53, al. 1, l'autorisation d'assurer l'exécution de la peine en Suisse. Les difficultés à trouver un Etat qui consente à assurer l'exécution de peines qu'ont éprouvées jusqu'ici les tribunaux ad hoc, permettent de penser que la Cour fera droit à de telles demandes, de sorte que, en définitive, la solution adoptée correspond à celle de l'arrêté fédéral (pour les aspects constitutionnels de cette question, cf. ch. 7). En cas de verdict d'acquittement prononcé à l'égard d'un ressortissant suisse, il y a lieu, par analogie à l'art. 37, al. 2, de demander un sauf-conduit pour lui permettre de rentrer en Suisse, cela afin d'éviter qu'il ne soit placé en détention, poursuivi ou extradé par l'Etat-hôte pour des infractions de droit commun.

91

430

Cf. ch. 2.8.2 ci-dessus.

Contenu de la demande et pièces justificatives (art. 17) L'art. 91 du Statut fixe les exigences minimales auxquelles doit satisfaire une demande de remise. Des exigences supplémentaires ne sont admissibles que dans la mesure où elles sont également posées dans le cadre de demandes d'extradition entre Etats. En conséquence, la liste reprise du Statut (al. 1 et 2) est complétée d'une disposition exigeant que la demande fasse ressortir les faits essentiels qui la motivent ainsi que les dispositions applicables du Statut. Les données exigées ­ reprises de l'art. 28 EIMP ­ qui permettent d'apprécier si la Cour est compétente sont toutefois restreintes si l'on tient compte du fait qu'elles doivent, de toute façon, figurer dans le mandat d'arrêt, conformément au Statut (art. 58, al. 3, let. b et c). Lorsque la demande de remise a trait à une personne déjà poursuivie, il y a lieu de mentionner, en sus, le motif pour lequel elle doit être arrêtée (art. 58, al. 1, let. b, du Statut: risque de collusion, de récidive ou de fuite). L'obligation de fournir cette information supplémentaire n'est pas non plus de nature à occasionner à la Cour de notables difficultés, puisque ladite information doit de toute façon ressortir de la requête que le Procureur adresse à la Chambre préliminaire (art. 58, al. 1 et 2, let. e, du Statut). Dans l'ensemble, les renseignements et pièces requis de la Cour correspondent à ce qui est ordinairement exigé en procédure suisse (art. 41 EIMP en liaison avec l'art. 28 EIMP). Ces données permettent au service central de répondre aux deux questions essentielles qui se posent dans le cadre d'une procédure de remise ­ s'agit-il de la bonne personne et peut-on ou doit-on contester la compétence de la Cour? ­ sans pour autant occasionner à la Cour d'insurmontables difficultés.

3.3.4.2

Détention aux fins de remise et saisie

Recherche, arrestation et saisie (art. 18) A titre de mesure conservatoire en prévision de la remise, la Cour peut demander l'arrestation d'une personne. Elle peut le faire par l'entremise d'Interpol et par tout moyen laissant une trace écrite (art. 10, al. 3). Les exigences auxquelles doit satisfaire une telle demande sont fixées par le Statut et reprises dans la loi. Les données requises ­ données personnelles (nom, date de naissance de la personne et lieu où elle se trouve probablement), exposé succinct des faits, déclaration attestant l'existence d'un mandat d'arrêt à l'encontre de la personne recherchée et déclaration certifiant qu'une demande de remise de la personne recherchée suivra ­ permettent au service central d'apprécier si les conditions d'une remise sont réunies et, dans l'affirmative, d'ordonner l'arrestation de la personne recherchée (al. 2). Lors de l'arrestation, les objets et valeurs qui peuvent servir de moyens de preuve sont saisis de même que ceux qui sont censés faire l'objet d'une confiscation ultérieure, sans qu'il soit nécessaire de rendre une ordonnance spéciale à cet effet (al. 3). Le service central est avisé de l'arrestation qui a eu lieu et à laquelle toute autorité de poursuite pénale ou de police de Suisse est appelée à procéder. Il doit en informer immédiatement la Cour en lui demandant de présenter une demande de remise dans le délai fixé à l'art. 21, al. 1 (al. 4).

Mandat d'arrêt aux fins de remise (art. 19) Cet article règle la délivrance, le contenu et la notification du mandat d'arrêt et les voies de droit auxquelles la personne peut recourir contre ledit mandat. Il est loisible au service central de décerner un mandat d'arrêt avant l'arrestation. Il peut égale431

ment le décerner après l'arrestation, mais dans les meilleurs délais (al. 1). Ce document indispensable pour permettre la mise en détention d'une personne en vue de sa remise, doit contenir, outre les données sur la personne, des informations sur ses droits ­ à savoir l'avis selon lequel la remise est demandée par la Cour ­, l'indication des voies de recours s'offrant à la personne arrêtée et la mention que celle-ci est habilitée à se faire assister d'un mandataire (al. 1, let. a à c). Le mandat d'arrêt aux fins de remise est notifié à la personne concernée par l'autorité d'exécution. Celle-ci établit si la personne arrêtée est bien celle dont le signalement figure dans le mandat, lui explique la procédure suivie et l'entend brièvement sur sa situation personnelle ainsi que sur ses éventuelles objections à l'exécution du mandat d'arrêt et de la remise (al. 3). L'octroi du droit d'être entendu lors de la notification du mandat d'arrêt est conforme à la pratique actuelle et garantit également que les droits de la personne arrêtée au sens des art. 59, al. 2 et 67, du Statut sont respectés par analogie. Lorsque le service central prononce une autre mesure que la détention, il invite la Cour, par analogie avec l'art. 59, al. 5, du Statut, à lui faire part de ses recommandations à ce sujet et prend en considération lesdites recommandations dans sa décision (al. 1, cf.

aussi art. 20, al. 2). La personne arrêtée peut former recours contre le mandat d'arrêt aux fins de remise et, partant, contre sa détention, devant le Tribunal fédéral (al. 4).

La référence aux dispositions pertinentes de la loi sur la procédure pénale, référence que l'on trouve également à l'art. 48 EIMP, sert à régler le déroulement de la procédure de recours contre une détention.

Détention aux fins de remise (art. 20) La règle est que la personne faisant l'objet de la demande de remise est maintenue en détention durant toute la procédure (al. 1). Le libellé clair de cette disposition est conforme à l'art. 59 du Statut qui ne prévoit la mise en liberté provisoire dans l'état de détention que si l'urgence ou des circonstances exceptionnelles le justifient. En effet, lorsqu'une personne est recherchée pour des crimes aussi graves que ceux qui relèvent de la juridiction de la Cour, on ne peut guère exclure qu'elle cherchera à prendre la
fuite, raison qui motive sa détention. Cela est d'autant plus plausible qu'une personne dont la Cour a demandé la remise n'a guère de possibilités d'échapper à cette remise.

Néanmoins, il est possible de lever la détention dans des circonstances exceptionnelles. Par là, nous entendons, par exemple, le fait que la personne arrêtée n'est pas en mesure d'être placée en détention (art. 19, al. 2). En pareil cas, la personne détenue peut présenter une demande de mise en liberté provisoire. Le service central communique rapidement cette demande à la Cour en lui impartissant un bref délai pour lui faire part de ses recommandations au sens de l'art. 59, al. 5, du Statut, de telle sorte que le droit de la personne détenue à une procédure rapide puisse être respecté.

L'al. 3 règle la situation juridique d'une personne qui se trouve en détention en vertu d'une autre procédure. En pareil cas, on doit se demander quels effets le dernier mandat d'arrêt produit par rapport à l'ancien. La règle de base qui s'applique en l'occurrence est que le mandat d'arrêt aux fins de remise prime. Les effets concrets de cette règle sont définis dans l'alinéa susmentionné: en principe, les autorités compétentes au titre du premier mandat d'arrestation ne peuvent plus prendre de décisions qui peuvent influer sur la procédure de remise ni même exiger le contrôle de la correspondance (y compris des messages électroniques et des communications téléphoniques) qu'avec l'accord du service central. Bien entendu, la loi n'exclut 432

nullement que le mandat d'arrestation aux fins de remise produise d'autres effets encore, si cela répond à la demande de la Cour. La pratique adoptée par les tribunaux ad hoc92 permet d'inférer que la Cour peut avoir un intérêt éminent à ce que la durée de la détention soit intégralement imputée sur sa procédure.

Elargissement (art. 21) Si, à l'expiration d'un délai de soixante jours à compter de l'arrestation ou de l'incarcération aux fins de remise (al. 2), la Cour n'a pas fait parvenir de demande de remise au sens de l'art. 20, al. 3, la personne concernée doit être élargie immédiatement et sans conditions (al. 1). Ce délai a été repris du Règlement de procédure et de preuve applicable par la Cour. Il est identique avec celui que prévoit, par exemple, le traité d'extradition conclut avec les Etats-Unis d'Amérique93. Comme la Suisse a prévu une procédure simple, on peut partir de l'idée que la Cour n'utilisera pas la totalité du délai de 60 jours. Si tel devait être cependant le cas et que la personne en détention doive alors être élargie, rien n'exclut que cette personne soit maintenue en détention aux fins d'instruction, d'extradition ou d'exécution d'une peine en vertu d'une autre procédure ou soit ultérieurement arrêtée et remise à la Cour dès lors que celle-ci aura fait parvenir une demande ultérieure (al. 3).

La référence figurant à l'al. 4 permet, en cas d'élargissement, de prendre, conformément à l'art. 18, al. 2, ou à l'art. 19, al. 2, d'autres mesures de sûreté visant à garantir que la personne concernée ne prenne pas la fuite et se tienne à disposition en vue de l'exécution de la procédure de remise.

3.3.4.3

Décision de remise

Droit d'être entendu (art. 22) La personne dont la remise a été demandée a le droit d'exiger que la demande de la Cour et les pièces à l'appui soient présentées à elle-même ou à son mandataire (al. 1). L'autorité chargée de l'exécution est, en outre, tenue de l'informer de ses droits de contester la compétence de la Cour, de se faire assister par le mandataire de son choix ou de demander l'assistance judiciaire, ainsi que de lui demander si elle consent à la procédure de remise simplifiée (al. 2). L'octroi de l'assistance judiciaire relève de la compétence du service central (art. 3, al. 2, let. d). En règle générale, on peut supposer que celui-ci l'accordera si la personne concernée conteste sa détention ou la compétence de la Cour. Enfin, la personne arrêtée sera entendue, éventuellement en présence de son mandataire, sur sa situation personnelle et sur les objections qu'elle a à formuler à sa remise (al. 3). Ses déclarations seront consignées dans un procès-verbal. L'autorité chargée de l'exécution transmet le procès-verbal au service central pour lui permettre de prendre la décision de remise conformément à l'art. 24. Si le service central est en possession de la demande de remise au moment où la personne est arrêtée, il peut ordonner que cette dernière soit entendue sur cette demande. Cette manière de faire vise non seulement à garantir le respect du droit d'être entendu selon l'art. 19, al. 3 et l'art. 22, mais encore à rationaliser la procédure (cf. art. 14 de l'arrêté fédéral).

92 93

ICTR, Appeal Chamber, Jean-Bosco Barayagwiza v. The Prosecutor, ICTR-97-19 , jugement du 3 novembre 1999.

RS 0.353.933.6, art. 13, al. 4.

433

Remise simplifiée (art. 23) La personne arrêtée peut renoncer à la procédure ordinaire de remise en donnant son consentement à celle-ci (al. 1; cf. art. 92, al. 3, du Statut). Elle peut révoquer sa renonciation tant que le service central n'a pas autorisé la remise (al. 3). Ces deux dispositions ont été reprises de l'art. 54 EIMP dont l'application a donné satisfaction. On sait, par expérience, qu'une personne consent à son transfèrement lorsqu'elle a pris conscience du fait que l'extradition dont elle fait l'objet est inévitable.

Compte tenu de cette expérience, il semble judicieux d'adopter une disposition analogue précisément en matière de remise, puisque la Suisse fera droit aux demandes de la Cour en la matière, à de rares exceptions près.

En règle générale, la renonciation à la procédure ordinaire rend superflue la demande de remise de la Cour, car le service central n'a plus à statuer. Dans le cas d'une remise simplifiée, il peut toutefois continuer d'exiger une telle demande. Il le fera ­ encore qu'exceptionnellement ­ notamment lorsqu'il sera amené à examiner l'opportunité de contester la compétence de la Cour, parce que, par exemple, les victimes résidant en Suisse, il considère que leurs intérêts seront mieux préservés si la procédure est menée par les autorités suisses.

Autorisation de remise (art. 24) Lorsque les pièces jointes exigées à l'art. 17 sont disponibles et que la personne dont la remise est demandée a été entendue, la Cour autorise la remise (al. 1). Cette décision est ajournée, si la compétence de la Cour est contestée (al. 2)94. En pareille occurrence, le service central peut informer la personne concernée qu'elle peut faire l'objet d'une remise temporaire, conformément à l'art. 26, pour lui permettre de faire valoir ses droits directement devant la Cour. L'art. 24 ne règle que le cas de contestation par le service central ou par la personne dont la remise est demandée.

En revanche, si un Etat tiers conteste la compétence de la Cour, le cas doit être résolu à la lumière de l'art. 14 (demandes concurrentes). Il n'est, en effet, pas concevable que l'Etat tiers revendique la primauté de sa juridiction nationale sur celle de la Cour sans avoir simultanément demandé l'extradition de la personne concernée.

En même temps qu'elle statue sur la remise de la personne concernée,
le service central décide de la remise des objets ou valeurs qui ont été saisis chez elle conformément à l'art.18, al. 3. Les droits que pourraient faire valoir des tiers de bonne foi sur ces objets ou valeurs sont préservés, puisque la remise de ceux-ci à la Cour est subordonnée à la condition que cette dernière donne la garantie qu'ils seront restitués au terme de la procédure (al. 3). En pareil cas, il est loisible à la Cour de présenter une demande de remise des objets et valeurs saisis. Cette demande sera toutefois appréciée à la lumière de l'art. 40.

Exécution (art. 25) La personne dont la remise a été demandée n'a aucun moyen d'attaquer la décision de remise, ce qui se justifie compte tenu des conditions-cadre définies par le Statut.

A ce stade de la procédure en effet, la personne concernée n'est en mesure de faire valoir aucun motif qui permette d'ajourner la remise ou y fasse obstacle, de sorte que si elle pouvait user d'un moyen de droit elle ne ferait que faire perdre du temps 94

434

A ce sujet, cf. également art. 89, al. 2, et 19, al. 7, du Statut.

à tous les intéressés. Il résulte de ce qui précède que la décision du service central a force exécutoire directe, ce qui est conforme à l'art. 59, al. 7, du Statut (al. 1).

L'exécution peut être ajournée d'entente avec la Cour lorsque la personne concernée est poursuivie en Suisse pour d'autres infractions ou y purge encore une peine privative de liberté (al. 2). Cette disposition reprise du Statut garantit également la prise en considération des intérêts des autorités suisses de poursuite pénale. Les procédures qui sont proches de leur terme peuvent ainsi être closes avant la remise. Si la personne concernée purge une peine d'une assez longue durée, la solution peut être fournie par l'art. 26, à savoir la remise temporaire. Il va de soi que lorsque la remise est refusée, la détention doit être levée puisque sa raison d'être devient caduque (al.

3). Toutefois, comme cette situation se produira notamment lorsque la Cour se sera déclarée incompétente ­ décision qui, en règle générale, présuppose une compétence concurrente d'un Etat ­, elle n'aura pas d'incidence sur la détention à des fins d'instruction, d'exécution d'une peine ou d'extradition, liée à cette dernière compétence.

Transfèrement temporaire (art. 26) Cet article qui reprend une règle éprouvée de l'EIMP, résout du même coup un cas particulier dans les rapports avec la Cour. La remise temporaire réglée à l'art. 58 EIMP ne concerne toutefois qu'une personne poursuivie en Suisse pour infraction pénale ou y purgeant une peine. Dans les rapports avec la Cour, cette norme a cependant été complétée de manière à permettre également le transfèrement temporaire d'une personne dont la remise a été ajournée parce que la compétence de la Cour a été contestée. En pareille occurrence toutefois, l'accord de la personne concernée est requis, puisqu'à ce stade de la procédure sa remise n'a pas encore été autorisée (al. 1). Si la personne demande elle-même sa remise temporaire, par exemple pour pouvoir mieux défendre ses droits dans le cadre de l'action en contestation de la compétence de la Cour, cette demande peut être assimilée à un accord. Les points dont il faut s'assurer avec la Cour avant la remise temporaire (al. 2: durée de la mise à contribution de la personne par la Cour, imputation de cette durée, restitution de la personne à l'issue de la
procédure) répondent aux besoins de la pratique. Si la compétence de la Cour est admise, le service central peut prendre la décision de remise et renoncer à demander la restitution de la personne concernée.

Principe de la spécialité (art. 27) L'art. 26 traite de l'un des principes essentiels qui régissent l'extradition entre Etats.

Il vise à empêcher qu'une personne soit condamnée pour des délits pour lesquels l'extradition ne serait pas admissible. Lors de l'élaboration du Statut, on a prévu une clause (art. 101) qui interdit de poursuivre pénalement une personne pour d'autres comportements que ceux qui ont motivé sa remise. Si la Cour entend néanmoins engager une procédure contre la personne concernée pour d'autres comportements, elle doit requérir le consentement de l'Etat qui lui a remis la personne. En relation avec la Cour, la règle de la spécialité n'a pas d'utilité pour la Suisse: elle est tenue de remettre une personne lorsque la compétence de la Cour à raison des faits est établie, ce qui, selon le Statut, ne peut valoir que pour les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale. En faisant droit à une demande de remise présentée par la Cour, la Suisse reconnaît donc du même coup la compétence de celle-ci. Il est donc superflu d'exiger de la Cour qu'elle présente une nouvelle demande. Celle-ci constituerait en effet une formalité inutile. On peut en conclure que la règle de la spécialité n'est pas applicable dans le cadre de la procédure de remise. Ce constat souligne également la confiance que la Suisse a placée 435

dans la Cour, confiance qu'elle avait du reste déjà accordée aux deux tribunaux ad hoc (cf. ch. 221.1. du message à l'appui de l'arrêté fédéral).

Frais (art. 28) Cette disposition qui correspond à l'art. 62, al. 2 EIMP, permet au service central d'affecter les biens de la personne remise à la couverture des frais occasionnés à la Suisse. Une telle affectation n'est, naturellement, possible qu'à la condition que l'utilisation de ces biens ne soit pas réglée par la Cour.

3.3.5

Autres formes de coopération

En ce qui concerne les autres formes de coopération, la procédure est caractérisée par une centralisation poussée. Il ressort de la section 1 qui fixe les conditions qui doivent être réunies pour que la coopération soit accordée, que la Suisse est tenue de prêter pleinement son assistance à la Cour lorsque la compétence de celle-ci est établie. La section 2 traite des dispositions particulières relatives aux différentes formes de coopération, qui exigent une réglementation détaillée. Il a été sciemment renoncé à prévoir de nouveaux instruments (p. ex. les vidéoconférences) afin d'éviter des incompatibilités avec la réglementation future de la Cour. Les sections 3 et 4 règlent la procédure et les voies de recours. A l'instar de ce qui vaut dans le cadre de la procédure de remise, les voies de recours, s'agissant des autres formes de coopération, sont également restreintes. Dans ce contexte, on établit une distinction fondamentale entre les personnes impliquées dans une procédure menée par la Cour, qui n'ont pas de moyens de recours, et les autres, qui ont qualité pour recourir contre la décision finale du service central.

3.3.5.1

Conditions

Principe (art. 29) A l'instar de la règle qui vaut à l'égard de la remise, il est fait droit à la demande d'entraide de la Cour si les faits en question relèvent de sa compétence (al. 1). De même, en cas de contestation de la compétence de la Cour, l'exécution de la demande peut être ajournée, ce qui ne remet toutefois pas en cause les mesures conservatoires prises en vue de cette exécution (al. 2). Cette réglementation est conforme à celle des dispositions du Statut (art. 18, al. 6, et art. 19, al. 8) qui prévoient qu'en pareille situation le Procureur peut demander l'autorisation de prendre les mesures d'enquête nécessaires pour préserver les éléments de preuve. De telles mesures sont également pertinentes parce que la contestation de la compétence de la Cour implique généralement une compétence concurrente que fait valoir simultanément un Etat. Ainsi donc, si la Cour devait, en définitive, se déclarer incompétente, les éléments de preuve recueillis seront réutilisés dans le cadre de l'autre procédure.

Formes de coopération (art. 30) Un clause générale calquée sur l'art. 93, al. 1, let. l, du Statut décrit les formes de coopération possibles. Elles comprennent tout acte de procédure admis en droit suisse. Il convient tout d'abord de relever que l'expression «acte de procédure» a été reprise du Statut de sorte que la doctrine de la Cour est déterminante pour la qualification juridique d'un tel acte. La clause générale doit également être interprétée à 436

la lumière de l'art. 93, al. 3, du Statut, ce qui signifie que l'exécution d'une mesure de coopération ne peut être refusée que si elle est interdite dans l'Etat requis en vertu d'un principe juridique fondamental d'application générale. En cas de doute sur ce point, il y a lieu de procéder à des consultations avec la Cour, conformément à l'art. 4, let. a.

La liste des formes de coopération qui figure à l'al. 3 comprend les actes essentiels qui ont cours en matière d'entraide judiciaire entre Etats, par exemple l'interrogatoire (art. 34 et 35), la saisie (art. 40 et 41) ou encore les investigations sur les lieux de crimes. Conformément au désir manifesté par la Cour, cette liste comporte aussi la protection des victimes et des témoins, protection qui, précisément dans le cas de crimes contre l'humanité, revêt une importance éminente. Cette liste n'est pas exhaustive. Elle ne peut d'ailleurs l'être, puisque les moyens techniques utilisés aux fins de la coopération sont en constante évolution. Ainsi, par exemple, les écoutes téléphoniques ou les vidéoconférences prennent aujourd'hui de plus en plus d'ampleur dans ce contexte.

Mesures provisoires (art. 31) Les larges garanties dont la procédure devant la Cour est assortie présentent aussi le risque de restreindre temporairement ou d'ajourner l'exercice par le Procureur de son pouvoir d'instruction. Afin d'éviter que les éléments de preuve et, partant, l'ensemble de la procédure soient ainsi mis en péril, le Procureur peut demander l'autorisation de prendre les mesures conservatoires nécessaires (art. 18, al. 6 et art. 19, al. 8, du Statut). En ce sens, de telles mesures revêtent une importance certaine, puisqu'elles permettent d'empêcher la disparition ou la destruction volontaire d'éléments de preuve. C'est pourquoi l'al. 2 confère au service central la compétence d'ordonner de telles mesures dès l'annonce d'une demande d'assistance. En pareille cas, il impartit à la Cour un délai pour présenter une demande en bonne et due forme. Les mesures conservatoires ne sont pas sujettes à recours. Elles peuvent cependant être examinées par le Tribunal fédéral dans le cadre d'un recours contre la décision finale du service central.

Respect des règles de procédure indiquées par la Cour (art. 32) La phrase introductive de cet article est une clause générale
reprise de l'art. 99, al. 1, du Statut: à la demande de la Cour, l'assistance est accordée en les formes prescrites par celle-ci. Point n'est besoin d'exclure expressément ici les actes de procédure interdits par le droit suisse, puisque cette exclusion est assurée par l'art. 30. Les formes applicables à la procédure, définies aux let. a, b et d, visent à garantir une conformité aussi parfaite que possible des éléments de preuve avec les exigences posées par le Statut. La confirmation des déclarations des témoins est le résultat d'un compromis entre les exigences formelles strictes imposées par le droit anglosaxon et l'absence ou presque de telles exigences dans le système juridique qui est le nôtre. Ce compromis permettra au service central de procéder lui-même à la certification de conformité desdites déclarations, de sorte que le respect de cette exigence formelle ne devrait pas se traduire par un allongement de la procédure. La protection des victimes statuée à la lettre c correspond à une tâche primordiale de la Cour (art. 68 du Statut): il faut éviter qu'un criminel puni soit néanmoins en mesure de mettre en péril la sécurité ou le bien-être physique et psychique des victimes. La protection des victimes et des témoins garantie par la Cour doit aussi être assurée sur le territoire des Etats, à défaut de quoi cette protection serait vidée de sa substance.

437

Les mesures de protection prévues par la Cour peuvent être directement appliquées en Suisse. Ces frais sont, selon l'art. 100, al. 1, let. a, du Statut (cf. art. 12, al. 1, let.

a) à la charge de la Cour.

Transmission d'éléments de preuve à un autre Etat (art. 33) Cet article, qui régit un aspect partiel de la règle de la spécialité, détermine la mesure dans laquelle la Cour peut transmettre à un autre Etat les éléments recueillis à la faveur d'une coopération avec un Etat. La transmission de tels résultats à un autre Etat qui est prévue à l'art. 93, al. 10, du Statut, constitue, à vrai dire, une forme particulière de réutilisation. La transmission à un autre Etat d'éléments résultant de l'assistance prêtée par la Suisse n'est admissible qu'à la condition que l'Etat tiers qui la demande mène une instruction ou une procédure pour un comportement qui réunit les éléments constitutifs d'un crime défini aux art. 5 à 8 du Statut ou d'un crime grave au regard du droit national de l'Etat requérant. L'art. 31 distingue également les deux cas de figure suivants: lorsque l'instruction ou la procédure a trait à l'un des crimes relevant de la juridiction de la Cour conformément au Statut, il est concevable de donner suite à la demande de transmission, si l'Etat tiers qui a contesté avec succès la compétence de la Cour entend réutiliser dans le cadre de sa propre procédure les éléments de preuve fournis à celle-ci par la Suisse. Une telle demande sera exécutée conformément aux dispositions de la nouvelle loi (let. a). Il serait, en effet, absurde que la Suisse dût mener une procédure d'entraide selon les dispositions plus restrictives de l'EIMP, puisqu'en cas de refus de l'entraide judiciaire, la décision de la Cour de reconnaître la compétence de l'Etat tiers serait remise en cause. Toutefois, il sied de procéder selon l'EIMP si la demande de transmission fait ressortir qu'il s'agit d'un crime grave au regard du droit interne de l'Etat requérant (let. b). En pareille occurrence, il ne se justifie pas d'appliquer la réglementation de faveur, de sorte qu'il convient d'en revenir à la procédure normale définie par l'EIMP. La Suisse peut interdire à la Cour de transmettre les résultats en question à l'Etat requérant si, en cas de demande adressée par cet Etat à la Suisse, l'une des conditions posées par l'EIMP
n'était pas réalisée. On évite ainsi que des prestations d'entraide soient obtenues par le canal de la Cour alors qu'elles ne pourraient l'être de la part de la Suisse en vertu de son droit interne.

3.3.5.2

Dispositions particulières relatives aux différentes formes de coopération

Principes régissant l'interrogatoire (art. 34)/Interrogatoire d'une personne soupçonnée d'avoir commis un crime (art. 35) Dans le cadre de l'administration de la preuve, l'interrogatoire joue un rôle fondamental. Il est d'ailleurs réglé dans les détails à l'art. 55 du Statut qui établit une distinction entre l'interrogatoire des personnes soupçonnées et l'interrogatoire des autres personnes. Ce n'est, en effet, que dans le premier cas que la personne concernée bénéficie de droits de la défense. Cette distinction est mise en relief par la nouvelle loi qui comprend un article qui définit les règles applicables à tout interrogatoire et un autre qui s'applique spécifiquement à l'interrogatoire de personnes soupçonnées d'avoir commis un crime.

L'art. 32 reprend tout d'abord le principe établi par le Statut selon lequel toute personne doit être interrogée dans une langue qu'elle comprend (al. 1). Le critère de la 438

compréhension est toutefois sujet à interprétation. Le Statut se bornant à faire référence aux exigences de l'équité, il est impossible de déterminer avec certitude les exigences auxquelles doit satisfaire un interrogatoire s'agissant de la langue dans laquelle la personne doit être interrogée. Seule l'évolution de la jurisprudence de la Cour montrera quelles exigences il y a lieu de poser concrètement. C'est la raison pour laquelle le critère du Statut a été repris tel quel. Le suivi de la jurisprudence incombera au service central qui, sur cette base, devra déterminer quand il est nécessaire d'assurer un service d'interprétation et de traduction.

L'al. 2 énumère les motifs pour lesquels la personne interrogée peut refuser de déposer. D'abord, elle peut le faire en tout temps, lorsque sa déposition lui porterait préjudice. Si cette disposition relève du truisme, il n'a, en revanche, pas été possible, en raison des différences de conception juridique, de définir dans le Statut les personnes unies à la personne interrogée par des liens de parenté ou d'une autre nature, auxquelles la déposition pourrait porter préjudice. Ce point a toutefois été précisé dans le Règlement de procédure et de preuve auquel la loi fait référence95.

Le second motif pouvant être invoqué est celui de la confidentialité des informations touchant à la sécurité nationale, motif qui peut être soulevé également par une personne qui doit être interrogée en vertu de l'art. 72, al. 2, du Statut. Cette dernière disposition précise cependant que le bien-fondé du motif invoqué doit être confirmé par l'Etat concerné, ce qui revient à dire que cette objection appartient en dernier lieu à l'Etat et non à l'individu. Dans ces conditions, le service central peut autoriser la poursuite de l'interrogatoire. A la suite de celui-ci, il est, bien entendu, loisible au Conseil fédéral de refuser la coopération demandée, en se prévalant de l'art. 44.

Avant son interrogatoire, toute personne soupçonnée doit être informée des soupçons qui pèsent sur elle, ainsi que de ses droits (art. 35). Si elle demande l'assistance judiciaire, l'autorité chargée de l'exécution requiert de l'autorité centrale une décision à ce sujet, au sens de l'art. 3, al. 2, let. d. En cas de doute, le service central consulte la Cour, puisque le fait de commettre un avocat
d'office a également des incidences sur la procédure conduite par celle-ci.

Notification des actes de procédure (art. 36) et citation à comparaître (art. 37) Ainsi que cela est déjà prévu à l'art. 23 de l'arrêté fédéral, la Cour doit avoir la possibilité de notifier ses actes de procédure directement à leur destinataire en Suisse, par la voie postale. Cette faculté donnée à la Cour permet d'accélérer la notification. Par ailleurs, l'instance internationale a ainsi un contrôle du respect des délais qu'elle fixe. Il s'agit là d'une faculté offerte à la Cour. Libre à elle, toutefois, de notifier ses actes par l'entremise du service central.

La citation à comparaître d'un témoin ou d'un expert fait l'objet d'une réglementation spécifique, car elle doit satisfaire à des exigences bien déterminées. Elle doit être rédigée dans une langue que comprend la personne concernée et être accompagnée d'une copie de la norme de procédure de la Cour concernant l'autoincrimination96 (art. 37, al. 1). Cette règle permet à la Cour d'engager une personne à déposer quand bien même elle s'expose ainsi à une sanction pénale, en lui promettant, en échange, qu'elle ne sera pas poursuivie pour les faits qu'elle aura divul95

96

Texte final du projet de Règlement de procédure et de preuve, Rapport de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale du 30 juin 2000, Nations Unies, document PCNICC/2000/INF/3/Add. 1, Règle 75.

Ibidem, Règle 190 en relation avec Règle 74.

439

gués. En Suisse précisément, où l'on ne connaît pas une telle possibilité, il est important d'attirer l'attention des personnes citées à comparaître sur cette possibilité.

Une personne citée à comparaître ne peut être contrainte de se présenter devant la Cour. Elle peut requérir du service central qu'il demande à la Cour la garantie qu'elle lui accordera un sauf-conduit (art. 37 al. 2).

Actes d'instruction sur territoire suisse (art. 38) D'emblée, il est patent que cette forme de coopération qui a déjà été explicitée dans les détails (ch. 2.8.2) est réglée de manière plus stricte dans le Statut que ce n'était le cas à l'art. 22 de l'arrêté fédéral. Conformément au Statut (art. 99, al. 4), en effet, la Cour ne peut procéder qu'aux actes d'instruction qui n'impliquent pas de mesures de contrainte. Comme, toutefois, la définition des mesures de contrainte donne lieu à des divergences de vues, le fait de faire référence au Statut permet de n'exclure que les acte d'instruction qui, selon la doctrine de la Cour, doivent être qualifiés de mesures de contrainte. Il est donc concevable que le Procureur continue à procéder à des actes d'instruction considérés comme des mesures de contrainte par le droit suisse (audition de témoins).

Un point est nouveau: le service central pourra délivrer lui-même l'autorisation nécessaire au Procureur. Cette innovation s'est imposée à la lumière des expériences faites avec les deux tribunaux ad hoc, expérience dont il ressort que, compte tenu des intérêts touchés, l'octroi de l'autorisation sur la proposition de l'Office fédéral relevait de la pure formalité. Ceci sera encore plus marqué dans le cadre de l'application du Statut puisque, en ratifiant celui-ci, la Suisse s'est engagée à accorder cette forme de coopération.

Transfèrement temporaire de détenus (art. 39) A la différence de l'art. 26, l'art. 36 porte sur la remise de personnes non inculpées par la Cour. Les conditions fixées à l'art. 93, al. 7, du Statut et reprises dans la loi, qui doivent être réunies pour que cette remise puisse avoir lieu, correspondent à celles qui sont prévues à l'art. 70 EIMP: la Cour doit accorder un sauf-conduit, maintenir la personne en détention et donner la garantie que cette personne sera restituée à la Suisse dès que l'objectif de la remise aura été atteint (al. 2). Comme la
personne à remettre doit pouvoir donner son consentement ­ là encore indispensable ­ en toute connaissance de cause, il importe de lui présenter les mêmes informations et pièces que celles qui sont notifiées à la personne citée à comparaître, conformément à l'art. 37.

Transmission d'éléments de preuve (art. 40) Cet article est conforme à la pratique actuelle en matière d'entraide judiciaire (cf.

art. 74 EIMP). Il en résulte qu'en principe la Suisse doit remettre à la Cour tous les objets, documents ou valeurs saisis à titre probatoire (al. 1). Si une personne non inculpée fait, toutefois, valoir qu'elle a acquis de bonne foi des droits sur ces objets, documents ou valeurs, ses droits sont protégés à titre conservatoire. En pareil cas, la remise est toutefois subordonnée à la condition que la Cour donne la garantie qu'elle restituera ceux-ci gratuitement (al. 2). Enfin, la remise peut être reportée si les mêmes pièces à conviction sont nécessaires dans le cadre d'une procédure pénale pendante en Suisse (al. 3). Dans ce cas, le service central doit convenir d'un délai avec la Cour.

440

Transmission à des fins de confiscation, d'affectation au Fonds au profit des victimes ou de restitution (art. 41) Cette disposition, également, est conforme à la pratique actuelle en matière d'entraide judiciaire (cf. art. 74a EIMP). Elle permet de remettre à la Cour aux fins de confiscation ou de restitution tous les objets et valeurs saisis qui sont en rapport avec un crime relevant de la compétence de la Cour, les valeurs de remplacement devant également être remises (al. 2). A noter une particularité mineure statuée à l'al. 1: les objets ou valeurs saisis peuvent également être affectés au Fonds des victimes. La remise peut avoir lieu en tout temps. A cet égard, il convient, cependant, de relever que les objets ou valeurs seront retenus en Suisse si le lésé, une autorité ou un tiers de bonne foi fait valoir des droits sur eux (al. 4). En règle générale, les objets ou valeurs saisis le demeurent jusqu'à ce qu'ils aient été remis à la Cour, que la Cour communique au service central qu'elle renonce à leur remise (al. 3) ou encore que le bien-fondé des prétentions élevées par un ayant droit au sens de l'al. 4 ait été reconnu (al. 5).

3.3.5.3

Procédure

Contenu de la demande (art. 42) L'art. 96, al. 2, du Statut contient la liste des éléments que doit comporter la demande, l'Etat requis pouvant, au besoin, exiger des informations supplémentaires.

Comme les éléments prescrits par le Statut sont suffisants pour permettre au service central d'analyser la situation juridique dans le cas d'espèce, il est superflu d'exiger d'autres données ou documents (al. 1). La liste prévoit tout d'abord l'exposé des faits de même que des renseignements aussi précis et complets que possible sur la personne contre laquelle la procédure est dirigée. Ce sont ces informations qui permettent au service central de déterminer la compétence de la Cour. Ensuite, la demande doit comporter un exposé succinct de son objet, définir la nature de la mesure demandée et contenir, éventuellement, des renseignements aussi précis que possible sur l'identification et le lieu de séjour ou de résidence de la personne et sur la procédure à respecter. Ces derniers éléments permettent d'accorder concrètement la coopération demandée. Comme le veut l'usage en matière d'entraide judiciaire, la Partie requise peut demander à la Partie requérante de compléter sa demande, exigence qui n'empêche toutefois pas de prendre des mesures provisionnelles (al. 2).

Entrée en matière et exécution (art. 43) En vertu de la répartition des tâches ­ inspirée de l'art. 79a EIMP ­ entre le service central et les autorités chargées de l'exécution (art. 3 et 5), le service central statue pleinement sur l'octroi de la coopération demandée et ordonne les mesures d'exécution nécessaires (al. 1). Ce faisant, il peut prendre en compte les enquêtes ou poursuites pénales qui se déroulent en Suisse dans d'autres affaires et ajourner l'exécution de la demande en conséquence (al. 2). Toutefois, il ne peut décider d'un tel report qu'avec le consentement de la Cour qui, de son côté, peut exiger des mesures conservatoires (art. 94 du Statut). La décision d'entrée en matière du service central n'est pas sujette à recours. Toutefois les ordonnances prises par celui-ci en application de cette décision peuvent être examinées dans le cadre d'une éventuelle procédure de recours contre la décision finale.

441

Sécurité nationale (art. 44) Le risque d'atteinte à la sécurité nationale est le seul motif de refuser la coopération admis par le Statut (cf. ch. 2.8.3). Lorsque le service central, dans le cadre de l'examen de la demande, constate qu'il y a des raisons sérieuses de penser qu'un tel risque existe, il doit, avant de prendre sa décision, mener des consultations avec la Cour (art. 4, let. b) afin de convenir avec elle d'une solution permettant d'accorder la coopération demandée sans compromettre la sécurité nationale. En cas d'échec de ces consultations, le service central avise le Département (al. 1). Celui-ci soumet une proposition ad hoc au Conseil fédéral, lorsqu'il parvient à la conclusion que l'exécution de la demande compromettrait effectivement la sécurité nationale. Simultanément, le Département peut suspendre tous les actes nécessaires à l'exécution de la demande, de manière à restreindre le risque qui se fait jour dès le stade de la collecte des pièces demandées (al. 2). Non seulement eu égard aux intérêts nationaux touchés mais encore à l'esprit du Statut, seul le Conseil fédéral peut trancher en l'occurrence (al. 3), car la divergence de vues avec la Cour peut amener celle-ci à en référer à l'Assemblée des Etats Parties ou au Conseil de sécurité, conformément à l'art. 87, al. 7, du Statut.

Notification des décisions (art. 45) Afin que les personnes auxquelles la procédure suisse reconnaît des droits puissent préserver ceux-ci, les autorités doivent leur notifier toutes les décisions et ordonnances arrêtées dans le cadre de la procédure de coopération (al. 1). L'al. 2 constitue, en quelque sorte, une précision par rapport à la règle de base que nous venons d'évoquer. En effet, il ne serait guère judicieux de notifier une décision dans le cadre d'une procédure où le destinataire n'a plus de voies de recours. L'obligation de notifier les décisions ne vaut ­ et c'est là une restriction supplémentaire ­ qu'à l'égard des ayants droit qui résident en Suisse ou y ont élu domicile.

Participation à la procédure et consultation du dossier (art. 46) Aux termes de l'al. 1, les personnes pouvant participer à la procédure sont celles qui, en Suisse, sont directement et personnellement touchées par les mesures de coopération (cf. art. 50) et celles qui ont qualité de partie dans le cadre de la procédure
devant la Cour. Leur participation peut, cependant, être limitée lorsque la sauvegarde d'intérêts supérieurs déterminés l'exige (al. 2). Les deux motifs de limitation prévus aux lettres a et b découlent des intérêts que la Cour doit sauvegarder dans la cadre de sa procédure. La Cour les fera donc valoir dans sa demande. Dans ce contexte, il y a lieu de songer à la protection des intérêts des victimes. Il peut arriver, en outre, que le caractère d'urgence que revêt une mesure empêche de garantir pleinement la participation des ayants droit à la procédure. En pareille occurrence, l'intérêt à l'exécution de la demande de coopération prévaut (let. c). De même l'intérêt que présente une procédure conduite en Suisse (let. e) et des intérêts privés importants peuvent-ils motiver une limitation de la participation des ayants droit à la procédure ou de leur droit de consulter le dossier. Le dernier alinéa, quant à lui, habilite le détenteur de documents à informer son mandant de l'existence de la demande. L'exercice de ce droit peut cependant être restreint par le service central, en particulier pour les motifs énumérés à l'al. 2. Le service central statuera sur la participation des ayants droit et sur leur droit de consulter le dossier.

