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FEUILLE FÉDÉRALE 88e année

Berne, le 9 septembre 1936

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Paraît une fois par semaine. Prix: 20 francs par an; 10 francs pour six mois, plus la taxe postale d'abonnement ou de remboursement.

Avis: 50 centimes la ligne ou son espace; doivent être adressé franco à l'imprimerie des hoirs K.-J. Wyss, société anonyme, à Berne.

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RAPPORT du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur la demande d'initiative populaire tendant à interdire la franc-maçonnerie et les sociétés similaires (addition à l'article 56 de la constitution).

(Du 4 septembre 1936.)

Monsieur le Président et Messieurs, Dans un rapport, en date du 10 décembre 1934, nous vous avons informés du dépôt d'une initiative populaire réclamant l'interdiction des sociétés de francs-maçons et des loges, des Odd Fellows, de la société philanthropique Union, ainsi que de toutes autres sociétés affiliées ou similaires (initiative sur la franc-maçonnerie). Nous ajoutions que la demande d'initiative portait les signatures de 57,303 citoyens et que 56,946 d'entre elles avaient été reconnues valables. La grande loge suisse Alpina ayant contesté ces chiffres dans un recours adressé à la commission du Conseil national et allégué qu'un certain nombre de signatures émanait de personnes non habiles à signer, nous avons ouvert une enquête et vous avons fait savoir, par un rapport complémentaire en date du 26 avril 1935, que, bien que 708 signatures dussent encore être invalidées, l'initiative populaire avait néanmoins abouti, le nombre des signatures valables étant de 56,238.

Par décision du 20 juin 1935, vous nous avez invité à vous présenter un nouveau rapport traitant de la question quant au fond. La demande d'initiative est formulée dans les termes suivants: « Les citoyens suisses soussignés, aptes à voter en matière fédérale et exerçant leurs droits politiques dans la commune de ..., demandent, en vertu de l'article 121 de la constitution fédérale, que celle-ci soit revisée partiellement à son article 56, et que ledit article soit remplacé par un article 56 nouveau, qui aurait la teneur suivante: « Les citoyens ont le droit de former des associations pourvu qu'il n'y ait, dans le but de ces associations ou dans les moyens qu'elles Feuille fédérale. 88e année. Vol. II.

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emploient, rien d'illicite ou de dangereux pour l'Etat. Les lois cantonales statuent les mesures nécessaires à la répression des abus.

Cependant les sociétés franc-maçonniques, les loges maçonniques et Odd Fellows, la société philanthropique Union et les associations affiliées ou similaires sont interdites en Suisse.

Toute activité quelconque se rattachant directement ou indirectement à de semblables associations étrangères est également interdite sur le territoire suisse. » Nous avons l'honneur de vous présenter, en exécution de notre mandat, les considérations suivantes: I. GÉNÉRALITÉS 1. Ainsi qu'il ressort de ses termes mêmes, l'initiative entend conserver intact l'actuel article 56 de la constitution fédérale, tout en lui adjoignant simplement deux nouveaux alinéas, le premier interdisant les sociétés suisses de francs-maçons et les loges, les Odd Fellows, la société philanthropique Union, ainsi que toutes autres sociétés similaires ou affiliées, le second prohibant, en Suisse, toute activité quelconque de sociétés étrangères de cette nature. Tandis que, dans sa teneur actuelle, l'article 56 n'interdit que d'une manière tout à fait générale les associations illicites ou dangereuses pour l'Etat -- auxquelles l'article 52, 3e alinéa, du code civil assimile les sociétés ayant un but contraire aux moeurs -- et autorise la législation cantonale à édicter les mesures nécessaires à la répression des abus, le nouvel article proposé désigne, en outre, tout un groupe d'associations que le droit public fédéral interdit une fois pour toutes, ainsi que cela a déjà eu lieu, ces dernières années, dans quelques pays étrangers. A l'avenir, la liberté d'association ne serait donc plus seulement limitée par l'interdiction de fonder des sociétés ayant un but ou employant des moyens illicites (y compris les buts et moyens contraires aux moeurs) ou dangereux pour l'Etat, mais serait complètement supprimée dans certains cas. Seules les deux éventualités suivantes sont possibles. Ou bien le complément apporté à la constitution restreint davantage le droit d'association, de sorte que ces sociétés seraient interdites alors même qu'elles ne présenteraient rien d'illicite (ou de contraire aux moeurs), ou de dangereux pour l'Etat, ou bien les limites dans lesquelles les associations peuvent se constituer librement ne
seraient pas rendues plus étroites, et les sociétés spécialement désignées devraient être interdites parce qu'elles présentent un des caractères qui les rendent illicites, immorales ou dangereuses pour l'Etat.

Dans cette dernière éventualité, la nouvelle disposition constitutionnelle apparaîtrait simplement comme une sorte d'interprétation authentique des dispositions présentement en vigueur.

Qu'en est-il, en réalité, de ces deux éventualités? L'initiative ellemême n'indique pas clairement dans quel sens il faut l'interpréter. La formule

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employée (Cependant les sociétés ... ) paraît indiquer que ces associations doivent être interdites sans qu'on se préoccupe de savoir si elles sont dangereuses pour l'Etat, illicites ou contraires aux moeurs, soit qu'elles ne présentent pas l'une ou l'autre de ces particularités, soit que l'existence de celles-ci ne soit pas facile à prouver. Cependant, l'intention des auteurs de l'initiative n'est pas décisive à elle seule. Il appartient, au contraire, au législateur de déterminer l'attitude qu'il entend adopter. La question qui se pose dès lors est de savoir s'il estime devoir apporter de nouvelles restrictions à la liberté d'association et, dans la négative, si les sociétés visées doivent être considérées comme illicites ou dangereuses pour l'Etat; dans ce dernier cas, elles sont déjà interdites par le droit en vigueur et doivent, par conséquent, être dissoutes. Il faut se demander alors s'il ne serait pas superflu ou même inadmissible d'insérer à ce propos une nouvelle disposition dans la constitution; le législateur ne violerait-il pas ainsi le principe immanent de la séparation des pouvoirs. Cette crainte, cependant, ne serait pas justifiée. Il est certain, en effet, que la distinction de principe faite entre la législation d'une part et l'exécution d'autre part, correspond à celle qui est établie entre l'injonction d'ordre général et l'injonction d'ordre individuel, dans l'idée qu'une autorité prescrit la règle générale qu'une autre autorité applique au cas d'espèce (Burckhardt, dans Festschrift für Lotmar, p. 99). Mais cette distinction n'est pas applicable d'une manière absolument générale. En tout cas, elle ne peut et ne doit pas, en matière constitutionnelle, empêcher le législateur d'insérer dans la constitution une disposition qui lui paraît importante pour le bien de l'Etat, alors même que, du point de vue de la forme juridique, elle ne paraîtrait pas relever de la constitution, par exemple, -parce qu'elle ne serait pas d'applicabilité générale. Il est donc hors de doute qu'une interdiction de cette nature peut être l'objet d'une disposition constitutionnelle. De plus, si les sociétés franc-maçonniques s'avéraient vraiment illicites ou dangereuses pour l'Etat, la question serait alors suffisamment grave pour justifier l'inscription d'une disposition spéciale dans la constitution. Cette
inscription ne serait pas contraire au principe de l'égalité devant la loi, que le législateur doit également observer en établissant un texte constitutionnel, bien que l'article 4 de la constitution fédérale ne soit pas obligatoire pour lui. En effet, l'importance particulière de ces sociétés pourrait justifier la mention spéciale dont elles seraient l'objet, puisque la prise en considération de certaines distinctions de fait ne viole pas le principe de l'égalité devant la loi. Il resterait encore à examiner si l'interdiction doit revêtir la forme d'une règle générale ou spéciale. On doit donc se demander s'il y a lieu de restreindre davantage la liberté d'association ou si les sociétés dont il s'agit ne sont pas déjà interdites en vertu des dispositions en vigueur.

2. D'ores et déjà, on peut écarter la première de ces solutions. Avant la guerre, le droit d'association était reconnu presque partout, même

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dans des Etats non démocratiques. Par contre, la Russie, la Turquie et l'Autriche-Hongrie ne l'admettaient pas. Actuellement, les Etats où la dictature s'est implantée lui ont apporté de sérieuses restrictions et la font dépendre notamment de l'octroi d'une autorisation gouvernementale.

Mais dans les Etats démocratiques, cette liberté est encore garantie d'une manière générale, à la condition, toutefois, que les associations ne présentent rien de dangereux pour l'Etat. La reconnaissance d'un large droit d'association fait partie inhérente des principes démocratiques, dont elle garantit en même temps l'application; combinée avec la liberté de la presse et d'autres droits individuels, elle constitue un élément essentiel de la démocratie, dont une des tâches principales consiste à garantir, dans toute la mesure du possible, la liberté individuelle des citoyens. De plus, elle tend, tout à la fois, à développer la liberté au sein même de l'Etat, c'està-dire à garantir à l'individu le droit de participer à la formation de la volonté de l'Etat, ainsi qu'à assurer la liberté envers l'Etat, soit le droit pour chacun de jouir d'une certaine liberté d'action en dehors de toute ingérence de l'Etat (v. Schindler: Die Bildung des Staatswillens in der Demokratie, 1921, p. 52 s.). Quel que soit celui de ces deux aspects sous lequel on envisage la liberté, le droit d'association en demeure une condition essentielle. La démocratie se doit donc de ne pas restreindre ce droit à la liberté au delà de ce qu'exigent l'existence même de l'Etat et l'accomplissement des tâches à lui dévolues, ainsi que la protection des intérêts des citoyens, tous égaux en droit, c'est-à-dire de la collectivité dans son ensemble. La constitution fédérale de 1848 a tracé la juste limite en proclamant que seules pouvaient être interdites les sociétés illicites ou dangereuses pour l'Etat. Le texte actuel de la constitution offre donc déjà la possibilité d'interdire les associations dont le but ou les moyens qu'elles emploient sont illicites ou dangereux pour l'Etat. En dehors de ces limites, la liberté d'association demeure pleine et entière. Y a-t-il lieu actuellement de restreindre davantage ce principe, qui est, depuis 1848 et sous réserve des limites ci-dessus rappelées, l'une des bases du droit public de la Confédération? Les expériences
faites jusqu'ici permettent de déclarer que pareille mesure n'est ni nécessaire, ni désirable.

De tout temps, le peuple suisse a veillé jalousement sur ce droit populaire et repoussé toutes les mesures qui, sans nécessité urgente, auraient pu lui porter atteinte, même indirectement. Dès lors, les circonstances ont évidemment changé d'aspect. Nous vivons en des temps peu favorables au droit de libre association, ainsi qu'à la liberté de la presse, qui lui est étroitement apparentée. Tous deux ont subi, dans d'autres Etats, de graves restrictions ou ont même été purement et simplement supprimés. Mais, presque partout, ces limitations n'ont pu s'introduire qu'à la faveur d'un recul de la démocratie, de la substitution de l'ordre émanant du gouvernement à l'exercice des droits populaires, c'est-à-dire de la personne de l'Etat à celle de l'individu. Par contre, l'Etat démocratique, lui, ne peut pas

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restreindre ces libertés au delà d'une certaine limite sans sacrifier sa propre existence. Il n'a d'ailleurs nullement besoin de ces restrictions: il est dans sa nature, en effet, de laisser la volonté populaire se former et se manifester librement et, celle-ci s'étant exprimée, de s'y conformer; la réciproque n'est pas vraie. La tension anormale découlant actuellement de la situation internationale sur les terrains politique et économique nous contraint, nous aussi, à soumettre à un examen un peu plus sévère la question de savoir si une association répond aux conditions fixées par la constitution.

En présence de circonstances nouvelles, il peut se faire que des sociétés dont le but paraissait parfaitement admissible jusqu'ici, s'avèrent actuellement illicites ou dangereuses pour l'Etat. Par le fait même, elles sont donc devenues inadmissibles, et il n'est nullement nécessaire à la protection de l'Etat de restreindre les limites dans lesquelles les sociétés peuvent se constituer librement. Les termes de l'article 56 de la constitution fédérale sont assez élastiques pour offrir une protection suffisante, même dans des conjonctures extraordinaires. Il y a lieu de relever à ce propos que, dans les régimes démocratiques, la notion de sociétés dangereuses pour l'Etat doit être définie d'une manière beaucoup plus étroite que dans les régimes dictatoriaux.

C'est pourquoi il ne nous paraît pas opportun de restreindre davantage le droit de libre association. Dans un pays comme la Suisse, qui a toujours considéré le respect de la démocratie comme une véritable mission, il ne saurait être question sans nécessité absolue -- aujourd'hui que des tendances qui en diffèrent complètement s'implantent dans de nombreux autres pays -- de restreindre les principes démocratiques (cf. Naef : Staat und Staatsgedanke, 1934, p. 307 et Entwicklung und Krisen der Demokratie, 1934, p. 20).