442

Procédure simplifiée (art. 47) A l'instar de ce qui vaut dans le cadre de la procédure de remise, les ayants droit peuvent, dans le cadre de la coopération, renoncer également à la procédure normale et donner leur consentement à l'exécution immédiate de la demande présentée par la Cour. Dans la pratique, cette faculté que ne prévoit pas le Statut a donné toute satisfaction en permettant de rationaliser la procédure. Par ayants droit on entend ici toutes les personnes qui ont qualité pour recourir dans le cadre de la procédure ordinaire au sens de l'art. 50. En règle générale, leur consentement sera consigné dans un procès-verbal qui sera notifié au service central (al. 2). A la différence de ce que prévoit l'art. 23, ce consentement n'a pas besoin d'être donné devant une autorité judiciaire. Au surplus, il est irrévocable (al. 1), ce qui permet d'empêcher que la procédure ne traîne en longueur, facteur qui pourrait remettre en cause son bienfondé. Enfin, l'al. 3 offre la possibilité d'échelonner la procédure, lorsque le consentement ne porte que sur une partie des documents, renseignements ou valeurs requis, ce qui permet au moins de remettre ceux-ci immédiatement à la Cour.

Décision de clôture (art. 48) Après avoir exécuté les mesures ordonnées conformément à l'art. 43, les autorités compétentes communiquent les résultats au service central. Sur cette base, celui-ci détermine si la demande de la Cour a été pleinement exécutée. Au besoin, il peut ordonner des mesures supplémentaires. S'il parvient à la conclusion que la demande a été pleinement exécutée, il arrête une décision finale qui est seule à être sujette à recours dans le cadre de la procédure sur le plan national. Elle doit être motivée et indiquer les voies de recours.

3.3.5.4

Voies de recours

Recours de droit administratif (art. 49) Seule la décision finale est sujette à recours. Elle ne peut être attaquée que devant le Tribunal fédéral. La procédure de coopération avec la Cour est caractérisée par le fait que le laps de temps séparant la décision d'entrée en matière de la décision finale est réduit à un minimum. Partant, l'action intentée contre la décision finale permet de contester les décisions prises aux différents stades de la procédure. En effet, il est loisible au Tribunal fédéral de se livrer à une appréciation de toutes les décisions et de toutes les mesures qui ont précédé la décision finale et qui pourraient fonder un droit de recours autonome dans le cadre de la procédure selon l'EIMP.

Qualité pour recourir (art. 50) Seule a qualité pour recourir la personne qui remplit cumulativement les conditions fixées aux lettres a à d. La personne inculpée par la Cour n'a donc pas cette qualité (let. a). Cette dérogation à la pratique en vigueur se justifie parce que, dans le cadre de la procédure intentée par la Cour, la personne inculpée bénéficie des voies de recours correspondantes. Le droit de recours est également interdit aux sociétésécran derrière lesquelles les personnes inculpées se retranchent à titre d'administrateurs. Il convient ainsi d'empêcher qu'une personne qui n'a pas qualité pour recourir obtienne cette qualité par le biais d'une personne morale fictive. Cette manière de

443

voir est conforme à l'esprit de la nouvelle loi sur le blanchiment d'argent97 dont l'art. 4 dispose qu'une banque doit connaître qui est l'ayant droit économique. Le principe selon lequel les voies de recours admises par la Cour doivent pouvoir se substituer à celles qui s'offrent dans le cadre de la procédure menée selon le droit suisse est concrétisé à la let. d, qui permet de refuser la qualité pour recourir à des personnes habilitées à faire valoir leurs droits devant la Cour. On songe, en particulier, aux victimes de crimes qui ont qualité de parties dans le cadre de la procédure intentée par la Cour et qui, par conséquent, peuvent y faire valoir leurs droits à réparation. Le critère de la qualité pour recourir devant la Cour a toutefois été relativisé en ce sens que la qualité pour recourir dans le cadre d'une procédure menée selon le droit suisse est reconnue aux personnes dont on ne saurait raisonnablement exiger qu'elles fassent valoir leur droit devant la Cour. Les deux autres critères (let.

b et c), qui exigent que la personne soit personnellement et directement touchée par la mesure en question et ait un intérêt légitime à ce que cette mesure soit annulée ou modifiée, sont repris de l'art. 80 EIMP. Sur ces points, le Tribunal fédéral a développé une jurisprudence détaillée, à la lumière de laquelle la nouvelle loi peut être appliquée.

Motifs et délai de recours (art. 51) Le recours peut être formé pour violation du droit fédéral, y compris l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation par les autorités suisses (al. 1). Le Tribunal fédéral examine librement le recours, sans toutefois connaître des décisions de la Cour. Les motifs que fait valoir le recourant sont notifiés à la Cour par le service central, afin que celle-ci puisse statuer dans la mesure où cela est encore nécessaire (al. 2). La réduction du délai à 10 jours (au lieu de 30) est un autre moyen de raccourcir la procédure (al. 3). Le dernier alinéa vise à accélérer les procédures, l'idée étant que celles-ci ne doivent pas traîner en longueur ad aeternam.

Effet suspensif (art. 52) Ainsi qu'il est d'usage dans le cadre d'une procédure d'entraide, le recours formé contre une décision finale relative à la transmission de documents collectés a effet suspensif. Cela se justifie, puisque, à défaut, il ne serait plus possible de
corriger les inconvénients de la remise des documents, si le recours était admis. En l'occurrence, l'intérêt de la Cour doit céder le pas sur celui du recourant (al. 1). La pesée des intérêts peut cependant être favorable à la Cour, lorsque celle-ci fait valoir l'urgence, conformément à l'art. 99, al. 2, du Statut. Dans ce contexte, il est concevable que la Suisse ait besoin des pièces justificatives pour exécuter une demande de remise, de sorte que le délai de soixante jours puisse être conservé. On songe également à l'enquête qui constitue une occasion unique qui ne se présentera plus par la suite (art. 56 du Statut) de confronter un témoin avec certaines pièces de la procédure. En pareil cas, le service central peut demander au Tribunal fédéral d'annuler l'effet suspensif du recours (al. 2). L'autorité compétente étant le Tribunal fédéral, le recourant a ainsi la garantie que son droit d'être entendu sera respecté. Si le Tribunal fédéral fait droit à la demande du service central, il peut, afin de sauvegarder les intérêts du recourant, subordonner sa décision à la condition que les résultats transmis ne soient utilisés que pour recueillir des éléments de preuve nouveaux (al. 3 en relation avec l'art. 93, al. 8, let. b, du Statut). Cela correspond à une interdiction d'utilisation provisoire.

97

444

RS 955.0

3.3.6

Exécution des sanctions prises par la Cour

Compte tenu du statut spécial de la Cour et eu égard au fait que ses décisions lient les Etats Parties, il est renoncé à une procédure d'exequatur. En matière d'exécution des peines également, le service central est l'autorité décisionnelle. Il doit toutefois prendre en compte les intérêts des cantons lorsqu'il s'agit de peines privatives de liberté.

3.3.6.1

Décisions pénales

Conditions (art. 53) A l'instar de ce que prévoit l'arrêté fédéral (art. 29, al. 1), la peine privative de liberté infligée par la Cour peut être purgée en Suisse, à condition que le condamné soit un citoyen suisse ou réside habituellement en Suisse. Il a déjà été exposé (ch. 2.9) que lors de la ratification du Statut, la Suisse va formuler une déclaration sur ce point. Comme les amendes infligées par la Cour ont force exécutoire pour les Etats en vertu du Statut, l'al. 2 dispose que ces amendes peuvent être recouvrées en Suisse si la personne condamnée y dispose de valeurs patrimoniales. Ces amendes sont exécutées par le service central (art. 3, al. 2, let. g). Conformément aux objectifs de la réparation, le pouvoir de disposition doit être interprété au sens large. Il importe, en effet, d'empêcher les criminels de soustraire leurs valeurs patrimoniales à l'exécution en créant des personnes morales dans un Etat non Partie.

Décision sur la demande de la Cour de prendre en charge l'exécution d'une peine privative de liberté (art. 54) Lorsqu'il a reçu la demande de la Cour et que les conditions prévues à l'art. 53, alinéa 1 sont réunies, le service central désigne un établissement pénitentiaire approprié où la peine peut être purgée. Ce faisant, il veille à ce que celui-ci réponde aux exigences posées à l'art. 106, al. 2, du Statut. Une fois en possession de l'accord de l'établissement choisi, le service central statue sur l'exécution de la peine (al. 1) et communique sa décision à la Cour. Il lui communique également tous les éléments dont elle a besoin (mesures de sécurité, conditions de détention) pour rendre sa décision (al. 2).

Exécution de la peine privative de liberté (art. 55) La peine prononcée par la Cour devient automatiquement exécutoire en Suisse dès le moment où le service central a décidé d'en assurer l'exécution en Suisse (al. 1).

En vertu des dispositions claires du Statut (art. 105 à 109), la peine infligée ­ en d'autres termes sa durée et le régime sous lequel elle doit être purgée ­ lie les autorités suisses. Cela exclut également toute libération conditionnelle au sens de l'art. 38 du Code pénal suisse98. Pour le reste, la peine est exécutée conformément au droit suisse (al. 2), ce qui signifie que la personne condamnée est soumise aux mêmes conditions de détention que les
personnes condamnées pour un crime identique selon le droit suisse (art. 106, al. 2, du Statut). Les al. 3 et 4 règlent les rapports avec la Cour durant l'exécution de la peine. D'abord, les communications entre la Cour et le condamné sont confidentielles, ce qui est nécessaire pour préser98

RS 311.0

445

ver les droits de ce dernier. En outre la Cour est habilitée à vérifier les conditions de détention, soit en se faisant communiquer des informations à ce sujet, soit en chargeant un de ses membres d'opérer un contrôle sur place. A ces deux formes de vérification s'en ajouteront d'autres dans le Règlement de procédure et de preuve, de sorte que l'on peut considérer qu'elles n'ont été citées qu'à titre d'exemple 99.

Requêtes du condamné (art. 56) Cet article règle le cas dans lequel la personne condamné adresse une demande de réduction de sa peine de détention non pas à la Cour (art. 55, al. 4) elle-même mais à une autorité judiciaire suisse, tel un juge, par exemple. Cette autorité transmet la requête au service central qui la communique à la Cour. Le service central peut compléter le dossier transmis à la Cour en y joignant toutes les pièces pertinentes pour lui permettre de prendre sa décision.

Frais (art. 57) L'al. 1 règle le partage des frais entre la Suisse et la Cour en faisant simplement référence ­ tel que le prévoit le Règlement de procédure et de preuve100 ­ à la disposition pertinente du Statut. Quant à la répartition des frais entre la Confédération et les cantons, elle est réglée de manière claire, la Confédération supportant tous les frais qui ne sont pas pris en charge par la Cour. La Suisse ne disposant pas d'un tarif uniforme pour le calcul des frais de détention, il est nécessaire d'intégrer dans la loi une norme y relative, dans le but d'éviter que le choix de l'établissement pénitentiaire auquel procède le service central ne soit influencé par des considérations financières. La norme prévue a été reprise du Statut par analogie. Celui-ci dispose, en effet, que l'Etat-hôte assure l'exécution de la peine lorsque aucun Etat n'a accepté d'assumer cette responsabilité (art. 103, al. 4 du Statut). Les frais en découlant sont toutefois supportés par la Cour selon un barème convenu. C'est ce barème qui sera également appliqué pour le calcul des coûts de la détention lorsqu'elle a lieu en Suisse (al. 2).

3.3.6.2

Ordonnances de confiscation

En règle générale, la Cour requiert la transmission des objets et valeurs avant confiscation, pour pouvoir ensuite les confisquer. Dans le cadre de cette procédure, les droits que font valoir les tiers de bonne foi sur ces objets ou valeurs, au moment où la Cour en demande la remise, sont expressément réservés, conformément à l'art. 41.

La même disposition est applicable par analogie à l'exécution de l'ordonnance de confiscation de manière à ce que les ayants droit en Suisse ne subissent pas de préjudice si la Cour décide, à titre exceptionnel, de demander en lieu et place de la transmission des objets ou des valeurs l'exécution par la Suisse de l'ordonnance de confiscation (art. 58). Ces considérations ont incité à adopter la même solution dans le cadre de l'arrêté fédéral, même s'il n'en est question que dans le message à l'appui de cet arrêté (ch. 231.5 dudit message). La réglementation prévue est con-

99

Texte final du projet de Règlement de procédure et de preuve, Rapport de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale du 30 juin 2000, Nations Unies, document PCNICC/2000/INF/3/Add. 1, Règles 211 et 212.

100 Ibidem, Règle 208, al. 2.

446

forme au Statut dont les art. 109 et 77, al. 2, let. b, réservent expressément les droits des tiers de bonne foi.

3.3.7

Dispositions finales

Modifications du droit en vigueur (art. 59) La délimitation prévue à l'art. 2 nécessite un complément rédactionnel à l'art. 1 EIMP, afin que celle-ci ne soit pas applicable (cf. ch. 3.3.2). L'adjonction «d'autres lois» excluant l'application de l'EIMP permet d'éviter des malentendus surtout dans les versions française et italienne.

Ainsi qu'il a déjà été exposé à propos de l'art. 1, les différences parfois importantes que présente la Cour par rapport aux deux tribunaux ad hoc s'opposent à ce que la collaboration avec ces tribunaux soit régie par la nouvelle loi. Cette collaboration continuera donc d'être réglée par l'arrêté fédéral. Comme sa validité expire le 31 décembre 2003, et que l'on peut supposer que, même après cette date, les deux tribunaux continueront de nous adresser des demandes de coopération, cette validité sera prorogée de cinq ans.

Référendum et entrée en vigueur (art. 60) La nouvelle loi fédérale est sujette au référendum facultatif au sens de l'art. 89, al. 2, de la Constitution fédérale (al. 1). Le Conseil fédéral fixe la date d'entrée en vigueur (al. 2). Par souci de rationalité, il fera coïncider cette date avec celle à laquelle le Statut entrera en vigueur pour la Suisse.

3.4

Arrêté fédéral relatif à l'approbation du Statut de Rome de la Cour pénale internationale

Le Statut prévoit que lors de la ratification, un Etat partie peut formuler diverses déclarations qui servent notamment à préciser quelques modalités applicables à la coopération avec la Cour et à l'exécution de ses jugements. Le Conseil fédéral a l'intention de formuler quatre déclarations.

Il s'agit, tout d'abord, d'habiliter la Cour à traiter directement avec le service central institué à l'Office fédéral de la justice (voir à ce sujet les considérations émises au ch. 2.8.1, à propos de la procédure de la coopération internationale et de l'assistance judiciaire). Il importe ensuite de fixer les langues officielles (voir également le ch. 2.8.1). Troisièmement, il y a lieu de permettre à la Cour de notifier ses décisions et autres actes de procédure ou documents directement à leur destinataire en Suisse (voir les considérations émises au ch. 3.3.5.2 à propos de l'art. 36 du projet de loi fédérale sur la coopération avec la Cour pénale internationale). Enfin, il semble judicieux que la Suisse déclare qu'elle est disposée à accepter que des personnes condamnées par la Cour à une peine privative de liberté purgent celle-ci dans un établissement pénitentiaire suisse, à condition que ces personnes soient de nationalité suisse ou résident habituellement en Suisse (voir les considérations émises au ch. 2.9 [procédure] ainsi qu'au ch. 7).

447

4

Conséquences

4.1

Conséquences financières et effets sur l'état du personnel

L'adhésion au Statut de Rome de la Cour pénale internationale a pour la Confédération des répercussions financières d'une ampleur difficile à évaluer. Elles pourraient fluctuer notablement au fil du temps, et cela pour diverses raisons.

Du fait du rôle complémentaire de la Cour, il est très difficile de prédire le volume de ses activités et le montant des dépenses financières qu'elles entraîneront. Il est tout à fait possible ­ et souhaitable de tous les points de vue ­ que la Cour n'opère pendant des années qu'à effectif minimum. L'art. 35 du Statut prévoit en effet que seuls les juges formant la Présidence exercent leurs fonctions à temps complet, tandis que tous les autres juges élus doivent être «disponibles» pour exercer leurs fonctions dès que commence leur mandat; mais ils n'exercent à plein temps leurs fonctions à la Cour que sur décision de la Présidence, en fonction de la charge de travail. Le Bureau du Procureur et le Greffe peuvent aussi fonctionner à effectif minimum en période de calme. Dès que surviennent des situations de crise dans lesquelles les autorités nationales compétentes n'ont pas la volonté ou la capacité d'intervenir (art. 17), c'est à la Cour pénale internationale de prendre la relève. Cela implique le rapide relèvement de ses moyens humains et financiers. Une fois la crise maîtrisée, la Cour peut de nouveau se restreindre ses effectifs.

Deuxième raison d'incertitude: la composition imprécise des sources de financement. La Cour est au premier chef financée par les contributions des Etats Parties, auxquelles s'ajoutent les ressources financières fournies par l'Organisation des Nations Unies, en particulier dans le cas de dépenses liées à la saisine de la Cour par le Conseil de sécurité (art. 13, let. b, du Statut), ainsi que les contributions volontaires (art. 115 et 116 du Statut). Il est actuellement difficile d'apprécier exactement les parts relatives de ces trois sources au financement de la Cour. En ce qui concerne les contributions des Etats Parties, chacune dépend bien sûr du nombre et de l'identité des autres Etats Parties au Statut au moment envisagé. Il faut en outre rappeler que le Statut n'entrera en vigueur qu'au dépôt du soixantième instrument de ratification.

On peut d'ores et déjà dire qu'un grand nombre d'Etats à forte capacité financière feront partie
de ce groupe.

Les incertitudes sur les répercussions financières ne sont pas non plus levées par la comparaison avec les tribunaux ad hoc. D'une part, leur rôle n'est pas complémentaire: ils doivent s'occuper de toutes les affaires relevant de leur compétence géographique et temporelle telle qu'elle est définie dans les résolutions correspondantes du Conseil de sécurité. Il faut en outre tenir compte du fait que ces deux tribunaux ont été créés à partir de rien, ce qui a occasionné des frais très lourds. Mais l'examen de ces deux tribunaux ad hoc révèle toutefois que les dépenses ne sont pas insignifiantes en période de pointe d'activité. Le tribunal international pour l'ex-Yougoslavie avait en 1999 un effectif de quelque 800 personnes (personnel local pour la plupart) et disposait d'un budget annuel de 94 millions de dollars US101: le tribunal

101

448

Rapport annuel du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 (1999), Nations Unies, Document A/54/187; S/1999/846, ch. 174 et 175 du rapport; résolution 53/212 de l'Assemblée générale des Nations Unies du 10 février 1999, Nations Unies, Document A/RES/53/212.

international pour le Rwanda a employé la même année un effectif pratiquement égal et son budget a atteint 69 millions de dollars US 102.

Dans l'appréciation des répercussions financières, il faut aussi tenir compte de la vocation de promotion de la paix au sens large de la Cour pénale internationale.

Quand on pense à l'énorme coût financier qu'ont représenté pour la communauté internationale ­ dont la Suisse ­ certains des conflits survenus ces dernières années (dépenses militaires, assistance aux réfugiés, aide humanitaire et bien d'autres interventions encore), cet investissement dans la Cour pénale internationale devrait se révéler payant d'un point de vue purement financier si l'on parvient ainsi dans l'avenir à prévenir ne serait-ce qu'un seul conflit ou à atténuer ses effets.

En ce qui concerne les répercussions sur le personnel pour la Suisse, il faut indiquer que la coopération nécessaire des autorités suisses (en particulier du service central de l'Office fédéral de la justice) avec la Cour pénale internationale se traduirait par un certain alourdissement des dépenses de personnel. Comme on l'a dit (ch. 3.3.1), pour que cette coopération se déroule convenablement, le service central devrait posséder certaines compétences spécifiques qui ne sont pas les mêmes que celles que requiert l'aide judiciaire entre Etats. Il existe aussi des différences entre la remise et les autres formes de coopération que prévoient le Statut et la loi d'application. On estime un surcroît de travail de l'ordre d'une à deux unités supplémentaires.

Les autorités de justice pénale pourraient connaître une augmentation de leur charge de travail, encore difficile à évaluer, dès que tous les crimes énumérés dans le Statut auront été repris dans le droit pénal suisse. Seront concernés en premier lieu le Ministère public, le juge d'instruction fédéral et les organes de poursuite pénale militaires. Les conséquences financières et en matière de personnel devront être appréciées au regard des projets de loi concernés.

4.2

Conséquences économiques

La ratification du Statut de Rome par la Suisse n'a vraisemblablement pas de conséquences économiques.

4.3

Conséquences en matière informatique

La ratification du Statut de Rome par la Suisse n'a vraisemblablement pas de conséquences en matière informatique.

5

Programme de la législature

L'adhésion au Statut de Rome de la Cour pénale internationale figure dans le rapport sur le Programme de la législature 1999­2003103. Le projet répond en outre à deux objectifs de politique étrangère mentionnés dans le rapport sur la politique extérieure de la Suisse dans les années 90104: le maintien et la promotion de la sécu102

Résolution 53/213 du 10 février 1999 de l'Assemblée générale des Nations Unies, Nations Unies, Document A/RES/53/213.

103 FF 2000, 2168 ss, p. 2176 et 2220.

104 FF 1994 I 153

449

rité et de la paix, ainsi que l'engagement en faveur des droits de l'homme, de la démocratie et des principes de l'Etat de droit. En ce sens, la contribution suisse à la création de la Cour pénale internationale est aussi abordée dans le rapport du 16 février 2000 sur la politique suisse des droits de l'homme (réponse au postulat Bäumlin du 17 décembre 1997)105.

6

Rapport avec le droit européen

L'approbation du Statut de Rome n'a aucun effet immédiat sur la compatibilité du droit suisse avec le droit européen.

Il convient de signaler que tous les membres de l'Union européenne ont décidé de ratifier le Statut de Rome, quand ils ne l'ont pas déjà fait. Le Parlement européen a à deux reprises, le 6 mai et le 16 décembre 1999, appelé les membres de l'Union à ratifier le Statut de la Cour pénale internationale106. Il demande à la Commission et au Conseil de faire de la signature et de la ratification du Statut de la Cour un élément essentiel de la négociation de futurs accords avec des pays tiers et de tout mettre en oeuvre pour que les pays tiers liés à l'Union par des accords d'association ou de coopération signent ou ratifient ledit Statut. Dans une réponse à une question écrite, le Conseil européen a exprimé la volonté de tous les pays membres de l'Union européenne de faire en sorte que la Cour pénale internationale puisse entrer en fonction le plus rapidement possible. Le Conseil a d'autre part répondu que, selon une estimation provisoire, la plupart des pays membres jugent qu'ils devraient avoir ratifié le Statut de Rome pour la fin de l'année 2000 107.

Le Statut de Rome s'inscrit en outre dans le cadre des trois grandes valeurs que s'est données pour objectifs le Conseil de l'Europe, à savoir la promotion et la sauvegarde de la démocratie, la primauté du droit et les droits de l'homme. Il faut aussi rappeler que le Statut de Rome exclut la peine capitale et met en place de bonnes garanties procédurales dont bénéficie l'accusé dans un procès devant la Cour. Ces garanties sont conformes aux dispositions du Pacte international sur les droits civils et politiques et au niveau de protection prévu dans la Convention européenne des droits de l'Homme. Dans une recommandation du 26 mai 1999, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe recommande au Comité des Ministres d'inviter tous les Etats membres et tous les Etats ayant statut d'observateur à ratifier le Statut de Rome et à mettre en place la législation intérieure requise dans les meilleurs délais de façon à coopérer avec la Cour pénale internationale 108.

105 106

Rapport sur la politique des droits de l'homme; FF 2000 2460 ss, p. 2467 (n. 8) et 2480.

Résolution du Parlement européen du 6 mai 1999 sur la ratification du Statut du Tribunal pénal international, Bulletin UE 5-1999, droits de l'Homme (8/8), 1.1.8; Résolution du Parlement européen du 16 décembre 1999 sur la ratification du traité de Rome créant un Tribunal pénal international permanent, Bulletin UE 12-1999; droits de l'Homme (11/13), 1.1.11.

107 Réponse du Conseil européen en date du 8 novembre 1999 à une demande écrite de Marco Pannella (P-1597/99) du 8 septembre 1999, Bulletin officiel des communautés européennes no C 27 E du 29.1.2000, p. 141.

108 Recommandation 1408 (1999) de l'Assemblée parlementaire du 26 mai 1999.

450

7

Constitutionnalité

En vertu de l'art. 54 de la Constitution (Cst.), les affaires étrangères relèvent de la compétence de la Confédération. La compétence qu'a l'Assemblée fédérale d'approuver les traités internationaux découle de l'art. 166, al. 2, de la Cst.

Selon l'art. 141, al. 1, let. d, de la Cst., les traités internationaux sont sujets au référendum facultatif s'ils sont d'une durée indéterminée et ne sont pas dénonçables, s'ils prévoient l'adhésion à une organisation internationale ou s'ils entraînent une unification multilatérale du droit. Le présent accord est certes dénonçable (art. 127 du Statut), mais il prévoit l'adhésion à une organisation internationale (art. 4, al. 1 du Statut). Le Statut de Rome est donc sujet au référendum facultatif en matière de traités internationaux, sans qu'il soit nécessaire de déterminer s'il entraîne une unification multilatérale du droit.

On peut se demander si le Statut ne devrait pas même être soumis au référendum obligatoire en vertu de l'art. 140, al. 1, let. b, de la Cst. Cette disposition prévoit le référendum obligatoire en cas d'adhésion à des organisations de sécurité collective ou à des communautés supranationales. Le Statut de Rome ne constitue pas une organisation de sécurité collective. Reste à savoir s'il n'est pas susceptible d'être couvert par la notion de communauté supranationale au sens de cette disposition. Il faudrait pour cela qu'il réalise les quatre conditions cumulatives suivantes: avoir des organes composés de personnes indépendantes qui ne sont pas liées par des instructions données par l'Etat dont ils sont ressortissants (1re condition), qui exercent leurs attributions en prenant des décisions à la majorité et non à l'unanimité (2e condition), dont les décisions entrent en vigueur directement et lient directement les particuliers (3e condition) et dont les attributions matérielles sont relativement étendues (4e condition)109. Dans le cas de la Cour pénale internationale, la quatrième condition n'est pas remplie. En effet, même si le Statut de Rome reconnaît la compétence de la Cour pour un certain nombre de crimes (art. 5 à 8 du Statut), il n'en demeure pas moins que la Cour dispose d'un domaine de compétences limité à plusieurs égards: à l'application du droit pénal tout d'abord, à une catégorie bien définie de crimes ensuite et, enfin, aux
cas dans lesquels les Etats Parties n'assurent pas euxmêmes la poursuite pénale des états de fait incriminés (principe de complémentarité). Notons que, dans le cas de la Cour AELE, le Conseil fédéral, estimant que les compétences de cette juridiction se limitaient à l'application du droit de la concurrence, est également arrivé à la conclusion que les éléments de supranationalité ne suffisent pas à justifier l'application de référendum obligatoire en matière de traités internationaux110.

On peut enfin se demander si le Statut nécessite une modification de la Constitution.

En vertu de l'art. 89 du Statut de Rome, un Etat Partie est tenu de remettre à la Cour pénale, sur la demande celle-ci, toute personne se trouvant sur son territoire. Cette personne peut être un de ses propres ressortissants. Il faut donc examiner la compatibilité de cette obligation avec l'art. 25, al. 1, de la Cst. qui dispose que les Suissesses et les Suisses ne peuvent être expulsés du pays et qu'ils ne peuvent être remis à une autorité étrangère sans leur consentement. Il n'est pas possible de formuler une réserve au Statut (art. 120 du Statut). Il n'est pas non plus permis ­ contrairement à 109

Message du 23 octobre 1974 concernant de nouvelles dispositions sur le référendum en matière de traités internationaux; FF 1974 II 1156 ss.

110 Message du 18 mai 1992 relatif à l'approbation de l'accord sur l'Espace économique européen; FF 1992 IV 527 s.

451

ce que prévoit la coopération avec les deux tribunaux ad hoc ­ de subordonner impérativement la remise d'une Suissesse ou d'un Suisse à la condition que cette personne soit reconduite en Suisse pour l'exécution d'une peine éventuelle.

Toutefois, il paraît douteux que l'art. 25 de la Cst. puisse s'appliquer au cas de la remise d'une personne à une Cour internationale. La différence entre l'extradition d'une personne vers un Etat étranger et la remise d'une personne à une instance internationale n'est pas une figure de style, mais une distinction entre deux concepts qui ressort du Statut même. L'art. 102 du Statut de Rome distingue clairement entre la remise, qu'il définit comme le fait pour un Etat de livrer une personne à la Cour, et l'extradition, qu'il définit comme le fait pour un Etat de livrer une personne à un autre Etat. On peut donc arguer que la remise à la Cour n'entre pas dans le champ d'application de l'art. 25, al. 1, Cst. puisque cette disposition ­ en tous les cas dans ses versions allemande («dürfen ausgeliefert werden») et italienne («possono essere estradate») ­ ne parle que d'extradition. Alors que, dans le cas de l'extradition, un citoyen d'un Etat souverain est livré à l'autorité pénale d'un autre Etat souverain sur les procédures duquel il n'a aucune influence, il s'agit, dans le cas de la remise, de confier un citoyen à un organe international indépendant et impartial dont l'Etat Partie requis, qui a participé à sa création et à son aménagement, assume aussi les responsabilités. Les Etats Parties doivent en effet veiller ce que la Cour pénale internationale satisfasse en tout temps aux exigences des droits fondamentaux fixés dans le Statut. Cette responsabilité, les Etats doivent l'assumer, par exemple, dans le cadre de leur participation à l'Assemblée des Etats Parties. La Cour européenne des droits de l'homme également a établi une distinction entre les notions d'extradition vers un autre Etat et de remise à une cour internationale 111.

Même si l'on considère en fin de compte que l'art. 25, al. 1, Cst. est applicable en l'occurrence, on peut soutenir que la remise représente une restriction admissible du droit fondamental de chaque ressortissant suisse à ne pas être extradé et livré contre son gré à une autorité étrangère; cette restriction doit toutefois remplir les
conditions de l'art. 36 Cst., à savoir être fondée sur une base légale (al. 1), être justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui (al. 2), être proportionnée au but visé (al. 3) et ne pas toucher à l'essence même de ce droit fondamental (al. 4). En l'occurrence, la base légale est constituée par l'art. 16 de la loi fédérale sur la coopération avec la Cour pénale internationale, tandis que l'intérêt public réside dans la poursuite pénale des crimes visés par le Statut; en outre, les exigences de la proportionnalité et de l'inviolabilité de l'essence du droit fondamental sont respectées par le fait qu'un ressortissant helvétique ne sera remis à la Cour qu'au cas où la Suisse renoncerait à engager contre lui des poursuites pénales, hypothèse que l'on a bien de la peine à imaginer, ne serait-ce qu'en raison de l'image néfaste qu'engendrerait une telle renonciation à l'égard de la communauté internationale.

Il faut encore se référer à l'art. 103, al. 3, du Statut selon lequel la Cour pénale peut prendre en compte la nationalité de la personne condamnée lors de la désignation de l'Etat chargé de l'exécution des peines. En formulant, conformément à l'art. 103, al. 1, du Statut, une déclaration dans laquelle elle manifeste sa volonté de prendre en charge ses propres ressortissants pour l'exécution de leurs peines, la Suisse crée la

111

452

Cour européenne des droits de l'homme, arrêt du 11 mai 2000, Mladen Naletiliæ c/Croatie; req. no 51891/99, considérant 1 b. En l'espèce, il s'agissait de la remise du r equérant au tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.

base nécessaire pour le renvoi effectif d'un citoyen suisse dans son pays aux fins d'exécution d'une peine si, contre toute attente, un cas pareil devait se présenter.

Au surplus, en pratique, les considérations exprimées ici sont largement théoriques.

On a en effet tout lieu de croire que les autorités suisses chargées de la poursuite pénale ont aujourd'hui et auront à l'avenir aussi la possibilité et la volonté de poursuivre pénalement et de condamner les citoyens suisses ayant commis des crimes de la nature de ceux prévus dans le Statut.

En conclusion, il résulte de ce qui précède qu'il ne se justifie pas de soumettre l'approbation du Statut de Rome au référendum obligatoire selon l'art. 140, al. 1, let. b, de la Cst. et que l'on peut renoncer à une modification de l'art. 25, al. 1, de la Cst.. En revanche, l'adoption du Statut est sujette au référendum facultatif en vertu de l'art. 141, al. 1, let. d, ch. 2, de la Cst..

453

Liste des abréviations AJIL BO c.

C.D.I.

CE CEDH CEEJ CEExtr.

Cf.

CG CICR CIJ CN CP CPI CPM Cst.

EIMP FF HRLJ ILR loc. cit.

ONU PA Prot.

RdC réf.

RGDIP RO RS RSDIE T.M.I.

TPIR TPIY U.N.T.S.

ZStR

454

American Journal of International Law Bulletin officiel contre Commission de droit international Conseil des Etats Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) du 4 novembre 1950 (RS 0.101) Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (RS 0.351.1) Convention européenne d'extradition (RS 0.353.1).

confer Convention de Genève du 12 août 1949 Comité international de la Croix-Rouge Cour internationale de Justice Conseil national Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (RS 311.0) Cour pénale internationale Code pénal militaire du 13 juin 1927 (RS 321.0) Constitution fédérale de la Confédération suisse (RS 101) Loi fédérale du 20 mars 1981 sur l'entraide internationale en matière pénale (RS 351.1) Feuille fédérale Human Rights Law Journal International Law Reports loco citato Organisation des Nations Unies Protocole additionnel du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève de 1949 Protocole Recueil des cours de l'Académie de droit international référence Revue Générale de Droit International Public Recueil officiel des lois fédérales Recueil systématique du droit fédéral (y inclus les accords internationaux) Revue suisse de droit international et de droit européen Tribunal militaire international Tribunal pénal international pour le Rwanda Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie United Nations Treaty Series (Nations Unies, Recueil des Traités) Schweizerische Zeitschrift für Strafrecht (Revue pénale suisse)

Annexes Annexe 1

Les crimes visés par le Statut (commentaires relatifs aux art. 5 à 9 du Statut)

Annexe 2

Principes généraux du droit pénal et peines (commentaires relatifs aux chap. III et VII du Statut)

Annexe 3

La procédure devant la Cour pénale internationale (commentaires relatifs aux chap. V, VI et VIII du Statut)

455

Annexe 1

Les crimes visés par le Statut (commentaires relatifs aux art. 5 à 9 du Statut) 1

Qualification et catégorisation des crimes selon le Statut (art. 5)

Selon l'art. 5 du Statut, la compétence de la Cour se limite au jugement des crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale. Lorsqu'il s'agit de décider de l'ouverture d'une poursuite pénale devant la Cour, cette limitation représente le seuil à franchir indépendamment de la gravité des divers crimes.

Ce seuil garantit du même coup que la compétence de la Cour ne s'étendra pas aux crimes habituels, dont le jugement continue à relever de la compétence exclusive des tribunaux nationaux des Etats Parties.

Les crimes n'acquièrent une dimension de droit pénal international qu'à partir du moment où ils viennent s'inscrire dans un contexte plus large ayant des effets sur l'ensemble de la communauté des Etats. Conformément à l'art. 5, al. 1, du Statut, font partie de cette catégorie le crime de génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre ainsi que le crime d'agression. Ainsi, le Statut limite la compétence matérielle de la Cour à ce que l'on appelle les «crimes majeurs» («core crimes»).

L'interdiction de commettre ces actes criminels était, dans la plupart des cas, déjà reconnue comme une règle du droit coutumier international.

Dans son projet de 1994, la Commission du droit international112 avait, en outre, fait mention d'un certain nombre de crimes qui sont interdits par les traités et conventions de droit international sans avoir toutefois acquis le statut de droit coutumier.

Afin de pouvoir faire accepter l'exigence de la juridiction automatique, posée par le «groupe des Etats-pilotes», sans déclaration spéciale de reconnaissance (voir ch. 2.3.1 du présent message), il a fallu renoncer à faire figurer ces crimes dans le Statut. Etant donné, en effet, les difficultés que l'on éprouvait à trouver pour ces crimes une définition qui puisse être généralement admise, on se serait, en cas d'échec, exposé au risque de mener le processus de négociation dans l'impasse, voire de le faire échouer113. Cela ne veut cependant pas dire que l'on ne s'est pas fondé sur de telles conventions pour définir les crimes entrant dans les quatre catégories principales. Ce fut notamment le cas pour l'interdiction de l'apartheid, de la torture, des prises d'otages et des attaques contre le personnel des Nations Unies.

Les actes terroristes n'ont pas été inscrits non plus dans ce texte, car il n'existe pas encore de définition généralement reconnue du crime de terrorisme. Les crimes en

112

Rapport de la Commission du droit international (C.D.I.) sur les travaux de sa 46e session, Nations Unies, Assemblée générale, document officiel, 49e session, 1994, A/49/10, art. 20 du projet de Statut en relation avec l'annexe.

113 On peut lire une partie des débats dans le rapport du Comité préparatoire pour la création d'une cour criminelle internationale, Nations Unies, Assemblée générale, document officiel, Supp. No 22, A/51/22, Vol. I, par. 103 ss.

456

rapport avec le trafic de stupéfiants n'ont pas davantage été portés sur la liste des crimes pour lesquels la Cour est compétente quant au fond 114.

2

Caractéristiques générales des crimes relevant de la compétence de la Cour115

Aux termes de l'art. 30 du Statut, la Cour ne sera habilitée à juger pénalement un acte que si celui-ci a été commis intentionnellement. L'intention, au sens du Statut, signifie que l'auteur de l'acte agit volontairement par rapport à son comportement et aux conséquences de celui-ci, tout en sachant que les circonstances de son acte ou les conséquences advenant dans le cours normal des événements, seront réprouvées par le droit pénal. Cette disposition ­ tout comme le droit pénal suisse ­ s'applique donc aussi au dol éventuel (dolus eventualis), dans le cas duquel l'auteur de l'acte tient pour possible la survenance du résultat désapprouvé par le droit pénal et en prend le risque. En revanche, la pénalisation des actes commis par négligence n'est pas prévue dans le Statut.

Pour qu'une personne se rende coupable d'un crime relevant de la compétence de la Cour, il faut en outre que son acte soit contraire au droit international. Il y a lieu d'élucider dans chaque cas d'espèce si un acte qui remplit les éléments constitutifs d'un crime n'est pas justifié par l'existence de circonstances particulières. L'évidence de cette affirmation a rendu superflue, lors de l'élaboration du Statut, sa mention expresse dans les dispositions relatives aux différents crimes.

3 3.1

Les «éléments des crimes» (art. 9) Genèse

Les crimes dont la Cour a pouvoir de connaître sont, pour certains, décrits de manière détaillée dans le Statut, alors que d'autres n'y figurent que sous la forme d'une rubrique. Pendant l'élaboration du Statut, les représentants de la tradition juridique anglo-saxonne, en particulier, ont fait remarquer que, compte tenu de leur compréhension du principe de la légalité (nullum crimen sine lege), nommer tous les éléments essentiels des divers crimes était indispensable pour que leurs tribunaux et la Cour pénale puissent juger une personne. De leur côté, les Etats dont le droit se fonde sur les conceptions juridiques du continent européen, dont la Suisse fait partie, ont défendu le point de vue que les crimes étaient suffisamment définis dans le Statut et qu'il appartiendrait à la future Cour d'établir le droit applicable dans les cas d'espèce en recourant à l'interprétation. A titre de compromis entre ces deux conceptions contradictoires, il a été convenu de ne pas fixer lesdits «éléments des crimes» dans le Statut en tant que tel, mais de les faire approuver ultérieurement, à la majorité des deux tiers des membres de l'Assemblée des Etats Parties (art. 9, al. 1, phrase 2). Se fondant sur une résolution de l'Assemblée générale des Nations

114

L'Acte final de la Conférence de Rome prévoit qu'il conviendra de rediscuter de la compétence de la Cour pénale internationale pour les actes de terrorisme et les crimes liés au trafic de drogue lors d'une conférence de révision au plus tard sept ans après l'entrée en vigueur du Statut; cf. résolution E, Nations Unies, Doc. A/CONF.183/10.

115 Sur ces principes généraux du droit pénal, voir ch. 2.6.1 du message et annexe 2.

457

Unies116 et sur l'Acte final de la Conférence de Rome117, une commission préparatoire a travaillé à la mise au point des «éléments des crimes» depuis l'hiver 1999.

Les travaux de cette commission ont été achevés en été 2000118. Les «éléments des crimes» seront alors adoptés lors de la première Assemblée des Etats Parties après l'entrée en force du Statut.

3.2

Nature juridique des «éléments des crimes»

Les «éléments des crimes» ne sont pas des éléments constitutifs d'une infraction au sens du droit pénal suisse. S'ils contiennent diverses précisions sur les éléments objectifs et subjectifs, ils règlent aussi, dans certains cas particuliers, des questions portant sur la justification de l'acte punissable en soi ainsi que, parfois, des aspects de la procédure. Par conséquent, il s'agit plutôt d'une sorte de mode d'emploi à l'attention de la Cour. Les «éléments des crimes» n'ont pas d'effet juridique obligatoire. Il est certes prévu à l'art. 21, al. 1, let. a, que la Cour applique en premier lieu le Statut, les «éléments des crimes» et son Règlement de procédure et de preuve, ce qui pourrait laisser penser que les «éléments des crimes» et le Statut sont d'importance égale. Il ressort pourtant clairement de l'art. 9, al. 1, que lesdits éléments ne sont là que pour aider la Cour à interpréter et appliquer les art. 6, 7 et 8. La valeur normative des «éléments des crimes» se limite donc à offrir à la Cour une source d'inspiration et d'information dans l'interprétation et l'application du Statut. Le caractère subsidiaire de ces éléments se manifeste aussi par le fait que, selon l'al. 3 de l'art. 9, ils doivent être conformes au Statut. Pour les tribunaux nationaux, ces éléments représenteront vraisemblablement aussi un soutien pour établir le droit, mais ils n'ont en aucune manière un effet obligatoire pour eux lorsqu'ils doivent trancher un cas. Les «éléments des crimes» ont été conçus exclusivement aux fins de faciliter l'interprétation et l'application du Statut par la Cour.

Dans la pratique des tribunaux, ces éléments pourraient prendre de l'importance s'ils venaient à être acceptés de façon générale par les Etats Parties et à refléter le droit des gens en vigueur. Malgré l'importance secondaire des «éléments des crimes», il est impossible d'exclure que, sous l'effet d'une définition peu minutieuse, les infractions formulées dans le Statut ne soient finalement vidées de leur sens. C'est la raison pour laquelle la Suisse a décidé d'user de son influence dans le cadre de la commission préparatoire, afin que le niveau du droit humanitaire international atteint grâce au Statut et à la jurisprudence ne soit pas rabaissé par des «éléments des crimes» définis après coup. Sur la base de travaux préparatoires
du Comité international de la Croix-Rouge, elle a présenté des projets de définition «des éléments des crimes», qui ont trouvé le soutien d'une grande majorité des autres délégations et qui ont fortement marqué de leur empreinte le résultat des négociations 119.

116

Résolution de l'Assemblée générale de l'ONU 53/105 du 8 décembre 1998, remplacée par la résolution 54/105 du 9 décembre 1999.

117 Nations Unies, Doc A/CONF.183/10.

118 Cf. le texte final du projet des «éléments des crimes», Nations Unies, Doc. PCNICC/2000/INF/3/Add.2 (état au 6 juillet 2000).

119 Cf. Nations Unies, Doc. PCNICC/1999/DP.5; Nations Unies, Doc. PCNICC/1999/WGEC/DP.8; Nations Unies, Doc. PCNICC/1999/WGEC/DP.10; Nations Unies, Doc. PCNICC/1999/WGEC/DP.11; Nations Unies, Doc. PCNICC/1999/WGEC/DP.20; Nations Unies, Doc. PCNICC/1999/WGEC/DP.22.

458

4 4.1

Le crime de génocide (art. 6) Sources juridiques et évolution historique de l'interdiction du crime de génocide

Le génocide est un phénomène ancien dans l'histoire de l'humanité. Il a toutefois spécialement marqué le 20e siècle, notamment en raison des nouveaux développements de la technologie de militaire120. On mentionnera ici les crimes perpétrés contre les Arméniens en 1915 (qui ont entraîné la mort de 600 000 à 1,5 million de personnes)121, le génocide commis sur la population juive en Europe (près de six million de morts), ainsi que sur les Sinté et les Rom (largement plus de 100 000 morts)122 durant la Seconde Guerre mondiale123, l'assassinat de deux ou trois millions d'êtres humains au Cambodge de 1975 à 1979124, les événements au Guatemala entre 1962 et 1996 (près de 200 000 morts)125, le génocide dans la région de l'ancienne Yougoslavie dans les années 1991 à 1995 (plus de 200 000 tués et environ deux millions de personnes déplacées)126 ou encore celui de 1994 au Rwanda (plus de 800 000 morts et 2,5 millions de réfugiés Tutsis et Hutus critiques envers le régime)127. En 1999, en Serbie, 1,5 million d'Albanais du Kosovo ont été déportés à l'intérieur ou hors du Kosovo et innombrables sont ceux qui ont été tués128. La même année, plus de 200 000 personnes ont été déplacées au Timor oriental, où il y a eu également une multitude de morts129. Ces chiffres à eux seuls ne reflètent ni l'abomination des événements, ni la souffrance des victimes. Mais ils sont une preuve des dimensions inouïes de certaines catastrophes causées par l'homme dans l'histoire récente. Ils montrent aussi à quel point la création d'une Cour pénale 120 121

122

123

124

125 126

127

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129

Cf. sur les génocides de l'Antiquité, Yves Ternon, L'état criminel, Paris 1995.

Dans son rapport du 2 août 1985, la sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités des Nations Unies a reconnu le génocide des Arméniens (rapport Whitaker) (Nations Unies, Doc. E/CN.4/Sub.2/1985). Le 18 juin 1987, le Parlement européen a adopté une résolution, dans laquelle le génocide des Arméniens était considéré comme un fait admis; cf. Journal officiel de la Communauté européenne, no C 190 du 20 juillet 1987, p. 119 ss.

Cf. le rapport de la Commission indépendante d'experts Suisse ­ Seconde guerre mondiale, La Suisse et les réfugiés à l'époque du national-socialisme , Berne 1999, p. 13.

De nombreuses atrocités ont également été commises envers d'autres groupes, qui n'étaient pas protégés par l'infraction de génocide (par exemple slaves, communistes, homosexuels, prêtres, handicapés).

Cf. Steven R. Ratner/Jason S. Abrams, Accountability for Human Rights Atrocities in International Law, Part III: A Case Study: the Atrocities of the Khmer Rouge , Oxford 1997, p. 227 ss.

Guatemala ­ Memory of Silence, Report of the Commission for Historical Clarification du 25 février 1999.

Situation des droits de l'homme dans le territoire de l'ancienne Yougoslavie , Cinquième rapport périodique du rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme de l'ONU, Nations Unies, Doc. E/CN.4/1994/47, par. 13.

Cf. Report of the Independent Inquiry into the Actions of the United Nations During the 1994 Genocide in Rwanda du 15 décembre 1999; Rapport sur la situation des droits de l'homme au Rwanda présenté par le Rapporteur spécial du 17 janvier 1995, Nations Unies, Doc. E/CN.4/1995/71.

Cf. Rapport de la Haut-Commissaire aux droits de l'homme sur la situation des droits de l'homme au Kosovo (République fédérale de la Yougoslavie) du 31 mai 1999, Nations Unies, Doc., E/CN.4/2000/7 et du 27 septembre 1999, Nations Unies, Doc. E/CN.4/2000/10.

Cf. Rapport de la Haut-Commissaire aux droits de l'homme sur la situation des droits de l'homme au Timor oriental, du 17 septembre 1999, Nations Unies, Doc. E/CN.4/S-4/CRP.1.

459

internationale est vitale, si l'on veut contribuer à empêcher que des catastrophes similaires se produisent à l'avenir.

L'urgence d'une interdiction internationale du crime de génocide a déjà été reconnue par les Nations Unies peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le 9 décembre 1948, l'Assemblée générale des Nations Unies adoptait la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, qui est entrée en vigueur le 12 janvier 1951130. Jusqu'à ce jour131, 132 Etats ont ratifié le traité ou y ont adhéré.

L'importance du crime de génocide dans la jurisprudence des tribunaux est cependant restée dérisoire jusqu'au début des années 90. Ainsi, le statut du Tribunal militaire de Nuremberg ne connaissait pas encore d'infractions de cette nature, et même la Cour internationale de justice (CIJ), exclusivement compétente pour des Etats, s'exprimait davantage sur le caractère universel de l'interdiction du génocide que sur le contenu des diverses infractions pénales132. Pendant longtemps, les tribunaux nationaux ne se sont guère penchés non plus sur ce crime133 134. L'acte de génocide n'a été concrétisé que récemment par les jugements des tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, ainsi que, notamment, par divers jugements rendus en Allemagne au sujet des événements de guerre en ex-Yougoslavie dans les années 1991 à 1995 135.

130

Cf. sur l'historique de la Convention sur le génocide, Pieter N. Drost, The Crime of State ­ Genocide, vol. II, Leyden 1959.

Etat au 7 septembre 2000.

CIJ, Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif du 28 mai 1951, CIJ Recueil 1951; CIJ, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, (Bosnie Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires , arrêt du 11 juillet 1996, CIJ Recueil 1996.

133 Voir cependant le procès d'Adolf Eichmann, qui a été condamné pour «Crime contre le peuple juif» (délit formulé en fonction du crime de génocide); cf. Cour de district de Jérusalem, cause criminelle 40/61, Procureur général du gouvernement d'Israël c. Adolf Eichmann, jugement du 12 décembre 1961, reproduit dans ILR 36 (1968) 5; jugement confirmé par la Cour suprême d'Israël, Appel criminel no 336/61, jugement du 29 mai 1962, reproduit dans ILR 36 (1968) 277.

134 Dans une décision de 1999, la Cour fédérale d'Australie s'est occupée de la question de savoir si le traitement des aborigènes australiens ne constituait pas un génocide. Elle a répondu négativement, constatant de manière formelle que l'Australie n'avait pas encore transposer la Convention sur le génocide dans son droit pénal national; cf. Federal Court of Australia, Nulyarimma and Others v. Thompson , FCA 1192, jugement du 1er septembre 1999.

135 Cour fédérale de cassation, 1 StR 100/94, Tadic, jugement du 13 février 1994; Cour fédérale suprême de Bavière, 3 St 20/96, cause Novislav Djajic, jugement du 23 mai 1997; Cour d'appel de Düsseldorf, IV - 26/96, cause Nikola Jorgic, jugement du 26 septembre 1997; Cour fédérale de cassation, 3 StR 215/98, Sénat pénal de Düsseldorf, jugement du 29 novembre 1999; Cour fédérale suprême de Bavière, cause Djuradj Kusljic, jugement du 15 décembre 1999.

131 132

460

4.2

Nature juridique de l'interdiction du génocide

Il est généralement reconnu que l'interdiction du génocide est dotée du caractère de droit obligatoire et de droit coutumier, ainsi que de l'effet erga omnes136. La valeur de droit coutumier signifie que les normes de la Convention contre le génocide sont, quant au fond, reconnues et appliquées par la communauté internationale comme des règles contraignantes sans autre exigence de forme. Elles s'appliquent donc indépendamment de toute convention internationale, et doivent, autrement dit, être respectées aussi par les Etats qui n'ont pas adhéré au traité137. De la reconnaissance de l'interdiction du génocide comme norme contraignante du droit des gens (ius cogens) résulte notamment l'interdiction, pour les Etats, de convenir de dispositions qui y dérogent138. Le caractère erga omnes veut dire qu'une violation de cette interdiction est considérée comme ayant été perpétrée contre l'ensemble de la communauté des Etats, et que chacun d'entre eux peut, de ce fait, prendre des sanctions contre l'auteur de la violation. Pour ce qui est de l'interdiction du génocide, cela signifie notamment que chaque Etat a le pouvoir de punir le crime de génocide, quel que soit l'endroit où celui-ci a été commis 139.

4.3

Le crime de génocide selon le Statut de la Cour pénale internationale

La définition du crime de génocide telle qu'elle figure à l'art. 6 du Statut de la Cour est inspirée de l'art. II de la Convention contre le génocide. D'autre part, l'art. 6 concorde également avec la définition du génocide donnée dans les statuts des tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie140 et le Rwanda141. La désignation des différents actes punissables tombant sous le coup des dispositions relatives au crime de génocide selon l'art. 6 du Statut n'est toutefois pas très précise. L'objet de l'atteinte ne doit ainsi pas nécessairement être un peuple, et l'homicide ne doit pas impérativement faire partie des éléments constitutifs de l'infraction. En vertu du Statut, l'élément caractéristique du crime de génocide est en effet l'intention de l'auteur de détruire un groupe protégé en tant que tel en commettant certains actes.

136

137

138 139

140 141

Antonio Cassese, La communauté internationale et le génocide , dans: Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement, Mélanges Michel Virally, Paris 1991, p. 186. Cf. aussi CIJ, Affaire de la Barcelona Traction (Belgique c.

Espagne), CIJ Recueil 1970, par. 34; CIJ, Application de la convention pour la préve ntion et la répression du crime de génocide, (Bosnie Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt du 11 juillet 1996, par. 31.

CIJ, avis consultatif du 28 mai 1951, CIJ Recueil 1951; cf. aussi CIJ, Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires , avis du 8 juillet 1996, par. 79 ss; TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Alfred Musema, ICTR-96-13-T, jugement du 27 janvier 2000, par. 151. Cf. aussi le rapport du Secrétaire général de l'ONU du 3 mai 1993 sur la création du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, Nations Unies, Doc. S/25704, par. 45.

Cf. TPIR, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, ICTR-95-1-T, jugement du 21 mai 1999, par. 88.

Cf. pour les détails le message du 31 mars 1999 relatif à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et révision correspondante du droit pénal, FF 1999 4925 s.

Résolution 827 du Conseil de sécurité de l'ONU du 25 mai 1993.

Résolution 955 du Conseil de sécurité de l'ONU du 8 novembre 1994.

461

4.3.1

Champ d'application

Un génocide peut avoir lieu aussi bien en temps de paix que dans le contexte d'un conflit armé, international ou non. Le crime peut être commis par n'importe qui (représentants civils de l'Etat, militaires ou personnes sans rapport avec la puissance étatique).

4.3.2

Délimitation par rapport aux autres infractions qui sont l'objet du Statut

Par sa nature, le crime de génocide est considéré comme un crime contre l'humanité.

Le génocide se distingue toutefois des autres crimes contre l'humanité par le fait qu'il suppose une intention de l'auteur de détruire comme tel, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, alors que les crimes contre l'humanité ont en commun le fait qu'ils ont lieu à l'occasion d'une attaque généralisée ou systématique contre des membres de la population civile (cf. chapitres suivants). Il peut néanmoins arriver que ces deux catégories se recoupent dans certains cas particuliers: le génocide peut par exemple remplir les conditions de l'homicide, de l'extermination et de la persécution (tous sont des crimes contre l'humanité), s'il est dirigé contre les membres d'un groupe protégé. Le fait qu'il soit impossible de prouver que l'auteur avait l'intention spécifique de détruire un groupe protégé n'exclut pas une condamnation pour crime contre l'humanité.

4.3.3

Les groupes protégés

Le bien juridiquement protégé par l'interdiction du génocide n'est pas l'individu, mais l'existence d'un groupe en tant que tel. En conséquence, il est propre au génocide que son auteur ne choisisse pas la victime individuelle en fonction de son identité personnelle, mais sur la base de son appartenance à un groupe déterminé. La notion de «groupe» doit être comprise dans un sens large: elle recouvre la totalité des personnes qui possèdent les qualités particulières qui les distinguent collectivement d'un autre groupe142. Le groupe n'a pas à être uni géographiquement et ne doit pas forcément non plus représenter une majorité dans une région. L'art. 6 protège toutefois uniquement les groupes qui se différencient d'autres groupes par leur caractère national, ethnique, racial ou religieux143. Le tribunal ad hoc pour le Rwanda a désigné comme appartenant à un groupe national toutes les personnes qui, sur la base de leur lien juridique, sont perçues comme telles du fait d'une citoyenneté commune. Est généralement considéré comme groupe ethnique un groupe dont les membres possèdent une langue ou une culture communes. En principe, les groupes raciaux tirent généralement leur caractérisation de leurs propriétés biologiques héréditaires ou de propriétés qui ne sont biologiques qu'en apparence. Les groupes

142 143

462

Antonio Planzer, Le crime de génocide, thèse Fribourg, 1956, p. 96.

En revanche, les discriminations politiques, culturelles, liées au sexe ou de toute autre nature réalisent le délit de persécution qui constitue un crime contre l'humanité pour autant qu'elles aient lieu pour des raisons considérées universellement comme inadmissibles selon le droit des gens (cf. ci-dessous ch. 5.3.2.8).

religieux, finalement, se distinguent par leurs croyances religieuses communes ou par les modalités d'exécution de leur rite religieux144.

La limitation de la nature des groupes protégés se trouve déjà dans la Convention contre le génocide elle-même, qui entendait protéger en premier lieu des groupes stables et permanents, dans lesquels on entre par naissance et non par adhésion volontaire. Pendant les travaux préparatoires du Statut de la Cour pénale internationale et lors de la Conférence de Rome, les débats ont certes porté sur la question de savoir si, mis à part les groupes mentionnés, il fallait également prendre en considération des groupements politiques, sociaux, culturels ou d'appartenance sexuelle spécifique. Il a finalement été convenu que l'on ne s'écarterait pas du texte de la Convention contre le génocide, et que l'on renonçait donc à étendre le champ d'application de l'art. 6. Cette position a également été défendue par le Conseil fédéral dans le message relatif à l'adhésion de la Suisse à la Convention contre le génocide145. Dans la doctrine146 ainsi que, explicitement, dans les jugements les plus récents des tribunaux pénaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda147, il faut cependant relever une tendance qui remet en cause cette conception liée à des critères apparemment objectifs. S'agissant de la qualité de membre d'un groupe déterminé, les juges ont en effet estimé que c'était là un critère plus souvent subjectif qu'objectif. Les groupes peuvent ­ selon eux ­ se définir comme tels eux-mêmes ou alors être désignés comme tels par des tiers, en particulier par les auteurs du génocide. Il arrive ainsi souvent que des personnes soient victimes d'un crime de génocide, parce qu'elles sont perçues par les auteurs comme appartenant à un groupe déterminé, alors qu'en réalité elles n'en possèdent pas les caractéristiques. Compte tenu de cette définition imprécise des groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux, l'appartenance à ces groupes peut ­ selon la jurisprudence ­ être déterminée exclusivement en fonction du contexte politique, social et culturel. Si cette évolution n'a pas une influence directe sur le texte actuel du Statut, le Conseil fédéral est d'avis qu'il serait bon, désormais, de la prendre en compte dans l'interprétation du droit en vigueur.

144

Cf. TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, jugement du 2 septembre 1998, par. 502; TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Alfred Musema, ICTR-96-13-T, jugement du 27 janvier 2000, par. 512 ss; TPIR, Chambre de première instance II, Le Procureur c.

Clément Kayishema et Obed Ruzindana, ICTR-95-1-T, jugement du 21 mai 1999, par. 98.

145 Message sur l'adhésion de la Suisse à la Convention contre le génocide, FF 1999 4930.

146 Cf. Rafaëlle Maison, Le crime de génocide dans les premiers jugements du Tribunal pénal international pour le Rwanda , RGDIP (1999) 129, p. 137; Hans Vest, Die bundesrätliche Botschaft zum Beitritt der Schweiz zur Völkermord-Konvention ­ kritische Überlegungen zum Entwurf eines Tatbestandes über Völkermord , RPS 117 (1999), p. 351, 357.

147 Cf. TPIY, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Goran Jelisic, IT-95-10, jugement du 14 décembre 1999, § 70; TPIR, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana , ICTR-95-1-T, jugement du 21 mai 1999, par. 98; TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c.

Alfred Musema, ICTR-96-13-T, jugement du 27 janvier 2000, par. 161.

463

4.3.4

Les actes punissables

Si l'on considère les divers actes possibles au sens de l'art. 6, on constate que la plupart d'entre eux, mais pas nécessairement tous, sont liés à une atteinte à l'intégrité physique ou psychique des divers membres du groupe. Le génocide par meurtre de membres du groupe (let. a) recouvre normalement des homicides directs et intentionnels. S'agissant du génocide sous forme d'atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe (let. b), il y a lieu de relever que le dommage ne doit pas forcément être durable ou irréparable148. Cette sorte d'infraction peut être réalisée par la torture physique ou psychique, par un traitement inhumain ou dégradant, par le viol ou encore par d'autres formes de violence sexuelle149.

L'acte de soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle (let. c) résume les cas dans lesquels l'auteur ne tue pas directement les membres du groupe, mais vise en fin de compte leur destruction physique. A ce titre, peuvent déjà être qualifiées de génocide achevé certaines actions de mise en danger, sans que l'effet voulu de destruction du groupe n'ait été obtenu. Tel est le cas, notamment, des déportations ou de l'envoi dans des camps de concentration. Le tribunal pour le Rwanda a cité, à titre d'exemples, l'expulsion systématique hors des maisons, les viols, la réduction des prestations médicales vitales en dessous du minimum nécessaire et d'autres harassements d'ordre physique, lorsque ces actions mènent à une mort lente et que c'était là l'intention de leur auteur150. L'élément primordial de ces deux dernières formes de l'acte de génocide est la suppression des bases indispensables à la survie du groupe sans pour autant que l'intégrité corporelle, la vie ou la santé des membres individuels du groupe ne soient obligatoirement touchés par cette action. De même, un génocide par recours à des mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe (let. d) n'est pas seulement réalisé lorsque les membres d'un groupe sont mutilés sexuellement ou stérilisés, mais aussi dans les cas où les conséquences psychiques et traumatiques d'un viol peuvent avoir pour effet que les femmes qui l'ont subi ne seront plus jamais à même de procréer151. L'acte de transfert forcé d'enfants (let. e) peut aussi être réalisé par des menaces, et non seulement par le transfert physique forcé152. Dans ce contexte, sont réputées enfants toutes les personnes âgées de moins

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151

152

464

Cf. TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, jugement du 2 septembre 1998, par. 502; TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Alfred Musema, ICTR-96-13-T, jugement du 27 janvier 2000, par. 156.

Cf. TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Georges A.N. Rutaganda , ICTR-96-3-T, jugement du 6 décembre 1999, par. 51; TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Alfred Musema, ICTR-96-13-T, jugement du 27 janvier 2000, par. 156.

Cf. TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, jugement du 2 septembre 1998, par. 506; TPIR, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana , ICTR-95-1-T, jugement du 21 mai 1999, par. 115 s.; TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Alfred Musema, ICTR-96-13-T, jugement du 27 janvier 2000, par. 157.

Cf. TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, jugement du 2 septembre 1998, par. 508; TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Alfred Musema, ICTR-96-13-T, jugement du 27 janvier 2000, par. 158.

Cf. TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Alfred Musema, ICTR-96-13-T, jugement du 27 janvier 2000, par. 159.

de 18 ans153. Soulignons cependant une fois encore que tous ces actes ne seront qualifiés de génocide ­ comme il y aura lieu de l'expliquer en détail ci-après ­ que s'ils ont été commis intentionnellement et surtout dans l'intention d'anéantir physiquement un groupe déterminé.

Lors de l'élaboration du Statut de la Cour pénale internationale, on a renoncé à y faire figurer d'autres formes d'éléments constitutifs de crimes bien que l'on ait souligné le caractère de génocide des «épurations ethniques». Celles-ci peuvent toutefois être comprises dans d'autres formes déjà existantes du génocide ou, à défaut, tombent sans aucun doute dans la catégorie des crimes contre l'humanité.

4.3.5

Dimension subjective du génocide

Selon l'art. 30 du Statut, les crimes doivent, pour relever de la compétence de la Cour, avoir été commis intentionnellement. Le génocide est un crime qui, de toute manière, ne peut pas être commis par négligence, puisqu'il présuppose, comme caractéristique spéciale, l'intention de l'auteur (dolus specialis) de détruire, totalement ou partiellement, un groupe qui se distingue par sa nationalité, sa race, sa religion ou son appartenance ethnique. Cette préméditation fait du génocide le plus grave de tous les crimes. Pour que l'acte punissable soit parachevé, il n'est pas nécessaire que cette intention se réalise: contrairement à une opinion généralement admise, le crime de génocide ne doit pas avoir pour conséquence l'extinction effective d'un groupe dans son ensemble154; le nombre des victimes directes est même secondaire. L'auteur se rend coupable dès le moment où il réalise intentionnellement un des actes mentionnés à l'art. 6, let. a à e, en agissant avec préméditation, comme nous venons de le spécifier155. Ainsi suffit-il que l'auteur lui-même n'ait tué qu'une seule personne156, s'il peut être prouvé que son intention était de détruire, totalement ou partiellement, un groupe entier en tant que tel. Etant donné que l'intention de l'auteur peut, dans ce cas, avoir été bien au-delà du résultat obtenu, on dit de cette infraction qu'elle a été commise avec «l'intention de détruire». L'intention de détruire de l'auteur doit porter sur une partie importante du groupe. Ce qui compte, ce n'est pas que le nombre de personnes soit élevé ou faible, mais qu'il soit vital pour la survie du groupe (p. ex. des représentants politiques, religieux, intellectuels, économiques ou autres157). L'auteur doit par ailleurs vouloir détruire le groupe «en tant que tel», c'est-à-dire en tant qu'unité particulière, distincte des autres groupes.

Il ne suffit pas de vouloir tuer uniquement quelques personnes en raison de leur appartenance à un groupe déterminé. Si l'auteur a l'intention de tuer une certaine personne uniquement parce qu'elle fait partie d'un groupe, il ne commet pas de génocide. Cela n'exclut toutefois pas une condamnation pour d'autres raisons (crime 153

154 155 156 157

Cf. ch. 5 des «éléments des crimes» de l'art. 6, let. e, Nations Unies, Doc. PCNICC/2000/INF/3/Add.2 (état au 6 juillet 2000); cette limite d'âge correspond aussi à celle de l'art. 1 de la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant; RS 0.107, qui est entrée en vigueur pour la Suisse le 26 mars 1997.

Cf. TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, jugement du 2 septembre 1998, par. 497.

Cf. à ce sujet le message sur l'adhésion de la Suisse à la Convention sur le génocide; FF 1999 4922 s.

Cf. les «éléments des crimes» à l'art. 6 du Statut, Nations Unies, Doc. PCNICC/2000/INF/3/Add.2 (état au 6 juillet 2000).

Cf. TPIY, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Goran Jelisic, IT-95-10, jugement du 14 décembre 1999, par. 82.

465

contre l'humanité ou ­ même si cela ne relève pas de la compétence de la Cour pénale internationale ­ homicide de droit commun).

Dans la pratique, la preuve de cette intention spéciale représente une tâche extrêmement difficile. Il n'est dès lors pas étonnant que seul un nombre infime de personnes aient, jusqu'ici, été condamnées pour génocide158. De l'avis des tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, cette intention peut être prouvée à l'appui de divers faits, circonstances ou comportements de l'auteur. Entrent en ligne de compte la nature massive ou systématique, ainsi que la cruauté des attaques menées contre un groupe déterminé159, les atteintes au corps ou aux biens de membres d'un groupe, le dénigrement verbal de ces membres, le type des armes utilisées, la gravité des blessures corporelles infligées160 et d'autres facteurs encore. Hormis le cas dans lequel l'auteur fait connaître lui-même son intention, la preuve d'une telle intention ne devrait vraisemblablement pouvoir être apportée que si les actes de cette personne s'intègrent dans un contexte plus large. Une personne seule ne détient généralement pas les moyens de commettre un génocide. Il est vrai que ni le Statut, ni la Convention contre le génocide n'exigent l'existence d'un plan pour l'exécution de ce crime. Peuvent toutefois être assimilées à un plan non seulement la logique, mais aussi la nature systématique des crimes contre l'humanité, dont le génocide apparaît comme une expression particulière161.

4.4

Caractère punissable du crime de génocide dans le droit suisse en vigueur

Le 31 mars 1999, le Conseil fédéral a soumis au Parlement le message relatif à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et la révision correspondante du droit pénal162. Le Conseil national et le Conseil des Etats ont tous deux approuvé l'adhésion à la Convention contre le génocide163 et ont également adopté, le 24 mars 2000, le projet de loi portant exécution de ces dispositions dans le droit suisse164. Le Conseil fédéral a déclaré l'adhésion de la Suisse à la Convention le 7 septembre de cette année. Par voie de conséquence, le titre 12bis du Code

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162 163 164

466

La Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a tout récemment acquitté un accusé de l'accusation de génocide pour ce motif; cf. TPIY, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Goran Jelisic, IT-95-10, jugement du 14 décembre 1999.

Cf. TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, jugement du 2 septembre 1998, par. 478; TPIY, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Goran Jelisic, IT-95-10, jugement du 14 décembre 1999, par. 73.

Cf. TPIR, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, ICTR-95-1-T, jugement du 21 mai 1999, § 93; TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Alfred Musema, ICTR-96-13-T, jugement du 27 janvier 2000, par. 166.

Cf. TPIR, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, ICTR-95-1-T, jugement du 21 mai 1999, par. 93 s.; TPIY, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Goran Jelisic, IT-95-10, jugement du 14 décembre 1999, par. 87 et par. 98; cf. William A. Schabas, Follow up to Rome: Preparing for Entry Into Force of the International Criminal Court Statute , HRLJ 20 (1999), 164, Hans Vest, loc. cit., p. 362.

FF 1999 4911 ss.

BO 1999 N 2420; BO 2000 E 63.

BO 2000 N 459; BO 2000 E 226.

pénal165 sera complété, le 15 décembre 2000, par un art. 264, dont la teneur s'appuie largement sur l'article II de la Convention contre le génocide. Grâce à l'adoption de cette disposition, il est garanti qu'en Suisse aussi, une personne peut être poursuivie et condamnée pour génocide. Cela est également valable pour des actes préparatoires, qui se situent avant le seuil de la tentative (art. 260bis CP), ainsi que pour la provocation au crime de génocide (art. 259 CP). L'al. 2 de l'art. 264 introduit d'autre part en Suisse, s'agissant du caractère punissable du crime de génocide, le principe de l'universalité. En vertu de celui-ci, des actes perpétrés à l'étranger par des non-Suisses contre des non-Suisses peuvent être l'objet d'une procédure en Suisse, pour autant que l'auteur séjourne en Suisse et que son extradition soit impossible. Selon l'art. 75bis, al. 1, ch. 1, CP, le crime de génocide n'est par ailleurs pas soumis à prescription. Il est donc garanti que la Suisse pourra elle-même exécuter la procédure en cas d'accusation de crime de génocide166. En outre, conformément à l'art. 261bis CP, sont également punis la négation du génocide et le fait de minimiser grossièrement ou de justifier ce crime.

5 5.1

Crimes contre l'humanité (art. 7) Sources juridiques et évolution historique de l'interdiction des crimes contre l'humanité

Le juriste suisse Jean Graven a constaté, il y a cinquante ans déjà, que les crimes contre l'humanité sont aussi vieux que l'humanité elle-même167. La notion de crimes contre l'humanité en tant que concept juridique indépendant et l'imputation de la responsabilité pénale individuelle pour leur perpétration ont été reconnues pour la première fois après la Seconde Guerre mondiale, à l'art. 6, let. c, du Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg168. L'idée était de ne pas se contenter de châtier ceux qui s'étaient rendus coupables de crimes de guerre, dans l'acception traditionnelle, contre les civils et les belligérants de la partie adverse 169. Il s'agissait de punir également les crimes commis avant que la guerre n'éclate, ainsi que les attaques contre les personnes apatrides, les personnes ayant la même nationalité que les auteurs de l'infraction ou celle d'un Etat allié à celui des auteurs, des personnes qui ne pouvaient donc pas être considérées comme membres de la partie adverse et qui ne bénéficiaient pas à ce titre de la protection du droit traditionnel de la guerre170. Sur la base des Principes de Nuremberg, la responsabilité pénale individu elle pour crimes contre l'humanité a été reprise à l'art. 2, ch. 1, let. c, de la Loi n o 10

165 166

167 168

169 170

RS 311.0 Cf. les explications du message sur l'adhésion de la Suisse à la Convention contre le génocide concernant l'imprescriptibilité, la punissabilité de la négation d'un génocide et l'exclusion de l'objection du caractère politique du génocide en matière d'entraide judiciaire; FF 1999 4928.

Jean Graven, Les Crimes contre l'Humanité, RdC 76 (1950-I), 427-605 (433).

Bases légales pour le Tribunal militaire international de Nuremberg: Statut annexé à la Charte de Londres du 8 août 1945 (82 U.N.T.S. 279, 59 Stat. 1544. E.A.S. no 472), reproduit notamment in: Charles I. Bevans (éd.), Treaties and other International Agreements of the United States of America , vol. 3, 1970, p. 1238.

Cf. Roger Clark, Crimes against Humanity at Nuremberg , dans: The Nuremberg Trial and International Law, Ginsburgs and Kudriavtsev (éd.), (1990) 177.

Cf. TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-T, jugement du 7 mai 1997, par. 619.

467

du Conseil de contrôle («Control Council Law No. 10» )171 sur laquelle les quatre puissances d'occupation se sont fondées pour poursuivre d'autres crimes commis par des soldats et des officiels du régime national-socialiste. A la même époque a été institué à Tokyo le Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient dont le statut prévoyait également, à l'art. 5, let. c, une catégorie des crimes contre l'humanité172. Aucun des 25 accusés japonais n'a toutefois été condamné à ce titre. Seuls les crimes de guerre ont été retenus173.

L'interdiction des crimes contre l'humanité a été confirmée ultérieurement par l'Assemblée générale des Nations Unies174. En 1947, cette Assemblée a chargé la Commission du droit international de codifier les principes de droit international reconnus par le Statut et les jugements du Tribunal militaire de Nuremberg ainsi que d'établir un catalogue des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité175. En 1950, la Commission du droit international a soumis à l'Assemblée générale des Nations Unies un texte sur les «sept principes de Nuremberg» prévoyant qu'un crime contre l'humanité est punissable en tant que crime en vertu du droit international176. En 1954, les crimes contre l'humanité ont été intégrés dans le Projet de traité sur les infractions contre la paix et la sécurité de l'humanité au titre d'«actes inhumains»177. En 1993 et 1994, les crimes contre l'humanité ont été inclus, comme catégorie propre, dans les Statuts des tribunaux pénaux internationaux pour l'exYougoslavie et pour le Rwanda. En 1996, la Commission du droit international des Nations Unies a une nouvelle fois présenté à l'Assemblée générale le projet de 1954, dans une version remaniée, sous forme de «Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité»178. Si ce projet n'a pas débouché sur une convention internationale, les travaux préparatoires de la Commission du droit international ont pour le moins servi de base à l'institution de la Cour pénale internationale. Lors des travaux préparatoires du Statut, les Etats sont tombés d'accord sur la nécessité d'y inclure les crimes contre l'humanité. La définition des différents crimes s'est toutefois révélée extrêmement difficile. Il a en effet fallu étudier soigneusement les sources mentionnées et les règles jurisprudentielles
pour en tirer le droit international coutumier déterminant.

Les décisions des tribunaux internationaux et nationaux ont contribué à définir les crimes contre l'humanité. Ainsi, le Tribunal militaire international de Nuremberg a été la première instance judiciaire à prendre position tant sur le champ d'application que sur les éléments constitutifs des différents crimes contre l'humanité. En 1961, Adolf Eichmann a été condamné en Israël pour son rôle dans la solution finale, 171

172

173 174 175 176 177 178

468

Loi no 10 du 20 décembre 1945 du Conseil de contrôle («Control Council Law No. 10»): Punishment of Persons Guilty of War Crimes, Crimes Against Peace and Against Humanity, Official Gazette of the Control Council for Germany, No. 3, p. 22, cité par Ratner/Abrams, loc. cit., p. 308 s.

Le Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg a été repris pour Tokyo par la proclamation du Commandement suprême des alliés au Japon, 19 janvier 1946 (T.I.A.S. 1589), reproduit in Bevans, loc. cit., vol. 4, 1970, p. 20.

Cf. Ratner/Abrams, loc. cit., p. 46 s.

Résolution 95 (I) du 11 décembre 1946.

Résolution 177 (II) du 21 novembre 1947.

Principes de droit international reconnus par le statut du Tribunal de Nuremberg et dans le jugement de ce tribunal , Annuaire C.D.I., 1950, Vol. II, 374.

C.D.I., Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité , Annuaire C.D.I. 1954, vol. II.

C.D.I., Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité , Assemblé générale, Documents officiels, 51e session, Supplément No 10 (A/51/10).

notamment au titre de crimes contre l'humanité179. Dans les années 80 et 90, plusieurs représentants du régime de Vichy, notamment Klaus Barbie180, Paul Touvier181 et Maurice Papon182, ont été condamnés en France. Des procès ont également eu lieu ces dernières années au Canada183 et dans d'autres Etats. Dans la jurisprudence récente sur les crimes contre l'humanité, ce sont toutefois les tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda qui jouent le rôle le plus important 184.

Il convient de mentionner enfin que différents Etats, ces dernières années surtout, ont inscrit les crimes contre l'humanité dans leurs codes pénaux ou dans des arrêtés spéciaux. Parmi ces Etats figurent notamment la Belgique185, le Canada186, l'Estonie187, la Finlande188, la France189, le Congo190, le Pérou191, la Pologne192, le Rwanda193, la Slovénie194 et le Royaume-Uni195.

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Cf. Procureur général du gouvernement d'Israël c. Adolf Eichmann , jugement du 12 décembre 1961.

Cour d'Appel de Lyon, jugement du 8 juillet 1983, J.D.I. 1983, p. 791 ss; Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, jugement du 6 octobre 1983, Bull. p. 610 ss; Cour de Cassation, Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes c. Klaus Barbie , jugement du 20 décembre 1985, Bulletin des arrêts de la Cour de Cassation, 1985, p. 1038.

Cour de Cassation, Touvier, jugement du 27 novembre 1992, 1992 Bull. Crim., n o 394, 1085.

Cour d'Assises de la Gironde (Bordeaux), Papon, jugement du 2 avril 1998; confirmé par la Cour de Cassation le 21 octobre 1999.

Cf. Cour suprême du Canada, Regina c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701.

Cf. le résumé de la jurisprudence des tribunaux ad hoc dans le commentaire à l'art. 7 du Statut du 24 novembre 1999 adressé par la Suisse à la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale, Nations Unies, Doc. PCNICC/1999/WGEC/DP.35.

Loi relative à la répression des violations graves de droit international humanitaire du 10 février 1999, Moniteur Belge du 23 mars 1999, p. 9286.

Code pénal canadien, p. 7 (3.76); cf. aussi la Loi concernant le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre et visant la mise en oeuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale(Loi sur les crimes contre l'humanité) , Projet de loi C-19 du décembre 1999.

Code pénal estonien, chap. I, art. 61 par. 1, accepté le 9 novembre 1994, Riigi Teataja (feuille législative nationale) I 1994, 83, 1447, 439.

Code pénal finlandais, chap. 11, accepté le 21 avril 1995, Suomen sää döskokoelman sopimussarja (feuille législative finlandaise) 1995/587.

Code pénal français, art. 212-1, al. 1, adopté par la loi n o 92-1336 du 16 décembre 1992 et modifié par la loi no 93-913 du 19 juillet 1993, entrée en vigueur le 1 er mars 1994.

Loi no 8-98 du 31 octobre 1998 relative à la définition et à la répression du génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.

Loi no 29626 relative à la modification de quelques dispositions du Code pénal péruvien et l'introduction de la section XIV-A concernant les crimes contre l'humanité du 30 janvier 1991.

Code pénal polonais, loi du 6 juin 1997, Dziennik Ustaw Rzeczypospolitej Polskiej (Journal législatif de la République
polonaise), no 88 du 2 août 1997, partie n o 553.

Loi 8/96 du 30 août 1996 relative à l'organisation de la poursuite des infractions, qui constituent depuis le 1 er octobre 1990 un crime de génocide ou un crime contre l'humanité, entrée en vigueur le 1er septembre 1996.

Code pénal slovène, chap. 35, Infractions contre l'humanité et le droit des gens, publié dans la feuille officielle de la République de Slovénie no 63 du 13 octobre 1994, en vigueur depuis le 1er janvier 1995.

Cf. le projet d'un «Crimes Against Humanity and War Crimes Bill», qui a été soumis au parlement britannique le 24 juillet 2000.

469

5.2

Nature juridique des crimes contre l'humanité

Il est généralement reconnu que l'interdiction de perpétrer des crimes contre l'humanité a un caractère de droit international coutumier196. C'est ainsi que le Comité préparatoire pour la création d'une Cour pénale internationale et la Conférence de Rome sont partis de l'idée que les crimes contre l'humanité prévus dans le Statut étaient en principe interdits en vertu du droit international coutumier, même si leurs profils devaient parfois être encore précisés197. La perpétration de crimes contre l'humanité contrevient simultanément aussi au droit international impératif (jus cogens)198: un Etat qui pratique une politique axée sur la commission de crimes contre l'humanité est responsable en droit international pour violation du jus cogens. Dans un de ses jugements les plus significatifs, le Tribunal militaire de Nuremberg a relevé, il y a 50 ans déjà, que les crimes ne sont en définitive pas commis par les Etats, mais par des individus, et que ceux-ci ne peuvent pas se prévaloir de leur immunité et se cacher derrière leurs fonctions officielles199. En outre, l'interdiction des crimes contre l'humanité impose des obligations erga omnes. Cela signifie qu'elle crée non pas des obligations dépendantes les unes des autres (synallagmatiques), mais des devoirs visant à protéger les valeurs fondamentales de l'humanité, qui doivent donc être remplis indépendamment du comportement des autres200.

Par son inscription dans le Statut, l'interdiction des crimes contre l'humanité a acquis, pour la première fois au niveau du droit international, une base conventionnelle largement étayée.

5.3 5.3.1

Les éléments constitutifs des crimes contre l'humanité selon le Statut de la Cour pénale internationale Champ d'application

Tout comme le crime de génocide, les crimes contre l'humanité peuvent être commis aussi bien en temps de paix que dans le contexte de conflits armés de caractère international ou interne. L'infraction peut être commise par tout un chacun, par des représentants civils de l'Etat comme par des militaires ou des personnes qui n'ont aucun lien avec l'autorité publique.

196

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199 200

470

Cf. TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-T, jugement du 7 mai 1997, par. 622; TPIY, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Goran Jelisic, IT-95-10, jugement du 14 décembre 1999, par. 53; TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Kupreskic et al. , IT-95-16, jugement du 14 janvier 2000, par. 545 ss.

Cf. Herman von Hebel/Darryl Robinson, Crimes within the Jurisdiction of the Court , dans: Roy S. Lee (éd.), The Making of the Rome Statute, La Haye et. al. 1999, p. 90 s.

TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Kupreskic et al. , IT-95-16, jugement du 14 janvier 2000, par. 520; cf. Bassiouni, Crimes Against Humanity in Inte rnational Criminal Law, 2e édition, 1999, p. 210 ss.