3. S'il n'y a donc pas lieu d'apporter de nouvelles restrictions aux limites constitutionnelles dans lesquelles les associations peuvent se constituer librement, il ne reste plus qu'à examiner si les sociétés franc-maçonniques, les loges maçonniques et Odd Fellows, la société philanthropique Union et les associations affiliées ou similaires, doivent être considérées comme des associations dont le but, ou les moyens par elles employés,
sont illicites ou dangereux pour l'Etat. Comme il est hors de doute que ces différentes sociétés rentrent dans le cadre des associations visées par l'article 56 de la constitution fédérale, la seule question qui se pose encore est de savoir si leur but ou les moyens par elles employés sont illicites ou dangereux pour l'Etat. Et l'on se heurte dès le principe à la difficulté suivante: comment circonscrire ce que la constitution entend par « illicite ». Pour ce faire, il y a lieu de se reporter, non pas aux lois applicables au moment de l'entrée en vigueur de la constitution, mais à celles qui font règle présentement. Il faut encore que ces dernières lois ne violent pas la garantie de la liberté d'association proclamée par la constitution fédérale, puisque l'article 56 entend conférer une garantie à valoir également à l'encontre

522 de la législation. Celle-ci, en effet, n'est également en droit de restreindre la liberté d'association qu'en envisageant le caractère illicite ou dangereux pour l'Etat du but de l'association ou des moyens par elle employés; de plus, le caractère illicite se détermine d'après les règles établies par la constitution fédérale.

On insistera, d'ailleurs et avant tout, sur le caractère de « dangereux pour l'Etat », ces associations cherchant moins à violer certaines dispositions positives du droit fédéral ou du droit cantonal qu'à mettre d'une manière générale l'Etat en danger. « Une association apparaît comme dangereuse pour l'Etat lorsqu'elle poursuit, même par des moyens licites, la destruction ou le renversement absolus de l'ordre établi (anarchistes) ou la transformation par des voies autres que les voies constitutionnelles ou légales de la forme ou des institutions de l'Etat » (Meiner, Bundesstaatsrecht, p. 370).

Et même: une association devient dangereuse pour l'Etat, dès l'instant où « elle cherche à modifier l'ordre juridique existant en usant de moyens qui peuvent aboutir, en fait, à troubler l'ordre public » (Burckhardt, Kommentar, p. 524). Il importe tout d'abord de rappeler que jusqu'à maintenant, le Conseil fédéral n'a pas considéré les différentes sociétés énumérées par l'initiative comme illicites ou dangereuses pour l'Etat, sans quoi il en aurait exigé la dissolution en vertu de l'article 56 de la constitution fédérale. Jusqu'à ces trois dernières années, il n'avait guère eu l'occasion de les considérer sous cet aspect; aucune plainte sur leur activité ne lui était parvenue et rien, à sa connaissance, ne lui avait donné lieu d'intervenir (cf. Ullmer, Staatsrecht, I p. 182).

Le 11 octobre 1933, une « question écrite » posée par M. Bürki, député au Conseil national, dirigea l'attention du Conseil fédéral sur ces sociétés.

M. Bürki demandait au Conseil fédéral s'il savait que certains milieux reprochaient publiquement à ces sociétés de constituer, par leur organisation et leur activité, une source de dommage pour notre pays et sa population ; s'il avait constaté lui-même certains de ces effets dommageables ou si on lui avait fourni certains renseignements à ce sujet, et, enfin, si ces sociétés étaient en mesure d'exercer une certaine influence sur l'administration fédérale. Le
Conseil fédéral répondit qu'il connaissait les griefs faits ainsi à la franc-maçonnerie, mais qu'il était moins renseigné en ce qui concernait les autres sociétés. Bien que toutes ces associations lui eussent offert de prendre connaissance de leur organisation, de leurs statuts, de leurs effectifs et de leur activité, il avait décidé de surseoir provisoirement à toutes nouvelles enquêtes, mais se réservait de les reprendre si des personnes qui assumeraient la responsabilité de leur intervention lui adressaient des plaintes précises au sujet d'une activité indésirable ou même illicite relevant du domaine de sa compétence (p. ex. immixtion dans l'administration). Au surplus, le Conseil fédéral déclarait qu'aucun de ses membres ne faisait ou n'avait jamais fait partie d'une des sociétés visées et qu'à sa connaissance, il en était de même au Tribunal fédéral et au Tribunal

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fédéral des assurances. A l'époque, le parlement comptait, d'après les renseignements reçus: neuf membres des loges maçonniques, un membre des loges Odd Fellows et deux membres de l'Union.

La demande d'initiative populaire tendant à interdire la franc-maçonnerie et toutes autres sociétés similaires, déposée de 31 octobre 1934 par le comité de l'Action helvétique, à Lutry, a actuellement abouti. Il convient donc d'arrêter à nouveau notre attitude à l'égard de cette question. Nous allons le faire ci-après d'une manière plus approfondie que jusqu'ici et en partant d'un point de vue quelque peu différent: soit du point de vue constitutionnel. Cependant, il est évident qu'il ne saurait s'agir, aujourd'hui encore, d'explorer le rôle mondial que la franc-maçonnerie et les autres sociétés similaires ont joué dans l'histoire. Pour des raisons faciles à comprendre, nous devons, au contraire, nous borner à étudier la question du point de vue suisse, et nous ne nous référerons à ce qui s'est passé ou se passe encore à l'étranger que dans la mesure où l'exige la clarté de notre exposé. A cet effet, nous nous sommes efforcés de nous renseigner, en toute objectivité, sur les buts visés par ces sociétés, leur organisation, les moyens par elles employés, leur activité et les résultats obtenus. Notre documentation nous a de nouveau été facilitée par les sociétés en cause, qui, d'ellesmêmes, ont mis à notre disposition leurs statuts, les listes de leurs membres, leurs rapports annuels et une partie de leurs revues ; elles se sont déclarées disposées en outre à nous fournir tous les renseignements que nous pourrions désirer. D'autre part, l'Action helvétique, promotrice de l'initiative et à laquelle nous avions demandé de nous remettre toute la documentation possible, nous a adressé un bref exposé des motifs.

Nous devons dire néanmoins qu'il est extraordinairement difficile de réunir une documentation absolument sûre et de se faire une idée purement objective de la question. Il s'agit, en effet, de sociétés dites secrètes, et le grand public n'est pas admis à en pénétrer sans autre toute l'activité.

Il est apparu aussi que les écrits abondants publiés sur ces sociétés sont loin d'être unanimes dans leurs appréciations. Partisans et adversaires s'entre-déchirent à un point tel que l'histoire ne donne qu'une image
flottante de la franc-maçonnerie. Certains de ces écrits, dus à la plume de personnes qui, parfois, se donnent comme faisant partie de la franc-maçonnerie ou d'autres sociétés de ce genre, sont un concert de louanges infinies; d'autres, par contre, attaquent ces associations avec passion et les accusent souvent des pires méfaits; ils excusent souvent l'absence de preuves positives en déclarant que les noms des sociétaires et les décisions prises sont tenus rigoureusement secrets et que les résultats obtenus sont enveloppés d'un voile opaque. Quant aux documents objectivement conçus, ils se contredisent fréquemment, de sorte qu'on ne peut pas non plus les considérer comme une source d'information sûre. Les opposer les uns aux autres dépasserait de beaucoup le cadre du présent rapport. Nous devons

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donc nous borner ici à donner un aperçu de la création, du but, de l'organisation et de l'activité de ces sociétés et à soumettre à un examen critique les faits qui leur sont reprochés. Nous nous occuperons surtout de la francmaçonnerie, qui est de beaucoup la plus importante des sociétés secrètes.

II. BUT ET ORGANISATION DE LA FRANC-MAÇONNERIE 1. Généralités.

La franc-maçonnerie (en allemand: Freimaurerei ou quelquefois aussi Maurerei ou encore Massonerie; en anglais: Freemasonry) a pour but, d'après ses adeptes, de perfectionner l'individu, ainsi que l'humanité dans son ensemble. A leurs yeux, elle constitue une alliance fraternelle librement consentie en dehors de toute considération de classe, d'état, de nationalité, de couleur ou de race, de religion ou de convictions politiques; elle tend à perfectionner l'individu, à enseigner l'amour du prochain, à répandre et à renforcer toute pensée libre de préjugés et à développer, chez ses membres, le sentiment social (Meyers Lexikon). Cette alliance a pour origine les corporations des maçons et tailleurs de pierre du moyen-âge, à Londres. Elle en tire son nom et en a adopté certains usages symboliques et signes de reconnaissance. Elle est considérée aujourd'hui, dans des milieux étendus, comme l'alliance secrète la plus importante et la plus influente, dont l'organisation s'étend sur le monde entier, y répandant et y encourageant, bien qu'invisible, de libres conceptions politiques et religieuses, se montrant ainsi opposée, dans une certaine mesure, aux Eglises, notamment à l'Eglise catholique, et aux courants politiques de droite, et sachant protéger et aider ses membres partout où ils se trouvent.

On entend soutenir quelquefois que le judaïsme exerce une profonde influence sur la franc-maçonnerie et, par là, sur tout ce qui se passe dans le monde.

Au point de vue historique, relevons ce qui suit. On prétend parfois que les premiers débuts de la franc-maçonnerie remonteraient au XIIIe siècle et même à des temps plus anciens encore. Cependant, on fixe à la franc-maçonnerie comme date de naissance sous sa forme actuelle, le 24 juin 1717. Ce jour-là, quatre anciens ateliers de maçons fusionnèrent et constituèrent, à. Londres, une grande loge, élirent un grand maître et se donnèrent une constitution connue sous le nom de « Anciens devoirs » (imprimée en 1723) et qui est encore aujourd'hui la règle de conduite des francs-maçons. Favorisée par le mouvement philosophique du XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie s'étendit rapidement à tout le continent (en 1728, la première grande loge fut fondée à Madrid, en 1732 à Paris, en 1737 à Hambourg, etc.). En Suisse, la première loge fut ouverte, en 1736, à Genève, qui
fut suivie de Lausanne en 1739, de Zurich en 1740, de Neuchâtel en 1743, de Baie en 1744, de Berne en 1750, de Fribourg en 1761, etc.

Dès les débuts, certains Etats interdirent la franc-maçonnerie, mais la plupart d'entre eux durent peu après rapporter cette mesure. Ce fut le

525cas, par exemple, en France, en Hollande, à Berne et à Genève. De violents conflits s'engagèrent, au XVIIIe siècle, en Espagne et au Portugal. L'Eglise catholique excommunia de bonne heure la franc-maçonnerie (par la voix de Clément XII en 1738, et, plus tard, de Benoît XIV, Pie IX et Léon XIII).

En Suisse, celle-ci ne commença à prendre un grand développement qu'après la révolution française, sous l'influence du Grand Orient de France, dont elle s'affranchit toutefois en 1821 déjà. Les différentes loges suisses décidèrent, en 1844, de fonder entre elles la grande loge Alpina. Au cours de la grande guerre, les loges des pays ennemis rompirent toutes relations entre elles. Sitôt après la guerre, on enregistra la fondation de nouvelles loges, notamment dans les pays autrichiens et successeurs de la monarchie autrichienne, où elles avaient été interdites jusqu'alors. C'était évidemment là une conséquence de l'institution, dans ces pays, de gouvernements démocratiques. Mais lorsque les principes démocratiques furent à nouveau bannis de ces Etats, la franc-maçonnerie se trouva en butte à une certaine hostilité, dont la présente initiative n'est en somme que le prolongement.

La franc-maçonnerie fut interdite en Hongrie en 1920, puis en Russie, puis en Italie en 1925, et, enfin, au cours de ces dernières années, au Portugal, en Allemagne et en Turquie.

En 1926, la franc-maçonnerie comptait, répartis, dans le monde entier, environ 4,2 millions de membres, dont 3,3 millions dans l'Amérique du Nord et 722,000 en Europe. En Suisse, le nombre des francs-maçons est aujourd'hui de 5000 environ. A différentes reprises, les grandes loges des divers pays essayèrent de se réunir en congrès universels, mais ce fut en vain. Le seul résultat auquel on ait abouti, fut de créer un bureau international des relations maçonniques, qui, placé sous la protection de la grande loge Alpina, fonctionna à Neuchâtel depuis 1903. Ce bureau transféra son siège à Genève, en 1921, et passa à la fédération internationale des francs-maçons. Il existe encore, en plus de cette fédération, une ligue internationale de la franc-maçonnerie universelle, qui reçoit tous les francsmaçons des grandes loges.

li'organisation est la même partout. Les francs-maçons se réunissent en sociétés locales (en Suisse sous la forme d'associations)
appelées loges.

Toutes les loges d'un territoire donné (la plupart du temps de l'ensemble d'un pays) forment ensemble une grande loge (dénommée Grand Orient).

Contrairement à ce que l'on a souvent prétendu, il n'existe pas, selon les statuts, d'autre rapport de coordination, en ce sens que les grandes loges, à leur tour, formeraient une unité spéciale placée sous une direction commune. Les grandes loges ne sont reliées entre elles que par la communauté des buts poursuivis, la similitude de l'organisation, des cérémonies et des usages, ainsi que par les liens d'amitié; ceux-ci se manifestent par l'admission aux assemblées des membres d'autres loges considérés comme membres visiteurs, par le droit de libre passage d'une loge à l'autre et par les obligations morales d'assistance mutuelle. Si nous sommes bien

526 informés, ces obligations ne sont pas consignées dans des statuts émanant d'une autorité supérieure, mais découlent de la large concordance existant ·entre les statuts des différentes grandes loges. Chaque grande loge procède, .avec les grandes loges qu'elle reconnaît, à un échange de garants d'amitié.

En règle générale, seuls les hommes peuvent être francs-maçons. Entre eux, ils se nomment « frères » (et ajoutent à leur nom le signe . ·.). Cependant, il existe, dans certains pays, des loges mixtes. La Suisse en compte ·quatre (Genève, Lausanne, Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds), avec 200 membres en chiffre rond.