T.M.I., jugement du 30 septembre­1er octobre 1946 contre les grands criminels de guerre, Vol. I, p. 235.

Cf. TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Kupreskic et al. , Decision On Defence Motion to Summon Witness , décision du 3 février 1999; confirmé dans TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Kupreskic et al. , IT-95-16, jugement du 14 janvier 2000, par. 23.

5.3.1.1

Attaque généralisée ou systématique contre la population civile

En vertu de l'art. 7, al. 1, des crimes tels que le meurtre, l'extermination ou la réduction en esclavage constituent des crimes contre l'humanité uniquement s'ils sont commis «dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et en connaissance de cette attaque». L'art. 7, al. 2, définit la notion d'attaque comme un «comportement qui consiste à multiplier les actes visés au par. 1 à l'encontre d'une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d'un Etat ou d'une organisation ayant pour but une telle attaque». La commission des différents crimes contre l'humanité doit s'intégrer dans une action caractérisée par son ampleur ou par son degré d'organisation et dirigée contre les membres de la population civile. Ce contexte est indispensable pour que ces crimes soient qualifiés de crimes contre l'humanité et relèvent ainsi de la compétence de la Cour pénale. Les critères de massivité et de systématicité ne sont pas cumulatifs. Le fait qu'il s'agisse d'une alternative découle de la genèse des crimes contre l'humanité. Le caractère coutumier de cette exigence d'alternative a été confirmé aussi dans la jurisprudence du Tribunal de Nuremberg et des tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda201. Au sein du Comité préparatoire pour la création de la Cour pénale, la majorité des Etats s'est également opposée à une formulation cumulative des deux caractéristiques contextuelles de ces crimes.

Il faut toutefois observer que, selon la définition de l'attaque donnée à l'art. 7, al. 2, un crime isolé contre l'humanité doit être accompagné d'autres crimes contre l'humanité et que ces crimes doivent apparaître comme un soutien à la politique d'un Etat ou d'une organisation quelconque (qui peut être non gouvernementale202).

S'il n'est pas nécessaire que cette politique soit officiellement adoptée comme politique d'Etat ou soit expressément formulée203; la mise en oeuvre de moyens publics ou privés importants est cependant indispensable 204.

En résumé, pour atteindre le seuil d'un crime contre l'humanité, un acte doit être commis de manière «généralisée» ou «systématique», mais en tout cas plusieurs fois et dans le cadre d'une «politique». Ces exigences doivent permettre d'exclure que des actes isolés, sans rapport avec une attaque contre la population civile, puissent être qualifiés de crimes contre l'humanité205.

201

202

203 204 205

Cf. TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, jugement du 2 septembre 1998, par. 579; TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Georges A.N. Rutaganda , ICTR-96-3-T, jugement du 6 décembre 1999, par. 68.

Cf. TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-T, jugement du 7 mai 1997, par. 655; ICTR, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana , TPIR-95-1-T, jugement du 21 mai 1999, par. 125 s.

Cf. TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Kupreskic et al. , IT-95-16, jugement du 14 janvier 2000, par. 551.

Cf. TPIY, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, jugement du 2 septembre 1998, par. 580.

Cf. TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-T, jugement du 7 mai 1997 par. 648; TPIR, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana , ICTR-95-1-T, jugement du 21 mai 1999, par. 123.

471

5.3.1.2

Caractérisation de l'attaque et lien entre l'acte et l'attaque

Dans le contexte des crimes contre l'humanité, l'attaque contre une population civile ne doit pas forcément avoir lieu dans le cadre d'un conflit armé206. Il n'est même pas nécessaire qu'il s'agisse, dans chaque cas, d'un acte de violence207. L'attaque est en fait la définition de l'événement dans lequel s'inscrivent les différents actes punissables208. Il faut toutefois que ces actes aient un rapport matériel avec une attaque généralisée ou systématique contre la population civile. Si ce rapport fait défaut, c'est-à-dire si un crime ne s'intègre pas à la politique menée contre une partie de la population civile, mais est commis uniquement pour d'autres motifs (p. ex. un meurtre par pure jalousie), il n'y a pas crime contre l'humanité209. S'il existe en revanche un lien entre l'acte de l'auteur et une politique systématique, c'est-à-dire s'il est le produit d'un régime politique basé sur la terreur ou le déni des droits de l'homme, même un acte isolé peut constituer un crime contre l'humanité210.

5.3.1.3

Définition de la notion de victime

Les victimes de cette attaque sont définies, dans le Statut, comme membres de la «population civile». Dans la jurisprudence, la notion de «population civile» est prise dans un sens large. Tout d'abord, la nationalité de la victime ne joue aucun rôle: celle-ci peut être de la même nationalité que l'auteur, d'une nationalité différente ou apatride211. En outre, les crimes contre l'humanité sont punissables lorsqu'ils sont commis non seulement contre des civils sans uniforme et sans lien avec l'autorité publique, mais aussi contre toutes les autres personnes qui ne participent pas directement aux hostilités. Sont ainsi aussi protégés les membres de forces armées qui ont déposé les armes, ainsi que toutes les autres personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention ou pour toute autre cause212. La jurisprudence qualifie en outre de civils des personnes qui ne peuvent pas être considérées 206

207 208 209 210 211 212

472

Cf. TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Kupreskic et al. , IT-95-16, jugement du 14 janvier 2000, par. 545; TPIR, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana , ICTR-95-1-T, jugement du 21 mai 1999, par. 127; TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, jugement du septembre 1998, par. 565; TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-T, jugement du 7 mai 1997, par. 623; TPIY, Chambre d'appel, Le Procureur c.

Tadic, arrêt relatif à l'appel de la Défense concernant l'exception préjudicielle d'incompétence, IT-94-1-AR72, arrêt du 2 octobre 19 Cf. TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, jugement du 2 septembre 1998, par. 581.

Cf. TPIR, Chambre de première II, Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzi ndana, ICTR-95-1-T, jugement du 21 mai 1999, par. 122.

Cf. TPIY, Chambre d'appel, Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-A, jugement du 15 juillet 1999, par. 271.

Cf. TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-T, jugement du 7 mai 1997, par. 649.

Cf. TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-T, jugement du 7 mai 1997, par. 635.

TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, jugement du 2 septembre 1998, par. 582; TPIR, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana , ICTR-95-1-T, jugement du 21 mai 1999, par. 127 s.

comme des «non-combattants» typiques (par ex. membres de la Résistance ayant participé activement à des conflits)213.

5.3.1.4

Eléments constitutifs subjectifs de l'infraction concernant l'attaque contre la population civile

La question de savoir dans quelle mesure une personne qui commet un crime contre l'humanité devait savoir que son acte s'inscrivait dans le cadre d'une attaque dirigée contre la population civile est contestée. Pour la Cour pénale, il faut y répondre positivement, puisque l'art. 7, al. 1, dispose que l'auteur doit avoir agi «en connaissance de l'attaque». La jurisprudence ne demande pas à l'auteur qu'il ait connu tous les détails de l'attaque, mais uniquement qu'il ait été conscient du contexte élargi dans lequel son acte a été perpétré. Cette connaissance peut être déduite implicitement des circonstances214. S'agissant d'actes commis pour d'autres motifs, purement personnels, on peut se demander s'ils réunissent aussi les éléments constitutifs des crimes contre l'humanité. La réponse est donnée par la récente jurisprudence des tribunaux ad hoc (se référant à des décisions antérieures) selon laquelle l'existence de motifs personnels n'a aucune importance particulière tant que l'auteur est conscient que son acte s'inscrit aussi dans la dimension plus vaste d'une attaque contre la population civile215. Dans le cadre de l'art. 7 du Statut, il n'est pas nécessaire que l'auteur ait, dans chaque cas, commis ses actes dans une intention discriminatoire.

Cette intention est requise uniquement pour le crime de persécution. De l'avis du tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie, le droit international coutumier n'exige pas non plus une telle intention216. Le fait que le Statut du tribunal pénal pour le Rwanda requiert, dans chaque cas, une action discriminatoire contre des parties déterminées de la population civile s'explique par le contexte spécifique de la guerre civile rwandaise entre Hutus et Tutsis.

5.3.2

Les actes punissables (art. 7, al. 1)

Les actes punissables suivants revêtent le caractère de crimes contre l'humanité uniquement s'ils sont perpétrés dans le contexte, exposé ci-dessus, d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile.

213

Cf. TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-T, jugement du 7 mai 1997, par. 639 avec référence à la jurisprudence dans la cause Barbie.

TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Kupreskic et al. , IT-95-16, jugement du 14 janvier 2000, par. 556 s.; TPIY, Chambre d'appel, Le Procureur c.

Dusko Tadic, IT-94-1-A, jugement du 15 juillet 1999, par. 271; TPIR, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana , ICTR-95-1-T, jugement du 21 mai 1999, par. 134; TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-T, jugement du 7 mai 1997, par. 656 ss, avec référence à la jurisprudence nationale, en particulier de l'époque d'après la deuxième guerre mondiale.

215 Cf. TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Kupreskic et al. , IT-95-16, jugement du 14 janvier 2000, par. 558; TPIY, Chambre d'appel, Le Procureur c.

Dusko Tadic, IT-94-1-A, jugement du 15 juillet 1999, par. 238 ss, 270 ss.

216 Cf. TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Kupreskic et al. , IT-95-16, jugement du 14 janvier 2000, par. 558; TPIY, Chambre d'appel, Le Procureur c.

Dusko Tadic, IT-94-1-A, jugement du 15 juillet 1999, par. 291 s.

214

473

5.3.2.1

Meurtre (art. 7, al. 1, let. a)

Le meurtre est une des infractions prévues dans tous les instruments visant à réprimer les crimes contre l'humanité et punies par tous les systèmes juridiques nationaux. Le meurtre («murder» dans la version anglaise) englobe toutes les situations dans lesquelles l'auteur provoque, par sa conduite, la mort d'une personne et agit intentionnellement quant à son comportement et au résultat attendu. Un motif supplémentaire, particulièrement odieux, comme le prescrit par exemple l'art. 112 CP, n'est pas requis.

5.3.2.2

Extermination (art. 7, al. 1, let. b)

L'extermination est un des crimes typiques contre l'humanité. Outre les massacres, l'extermination au sens de l'art. 7, al. 2, let. c, comprend aussi «le fait d'imposer intentionnellement des conditions de vie» ­ notamment la privation d'accès à la nourriture et aux médicaments ­ «calculées pour entraîner la destruction d'une partie de la population»217. A la différence du meurtre, l'extermination est, par définition, dirigée contre plusieurs personnes218. L'individualité de la victime importe peu à l'auteur. La caractéristique de ce crime réside dans le grand nombre de victimes, avec lesquels l'auteur n'a aucun rapport particulier219. Le critère de masse n'exclut toutefois pas que, dans des cas particuliers, un auteur puisse être condamné pour extermination, bien qu'il n'ait causé la mort que d'une seule personne. Dans un tel cas, un élément subjectif est indispensable: l'auteur devait être conscient que son acte s'inscrivait dans le cadre d'un massacre auquel il était donc étroitement lié dans le temps et l'espace220. Les victimes ne doivent pas, comme c'est le cas pour le génocide, appartenir à un groupe spécifique. Le critère déterminant est un grand nombre de victimes que l'auteur a pu choisir même sans tenir compte de leur appartenance à un groupe. Lorsque l'extermination se fonde en plus sur un motif discriminatoire, si bien que le crime de persécution serait aussi accompli, il peut y avoir concours avec le crime de génocide. Il faut alors déterminer, dans le cas d'espèce, s'il s'agit d'un concours réel donnant la possibilité de punir l'auteur pour les deux catégories d'infractions221.

217

218

219

220 221

474

Cf. aussi TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c.

Georges A.N. Rutaganda, TPIR-96-3-T, jugement du 6 décembre 1999, par. 84; TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Musema, TPIR-96-13-T, jugement du 27 janvier 2000, par. 219.

Cf. TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu , TPIR-96-4-T, jugement du 2 septembre 1998, 591; Chambre de première instance I, Le Procureur c. Georges A.N. Rutaganda , TPIR-96-3-T, jugement du 6 décembre 1999, par. 82.

Cf. TPIR, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, TPIR-95-1-T, jugement du 21 mai 1999, par. 142; Cherif Bassiouni, loc. cit., p. 302.

TPIR, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, TPIR-95-1-T, jugement du 21 mai 1999, par. 147.

Cf. à ce sujet TPIR, Chambre de première instance II, Le Procureur c.

Clément Kayishema et Obed Ruzindana , TPIR-95-1-T, jugement du 21 mai 1999, par. 625 ss.

5.3.2.3

Réduction en esclavage (art. 7, al. 1, let. c)

La punissabilité individuelle du crime de réduction en esclavage figure, depuis la Seconde Guerre mondiale, dans tous les statuts importants visant à réprimer les crimes contre l'humanité. La Convention relative à l'esclavage, adoptée en 1926, contenait déjà une définition de l'esclavage et imposait aux Etats contractants l'obligation de poursuivre pénalement ce crime222. Dans ce contexte, le travail forcé qui n'est pas justifié par des circonstances particulières apparaît comme une caractéristique particulière. C'est en 1930, par la Convention sur le travail forcé, que les Etats ont, pour la première fois, été tenus de poursuivre pénalement ce crime223.

Dans la jurisprudence du Tribunal de Nuremberg, le travail forcé apparaît comme l'un des éléments fondamentaux de l'esclavage224. En 1999 enfin, une Convention sur l'interdiction des pires formes de travail des enfants, qui qualifie le travail forcé de pratique assimilable à l'esclavage, a été adoptée dans le cadre de l'Organisation internationale du travail225. Différents textes relatifs aux droits de l'homme proscrivent aussi l'esclavage et le travail forcé sans toutefois les pénaliser226.

Le Statut définit le crime de réduction en esclavage à l'art. 7, al. 2, let. c, comme «le fait d'exercer sur une personne l'un ou l'ensemble des pouvoirs liés au droit de propriété, y compris dans le cadre de la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants». Cette définition s'inspire de la Convention de 1926 relative à l'esclavage. Elle stigmatise en plus, à titre d'exemple, la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants, que les Etats s'étaient engagés à punir, en 1921 déjà, dans un accord 227.

5.3.2.4

Déportation ou transfert forcé de population (art. 7, al. 1, let. d)

La déportation de population a été un des crimes majeurs sur lesquels le Tribunal militaire de Nuremberg a eu à se prononcer. Elle figure, depuis lors, dans les principaux catalogues de crimes contre l'humanité à proscrire. Le transfert forcé de population est considéré pour la première fois comme un crime contre l'humanité dans le projet de code international des crimes présenté en 1996 par la Commission du droit

222

223

224 225 226

227

Convention du 25 septembre 1926 relative à l'esclavage; RS 0.311.37, entrée en vigueur pour la Suisse le 1er novembre 1930; Convention complémentaire du 7 septembre 1956 relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage; RS 0.311.371, entrée en vigueur pour la Suisse le 28 juillet 1964.

Convention no 29 du 28 juin 1930 concernant le travail forcé ou obligatoire; RS 0.822.713.9, entrée en vigueur pour la Suisse le 23 mai 1941; Convention n o 105 du 25 juin 1957 concernant l'abolition du travail forcé; RS 0.822.720.5, entrée en vigueur pour la Suisse le 18 juillet 1959.

Procédure contre von Schirach et Sauckel , procès devant le T.M.I. (22), p. 565­568.

Convention no 182 concernant l'interdiction des pires formes de travail des enfants et l'action immédiate en vue de leur élimination; FF 2000 372 ss.

Cf. art. 4 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950; RS 0.101, entrée en vigueur pour la Suisse le 28 novembre 1974; art. 8 du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques; RS 0.103.2, entrée en vigueur pour la Suisse le 18 septembre 1992.

Convention internationale du 30 septembre 1921 pour la suppression de la traite des femmes et des enfants; RS 0.311.33, entrée en vigueur pour la Suisse le 1er février 1926.

475

international. Il est toutefois déjà mentionné dans la quatrième Convention de Genève du 12 août 1949 sur la protection des personnes civiles en temps de guerre et a été précisé dans les Protocoles additionnels de 1977228. Dans le contexte historique que l'on a connu jusqu'ici, les notions de «déportation» (en allemand «Vertreibung» et en anglais «deportation») et de «transport forcé» n'ont pas toujours recouvert les mêmes faits. Le Statut lui-même définit le crime de déportation ou de transfert forcé de population à l'art. 7, al. 2, let. d, comme «le fait de déplacer de force des personnes, en les expulsant ou par d'autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement, sans motifs admis en droit international». Selon une conception largement répandue229, commet le crime de «déportation» celui qui chasse l'ensemble ou une partie de la population civile d'un Etat ou d'un territoire occupé dans un autre Etat. La déportation englobe tant l'expulsion pure et simple que le transfert dans un endroit déterminé à l'étranger (p. ex. dans un camp de concentration). Se rend coupable du crime de transfert forcé, celui qui déporte tout ou partie de la population civile d'un Etat au sein du même Etat ou le transfert par contrainte dans un autre endroit, toujours au sein du même Etat. Que la victime soit ou non de même nationalité que l'auteur ne joue aucun rôle pour le champ d'application de ce crime.

Les conflits internes de ces dernières années ont bien montré que les «épurations ethniques» se pratiquent entre personnes de même nationalité.

Le Statut limite le champ d'application des dispositions régissant ce crime aux personnes qui se trouvent légalement dans une région. Un Etat ne peut, en principe, expulser ses propres ressortissants. En revanche, il a le droit, dans certains cas, d'expulser des ressortissants étrangers ou de leur assigner un lieu de résidence déterminé dans le pays. Selon le Statut, c'est le droit international qui, dans tous ces cas, constitue le critère d'admissibilité. S'il n'en était pas ainsi, le risque serait grand qu'un gouvernement justifie la déportation en se prévalant de dispositions de droit national contraires à celles du droit international. Parmi les motifs d'expulsion admissibles figurent notamment la protection de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé publique, des bonnes moeurs ainsi que des droits et des libertés d'autrui.

5.3.2.5

Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international (art. 7, al. 1, let. e)

Le crime d'emprisonnement apparaît pour la première fois dans la loi no 10 du Conseil de contrôle. Il a, par la suite, été repris dans les statuts des tribunaux pénaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Si l'on se réfère aux textes du Statut faisant foi, la notion d'emprisonnement (en allemand «Freiheitsentzug» et en anglais «imprisonment»), vise les cas dans lesquels une personne est détenue dans un espace restreint.

Il s'agit d'une sorte d'incarcération ou de séquestration. En revanche, la deuxième variante, à savoir les autres formes graves de privation de liberté, englobe toutes les situations dans lesquelles une personne est certes privée de sa liberté de mouvement, 228 229

476

Art. 147 CG IV; art. 85 ch. 4 lit. a PA I; art. 17 PA II.

Cf. Commentaire de la C.D.I. à l'art. 18, par. 13 du Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité (1996); Bassiouni, loc. cit., p. 308; Christopher K. Hall, Crimes Against Humanity, dans: Otto Trifterer, Commentary on the Rome Statute of the International Criminal Court , 1999, p. 136; Ratner/Abrams, loc. cit., p. 69 s.

mais peut continuer à se déplacer dans les limites d'un certain territoire. L'envoi dans un camp ou dans un ghetto en est un exemple. Ce n'est que lorsqu'il contrevient gravement aux règles fondamentales du droit des gens que l'emprisonnement devient condamnable en tant que crime contre l'humanité. La précision est nécessaire pour éviter que l'emprisonnement légal d'êtres humains ne constitue un crime et qu'une privation de liberté, même inadmissible sur le plan des droits de l'homme (p. ex. durée de détention trop longue, droit d'être entendu insuffisant), ne devienne, de ce seul fait, un crime contre l'humanité. L'art. 7 vise donc uniquement les cas dans lesquels des personnes sont incarcérées arbitrairement et en violation des impératifs les plus fondamentaux de la justice.

5.3.2.6

Torture (art. 7, al. 1, let. f)

C'est dans la loi no 10 du Conseil de contrôle instituée par les puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale en 1945 que la torture est prohibée pour la première fois au titre de crime contre l'humanité. Par la suite, la torture est interdite par différentes conventions sur les droits de l'homme, notamment par la Déclaration universelle des droits de l'homme en 1948. Cette interdiction généralisée de la torture à l'échelle internationale permet, en 1949, de prononcer dans les Conventions de Genève une interdiction absolue de la torture dans les conflits tant internationaux qu'internes230. En 1984, la torture a fait l'objet d'une propre convention et les Etats contractants se sont engagés à sanctionner pénalement ce crime231. Dans le cadre du Conseil de l'Europe, le Comité européen de prévention de la torture et des peines ou des traitements inhumains ou dégradants veille depuis 1987 au respect de la Convention européenne sur la torture232 en s'assurant que les Etats entreprennent tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher la torture de prisonniers se trouvant dans leur pouvoir de souveraineté.

Aujourd'hui, tout le monde s'accorde pour dire que la torture fait partie du droit coutumier et constitue une norme impérative du droit international (jus cogens)233.

Les statuts des tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda interdisent la torture sans la définir. Le Statut de la Cour pénale internationale contient en revanche une définition de ce crime: selon l'art. 7, al. 2, let. e, la torture consiste à infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous sa garde ou sous son contrôle. Contrairement à la notion de torture retenue par la Convention sur la torture et à la définition, basée sur cette convention, qui en est donnée comme crime de guerre, celle qui figure dans le Statut au titre de crime contre l'humanité ne présuppose pas que la torture ait été utilisée dans un but déterminé. Cet élément a sciemment été abandonné lors de 230

Cf. par la suite aussi art. 3 de la Convention européenne des droits de l'homme de 1950; RS 0.101, et art. 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966; RS 0.103.2.

231 Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; RS 0.105, entrée en vigueur pour la Suisse le 26 juin 1987.

232 Convention européenne du 26 novembre 1987 pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants; RS 0.106, entrée en vigueur pour la Suisse le 1er février 1989.

233 Cf. TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Zejnil Delalic, Zdravko Mucic, Hazim Delic et Esad Landzo , IT-96-21-T, jugement du 16 novembre 1998, par. 454; Bassiouni, loc. cit., p. 337; Ratner/Abrams, loc. cit., p. 111.

477

l'élaboration du Statut. A cet égard d'ailleurs, la Convention sur la torture n'est pas impérative. Elle dispose en effet, à son art. 1, al. 1 et 2, que la définition de la torture est donnée uniquement «aux fins de la Convention». Les normes d'interdiction plus sévères prévues dans les traités internationaux et dans le droit national ne sont donc pas touchées. Selon le Statut, il n'est pas nécessaire non plus que l'auteur ait agi à titre officiel. Le Statut exclut de la notion de torture la douleur et les souffrances «résultant uniquement de sanctions légales, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles». En vertu du Statut, le critère de l'admissibilité d'un acte est toutefois avant tout le droit des gens, ce qui permet de punir, dans le cadre de l'art. 7, des pratiques admises par le droit national.

5.3.2.7

Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée et toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable (art. 7, al. 1, let. g)

L'art. 7, al. 1, let. g, comprend différents délits sexuels, à savoir le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ainsi que toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable. De tous ces crimes, seul le viol figurait jusqu'ici dans les instruments visant à réprimer les crimes contre l'humanité (pour la première fois dans la Loi no 10 du Conseil de contrôle). Ceux-ci n'en donnaient toutefois pas de définition. Comme ces infractions n'avaient pas encore été définies en droit international, les discussions portant sur leurs éléments constitutifs ont été particulièrement longues et difficiles lors de l'élaboration du Statut. Non seulement parce que les délits sexuels soulèvent un grand nombre de questions controversées de nature idéologique, mais aussi parce que les conflits récents (surtout le conflit en ex-Yougoslavie) ont montré que ces types de délits sont de plus en plus utilisés dans la conduite de la guerre (ethnique). Les crimes sexuels (tout comme la torture) acquièrent ainsi une dimension internationale, surtout lorsqu'ils apparaissent comme le résultat d'une violence sanctionnée par l'Etat.

Dans la plupart des systèmes juridiques nationaux, le viol est défini comme un rapport sexuel non consenti (le droit suisse suit le même principe). Bien que les éléments constitutifs du viol (art. 7, al. 1, let. g) n'aient pas été définis en droit international avant le Statut de Rome, on dispose d'une jurisprudence récente des tribunaux ad hoc. Selon cette jurisprudence, l'élément qui caractérise ce crime est la pénétration contre la volonté de la victime. Cet acte est défini, en utilisant une formulation neutre, comme «une invasion physique de nature sexuelle commise sur la personne d'autrui sous l'empire de la contrainte». On entend par viol non seulement un rapport sexuel forcé, mais aussi la pénétration d'une partie du corps de la victime par un organe sexuel de l'auteur (en particulier pénétration orale) ou la pénétration du vagin ou de l'anus de la victime par une partie du corps de l'auteur ou par un objet. L'auteur doit faire usage de la force ou de la menace, exercer lui-même la contrainte ou profiter des circonstances qui exercent une contrainte sur la victime234.

234

478

TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu , ICTR-96-4-T, jugement du 2 septembre 1998, par. 596 ss; TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Anto Furundzija , IT-95-17/1-T, jugement du 10 décembre 1998, par. 175 ss, par. 185; TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Alfred Musema, ICTR-96-13-T, jugement du 27 janvier 2000, par. 220 ss; cf. aussi les «éléments des crimes» à l'art. 7, lit. G, du Statut, Nations Unies, Doc. PCNICC/2000/INF/3/Add.2 (état au 6 juillet 2000).

Selon les «éléments des crimes», le cas où, au moyen d'une des formes de pénétration mentionnée ci-dessus, l'auteur abuse d'une personne qui est incapable de donner un libre consentement en raison d'une incapacité de discernement ou de résistance innée ou liée à son âge, constitue également un moyen de commettre une infraction.

Comme il n'existe encore aucune jurisprudence sur les autres délits sexuels, la Cour pénale va notamment pouvoir s'orienter en fonction des «éléments des crimes» élaborés par la Commission préparatoire235. En ce qui concerne l'esclavage sexuel (art. 7, al. 1, let. g-2), il lui faudra tenir compte avant tout des éléments qui s'appliquent déjà au crime de réduction en esclavage (voir ci-dessus), liés à des actes de nature sexuelle auxquels la victime aura été forcée. C'est ainsi, par exemple, que durant la Seconde Guerre mondiale des femmes coréennes ont été exploitées en qualité de «comfort women» pour assouvir les besoins sexuels des soldats japonais et que, dans le conflit yougoslave, des femmes ont été détenues dans des «camps de viol»236. Selon les «éléments des crimes», on entend par prostitution forcée (art. 7, al. 1, let. g-3) le fait que l'auteur a, par son comportement, contraint la victime à se livrer à des actes de nature sexuelle et qu'il a ainsi bénéficié ou cherché à bénéficier d'un avantage. En ce qui concerne le crime de grossesse forcée (art. 7, al. 1, let. g-4) qui, dans le conflit yougoslave, a surtout touché des femmes bosniaques de confession musulmane, la Cour pénale peut se référer directement à la définition donnée par le Statut à l'art. 7, al. 2, let. f. Selon cet article, on entend par grossesse forcée, «la détention illégale d'une femme mise enceinte de force, dans l'intention de modifier la composition ethnique d'une population ou de commettre d'autres violations graves du droit international». A titre de concession à la législation de certains Etats qui n'admettent pas l'avortement, cette définition est complétée, dans le Statut, par une phrase qui précise que celle-ci ne peut en aucune manière s'interpréter comme ayant une incidence sur les lois nationales relatives à la grossesse. Le crime de stérilisation forcée (art. 7, al. 1, let. g-5) vise les actes qui, sous la contrainte, privent une personne de sa capacité biologique de reproduction. On
peut se référer ici aux mesures dites d'hygiène de race mises en oeuvre sous le troisième Reich (programme d'euthanasie)237 ainsi qu'aux expériences pratiquées sur des prisonniers de guerre et des civils238 Ne tombent pas sous le coup de cette disposition les stérilisations justifiées par des indications médicales et auxquelles une personne a consenti. Le Statut réprime enfin, comme dernier crime de la catégorie des infractions à caractère sexuel, toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable (art. 7, al. 1, let. g-6). Selon cette incrimination générique, commet un crime contre l'humanité celui qui, en utilisant la violence ou la menace de violences ou en exploitant des circonstances qui placent la victime dans une situation de contrainte, se livre à des actes sexuels autres que ceux mentionnés aux let. g-1 à g-5 de l'art. 7 ou, par cette contrainte, entraîne une personne à procéder à des actes de nature sexuelle. L'acte doit toutefois être de gravité comparable. Selon la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux, cette disposition vise aussi les atteintes à l'intégrité sexuelle

235 236

Cf. Nations Unies, Doc. PCNICC/2000/INF/3/Add.2 (état au 6 juillet 2000).

Cf. rapport final de la Commission d'experts, annexes 8 et 9, New York 1994, Nations Unies, Doc. S/1994/674/Add.2 (Vol. IV et V).

237 Loi du 14 juillet 1933 sur la prévention des maladies héréditaires.

238 Cf. United States v. Karl Brandt et al. (The «medical case»/«Doctors Trial») , Trials of War Criminals before Nuremberg Military Tribunals under Control Council Law No. 10, Vol. 1 et 2, cause n o 1.

479

d'une personne qui n'impliquent pas nécessairement une pénétration ou même un contact physique avec la victime239.

5.3.2.8

Persécution d'un groupe ou d'une communauté identifiables pour des motifs discriminatoires

La persécution de membres d'un groupe déterminé de personnes pour des raisons discriminatoires constitue en quelque sorte le type fondamental des crimes contre l'humanité, ces derniers étant punissables avant tout pour violation des droits fondamentaux de l'homme par des attaques systématiques d'un régime contre la population civile. La persécution figure tant dans la Charte du Tribunal militaire international de Nuremberg que dans tous les instruments ultérieurs visant à réprimer les crimes contre l'humanité, mais n'y est pas assortie d'une définition spécifique. Les jugements des différents tribunaux militaires institués après la Seconde Guerre mondiale, les jugements nationaux ainsi que la récente jurisprudence du tribunal ad hoc pour l'ex-Yougoslavie ont donc beaucoup contribué à la formulation de ses éléments constitutifs. Le Statut lui-même est précis dans la définition de ce crime.

La notion de persécution est comprise non pas au sens propre, mais dans un sens conceptuel: elle vise tous les actes par lesquels l'auteur prive une personne de ses droits fondamentaux de manière grave et contraire au droit international et cela en raison de l'identité du groupe ou de la collectivité dont elle fait partie (voir la définition légale à l'art. 7, al. 2, let. g, du Statut). La persécution ne requiert pas nécessairement un élément physique. Entrent notamment en ligne de compte la violation des droits politiques (p. ex. privation du droit de vote), des droits économiques (expropriations sans indemnités) ou des droits constitutionnels (p. ex. refus systématique d'une procédure judiciaire équitable)240. Contrairement au génocide, tout type de motifs discriminatoires sont retenus comme éléments constitutifs de l'infraction pour autant qu'ils soient universellement reconnus comme inadmissibles en droit international. Le Statut énumère, à titre d'exemple, les motifs discriminatoires suivants qui sont inadmissibles en droit international: la politique, la race, la nationalité, l'ethnie, la culture, la religion et le sexe. Les violations des droits fondamentaux pour des motifs de discrimination retenues dans cette disposition n'ont rien à voir avec de simples inégalités de traitement qui peuvent éventuellement être inadmissibles du point de vue constitutionnel. Les situations visées sont celles dans lesquelles
les violations extrêmement graves et flagrantes des droits fondamentaux ont lieu dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique contre certains groupes de la population civile. Il est fréquent que ce soient les droits fondamentaux de la propre population civile d'un pays qui soient violés. Tel a été le cas à la suite de l'adoption des lois de Nuremberg sur la race du 15 septembre 1935: la loi dite de la protection du sang, interdisait le mariage entre Juifs et Allemands qui constituait le crime de «Rassenschande» et la loi dite des citoyens du Reich accordait les droits civiques uniquement aux citoyens de sang allemand ou apparenté à l'espèce. C'est ainsi que les Juifs et d'autres minorités ont été privés de leurs droits civiques.

239

TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Anto Furundzija , IT-95-17/1-T, jugement du 10 décembre 1998, par. 186.

240 TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-T, jugement du 7 mai 1997, par. 710; TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Kupreskic et al. , IT-95-16, jugement du 14 janvier 2000, par. 596 ss avec référence à la jurisprudence d'après la deuxième guerre mondiale.

480

Contrairement aux statuts d'autres tribunaux internationaux, celui de la Cour pénale internationale ne considère pas que la privation massive de droits fondamentaux décrite ci-dessus constitue à elle seule un crime contre l'humanité. Il exige en plus que la privation des droits fondamentaux soit en corrélation avec un autre crime relevant de la compétence de la Cour. Bien que cette infraction supplémentaire et le crime de persécution ne doivent pas nécessairement être commis par la même personne, cette exigence restreint le champ d'application du crime de persécution par rapport au droit international coutumier appliqué jusqu'ici. Le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a déjà relevé ce fait241 que l'on peut regretter. Le Statut précise toutefois expressément, à son art. 10, qu'il ne limite pas et n'affecte pas les règles du droit international existantes ou en formation.

5.3.2.9

Disparitions forcées (art. 7, al. 1, let. i)

Le crime de disparitions forcées ne figurait pas encore dans les Statuts des tribunaux institués à la suite de la Seconde Guerre mondiale, mais était déjà dénoncé dans les jugements de l'époque. En 1992, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées242. En 1996, la Commission du droit international des Nations Unies a inclus explicitement cette infraction dans son projet de code international des crimes. Selon l'art. 7, al. 2, let. i, du Statut, on entend par «disparitions forcées» «les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un Etat ou une organisation politique ou avec l'autorisation, l'appui ou l'assentiment de cet Etat ou de cette organisation, qui refuse ensuite d'admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l'endroit où elles se trouvent, dans l'intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée».

5.3.2.10

L'apartheid (art. 7, al. 1, let. j)

Pratiqué pendant longtemps par les Etats coloniaux à l'encontre des aborigènes (p. ex. l'Amérique contre les Indiens) ou, d'une manière générale, à l'encontre des minorités raciales, le crime d'apartheid n'a été prohibé que fort tard par le droit international. En 1971, la CIJ a, dans une expertise, déclaré que le régime d'apartheid institué par l'Afrique du Sud en Namibie était contraire au droit des gens243.

L'apartheid a été stigmatisé pour la première fois sur le plan international dans la Convention sur la suppression du crime d'apartheid qui date de 1973244 et qui est venue s'inscrire dans la perspective de la situation qui régnait en Afrique du Sud. La Commission du droit international a donc tenté de définir ce crime de manière en-

241

TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Kupreskic et al. , IT-95-16, jugement du 14 janvier 2000, par. 578 ss.

242 Assemblée générale, déclaration 47/133 du 18 décembre 1992 sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

243 CIJ, Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif du 21 juin 1971, CIJ Recueil 1971 p. 56.

244 Convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid du 30 novembre 1973.

481

core plus abstraite245. Le Statut de la Cour pénale a repris une définition analogue.

Selon l'art. 7, al. 2, let. h, on entend par apartheid «des actes inhumains analogues à ceux que vise le par. 1, commis dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et de domination d'un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l'intention de maintenir ce régime».

Etant donné que le champ d'application du Statut est limité aux actes interdits par l'art. 7, al. 1, ou aux actes du même type, on incrimine finalement au titre de l'apartheid les actes que l'auteur a commis en rapport avec un régime institutionnalisé d'oppression systématique et de domination d'un ou de plusieurs groupes raciaux par un autre groupe racial et dans l'intention de maintenir ce régime.

5.3.2.11

Autres actes inhumains (art. 7, al. 1, let. k)

Comme l'histoire nous l'a montré, il est impossible de recenser dans une liste exhaustive de crimes tous les actes de cruauté dont les hommes sont capables. Le dernier qui est décrit dans la catégorie des crimes contre l'humanité est une incrimination générique qui doit permettre de punir les autres actes inhumains de caractère analogue pour autant que l'auteur ait causé intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale de sa victime. Grâce à cette délimitation des actes inhumains, le Statut offre une réglementation plus rigoureuse que les instruments développés jusqu'ici pour réprimer les crimes contre l'humanité. Cette limitation et spécification du fait délictueux sert également le principe de légalité et empêche que n'importe quel acte tombe dans la compétence de la Cour. Celle-ci ne doit traiter que les crimes de gravité comparable. Le Code pénal suisse connaît une formulation analogue en ce qui concerne les lésions corporelles graves (cf. art. 122). Les tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda ont notamment considéré que les coups et blessures graves ainsi que les mutilations réunissaient, dans ce sens, les éléments constitutifs nécessaires246.

5.4

Caractère punissable des crimes contre l'humanité dans le droit suisse en vigueur

Le système juridique suisse ne connaît pas la notion de crime contre l'humanité. La nécessité d'introduire aussi rapidement que possible une telle notion dans notre législation a été soulignée dans les rapports d'experts et dans les réponses reçues à la procédure de consultation sur le message relatif à l'adhésion de la Suisse à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Conscient de cette nécessité, le Conseil fédéral a annoncé une adaptation de notre législation dans la perspective de l'adhésion de la Suisse au Statut de la Cour pénale internationale247.

Toutefois, pour les raisons invoquées au début du présent message, l'introduction 245

Cf. le commentaire de la C.D.I. à l'art. 18 lit. f du projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité (1996).

246 Cf. Chambre de première instance II, Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-T, jugement du 7 mai 1997, par. 728 par.; TPIR, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana , ICTR-95-1-T, jugement du 21 mai 1999, par. 149 ss.

247 FF 1999 4919.

482

des dispositions pénales matérielles du Statut dans le droit suisse n'interviendra que dans une deuxième phase.

Il faut relever que le droit pénal suisse satisfait en grande partie aux exigences du Statut concernant les crimes contre l'humanité. On ne constate en effet pas de réelles lacunes pouvant entraîner la prise en main de la procédure par la Cour pénale internationale. La majorité des comportements réprouvés à l'art. 7 du Statut sont ainsi également punissables en droit suisse à un titre ou à un autre. Toutefois, l'élément caractéristique et qualificatif des crimes contre l'humanité, à savoir une attaque généralisée ou systématique dirigée contre la population civile dans le cadre de la politique d'un Etat ou d'une organisation, fait défaut dans les dispositions déterminantes du CP. Les différentes infractions prévues par le CP ne portent par ailleurs pas dans tous les cas sur l'élément d'injustice typique des crimes contre l'humanité.

Enfin, l'échelle des peines prévue dans les dispositions du CP ne correspond que de manière limitée aux conceptions exprimées dans le Statut. Pour toutes ces raisons, les travaux en vue d'inclure dans le droit suisse les crimes contre l'humanité devront être entrepris dès la ratification du Statut.

6 6.1

Crimes de guerre (art. 8) Sources juridiques et évolution historique

Le recours à la guerre comme instrument de règlement des différends avait déjà été proscrit par le Pacte Briand-Kelogg en 1929. Depuis 1945 au plus tard, date à laquelle la Charte des Nations Unies a interdit le recours à la force dans les relations internationales (cf. art. 2, al. 4), la disparition du droit pour un Etat de recourir librement et légalement à la guerre contre d'autres Etats (ius ad bellum) est complète et absolue. Différents jugements du tribunal militaire international de Nuremberg ont par ailleurs confirmé la nature coutumière de l'interdiction de recourir à la force; la violation de cette interdiction contrevient à des normes contraignantes du droit international (ius cogens).

Selon la Charte des Nations Unies, le recours à la force peut être légalement justifié uniquement en cas de légitime défense. Il ne s'agit d'ailleurs pas à proprement parler d'une exception à l'interdiction du recours à la force, car le droit de se défendre contre une agression est reconnu dans tous les ordres juridiques248. L'exercice du droit à la légitime défense est en outre subordonné à des conditions bien précises: l'Etat qui invoque le droit à la légitime défense doit tout d'abord, soit faire lui-même l'objet d'une agression, soit porter assistance à un Etat agressé dans le cadre du droit à la légitime défense collective. Ensuite, il ne doit être usé de la force que de façon proportionnée; enfin, le ou les Etats concernés doivent se plier à toutes les mesures que le Conseil de sécurité prend pour maintenir la paix et la sécurité internationales (cf. art. 51 de la Charte des Nations Unies).

Quant aux mesures, qui peuvent également être d'ordre militaire, prises par le Conseil de sécurité des Nations Unies sur la base du Chap. VII de la Charte des Nations Unies en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix ou d'acte d'agression afin de maintenir ou de rétablir la paix et la sécurité internationales, elles ne relèvent pas d'un ius ad bellum, d'un droit de recourir à la force au sens classique du terme, 248

Cf. p. ex. la réglementation de la légitime défense et de l'état de nécessité dans le droit pénal suisse, art. 33 et 34 CP ainsi qu'art. 25 et 26 CPM.

483

mais au contraire d'un ius contra bellum. Il s'agit en effet d'un système de sécurité collective propre à l'ONU qui échappe à la volonté des Etats particuliers pour relever exclusivement du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Si le droit international n'admet plus la guerre comme moyen autorisé de règlement des différends, celle-ci n'a pas disparu pour autant. Afin de protéger les personnes qui participent activement à un conflit armé ou qui s'y trouvent impliquées de toute autre manière en tant que «non-combattants», le droit international humanitaire prévoit des normes minimales destinées à prévenir certaines violations de leur intégrité personnelle (ius in bello). Lorsqu'elles atteignent une certaine gravité, les violations de ces normes sont qualifiées de crimes de guerre. Le droit international humanitaire ne fait pas la différence entre auteur et victime de l'atteinte: son application résulte du seul fait de l'existence d'un conflit armé. En 1762 déjà, JeanJacques Rousseau écrivait: «La guerre n'est donc point une relation d'homme à homme, mais une relation d'Etat à Etat dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu'accidentellement, non point comme hommes (. . .) mais comme soldats (. . .). La fin de la guerre étant la destruction de l'Etat ennemi, on a le droit d'en tuer les défenseurs tant qu'ils ont les armes à la main; mais sitôt qu'ils les posent et se rendent, cessant d'être ennemis ou instruments de l'ennemi, ils redeviennent simplement hommes et l'on n'a plus de droit sur leur vie»249.