Dans la franc-maçonnerie de St-Jean, ou maçonnerie bleue, les membres actifs sont répartis en trois grades, qui tirent leur nom du métier de maçon, savoir: apprentis, compagnons et maîtres. Le membre nouvellement entré dans la loge commence par être apprenti, puis gagne les autres grades après des délais successifs. La réception des nouveaux membres se fait selon certains rites et cérémonies tenus rigoureusement secrets et qui constituent un examen sévère des aptitudes requises du candidat; ces rites et cérémonies ont donné lieu à toutes sortes d'interprétations dans le public. La plupart du temps, le fait d'appartenir à la franc-maçonnerie est également tenu secret; de là l'emploi de certains signes secrets qui permettent aux maçons du monde entier de se reconnaître entre eux.

Le comité de la loge est formé d'un collège des officiers nommé par tous les membres actifs. Le président porte le titre de maître en chaire. Ses ·attributions sont celles du président d'une association ordinaire. L'organe supérieur de la loge est constitué par la loge d'apprentis, qui se compose des maçons des trois grades. La loge comprend, en outre, la loge de compagnons et la loge de maîtres. Le maître député occupe une situation à part, c'est le représentant de la grande loge, et, en cette qualité, il veille à l'observation, dans la loge, des prescriptions de son mandant. Les membres de la loge se réunissent soit sous la forme de tenues rituelles (festivités, réception de nouveaux membres, promotions, cérémonies funèbres, etc.), soit sous celle de conférences (examen des affaires courantes, préparation de la réception de nouveaux membres et des promotions, votations et élections), soit encore sous celle
de réunions libres (manifestations de société et conférences). L'organisation de la grande loge est pareille.

Enfin, la maçonnerie des hauts grades continue la maçonnerie des grades inférieurs; elle réunit certains membres des loges de St-Jean en une union particulière qui cultive la philosophie maçonnique.

2. Organisation de la franc-maçonnerie en Suisse.

a. La franc-maçonnerie des grades inférieurs compte actuellement, en Suisse, quarante et une loges, dont 24 en Suisse romande. Elles relèvent toutes (sauf une à Genève) de la grande loge suisse Alpina, qui, seule, a le droit de créer en Suisse des loges de St-Jean. Elle n'accepte d'ailleurs dans son sein que les loges qui travaillent selon les principes de la maçonnerie

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de St-Jean. Son but est défini comme il suit par le chiffre III des « principes maçonniques généraux » de la grande loge suisse Alpina : « L'alliance maçonnique a pour but le développement moral de ses membres et la pratique des principes humanitaires. Ses moyens d'action sont : l'usage du symbolisme emprunté à l'art de l'architecture ; l'instruction mutuelle sur les intérêts supérieurs de l'humanité; l'éducation par les bienfaits de l'amitié ; l'émulation au devoir social par le bon exemple personnel et par l'exercice de la bienfaisance. En outre, l'alliance maçonnique s'efforce de travailler à mettre en pratique et à répandre au dehors ses principes fondamentaux, de faire avancer l'instruction du peuple, surtout l'éducation de la jeunesse; de seconder, même de fonder, au besoin, des établissements d'utilité publique ; de combattre sans relâche pour la tolérance et le progrès. » La constitution de la grande loge entend dire par là, qu'elle a pour but (art. 2) : « a. De s'efforcer de faire prospérer et d'ennoblir la franc-maçonnerie en Suisse; 6. D'entretenir des relations d'amitié et de confraternité entre les diverses loges qui la composent; c. De concourir à l'avancement de la franc-maçonnerie universelle, en nouant des relations d'amitié avec les puissances maçonniques des autres pays; d. De travailler à l'éducation morale du peuple. » Le grand maître est le premier officier et le chef suprême de la grande loge. Il est assisté par le collège des grands officiers t(grand maître adjoint, deux grands surveillants, grand secrétaire, grand trésorier, grand orateur, grand archiviste et grand maître des cérémonies). Un certain nombre des hauts dignitaires forment le comité directeur. L'organe suprême est l'assemblée des délégués, qui décide souverainement de toutes les questions qui lui sont soumises. Elle se compose: de membres ayant voix deliberative, savoir: les membres du collège des grands officiers, les maîtres députés, les maîtres en chaire ou leurs suppléants et les délégués des loges ; de membres ayant voix consultative, savoir: le grand maître sortant de charge et son adjoint, les membres honoraires de l'Alpina et les représentants des grandes loges des autres pays. Tout maçon régulier a le droit d'assister, en qualité d'auditeur, aux délibérations de l'assemblée. Toutefois, celle-ci peut
prononcer le huis clos, c'est-à-dire n'admettre à la séance que les membres des loges de l'Alpina, ou, dans un sens plus restreint encore, ne permettre qu'aux membres de l'assemblée d'y assister. Les loges payent à la grande loge les contributions d'entrée et des cotisations annuelles; des cotisations extraordinaires peuvent être décidées. La grande loge possède : un fonds de secours destiné à venir en aide à des membres méritants tombés dans le besoin, aux veuves et aux orphelins nécessiteux de membres décédés; un fonds de retraite-vieillesse pour ses membres et leurs veuves; un fonds d'instruction ou d'éducation, qui subventionne des cours et

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écoles, subvient à l'éducation des enfants de membres décédés et favorise l'instruction professionnelle d'enfants bien doués, fils ou filles de maçons pauvres.

Pour ce qui est des loges bleues, la constitution de la grande loge suisse Alpina prévoit ce qui suit. Les loges s'administrent elles-mêmes. Elles sont autorisées à se donner des statuts conformes à ceux de l'Alpina. Elles peuvent entretenir des relations d'amitié avec des loges d'autres puissances maçonniques reconnues. Peuvent être admis dans l'alliance maçonnique les hommes libres et de bonnes moeurs, âgés au moins de vingt ans révolus, jouissant de leurs droits civils et politiques et qui, par leur culture intellectuelle et morale, sont jugés dignes de l'admission. Lors de l'initiation d'un candidat, les loges sont tenues de procéder avec toute la circonspection possible et d'examiner sérieusement sa position et ses mérites. La réception est soumise à la condition qu'un maître maçon s'offre à servir de garant au candidat. Un apprenti ne peut être promu au grade de compagnon qu'un an au moins après son initiation; il faut qu'il manifeste un intérêt maçonnique réel et qu'il possède les connaissances nécessaires. Tout maçon est libre de sortir de sa loge. De son côté, la loge peut exclure les membres qui ne s'acquittent pas de leurs obligations. La discrétion la plus absolue doit être observée sur les délibérations de la loge et les usages de la francmaçonnerie. Cette obligation subsiste même après la sortie de la loge. Les loges doivent s'organiser selon certains principes correspondant aux principes généraux énoncés ci-dessus et analogues à ceux de la grande loge.

6. Il importe de distinguer encore, à côté de la franc-maçonnerie de St-Jean (dénommée aussi maçonnerie bleue ou symbolique), la francmaçonnerie des hauts grades (appelée aussi franc-maçonnerie philosophique), qui se conforme à de nombreux rites. En Suisse, seul le rite écossais revêt une certaine importance. Il comprend 33 grades et se présente sous deux formes distinctes: le rite écossais ancien accepté et le rite écossais et rectifié.

Le rite écossais ancien accepté (maçonnerie rouge) remonte à l'année 1762, où quelques maçons des hauts grades de différents pays posèrent certains principes uniformes, dans un consistoire tenu à Bordeaux. Les décisions de ce consistoire
furent consignées dans les grandes constitutions de 1786 qui, pour le rite écossais, sont encore appliquées partout aujourd'hui dans leurs parties essentielles. En voici les grands principes, tels qu'ils ont été établis à la suite d'une revision en 1875: La franc-maçonnerie proclame l'existence d'un principe créateur sous le nom de grand architecte de l'univers. Elle n'impose aucune limite à la libre recherche de la vérité et, par conséquent, elle exige de tous la tolérance. Elle est ouverte aux hommes de toute nationalité, de toute race, de toute croyance et interdit, dans ses ateliers, toute discussion politique ou religieuse. Son but consiste à lutter contre l'ignorance sous toutes ses formes. Son programme se résume en ces termes : « obéir aux lois de son pays, vivre selon l'honneur, <3

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pratiquer la justice, aimer son semblable, travailler sans relâche au bonheur de l'humanité par son émancipation progressive et pacifique ». Le premier suprême conseil du 33e degré fut fondé, en 1801, à Charleston (Etats-Unis d'Amérique). C'est de lui que s'inspirent tous les conseils suprêmes du 33e degré existant aujourd'hui. Un grand nombre de fondations eurent encore lieu, notamment en Amérique et en Europe (en France, en Espagne, en Belgique, en Irlande, au Portugal, en Angleterre, en Ecosse, en Grèce et en Italie avant 1875. Après 1912: en Hollande, en Serbie, en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Roumanie, en Autriche et en Allemagne). En Suisse, il existait déjà en 1739, à Lausanne, un directoire suprême helvétique romand qui se transforma, en 1873, en un suprême conseil du 33e degré.

Les conseils suprêmes des différents pays se réunirent, à différentes reprises, en congrès internationaux en vue de discuter des intérêts communs du rite et d'affirmer leur homogénéité. Le rite écossais passe pour être le plus répandu.

En Suisse, le rite écossais ancien accepté a son siège à Lausanne. Ses membres (environ 450) se recrutent, en vertu d'un traité conclu en 1876, parmi ceux des loges bleues de la grande loge Alpina. Selon ce traité, le suprême conseil reconnaît que l'Alpina est, en Suisse, la seule société franc-maçonnique conforme aux statuts pour les trois premiers grades, tandis que, d'autre part, l'Alpina reconnaît le suprême conseil comme unique société, en Suisse, du rite écossais ancien accepté (du 4e au 33e degrés), et s'engage à recevoir comme membres ordinaires de ses loges les maçons des hauts grades, en ne leur conférant cependant que le seul titre de maître. Seul peut devenir membre actif des hauts grades, en Suisse, le maçon qui fait partie d'une loge bleue de l'Alpina et y a acquis, depuis au moins deux ans, le grade de maître. Les maçons des hauts grades demeurent membres d'une loge bleue A la tête du rite, se trouve, en Suisse, le suprême conseil du 33e degré, composé de neuf à trente-trois maçons du 33e degré et de ses membres honoraires; ces derniers n'ont que voix consultative. Les membres actifs du suprême conseil ne peuvent faire partie, sans autorisation spéciale, d'aucun autre rite pratiquant les grades supérieurs au 3e. Le suprême conseil se renouvelle lui-même en choisissant
ses membres parmi ceux du 33e degré. Il se prononce lui-même sur l'admission de nouveaux membres.

A sa tête se trouve le collège des officiers dignitaires fort de huit membres et dirigé par le souverain grand commandeur. A côté du suprême conseil, on trouve encore le grand conseil, qui comprend tous les frères du 33e degré, et n'a pas de grandes attributions effectives.

Tous les autres grades sont subordonnés au suprême conseil du 33e degré. Seuls les grades 18, 30 et 32 sont effectifs; on ne s'arrête pas aux autres. Sont actuellement soumis au suprême conseil 7 chapitres de rosécroix (18e degré), 7 aréopages du chevalier kadosch (30e degré), un consistoire du royal secret (32e degré) et un suprême conseil des souverains grands

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inspecteurs généraux (33e degré), dont trente-trois membres forment le suprême conseil. Celui-ci délègue un de ses représentants dans chaque aréopage et dans chaque chapitre. Ces deux derniers sont organisés d'une manière analogue et élisent eux-mêmes leurs membres. Tous les groupements étrangers qui étaient invités à la conférence de Paris en 1929 et ceux qui ont été admis depuis lors sont reconnus. Le suprême conseil de Suisse entretient des relations d'amitié avec ces groupements et échange avec eux des représentants.

Au temple, le travail porte sur des questions maçonniques et, notamment, sur des questions de rite. Il y a également des conférences de caractère philosophique et politique. Les francs-maçons des hauts grades de la Suisse se réunissent de temps à autre en convent national pour y traiter des sujets analogues.

Ces mêmes sujets sont discutés également dans des convents internationaux dont les décisions n'ont cependant rien d'obligatoire pour les suprêmes conseils qui ne les ratifient pas par la suite.

Ainsi que nous l'avons vu plus haut, on connaît, de plus, en Suisse, le rite écossais et rectifié (dénommé maçonnerie blanche et comptant environ 150 membres) ; il est dirigé par le grand prieuré indépendantd'Helvétie, dont le siège est à Genève. Ce rite émane de la « Stricte Observance », ordre de chevaliers fondé au XVIIIe siècle, en Allemagne, par le baron von Hund, édifié, comme le rite écossais ancien accepté, sur les mêmes bases que la franc-maçonnerie, mais en se rapprochant néanmoins de l'ancien ordre des templiers. Il porte le titre de « rectifié » parce qu'il a écarté tout ce qui rappelait l'alchimie et la cabale et, en particulier, le devoir d'obéissance à des chefs inconnus pratiqués par les templiers. En 1765, la « Stricte Observance » apparut à Baie et à Zurich et prit une rapide extension dans totite la Suisse.

Les principes qui sont à la base de ce rite sont, conformément au convent général de Wilhelmsbad de 1782: l'attachement à l'esprit du christianisme et la foi en une puissance suprême, le dévouement à la patrie, le perfectionnement individuel, l'exercice de la bienfaisance.