Le droit international pénal trouve ses racines historiques dans le droit de la guerre qui, au Moyen-Âge déjà, imposait aux combattants des règles de comportement visà-vis des combattants et de la population civile de l'ennemi. Ces dispositions sur la guerre prescrivaient par exemple d'épargner les cloîtres et les églises ainsi que les femmes et les enfants et posaient le principe que les violations de ces règles devraient être punies par des tribunaux ad hoc. Contrairement aux crimes contre l'humanité, les lois et coutumes de la guerre ainsi que l'interdiction de leur violation trouvèrent place dans plusieurs accords internationaux dès le XIXe siècle. Mentionnons ici la Convention de Genève du 22 août 1864 pour l'amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne250. Cette
convention fut conclue à Genève le 22 août 1864, lors d'une conférence tenue à l'invitation du Conseil fédéral; elle trouve son origine dans les propositions que le Suisse Henry Dunant avait formulées dans son livre «Un souvenir de Solferino» paru en 1862. Il y décrit les souffrances des 40 000 soldats français et autrichiens blessés ou tués lors de la bataille de Solferino, le 20 juin 1859. C'est à la même époque que fut posée la première pierre du Comité international de la Croix-Rouge (CICR)251. En 1863, avec quatre autres personnes, dont le Général Guillaume-Henri Dufour, qui avait été chef des forces armées fédérales durant la guerre du Sonderbund (1847), Dunant organisa une conférence en vue d'apporter un soutien aux victimes de la guerre. Au cours des années suivantes, plusieurs sociétés nationales d'aide aux victimes furent créées.

Leur but était de soutenir les services sanitaires de l'armée en temps de guerre. En 1868, par la Déclaration de Saint-Pétersbourg, divers Etats adhérèrent pour la première fois à un instrument de droit international posant une série de principes rela-

249

Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social ou principes de droit politique (1762), Livre I, Chap. 4.

250 Ratifiée par la Suisse le 1er octobre 1864.

251 Cf. pour les détails de l'histoire et de la structure du CICR Hans Haug (et al..), Humanité pour tous: le mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge , 2e éd., Berne 1993.

484

tifs à la conduite des hostilités252. Il fallut attendre encore plusieurs décennies avant que la protection par le droit international soit étendue aux malades, blessés et naufragés en mer253. Parallèlement, en 1899 et 1907, les Conventions et Déclarations de La Haye permirent d'améliorer la protection des personnes engagées dans la guerre sur terre et vinrent confirmer l'interdiction du recours à certaines armes254. En 1925 fut signé le Protocole de Genève sur les gaz de combat255 et en 1929 furent conclues la Convention de Genève sur l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les armée en campagne ainsi que la Convention de Genève sur le traitement des prisonniers de guerre256.

Les tribunaux militaires internationaux institués après la fin de la Seconde Guerre mondiale avaient, entre autres, à connaître des crimes de guerre commis par les puissances de l'Axe. Dans la lutte pour la reconnaissance internationale de normes humanitaires minimales, un point décisif a été marqué le 12 août 1949, date de la conclusion des quatre Conventions de Genève257. Ces conventions sont venues d'une part consolider le droit international humanitaire tel qu'il se présentait alors et, d'autre part, améliorer la protection des malades et des blessés militaires sur terre et sur mer, ainsi que celle des prisonniers de guerre compte tenu des expériences faites durant la Seconde Guerre mondiale. Un de leurs principaux mérites est d'avoir étendu la protection du droit international humanitaire à la population civile. Ratifiées par presque tous les Etats du monde, les quatre Conventions de Genève258 incarnent la norme minimum en matière de respect de la dignité humaine en temps de conflit armé. Une autre étape importante dans la concrétisation des préoccupations humanitaires dans les conflits armés a été franchie grâce aux deux Protocoles 252

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Déclaration des 29 novembre/11 décembre 1868 concernant l'interdiction des projectiles explosibles en temps de guerre; RS 0.515.101, approuvée par le Conseil fédéral le 29 décembre 1868. Les Etats ont déclaré que le seul but légitime que les Etats doivent se proposer durant la guerre est l'affaiblissement des forces militaires de l'ennemi; qu'à cet effet il suffit de mettre hors de combat le plus grand nombre d'hommes possible; que ce but serait dépassé par l'emploi d'armes qui aggraveraient inutilement les souffrances des hommes mis hors de combat, ou rendraient leur mort inévitable.

Voir la Convention pour l'adaptation, à la guerre maritime, des principes de la Convention de Genève du 22 août 1864; RS 11 485, ratifiée par la Suisse le 29 décembre 1900; Convention pour l'adaptation, à la guerre maritime, des principes de la Convention de Genève du 18 octobre 1907; RS 11 491, ratifiée par la Suisse le 12 mai 1910.

Voir en particulier le règlement dans l'annexe de la Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre du 29 juillet 1899; RS 0.515.111, entrée en vigueur pour la Suisse le 28 juin 1907; Déclaration du 29 juillet 1899 concernant l'emploi de balles qui s'épanouissent ou s'aplatissent facilement dans le corps humain; RS 0.515.103, ratifiée par la Suisse le 29 décembre 1900; Convention du 18 octobre 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre; RS 0.515.112, entrée en vigueur pour la Suisse le 11 juillet 1910.

Protocole du 17 juin 1925 concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques; RS 0.515.105, entré en vigueur pour la Suisse le 12 juillet 1932.

RS 0.518.11 et RS 0.518.41, entrées en vigueur pour la Suisse le 19 juin 1931.

Convention de Genève (I) du 12 août 1949 pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne; RS 0.518.12; Convention de Genève (II) du 12 août 1949 pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer; RS 0.518.23; Convention de Genève (III) du 12 août 1949 relative au traitement des prisonniers de guerre; RS 0.518.42; Convention de Genève (IV) du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre; RS 0.818.51.

Toutes ces conventions ont été conclues le 12 août 1949 et sont entrées en vigueur pour la Suisse le 21 octobre 1950.

Le 7 septembre 2000, 189 Etats ont ratifié les quatre Conventions de Genève.

485

additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève de 1949. Le premier Protocole additionnel259 vient encore améliorer la protection des participants et victimes des conflits internationaux et spécifier les méthodes admises de conduite de la guerre. Le second Protocole additionnel260 étend la protection aux conflits internes et aux guerres civiles qui atteignent un certain degré d'intensité. Ce pas est d'autant plus important que, jusqu'alors, seul l'art. 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 assurait une certaine protection minimale dans les conflits internes.

Les deux protocoles additionnels ont eux aussi bénéficié d'une large reconnaissance internationale et ont été ratifiés par un grand nombre d'Etats 261.

Des progrès ont été réalisés aussi dans d'autres domaines du droit: la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé a été conclue le 14 mai 1954262. Cette convention a été complétée en 1999 par un deuxième protocole, qui renforce la protection des biens culturels et qui crée un mécanisme permettant de déterminer la responsabilité pénale individuelle ainsi que les compétences en matière de juridiction pénale de manière très complète263. Dans le domaine du recours à des armements interdits, les conventions suivantes ont notamment été signées: en 1972, la Convention sur l'interdiction des armes biologiques ou à toxines264, en 1980, la Convention sur l'interdiction de certaines armes classiques265, en 1993, la Convention sur l'interdiction des armes chimiques266 et, en 1997, la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnelles267. La Suisse a ratifié tous ces

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Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, du 8 juin 1977; RS 0.518.521, entré en vigueur pour la Suisse le 17 août 1982.

Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux, du 8 juin 1977; RS 0.518.522, entré en vigueur pour la Suisse le 17 août 1982.

Le 7 septembre 2000, 157 Etats ont ratifié le PA I, 150 Etats, le PA II.

RS 0.520.3, entrée en vigueur pour la Suisse le 15 août 1962; cf. aussi le règlement d'exécution et le protocole du 14 mai 1954 de la Convention de la Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé; RS 0.520.31 et RS 0.520.32, ainsi que la loi fédérale du 6 octobre 1966 sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé; RS 520.3 et l'ordonnance du 17 octobre 1984 sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé; RS 520.31.

Deuxième Protocole relatif à la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé du 26 mars 1999, signé par la Suisse le 17 mai 1999.

Convention du 10 avril 1972 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction; RS 0.515.07, entrée en vigueur pour la Suisse le 5 mai 1976.

Convention du 10 octobre 1980 sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination, avec Protocole I relatif aux éclats non localisables, Protocole II sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi des mines, pièges et autres dispositifs et Protocole III sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi des armes incendiaires; RS 0.515.091, entrée en vigueur pour la Suisse le 2 décembre 1983. Le 13 octobre 1995, le Protocole IV relatif aux armes à laser aveuglantes était adopté et, le 3 mai 1996, le Protocole II était révisé (cf. FF 1997 IV 1). Ces nouveautés sont entrées en vigueur pour la Suisse le 24 septembre 1998 et le 3 décembre 1998.

Convention du 13 janvier 1993 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction;
RS 0.515.08, entrée en vigueur pour la Suisse le 29 avril 1997; cf. aussi l'arrêté fédéral du 7 octobre 1994 concernant l'exécution de la Convention sur les armes chimiques; RS 515.08.

Convention du 18 septembre 1997 sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnelles et sur leur destruction; FF 1998 537, entrée en vigueur pour la Suisse le 1er mars 1999.

accords internationaux. La violation de ces instruments y est d'ores et déjà sanctionnée par les art. 108 et 109 du code pénal militaire (CPM), qui prévoient la responsabilité pénale des auteurs d'infractions à ces dispositions (voir à ce sujet le ch. 6.4 ciaprès).

Enfin, la compétence des tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda s'étend également aux violations graves du droit humanitaire considérées comme contraires au droit coutumier international 268.

Lors de l'élaboration du Statut de la Cour pénale internationale, la question s'est donc posée de savoir quelles normes des conventions, protocoles, chartes et statuts mentionnés ci-dessus étaient suffisamment reconnues pour pouvoir être incluses dans la liste des crimes de guerre. Ne sont entrées en considération que les infractions d'une certaine gravité permettant d'établir une responsabilité pénale individuelle. Les infractions sont souvent énumérées dans le Statut sans autre forme de définition, car les instruments existants de lutte contre les crimes de guerre, à savoir le statut du tribunal militaire international, le statut du conseil de contrôle n° 10, les statuts des tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda ainsi que le projet de la Commission du droit international ne donnent pas non plus de définitions, mais reprennent les formulations contenues dans les Conventions de La Haye et de Genève. Le Statut de la Cour ne contient pas non plus de définitions des crimes de guerre, alors que les crimes contre l'humanité, eux, s'y trouvent définis. Des renseignements sur la teneur des crimes de guerre peuvent être trouvés dans les «éléments des crimes»269 ainsi que dans les nombreux jugements des différents tribunaux nationaux et internationaux270. Par ailleurs, conformément à leurs obligations internationales, plusieurs Etats ont déjà traduit dans leur législation nationale les dispositions des Conventions de Genève. Les législations nationales seront d'ailleurs soumises à divers processus de révision dans la perspective de l'adhésion au Statut de la Cour pénale internationale 271.

6.2

Nature juridique des crimes de guerre

Comme le génocide et les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre comptent parmi les infractions pénales au droit international qui sont reconnues par le droit coutumier. La grande majorité des agissements interdits par le droit international dans les conflits armés constitue d'ailleurs le corpus du droit international coutumier. Cela vaut non seulement pour l'interdiction de ces infractions par le droit international, mais aussi pour le déclenchement de la responsabilité pénale individuelle. Les Conventions de Genève de 1949 et le premier Protocole additionnel de 268

Cf. arrêté fédéral du 21 décembre 1995 relatif à la coopération avec les tribunaux internationaux chargés de poursuivre les violations graves du droit international humanitaire (RS 351.20); cf. aussi le message sur l'adhésion de la Suisse à la Convention contre le génocide (FF 1999 4915).

269 Cf. l'énoncé des «éléments des crimes», Nations Unies, Doc. PCNICC/2000/INF/3/Add.2 (état au 6 juillet 2000).

270 Cf. récemment par exemple en Suisse le Tribunal de division 2, dans la cause Fulgence Niyonteze, jugement du 30 avril 1999 (non publié), confirmé à cet égard par le jugement du Tribunal militaire d'appel 1 du 26 Mai 2000 (pas encore définitif).

271 Il est projeté par exemple en Allemagne de créer un code pénal international après l'adhésion au Statut; cf. le mémoire du Gouvernement fédéral du 27 décembre 1999 sur la loi concernant le Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998 («IStGH-Statutgesetz»).

487

1977 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux disposent expressément que certaines violations particulièrement graves des règles du droit international humanitaire doivent être réprimées pénalement. Cela signifie qu'il existe pour ces actes un devoir des Etats d'appliquer le principe d'universalité. En outre, les Etats ont l'obligation de faire cesser toutes les autres violations des Conventions de Genève et de leurs protocoles additionnels.

Pour ce qui est des crimes commis dans le cadre de conflits internes, certaines dispositions conventionnelles à l'origine ont également acquis aujourd'hui le caractère de règles du droit international coutumier. Cela vaut en premier lieu pour l'art. 3 commun aux quatre Conventions de Genève, selon lequel les Etats parties doivent, sur leur territoire, respecter des normes minimales en matière de traitement respectueux de la dignité humaine des personnes qui ne participent pas aux hostilités. Le caractère coutumier de cette disposition fondamentale a été confirmé aussi bien par la Cour internationale de justice (CIJ) que par les tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda272. Sa violation constitue une infraction au droit international contraignant (ius cogens)273, comme le précise également une note de la Direction du droit international public du 23 mars 1998. Par ailleurs, les dispositions de la Convention de La Haye de 1954 sur la protection des biens culturels ainsi que les dispositions centrales du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève possèdent également le statut de droit coutumier.

6.3 6.3.1

Eléments constitutifs des crimes de guerre selon le Statut de la Cour pénale internationale Domaines d'application

Le titre de l'art. 8 du Statut («crimes de guerre») est imprécis de deux points de vue.

Tout d'abord, il ressort du Statut lui-même qu'il s'applique également aux crimes commis en dehors des situations de guerre stricto sensu (guerre déclarée). Ce qui importe, c'est l'existence d'un conflit armé de caractère interne ou international (cf. art. 8, al. 2, let. b, c et e). Ensuite, la compétence de la Cour s'étend, pour ce qui est des infractions graves aux quatre Conventions de Genève (art. 8, al. 2, let. a), également aux crimes commis dans des zones totalement ou partiellement occupées, même lorsque cette occupation ne se heurte à aucune résistance (armée)274. Quant à savoir à partir de quel moment des hostilités peuvent être qualifiées de conflit armé et peuvent donc fonder la compétence de la Cour, cette question doit être examinée cas par cas. Selon le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, il y a conflit armé à partir du moment où un Etat se sert de la force armée contre un autre Etat ou lorsque des démêlés armés continus opposent des unités gouvernementales à des groupes armés organisés, ou de tels groupes armés à d'autres groupes armés au sein d'un Etat. A partir du moment où l'on constate l'existence d'un conflit armé, il n'est pas nécessaire que les infractions commises soient d'une intensité particulière, con272

Cf. CIJ, Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique) , jugement 27 juin 1986 (fond), CIJ Recueil 1986, par. 218; TPIY, Chambre d'appel, Le Procureur c. Tadic, arrêt relatif à l'appel de la défense concernant l'exception préjudicielle d'incompétence , IT-94-1-AR72, arrêt du 2 octobre 1995, §§ 117 ss; TPIR, Chambre de première instance I, Le Procureur c.

Jean-Paul Akayesu, ICTR-96-4-T, jugement du 2 septembre 1998, par. 606 ss.

273 Reproduit dans RSDIE 1999, p. 708 ss 274 Cf. l'art. 2 commun aux quatre Conventions de Genève.

488

trairement à ce qu'il en est des crimes contre l'humanité. D'après l'art. 8, al. 1, la Cour «a compétence à l'égard des crimes de guerre, en particulier lorsque ces crimes s'inscrivent dans le cadre d'un plan ou une politique ou lorsqu'ils font partie d'une série de crimes analogues commis sur une grande échelle». Contrairement à ce qui avait été prévu dans le projet de la Commission de droit international de 1996, on a toutefois renoncé dans le Statut de la Cour à prévoir un seuil obligatoire sous la forme d'un plan, d'une politique ou de grande étendue des infractions. Cette indication revêt donc un caractère essentiellement démonstratif, ce qui signifie que la Cour, fondamentalement, est compétente même lorsqu'un seul crime de guerre a été perpétré. Dans le cas d'un crime isolé, l'intervention de la Cour est cependant improbable. Il est vraisemblable que, dans un tel cas, l'Etat compétent pourrait mener à bien la procédure contre l'auteur de manière appropriée, ou recourir au motif de non-recevabilité prévu à l'art. 17, al. 1, let. d, selon lequel l'affaire ne revêtirait pas une gravité suffisante pour justifier d'autres mesures de la Cour.

6.3.2

Délimitation par rapport aux autres infractions qui sont l'objet du Statut

La délimitation des crimes de guerre par rapport aux éléments constitutifs du crime de génocide et des crimes contre l'humanité doit être examinée cas par cas. Si l'un des groupes de personnes protégées par les Conventions de Genève est victime d'un génocide ou de crimes contre l'humanité, ces actes constituent également des crimes de guerre au sens de ces conventions (p. ex.: massacres de la population civile ou de prisonniers de guerre). Le champ d'application de la notion de génocide et de crimes contre l'humanité s'étend toutefois au-delà des Conventions de Genève, dont l'application se limite pour l'essentiel aux conflits armés. Le génocide et les crimes contre l'humanité sont également punissables lorsqu'ils sont commis en temps de paix. Les crimes de guerre, tout comme le génocide et les crimes contre l'humanité, peuvent en effet être commis non seulement par des militaires, mais aussi par des agents civils de l'Etat ou par des personnes sans relation avec la puissance publique.

Il ressort ainsi des procédures engagées après la Seconde Guerre mondiale que des crimes de guerre pouvaient aussi être commis, par exemple, par des membres de gouvernements, des fonctionnaires, des industriels et des commerçants, des juges et des procureurs, des médecins et des infirmières. Ce qui est déterminant dans tous ces cas, c'est qu'il existe une relation évidente entre le délit examiné et le conflit armé (nexus), c'est-à-dire que les agissements de l'auteur viennent s'inscrire dans le contexte d'un conflit armé275. Cela n'implique cependant pas que des hostilités aient eu lieu dans l'immédiate proximité de l'auteur; il suffit que les actes reprochés puissent être mis en relation avec le conflit armé276.

275

Cf. TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-T, jugement du 7 mai 1997, par. 572 276 Cf. TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Zejnil Delalic, Zdravko Mucic, Hazim Delic et Esad Landzo , IT-96-21-T, jugement du 16 novembre 1998, par. 193 ss.

489

6.3.3

Crimes commis dans les conflits armés internationaux

Il y a conflit armé international lorsque deux ou plusieurs Etats sont impliqués. Un conflit qui a un caractère interne au départ peut, plus tard, dégénérer en conflit international si un autre Etat intervient avec ses troupes ou si l'une des parties à la guerre civile agit en fait comme représentant d'un autre Etat. C'est ainsi, par exemple, que l'instance d'appel du tribunal des Nations Unies pour les crimes de guerre a décidé dans l'affaire Tadic que les troupes des Serbes de Bosnie étaient contrôlées par la République fédérale de Yougoslavie, dans une mesure telle que les crimes de guerre commis par ses membres devaient être imputés à la République fédérale de Yougoslavie277. Il en va de même dans le jugement Blaskic, selon lequel les actes des troupes des Croates de Bosnie sont attribués à la Croatie 278.

Pour la Cour pénale internationale, la question de l'existence d'un conflit armé international ou national est moins importante qu'elle ne l'est pour le tribunal de l'ONU contre les crimes de guerre. Selon le Statut, elle est en effet aussi compétente pour connaître de crimes commis dans un conflit armé non international, à condition que ces infractions aient été perpétrées en grand nombre. Etant donné que de nombreux crimes proscrits dans les conflits internationaux ne relèvent pas de la compétence de la Cour, s'ils sont commis dans le contexte d'un conflit interne, cette distinction est tout de même loin d'être dénuée d'intérêt dans l'optique de la Cour. Tel est notamment le cas de certaines méthodes interdites de conduite des hostilités (p. ex. affamer sa propre population civile) ou pour le recours à des armes interdites (par exemple: attaques menées avec des gaz toxiques contre les minorités kurdes en Irak en 1988279).

6.3.3.1 6.3.3.1.1

Violations graves des Conventions de Genève du 12 août 1949 (art. 8, al. 2, let. a) Domaine d'application

Comme nous l'avons déjà indiqué plus haut, la Cour ne peut connaître de violations graves des quatre Conventions de Genève que si elles ont été commises dans le cadre d'un conflit armé ou dans des zones occupées (art. 2 commun aux quatre Conventions de Genève). Les Conventions de Genève prévoient par ailleurs que les victimes doivent avoir la qualité de «personnes protégées». Le cercle des personnes protégées diffère d'une convention à l'autre. Selon la première Convention de Genève, ce sont en premier lieu les militaires blessés et malades ainsi que le personnel sanitaire et religieux qui sont protégés; la deuxième Convention de Genève complète ces catégories de personnes par les membres naufragés des forces armées; la troisième Convention de Genève protège les prisonniers de guerre et personnes assimilées à cette catégorie et la quatrième Convention de Genève protège les civils qui se trouvent au pouvoir de la partie adverse et dont ils ne possèdent pas la nationalité, ainsi que les apatrides. Cependant, la protection des civils, en particulier, a d'ores et déjà été étendue par la jurisprudence. Le tribunal pénal de l'ONU pour l'ex-

277

TPIY, Chambre d'appel, Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-A, jugement du 15 juillet 1999, par. 68­171.

278 TPIY, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Tihomir Blaskic, IT-95-14-T, jugement du 3 mars 2000, par. 95 ss.

279 Cf. Résolution 688 du Conseil de sécurité de l'ONU du 5 avril 1991.

490

Yougoslavie a en effet jugé que les crimes commis contre des civils sont également punissables en tant que violations graves de la quatrième Convention de Genève, lorsqu'ils sont commis sur des personnes de la même nationalité. Cette règle s'applique en particulier aux réfugiés dans les zones occupées, car ils ne bénéficient alors plus de la protection de l'Etat dont ils sont ressortissants. Ce qui compte, en l'occurrence, ce sont moins les relations juridiques formelles qui lient une personne avec un Etat que l'absence de protection par celui-ci. Dans le contexte des conflits interethniques modernes, estime le tribunal, de nouveaux Etats peuvent se créer au cours d'une guerre et la loyauté repose alors moins sur la nationalité que sur l'appartenance ethnique. Le critère de la protection d'un civil en raison de sa citoyenneté (laquelle doit être différente de celle de l'auteur des infractions) n'est donc plus approprié et ne répond par ailleurs plus ni à l'esprit ni au but de la quatrième Convention de Genève. Ce qui est décisif, selon le jugement du tribunal pénal de l'ONU, c'est plutôt le fait que la personne civile doit jouir de la protection de la quatrième Convention de Genève à chaque fois qu'elle se trouve entre les mains d'une partie au conflit qui ne lui accorde aucune protection 280.

6.3.3.1.2

Agissements punissables

Les différentes Conventions de Genève ne contiennent dans les dispositions portant sur les «infractions graves» aucune liste commune des comportements interdits. Ce qui est déterminant pour le caractère punissable et pour la compétence subséquente de la Cour, ce sont uniquement les éléments constitutifs des infractions graves énumérées dans les dispositions pertinentes281 et le fait que ces infractions doivent avoir été commises contre les différentes catégories de personnes protégées282.

L'homicide intentionnel (art. 8, al. 2, let. a, ch. i) est un acte qui est reconnu comme une infraction grave par chacune des quatre Conventions de Genève. Il en va de même de la torture et des traitements inhumains, y compris les expériences biologiques (art. 8, al. 2, let. a, ch. ii). Par traitements inhumains, on entend le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances à une personne ou de porter gravement atteinte à son intégrité physique ou à sa santé. Par analogie avec la Convention contre la torture de 1984, le crime de guerre de torture implique que soit infligé aux victimes des souffrances ou des blessures physiques ou psychiques graves dans un but déterminé. Il n'est par contre pas nécessaire que la victime ait été détenue ou sous le contrôle de l'accusé. Le crime de guerre que constituent les traitements inhumains est identique à celui de torture du point de vue de ses éléments constitutifs, mais ne présuppose toutefois pas l'existence d'un but déterminé. Les expériences biologiques ne sont pas punissables en tant que telles; elles le deviennent seulement à partir du moment où elles ne sont ni de nature thérapeutique ni dans l'intérêt de la personne concernée et où elles ne sont pas justifiées par un but médical. Songeons ici aux innombrables expériences pseudo-scientifiques auxquelles se sont livrés les nationaux-socialistes sur les détenus des camps de concentration. Le crime de guerre consistant à causer de grandes souffrances ou à porter gravement atteinte à l'intégrité physique ou à la santé (art. 8, al. 2, let. a, ch. iii), lui aussi reconnu comme 280

TPIY, Chambre d'appel, Le Procureur c. Dusko Tadic, IT-94-1-A, jugement du 15 juillet 1999, par. 164 ss; confirmé par le TPIY, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Tihomir Blaskic, IT-95-14-T, jugement du 3 mars 2000, par. 125 ss.

281 Art. 50 CG I; art. 51 CG II; art. 130 CG III; art. 147 CG IV.

282 Art. 13 et 24­27 CG I; art. 12­13 et 36-37 CG II; art. 4 et 33 CG III, art. 4 et 13 CG IV.

491

acte punissable par les quatre Conventions de Genève, est très proche, dans sa première partie, du crime de traitements inhumains, mais ajoute, dans la seconde partie, les éléments constitutifs d'atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé.

La destruction et l'appropriation de biens sont punissables en tant que crimes de guerre dans le cadre des Conventions de Genève I, II et IV, lorsque leur étendue n'est pas justifiée par des impératifs militaires et qu'elles ont eu lieu sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire (art. 8, al. 2, let. a, ch. iv). A relever toutefois que les impératifs militaires ne peuvent pas recouvrir des actes contraires au droit des conflits armés. Les équipements médicaux, transports sanitaires, biens appartenant à des institutions d'assistance notamment, sont ainsi protégés contre toute espèce d'atteinte.

Le fait de contraindre une personne protégée à servir dans les forces d'une puissance ennemie (art. 8, al. 2, let. a, ch. v) recouvre en particulier les contraintes exercées sur des prisonniers de guerre, afin qu'ils participent à des opérations militaires contre l'Etat dont ils sont ressortissants, mais aussi d'autres actes dans la mesure où les personnes protégées sont placées sous le commandement des forces armées et où les actes en cause sont à l'avantage de ces forces (p. ex. le fait de contraindre les populations civiles étrangères au travail forcé dans les forces adverses ou au service d'objectifs militaires de l'adversaire283). Toutefois, l'imposition de certains travaux est admise lorsque ceux-ci se font dans le cadre des motifs reconnus par les Conventions de Genève284. Le fait de priver intentionnellement une personne protégée de son droit d'être jugée régulièrement et impartialement (art. 8, al. 2, let. a, ch. vi), comme le prévoient essentiellement les Conventions de Genève III et IV, est punissable si l'auteur a sciemment et volontairement privé la personne de ses droits, s'il connaissait donc les droits de la personne protégée. On évite ainsi que les erreurs juridiques banales, telles qu'elles peuvent survenir dans toute procédure, ne deviennent constitutives d'un crime de guerre. Les crimes de guerre que représentent la déportation, le transfert illégal, et la détention illégale, (art. 8, al. 2, let. a, ch. vii) aux termes des
Conventions de Genève III et IV recoupent dans une large mesure les éléments constitutifs des crimes contre l'humanité (art. 7, al. 1, let. d et e). Contrairement à ceux-ci, ceux-là peuvent toutefois se trouver justifiés dans une grande mesure par les nécessités du conflit armé285. La prise d'otages (art. 8, al. 2, let. a, ch. viii), qui n'est expressément interdite que dans la quatrième Convention de Genève, est définie conformément à la Convention internationale du 17 décembre 1979 contre la prise d'otages286. Elle est punissable lorsqu'elle porte sur une personne protégée qui est prise ou détenue et menacée de mort, de lésions corporelles ou de détention durable, pour contraindre un Etat, une organisation internationale gouvernementale, une personne physique ou morale ou un groupe de personnes à 283

Cf. Dieter Fleck (éd.), Handbuch des humanitären Völkerrechts in bewaffneten Konfli kten, Munich 1994, p. 427.

Cf. pour les prisonniers de guerre les art. 49-57 CG III, pour les civils les art. 40 et art. 51-52 CG IV.

285 Selon les art. 21 ss CG III, les soldats peuvent expressément être internés. D'après les art. 41 ss CG IV, la mise en résidence forcée et l'internements de civils font partie des mesures de contrôle les plus sévères qu'un Etat peut appliquer et ne sont permises que si cela est absolument nécessaire pour la sécurité de l'Etat concerné; cf. aussi art. 78 CG IV ainsi que les conditions de l'internement définies aux art. 79 à 104 CG IV. Selon l'art. 45 CG IV, les rapatriements des civils ne sont possibles qu'à certaines conditions et, selon l'art. 49 CG IV, les transferts forcés de la population civile ne sont permis que pour des motifs de sécurité ou d'impérieuses raisons militaires.

286 RS 0.351.4, entrée en vigueur pour la Suisse le 4 avril 1985.

284

492

agir ou à renoncer à agir en tant que condition expresse ou tacite mise à la sécurité ou à la libération de l'otage.

6.3.3.2 6.3.3.2.1

Autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit international (art. 8, al. 2, let. b) Domaine d'application

Tout comme les violations graves des Conventions de Genève, les infractions contre les lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux énumérées dans cet alinéa sont déjà interdites en vertu des coutumes et des traités internationaux. En font notamment partie les violations des différentes Conventions de La Haye et les violations graves du premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève, mais aussi les infractions à des conventions plus récentes dans les domaines des méthodes de conduite de la guerre et de l'emploi d'armements interdits287. Ces accords ont tous été ratifiés par la Suisse. Toutefois, le Statut porte uniquement sur les violations graves de ces accords, étant donné que la compétence de la Cour se limite aux crimes les plus graves qui affectent la communauté internationale dans son ensemble (cf. art. 5 du Statut).

A la différence de ce qui est prévu dans les Conventions de Genève, les crimes de guerre énumérés à l'art. 8, al. 2, let. b, peuvent toucher non seulement des civils et des personnes qui ne participent plus aux hostilités, mais aussi des combattants, dans la mesure où les différents délits ne sont pas expressément limités à d'autres groupes de personnes.

6.3.3.2.2

Actes punissables

Les infractions énumérées à l'art. 8, al. 2, let. b, se répartissent en quatre catégories:

6.3.3.2.2.1

Infractions au droit humanitaire portant particulièrement atteinte aux droits de l'homme

La catégorie des infractions au droit humanitaire comprend les faits visés par l'art. 8, al. 2, let. b, ch. viii, x, xiii, xvi, xxi, xxii et xxvi.

La définition du crime de transfert et déportation de population (art. 8, al. 2, let. b, ch. viii) comprend plusieurs éléments inspirés pour l'essentiel de l'art. 85, ch. 4, let. a, du Protocole additionnel I: d'une part le crime de guerre de transfert d'une partie de la population propre de la puissance occupante dans l'une des zones qu'elle occupe, d'autre part le crime de guerre de transfert ou de déportation de l'ensemble ou d'une partie de la population de la zone occupée dans la même zone ou hors de cette zone. De plus, ces deux actes peuvent être commis soit directement, soit indirectement288. L'infraction est considérée comme ayant été commise indi-

287 288

Voir ci-dessus ch. 6.1.

Selon les Etats qui ont participé à l'élaboration du Statut, il s'agit d'une interprétation authentique du droit international coutumier en vigueur et non d'une extension.

493

rectement, lorsque la puissance occupante est responsable du transfert, mais ne l'exécute pas elle-même (p. ex. en provoquant ou en facilitant l'immigration de sa propre population dans la zone occupée) 289.

La disposition régissant le crime de guerre de mutilation ou d'expériences médicales ou scientifiques (art. 8, al. 2, let. b, ch. x) s'inspire pour l'essentiel de l'art. 11 du Protocole additionnel I. Est punissable quiconque soumet des personnes d'une partie adverse tombées en son pouvoir à des mutilations modifiant par exemple leur apparence de manière durable, ou les privant d'un organe ou d'un membre par ablation ou en le rendant inutilisable. Sont également punissables les expériences médicales ou scientifiques qui ne répondent pas aux normes médicales et qui ne sont pas effectuées dans l'intérêt des personnes concernées, lorsqu'elles provoquent la mort de ces personnes ou affectent gravement leur santé ou leur intégrité physique.

Une opération inutile affectant durablement la victime est ainsi punissable, même si la santé de celle-ci n'en est pas affectée.

Le droit humanitaire soumet le crime de guerre que constitue la destruction ou la saisie des biens de l'ennemi (art. 8, al. 2, let. b, ch. xiii) à des règles différenciées portant sur la nature des biens ennemis pouvant, dans certaines circonstances, être détruits ou saisis. L'interdiction contenue dans cette disposition repose initialement sur l'art. 23, let. g, de la Convention de La Haye de 1907, mais aussi sur les Conventions de Genève de 1949 ainsi que sur l'art. 54 du Protocole additionnel I. Aux termes du Statut, la destruction ou la saisie de biens ennemis sont en principe contraires au droit international si elles ne répondent pas à des nécessités militaires. A relever toutefois que les impératifs militaires ne peuvent pas porter sur des actes contraires au droit régissant les conflits armés. Il est ainsi absolument interdit de détruire ou de saisir des biens culturels.

Le pillage (art. 8, al. 2, let. b, ch. xvi) est un crime de guerre qui avait déjà été interdit à l'art. 28 de la Convention de La Haye de 1907. Les Conventions de Genève contiennent également plusieurs dispositions protégeant les biens publics ou privés.

Sont punissables non seulement les actes de pillage commis par des soldats agissant isolément, mais
également le pillage économique systématique d'une zone occupée290.

La disposition relative aux atteintes à la dignité de la personne, notamment aux traitements humiliants et dégradants (art. 8, al. 2, let. b, ch. xxi), correspond au libellé de l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève ainsi qu'à l'art. 75, ch. 2, let. b, du Protocole additionnel I. Pour déterminer s'ils se trouvent en présence d'une infraction à cette disposition, les juges devront appliquer des critères objectifs tout en tenant compte de la personnalité des personnes impliquées. S'il peut exister des cas dans lesquels la victime n'a pas été consciente de subir un traitement humiliant ou dégradant, il faut aussi préciser clairement que l'on ne peut pas, à l'autre extrême, tenir compte des petites sensibilités personnelles de chacun291. Il y a lieu de considérer aussi le contexte culturel de la victime. En définitive, la limite à partir de laquelle un acte devient pénalement répréhensible ne peut pas être détermi289 290

Cf. le commentaire du CICR à l'art. 85, ch. 4, let. a, PA I.

Cf. TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Zejnil Delalic, Zdravko Mucic, Hazim Delic et Esad Landzo , IT-96-21-T, jugement du 16 novembre 1998, par. 587 ss.

291 La notion de la dignité humaine doit en outre être interprétée à la lumière de l'art. 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de l'art. 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.

494

née une fois pour toutes292. Ce que l'on peut en revanche affirmer avec certitude, c'est que la dignité d'une personne peut être considérée comme ayant été violée lorsque sa qualité même d'être humain se trouve remise en cause293.

L'art. 8, al. 2, let. b, ch. xxii, vise diverses infractions de nature sexuelle. Il traite non seulement du viol, mais aussi de l'esclavage sexuel, de la prostitution forcée, de la grossesse forcée, de la stérilisation forcée et de toute autre forme de violence sexuelle. Etant donné que ces actes sont quasiment identiques à ceux qui sont réprimés au chapitre des crimes contre l'humanité, nous nous contenterons ici de renvoyer à ce qui a été dit plus haut294. Seul le dernier fait constitutif du chiffre xxii portant sur «toute autre forme de violence sexuelle» s'écarte des éléments constitutifs de crimes contre l'humanité. Si l'on essaie de le situer sur une échelle de référence, il n'équivaut en effet pas à un crime contre l'humanité, mais à une infraction grave aux Conventions de Genève. Cette disposition doit être comprise comme donnant à la violence sexuelle l'importance d'un crime de guerre grave. Cela signifie que les autres formes de violence sexuelle ne présupposent pas l'existence simultanée d'une infraction grave aux Conventions de Genève.

Commet enfin un crime de guerre quiconque procède à la conscription ou à l'enrôlement d'enfants de moins de quinze ans dans les forces armées nationales ou les fait participer activement à des hostilités (art. 8, al. 2, let. b, ch. xxvi). Ce crime de guerre trouve son fondement dans l'art. 77, ch. 2, du Protocole additionnel I295.

L'auteur est également punissable si l'âge de l'enfant lui était indifférent, s'il a donc sciemment pris le risque de recruter des enfants âgés de moins de quinze ans.

6.3.3.2.2.2

Infractions à certaines dispositions de la Convention de La Haye de 1907 sur la guerre terrestre

La catégorie des infractions à certaines dispositions du Règlement de la Convention de La Haye de 1907296 comprend les faits régis par l'art. 8, al. 2, let. b, ch. vi, vii, xi, xii, xiv et xv.

La formulation dans le Statut de la disposition régissant le crime de guerre consistant à tuer ou à blesser un combattant qui, ayant déposé les armes ou n'ayant plus de moyens de se défendre, s'est rendu à discrétion (art. 8, al. 2, let. b, ch. vi) est fondée sur l'art. 23, let. c, de la Convention de La Haye IV. Conformément à l'art. 41 du Protocole additionnel I, précisons que sont protégées toutes les personnes se trouvant «hors de combat», donc également les prisonniers de guerre et les combattants qui se sont rendus. Dans ces cas, le fait de tuer ou de blesser l'adversaire ­ admis par ailleurs dans les conflits armés ­ n'est plus justifié car la victime n'est plus capable

292

Cf. Günther Stratenwerth, Schweizerisches Strafrecht ­ Besonderer Teil II, 4e édition, Berne 1995, p. 171.

Message du 2 mars 1992 concernant l'adhésion de la Suisse à la Convention internationale de 1965 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la révision y relative du droit pénal; FF 1992 III 308.

294 Cf. ci-dessus ch. 5.3.2.7.

295 Cf. aussi art. 38 al. 2 et 3 de la Convention relative aux droits de l'enfant de l'ONU; RS. 0.107.

296 Convention et règlement du 18 octobre 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre; RS 0.515.112, entrés en vigueur pour la Suisse le 11 juillet 1910.

293

495

ou n'a plus la volonté de participer aux hostilités. Selon l'art. 85, ch. 3, let. e, du Protocole additionnel I, ce crime est constitutif d'une infraction grave à ce protocole.

L'art. 8, al. 2, let. b, ch. vii, s'applique à quatre types d'abus différents: l'utilisation indue du pavillon parlementaire (1)297, du drapeau, des insignes militaires et de l'uniforme de l'ennemi (2) ou des Nations Unies (3) ainsi que l'utilisation abusive des signes distinctifs prévus par les Conventions de Genève (4). Dans tous ces cas, l'intention de l'auteur est la même: abuser de la confiance de l'ennemi. L'utilisation est considérée comme abusive à partir du moment où elle contrevient aux règles régissant l'utilisation de ces drapeaux, uniformes et signes distinctifs. Pour être punissable au sens du Statut, l'abus commis doit en outre avoir produit un résultat sous la forme de pertes de vies humaines ou de blessures graves. Relevons encore que toute utilisation indue de drapeaux, uniformes et signes distinctifs ­ indépendamment des conséquences de cet abus ­ représente une violation du droit international humanitaire.

La disposition régissant le crime de guerre consistant à tuer ou à blesser par traîtrise (art. 8, al. 2, let. b, ch. xi) a été reprise de l'art. 23, let. b, de la Convention de La Haye IV, ce qui explique le caractère obsolète de sa formulation. L'expression «par traîtrise» est, dans ce contexte, utilisée comme synonyme de la notion moderne de «sournoiserie» ou de «perfidie», telle qu'elle est définie à l'art. 37 du Protocole additionnel I. Sont ainsi considérés comme perfides les comportements adoptés aux fins d'abuser de la confiance de l'ennemi, qui se fie au respect des règles de droit international applicables en cas de conflits armés lui offrant protection ou l'obligeant à accorder sa protection à autrui298. Cette disposition n'interdit en revanche pas les «ruses de guerre» qui visent à tromper l'adversaire ou à l'inciter à un comportement imprudent, sans pour autant violer des règles du droit international applicable aux conflits armés et sans être perfides, car elles n'incitent pas l'adversaire à compter sur la protection issue de ce droit 299.