Le rite rectifié connaît deux grades, qui comme c'est le cas aussi dans le rite ancien accepté, constituent la suite des trois grades de la francmaçonnerie bleue ; seuls les membres d'une
loge de cette dernière peuvent donc faire partie du rite rectifié; encore faut-il qu'ils portent depuis au moins trois ans le titre de maître dans une loge bleue pour obtenir le premier grade du rite rectifié, soit le grade de maître écossais de St-André. Les Juifs ne sont pas admis. Puis, après deux ans au moins, vient le second grade: l'ordre intérieur qui comprend deux classes, savoir: les écuyers novices et les chevaliers bienfaisants de la cité sainte. Le grade de St-André sert uniquement de transition entre la franc-maçonnerie symbolique et la franc-maçonnerie des hauts grades, à laquelle seul l'ordre intérieur peut conduire.

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"L'organisation est quelque peu compliquée: Toute la franc-maçonnerie du rite rectifié dépend de l'ordre intérieur, Celui-ci a pour organes: le grand chapitre helvétique, le grand prieur, le directoire, les préfectures et les cómmanderies.

Le grand chapitre, composé du grand prieur comme président, des membres du directoire, des préfets et commandeurs, des maîtres députés, de trois délégués des préfectures et de trois délégués des cómmanderies, des membres n'ayant que voix consultative, est l'organe supérieur de l'ordre et a, à peu près, les attributions de l'assemblée générale d'une association.

Le directoire, dont le siège est à Genève, est l'organe exécutif, comme l'est le comité dans une association. Il exerce notamment la haute surveillance sur les préfets, commandeurs et loges de St-André. Il se compose du grand prieur, du grand chancelier, du préfet et du commandeur de chaque préfecture et de trois membres élus par le grand chapitre.

A côté de ces organes centraux apparaissent les sociétés locales qui leur sont subordonnées: les préfectures et les cómmanderies.

Les sociétés locales réunissant les frères de l'ordre intérieur constituent les préfectures. Celles-ci comprennent les chevaliers, un chapitre de préfecture choisi parmi ceux-ci, des membres honoraires et des écuyers novices.

Les chevaliers formant le chapitre de préfecture -- au nombre de 27 au maximum -- sont seuls éligibles aux charges d'officiers. Les membres honoraires et les écuyers novices n'ont que voix consultative. Les préfectures formulent et discutent les propositions de modifications à apporter aux statuts et aux rituels; elles décident des admissions dans la classe des écuyers novices, de l'administration de leurs finances et approuvent le budget et les comptes des loges qui relèvent d'elles. Le chapitre de préfecture élit les officiers de la préfecture et les délégués au grand chapitre ; il vote sur les admissions dans la classe des chevaliers et autorise les dépenses extra-budgétaires. Les organes exécutifs de la préfecture comprennent le préfet, qui en est le chef, et un conseil de préfecture de neuf membres.

Un de ces membres, le commandeur, surveille et dirige les loges de St-André de la préfecture. Les cómmanderies sont instituées dans les ordres où il ne se trouve pas de chevaliers en nombre suffisant pour
former une préfecture.

Les loges de St-André préparent les maîtres des loges bleues aux grades supérieurs (chevaliers et écuyers novices). Elles sont indépendantes les unes des autres, mais dépendent du directoire ou d'une préfecture ou commanderie par lui désignée. La promotion d'un maître d'une loge bleue comme membre d'une loge de St-André (maître écossais) relève du directoire, sur la proposition de la loge de St-André et sur recommandation du grand chapitre. Les loges de St-André élisent elles-mêmes leur collège d'officiers, à l'exception du président, qui est nommé par le chapitre de préfecture.

.532 Trois loges de St-André {Genève, Neuchâtel et Zurich) et deux préfectures (Neuchâtel et Zurich) relèvent actuellement du grand prieuré.

Elles entretiennent des relations d'amitié avec les sociétés francmaçonniques des autres pays et échangent avec elles des garants d'amitié.

Elles passent aussi des traités d'amitié. Mais l'ordre déclare être souverain et n'accepter aucune instruction émanant d'un organe étranger.

Telle est l'image que l'on peut se faire, d'après les statuts, de la francmaçonnerie en général et de la franc-maçonnerie suisse en particulier.

Que lui reproche-t-on donc pour la considérer comme une association illicite ou dangereuse pour l'Etat (ou, encore, comme ayant un but contraire aux moeurs, art. 52, 3e al., CC) ?

III. GRIEFS FORMULÉS CONTRE LA FRANC-MAÇONNERIE Ils sont nombreux. Mais sont-ils fondés ?

1. Il est hors de doute qu'en eux-mêmes les principes de la francmaçonnerie suisse, tels que nous venons de les exposer, ne peuvent pas être considérés comme illicites ou dangereux pour l'Etat. Mais il est tout aussi certain que les principes énoncés dans les statuts d'une association ne permettent pas, à eux seuls, de se faire une idée décisive du caractère ·de cette société. Il est de toute importance de savoir encore dans quel esprit ces principes sont appliqués. C'est surtout le cas lorsqu'il s'agit de sociétés qui s'enveloppent plus ou moins de mystère, et qu'il n'est pas aisé, par conséquent, de savoir si les statuts dont il est donné connaissance ne sont pas destinés à demeurer lettre morte ou même à induire en erreur les autorités sur le véritable but de la société et les véritables moyens employés par elle. On voit souvent la franc-maçonnerie représentée sous l'aspect d'un sphinx à deux faces. Il est donc indispensable d'étudier les expériences réellement faites avec la franc-maçonnerie, en Suisse en particulier.

C'est aux fruits que l'on juge l'arbre. Nous allons donc examiner sous cet angle les accusations portées contre la franc-maçonnerie. Et nous relevons immédiatement que le mystère dont nous venons de parler et notamment la discrétion observée en ce qui concerne l'appartenance à une loge, ne vont pas sans susciter certains obstacles. Il n'est pas facile d'établir si la paternité de certains faits et événements doit être attribuée ou non à la franc-maçonnerie.
2. Dans ces conditions, il importe de savoir quel genre de personnes font partie de la franc-maçonnerie et dans quels milieux ces personnes se recrutent. D'après le chiffre VIII des principes généraux qui forment l'introduction de la constitution de l'Alpina : « l'alliance admet dans son sein des hommes libres et de bonnes moeurs qui s'unissent fraternellement pour aspirer au perfectionnement moral. Elle le fait sans distinction de croyance, de nationalité, de parti politique ou de position sociale ».

Et, en fait, la franc-maçonnerie a compté, dans ses rangs, un grand nombre

533 d'hommes éminents qui, par leur caractère et les services qu'ils ont rendus à leur pays et à l'humanité dans son ensemble, nous sont garants qu'ils n'auraient pas pris part ou n'auraient
D'un autre côté, on prétend que ces personnes entrèrent dans la francmaçonnerie sous l'empire de certaines illusions, mais s'en retirèrent bientôt, fortement déçues, sans avoir cependant le courage de rompre expressément. D'autres adversaires affirment que ces hommes firent partie de la loge aux temps de son apogée, à un moment où les principes inscrits dans ses statuts étaient encore pris au sérieux, alors qu'actuellement ils ne servent plus qu'à couvrir les égoïsmes et les intrigues les plus divers.

L'examen de cette question nous entraînerait bien au delà des limites tracées au présent rapport. Qu'il suffise de constater ici
que les membres des loges suisses n'ont jamais mis le Conseil fédéral dans l'obligation de s'occuper spécialement d'eux. De plus, la liste des membres de la grande loge Alpina et des autres sociétés de francs-maçons existant en Suisse ne paraît nullement avoir été établie pour les besoins de la cause et devoir soulever certaines suspicions. Rien ne prouve non plus que les dirigeants de la grande loge (les membres du corps des officiers) et de la franc-maçonnerie des hauts grades soient plus ou moins brouillés avec nos lois et notre organisation politique.

3. Les principaux arguments invoqués contre la franc-maçonnerie s'en prennent à son attitude à l'égard de l'Etat et des principes et institutions démocratiques. Un des moindres reproches qu'on lui adresse est de ne pas Feuille fédérale. 88e année. Vol. II.

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être démocratique parce que les cotisations payées par ses membres sont trop élevées pour être à la portée de toutes les classes de la population et parce que son organisation hiérarchique (grades et titres) blesse notre sentiment démocratique. Il est superflu de s'attacher à démontrer que ces institutions de pure forme ne mettent, en aucune manière, la démocratie en péril. La question serait plus inquiétante si la franc-maçonnerie entendait s'opposer au principe même de la démocratie et à la constitution démocratique de l'Etat. Mais ce n'est pas là ce qu'on lui reproche. Le chiffre II de ses principes généraux proclame d'ailleurs que : « les francs-maçons se regardent comme frères et considèrent leur alliance comme une alliance de frères. Ils savent que tous les hommes, quelle que soit la différence de leurs talents ou de leur position sociale, sont nés avec les mêmes droits.

Se souvenant cependant que cette vérité est souvent méconnue dans la vie, ils estiment qu'il est de leur devoir d'entretenir et de fortifier parmi eux d'abord, puis parmi les autres hommes, des sentiments de fraternité et d'égalité ». Et c'est précisément en raison de ces deux idéaux, qui sont également à la base de notre Etat, que la franc-maçonnerie s'est toujours trouvée exposée aux coups des gouvernements qui s'inspirent d'autres principes.

4. Le reproche d'être hostile à l'Etat est beaucoup plus grave. La francmaçonnerie, prétend-on, est en tout cas adversaire de l'Etat national.

En effet, elle chercherait à influencer, en secret, par l'intermédiaire de ses adeptes, représentés dans toutes les autorités, la politique de chaque Etat.

Elle minerait par conséquent l'autorité de l'Etat dans l'armée et encouragerait tous les mouvements révolutionnaires. Dans tous les troubles insurrectionnels, on retrouverait toujours la participation des francs-maçons, sous une forme ou sous une autre, et même comme auteurs du mouvement.

a. Il est évident que la preuve de cette affirmation devrait conduire normalement à interdire la franc-maçonnerie. Mais les principes généraux de la franc-maçonnerie suisse lui donnent un démenti catégorique. En effet, en vertu du chiffre VI des principes généraux, « le franc-maçon suisse est fidèlement et entièrement dévoué à sa patrie. Il reconnaît comme un devoir sacré de défendre les libertés et
l'indépendance de son pays, ainsi que de contribuer à maintenir la paix à l'intérieur. Chaque maçon, en tant que citoyen, est moralement tenu, pour affirmer ses principes maçonniques, de s'intéresser aux affaires publiques. Il agit, selon ses convictions, pour le bien de la patrie. » Et l'article VII, 2e alinéa, ajoute encore : « La loge s'interdit dans son sein et au dehors toute ingérence dans les conflits politiques et religieux. Toutefois, dans le but de s'instruire mutuellement, les frères peuvent traiter des sujets d'actualité dans leurs réunions. Ces discussions ne pourront jamais faire l'objet d'une votation quelconque, ni aboutir à des résolutions qui entraveraient l'indépendance des membres. » II en résulte qu'en raison de son affiliation à la loge, le franc-maçon suisse des loges bleues est tenu de défendre la liberté et l'indé-

535 pendance de la patrie. Cette obligation subsiste alors même que le chiffre X dispose que le franc-maçon est tenu d'observer fidèlement les lois de la loge, de conformer sa conduite aux voeux prononcés et de défendre selon ses forces l'honneur et les intérêts de la loge. Ces lois prévoient précisément la défense du pays. Et, si la franc-maçonnerie tend encore à développer, chez ses membres, la pratique des principes humanitaires et ne fait, entre ses membres, aucune distinction quant à leur nationalité, cela ne signifie cependant pas encore que le franc-maçon soit un ennemi de sa patrie.

De même, les principes de la franc-maçonnerie des hauts grades prévoient expressément l'obéissance aux lois du pays et font figurer cette obligation dans la formule du serment.

Mais qu'en est-t-il en fait ? Rien, à notre connaissance, ne nous permet de dire que les francs-maçons sont, dans notre pays, de moins bons patriotes que les autres Suisses. Nous n'avons absolument rien trouvé non plus qui vienne étayer l'affirmation selon laquelle la loge serait un foyer révolutionnaire. Les adversaires de la franc-maçonnerie eux-mêmes ont été incapables de nous fournir quoi que ce soit à ce sujet. Ils se bornent à de simples affirmations ou présomptions, ne se réfèrent à aucun fait déterminé qui pourrait constituer le point de départ de recherches précises, mais en restent uniquement à des généralités. Les fins et les tâches du programme de la franc-maçonnerie ne permettent pas non plus de conclure à un mouvement d'agitation dirigé contre notre Etat; en effet, elles ne sont nullement contraires aux dispositions de la constitution fédérale. Et, en fait, nous avons pu constater, dans ce qui nous est parvenu des conférences faites aux loges, un esprit parfaitement patriotique et suisse. C'est également dans ce sens qu'est conçue la résolution, adoptée le 7 juin 1936 à Montreux, par l'assemblée annuelle de la grande loge Alpina, et dont voici le texte: « Les francs-maçons suisses déclarent que la souveraineté populaire est la seule forme de gouvernement qui corresponde au caractère de l'Etat suisse. Ils ne méconnaissent nullement certains inconvénients qui se sont manifestés, notamment ces dernières années, sous la pression des conditions économiques actuelles. Toutefois, ils se prononcent contre toute tendance dictatoriale
en matière politique.