Les éléments constitutifs du crime de guerre résultant du fait de déclarer qu'il ne sera pas fait de quartier (art. 8, al. 2, let. b, ch. xii) reposent
largement sur l'art. 23, let. d, du Règlement de la Convention de La Haye IV ainsi que sur l'art. 40 du Protocole additionnel I. Selon ces dispositions, il est interdit d'ordonner de ne laisser la vie sauve à aucun ennemi, de menacer l'ennemi d'une telle mesure ou de conduire les hostilités de sorte qu'il n'y ait pas de survivants.

Aux termes de l'art. 8, al. 2, let. b, ch. e xiv, qui est issu de l'art. 23, let. h, de la Convention de La Haye IV, se rend punissable celui qui, dans le contexte d'un conflit armé, suspend ou supprime par acte législatif ou administratif les droits des ressortissants d'une partie adverse ou rend impossible de faire juridiquement valoir ces droits.

297 298

L'usage du pavillon parlementaire montre la volonté de négocier ou de se rendre.

Art. 37 ch. 1 PA I donne les exemples suivants pour définir la perfidie interdite: feindre l'intention de négocier sous le couvert du pavillon parlementaire, ou feindre la reddition; feindre une incapacité due à des blessures ou à la maladie; feindre d'avoir le statut de civil ou de non-combattant; feindre d'avoir un statut protégé en utilisant des signes, emblèmes ou uniformes des Nations Unies, d'Etats neutres ou d'autres Etats non Parties au conflit.

299 Comme ruses de guerre licites, l'art. 37, ch. 2, PA I donne les exemples suivants: l'usage de camouflages, de leurres, d'opérations simulées et de faux renseignements.

496

La disposition du Statut relative au crime consistant à contraindre des nationaux de la partie adverse à prendre part aux opérations de guerre dirigées contre leur pays, même s'ils étaient au service de ce belligérant avant le commencement de la guerre (art. 8, al. 2, let. b, ch. xv), reprend la formulation de l'art. 23, dernier alinéa, de la Convention de La Haye IV. Etant donné que le libellé de cette disposition est similaire à celui de la disposition qui régit l'infraction grave correspondante, régie par la Convention de Genève (art. 8, al. 2, let. a, ch. v), nous nous contentons de renvoyer ici aux commentaires exposés plus haut.

6.3.3.2.2.3

Méthodes interdites de conduite de la guerre

La catégorie des méthodes interdites de conduite de la guerre comprend les faits décrits dans l'art. 8, al. 2, let. b, ch. i, ii, iii, iv, v, ix, xxiii, xxiv et xxv.

Le crime de guerre qui consiste à lancer des attaques délibérées contre la population civile en général ou contre des civils qui ne prennent pas directement part aux hostilités (art. 8, al. 2, let. b, ch. i) trouve son origine contractuelle dans l'art. 51, ch. 2, du Protocole additionnel I. D'après l'art. 50 du Protocole additionnel I, sont définies comme «civils» toutes les personnes qui ne sont pas membres des forces armées. La population civile comprend toutes les personnes civiles, la présence de membres isolés des forces armées ne les privant pas de leur caractère de civils. Selon l'art. 49, ch. 1, du Protocole additionnel I, la notion d'«attaque» recouvre le recours à la violence aussi bien offensif que défensif contre l'adversaire. Selon l'art. 85, ch. 3, let. a, du Protocole additionnel I, l'attaque constitue une violation grave de ce protocole. Toutefois, contrairement au Protocole additionnel I, le Statut ne spécifie pas que l'attaque doit avoir un résultat spécifique, à savoir la mort ou de graves atteintes à l'intégrité corporelle ou à la santé. L'art. 8, al. 2, let. b, ch. i, ne traite ainsi pas d'un délit conséquentiel, mais d'un délit pour un risque causé. Une attaque menée contre la population civile qui a échoué ne constitue ainsi pas seulement une tentative, mais un crime de guerre accompli. De même, une attaque contre la population civile ne peut être justifiée en raison de l'appel à des représailles. D'après le droit international coutumier, l'interdiction de telles attaques est absolue, quelles qu'en soient les circonstances300. Elles sont également interdites par l'art. 51, ch. 6, du Protocole additionnel I. Sont également considérées comme crimes de guerre les attaques contre des biens civils, c'est-à-dire contre des biens qui ne constituent pas des objectifs militaires (art. 8, al. 2, let. b, ch. ii). D'après l'art. 52, ch. 1, du Protocole additionnel I, cela vaut aussi pour les représailles contre des biens civils. En cas de doute, il convient d'admettre, selon l'art. 52, ch. 3, du Protocole additionnel I, qu'il ne s'agit pas d'un objectif militaire. Les attaques contre le personnel, les installations, le
matériel, les unités ou les véhicules participant à une mission d'aide humanitaire ou de maintien de la paix en accord avec la Charte des Nations Unies sont également considérées comme crimes de guerre, tant que ces personnes et biens ont droit à la protection due aux civils et aux biens de caractère civil selon le droit international des conflits armés (art. 8, al. 2, let. b, ch. iii). Sont exclues du domaine de protection de cette norme les missions de l'ONU qui ne visent plus le maintien, 300

Cf. TPIY, Chambre de première instance, Le Procureur c. Milan Martic , Examen de l'Acte d'accusation dans le cadre de l'article 61 du Règlement de procédure et de preuve, IT-95-11-R61, décision du 8 mars 1996, par. 10 ss; TPIY, Chambre de première instance II, Le Procureur c. Kupreskic et al. , IT-95-16, jugement du 14 janvier 2000, par. 515 et par. 527 ss.

497

mais le rétablissement ou l'imposition de la paix. Etant donné que les troupes chargées de telles missions sont habilitées à avoir recours aux armes pour accomplir leur mandat, ces unités acquièrent le statut de combattants. Cette distinction correspond également à l'art. 2, al. 2, de la Convention du 9 décembre 1994 sur la sécurité du personnel des Nations Unies et assimilé, qui est entrée en vigueur le 15 janvier 1999, mais qui n'a toutefois pas été signée par la Suisse.

L'un des crimes de guerre dont la preuve sera la plus difficile à apporter par le procureur et par la Cour consiste dans le fait de lancer une attaque délibérée en sachant qu'elle causera incidemment des pertes en vies humaines ou des blessures parmi la population civile, des dommages aux biens de caractère civil ou des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l'ensemble de l'avantage militaire concret et direct attendu (art. 8, al. 2, let. b, ch. iv). Les fondements juridiques de cette disposition se trouvent dans les art. 35, ch. 3, 51, ch. 4 et 5, 55, ch. 1, et 85, ch. 3, let. b, du Protocole additionnel I qui qualifient ce crime d'infraction grave.

Le crime de guerre consistant à attaquer ou à bombarder par quelque moyen que ce soit des villes, villages, habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus et qui ne sont pas des objectifs militaires (art. 8, al. 2, let. b, ch. v) est fondé sur l'art. 25 de la Convention de La Haye IV de 1907. L'art. 59 du Protocole additionnel I, quant à lui, peut être utile pour son interprétation. Ce qui est déterminant pour le caractère punissable de l'acte, c'est que la localité concernée se trouvait ouverte à l'occupation et qu'il ne s'agissait pas d'un objectif militaire301. L'attaque délibérée de bâtiments consacrés à la religion, à l'enseignement, à l'art, à la science ou à l'action caritative, de monuments historiques, d'hôpitaux ou de lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés est considérée comme un crime de guerre pour autant que ces bâtiments ne soient pas des objectifs militaires (art. 8, al. 2, let. b, ch. ix).

L'origine de ce crime de guerre se trouve dans les art. 27 et 56 de la Convention IV de La Haye de 1907. Les bâtiments consacrés à la culture ou à la religion sont par ailleurs protégés en
vertu des art. 53 et 85, ch. 4, let. d, du Protocole additionnel I ainsi que de la Convention de La Haye sur la protection des biens culturels de 1954.

Le crime de guerre consistant en l'attaque délibérée de bâtiments, de matériel, d'unités et de moyens de transport sanitaires, de personnel utilisant les signes distinctifs prévus par les Conventions de Genève (art. 8, al. 2, let. b, ch. xxiv) ne concerne pas seulement les signes distinctifs prévus par les Conventions de Genève (croix rouge et croissant rouge) mais également d'autres signes de protection ou méthodes d'identification prévoyant une protection aux termes des Conventions de Genève et du Protocole additionnel I302. Les objets et les personnes qui ont le droit de porter ces signes de protection ressortent de diverses dispositions des Conventions de Genève et de leurs protocoles additionnels303. Il est toutefois important de souligner qu'au sens du droit humanitaire international, la signalisation n'est pas décisive de la protection dont bénéficient ces objets et personnes. Dès le moment où l'adversaire reconnaît le caractère protégé de l'objectif, il est tenu de renoncer à toute attaque, même si l'objectif ne porte pas les signes distinctifs usuels (p. ex.

hôpital de campagne).

301 302

Voir art. 52, ch. 2, PA I pour la définition des objectifs militaires.

Cf. en particulier l'Annexe I du PA I, modifiée le 30 novembre 1993, nouvelle teneur en vigueur pour la Suisse depuis le 1er mars 1994 (RO 1994 786).

303 Cf. art. 24­27, 36, 39­44 CG I; art. 42­44 CG II; art. 18­22 CG IV; art. 8, 12­13, 15, 18, 23, 24 PA I.

498

La disposition relative au crime de guerre consistant à utiliser la présence d'un civil ou d'une autre personne protégée pour éviter que certains points, zones ou forces militaires ne soient la cible d'opérations militaires (art. 8, al. 2, let. b, ch. xxiii) concerne l'interdiction des «boucliers humains»304. L'auteur n'est pas seulement punissable s'il utilise la présence de civils ou d'autres personnes protégées, mais il l'est également s'il déplace ces personnes dans ce but en un autre lieu. L'action inverse, consistant à placer volontairement des unités militaires ou des armements à proximité de civils ou d'autres personnes protégées (p. ex. à proximité de convois de réfugiés) pour les protéger d'attaques tombe également sous le coup de cette disposition. Est constitutif de l'infraction non seulement le recours à un bouclier humain pour protéger un objectif militaire, mais aussi l'abus de la présence de civils pour protéger, faciliter ou empêcher des opérations de combat. Est également considéré comme une méthode interdite de conduite de la guerre le fait d'affamer délibérément des civils (art. 8, al. 2, let. b, ch. xxv). Selon le Statut, la notion «d'affamer» n'est pas à prendre au sens strict du terme. Elle est définie comme un concept, en ce sens qu'il ne s'agit pas seulement de priver les victimes d'aliments, mais aussi de biens indispensables à la survie (tels que les médicaments). Le Statut cite à titre d'exemple le fait d'empêcher intentionnellement l'envoi des secours prévus par les Conventions de Genève. Ce crime de guerre se trouve aussi détaillé à l'art. 54 du Protocole additionnel I.

6.3.3.2.2.4

Interdiction de l'emploi de certaines armes

La catégorie de l'interdiction de l'utilisation de certaines armes comprend les infractions traitées dans l'art. 8, al. 2, let. b, ch. xvii, xviii, xix et xx.

Le crime de guerre consistant à utiliser du poison ou des armes empoisonnées (art.

8, al. 2, let. b, ch. xvii) est issu de l'art. 23, let. a, du Règlement de la Convention IV de La Haye de 1907. Sont considérées comme poison ou comme armes empoisonnées les substances dont la nature toxique fait qu'elles entraînent la mort ou de graves atteintes à la santé, mais également les armes qui libèrent de telles substances en raison de leur emploi. La disposition régissant le crime de guerre consistant à utiliser des gaz asphyxiants, toxiques ou assimilés et tous liquides, matières ou engins analogues (art. 8, al. 2, let. b, ch. xviii) repose sur le Protocole de Genève de 1925305 sur les gaz toxiques ainsi que sur la Convention sur l'interdiction des armes chimiques de 1993306. Elle ne va cependant pas aussi loin que cette dernière, qui rend aussi punissable le développement, la production et le stockage d'armes chimiques. La Convention de 1972 sur l'interdiction des armes biologiques et toxiques contient307 par ailleurs des éléments importants dans l'optique de l'interprétation de cette disposition du Statut. Lors de l'élaboration du Statut, aucun consensus n'a pu être obtenu sur la question de l'interdiction généralisée des armes nucléaires. Cela 304 305

Cf. déjà art. 23 CG III, art. 28 CG IV et art. 51 ch. 7 PA I.

Protocole du 17 juin 1925 concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques; RS 0.515.105, entré en vigueur pour la Suisse le 12 juillet 1932.

306 Convention du 13 janvier 1993 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction; RS 0.515.08, entrée en vigueur pour la Suisse le 29 avril 1997.

307 Convention du 10 avril 1972 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction; RS 0.515.07, entrée en vigueur pour la Suisse le 5 mai 1976.

499

ne signifie cependant pas qu'il n'existe pas certains cas dans lesquels l'utilisation des armes nucléaires est malgré tout soumise au droit international humanitaire et relève de la compétence de la Cour pénale. Le droit international humanitaire interdit par exemple toute attaque dirigée contre des civils, indépendamment du type d'arme utilisé. La disposition relative au crime de guerre consistant à utiliser des munitions interdites (art. 8, al. 2, let. b, ch. xix) reprend le libellé de la Déclaration de La Haye de 1899308. Elle vise les balles qui se dilatent ou s'aplatissent facilement dans le corps humain et causent ainsi des souffrances inutiles (balles dites « doum doum »). Un régime spécial est appliqué au crime de guerre consistant à employer des armes, projectiles, matériels et méthodes de combat de nature à causer des maux superflus ou des souffrances inutiles, ou à agir sans discrimination en violation du droit international des conflits armés (art. 8, al. 2, let. b, ch. xx). Il ne relèvera en effet de la compétence de la Cour qu'à partir du moment où ces armes, projectiles, matériels et méthodes de combat seront l'objet d'une interdiction générale, qui, à la faveur d'une modification du Statut, devra être inscrite dans une annexe de celui-ci, cette annexe ne pouvant être décidée, selon les art. 121 et 123 du Statut, que lors de la première conférence de révision du Statut prévue sept ans après sa conclusion.

Cette réglementation, impliquant une liste du Statut assez courte au regard des accords internationaux existants, répond au désir de différents Etats de maintenir ouverte l'option d'inclure dans le Statut l'interdiction d'autres armes et d'armes nouvelles répondant aux critères du Statut.

6.3.4 6.3.4.1

Infractions dans le cadre de conflits armés non internationaux Validité du droit international humanitaire dans les conflits internes en général

Lors de l'élaboration du Statut de la Cour pénale internationale, il a longuement été discuté de la question de savoir si les crimes commis dans les conflits nationaux devaient être soumis à la compétence de la Cour. Pourquoi le droit international faitil traditionnellement la distinction entre les conflits internes et les conflits internationaux? Cette question s'inscrit depuis toujours dans le contexte des frictions entre le domaine des relations internationales, que les Etats gèrent en se prévalant du droit international et en ayant, dans le pire des cas, recours à la guerre ou au conflit armé, et le domaine des «affaires intérieures», dans lequel les Etats entendent décider souverainement et sans immixtion de l'étranger. S'il y a bien longtemps que les conflits entre les Etats font l'objet de règles sur les méthodes de conduite de la guerre et sur la protection des victimes de ces conflits, ce n'est qu'au cours des dernières décennies que la communauté internationale a commencé à se donner des règles correspondantes s'appliquant aux conflits internes. Traditionnellement, ceux-ci étaient en effet considérés comme affaires intérieures et comme relevant, de ce fait, de la compétence exclusive de l'Etat concerné. Cette situation a commencé à changer en 1949 seulement, avec l'adoption de l'art. 3 commun aux quatre Conventions de Genève.

C'était là la première fois que les Etats acceptaient un minimum de règles à respecter aussi en cas de conflits intérieurs. En 1954, la Convention de La Haye pour la pro308

500

Déclaration du 29 juillet 1899 concernant l'emploi de balles qui s'épanouissent ou s'aplatissent facilement dans le corps humain; RS 0.515.103, ratifiée par la Suisse le 29 décembre 1900.

tection des biens culturels en cas de conflit armé prévoyait à son art. 19 que ses dispositions relatives au respect des biens culturels s'appliquaient à tous les types de conflits, tant internationaux que nationaux. En 1977, finalement, la réglementation assez rudimentaire contenue à l'art. 3 commun aux quatre Conventions de Genève a été précisée et complétée par le deuxième Protocole additionnel aux Conventions de Genève. Parallèlement, le champ d'application d'un grand nombre de normes relevant du droit coutumier international a été successivement étendu des conflits armés internationaux, auxquels il se limitait à l'origine, aux conflits armés non internationaux. Les instruments de droit international en question ne contenaient cependant eux-mêmes aucune disposition menaçant les contrevenants de poursuites pénales. Ce n'est qu'avec la mise sur pied des tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda qu'une telle action pénale a pu être menée pour la première fois sur le plan international. Sur le plan national, en revanche, l'idée avait déjà fait son chemin: il était admis depuis un certain temps déjà que les tribunaux avaient compétence pour connaître de violations du droit humanitaire non seulement si celles-ci avaient été commises sur le territoire national ou à l'encontre d'un ressortissant national, mais aussi lorsque soit l'auteur, soit la victime sont des étrangers ou lorsque le crime a été commis hors du territoire national 309.

Cette évolution du droit international humanitaire doit aussi être mise en relation avec les développements dans le domaine de la protection internationale des droits de l'homme. Au cours des dernières décennies, il a en effet été reconnu que la violation des droits fondamentaux de l'être humain est une affaire qui ne concerne pas seulement l'Etat impliqué. Dans le cadre du Conseil de l'Europe, par exemple, divers mécanismes de surveillance ont ainsi été instaurés. Un organe de contrôle judiciaire a en outre été créé avec la Cour européenne des droits de l'homme, à laquelle tant les Etats que les individus peuvent s'adresser en cas de violation de droits ou de libertés garantis par la Convention européenne des droits de l'homme.

Le complément logique de ces efforts de protection des droits de l'homme est constitué par les cours pénales internationales,
qui ne sont pas compétentes en premier lieu pour les plaintes des victimes de violations des droits de l'homme, mais se consacrent à la punition de leurs auteurs. Etant donné que, depuis la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de conflits armés n'ont pas eu un caractère international et qu'il est caractéristique de ce type de conflits que les institutions juridiques nationales des Etats en crise ne peuvent ou ne veulent souvent plus réagir de manière appropriée à la violation des droits de l'homme, une majorité des Etats se sont finalement prononcés, lors de l'élaboration du Statut, en faveur d'une extension de son champ d'application aux crimes de guerre commis dans le cadre de conflits internes. Il a ainsi été reconnu que la différence entre conflits armés internationaux et conflits armés internes perd sa pertinence lorsqu'il s'agit de sanctionner la violation de dispositions du droit international humanitaire.

Rappelons enfin que le statut de combattant, tel que défini par le droit international des conflits armés pour les conflits armés internationaux, n'existe pas pour les conflits armés non internationaux. De ce fait, les personnes qui prennent les armes et qui ne sont pas de membres des forces armées régulières ne bénéficient pas de la protection que le droit international humanitaire confère aux combattants en matière de conflits armés internationaux et s'exposent aux sanctions prévues par les normes

309

Cf. ci-dessous ch. 6.4 sur la situation en Suisse.

501

de droit pénal national applicables en la matière: meurtre, rébellion, résistance à l'autorité, haute trahison, etc. 310.

6.3.4.2

Notion de conflit non international

L'art. 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 est le premier instrument de droit international humanitaire qui s'applique aux conflits armés «ne présentant pas un caractère international»311 et qui les soumet à certaines règles. Au vu de la diversité des situations qui devaient être régies par cette disposition, les Etats n'ont pas pu se mettre d'accord sur une définition plus précise de son champ d'application. Il est toutefois généralement reconnu que l'application de l'art. 3 commun est subordonnée à l'existence conjointe de deux critères: d'abord le critère de l'organisation (présence d'un ou de plusieurs groupes organisés dirigés par un ou plusieurs responsables); ensuite, le critère de l'intensité (capacité de ces groupes de mener des opérations de combat et autres actions militaires). Pour ce qui est des parties au conflit, il y a, selon l'art. 3 commun, différentes constellations possibles: ses dispositions s'appliquent en effet tant aux hostilités opposant le gouvernement à des groupes rebelles qu'à celles qui ont lieu entre des groupes armés, sans implication de troupes gouvernementales312.

L'étape suivante dans l'application du droit international humanitaire aux conflits non internationaux a été franchie en 1954, avec la signature de la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. L'art. 19 de cette convention prévoit qu'en cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international, chacune des parties au conflit sera tenue «d'appliquer au moins les dispositions de la présente convention qui ont trait au respect des biens culturels». Le champ d'application de cette convention s'étend aux conflits armés non internationaux dans la même mesure que celui de l'article commun aux Conventions de Genève. Il est aujourd'hui reconnu que les règles relatives à la protection des biens culturels ont acquis le statut de droit coutumier aussi dans le contexte des conflits non internationaux.

La formulation parfois très rudimentaire et incomplète de l'art. 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 ainsi que la multiplication des conflits intérieurs ont rendu indispensable la création d'un instrument de droit international s'appliquant spécifiquement aux conflits armés à caractère non international. Le 8 juin 1977 a ainsi été signé le second
Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux. Cet instrument est le pendant du premier Protocole additionnel. Comparé au champ d'application de l'art. 3 commun, le champ d'application du Protocole additionnel II est à la fois plus restreint et défini de manière plus claire. Il est limité dans la mesure où le Protocole additionnel II s'étend uniquement aux conflits armés 310

Voir p. ex. art. 265 CP (Crimes ou délits contre l'Etat. Haute trahison), art. 266 CP (Atteinte à l'indépendance de la Confédération) ou art. 275 CP (Mise en danger de l'ordre constitutionnel).

311 Art. 3, al. 1.

312 Cf. pour un cas d'examen du champ d'application de l'art. 3 commun (en l'occur rence confirmé), le rapport dans la cause Tablada de la Commission interaméricaine des droits de l'homme du 18 novembre 1997, cas n o 11.127, OEA Ser/L/V.II.97.

Des Extraits de ce rapport sont reproduits dans Marco Sassòli/Antoine A. Bouvier, How does Law protect in War? , Genève, CICR 1999, p. 1042­1053.

502

opposant des rebelles aux troupes gouvernementales, à l'exclusion de ceux qui opposent différents groupes armés. De plus, les critères de l'organisation et de l'intensité exigés aux termes de l'art. 3 commun s'y trouvent complétés par une troisième exigence: il faut, selon le Protocole additionnel II, que les rebelles exercent sur une partie du territoire national un contrôle qui leur permette «de mener des opérations militaires continues et concertées et d'appliquer le présent Protocole.» (critère du contrôle territorial) Les trois critères sont clairement définis à l'art. 1, ch. 1, du Protocole additionnel II. Si cet instrument de droit international fixe un plafond à son champ d'application, il en détermine aussi le seuil: «Le présent Protocole ne s'applique pas aux situations de tensions internes, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et aux autres actes analogues qui ne sont pas considérés comme des conflits armés». Le Protocole additionnel II peut donc être considéré comme venant compléter et préciser l'art. 3 commun, sans toutefois en modifier le contenu. Selon la situation qui prévaut dans un conflit armé, l'art. 3 commun s'applique donc seul ou en combinaison avec le Protocole additionnel II.

6.3.4.3 6.3.4.3.1

Violations graves de l'art. 3 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 (art. 8, al. 2, let. c) Domaine d'application

En vertu de l'art. 8, al. 2, let. c, du Statut, la Cour pénale est compétente pour connaître des infractions graves à l'art. 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949. Ce dernier contient les principes fondamentaux de la protection de la dignité humaine dans les conflits armés. Il est souvent qualifié de «mini-convention» ou de «convention dans la convention». Toutes les règles contenues à l'art. 3 ont le caractère de droit coutumier international. Elles constituent les fondements du droit international des conflits armés et s'appliquent donc à tous les types de conflits armés, qu'ils soient internationaux ou non. Dans une note du 23 mars 1998, la Direction du droit international public a qualifié les actes contraires à l'article 3 de violations des règles contraignantes du droit humanitaire international (ius cogens)313.

Toutes les personnes qui ne prennent pas directement part aux hostilités sont protégées contre les infractions à l'art. 3 commun. En font partie tous les civils qui ne participent pas activement au conflit armé, mais également les membres des parties au conflit armé qui se sont rendus ou qui se trouvent hors de combat en raison de maladie, blessure, captivité ou pour toute autre raison. En principe, entrent en considération comme auteurs, toutes les personnes dont les actes sont en rapport avec le conflit armé.

6.3.4.3.2

Agissements punissables

Les actes interdits d'après l'art. 3 commun aux quatre Conventions de Genève correspondent dans une large mesure aux délits punissables dans les conflits internatio313

Cf. RSDIE 1999, p. 711.

503

naux. Ce fait souligne l'importance fondamentale des dispositions sanctionnant ces délits pour le traitement conforme à la dignité humaine des victimes, aussi dans les situations de conflits internes. Dans la mesure où les crimes commis dans le contexte d'un conflit interne ne se distinguent pas par des spécificités, nous renvoyons ici aux commentaires relatifs aux conflits internationaux. Sont en particulier punissables les actes suivants: les attentats à la vie et à l'intégrité corporelle, notamment toutes les formes de meurtre314, les mutilations315, les traitements inhumains316 et la torture317 (art. 8, al. 2, let. c, ch. i); les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitement humiliants et dégradants (art. 8, al. 2, let. c, ch. ii)318, la prise d'otages (art. 8, al. 2, let. c, ch. iii)319 ainsi que les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué assorti des garanties judiciaires généralement reconnues comme indispensables (art. 8, al. 2, let. c, ch. iv) 320.

6.3.4.4

Autres infractions graves aux lois et coutumes reconnues du droit international s'appliquant aux conflits armés non internationaux (art. 8, al. 2, let. e)

Le fait que les Etats aient placé sous la compétence de la Cour non seulement les violations graves de l'art. 3 commun aux quatre Conventions de Genève, mais aussi les infractions aux interdits contenus dans le Protocole additionnel II et dans la Convention sur la protection des biens culturels de 1954 ainsi que, plus généralement, les violations du droit coutumier international peut être considéré comme l'un des acquis du Statut de Rome. Dans la mesure où les infractions graves aux lois et coutumes reconnus par le droit international s'appliquant aux conflits armés non internationaux ne se distinguent par aucune spécificité, nous renvoyons aux commentaires relatifs aux conflits internationaux. Sont ainsi punissables en particulier les actes suivants: les attaques contre la population civile (art. 8, al. 2, let. e, ch.

i)321, les attaques contre le personnel et le matériel arborant les signes distinctifs des Conventions de Genève (art. 8, al. 2, let. e, ch. ii)322, les attaques contre le personnel et le matériel participant à une mission d'aide humanitaire ou de maintien de la paix conformément à la Charte des Nations Unies (art. 8, al. 2, let. e, ch. iii)323, les atta314 315 316 317 318 319 320

Cf. art. 8, al. 2, let. a, ch. i.

Cf. art. 8, al. 2, let. b, ch. x.

Cf. art. 8, al. 2, let. a, ch. ii-2.

Cf. art. 8, al. 2, let. a, ch. ii-1.

Cf. art. 8, al. 2, let. a, ch. ii-1.

Cf. art. 8, al. 2, let. a, ch. viii.

L'art. 8, al. 2, let. c, ch. iv (les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires généralement reconnues comme indispensables) correspond en grande partie à l'art. 8, al. 2, let. a, ch. vi (le fait de priver intentionnellement un prisonnier de guerre ou toute autre personne protégée de son droit d'être jugé régulièrement et impartialement). L'art. 8, al. 2, let. c, ch. iv garantit le respect de quelques garanties minimales pour un procès équitable, avant qu'une condamnation ou une exécution n'aient eu lieu. La liste figurant à l'art. 6, ch. 2, PA II donne certaines indications sur les éléments d'un procès équitable. On peut aussi citer la prétention d'être jugé par un tribunal ordinaire. Celui-ci doit en outre être indépendant et impartial. Les tribunaux extraordinaires constitués sur une base ad hoc sont également interdits.

321 Cf. art. 8, al. 2, let. b, ch. i.

322 Cf. art. 8, al. 2, let. b, ch. xxiv.

323 Cf. art. 8, al. 2, let. b, ch. iii.

504

ques contre des bâtiments consacrés à la religion, à l'enseignement, à l'art, à la science ou à l'action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades et des blessés sont rassemblés (art. 8, al. 2, let. e, ch. iv)324, le pillage (art. 8, al. 2, let. e, ch. v)325, le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée et toute autre forme de violence sexuelle d'une gravité comparable (art. 8, al. 2, let. e, ch. vi)326, la conscription ou l'enrôlement d'enfants de moins de quinze ans dans les forces armées ou dans des groupes armés ou le fait de les faire participer activement à des hostilités (art. 8, al. 2, let. e, ch. vii)327, le fait d'ordonner, en violation du droit international, le déplacement de la population civile pour des raisons ayant trait au conflit (art. 8, al. 2, let. e, ch. viii)328, le fait de tuer ou de blesser par traîtrise un adversaire combattant (art. 8, al. 2, let. e, ch. ix)329, le fait de déclarer qu'il ne sera pas fait de quartier (art. 8, al. 2, let. e, ch. x)330, les mutilations et les expériences médicales ou scientifiques (art. 8, al. 2, let. e, ch. xi)331, la destruction ou le saisissement des biens d'un adversaire (art. 8, al. 2, let. e, ch. xii) 332

6.3.4.5

Infractions commises dans un conflit non international non citées dans le Statut

En comparaison avec les 34 crimes qui tombent sous la compétence de la Cour dans le cas d'un conflit armé international, on constate que seuls seize sont punissables dans un conflit interne. Cette différence provient du fait que l'application du droit international humanitaire aux conflits internes est postérieure à son application aux conflits internationaux et que sa validité selon le droit international coutumier n'était, lors de l'élaboration du Statut, pas encore reconnue dans la même mesure que les règles du droit des conflits armés internationaux. En définitive, on peut toutefois considérer comme un succès le fait d'avoir pu faire inclure dans le Statut la sanction ne serait-ce que de quelques-uns des crimes de guerre commis dans les conflits nationaux. Toutefois, dans l'optique d'une proscription complète de certains crimes qui concernent la communauté internationale dans son ensemble (pour reprendre la formule de l'art. 5 du Statut), et compte tenu du fait que la distinction entre le contexte national et le contexte international n'a aucun sens dans l'optique des personnes qui ont souffert d'une attaque aux gaz toxiques, de l'utilisation de munitions interdites causant des souffrances inutiles, de l'emploi de boucliers humains, d'opérations visant à les affamer dans l'intérêt de la conduite du conflit ou d'attaques sur des villes ou localités non défendues, il serait opportun que la conférence des Etats Parties qui doit être convoquée sept ans après l'entrée en vigueur du 324 325 326 327 328

329 330 331 332

Cf. art. 8, al. 2, let. b, ch. ix.

Cf. art. 8, al. 2, let. b, ch. xvi.

Cf. art. 8, al. 2, let. b, ch. xxii.

Cf. art. 8, al. 2, let. b, ch. xxvi.

Si l'art. 8, al. 2, let. e, ch. viii, présente des ressemblances avec l'art. 8, al. 2, let. b, ch. viii, il présente matériellement une nouveauté par rapport au droit international humanitaire qui existait avant le Statut de Rome. Le crime ne consiste pas dans le transfert lui-même, mais dans le fait d'ordonner celui-ci. En outre, en application des principes de la responsabilité pénale individuelle, d'autres personnes peuvent se rendre également punissables (par exemple en tant que complice exécutant).

Cf. art. 8, al. 2, let. b, ch. xi.

Cf. art. 8, al. 2, let. b, ch. xii.

Cf. art. 8, al. 2, let. b, ch. x.

Cf. art. 8, al. 2, let. b, ch. xiii.

505

Statut (voir l'art. 123, al. 1) fasse entrer ces délits dans le domaine de compétence de la Cour. Dans la cause Tadic, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a récemment reconnu qu'il serait absurde que, par exemple, l'usage des armes chimiques soit interdit dans les conflits entre Etats, mais qu'il reste autorisé sur le territoire propre d'un Etat pour écraser une rébellion 333.

6.4

Caractère punissable des crimes de guerre en droit suisse

En droit suisse, les violations du droit international humanitaire sont sanctionnées au chapitre sixième du Code pénal militaire334 (violation du droit humanitaire en cas de conflit armé). Les tribunaux militaires suisses ont compétence pour connaître de tels crimes indépendamment du fait qu'ils s'agisse d'un conflit armé international ou interne, que le crime ait été commis sur territoire suisse ou à l'étranger, que l'auteur et la victime soient de nationalité suisse ou étrangère et que l'auteur possède le statut de militaire ou de civil335. Le principe de l'universalité s'applique donc aujourd'hui déjà sans réserve aux infractions au droit international humanitaire. Selon l'art.

75bis, al. 1, ch. 2, CP et l'art. 56bis, al. 1, ch. 2, CPM, les crimes de guerre sont en outre imprescriptibles. Les actes punissables ressortent des délits expressément nommés aux art. 110 à 114 ainsi que du renvoi à l'art. 109 CPM. L'art. 109, al. 1, CPM constitue une norme générale couvrant en principe aujourd'hui déjà toutes les conventions dans le domaine du droit international humanitaire ainsi que le droit coutumier reconnu. Cette norme peut également inclure les conventions et évolutions ultérieures du droit336. Pour des motifs relevant de l'Etat de droit, en raison en particulier du principe de légalité fortement souligné en droit pénal, des doutes ont été exprimés lors de l'introduction de cette norme: permettrait-elle de déterminer le caractère punissable de tel ou tel comportement en cas de conflit d'une manière suffisamment claire ?337. Bien que le droit suisse réponde déjà aux exigences du Statut en matière de sanction des crimes de guerre, il paraît aujourd'hui judicieux de reformuler de manière plus précise les dispositions de droit national relatives aux crimes les plus graves une fois que la Suisse aura adhéré au Statut.

333

334 335

336 337

506

Cf. TPIY, Chambre d'appel, Le Procureur c. Tadic, arrêt relatif à l'appel de la défense concernant l'exception préjudicielle d'incompétence , IT-94-1-AR72, arrêt du 2 octobre 1995, par. 119 ss.

RS 321.0 La compétence de la juridiction militaire suisse pour juger des crimes de guerre dans des conflits non internationaux, qui ont été commis à l'étranger par un auteur étranger à l'encontre d'une victime étrangère, a été confirmée par le Tribunal de division 2, dans la cause Fulgence Niyonteze, jugement du 30 avril 1999 (non publié), et par le jugement du Tribunal militaire d'appel 1 du 26 Mai 2000 (pas encore définitif); cf. déjà le jugement du Tribunal de division 1 du 18 avril 1997 dans la cause G: voir plus largement sur la question de la compétence le message sur l'adhésion de la Suisse à la Convention contre le génocide (FF 1999 4928).

Cf. Kurt Hauri, Kommentar zum Militärstrafgesetz, Berne 1983, p. 365; Peter Popp, Kommentar zum Militärstrafgesetz ­ Besonderer Teil, Saint-Gall 1992, p. 545 ss.

Cf. message du 18 février 1981 concernant les Protocoles additionnels aux Conventions de Genève; FF 1981 I 973, 1034.

7

Le crime d'agression d'après le Statut de la Cour pénale internationale (art. 5, al. 2)

Pendant l'élaboration du Statut, des divergences d'opinion se sont manifestées sur la question de savoir si le crime d'agression devait ou non être inclus dans la liste des crimes relevant de la compétence de la Cour. Dans le cas de l'agression, il ne s'agit pas d'une grande nouveauté puisque ce crime était déjà reconnu comme tel dans les statuts des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo. Les Etats n'ont toutefois pas pu se mettre d'accord sur une définition de l'agression338, ni parvenir à un consensus sur les rapports entre la Cour et le Conseil de sécurité de l'ONU pour la qualification d'un cas d'agression339. On s'est finalement mis d'accord sur un compromis selon lequel la Cour est compétente selon l'art. 5, al. 1, du Statut, compétence qui, selon l'art. 5, al. 2, demeure cependant suspendue jusqu'à ce qu'une disposition aura été adoptée conformément aux art. 121 et 123, qui définira ce crime et fixera les conditions de l'exercice de la compétence de la Cour à son égard. Cette disposition devra être compatible avec les dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies.

Sept ans au plus tôt après l'entrée en vigueur du Statut, une conférence de révision pourra décider de l'inclusion d'une disposition sur le crime d'agression formulée en toutes lettres340. Selon l'art. 121, al. 5, du Statut, la Cour n'aura pas de juridiction à l'égard des Etats Parties qui n'acceptent pas le résultat des négociations.

338

La description de l'agression qui figure dans la résolution 3314 de l'Assemblée générale de l'ONU du 14 décembre 1947 ne constitue pas encore une définition reconnue du droit international coutumier. Toutes les formulations ne sont pas propres à servir comme base pour fonder une responsabilité pénale individuelle. Cette résolution a bien plus la fonction de directive politique pour le Conseil de sécurité.

339 Selon l'art. 39 de la Charte des Nations Unies, il appartient au Conseil de sécurité de l'ONU de constater l'existence d'un acte d'agression, puis de faire des recommandations ou de prendre des mesures, pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. Partant, différents Etats, en premier lieu les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, ont essayé, du reste sans succès, d'obtenir une formulation, selon laquelle le Conseil de sécurité doive d'abord constater l'existence d'une agression d'un Etat et ensuite la Cour décider si une personne s'est rendue individuellement responsable du crime d'agression.

340 Les travaux concernant le projet d'un crime d'agression ont commencé dans la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale; cf. rapport de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale sur sa quatrième session, Nations Unies, Doc. PCNICC/2000/L.1/Rev.1, p. 30 ss (état au 3 avril 2000).

507

Annexe 2

Principes généraux du droit pénal et peines (commentaires relatifs aux chap. III et VII du Statut) 1

Principes généraux du droit pénal (chap. III: art. 22 à 33)

L'art. 22 du Statut consacre d'abord le principe de la légalité, «pas de crime sans loi» («nullum crimen sine lege»). Ce principe classique du droit pénal établit qu'une personne n'est tenue pénalement responsable en vertu du présent Statut que si son comportement constitue, au moment où il se produit, un crime au sens de l'art. 5. Ce principe est complété par une interdiction d'étendre la définition d'un crime par analogie ainsi que par une règle stipulant qu'une définition ambiguë est interprétée en faveur de la personne qui fait l'objet d'une enquête ou d'une poursuite pénale.

Enfin, cet article réserve expressément la qualification d'un comportement relevant du droit pénal, conformément aux autres dispositions du droit international (hormis le Statut); il complète de cette manière l'art. 10 (réserve des autres dispositions existantes du droit international en ce qui concerne la définition de crimes). Pour les parties aux négociations, il était évident que la qualification pénale selon le droit national, de son côté, devait rester intacte ­ en tout cas pour autant qu'il ne s'agisse pas de la question d'un nouveau jugement, par un tribunal national, d'une affaire déjà tranchée par la Cour, ce qu'exclut l'art. 20, al. 2 («ne bis in idem»). Comme on pensait qu'elle était évidente, une telle réserve en faveur du droit pénal interne n'a pas été retenue.

L'art. 23 introduit brièvement le principe tout aussi fondamental «pas de peine sans loi» («nulla poena sine lege»).

L'art. 24 interdit à la Cour de rendre quiconque pénalement responsable d'un crime antérieur à l'entrée en vigueur du Statut. Cette interdiction de rétroactivité doit être comprise à la lumière des art. 11 et 12 qui décrètent que la Cour n'est compétente que pour des crimes qui ont été perpétrés après l'entrée en vigueur du Statut pour l'Etat dont la ratification de celui-ci entraîne automatiquement la compétence de la Cour. Par conséquent, ce qui est déterminant sous l'angle de l'art. 24 également, ce n'est pas l'entrée en vigueur du Statut en soi (60 jours après la 60e ratification), mais l'entrée en force pour l'Etat sur le territoire duquel un crime a été commis, ou pour l'Etat dont l'auteur du crime est ressortissant, suivant la condition à laquelle la juridiction de la Cour est liée dans le cas d'espèce. En outre, l'art. 24
reprend le principe de la réserve du droit le plus favorable («lex mitior»). Mais cette réserve ne serait applicable qu'en cas de révision ultérieure du Statut instituant une réduction de la punissabilité, ce qui semble difficilement imaginable à l'heure actuelle.

L'art. 25 dit que la Cour juge exclusivement le comportement de personnes physiques. Contrairement à la Cour internationale de justice (CIJ), la Cour pénale internationale ne juge pas le comportement des Etats341. La responsabilité d'Etats, telle qu'elle peut découler de dispositions du droit international hormis le présent Statut, demeure toutefois expressément réservée. Une proposition consistant à étendre la responsabilité pénale à des personnes morales a été rejetée.

341

508

Cf. Statut de la Cour internationale de justice, art. 34; RS 0.193.501.

De même, l'art. 25 définit les formes de commission et de participation à un crime.