Les francs-maçons suisses voient l'avenir de la Suisse dans une collaboration confiante de toutes les parties du pays et de toutes les classes de la population, dans une politique économique et sociale propre à relever l'économie nationale. Les francs-maçons sont adversaires de tout ce qui pourrait ébranler les bases de la démocratie et ne serait pas dans la pure tradition suisse. » b. Les adversaires de la franc-maçonnerie vont encore plus loin. Ils prétendent que la franc-maçonnerie suisse n'est pas une association jouissant d'une entière autonomie, mais qu'elle n'est, au contraire, qu'un des membres d'une association internationale dont les ramifications s'étendent sur le monde

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entier et qui, dirigée par un organe central, arrive à dominer toute la politique mondiale. A leur avis, la maçonnerie bleue (maçonnerie de St-Jean), qui ne compte que trois grades, serait, en Suisse, assez inoffensive. Par contre, la franc-maçonnerie des hauts grades, qui donne des directives à l'ensemble de la franc-maçonnerie, présenterait des dangers. Le but final serait l'institution d'une république universelle selon les principes et sous la direction de la franc-maçonnerie. Tous les moyens seraient bons pour arriver à ce but. On charge la franc-maçonnerie des hauts grades d'une foule de crimes et d'actes odieux. On lui fait même endosser la responsabilité de la guerre mondiale. Celle-ci lui aurait permis, en causant la disparition de quelques monarchies, de faire progresser d'un pas l'idée de la république universelle. Elle poursuivrait encore cette idée au sein de la Société des Nations, dont les représentants seraient en majorité des maçons des hauts grades.

Il est évident que le présent rapport ne saurait s'attacher à élucider la question de la responsabilité de la guerre mondiale, ainsi que d'autres problèmes de l'histoire universelle auxquels la franc-maçonnerie aurait été mêlée. Cela n'est d'ailleurs nullement nécessaire. Il suffit en effet de rechercher si et, en cas de réponse affirmative, dans quelle mesure la francmaçonnerie suisse dépend d'instructions provenant de sources étrangères à la Suisse.

Qu'en est-il, tout d'abord, de la grande loge Alpina ?

Aux termes de ses statuts, elle constitue une association corporative · indépendante du droit civil suisse, revendique, pour elle seule, le droit de fonder sur le territoire de la Confédération des loges de St-Jean et travaille dans les trois grades: apprenti, compagnon et maître. L'organe suprême est l'assemblée des délégués ; elle décide souverainement de toutes les questions qui lui sont soumises. Ses attributions principales consistent à promulguer et modifier la constitution et les règlements et à traiter toutes les questions essentielles. Les membres étrangers et les représentants des grandes loges des autres pays n'ont pas voix deliberative dans l'assemblée des délégués. La seule concession faite à l'étranger est d'admettre, avec voix consultative, à l'assemblée des délégués les représentants des grandes loges des autres
pays. Ces représentants sont exclus des séances secrètes, alors que les membres de l'assemblée des délégués appartenant à l'Alpina peuvent y assister sans restriction aucune. Selon ses statuts, la grande loge peut donc prendre ses décisions en toute liberté et indépendance, sans recevoir aucune instruction provenant du dehors. Aux termes des règlements, l'institution des garants d'amitié ne rompt pas non plus avec cette règle. Ces garants d'amitié ont pour mission de rester en contact étroit avec la loge amie ; lors d'une discussion importante avec une grande loge amie, le garant d'amitié auprès de celle-ci doit être tenu au courant par le comité directeur. Les garants d'amitié peuvent prendre part aux festivités et ils ont voix consultative dans l'assemblée des délé-

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gués. Mais ils n'ont pas voix deliberative, de sorte que réglementairement cette institution ne saurait porter en rien atteinte à l'indépendance de l'Alpina. Cela n'empêche évidemment pas qu'en fait, l'Alpina puisse subir une influence extérieure. C'est ainsi qu'au temps de Napoléon, elle aurait été sous l'influence du Grand Orient de France et, plus tard, sous celle des grandes loges allemandes. Il semble toutefois que, depuis la grande guerre, les rapports avec les loges allemandes se sont relâchés. Enfin, rien de positif ne permet de prétendre actuellement que la grande loge Alpina subisse une forte influence étrangère qui serait dangereuse pour l'Etat ou tout au moins condamnable.

Sur le terrain international, l'Alpina s'est engagée, dans une certaine mesure, en adhérant à l'alliance maçonnique internationale (A. M. I.), dont le siège central est à Genève depuis 1921. Cette alliance a remplacé le bureau international des relations maçonniques que l'Alpina entretint de 1903 à 1921 à Neuchâtel. Selon ses statuts, l'alliance maçonnique internationale tend à maintenir les relations existant entre les associations franc-maçonniques et à en créer de nouvelles. En font partie, à côté de l'Alpina : le Grand Orient et les grandes loges de France, les Grands Orients de Belgique, Italie, Portugal et Turquie, les grandes loges de Bulgarie, Espagne, Luxembourg et Vienne; les grandes loges anglaises, allemandes et américaines sont restées en dehors de cette alliance. Mais toute immixtion dans les affaires internes des autres sociétés est interdite au bureau international et à toute société franc-maçonnique. L'indépendance entre les différentes associations est donc affirmée une fois de plus. Les sociétés sont invitées à échanger leur programme de travail afin de coordonner les diverses initiatives. Le bureau central joue un rôle d'intermédiaire. Il procède à l'échange des programmes, revues, catalogues et rapports annuels, dirige la bibliothèque et les archives et prépare les congrès internationaux de francs-maçons. Il publie un annuaire, sorte de liste des autorités francmaçonniques, et un bulletin. L'organe suprême de cette association est le convent international dans lequel chaque société dispose d'une voix.

Sa compétence est limitée aux questions intéressant l'alliance elle-même.

Les décisions se
prennent à la majorité simple des sociétés. Les votes sur l'admission ou l'exclusion d'une société doivent réunir les deux tiers des associations représentées. Au surplus, le convent décide lui-même des conditions de validité de ses propres décisions. On ne trouve pas de dispositions plus précises sur la compétence du convent en ce qui concerne les décisions à prendre et l'obligation pour les membres de se conformer à ces décisions.

Cependant, les procès-verbaux ne contiennent, dans la mesure où nous avons pu les consulter, rien qui puisse donner lieu à des observations inquiétantes. La possibilité accordée aux membres de se retirer en tout temps constitue une importante garantie.

Il y a lieu de mentionner encore la ligue générale des francs-maçons, qui vise à réunir en une alliance amicale certains frères de différentes loges

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nationales. Comme la grande loge Alpina ne reconnaît aucune autre organisation maçonnique pratiquant la maçonnerie de St-Jean en Suisse, il ne semble toutefois pas que la ligue jouisse d'une influence considérable chez nous.

Enfin, il serait faux de prétendre qu'en Suisse, la franc-maçonnerie de St-Jean est dirigée par la franc-maçonnerie des hauts grades. Chaque maçon des hauts grades doit, il est vrai, appartenir à une loge de St-Jean, mais les statuts de l'Alpina lui interdisent expressément d'occuper, de ce fait, une situation privilégiée dans la loge bleue. Les maçons des hauts grades ne peuvent recevoir aucun titre ou charge, abstraction faite du grade de maître. A la différence des autres maçons, ils ne peuvent donc pas faire partie du collège des grands officiers. De plus, il sont en infime minorité, et leur influence sur les loges bleues se trouve donc fortement réduite.

En résumé, on peut dire que, d'après la documentation dont nous disposons, la grande loge Alpina n'apparaît pas, d'après ses statuts, ses rapports avec d'autres associations, son attitude effective, comme un groupement hostile à l'Etat. Par contre, on peut constater qu'au cours des ans, elle a accompli de fort bonnes choses en matière d'utilité publique et de bienfaisance. Ainsi, la société pour la diffusion des bonnes lectures est une création franc-maçonnique. Il en est de même de divers magasins de bric-à-brac à but philanthropique, d'une quantité d'associations de bienfaisance, d'hôpitaux, d'asiles d'aveugles, d'asiles d'aliénés, d'hôpitaux pour tuberculeux, d'écoles, de caisses d'indigents, de caisses-maladie, etc. -- D'après un relevé détaillé établi par l'Alpina, six millions ont été consacrés par les loges suisses à des fins de bienfaisance au cours de ces 25 dernières années.

Le reproche de dépendre de pouvoirs étrangers à la Suisse et de diriger la politique suisse selon les instructions de ceux-ci s'adresse avant tout à la franc-maçonnerie des hauts grades. Qu'en est-il en réalité ? Le fait que des sociétés dont l'activité s'exerce en Suisse tirent leur existence de sociétés étrangères et collaborent avec celles-ci ne suffit pas, a lui seul, à les faire considérer comme indésirables. Ce qu'il faut, c'est établir si ces sociétés suisses dépendent des sociétés étrangères, sont fortement influencées par elles et,
cela, dans une mesure inadmissible.

On ne peut pas dire que ce soit le cas du rite écossais et rectifié. En effet, l'ordre suisse occupe actuellement une place prépondérante, les sociétés étrangères ayant précédemment suspendu leur activité (reprise partiellement aujourd'hui). L'affiliation de l'ordre suisse à la province de Bourgogne ne présente plus, de nos jours, qu'un intérêt historique.

Si cet ordre a noué des liens très étroits, par une convention passée en 1895 (revisée en 1910), avec le suprême conseil pour la Suisse du rite écossais ancien accepté, cet accord ne touche en rien à l'indépendance du rite rectifié ; de plus, ce rite doit être considéré comme une société suisse indépendante, ainsi que nous allons le démontrer ci-après.

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Le rite écossais ancien accepté, par contre, s'étend encore aujourd'hui à toute la surface du globe. Mais il n'est pas possible d'établir s'il dépend de sociétés étrangères ou s'il existe une direction agissant sur ce rite dans le monde entier. Ses statuts et son développement historique semblent, au contraire, démontrer sa parfaite indépendance. En effet, le règlement organique et intérieur du suprême conseil pour la Suisse désigne celui-ci comme « le chef suprême et le régulateur du rite écossais ancien accepté sur toute l'étendue de la Confédération helvétique ». Au sujet du souverain grand commandeur, il déclare que : « A part le pouvoir législatif du suprême conseil, il ne reconnaît pas d'autre puissance maçonnique au-dessus de lui ». L'histoire de l'ordre ne permet pas d'aboutir à une conclusion différente. Il est vrai que le prédécesseur du suprême conseil -- le directoire suprême helvétique romand -- était encore placé, au début du XIXe siècle, sous l'influence du Grand Orient de France. Mais il s'en sépara déjà en 1821 et s'en déclara indépendant. En 1869, il entra en conflit avec la grande loge Alpina, qui prétendait avoir le droit exclusif de nouer des relations avec l'étranger. Par la suite, les francs-maçons suisses des hauts grades fondèrent, en 1873 et avec l'assentiment du suprême conseil de France, un suprême conseil indépendant du 33e degré, qui remplaça le directoire helvétique romand, se déclara chef suprême du rite et reprit les relations avec les sociétés étrangères. Ce conflit suffirait à démontrer que le suprême conseil s'efforça avec succès de se rendre indépendant de l'étranger. A vrai dire, il existe des conventions passées avec les sociétés étrangères de ce rite. Mais elles ne nous paraissent pas, dans la mesure où elles nous sont connues, porter atteinte à l'indépendance du suprême conseil. C'est le cas, notamment, du traité d'union, d'alliance et de confédération du suprême conseil du rite écossais ancien accepté qui fut conclu, en 1875, à Lausanne, entre neuf suprêmes conseils. Il fut établi surtout en vue de déterminer exactement les conditions auxquelles une grande loge peut être régulièrement et réglementairement reconnue. Jusqu'à maintenant, toutes les conférences internationales des suprêmes conseils de ce rite n'ont eu à leur ordre du jour que des objets de
cette nature. Le rite écossais ne constitue donc une unité internationale que dans la mesure où les trente et un suprêmes conseils reconnaissent la grande constitution de 1786, ont institué les mêmes grades et les mêmes rites et défendent les mêmes principes. Mais cela ne suffit pas encore à démontrer l'existence d'un rapport de subordination entre l'association suisse et un organe étranger.

c. Comme on l'a mentionné plus haut, la franc-maçonnerie serait encore dangereuse pour l'Etat parce que ses membres devraient obéir aveuglément à des supérieurs inconnus résidant à l'étranger. Toute la hiérarchie serait conçue de manière que ses degrés inférieurs ignorent quels sont les supérieurs immédiats. Le chef suprême, qui, à ce que prétendent certains adversaires de la franc-maçonnerie, aurait son siège à Londres, demeurerait

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donc dissimulé à tous les francs-maçons des grades inférieurs ; ceux-ci ne feraient que collaborer, en toute ignorance, à son oeuvre.