Est punissable quiconque commet un crime au sens du Statut, que ce soit individuellement, avec le concours ou par l'intermédiaire d'une autre personne. Celui qui ordonne, sollicite ou encourage la commission d'un tel crime peut aussi être puni, pour autant qu'il y ait au moins tentative de commission. Le «concours ou toute autre forme d'assistance» est punissable aux mêmes conditions. En outre, est condamnable pénalement la conspiration, sans que ne soit toutefois appliquée à celle-ci, dans le Statut comme tel, la notion tirée de la «common law». En lieu et place, le Statut contient une définition détaillée. Est caractéristique le concours intentionnel d'un individu à la commission ou à la tentative de commission d'un crime par un groupe de personnes agissant de concert. Cette contribution doit être apportée soit pour faciliter l'activité criminelle ou le dessein criminel du groupe, soit en pleine connaissance de l'intention du groupe de commettre ce crime. De plus, est punissable «l'incitation directe et publique», mais uniquement en rapport avec le crime de génocide. En l'occurrence, il s'est agi de transposer l'incitation telle qu'elle ressort de l'art. III, let. c de la Convention de 1948 contre le génocide. L'incitation à commettre le génocide ne présuppose pas la commission subséquente ni la tentative de commission du crime de génocide et ne représente donc pas ­ au sens précis du terme ­ une forme de commission ou de participation à l'exécution de cet acte, mais bien un délit en soi. Par conséquent, la place de cette disposition a longtemps provoqué des divergences de vue. Finalement, il a été décidé de la laisser dans l'art. 25.

Enfin, la tentative de commettre un génocide au sens du Statut est également punie.

Il y a tentative lorsque la personne commet un acte qui, par son caractère substantiel, constitue un commencement d'exécution. De simples actes préparatoires demeurent donc impunis. De même, la personne qui a entrepris l'exécution d'un crime, mais qui y renonce volontairement et complètement ou éprouve un repentir agissant reste impunie.

Selon l'art. 26, la Cour n'a pas juridiction sur des personnes qui, au moment de l'exécution présumée du crime, étaient âgées de moins de 18 ans. Cette disposition
a été longtemps contestée. En fin de compte, deux arguments ont été déterminants pour l'exclusion, dans le Statut, de la punissabilité de mineurs: d'une part, le projet selon lequel la Cour aurait à s'occuper de tâches relevant de juges des mineurs aurait rencontré de grandes difficultés pratiques. D'autre part est né le sentiment que des mineurs commettant des crimes au sens du Statut ne seraient pas seulement des auteurs mais aussi, très souvent, des victimes et ne correspondraient donc pas au profil du criminel pour lequel la Cour a été instituée.

L'art. 27 recèle une disposition fondamentale instituant que le Statut s'applique à tous de manière égale, peu importe que la personne en question ait agi en vertu d'une qualité officielle ou non. En particulier, la qualité officielle de chef d'Etat ou de gouvernement, de membre du gouvernement ou d'un parlement, de représentant élu ou d'agent d'un Etat ne joue aucun rôle à cet égard. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne.

L'art. 28 retient la responsabilité de chefs militaires et d'autres supérieurs hiérarchiques. Cette disposition significative pour tous les crimes mentionnés à l'art. 5 du Statut est complétée par l'art. 25, al. 3, let. b, selon lequel est notamment puni quiconque «ordonne» un crime. L'art. 28 définit spécifiquement, de son côté, la responsabilité de supérieurs militaires et civils pour des crimes qui ont été commis par 509

leurs subordonnés. Cette clause distingue d'une part entre les «chefs militaires» (et les personnes faisant effectivement fonction de chef militaire) et, d'autre part, tous les autres «supérieurs hiérarchiques», militaires ou civils. La responsabilité des chefs militaires est plus importante que celle d'autres supérieurs hiérarchiques: ­

La responsabilité de chefs militaires ou de personnes assumant effectivement un tel office s'étend à des crimes perpétrés par des troupes placées sous leur commandement et leur contrôle effectifs, ou sous leur autorité et leur contrôle effectifs, selon le cas, lorsqu'ils n'ont pas exercé le contrôle qui convenait sur ces forces militaires. La responsabilité d'un tel chef militaire est engagée lorsque celui-ci savait, ou, en raison des circonstances, aurait dû savoir que ses troupes commettaient ou allaient commettre ces crimes, et lorsqu'il n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins de poursuites pénales.

­

La notion «d'autres supérieurs hiérarchiques» couvre tous les supérieurs hiérarchiques civils. Mais elle inclut également les supérieurs militaires, pour autant qu'ils ne disposent pas de pouvoir de commandement ou qu'ils ont des subordonnés civils. Pour être condamnables, ces «autres supérieurs hiérarchiques» doivent avoir su que leurs subordonnés commettaient ou allaient commettre ces crimes ou avoir délibérément négligé de tenir compte d'informations qui l'indiquaient clairement. Le Statut exige en outre que les actes criminels des subordonnés soient commis dans un champ d'activités placé sous la responsabilité du supérieur en question. C'est à juste titre qu'une telle condition n'est pas requise dans le cas d'un chef militaire. En effet, celui-ci peut, si toutes les autres conditions sont remplies, également être tenu pour responsable d'actes commis par ses troupes hors du domaine de ses tâches, par exemple lors d'une sortie.

L'art. 29 établit que les crimes relevant de la compétence de la Cour sont imprescriptibles. Spécialement en ce qui concerne les crimes de guerre, ce principe n'a pas été admis sans contestations.

L'art. 30 traite de l'aspect psychologique de l'acte. En conséquence, seul est pénalement responsable celui qui réalise les faits constitutifs objectifs du crime intentionnellement et en connaissance de cause. Des dérogations à ce principe sont possibles dans le cadre d'autres dispositions du Statut. S'agissant de l'intention, distinction est faite entre le comportement du point de vue de l'infraction (qui doit être adopté volontairement) et la conséquence de ce comportement dans les faits (le fait d'être conscient d'une conséquence possible est suffisant). Pour ce qui est d'agir "en connaissance de cause", il suffit que la personne en question soit consciente de l'existence d'une circonstance, ou du fait qu'une conséquence adviendra dans le cours normal des événements. Même si les notions juridiques utilisées dans l'art. 30 ne coïncident pas exactement avec celles de la doctrine suisse en matière de droit pénal, il y a tout au moins suffisamment de points communs entre ces principes pour que, sous l'angle psychologique, une distinction soit opérée entre un élément volontaire et un élément cognitif. L'auteur doit ­ pour utiliser le vocabulaire suisse en la matière ­ agir intentionnellement.

L'art. 31 cite les motifs d'exonération de la responsabilité pénale. A cet égard, aucune différenciation n'est faite entre des motifs de justification et des raisons d'exclusion de la culpabilité ou de la faute. On est plutôt parti du résultat ­

510

l'annulation de la responsabilité pénale d'une personne. Dans la disposition récapitulative de l'art. 31 figure la maladie mentale, pour autant que celle-ci empêche une personne de comprendre le caractère délictueux de son comportement ou de se conformer aux exigences de la loi. Dans les mêmes conditions, l'état d'intoxication peut également entraîner l'exclusion de la responsabilité pénale. Quant au problème de l'intoxication volontaire, le Statut prévoit qu'une personne demeure punissable si elle savait que, de ce fait, elle risquait d'adopter un comportement constituant un crime au sens du Statut, et qu'elle n'ait tenu aucun compte de ce risque. En outre, n'est pas responsable pénalement une personne qui agit en état de légitime défense ou en cas de détresse. Sont susceptibles de justifier également la légitime défense, mis à part la vie et l'intégrité corporelle dans le cas de crimes de guerre, les biens essentiels à la survie d'une personne ou à l'accomplissement d'une mission militaire ­ disposition douteuse au regard du droit humanitaire en vigueur. D'autre part, cet article pose que la simple participation à une opération défensive ne constitue pas en soi un motif d'exonération de la responsabilité pénale. De plus, l'acte accompli sous la contrainte résultant d'une menace de mort ou d'une atteinte grave à sa propre intégrité physique ou à celle d'une autre personne peut avoir pour effet l'exclusion de la responsabilité pénale, si la menace a été écartée de façon raisonnable. La menace peut émaner d'un tiers, mais elle peut également résulter des circonstances. La Cour doit examiner dans chaque cas d'espèce si l'un des motifs susmentionnés trouve véritablement son application pour l'exclusion de la responsabilité pénale. A l'inverse, la disposition prévoit la possibilité pour la Cour de prendre en considération un motif d'exonération autre que l'un de ceux cités plus haut, si ce motif découle du droit applicable indiqué à l'art. 21. Les motifs cités dans le Statut pour l'exclusion de la responsabilité pénale ne sont donc pas exhaustifs. (Mais ceci ne constitue pas un problème par rapport au principe de la légalité, car il s'agit bien là d'un critère qui exclurait la responsabilité au lieu de la fonder.)

L'art. 32 définit les cas d'erreur et distingue entre l'erreur de fait et l'erreur de droit.
Une «erreur de fait» engendre une exclusion de responsabilité lorsque l'élément psychologique du crime fait défaut en raison de ladite erreur. Par contre, la véritable «erreur de droit», c'est-à-dire l'ignorance du fait qu'un comportement déterminé remplit les conditions d'un crime relevant de la compétence de la Cour (on pourrait parler aussi, en l'espèce, d'une «erreur sur l'illicéité»), ne constitue nullement un motif d'exonération de la responsabilité pénale, à moins que cette erreur n'annule l'élément psychologique du crime (dans la terminologie suisse, on parle d'une erreur sur un fait de nature juridique). Une telle erreur est également possible aux conditions de l'art. 33.

L'art. 33 concerne l'acte commis sur ordre ou conformément à une prescription légale. L'action exécutée sur ordre d'un gouvernement, d'un supérieur civil ou militaire n'exonère la personne qui l'a commise de sa responsabilité pénale que si les trois conditions nécessaires à cet effet sont remplies cumulativement: la personne a eu l'obligation légale d'obéir aux ordres du gouvernement ou du supérieur en question, elle n'a pas su que l'ordre était illégal et l'ordre n'a pas été manifestement illégal. La dernière de ces conditions est précisée davantage encore: l'ordre de commettre un génocide ou un crime contre l'humanité est déclaré manifestement illégal dans tous les cas. Ainsi la portée de cette disposition devrait rester limitée aux crimes de guerre et, le cas échéant, à l'acte d'agression.

Curieusement, le chap. III ne contient aucune disposition réglant la question des délits formels ou les délits d'omission. Les débats y relatifs ont atteint à Rome une 511

complexité telle que seul le fait de supprimer sans contrepartie toute disposition à ce sujet a pu y mettre un terme. En conséquence, il appartiendra à la Cour de déterminer si des délits pourraient être commis par omission également et, le cas échéant, lesquels et sous quelles conditions particulières.

2

Peines (chap. VII: art. 77 à 80)

Les travaux visant à définir les peines que pourrait prononcer la Cour se sont révélé pénibles et sensibles émotionnellement, que ce soit avant ou pendant la Conférence de Rome. Alors qu'un groupe de pays composé essentiellement d'Etats sud-américains défendait le point de vue qu'une peine privative de liberté maximale de plus de 25 ans était inacceptable, un autre lot de pays considérait que, pour ce genre de crime, seule la peine capitale était appropriée le cas échéant et que l'on ne saurait en aucun cas renoncer à l'inscrire dans le Statut.

Placés devant le choix de trouver ensemble un compromis ou de devoir porter la responsabilité de l'échec de la Conférence de Rome, les deux partis opposés ont finalement pu s'entendre sur une solution commune: le Statut prévoit dans l'art. 77, à titre de condamnation principale, une peine d'emprisonnement de 30 ans au plus. Si l'extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient, il est possible de dépasser exceptionnellement cette sanction maximale et de prévoir une peine d'emprisonnement à perpétuité. En réalité, fait également partie intégrante de ce compromis une règle de procédure fondée sur une suggestion émise par la Suisse (art. 110), qui incite la Cour à réexaminer la peine initialement prononcée après écoulement d'une durée minimale déterminée. Ce réexamen intervient si le condamné a purgé les deux tiers de sa peine ou accompli 25 ans d'emprisonnement dans le cas d'une condamnation à perpétuité. Par la suite, la Cour réexamine la question de la réduction de la peine aux intervalles prévus dans le Règlement de procédure et de preuve342. A l'occasion de cette révision, la Cour peut réduire la peine, après avoir entendu le condamné, si elle constate l'existence d'une des conditions citées sous art. 110, al. 4. Par l'adoption de cette disposition, il a non seulement été possible de régler le problème de la peine maximale et de la nature de la peine, mais aussi de décréter simultanément que seule la Cour demeure compétente pour modifier une peine privative de liberté prononcée par elle.

Conformément à l'art. 77, al. 2, la Cour peut uniquement infliger, à titre de peine complémentaire, une amende et la confiscation des avoirs tirés directement et indirectement du crime, sans préjudice des droits des tiers de bonne foi.
Compte tenu du cadre pénal très ouvert, applicable à tous les crimes selon l'art. 5 ­ pas de peine minimale, peine maximale de 30 ans, emprisonnement à perpétuité à titre exceptionnel ­ les critères de fixation du montant de la peine revêtent une grande importance dans le cas d'espèce. L'art. 78 cite les deux facteurs les plus importants pour la mesure de la condamnation: la «gravité du crime» et la «situation personnelle du condamné». Pour le reste, la disposition renvoie au Règlement de procédure et de preuve. Dans ledit Règlement, il y a donc des règles détaillées con342

512

Le texte final du projet de Règlement de procédure et de preuve prévoit un délai de trois ans au maximum; les juges peuvent fixer un délai inférieur: Texte final du projet de Règlement de procédure et de preuve, Rapport de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale du 30 juin 2000, Nations Unies, document PCNICC/2000/INF/3/Add. 1, Règle 224.

cernant la mesure de la peine, qui serviront d'instruction à la Cour lorsque celle-ci devra faire usage de la marge de manoeuvre considérable qui lui est conférée par le Statut en matière de fixation de la peine343. A titre de circonstances atténuantes, on se référera notamment et par analogie aux motifs énumérés dans l'art. 31 («Motifs d'exonération de la responsabilité pénale»), en particulier dans les cas où les conditions qui y sont mentionnées (maladie mentale ou troubles mentaux, intoxication, légitime défense, cas de détresse, etc.) ne suffisent pas à exclure totalement une condamnation, mais peuvent être prises en considération à titre d'atténuation de la peine.

L'art. 78 contient deux principes supplémentaires à prendre en compte lors de la fixation de la peine. D'abord, l'al. 2 inscrit la règle de l'imputation. En prononçant une peine d'emprisonnement, la Cour doit imputer le temps que la personne a déjà passé en prison sur son ordre. Peu importe à cet égard que cet emprisonnement ait eu lieu au siège de la Cour ou dans un Etat. En outre, ladite instance peut tenir compte de la période qu'une personne a passée en détention sur la base du droit national à raison d'un comportement lié au crime jugé par la Cour internationale. En pareil cas, il est judicieux de ne pas contraindre ce tribunal à prendre en compte les périodes déjà purgées, mais de lui laisser un pouvoir d'appréciation. En tout état de cause, des cas sont imaginables où l'Etat en question «retient» son «prisonnier» dans des conditions qui n'ont pas grand-chose à voir avec un véritable emprisonnement.

L'art. 78, al. 3 régit ensuite les cas de pluralité d'infractions. La disposition ­ comme bien d'autres articles du Statut ­ témoigne d'une tentative certes assez compliquée, mais finalement couronnée de succès, de rassembler les modèles des traditions juridiques anglo-saxonnes de la «common law» et ceux de la «civil law» continentale. En cas de véritable pluralité d'infractions, la Cour fixe une peine pour chaque crime. Ensuite, elle arrête une peine unique indiquant la durée totale d'emprisonnement. Cette durée ne peut être inférieure à celle de la peine individuelle la plus lourde mais ne peut dépasser la peine maximale prévue par l'art. 77. De l'avis de certaines délégations, la fixation de peines individuelles pour chaque
crime commis peut fournir des indications précieuses en cas d'appel, si la Chambre d'appel lève par exemple la sentence de culpabilité pour un crime. A l'inverse, la détermination d'une peine unique indiquant la durée totale d'emprisonnement évite l'image peu avantageuse d'une addition de plusieurs peines d'emprisonnement et fournit une garantie pour l'observation de la peine maximale prévue à l'art. 77.

Sur décision de l'Assemblée des Etats Parties, un fonds est créé au profit des victimes de crimes relevant de la compétence de la Cour et de leurs familles (art. 79). Ce fonds est géré selon les principes fixés par l'Assemblée précitée (art. 112). Le fonds peut être alimenté par le produit des amendes infligées par la Cour et par le produit des biens confisqués, si la Cour en décide ainsi. Inversement, la Cour peut également recourir elle-même au fonds pour que soit versée l'indemnité allouée à titre de réparation (art. 75, al. 2).

L'art. 80 établit que le chap. VII du Statut n'affecte en rien l'application par les Etats des peines que prévoit leur droit interne. Cette précision a été ajoutée en particulier sur demande instante des pays connaissant la peine de mort dans leur législation nationale. L'art. 80 peut toutefois s'avérer utile aussi pour les Etats prévoyant dans leur régime juridique national une peine maximale se situant nettement audessous du cadre pénal prévu par le Statut. Il y a lieu de tenir compte ici aussi de la 343

Ibidem, Règle 145.

513

réserve générale de la complémentarité. Ainsi, lorsqu'un tribunal national condamne l'auteur d'un crime et lui fixe ensuite, de manière tout à fait incompréhensible, une peine dérisoire, la Cour peut alors juger qu'il s'agit d'un simulacre de procès et décider en conséquence de se saisir de l'affaire. En droit suisse, les sanctions pénales prévues ne laissent pas présager, selon toute vraisemblance, la survenance d'un cas de ce genre. Le chap. VII est uniquement applicable aux procédures pénales engagées devant la Cour pénale internationale et n'affecte donc en rien le droit interne des Etats Parties. A l'inverse, le droit national des différents Etats n'a généralement pas d'effets sur la fixation des peines par ladite Cour. A la différence de ce qui a été prévu dans les statuts des tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, et contrairement au projet de la Commission du droit international, la Cour n'est nullement renvoyée au droit national pour ce qui concerne la fixation de la peine ­ tout au moins pas au-delà de la mesure prévue par la disposition générale portant sur le droit applicable (art. 21).

514

Annexe 3

La procédure devant la Cour pénale internationale (commentaires relatifs aux chap. V, VI et VIII du Statut) 1

Enquête et poursuites (chap. V: art. 53 à 61)

Art. 53

Ouverture d'une enquête

L'art. 53 établit les conditions de l'ouverture d'une procédure d'enquête. La disposition doit être lue en rapport avec les art. 13 à 15 dans lesquels est décrit le mécanisme de déclenchement d'une procédure devant la Cour. Selon ces articles, tout Etat Partie ainsi que le Conseil de sécurité peuvent déférer une affaire au Procureur.

Mais celui-ci peut aussi ouvrir une enquête de sa propre initiative. Le cas échéant, l'art. 15 décrit dans le détail la procédure que le Procureur doit suivre. Cependant, les critères matériels permettant d'établir si une enquête doit être ouverte ou non ne se trouvent pas dans les art. 13 à 15, mais sous l'art. 53. Mis à part la définition de ces critères, ledit article contient également des dispositions relatives à la procédure que le Procureur applique s'il n'ouvre pas une enquête, ou s'il en clôt une. Tant l'art. 15 que l'art. 53 représentent des compromis extrêmement délicats, qui n'ont été trouvés que très tard dans le processus des négociations (et indépendamment l'un de l'autre). Ce fait explique la formulation compliquée de l'art. 53 et a interdit une organisation plus simple des prescriptions déterminantes en la matière. Le rapport de l'art. 53 à l'art. 15 fait par ailleurs, dans le cadre du Règlement de procédure et de preuve, l'objet d'un éclaircissement dans le sens ici décrit.

L'art. 53, al. 1 définit les conditions dont le Procureur doit tenir compte pour la décision instituant l'ouverture d'une enquête. Il vérifie d'abord, pour rendre sa décision, si les informations en sa possession donnent «des raisons de croire» qu'un crime relevant de la compétence de la Cour a été commis. Il doit être convaincu en même temps de la recevabilité de l'affaire aux termes de l'art. 17. Un point a donné lieu à de longs débats: celui de savoir s'il fallait octroyer au Procureur un pouvoir d'appréciation lui permettant de ne pas ouvrir d'enquête en dépit de l'existence de ces deux conditions (principe de l'opportunité) ou si, au contraire, devait s'appliquer une maxime d'office stricte. Finalement, il a été décidé d'inscrire dans le Statut un principe d'opportunité raisonnable, surtout pour donner au Procureur une possibilité de protéger l'accusation et la Cour, au sens large du terme, contre les effets envahissants d'une pléthore d'affaires. Le Procureur dispose donc
d'un certain pouvoir d'appréciation pour ne pas ouvrir d'enquête, dans la mesure où celle-ci ne servirait pas les intérêts de la Justice. Le Statut établit cependant la présomption que généralement, l'ouverture d'une enquête pénale est dans l'intérêt de la Justice, compte tenu en particulier «de la gravité du crime et des intérêts des victimes». Toutefois, si le Procureur conclut pour des raisons d'opportunité qu'il n'y a pas de raison sérieuse d'ouvrir une enquête pénale, il en informe la Chambre préliminaire.

L'art. 53, al. 2 détermine les motifs pouvant amener le Procureur à ne pas poursuivre après achèvement de l'enquête. Tel est le cas lorsqu'il n'y a «pas de base suffisante, en droit ou en fait», pour demander un mandat d'arrêt ou une citation à comparaître en application de l'art. 58, lorsque l'affaire se révèle irrecevable (art. 17), ou si la poursuite pénale ne sert pas les intérêts de la Justice (le Procureur disposant à ce stade assez tardif d'une liberté d'appréciation un peu plus grande qu'à l'occasion de 515

sa décision sur l'ouverture d'une enquête selon l'al. 1). Si le Procureur en arrive à pareille conclusion, il en informe la Chambre préliminaire et, le cas échéant, l'Etat ou le Conseil de sécurité qui lui a soumis l'affaire en question.

L'Etat, qui a présenté une situation en application de l'art. 14, ou le Conseil de sécurité qui l'a fait en vertu de l'art. 13, let. b, peuvent attaquer la décision du Procureur auprès de la Chambre préliminaire. La procédure exacte à cet effet est encore à définir dans le cadre du Règlement de procédure et de preuve. La Chambre préliminaire ne peut pas ordonner de manière impérative l'ouverture d'une enquête ou la poursuite de la procédure pénale. Elle ne peut qu'inviter le Procureur à réexaminer sa décision. Il en va autrement dans le seul cas où le Procureur décide de ne pas ouvrir une enquête ou de ne pas poursuivre sur la base du principe de l'opportunité.

Dans cette hypothèse, la Chambre préliminaire peut même revoir de son propre chef la décision du Procureur, autrement dit sans devoir présenter une demande y relative à un Etat ou au Conseil de sécurité, et elle a la faculté de communiquer à l'accusation des instructions obligatoires.

Le Procureur peut à tout moment reconsidérer sa décision à la lumière de faits ou de renseignements nouveaux (art. 53, al. 4).

Art. 54

Devoirs et pouvoirs du Procureur en matière d'enquêtes

Conformément à l'al. 1, le Procureur a le devoir «pour établir la vérité» d'étendre l'enquête à tous les faits et éléments de preuve et, ce faisant, d'enquêter tant à charge qu'à décharge. Il doit garantir une enquête et des poursuites pénales efficaces, mais aussi prendre simultanément en considération les intérêts et la situation personnelle des victimes et des témoins. En outre, il doit respecter sans limitation aucune les droits de «personnes» qui découlent de ce Statut. Par «personnes», il faut entendre ici, en particulier, les personnes contre lesquelles est ouverte une enquête pénale. Souvent, le Statut ne parle que de «personne» seulement pour contourner la question de savoir à partir de quel moment il y a lieu de parler d'une personne «suspecte» ou «inculpée». Ces notions étaient trop fortement liées à des conceptions de droit interne des différents Etats.

Aux termes de l'al. 2, le Procureur est habilité à prendre les mesures d'exécution de l'enquête sur le territoire de l'Etat lorsque ceci répond aux conditions du chap. IX (donc en collaboration avec l'Etat en question) ou sur la base de la disposition d'exception de l'art. 57, al. 3, let. d (sans le concours de l'Etat concerné).

D'autres compétences générales du Procureur portent sur la possibilité de conclure des arrangements ou accords avec des Etats, des organisations intergouvernementales ou des personnes pour faciliter la coopération ou la possibilité d'octroyer et d'exiger des déclarations de garantie concernant la confidentialité d'informations (al. 4).

Art. 55

Droits des personnes dans le cadre d'une enquête

Le Statut de Rome confère une grande importance aux droits fondamentaux des personnes soumises à une enquête pénale. Hormis les droits dont bénéficie un individu en ce qui concerne la privation de la liberté (cf. p. ex. les art. 58 et 59), les dispositions y afférentes trouvent essentiellement place dans les art. 55 et 67. L'art.

55 définit les droits des personnes pendant la procédure d'enquête, alors que l'art.

516

67 énumère les droits qui sont reconnus à une personne durant le procès. Il n'est pourtant pas aussi aisé de séparer nettement ces deux domaines que ne le laisserait présumer leur place dans le Statut. Les deux dispositions, soit l'art. 55 et l'art. 67, ont pour point de départ le Pacte international relatif aux droits civils et politiques344 et, en particulier, son art. 14. Dans quelques cas, compte tenu du fait que le Pacte date déjà de plus de trente ans et ne contient que des garanties minimales, certains compléments et améliorations ont été apportés aux clauses de cet acte. Finalement, il s'agit d'une cour internationale, qui doit satisfaire à de hautes exigences, eu égard au respect des droits fondamentaux et des droits de l'homme. Ainsi, sous art. 55, al.

1, let. c, a été reconnu le droit d'être interrogé dans une langue que la personne connaît et parle «parfaitement».

L'art. 55 peut avoir quelques conséquences sur la procédure nationale, en ce sens que les droits selon l'al. 2 ne doivent pas seulement être respectés lors de l'audition d'une personne devant la Cour et au siège de celle-ci, mais aussi à l'occasion d'un interrogatoire effectué par les autorités nationales, si celui-ci intervient sur demande de la Cour. En l'occurrence, celle-ci agit en quelque sorte par l'intermédiaire des autorités d'enquête du pays. Il n'en résulte aucun effet légal sur les procédures pénales internes, mais lors de l'exécution de mesures d'assistance judiciaire, il y a lieu de tenir compte de ces exigences posées par le Statut (voir à cet égard l'art. 34 et 35 du projet d'une loi fédérale sur la collaboration avec la Cour pénale internationale et les commentaires sous ch. 3.3.5.2 du message).

Art. 56

Rôle de la Chambre préliminaire dans le cas où l'occasion d'obtenir des renseignements ne se présentera plus

L'art. 56 attribue certaines tâches à la Chambre préliminaire, lorsqu'il existe «une occasion qui ne se présentera plus par la suite» de procéder à des mesures d'enquête déterminées. Tel peut être le cas s'il est probable que certains éléments de preuve ne seront plus disponibles à un stade ultérieur, tout au moins pas sous cette forme, ou ne le seront plus pour les objectifs des débats du procès. Cette situation peut se présenter lorsque, par exemple, un témoin est très âgé ou malade au point que sa vie en est menacée, mais aussi quand une mesure d'enquête revêt en soi un caractère unique (par exemple la fouille d'une fosse commune). Comme ces types de mesures ne seront probablement pas répétés au cours du procès, et que seuls leurs résultats pourront être établis, il est particulièrement important qu'aucune erreur ne soit commise lors de l'enquête. Même le principe de l'immédiateté peut entrer en ligne de compte dans le procès, qu'il convient de considérer du point de vue des droits dont bénéficie le prévenu dans le cadre de la procédure. Pour ces motifs, la Chambre préliminaire joue également un rôle important, comme le Procureur, dans les occasions uniques de procéder à des mesures d'enquête.

Sur demande du Procureur, la Chambre peut prendre toute mesure propre à assurer l'efficacité et l'intégrité de la procédure et, en particulier, à protéger les droits de la défense. Le Procureur a le devoir de présenter à la personne concernée les éléments de preuve obtenus en vertu de cette procédure, lorsque ladite personne se trouve en détention ou lorsqu'une citation à comparaître est intervenue. L'al. 2 de l'art. 56 contient une liste illustrant les mesures que la Chambre préliminaire a pouvoir d'ordonner. Est notamment remarquable à cet égard la let. e stipulant que la Cham344

RS 0.103.2

517

bre peut désigner un juge unique qui fera des recommandations ou ordonnera le rassemblement et la préservation des éléments de preuve ou les interrogatoires.

Lorsque la Chambre préliminaire est d'avis qu'il se présente une occasion unique de prendre des mesures d'enquête, alors que le Procureur n'a pas présenté une demande y relative selon l'al. 2, elle peut prendre de telles mesures de sa propre initiative, après avoir consulté le Procureur. Une telle décision est susceptible d'appel (al. 3, let. b, cf. aussi art. 82, al. 1, let. c).

La recevabilité des éléments de preuve qui seront rassemblés sur la base de cette disposition est réglée par les dispositions générales relatives à l'utilisation de moyens de preuve (art. 56, al. 4, en relation avec l'art. 69).

Art. 57

Fonctions et pouvoirs de la Chambre préliminaire

Alors que l'art. 56 précise déjà quelques fonctions spéciales de la Chambre préliminaire, l'art. 57 représente une disposition générale régissant les fonctions et pouvoirs de ladite Chambre. Des décisions importantes sont rendues par cette Chambre composée de trois membres. Elles portent sur l'ouverture d'une enquête que le Procureur décide de son propre chef (art. 15), sur la recevabilité d'une procédure dans le cadre des art. 18 et 19, sur le pouvoir conféré au Procureur d'enquêter sur le territoire d'un Etat contre la volonté de celui-ci (art. 54, al. 2, let. b, en rapport avec l'art. 57, al. 3, let. d), sur la confirmation des charges (art. 61) et, finalement, à propos de la protection de renseignements touchant à la sécurité nationale (art. 72). Ces décisions sont prises à la majorité. Toutes les autres décisions de la Chambre préliminaire peuvent être prises par un juge unique pour autant que le Règlement de procédure et de preuve ou la Chambre préliminaire elle-même ne prévoit pas de dispositions contraires (cf. à ce sujet, le ch. 2.2.2 du message portant sur l'art. 39).

L'art. 57, al. 3, établit les fonctions générales de la Chambre préliminaire. Sur demande du Procureur, elle est habilitée à rendre des ordonnances ou instructions qui peuvent s'avérer nécessaires aux buts de l'enquête. Il lui est loisible d'intervenir en faveur de la personne qui a été mise en détention ou citée à comparaître, afin de sauvegarder les moyens de défense de ladite personne, que ce soit à propos d'une occasion unique de procéder à des mesures d'enquête (art. 56) ou eu égard à des renseignements pour lesquels est nécessaire la coopération selon le chap. IX du Statut. La Chambre précitée a en outre la faculté d'assurer en faveur de victimes et de témoins les éléments de preuve, la protection de personnes emprisonnées et la préservation de renseignements touchant à la sécurité nationale.

Hormis ces attributions générales de compétences, les let. d et e de l'al. 3 règlent deux cas particuliers. Lorsque le Procureur désire prendre des mesures d'enquête sur le territoire d'un Etat, il doit en principe s'assurer la coopération de cet Etat, conformément au chap. IX du Statut. La Cour n'entre en scène, compte tenu du système de la complémentarité, que lorsque les Etats compétents en première ligne ne peuvent ou ne
veulent remplir leurs obligations en matière de poursuites pénales. En conséquence, il est tout à fait probable que le Procureur souhaite prendre des mesures, au cours de son enquête, sur le territoire d'un Etat dont le système juridique s'est effondré ou dont les autorités nationales ne sont pas désireuses de coopérer avec la Cour dans le cadre du chap. IX. En pareil cas, le Procureur peut aussi recevoir de la Cour préliminaire l'autorisation de prendre certaines mesures sans s'être assuré la coopération prévue dans le chapitre précité. En pratique, le Procureur qui ne dispose pas de propres contingents de police mènera volontiers, en tout état de 518

cause, une réflexion approfondie sur les chances et les risques liés à une telle procédure. Il serait tout à fait envisageable, au demeurant, que le Procureur prenne des mesures d'enquête sous la protection de troupes internationales sur le territoire d'un tel Etat. L'art. 57, al. 3, let. d, établit de toute façon que la Chambre préliminaire a compétence d'autoriser le Procureur à procéder exceptionnellement à de telles mesures sans la coopération d'un Etat, sur le territoire de celui-ci.

La deuxième compétence spéciale de la Chambre susnommée est inscrite dans la lettre e de l'al. 3. Un mandat d'arrêt ou une citation à comparaître ont-ils été délivrés conformément à l'art. 58, la Chambre peut alors solliciter la coopération d'un Etat aux termes de l'art. 93, al. 1, let. j, pour qu'il prenne des mesures conservatoires aux fins de confiscation d'avoirs patrimoniaux.

Art. 58

Mandat d'arrêt et citation à comparaître

L'art. 58 régit les conditions et la procédure pour la délivrance, par la Cour préliminaire, d'un mandat d'arrêt ou d'une citation à comparaître. Si le Procureur acquiert au cours de son enquête la conviction qu'il y a de bonnes raisons de croire qu'une personne a commis un crime relevant de la compétence de la Cour, il peut requérir de la Cour préliminaire la délivrance d'un mandat d'arrêt ou, s'il estime que l'arrestation de la personne n'est pas nécessaire, d'une citation à comparaître devant ladite Cour. L'art. 58 définit les conditions matérielles et formelles de ces mesures.

Un mandat d'arrêt peut être délivré lorsqu'il y a de bonnes raisons de croire que la personne en question a commis un crime, et qu'il existe un danger soit de fuite, soit d'obstacle à l'enquête ou à la procédure, soit encore de récidive (art. 58, al. 1). De plus, la disposition contient une énumération des éléments nécessaires à la requête présentée par le Procureur à l'attention de la Chambre préliminaire et décrit le contenu du mandat d'arrêt (al. 2 et 3). Le mandat d'arrêt reste en vigueur tant que la Cour n'en a pas décidé autrement (al. 4); le cas échéant, un tel mandat peut également, une fois délivré, faire l'objet de modifications (al. 6). Se fondant sur ce mandat, la Cour peut demander la mise en détention provisoire dans un Etat Partie, ou l'arrestation et la remise subséquente d'une personne à la Cour (al. 5).

Si seul le sérieux soupçon de crime existe sans qu'aucune autre des conditions posées à l'ordre d'emprisonnement ne soit donnée, la Chambre a la faculté d'émettre une citation à comparaître. Afin de renforcer l'efficacité de cette citation, ladite Chambre a la possibilité de demander à l'Etat de prendre, le cas échéant, des mesures moins sévères que l'emprisonnement afin que soit garantie la comparution de la personne devant la Cour. Une caution est par exemple envisageable. Mais ceci n'est possible que pour autant que l'ordre juridique du pays concerné prévoie une telle mesure moins sévère.

Art. 59

Procédure d'arrestation dans l'Etat de détention

L'art. 59 règle la procédure en cas d'arrestation d'une personne dans l'Etat de détention. L'al. 1 de cette disposition oblige l'Etat Partie à prendre, sur demande y afférente de la Cour, des mesures immédiates en vue de l'arrestation de la personne conformément à la législation interne du pays en question et aux prescriptions du chap. IX du Statut. Cette disposition représente une concrétisation des obligations relatives à la coopération selon l'art. 89, al. 1 et art. 92, al. 1. Lors de son arrestation, la personne doit être déférée devant une autorité judiciaire compétente de l'Etat 519

qui vérifie que le mandat vise bien cette personne, que celle-ci a été arrêtée selon la procédure régulière et que ses droits ont été respectés (al. 2). L'autorité de l'Etat de détention n'a cependant pas le droit d'examiner elle-même si le mandat d'arrêt a été régulièrement délivré par la Cour. Celle-ci est seule compétente pour le faire (al. 4).

Par contre, l'autorité nationale est habilitée à traiter des demandes de mise en liberté aussi longtemps que la personne séjourne sur le territoire de l'Etat (al. 3). La Chambre préliminaire doit toutefois être informée d'une telle requête et invitée à donner son avis. Elle peut, le cas échéant, faire des recommandations; si l'autorité nationale ordonne une mise en liberté provisoire, elle est en droit d'exiger des rapports périodiques sur le régime de la liberté provisoire (al. 5 et 6).

L'art. 59, al. 7, énonce enfin une évidence importante: une fois ordonnée la remise par l'Etat de détention, la personne est livrée à la Cour aussitôt que possible.

Dans l'ensemble, l'art. 59 représente une disposition différenciée et équilibrée qui n'entend pas instaurer inutilement des interférences dans les compétences de droit interne des Etats Parties. Mais du même coup, cette réglementation est exigeante.

Son fonctionnement présuppose en pratique une collaboration étroite entre l'Etat en question et la Cour.

Art. 60

Procédure initiale devant la Cour

L'art. 60 porte sur les premières phases de la procédure devant la Cour, après que la personne contre laquelle ladite procédure est dirigée a comparu devant ce tribunal.

La Cour préliminaire vérifie d'emblée, conformément à l'alinéa 1, si la personne a été informée des crimes qui lui sont imputés et des droits que lui reconnaît le Statut.

Les al. 2 et 4 contiennent des règles relatives au contrôle de la détention jusqu'au début du procès, les motifs de détention énumérés dans l'art. 58, al. 1, représentant la norme en la matière comme par le passé. La Chambre préliminaire vérifie régulièrement ­ que ce soit sur requête de la personne concernée, du Procureur ou de sa propre initiative ­, si les conditions sont toujours remplies pour le maintien de la personne en prison. Le cas échéant, une mise en liberté peut avoir lieu sous conditions. Dans sa décision, la Chambre tient compte aussi de la durée de la détention avant le procès (détention préventive). Si celle-ci se prolonge de manière excessive par suite de lenteurs imputables au Procureur, la Cour examine la possibilité d'une mise en liberté immédiate, avec ou sans conditions. Si besoin est, la Chambre préliminaire délivre un nouveau mandat d'arrêt pour garantir la comparution d'une personne qui a été mise en liberté.

Art. 61

Confirmation des charges avant le procès

La phase préliminaire de la procédure se termine par la confirmation des charges avant le procès. L'art. 61, dernière disposition étendue du chap. V, traite de cette phase. On y voit que la Chambre préliminaire remplit aussi les fonctions d'une véritable chambre d'accusation. La procédure de confirmation des charges, avant le procès devant la Chambre préliminaire, est contradictoire.

La confirmation des charges se fait après une audience qui se déroule généralement en présence du Procureur et de la personne faisant l'objet de l'enquête ou des poursuites ainsi que du conseil de celle-ci. La disposition prévoit une fois encore que

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cette audience doit avoir lieu «dans un délai raisonnable après la remise de la personne à la Cour ou après sa comparution volontaire» (al. 1).

La Chambre préliminaire peut tenir audience en l'absence de la personne si celle-ci a renoncé à son droit d'être entendu, a pris la fuite ou est introuvable, alors que tout ce qui était raisonnablement possible a été fait pour garantir sa comparution et l'informer des charges qui pèsent contre elle. Même en pareil cas, la Chambre peut ordonner la présence d'un conseil si cela lui semble être nécessaire dans l'intérêt de l'administration de la justice345.

Pour autant que la personne soit atteignable, une notification écrite doit lui être adressée avant l'audience, avec une copie des charges et des éléments de preuve sur lesquels le Procureur entend se fonder pour requérir le renvoi en jugement. La Chambre préliminaire peut rendre des ordonnances concernant la divulgation de renseignements aux fins de l'audience (al. 3, cf. aussi art. 54, al. 3, let. e).

Le Procureur a la faculté, avant l'audience, de modifier les points à charge en modifiant la confirmation y afférente. Il doit alors informer de cet amendement la personne concernée. S'il retire des charges, il motive sa décision devant la Chambre (al. 4). Cette règle a pour but d'empêcher que le Procureur ne négocie avec la personne accusée certains points à charge, une reconnaissance de culpabilité ou la peine à infliger (interdiction de «plea bargaining»; cf. aussi art. 65, al. 5).

A l'audience, le Procureur étaie chacune des charges avec des éléments de preuve suffisants pour établir l'existence de raisons sérieuses de croire que la personne a commis le crime qui lui est imputé. Au demeurant, le Procureur peut se fonder sur des éléments de preuve sous forme de documents ou de résumés et n'est pas tenu de faire comparaître les témoins qui doivent déposer au procès (al. 5). La personne inculpée peut contester les charges, les éléments de preuve ou présenter elle-même des éléments de preuve (al. 6).

La Chambre préliminaire peut confirmer les charges et renvoyer la personne devant une Chambre de première instance. Même une confirmation partielle est possible, la Chambre préliminaire pouvant donner instruction au Procureur de compléter les autres points à charge dans un délai déterminé (al. 7). Si ladite
Chambre refuse de confirmer les éléments à charge, il n'est pas interdit au Procureur de demander ultérieurement la confirmation de cette charge, s'il étaie sa demande d'éléments de preuve supplémentaires (al. 8).

Même après confirmation des charges, le Procureur peut modifier celles-ci avec l'autorisation de la Chambre préliminaire. S'il entend ajouter ou substituer des charges plus graves, une nouvelle audience doit avoir lieu. Après l'ouverture du procès, le Procureur n'a plus la possibilité de présenter de nouveaux points à charge.

Il ne peut plus qu'en retirer et, le cas échéant, il doit obtenir l'autorisation de l'instance appelée à juger. Cette exigence d'approbation a été notamment inscrite dans le Statut pour éviter que les parties ne se livrent en dernière minute à un «plea bargaining» (al. 9).

La procédure de la confirmation des éléments à charge a des incidences sur la validité d'un mandat d'arrêt, puisque celui-ci devient caduc en ce qui concerne les points à charge qui ont été rejetés par la Chambre préliminaire ou qui ont été retirés par le Procureur (al. 10).

345

Cette règle se distingue de la règle 61 du Tribunal ad hoc pour l'ex-Yougoslavie, où la présence du conseil a été exclue pour ce cas précis.

521

A titre de conséquence de la confirmation des charges, une Chambre de première instance est constituée, qui est responsable de la phase suivante de la procédure. La Chambre de première instance est nommée par la Présidence de la Cour (art. 38). La Chambre préliminaire ne demeure en fonction qu'aussi longtemps que la Chambre de première instance lui confie des tâches spéciales sur la base de l'art. 64, al. 4. Mis à part cette attribution, la Chambre préliminaire reste compétente pour la confirmation de points à charge demandée ultérieurement par le Procureur conformément à l'art. 64, al. 8 (art. 61, al. 11).

2

Le procès (chap. VI: art. 62 à 76)

Art. 62

Lieu du procès

En principe, le procès se tient au siège de la Cour, à La Haye. Des exceptions à cette règle sont possibles (cf. également art. 3 et art. 4, al. 2). Les conditions et la procédure pour un déplacement temporaire de la procédure ­ ou de certaines de ses phases ­ sont fixées dans le Règlement de procédure et de preuve.

Art. 63

Présence de l'accusé

L'art. 63 précise qu'un procès ne peut avoir lieu qu'en présence de l'accusé. Cette question a suscité de violentes controverses lors de la Conférence diplomatique à Rome. D'un côté, la crainte était exprimée qu'un accusé puisse, par son comportement, paralyser ou rendre impossible à son gré la procédure s'il n'était pas prévu de procédure en l'absence de l'inculpé. De l'autre, était défendu le point de vue selon lequel une telle procédure violait les droits de la défense de l'accusé. D'autres Etats encore évoquaient surtout des raisons pratiques militant contre une procédure en l'absence de l'inculpé. Selon eux, l'inscription dans le Statut d'une procédure in absentia de la personne inculpée aurait eu des incidences sur d'autres chapitres dudit Statut, et le temps manquait pour régler cette question à Rome.

L'art. 63, al. 1, prévoit maintenant que l'accusé doit assister au procès. Seule demeure réservée, en vertu de l'al. 2, l'expulsion de ladite personne de la salle du tribunal lorsqu'elle trouble de manière persistante le déroulement du procès. Le cas échéant, des mesures techniques de communication seront trouvées pour lui permettre de participer malgré tout à la marche de la procédure.

Si le Statut renonce à une procédure en l'absence de l'inculpé, il n'y a pas lieu de regretter ce résultat. En effet, conduire un procès en l'absence de l'accusé tout en sachant que même après le prononcé du jugement, il ne sera probablement pas arrêté et que le jugement ne pourra donc pas être exécuté serait peu judicieux et non soutenable du point de vue de la crédibilité de la Cour. Il ne faudrait pas non plus que les victimes aient à vivre une deuxième fois toutes ces souffrances en cas de répétition ultérieure de la procédure, après que le condamné en première instance ait été finalement arrêté. D'autre part, l'art. 61, al. 2, institue une solution relativement généreuse avec la possibilité de tenir une audience en l'absence de la personne jusqu'à la confirmation des charges. Afin d'exercer une pression morale propre à renforcer les efforts entrepris par la communauté internationale pour arrêter une personne déterminée, la Cour peut publier les charges confirmées à l'encontre de l'intéressé. Il n'y

522

a pas besoin pour cela de procès onéreux dont l'effet ne serait guère plus que symbolique en raison de l'absence de l'accusé.

Art. 64

Fonctions et pouvoirs de la Chambre de première instance

Comme l'art. 57 régissant les fonctions et pouvoirs de la Chambre préliminaire, l'art. 64 représente une disposition récapitulative des fonctions et pouvoirs de la Chambre de première instance. Cette prescription débute par un renvoi général aux fonctions et pouvoirs qui découlent du Statut et du Règlement de procédure et de preuve (al. 1). Est également de nature générale l'obligation de la Chambre de première instance de garantir les droits de l'accusé ainsi que la protection des victimes et des témoins (al. 2).

L'al. 3 traite de la préparation du procès. Il s'agit en l'espèce, en liaison avec les parties, de fixer la procédure et la langue dans laquelle celle-ci sera menée ainsi que de rendre d'éventuelles ordonnances pour la divulgation de documents ou de renseignements encore non divulgués. La Chambre de première instance peut, si cela est nécessaire pour assurer son fonctionnement efficace et équitable, soumettre certaines questions à la Chambre préliminaire ou, au besoin, à un juge d'une autre division (al. 4). Il faudrait surtout recourir à cette possibilité lorsque, à défaut, la Chambre de première instance courrait le risque d'être submergée. Celle-ci a la faculté, lorsqu'elle le juge opportun, d'ordonner selon le cas la jonction ou la séparation des charges portées contre plusieurs accusés (al. 5).

Sous l'al. 6 sont énumérés d'autres fonctions et pouvoirs de la Chambre de première instance avant ou pendant le procès. Ainsi veille-t-elle à la protection des renseignements confidentiels, en particulier de ceux touchant à la sécurité nationale (art.

72). Est également d'une certaine importance la lettre d de l'al. 6 qui enjoint ladite Chambre à ordonner la production d'éléments de preuve en complément de ceux qui ont été recueillis avant le procès ou présentés au procès par les parties. Ceci est un des passages du Statut où ressort le rôle actif ­ plutôt inspiré par les conceptions continentales du droit ­ conféré à la Chambre de première instance en ce qui concerne l'établissement de la vérité. Le même esprit jaillit de l'art. 69, al. 3. Les juges ne sont pas de simples spectateurs de joutes oratoires entre le Procureur et la défense. Ils tiennent la procédure en leurs mains, même dans sa substance.

En principe, le procès est public, conformément à l'al. 7. En cas de circonstances
particulières, la Chambre peut cependant prononcer le huit clos pour certaines audiences. Tel est notamment le cas lorsque, selon l'art. 68, des témoins ou des victimes doivent être protégées ou s'il s'agit d'informations confidentielles ou dignes de protection.

A l'ouverture du procès, lecture est donnée à l'accusé des charges préalablement confirmées par la Chambre préliminaire. La Chambre de première instance s'assure que l'accusé comprend la nature des charges et lui donne la possibilité de plaider coupable selon ce qui est prévu à l'art. 65, ou de plaider non coupable. Le Président dirige la procédure et veille à ce que les débats soient conduits de manière équitable et impartiale. Les parties ont la possibilité de produire des éléments de preuve conformément aux dispositions du Statut (al. 8).

En vertu de l'al. 9, la Chambre de première instance statue sur la recevabilité ou la pertinence des preuves et prend toute mesure nécessaire pour assurer l'ordre à l'audience. Un procès-verbal de l'audience est établi (al. 10).

523

Art. 65

Procédure en cas d'aveu de culpabilité

Alors que l'art. 64, en définissant les fonctions et les pouvoirs de la Chambre de première instance, énonce les grands traits de la procédure, l'art. 65 traite de la procédure spéciale qui sera suivie lorsque l'accusé fait aveu de culpabilité. Le cas échéant, certaines phases de la procédure peuvent être raccourcies, à condition que l'accusé comprenne la nature et les conséquences de son aveu, que celui-ci ait été fait volontairement après consultation suffisante avec le défenseur de l'accusé et que l'aveu soit suffisamment étayé par les faits et les moyens de preuve de la cause (al. 1). Si la Chambre de première instance est persuadée que toutes ces conditions sont remplies, elle peut considérer que l'aveu de culpabilité, accompagné de toutes les preuves complémentaires présentées, établit tous les éléments constitutifs du crime sur lequel il porte et elle peut reconnaître l'accusé coupable de ce crime (al.

2). Par contre, si la Chambre précitée n'est pas convaincue que les conditions visées à l'alinéa 1 sont réunies, elle ordonne que le procès se poursuive selon les procédures normales prévues par le Statut. Elle peut éventuellement renvoyer l'affaire à une autre Chambre de première instance (al. 3).

Même en présence d'un aveu de culpabilité valide, la Chambre de première instance a la faculté, si elle le juge nécessaire, de demander à tout moment au Procureur de présenter des éléments de preuve supplémentaires, y compris des dépositions de témoins, par exemple parce qu'elle considère qu'une présentation plus complète des faits de la cause serait dans l'intérêt des victimes (al. 4). Des consultations éventuelles entre le Procureur et la défense portant sur la modification de chefs d'accusation, l'aveu de culpabilité ou la peine à prononcer ne lient en aucune façon la Cour (al. 5). Avec cette interdiction de marchandage ­ du «plea bargaining» ­ et l'obligation, pour la Chambre de première instance, de se convaincre de la concordance entre l'aveu de culpabilité et les faits de la cause, l'art. 65 donne suffisamment de garanties pour être acceptable également aux yeux des Etats nourris de la tradition du droit continental. Ce d'autant plus que la disposition doit être lue en rapport avec l'art. 66, al. 3. Donc, l'art. 65 peut être décrit comme un autre compromis réussi entre les conceptions des différentes traditions du droit.

Art. 66

Présomption d'innocence

L'art. 66 consacre la présomption d'innocence en faveur de la personne accusée, telle qu'elle apparaît dans l'art. 14, ch. 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques346. Si l'art. 66, al. 1, exprime à ce propos, contrairement aux termes du Pacte, que «toute personne» (et non pas, uniquement, «toute personne accusée») est présumée innocente, il ne faut voir là aucune modification substantielle de la disposition y relative du Pacte. La formulation provient en fait d'une phase des négociations où l'idée de confirmation des charges (art. 61) n'était pas encore mûre.

Les al. 2 et 3 séparent sur le plan dogmatique deux idées apparentées. L'al. 2 concerne le fardeau de la preuve et pose le principe qu'il incombe au Procureur de prouver la culpabilité de l'accusé. D'un autre côté, pour condamner le prévenu, la Cour doit être convaincue de sa culpabilité au-delà de tout doute raisonnable (al. 3).

346

524

RS 0.103.2

Art. 67

Droits de l'accusé

L'art. 67 comprend la liste des droits de l'accusé dans le procès et constitue la suite de l'art. 55 qui régit la procédure préliminaire. La formulation de ces droits s'appuie à nouveau fortement sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et relève légèrement, sur certains points, les garanties minimales qui y sont contenues.

L'art. 67, al. 2 contient d'autres dispositions portant sur la communication des éléments de preuve. Il s'agit en l'occurrence d'éléments de preuve en possession du Procureur et dont il est présumé qu'ils sont favorables à l'accusé ou qu'ils seraient de nature à entamer la crédibilité des éléments de preuve à charge. La Cour peut ordonner la communication de tels éléments de preuve.

Art. 68

Protection et participation au procès des victimes et des témoins

Le Statut attache à l'assistance aux victimes et à la protection des témoins une grande importance, qui est à la mesure du catalogue des crimes. Parallèlement à de nombreuses autres dispositions du Statut, l'art. 68 est consacré avant tout à la protection des victimes et des témoins et fixe les principes régissant leur participation à la procédure. Le champ d'application de cet article n'est pas limité au procès; au contraire, il s'étend en principe à l'intégralité de la procédure.

Selon l'al. 1, la Cour a le devoir de prendre les mesures propres à protéger la sécurité, le bien-être physique et psychologique, la dignité et le respect de la vie privée des victimes et des témoins. Ces mesures ne doivent être ni préjudiciables ni contraires aux droits de la défense et aux exigences d'un procès équitable et impartial. Le Procureur les prend en particulier au stade de l'enquête et des poursuites pénales.

Dans la phase du procès, de telles dispositions peuvent consister par exemple dans le fait d'ordonner le huis clos pour une partie quelconque de la procédure ou permettre que les dépositions soient recueillies par des moyens électroniques ou autres moyens spéciaux. Ces mesures sont spécialement importantes à l'égard d'une victime de violences sexuelles ou d'un enfant qui est victime ou témoin (al. 2).

Lorsque les intérêts personnels des victimes sont concernés, celles-ci ont la possibilité de participer de manière appropriée à la procédure. La Cour permet que leurs vues et préoccupations soient exposées aux stades de la procédure qu'elle estime appropriés et d'une manière qu'elle considère n'être ni préjudiciable ni contraire aux droits de la défense. Elle peut également autoriser qu'une organisation d'aide aux victimes ou d'autres représentants légaux des victimes fassent cet exposé devant elle. Le Règlement de procédure et de preuve règle les détails (al. 3).

La Division d'aide aux victimes et aux témoins attachée à la Chancellerie (art. 43, al. 6) peut conseiller le Procureur et la Cour sur les mesures de protection (al. 4).

L'art. 68, al. 5, prévoit des limitations à l'obligation de divulguer des éléments de preuve ou des informations lorsque l'on peut admettre qu'à défaut, un témoin ou les membres de sa famille seront sérieusement mis en danger. En l'espèce aussi, ces mesures doivent être
appliquées d'une façon non préjudiciable, ni contraire aux droits de la défense et aux exigences d'un procès équitable et impartial.

Un Etat peut demander que des mesures de protection soient prises à l'égard de ses fonctionnaires ou de ses représentants (al. 6).

525

Art. 69

Preuve

Dans l'art. 69 figurent des prescriptions concernant le dépôt et la recevabilité d'éléments de preuve. Ici aussi, il a fallu établir un pont entre les modèles défendus par les milieux du droit anglo-saxon, dont les droits de procédure se distinguent en partie par des normes détaillées et formalistes en matière de preuve, et la procédure pénale d'inspiration continentale fondée sur le principe de la libre appréciation des preuves. L'art. 69 pose maintenant les grandes lignes d'un compromis dont les détails seront précisés dans le Règlement de procédure et de preuve.

Selon l'al. 1, chaque témoin prend, avant de déposer, l'engagement de dire la vérité.

En principe, le témoin doit déposer personnellement à l'audience, sous réserve des mesures de protection spéciales de l'art. 68 ou des dispositions correspondantes du Règlement de procédure et de preuve. La Cour peut aussi autoriser l'usage de la technique d'enregistrement vidéo et audio (al. 2).

L'al. 3 de l'art. 69 est très important. Il précise que les parties peuvent, conformément à l'art. 64, présenter tous les éléments de preuve qui sont pertinents. De son côté, la Cour est compétente pour exiger la présentation de tous les éléments de preuve qu'elle juge nécessaires à la manifestation de la vérité. En l'espèce, le devoir d'élucidation de la Cour est particulièrement évident.

La Cour décide de la pertinence ou de l'admissibilité de tout élément de preuve en tenant compte aussi bien de sa valeur probante que du dommage qui pourrait éventuellement résulter de son utilisation pour la procédure (al. 4). La Cour respecte les règles concernant le droit de refuser un témoignage, telles qu'elles sont énoncées dans le Règlement de procédure et de preuve. Sont réglées en particulier la protection du secret de l'avocat, du secret du médecin ou du prêtre, ou la protection d'informations que les représentants du Comité international de la Croix Rouge ont apprises dans l'exercice de leur mandat (al. 5). La Cour n'a pas besoin de la preuve des faits qui sont notoires (al. 6).

L'art. 69, al. 7, établit que les éléments de preuve obtenus en violation du Statut ou des droits de l'homme internationalement reconnus ne sont pas admissibles si la violation met sérieusement en question la crédibilité des éléments de preuve ou si l'admission de ces éléments serait
de nature à compromettre la procédure et à porter gravement atteinte à son intégrité. Cette disposition fixe très haut le seuil d'une irrecevabilité obligatoire d'un moyen de preuve. Elle revêt la forme d'une «prescription impérative» et c'est la raison pour laquelle elle ne précise pas sous quelles conditions la Cour peut éventuellement déclarer inadmissibles d'autres éléments de preuve. En lieu et place de règles de preuve excessives et formalistes, cette disposition accorde à juste titre à la Cour un large pouvoir d'appréciation sur la façon de traiter les éléments de preuves acquis irrégulièrement. Du point de vue de la Suisse, cette souplesse ne peut être qu'approuvée.

L'al. 8 énonce enfin une réserve selon laquelle la Cour se prononce sur la pertinence ou l'admissibilité d'éléments de preuve réunis par un Etat, sans se prononcer sur l'application de la législation nationale de l'Etat en question. Ainsi est exprimée pour terminer une évidence, à savoir que la Cour n'a pas le pouvoir de se prononcer sur les règles nationales en matière de preuves.

526

Art. 70

Atteintes à l'administration de la justice

L'art. 70 traite des atteintes portées à l'administration de la justice devant la Cour.

Avec cette disposition, la faculté est donnée à la Cour pénale internationale de punir elle-même des délits contre l'administration de la justice commis dans le cadre d'une procédure ouverte auprès d'elle-même. A cet effet, l'al. 1 cite le faux témoignage, la production d'éléments de preuve faux ou falsifiés en connaissance de cause, la subornation de témoins ou de membres et agents de la Cour, les représailles contre un membre ou agent de la Cour, ainsi que la rétribution illégale active et passive. Ces délits sont passibles d'une peine d'emprisonnement ne pouvant dépasser cinq ans ou d'une amende conforme au Règlement de procédure et de preuve (al. 3). Selon l'al. 2, les principes généraux et les règles de procédure concernant les atteintes à l'administration de la justice définis dans le Statut sont également énoncés dans le Règlement précité. Cependant, il est décrété dans le Statut déjà que le chap. IX sur la coopération internationale et l'assistance judiciaire n'est pas applicable aux délits de l'art. 70, mais qu'en la matière, c'est la législation nationale de l'Etat requis qui s'applique.

L'al. 4 prévoit que la Cour peut aussi déléguer la poursuite pénale des atteintes à l'administration de la justice, lorsque, dans l'Etat en question, il semble qu'il existe des poursuites pénales satisfaisantes. C'est pourquoi chaque Etat Partie doit veiller à ce que dans son droit pénal national, les dispositions régissant les atteintes à l'administration de la justice soient étendues de telle sorte que les procédures engagées devant la Cour pénale internationale soient également couvertes. La question du rapport entre les compétences de la Cour d'une part et celle des autorités nationales de l'autre sera traitée dans le Règlement de procédure et de preuve. Mais compte tenu du Statut, il est déjà clair qu'il appartient à la Cour de décider si elle veut exécuter elle-même une procédure ou si elle entend confier cette tâche à un Etat (compétence en vue de déterminer la compétence). En pratique, la Cour voudra vraisemblablement se décharger autant que possible des cas qui ne font pas partie de ses tâches essentielles. D'un autre côté, il est judicieux de donner à la Cour les moyens de conserver le contrôle sur la procédure. La Cour doit pouvoir intervenir lorsque des attaques ont été portées contre son administration de la justice.

Art. 71

Sanctions en cas d'inconduite à l'audience

L'art. 71 lie le pouvoir de la Chambre de première instance prévu par l'art. 64, al. 9, à des mesures visant au maintien de l'ordre pendant l'audience. Un comportement indu devant la Cour peut être sanctionné par une expulsion temporaire ou permanente de la salle, une amende ou d'autres mesures analogues. Le Règlement de procédure et de preuve règle le détail de ces sanctions.

Art. 72

Protection de renseignements touchant à la sécurité nationale

En maints endroits, le Statut fait référence à la protection d'informations confidentielles (ainsi dans l'art. 54, al. 3, let. e et f, art. 57, al. 3, let. c, art. 64, al. 6, let. c, art.

68, al. 6 ou art. 73). L'art. 72 représente à cet égard une disposition vitale pour la protection d'informations touchant à la sécurité nationale. En raison de sa signification politique, cet article a été longuement contesté lors de la Conférence de Rome et a même constitué un élément du paquet final des négociations. La nécessité d'une disposition destinée à la protection des intérêts de la sécurité nationale n'a jamais été véritablement mise en cause. Mais une controverse avait notamment éclaté sur la 527

question suivante: à qui doit revenir le dernier mot lorsque toutes les négociations entre l'Etat et la Cour ont échoué? A l'Etat, qui justifie la rétention des renseignements par les intérêts de sa sécurité nationale ou à la Cour, qui aimerait utiliser de telles informations? L'art. 72 prévoit maintenant une solution différenciée.

Si un Etat fait valoir que la divulgation de renseignements ou de documents porterait atteinte aux intérêts de sa sécurité nationale ou s'il confirme une allégation correspondante de la part d'une personne qui comparaît devant le tribunal, l'Etat concerné et les parties à la procédure tentent, sur la base de l'al. 5, de trouver une solution par la concertation. A titre d'exemples, quelques possibilités de solution par voie de concertation dans cette phase sont énumérées sous les lettres a à d de cet alinéa. Si aucune solution n'est pourtant possible sur cette base, l'Etat en avise le Procureur ou la Cour en indiquant concrètement les raisons qui l'ont conduit à cette conclusion, à moins que l'exposé de ces raisons ne porte nécessairement atteinte aux intérêts de sa sécurité nationale.

A ce stade, il s'agit de différencier pour savoir si la Cour aimerait obtenir et utiliser l'information dans le cadre d'une demande en vertu du chap. IX ou dans le contexte d'une autre forme de relation entre la Cour et l'Etat. Dans le premier cas, la Cour peut procéder à des consultations supplémentaires et tenir éventuellement des auditions à huis clos, à l'exclusion d'une partie; cependant, elle ne peut pas ordonner de manière obligatoire la divulgation si l'Etat persiste à faire valoir un motif de refus selon l'art. 93, al. 4. Le cas échéant, il ne reste finalement plus à la Cour qu'à en référer, selon l'art. 87, al. 7, à l'Assemblée des Etats Parties, ou au Conseil de sécurité si c'est celui-ci qui l'a saisie (art. 13, let. b). Si, au contraire, il ne s'agit pas du règlement d'une demande dans le cadre du chap. IX, la Cour peut alors ordonner avec effet obligatoire la divulgation de l'information.

En pratique, il ne devrait pas y avoir une trop grande différence entre les deux solutions. En effet, si l'Etat en question considère qu'un intérêt vraiment sérieux est en jeu en matière de sécurité nationale, un ordre de la Cour ne l'impressionnera pas non plus; dans ce cas également, il ne resterait plus à la Cour qu'à en référer à l'Assemblée des Etats Parties ou au Conseil de sécurité.

Art. 73

Renseignements ou documents émanant de tiers

L'art. 73 complète l'art. 72 et règle le point de savoir comment procéder lorsqu'un Etat est requis de fournir des informations qui, de fait, ne touchent pas à la sécurité nationale mais lui ont été communiquées à titre confidentiel par des tiers. Il suffit d'évoquer par exemple des rapports de services d'informations étrangers ou d'organisations étatiques et non étatiques qui, s'agissant de leurs activités, dépendent de la protection de la confidentialité.

Pour répondre à cette question, l'art. 73 distingue selon que la source initiale est un Etat Partie ou non. Si au départ, le renseignement provient d'un Etat Partie, il est attendu de celui-ci qu'il exécute toutes les étapes de la procédure conformément à l'art. 72, en lieu et place de l'Etat requis par la Cour de fournir un document. Si au contraire, l'information provient d'une autre source, l'Etat requis par la Cour doit indiquer à celle-ci les motifs pour lesquels il lui est impossible de divulguer les renseignements exigés. Le Statut ne dit mot sur les conséquences de cette divulgation. Mais il convient d'admettre qu'en pratique des consultations ont lieu entre la Cour et l'Etat requis, le droit de décision revenant finalement à l'Etat en question. Il

528

serait toutefois imaginable, en l'espèce aussi, que la Cour souhaite transmettre l'affaire selon l'art. 87, al. 7, à l'Assemblée des Etats Parties ou au Conseil de sécurité.

Art. 74

Conditions requises pour la décision

L'art. 74 traite des conditions requises pour le jugement prononcé par la Chambre de première instance. Suivant en cela le mode adopté par la «common law», le Statut part de l'idée que la décision sur la question de la culpabilité doit généralement être rendue séparément du prononcé de la peine (art. 76).

D'après l'art. 74, al. 1, les trois juges de la Chambre de première instance doivent être présents à chaque phase du procès. Au début d'une procédure, des juges suppléants peuvent être désignés qui, pour ainsi dire, participent aux débats à titre de juges de réserve. Ceci devrait s'avérer particulièrement judicieux (voire inévitable) dans des procédures dont il faut s'attendre à ce qu'elles s'étendent sur une période relativement longue.

La décision ne peut aller au-delà des faits et des circonstances décrits dans les charges. Elle est fondée exclusivement sur les preuves produites et examinées au procès (al. 2). Les juges s'efforcent de prendre leur décision à l'unanimité, faute de quoi, ils la prennent à la majorité (al. 3). Les délibérations sont confidentielles (al. 4).

Etait contestée la possibilité d'ajouter des opinions individuelles au jugement en cas de décision rendue à la majorité. L'al. 5 prévoit un compromis en ce sens qu'une seule décision est prononcée qui expose les vues de la majorité et de la minorité. La décision est prononcée en audience publique.

Art. 75

Réparation en faveur des victimes

L'art. 75 prévoit la faculté d'accorder des réparations aux victimes de crimes qui entrent dans la compétence de la Cour. Cette disposition témoigne aussi de la grande importance attachée aux victimes dans le cadre du Statut.

L'al. 1 charge la Cour d'établir des principes applicables aux versements d'indemnités aux victimes. Sur cette base, la Cour peut plus tard reconnaître des indemnités dans des cas individuels. Ce faisant, elle peut imposer directement à une personne condamnée d'opérer des versements en faveur des victimes ou peut décider que l'indemnité accordée à titre de réparation sera servie par l'intermédiaire du Fonds visé à l'art. 79.

Avant que la Cour ne décide d'octroyer une réparation, elle sollicite les observations de la personne condamnée, des victimes, des autres personnes intéressées ou des Etats concernés (al. 1). La Cour peut demander à un Etat Partie des mesures au titre de l'art. 93, al. 1; à cet égard, on aura spécialement à l'esprit le gel ou la saisie d'avoirs (al. 4). Une ordonnance en vertu de cet article, émise à l'encontre de la personne condamnée, doit être exécutée par l'Etat Partie de la même manière que les amendes et les mesures de confiscation (al. 5 avec renvoi à l'art. 109; il y a lieu d'expliquer cette rédaction qui n'est pas très heureuse en précisant que les travaux concernant l'art. 109 étaient déjà terminés lorsqu'un accord a été possible sur l'art. 75).

La disposition régissant la réparation pour les victimes se termine par la remarque générale et importante selon laquelle d'autres droits (et peut-être plus étendus) de

529

victimes demeurent réservés, en vertu du droit interne ou du droit international.

L'art. 75 est ainsi, lui aussi, placé sous le signe de la complémentarité.

Art. 76

Prononcé de la peine

En cas de verdict de culpabilité sur la base de l'art. 74, la Chambre de première instance fixe la peine à appliquer. A cet effet, elle a pouvoir, lorsque la procédure simplifiée prévue par l'art. 65 ne s'applique pas, de tenir une audience supplémentaire au cours de laquelle peuvent être présentés ou exigés par la Cour de nouvelles conclusions ou de tous nouveaux éléments de preuve pertinents pour la fixation de la peine. Dans cette phase de la procédure, la Chambre doit également entendre les observations prévues à l'art. 75 au sujet de la réparation en faveur des victimes. La sentence concernant la peine et les éventuels versements à titre de réparation doit être prononcée en audience publique et, lorsque cela est possible, en présence de l'accusé.

3

Appel et révision (chap. VIII: art. 81 à 85)

Le Statut traite dans cinq articles les voies de droit ouvertes contre les décisions rendues par la Cour. L'art. 81 a pour objet l'appel d'une décision sur la culpabilité ou la peine. L'art. 82 régit l'appel contre d'autres décisions et l'art. 83 pose les principes portant sur la procédure d'appel. Quant à l'art. 84, il prévoit même la possibilité de la révision d'une décision sur la culpabilité ou la peine. Enfin, l'art. 85 concerne l'indemnisation des personnes victimes d'une arrestation ou d'une condamnation.

Art. 81

Appel d'une décision sur la culpabilité ou la peine

Le Statut autorise en son art. 81 l'appel d'un jugement sur le point de la culpabilité (art. 74) ainsi que l'appel contre une décision relative à l'étendue de la peine (art. 76). L'al. 1 énumère les motifs pour lesquels le Procureur ou la personne condamnée peuvent attaquer un jugement. Ce sont: vice de procédure, erreur de fait, ou erreur de droit. La personne déclarée coupable, ou le Procureur au nom de cette personne peuvent en outre faire valoir tout autre motif «de nature à compromettre l'équité ou la régularité de la procédure ou de la décision». La personne condamnée ou le Procureur peuvent interjeter appel de la peine prononcée parce qu'ils la considèrent disproportionnée par rapport au crime. Si, à l'occasion d'un appel sur le point de la culpabilité, la Chambre d'appel estime que seule la peine est trop élevée, elle invite les parties à prendre position sur cette conclusion. A l'inverse, si seule la peine est contestée et si la Cour est persuadée que le jugement doit être levé déjà sur un point des charges, elle invite également les parties à donner leur avis à ce sujet (al. 2). On peut donc conclure dans l'ensemble que la Chambre d'appel dispose d'un large pouvoir d'examen et que la séparation de la décision portant sur la culpabilité de celle relative à la peine prononcée à l'encontre de la personne ne constitue pas un inconvénient.

Une personne condamnée en première instance reste en principe emprisonnée pendant la durée de l'appel, à moins que la Cour de première instance (et non pas la Chambre d'appel) n'en décide autrement. Si une personne a été acquittée ou si elle a déjà purgé la peine fixée, elle reste en liberté, à moins que la Chambre de première

530

instance ne décide le contraire sur demande du Procureur. Une telle décision peut également être attaquée auprès de la Chambre d'appel (al. 3). Au demeurant, l'appel est pourvu de l'effet suspensif (al. 4).

Art. 82

Appel d'autres décisions

L'art. 82 mentionne sans ordre particulier d'autres possibilités d'interjeter appel devant la Chambre compétente. En général, il s'agit de la contestation de décisions intermédiaires. La condamnation à verser des prestations à titre de réparation selon l'art. 75 représente une exception (art. 82, al. 4).

Chaque partie peut, conformément au Règlement de procédure de preuve, attaquer l'une des décisions suivantes: ­

une décision sur la compétence ou la recevabilité (y compris une décision préliminaire concernant la recevabilité, art. 18, al. 4);

­

une décision concernant la mise en liberté d'une personne;

­

une décision de la Chambre préliminaire d'agir de sa propre initiative pour prendre des mesures lorsque l'occasion d'obtenir des renseignements ne se présentera plus, aux termes de l'art. 56, al. 3, et finalement

­

toute autre décision soulevant une question de nature à affecter de manière appréciable le déroulement de la procédure et dont le règlement immédiat par la Chambre d'appel pourrait faire sensiblement progresser la procédure, étant entendu que se prononce sur l'existence de cette condition la Chambre dont la décision doit précisément être attaquée (procédure dite «leave to appeal») (al. 1).

L'al. 2 ménage une autre possibilité d'appel pour l'Etat et le Procureur (mais non pas pour la personne contre laquelle la procédure est en cours), lorsque la Chambre préliminaire a pris une décision au titre de l'art. 57, al. 3, let. d, sur le point de savoir si le Procureur doit être habilité à entreprendre des enquêtes sur le territoire d'un Etat, sans s'être assuré de la coopération de cet Etat. En l'occurrence aussi, l'approbation de la Chambre préliminaire est nécessaire.

L'al. 4 régit une autre occasion spéciale d'interjeter appel: les victimes, la personne condamnée ou le propriétaire de bonne foi de biens patrimoniaux peuvent porter appel contre une décision rendue en vertu de l'art. 75 et ordonnant le versement de prestations à la victime à titre de réparation. Les détails seront fixés dans le Règlement de procédure et de preuve.

Aux termes de l'al. 3, un appel selon l'art. 82 n'a d'effet suspensif qu'à condition que la Chambre d'appel en décide ainsi. Le Règlement de procédure et de preuve règle également les détails en l'espèce.

Art. 83

Procédure d'appel

L'art. 83 arrête les règles de la procédure d'appel. Cette disposition ne s'applique que pour la procédure d'appel ordinaire au sens de l'art. 81; la procédure en cas d'appels d'autres décisions selon l'art. 82 est réglée dans cet article ainsi que dans le Règlement de procédure et de preuve.

Sous l'art. 83, il est d'abord décrété que la Chambre d'appel comptant cinq membres possède tous les pouvoirs de la Chambre de première instance (al. 1). La 531

Chambre d'appel peut annuler ou modifier une décision de première instance ou ordonner un nouveau procès devant une Chambre de première instance différente. Il lui est aussi loisible de renvoyer, aux fins d'éclaircissements supplémentaires, une question de fait devant la Chambre de première instance initialement saisie. Le jugement n'est pas modifiable au détriment de la personne condamnée (interdiction de la «reformatio in pejus»), si seule la personne condamnée (ou le Procureur agissant en son nom) a interjeté appel (al. 2).

La Chambre d'appel rend sa décision à l'unanimité ou à la majorité simple. Lorsqu'il n'y a pas unanimité, le jugement expose les vues de la majorité et de la minorité mais, contrairement à ce qui est prévu à l'échelon de la Chambre de première instance (art. 74, al. 5), il est permis à un juge de la Chambre d'appel de présenter une opinion individuelle ou dissidente sur une question de droit. L'arrêt est rendu en audience publique (al. 4).

Toujours à la différence de ce qui est prévu dans la procédure devant la Chambre de première instance, la Chambre d'appel peut trancher même en l'absence d'une personne acquittée ou condamnée (al. 5). Un individu ne peut donc se soustraire à une condamnation juridiquement valide en prenant la fuite après le jugement de la Chambre de première instance.

Art. 84

Révision d'une décision sur la culpabilité ou la peine

Mis à part l'appel et l'appel sur d'autres décisions, le Statut prévoit aussi sous l'art. 84 ­ à titre de voie de droit extraordinaire ­ la possibilité de la révision. Une révision de la procédure en rapport avec la culpabilité et la peine est possible, si, après l'entrée en force d'un jugement de la Cour, de nouveaux éléments de preuve sont découverts qui n'étaient pas disponibles au moment du procès de l'époque et qui apparaissent si importants que le jugement aurait été vraisemblablement différent. De plus, la révision est donnée lorsqu'il a été découvert qu'un élément de preuve décisif, retenu lors du procès, était faux, contrefait ou falsifié, ou si un juge s'est rendu coupable d'un grave manquement à son devoir qui pourrait justifier qu'il soit relevé de ses fonctions en application de l'art. 46. Une révision de la procédure peut être demandée par la personne déclarée coupable, ou par des proches de ladite personne expressément mandatés par elle à cet effet, ou encore par le Procureur agissant au nom de cette personne (al. 1).

Une demande de révision relève de la compétence de la Chambre d'appel. Suivant les circonstances, celle-ci peut réunir à nouveau la Chambre de première instance qui a rendu le jugement initial, constituer une nouvelle Chambre de première instance ou rester saisie de l'affaire. Le Règlement de procédure et de preuve réglera tout autre détail.

Art. 85

Indemnisation des personnes arrêtées ou condamnées

Pour terminer, l'art. 85 traite le cas où une personne a été arrêtée ou condamnée à tort par la Cour.

L'al. 1 reprend l'art. 9, ch. 5, du Pacte international sur les droits civils et politiques347, selon lequel toute personne qui a été victime d'une arrestation ou mise en détention illégales à tort a droit à une indemnité. L'al. 2 correspond presque mot 347

532

RS 0.103.2

pour mot à l'art. 14, ch. 6, du Pacte, qui consacre l'obligation d'indemnisation en cas d'une condamnation par erreur. Seule a été supprimée la mention de la grâce, car cette solution n'a pas été prévue dans le Statut.

Un sujet de controverse a été de savoir s'il fallait, en matière d'indemnité, que le Statut aille plus loin que les deux dispositions minimales du Pacte international sur les droits civils et politiques évoquées ci-dessus. L'art. 85, al. 3, ouvre maintenant, «dans des circonstances exceptionnelles», une possibilité supplémentaire d'indemnisation aussi à une personne qui bénéficie d'un acquittement définitif, lorsqu'il s'avère qu'au cours de la procédure, des fautes graves et manifestes ont été commises. La formulation, qui est demeurée restrictive, renvoie au pouvoir d'appréciation de la Cour et aux critères prévus dans le Règlement de procédure et de preuve. Le Règlement prévoit que la Cour sera simplement obligée de prendre en considération, au moment de se prononcer sur une demande fondée sur l'art. 85, al. 3, les conséquences de la faute de la Cour sur le plan de la situation personnelle, familiale, sociale et professionnelle de la personne 348.

348

Texte final du projet de Règlement de procédure et de preuve, Rapport de la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale du 30 juin 2000, Nations Unies, document PCNICC/2000/INF/3/Add. 1, Règle 175.

533

Table des matières 1 Partie générale 1.1 Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale: un instrument au service du droit humanitaire et des droits de l'homme 1.2 Historique de la Cour pénale internationale 1.3 Rôle de la Cour pénale internationale dans le système international de maintien de la paix 1.4 Cour pénale internationale: la position de la Suisse 1.4.1 Rôle de la Suisse dans les négociations et résultats obtenus 1.4.2 La position des autorités fédérales 1.4.3 La procédure de consultation 2 Partie spéciale: contenu et domaine d'application du Statut 2.1 Observations générales 2.2 La Cour 2.2.1 Aspects institutionnels (chap. I, art. 1 à 4 et 21) 2.2.2 Composition et administration de la Cour (chap. IV, art. 34 à 52) 2.3 Compétence de la Cour 2.3.1 Exercice de la juridiction (art. 12) 2.3.2 Complémentarité (art. 17) 2.3.3 Déclenchement de la procédure (art. 13 à 15, 18 et 19) 2.3.4 «Ne bis in idem» et absence d'effet rétroactif (art. 20 et 11) 2.4 Relations entre la Cour et les Nations Unies, en particulier avec le Conseil de sécurité 2.5 Les crimes du Statut (art. 5 à 9) 2.5.1 Le génocide (art. 6) 2.5.2 Les crimes contre l'humanité (art. 7) 2.5.3 Les crimes de guerre (art. 8) 2.5.3.1 Généralités 2.5.3.2 Les crimes de guerre commis durant les conflits armés internationaux 2.5.3.3 Les crimes de guerre commis durant les conflits armés non internationaux 2.5.4 Le crime d'agression 2.6 Principes généraux du droit pénal et peines 2.6.1 Principes généraux du droit pénal (chap. III: art. 22 à 33) 2.6.2 Les peines (chap. VII: art. 77 à 80) 2.7 La procédure devant la Cour (chap. V, VI et VIII) 2.8 Coopération internationale et assistance judiciaire (chap. IX: art. 86 à 102) 2.8.1 Principes 2.8.2 Remise 2.8.3 Autres formes de coopération 2.9 Exécution (chap. X: art. 103 à 111) 2.10 Assemblée des Etats Parties (chap. XI, art. 112) 534

362 362 363 369 372 372 374 375 375 375 376 376 377 382 382 384 385 387 388 389 389 390 391 391 392 392 393 393 393 394 395 397 397 402 406 410 412

2.11 Financement de la Cour pénale (chap. XII, art. 113 à 118) 2.12 Clauses finales (chap. XIII, art. 119 à 128) 3 Le Statut et l'ordre juridique suisse 3.1 Généralités 3.2 Révision du code pénal et du code pénal militaire: extension des atteintes à l'administration de la justice à la procédure devant la Cour 3.3 Loi fédérale concernant la coopération avec la Cour pénale internationale 3.3.1 Introduction 3.3.2 Dispositions générales 3.3.3 Coopération avec la Cour 3.3.3.1 Principes de la coopération 3.3.3.2 Compétence de la Cour 3.3.3.3 Correspondance avec la Cour 3.3.3.4 Autres Dispositions 3.3.4 Remise des personnes poursuivies ou condamnées par la Cour 3.3.4.1 Conditions 3.3.4.2 Détention aux fins de remise et saisie 3.3.4.3 Décision de remise 3.3.5 Autres actes de coopération 3.3.5.1 Conditions 3.3.5.2 Actes particuliers de coopération 3.3.5.3 Procédure 3.3.5.4 Voies de recours 3.3.6 Exécution des sanctions prises par la Cour 3.3.6.1 Exécution des décisions 3.3.6.2 Exécution de l'ordonnance de confiscation 3.3.7 Dispositions finales 3.4 Arrêté fédéral relatif à l'approbation du Statut de Rome de la Cour pénale internationale

414 415 417 417 420 422 422 423 424 424 426 428 429 429 430 431 433 436 436 438 441 443 445 445 446 447 447

4 Conséquences 4.1 Conséquences financières et en matière de personnel 4.2 Conséquences économiques 4.3 Conséquences en matière informatique

448 448 449 449

5 Programme de législature

449

6 Rapport avec le droit européen

450

7 Constitutionnalité

451

Liste des abréviations

454

535

Annexe 1

Les crimes visés par le Statut (commentaires relatifs aux art. 5­9 du Statut)

456

Annexe 2

Principes généraux du droit pénal et peines (commentaires relatifs aux chap. III et VII du Statut)

508

Annexe 3

La procédure devant la Cour (commentaires relatifs aux chap. V, VI et VIII du Statut)

515

Loi fédérale portant modification du code pénal et du code pénal militaire (Infractions aux dispositions sur l'administration de la justice devant les tribunaux internationaux) (projet) 537 Loi fédérale sur la coopération avec la Cour pénale internationale (projet)

539

Arrêté fédéral relatif à l'approbation du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (projet)

559

Statut de Rome de la Cour pénale internationale

561

536