Si tel était vraiment le cas, la franc-maçonnerie suisse pourrait donc constituer, en réalité, un instrument dangereux dans les mains de supérieurs étrangers, inconnus et peut-être sans scrupules, qui, par l'intermédiaire de la franc-maçonnerie, pourraient exercer une influence pernicieuse sur la politique suisse et le sort de notre pays. Ces considérations semblent avoir inspiré le § 128 du code pénal de l'Empire allemand (1871), qui prévoit que : « l'appartenance à une association dont l'existence, la constitution ou le but doivent demeurer cachés au gouvernement de l'Etat ou dans laquelle les membres jurent obéissance à des supérieurs inconnus ou obéissance absolue à des supérieurs connus, sera puni d'un emprisonnement de six mois au maximum ». Il ne semble pas que ces éléments se trouvent réunis actuellement quand il s'agit de la franc-maçonnerie suisse.

Dans la grande loge Alpina, les chefs (soit les membres du collège des grands officiers) sont nommés par l'assemblée des délégués, composée, notamment, des maîtres députés et des délégués des loges. Il est vrai que seuls ces derniers sont nommés par les loges (c'est-à-dire par les loges d'apprentis dans lesquelles les trois grades ont le droit de vote). Par contre, les maîtres députés ne sont pas choisis par les loges, mais bien par le grand maître, sur la proposition de la loge et parmi les maîtres actifs. Le principe démocratique du suffrage universel n'est donc pas respecté absolument sur ce point. Néanmoins, la nomination a lieu avec la collaboration de la collectivité tout entière. Dans le rite écossais ancien accepté, le collège des officiers n'est élu que par les maçons de ce grade.

Le grief tiré de l'obéissance aveugle due à des chefs inconnus a pu être fondé à certains moments de l'évolution historique du rite rectifié. En effet, la « Stricte Observance » dont provient ce rite avait repris des templiers la règle de l'obéissance due à des supérieurs inconnus. Mais, en 1772 déjà, le convent de Kohlo abandonna cette règle, malgré l'opposition du clergé intéressé ; il semble bien qu'on en est resté là. En tout cas, rien ne permet d'admettre que la franc-maçonnerie suisse des hauts grades soit dirigée par
des chefs étrangers et inconnus. On ne peut donc pas prétendre que les chefs francs-maçons suisses doivent obéissance à des supérieurs qu'ils ne connaissent pas.

Il ne semble pas davantage exact de prétendre que la franc-maçonnerie suisse, devant une obéissance absolue et aveugle à ses supérieurs, pourrait être contrainte de donner suite à des ordres dkigés contre la Suisse. Non seulement nous ne trouvons rien de semblable dans les statuts et règlements, mais encore le texte de la promesse, en tant que nous avons pu en prendre une exacte connaissance, ne permet pas non plus cette supposition. L'Action helvétique s'en prend surtout à la promesse suivante, faite par l'apprenti lors de son admission dans la loge : « Je promets de remplir mes devoirs envers la famille, la patrie, l'humanité; de respecter

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toute conviction non contraire à la morale et à l'amour du prochain; de travailler à mon propre perfectionnement; de persévérer sans relâche dans la recherche de la vérité et de la justice ». D'après l'Action helvétique, cette promesse serait tout spécialement incompatible avec le serment prêté par la troupe. Nous ne pouvons partager cette manière de voir: la promesse franc-maçonnique exige du franc-maçon l'engagement de remplir ses devoirs envers la patrie, sans faire aucunement mention d'une obligation d'obéissance à l'égard des chefs de la loge. Le franc-maçon jure, en outre, d'obéir consciencieusement aux lois de la franc-maçonnerie, d'agir, en toutes circonstances, pour le bien de la loge, d'aimer ses frères et de les assister par tous les moyens, sous la réserve expresse suivante: « en tant que l'honneur et mes devoirs envers Dieu, la patrie et la famille me le permettent ». Le maçon promet encore d'observer une discrétion digne d'un homme d'honneur. Rien de tout cela non plus ne nous paraît inadmissible. Il en est de même des autres promesses solennelles dont nous avons pu prendre connaissance. Dans leur promesse, les maîtres députés, par exemple, déclarent vouloir « respecter les lois et veiller fidèlement à l'observation des dispositions constitutionnelles de l'Alpina et des règles rituelles ». A notre avis, la thèse de l'obéissance aveugle n'est pas non plus démontrée.

d. Enfin, on reproche à la franc-maçonnerie d'avoir donné naissance au bolchévisme et de l'avoir appuyé; celui-ci serait un rejeton spirituel de l'humanité libérale prêchée par la franc-maçonnerie. On ne prétend pas toutefois que la franc-maçonnerie vise sciemment à ce but. On admet, au contraire, qu'elle est décontenancée par la tournure prise par les événements et qu'elle cherche maintenant, en entrant en lutte avec les partis marxistes, anarchistes, nihilistes et bolchévistes, à arrêter l'impulsion qu'elle a donnée. A cet effet, elle aurait même essayé, ces tous derniers temps, de trouver un terrain d'entente avec le catholicisme afin de faire front, de compagnie, aux tendances nouvelles.

Il s'ensuit donc qu'aujourd'hui la franc-maçonnerie, loin d'encourager le bolchévisme, s'est au contraire déclarée son adversaire. Qu'il suffise de rappeler à ce propos que, dès ses débuts, la Russie des soviets a rigoureusement
interdit la franc-maçonnerie. On ne saurait tirer de ce fait un argument en faveur de l'interdiction de cette association.

5. L'Eglise, et tout spécialement l'Eglise catholique, reproche vivement à la franc-maçonnerie d'être irréligieuse et même hostile à la religion.

Y a-t-il là un motif d'interdire la maçonnerie ? La première question à résoudre est de savoir si la franc-maçonnerie porte atteinte à la liberté de conscience et de croyance. Dans la négative, il importera de décider s'il y a lieu néanmoins de l'interdire.

La liberté de croyance et de conscience garantie par l'article 49 de la constitution fédérale est le droit que chacun a à l'égard de l'Etat de ne subir aucune contrainte en matière de convictions religieuses (Burckhardt,

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Kommentar, p. 442). Il n'en dérive donc aucune interdiction pour les hommes sans religion de former une association. Au contraire, la liberté de croyance et de conscience leur confère ce droit dans les limites compatibles avec les bonnes moeurs, l'ordre public et le maintien de la paix entre les membres des diverses communautés religieuses (art. 50). Qu'en est-il à ce sujet de la franc-maçonnerie ? En tout cas, elle ne prétend pas s'ériger en religion. Au contraire, le chiffre IV des principes généraux de l'Alpina déclare expressément : « l'alliance maçonnique n'est donc ni une association religieuse, ni une association ecclésiastique. Elle n'exige de ses membres aucune profession de foi. » D'autre part, elle ne se pose pas non plus en négateur de toute religion, mais prend nettement position en proclamant, toujours dans le même chiffre IV: «le franc-maçon révère Dieu sous le nom de grand architecte de la nature », et en spécifiant encore à l'égard des différentes religions que : « quelle que soit la religion qu'il professe, le franc-maçon pratique la plus entière tolérance envers ceux qui ont d'autres convictions. » Le chiffre V ajoute: «l'alliance maçonnique affirme la liberté de conscience, de croyance et de pensée. Elle repousse toute entrave à ces libertés. Elle respecte toutes les convictions sincères et réprouve toute persécution de nature religieuse ou politique ». Il en ressort que la franc-maçonnerie ne donne pas la préférence à une religion plutôt qu'à une autre. Elle accepte comme membres les fidèles de toutes les confessions et ne leur demande que de se montrer tolérants les uns à l'égard des autres. Et c'est précisément ce que prescrit l'article 49 de la constitution fédérale. Celui-ci n'entend pas garantir à certaines églises le droit de s'épanouir, sans rencontrer aucune entrave, ni obliger les individus à s'affilier à une église chrétienne ou à une religion quelle qu'elle soit. Il prétend, au contraire, ne produire qu'un effet négatif, c'est-à-dire empêcher une contrainte quelconque de s'exercer en matière religieuse parce que la foi est une question d'ordre interne et non de contrainte extérieure. La garantie constitutionnelle (art. 50) du libre exercice des cultes dans les limites compatibles avec l'ordre public et les bonnes moeurs s'inspire des mêmes principes. Les stattits de
la franc-maçonnerie ne portent atteinte ni à l'une ni à l'autre de ces garanties constitutionnelles. Mais les adversaires font valoir que c'est là une apparence et que la réalité est tout autre. En fait, la franc-maçonnerie serait un adversaire déclaré de toute croyance religieuse, notamment du christianisme. A quoi l'on peut répondre qu'une association hostile à la religion ne viole pas la liberté de conscience et de croyance tant qu'elle ne se comporte pas de manière à troubler la paix religieuse. La simple atteinte portée aux sentiments religieux d'autrui ne peut donner à l'Etat le droit d'intervenir, en vertu des articles 49 et suivants de la constitution fédérale, que si les préceptes et les institutions du culte sont l'objet d'attaques publiques, incompatibles avec le respect dû aux convictions d'autrui (Burckhardt, p. 445). Mais rien n'établit d'une manière positive que la franc-maçonnerie outrepasse d'une manière ou d'une autre

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les limites tracées par la constitution fédérale. Nous n'avons rien pu non plus relever à ce sujet dans les procès-verbaux et autres documents dont on nous a donné connaissance. A notre avis, la preuve d'une violation de la liberté de croyance et de conscience n'a donc pas été apportée.

Y a-t-il lieu néanmoins d'interdire la franc-maçonnerie parce qu'hostile à la religion ? Il est certain qu'elle est en grave conflit avec l'Eglise catholique, ainsi que le démontrent déjà les nombreuses excommunications prononcées. Elle combat, en particulier, l'autorité des dogmes et il est incontestable que certains Grands Orients et grandes loges font profession d'athéisme (p. ex. le Grand Orient de France). Mais on ne peut pas prétendre que la franc-maçonnerie rejette absolument la doctrine chrétienne.

Son fondateur, Anderson, n'était-il pas un ecclésiastique anglais et ne compte-t-elle pas aujourd'hui encore, en Suisse, de nombreux pasteurs protestants ? Le rite rectifié fait d'ailleurs du développement du christianisme un de ses buts principaux. Les autres sociétés suisses de francsmaçons exigent au moins de leurs membres la croyance en un être supérieur et la tolérance envers toutes les confessions. Elles comptent toutes la Bible au nombre de leurs insignes, à côté de l'équerre et du compas, et la placent, lors des assemblées, sur le pupitre du président. Enfin, n'oublions pas non plus qu'il ne serait pas possible d'interdire la franc-maçonnerie en raison de son hostilité à la religion sans limiter, dans une certaine mesure, la liberté de croyance et de conscience et qu'une restriction de cette nature, édictée pour un cas spécial, n'échapperait pas à l'odieux d'une loi d'exception violant le principe de l'égalité devant la loi.

6. On prétend aussi que la franc-maçonnerie est entre les mains des Juifs, établissant ainsi une certaine corrélation avec l'allégué précédent (chiffre 5 ci-dessus). C'est pourquoi elle serait hostile aux religions chrétiennes et chercherait à influencer la politique dans un sens favorable a la haute finance israélite. Il est exact que certains rites franc-maçonniques présentent quelque analogie avec les usages juifs, et l'on peut avoir été amené ainsi à penser qu'il s'agissait d'une institution principalement juive. Mais il ne faut pas oublier que bon nombre de sociétés de francsmaçons
n'excluent, en principe, que les Juifs. C'est le cas, par exemple, en Suisse, du rite écossais rectifié. Par contre, les Juifs sont admis, au même titre que les autres races et confessions, par d'autres sociétés de francs-maçons. Ils n'y jouent pas d'ailleurs un rôle prépondérant. Selon les données de la grande loge Alpina, la franc-maçonnerie suisse ne compte au maximum que de un à deux pour cent de Juifs. Et cela semble bien correspondre à la réalité d'après la liste des membres établie en 1932.11 faut relever, en outre, que, parmi ces Israélites, on ne trouve que peu de noms connus. C'est déjà une raison de ne pas craindre qu'ils puissent jouer, dans les loges suisses, un rôle par trop important et dangereux pour l'Etat, alors même que, toute proportion gardée, ils atteignent, dans les loges, un nombre plus élevé que dans le chiffre de la population, où ils ne figurent

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qu'à raison de quatre pour mille. Au surplus, on peut renvoyer au procès plaidé à Berne au sujet des protocoles des sages de Sion.

7. Le public se demande avec un vif intérêt quelle est en réalité l'influence de la loge sur la nomination des fonctionnaires et sur les affaires de l'Etat. On s'imagine notamment que, par sa protection, elle arrive à faire entrer un nombre disproportionné de ses adhérents au service de l'Etat, à leur faire occuper les postes importants et à acquérir ainsi, sur la gestion de l'Etat, une influence qui s'exerce plus au profit de la franc-maçonnerie et de ses membres qu'à celui de la collectivité. On croit volontiers que les francs-maçons, membres des autorités, s'emploient à faire nommer des frères aux différents postes officiels, comme l'exigerait leur devoir de francmaçon. Et ces frères, en travaillant en secret, seraient en mesure non seulement d'influencer la marche des affaires de l'Etat, mais aussi de faire accorder aux francs-maçons en général toutes sortes de faveurs, ainsi, dans les mises en adjudication de travaux, dans l'octroi de concessions ou d'autorisations de tous genres (p. ex. autorisations d'importation ou d'exportation), ou encore de contingents, etc. -- On va même parfois jusqu'à prétendre que les décisions de l'administration ou les arrêts des tribunaux sont dictés ou influencés par les intérêts particuliers de la francmaçonnerie.

Ces accusations ne doivent pas être prises à la légère. En effet, elles sont de nature, non seulement à attribuer à la franc-maçonnerie une influence forte et néfaste, mais encore à faire douter de l'intégrité de notre administration et de nos tribunaux. En ce qui concerne la nomination des fonctionnaires, il peut arriver qu'une fois ou l'autre un franc-maçon soit appuyé par d'autres frères ou même par une loge. Mais il en est de même des membres de beaucoup d'autres sociétés que l'on ne songe pas à taxer de dangereuses pour l'Etat. A dire vrai, la situation est assez différente. En effet, le franc-maçon n'est pas connu comme tel du grand public ; celui-ci ne peut donc pas se rendre compte du nombre de francs-maçons employés par l'Etat et discerner s'ils n'occupent pas une position spéciale par rapport aux autres fonctionnaires non affiliés à la franc-maçonnerie.

Il est certainement regrettable, du point de vue démocratique,
que le peuple ne puisse pas ainsi exercer son droit normal de contrôle, bien qu'il soit possible de prouver que le secret observé sur la liste des membres de la franc-maçonnerie est inoffensif en soi et peut s'expliquer par des raisons parfaitement plausibles. Nous dirons plus loin si, à notre avis, ce secret justifierait, à lui seul, l'interdiction de la franc-maçonnerie. Pour le moment, nous nous demanderons simplement si la franc-maçonnerie exerce vraiment et aussi fortement qu'on le prétend son influence sur la conduite des affaires de l'Etat. Tout d'abord, il importe de relever à ce propos qu'on a, en général, grandement surestimé le nombre des francsmaçons au service de l'Etat et, notamment, de ceux qui occupent un emploi impliquant certaines fonctions dirigeantes. Cela provient probablement

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de ce que les listes des membres sont tenues secrètes. Ainsi, d'après ce que nous avons pu établir, les chambres fédérales compteraient actuellement, en tout et pour tout, cinq francs-maçons (soit 2% environ). Suivant les listes des membres, ce pourcentage ne doit guère être plus élevé dans les administrations de la Confédération, des cantons et des communes; relevons, en outre, qu'il y est relativement plus élevé en Suisse occidentale que dans le reste du pays. Si nous sommes bien informés, aucun des membres du Conseil fédéral, du Tribunal fédéral et du Tribunal fédéral des assurances ne fait partie de la franc-maçonnerie. On peut donc dire sans exagérer que, numériquement, la franc-maçonnerie n'exerce pas, en Suisse, une influence disproportionnée ou même inquiétante, au sein des autorités législatives, administratives et judiciaires du pays. Et nous avons déjà vu plus haut qu'autant que nous en pouvons juger, cette influence ne revêt pas un caractère dangereux pour l'Etat.

Examinons encore si les francs-maçons au service de la Confédération, des cantons et des communes abusent, sous une forme ou sous une autre, de leur position, en faveur de frères ou de la loge dans son ensemble. Nous pouvons dire à ce propos, contrairement à ce que l'on prétend souvent, que nous n'avons trouvé nulle part formulée l'obligation de pratiquer des actes de favoritisme de ce genre-là. Et, en fait, nous n'en connaissons pas non plus. Si quelque chose de positif nous parvenait à ce sujet, nous ne manquerions cependant pas de prendre de rigoureuses mesures pour tirer la chose parfaitement au clair, frapper les coupables et empêcher de pareils faits de se renouveler. Nous considérons, en effet, comme un de nos devoirs les plus sacrés de faire régner les principes traditionnels d'incorruptibilité, d'impartialité et de probité ; c'est pourquoi nous sommes heureux d'être informés de tout ce qui peut porter atteinte à ces principes. Par contre, nous devons nous opposer de la manière la plus formelle à ce que l'on avance, sans aucune base sérieuse et souvent avec légèreté, et répande dans le public des bruits de nature à porter non seulement un grave préjudice au corps des fonctionnaires, mais encore à ébranler, sans motif, la confiance en l'administration et en l'Etat lui-même.

On énonce les mêmes griefs à l'égard de la
franc-maçonnerie en matière de concurrence privée. On lui reproche, en particulier, de favoriser ses membres dans toute la mesure du possible et de chercher à abattre brutalement tout ce qui peut leur faire concurrence. Tant que les moyens employés demeurent dans les limites légales, l'Etat ne saurait prononcer une interdiction quelconque sans violer la liberté de commerce et d'industrie.

8. Ce qui rend la franc-maçonnerie particulièrement suspecte à certains milieux étendus de la population, c'est le mystère dont elle entoure ses membres et son activité. La méfiance et les attaques ne visent d'ailleurs pas seulement la franc-maçonnerie, mais toutes les sociétés secrètes. Pourquoi craindre le grand jour de la publicité, se demande le profane, s'il n'y a rien d'illicite ou d'inconvenant à cacher ? N'est-il pas tentant d'assi-

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miler la franc-maçonnerie à d'autres sociétés secrètes qui, elles, se sont avérées dangereuses pour l'Etat, telles que la Camorra, la Mafia, le KuKlux-Klan, etc. ? Du côté franc-maçonnique, on répond que la francmaçonnerie n'est nullement une société secrète, mais uniquement une société fermée. Tout le monde connaît l'existence de la loge et le lieu de sa réunion. L'histoire, les principes et le but de la franc-maçonnerie peuvent être étudiés dans chaque bibliothèque. Les listes des membres, elles-mêmes, sont pour la plupart déposées publiquement et peuvent être consultées notamment par les autorités. Seuls sont tenus secrets quelques signes et usages destinés à permettre aux maçons de se reconnaître entre eux et à exercer une certaine influence morale. Au surplus, sileslistes des membres ne sont pas publiées intégralement, c'est que l'Eglise catholique frappe de peines sévères l'appartenance à la loge, que les francs-maçons pourraient craindre un boycottage économique et que les rites de l'association pourraient être exposés à devenir la risée du public.

Il y a longtemps que l'on discute ce que signifie le terme de « société secrète ». Rentrent certainement sous cette dénomination les sociétés dont l'existence, les statuts, les buts, l'activité, la composition et tous autres caractères essentiels demeurent secrets. Mais l'on se demande aussi s'il suffit du mystère enveloppant l'un de ces éléments pour faire de la société une société secrète. Nous n'avons cependant pas à trancher cette question ici.

Tout ce que nous avons à décider, c'est si le mystère dans lequel se voile la franc-maçonnerie suisse peut être toléré ou non. On peut admettre ici comme établi que la franc-maçonnerie n'est pas une société secrète, c'est-à-dire une société qui cherche à cacher son existence. En fait, les loges bleues étaient déjà inscrites au registre du commerce comme associations à l'époque où les associations étaient obligatoirement soumises à cette formalité. Il est vrai qu'une partie d'entre elles se sont fait radier dès lors, comme la plupart des autres associations, afin d'éviter des frais et de la peine inutiles. Ainsi, la loge Espérance de Berne a figuré, de 1883 à 1924, au registre du commerce et a procédé aux publications utiles. A notre connaissance, les sociétés des hauts grades n'étaient, par contre,
pas inscrites.

Mais leur existence même n'a jamais été tenue secrète. D'autre part, on ne peut pas prétendre non plus qu'il s'agisse simplement d'une société fermée parce que l'accès n'en serait pas possible à chacun. Cela ressort déjà du chiffre IX des principes généraux, qui prévoit que: «L'aluance elle-même, son histoire, ses principes et son but ne sont point un mystère.

Cependant, il n'est pas permis aux maçons de communiquer les signes servant essentiellement à se reconnaître réciproquement et les usages propres à sauvegarder l'influence morale que la loge est appelée à exercer ».

Mais, en fait, le secret va quelque peu au delà de ces affirmations.

Les listes des membres, en particulier, sont tenues secrètes dans toute la mesure du possible. L'apprenti doit aussi promettre solennellement de garder une discrétion absolue sur ce qui se passe à l'intérieur de la loge.

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Tout cela n'est certainement pas contraire au droit en vigueur. Y a-t-il lieu cependant d'en prendre ombrage ?

Certainement non pour ce qui est du mystère enveloppant les rites et les usages. Les adversaires de la franc-maçonnerie eux-mêmes ne prétendent pas y découvrir quelque chose d'illicite ou de dangereux pour l'Etat. Tout ce que l'on a prétendu dévoiler à ce sujet s'est toujours révélé une véritable tromperie. Ce fut le cas notamment de l'affaire Léo Taxil au congrès antimaçonnique de Trente en 1895 auquel le grand public d'alors voua une attention passionnée. On peut parfaitement admettre d'ailleurs que cette discrétion est nécessaire et qu'elle préserve de la moquerie certains usages difficilement compréhensibles pour les profanes. En outre, il faut reconnaître que tout le rituel sur lequel est basée la franc-maçonnerie perdrait toute signification si le secret venait à être levé.

Les signes de reconnaissance ne sont, au fond, qu'une conséquence logique du secret gardé sur l'appartenance à la franc-maçonnerie. Le secret prescrit à leur égard n'a donc aucune signification par lui-même.

Il reste encore à examiner le secret observé au sujet des listes des membres, des statuts et des délibérations. Remarquons tout d'abord qu'il ne s'agit nullement d'une discrétion absolue. Le maçon n'est pas tenu de dissimuler sa qualité de maçon, et les listes des membres, les statuts et les délibérations sont accessibles au public ou tout au moins à certains milieux très restreints.

D'autre part, il faut relever qu'une grande partie des associations ne publient ni leurs statuts, ni leurs listes des membres, ni les résultats de leurs délibérations. Ce serait d'ailleurs trop exiger d'elles peut-être que de leur demander de le faire. Mais il n'en reste pas moins que la franc-maçonnerie se distingue nettement des autres sociétés fermées en ce qu'elle oblige ses membres à observer, même après leur sortie, la discrétion la plus absolue sur les usages, les délibérations et les listes des membres. Même ainsi limité, le secret n'en complique pas moins la surveillance de l'Etat sur ces sociétés, leur activité et leur fortune imposable. Il est certainement fâcheux (v. Bonhôte: La liberté d'association en droit public fédéral suisse, thèse, Lausanne, 1920). Mais cela ne suffit point encore à le faire considérer comme
dangereux pour l'Etat. La situation serait autre si la franc-maçonnerie se proposait par là d'atteindre des buts illicites ou pour le moins inavouables et de donner ainsi, aux autorités et au public en général, le change sur ses véritables intentions. Mais les expériences faites avec la franc-maçonnerie, depuis deux cents ans qu'elle existe en Suisse, ne permettent pas de dire que cela soit le cas chez nous. On ne saurait pas non plus le présumer si le maintien du secret peut s'expliquer de quelque autre manière plausible. On a invoqué la crainte des pénalités prononcées par l'Eglise catholique et du boycottage. Cela ne paraît guère suffisant; d'autres sociétés se trouvent dans une situation pareille et ne croient pas devoir recourir au secret. En cette matière, la tradition semble jouer

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un rôle important. On sait, en effet, que la franc-maçonnerie tire ses origines des corporations de maçons et de tailleurs de pierre du moyen-âge, qui conservaient jalousement secret l'art de construire les cathédrales. Par la suite, la franc-maçonnerie fut, en raison de ses principes libéraux, démocratiques et républicains, interdite dans de nombreux Etats et notamment dans les Etats à monarchie absolue; ses membres s'y virent frappés de diverses pénalités, en raison de leurs tendances jugées dangereuses pour l'Etat. Il ne lui fut alors plus possible de continuer à subsister dans ces Etats que sous la forme de société secrète au sens propre du terme. C'est encore le cas aujourd'hui dans quelques pays, mais nullement en Suisse, où ces raisons n'existent en aucune manière. D'autre part, il serait vain de vouloir invoquer des motifs de solidarité à l'égard des francs-maçons de ces pays. Cela paraît inconcevable aussi longtemps que la franc-maçonnerie suisse ne conspire pas ou ne se livre pas à de l'agitation contre le gouvernement d'un Etat étranger. Et rien actuellement ne permet d'envisager cette hypothèse.

Vu ce qui précède, le secret maçonnique ne nous paraît pas non plus être une raison suffisante pour envisager l'interdiction de la franc-maçonnerie. Il faut cependant reconnaître qu'à plus d'un point de vue, l'Etat aurait intérêt à voir la franc-maçonnerie renoncer à cette institution.

Nous avons terminé ainsi l'examen des principaux griefs exprimés contre la franc-maçonnerie. Ainsi qu'on l'a vu, les uns sont mal fondés et les autres ne sont pas assez graves pour justifier l'insertion dans la constitution fédérale d'une disposition spéciale interdisant la franc-maçonnerie.

IV. ODD FELLOWS, UNION ET SOCIÉTÉS SIMILAIRES La demande d'initiative n'est pas dirigée uniquement contre la francmaçonnerie, mais encore contre les Odd Fellows, la société philanthropique Union, ainsi que « toutes autres sociétés affiliées ou similaires ». Nous devons donc encore nous déterminer à l'égard de ces diverses sociétés.

Nous pourrons d'ailleurs le faire d'une manière plus sommaire, ces sociétés étant moins gravement attaquées que la franc-maçonnerie elle-même.

D'autre part, comme elles sont assez semblables, sur certains points, à la franc-maçonnerie, nous pourrons nous référer à ce qui a été dit de cette dernière pour un certain nombre de questions.

1. Odd Fellows.

L'« Independent Order of Odd Fellows » (I. 0. 0. F.) porte, en Suisse, le nom de « Ordre indépendant des Odd Fellows ». Il est constitué sur le modèle de la franc-maçonnerie, dont il est probablement issu. Selon ses statuts, il tend au perfectionnement moral de ses membres par l'enseigne-

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ment et la vie en société ; sa devise résume ses tendances par les trois mots : « Amitié, amour du prochain et vérité ». Né en Angleterre, il prit une large extension dans toute une série d'Etats européens et en Amérique. Moins répandu que la franc-maçonnerie, il compte cependant 2,6 millions environ d'adhérents. En Suisse, ü est représenté par 1749 adhérents (à fin 1934), dont 513 dans le canton de Berne.

Les premières loges d'Odd Fellows furent fondées en Angleterre, au milieu du XVIIIe siècle, par des ouvriers auxiliaires de l'industrie du bâtiment ne jouissant d'aucun des privilèges conférés à ce corps de métier.

De là, le nom de ces loges, qui peut se traduire en français par « compagnons bizarres » ou aussi par « compagnons surnuméraires ». En 1817, Thomas Wildey passa d'Angleterre aux Etats-Unis, où, muni d'une charte de la grande loge anglaise, il fonda d'autres loges, qui, en 1825, constituèrent ensemble une grande loge. Des Etats-Unis, l'ordre fut introduit en Allemagne en 1870, puis, en 1871, de Stuttgart à Zurich. Par la suite, des loges s'ouvrirent à Baden, Berne, Baie, Schaffhouse, Langenthal, Rheinfelden, Thoune, Winterthour, Aarau, Olten et Lucerne. A l'inverse de la francmaçonnerie, cet ordre est représenté presque exclusivement en Suisse alémanique. Les loges sont réunies en une grande loge suisse, dont la fondation remonte à une charte délivrée, en 1873, renouvelée en 1891 et 1903, par la grande loge souveraine des Etats-Unis d'Amérique, en sa qualité d'autorité suprême de l'ordre des Odd Fellows et dont dépendent encore une loge à Paris et une loge à Strasbourg. Par la suite, l'ordre s'étendit encore au Danemark, à la Suède, à la Norvège, à la Hollande, à la Belgique, à la France, à l'Autriche, à la Pologne et à la Tchécoslovaquie.

Dès les débuts, l'ordre s'assigna comme tâche principale de visiter les malades, de rendre les derniers devoirs aux morts, d'aider les nécessiteux, d'assister les veuves et d'élever les orphelins. Ennoblir les moeurs en cultivant l'amitié, la bonté, l'amour du prochain et la vérité, tel est le programme de l'ordre. Les membres de la loge doivent faire le bien en silence. Il se réunissent chaque semaine à la loge pour y cultiver leurs idéals et la vie de société. Les discussions portant sur la politique et la religion doivent être évitées. Certains
rites sont observés. Comme dans la franc-maçonnerie, les loges connaissent trois grades (amitié, fraternité et vérité). Des camps décernent les trois grades supérieurs : grade de patriarche, grade de la règle de vie d'or, grade de la pourpre royale. En Amérique, les hauts grades portent uniforme et sont organisés militairement.

L'organisation rappelle celle de la franc-maçonnerie.

En Suisse, seuls les hommes peuvent faire partie d'une loge. Dans d'autres pays, les femmes aussi peuvent se réunir en loges (loges de Rébecca).

Pour être admis, le candidat doit être âgé de vingt ans, intègre, de caractère noble, doit croire à l'existence d'un être suprême et être capable de vivre Feuille fédérale. 88e année. Vol. II.

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honnêtement lui et sa famille. Tout membre peut se retirer après s'être acquitté de ses obligations envers la loge. Comme dans la franc-maçonnerie, les affiliés sont tenus d'observer la plus stricte discrétion sur ce qui se passe à la loge. Le président de la loge porte le titre de maître (pendant du maître en chaire) et remplit à peu près les fonctions d'un président de société. Son représentant est le sous-maître. La loge nomme, en-outre, un ou plusieurs secrétaires et un trésorier. Ces officiers et les ex-maîtres forment le comité. La loge choisit, de plus, parmi les frères du troisième grade un certain nombre de commissions chargées de l'examen des comptes, de l'assistance des malades, veuves et orphelins et des épreuves. Des cercles sont formés dans les localités qui ne comptent pas suffisamment de membres pour constituer une loge.

Toutes les loges et cercles suisses relèvent de la grande loge suisse, dont le siège est à Baie. C'est l'autorité suprême de l'ordre en Suisse; elle exerce le pouvoir législatif et judiciaire dans toutes les questions concernant l'ordre. Elle se compose des grands représentants (choisis parmi les ex-maîtres des loges et camps à raison d'un grand représentant par trente membres), des officiers nommés par les membres de la grande loge qui forment entre eux le bureau (le président central, le vice-président central, le grand trésorier central et le secrétaire central) et des officiers nommés par le président central (grand maître des cérémonies et grand surveillant). Ont le droit de vote dans la grande loge : les officiers,- les grands représentants et l'exprésident central. Celui-ci exerce la présidence. Il existe en outre toute une série de commissions. Les séances ordinaires de la grande loge n'ont heu que tous les deux ans.

En matière d'assistance sociale, les Odd Fellows ont organisé une caissemaladie, une caisse d'assistance, une caisse de veuves et d'orphelins et un fonds spécial de bienfaisance.

Les griefs formulés à l'égard des Odd Fellows sont à peu près semblables à ceux qui sont adressés à la franc-maçonnerie, à cette différence près que la première de ces associations est considérée comme moins dangereuse.

En ce qui concerne le danger que l'ordre peut présenter pour l'Etat relevons que, lors de son admission, l'Odd Fellow est averti solennellement du
fait que l'ordre n'admet « rien de ce qui est contraire à la fidélité à la patrie et aux devoirs envers soi-même ». Les armoiries de l'ordre suisse reproduisent une Helvétie assise et la croix fédérale.

Il ne nous paraît pas exact, non plus, de prétendre que les Odd Fellows sont tenus de se soumettre aux instructions de supérieurs étrangers. Pour dire vrai, la grande loge suisse tire son existence d'une charte émanant de la grande loge suprême des Etats-Unis. Mais cela n'entraîne aucune autre obligation et ne crée aucun rapport de dépendance. Au contraire, la charte débute en spécifiant que la grande loge suisse est élevée « à la

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pleine souveraineté et à la pleine indépendance dans la confrérie Odd Fellow ». Les décisions et les règlements de la grande loge n'ont pas besoin d'être confirmés par quelque autre autorité. De plus, les statuts ne permettent pas de conclure que des prestations en argent ou de quelque autre nature doivent être faites à une autorité supérieure. Il n'existe pas de rapport de subordination de bas en haut à l'égard de l'étranger, mais bien de haut en bas, en ce sens que la grande loge suisse exerce la haute surveillance sur les loges françaises, tant et aussi longtemps qu'il n'y a pas de grande loge en France. Les grandes loges indépendantes se réunissent, il est vrai, à certaines époques (conférence des présidents centraux) et discutent des questions intéressant l'ordre dans son ensemble. Mais ces conférences ne prennent pas de décisions ayant force obligatoire; elles se bornent à formuler des recommandations. Nous avons pu prendre connaissance des recommandations adoptées en 1926 et reproduites dans un rapport imprimé. Nous n'avons nullement eu l'impression qu'elles contenaient quelque chose de dangereux pour l'Etat.

On reproche aussi aux Odd Fellows, comme à la franc-maçonnerie, son système de favoritisme. Nous pouvons nous référer ici à ce que nous avons dit à propos de la franc-maçonnerie. Nous ajouterons qu'à leur entrée dans la loge, les candidats sont avertis que ni l'ordre, ni ses membres, ne leur aideront à atteindre des buts égoïstes ou matériels quelconques.

D'après les statuts, une aide matérielle peut être accordée aux survivants des membres défunts. Cet ordre est beaucoup moins influent en Suisse que la franc-maçonnerie. Il ne paraît compter, par exemple, que deux affiliés au sein des chambres fédérales.

Enfin, qu'en est-il du secret ? Ici encore nous pouvons renvoyer à ce qui a été dit plus haut. En ce qui concerne les signes secrets de reconnaissance, on fait valoir que les institutions de bienfaisance de l'association pourraient être mises à contribution par des personnes n'y ayant aucun droit. A quoi l'on peut répondre évidemment qu'il existe pourtant aujourd'hui d'autres moyens d'identification tout aussi sûrs. Les listes des membres sont tenues secrètes, explique-t-on, afin de ne pas exposer les sociétaires à être boycottés par des personnes non affiliées. A différentes reprises,
ces listes seraient tombées entre des mains où elles n'avaient que faire et auraient été publiées, ce qui aurait été une source de désagréments pour certains membres. Toutefois, on n'aurait pas donné suite à l'idée de réduire encore le tirage imprimé de ces listes ou de ne les remettre qu'aux officiers.

On peut certainement conclure de ce qui précède qu'en Suisse, l'ordre des Odd Fellows ne présente rien de dangereux pour l'Etat et qu'il n'y a pas heu de l'interdire.

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2. La société philanthropique Union.

Si l'initiative fait figurer cette société au nombre des associations à interdire, c'est uniquement parce qu'elle rentrait dans le cadre des sociétés secrètes. Mais cette raison n'existe plus. En effet, l'assemblée des délégués de l'Union a décidé, le 12 mai 1934, de supprimer le secret (L'Epi, 1934, p. 374). Le serment prêté jusqu'alors a été remplacé par une déclaration publique sur l'accomplissement des devoirs de sociétaire. Cette société fut fondée, en 1843, par Fritz Marchand, tant pour remplir certaines tâches de bienfaisance que pour cultiver l'amitié entre ses membres. Elle pratique certains rites spéciaux. Les auteurs de l'initiative ne. formulent aucun grief particulier à son endroit. De notre côté, nous ne voyons pas non plus ce qui pourrait être reproché à cette société, qui, à notre connaissance, ne se consacre pas à d'autres tâches que celles qui sont énoncées ci-dessus et se place entièrement sur le terrain national.

3. Associations affiliées

ou similaires.

L'initiative entend interdire encore, en plus des sociétés nommément désignées, « les associations affiliées ou similaires ». Il faut entendre par « affiliées » toutes les sociétés rattachées organiquement aux précédentes.

Elles doivent être traitées de la même manière que les sociétés-mères.

La similitude doit se déterminer à l'aide du critère que constitue le secret observé par ces sociétés. L'initiative entend, en effet, combattre toutes les sociétés secrètes dans le sens large du terme. Il faut faire rentrer ainsi dans cette catégorie le martinisme, l'ordre cabalistique de rosé-croix, l'ordre des illuminés, l'ordre des bons-templiers, l'ordre indépendant B'nai B'rith, la Schlaraffia et le Rotary-Club international. A notre connaissance, les trois premiers ne sont pas représentés en Suisse, à moins que l'ordre des illuminés, dont Pestalozzi fit partie, n'y compte encore quelques membres tout au plus. Il n'est donc pas nécessaire de s'arrêter plus longuement à ces trois sociétés.

L'ordre des bons templiers, organisé d'une manière assez semblable à la franc-maçonnerie, a été considéré souvent comme dérivant de cette société. En fait, il semble en être absolument indépendant. Fondé en 1852 à New York, il exige que ses membres renoncent absolument à toute boisson alcoolique. Il est neutre au point de vue religieux. Mais l'Eglise catholique l'interdit à ses fidèles. On sait que le naturaliste suisse Auguste Forel en fut un membre zélé jusqu'à sa mort. Sans compter qu'il ne se propose aucun but illicite, il ne devrait pas rentrer dans le cadre de l'initiative déjà pour la raison qu'il ne s'agit nullement d'une société secrète.

Il en est de même de la Schlaraffia, fondée en 1859 à Prague. Elle cultive la gaîté et l'art, la fraternité, la tolérance et la concorde, en observant un certain cérémonial emprunté à la chevalerie. A notre avis, il n'y a pas lieu de s'y arrêter plus longuement.

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L'ordre B'nai B'rith indépendant présente certaines analogies avec la franc-maçonnerie. Fondé en 1843, à New York, par des Juifs allemands, il n'accepte comme membre que des Juifs. Il en existe deux loges en Suisse : l'une à Baie et l'autre à Zurich (loge Augustin Keller). La bienfaisance et certaines réunions de société sont ses seuls buts. Pendant la guerre, il s'est occupé de l'assistance des blessés. Il paraît inoffensif.

Enfin, mentionnons encore le Rotar y-Club international, fondé en 1905, à Chicago, par l'avocat Harris. Il se propose de procurer à ses membres de l'entr'aide dans la vie des affaires, en leur faisant faire des connaissances et nouer des relations. Chaque siège du club ne compte qu'un seul membre aussi eminent et habile que possible de chaque profession ou branche commerciale représentée. Toute discussion politique ou religieuse est interdite; les ecclésiastiques ne sont pas admis. Ses membres cherchent avant tout à se rendre utiles, à acquérir une haute conception des affaires et de la profession, à se mieux connaître et à développer le sentiment de la paix. On ne peut, semble-t-il, rien reprocher à ce club, qui compte 150,000 membres dans 67 pays différents.

Ce sont là les seules sociétés dont nous ayons à nous occuper dans le présent rapport.

Il ressort de ce qui précède qu'il n'est nullement nécessaire d'interdire les sociétés affiliées ou semblables à la franc-maçonnerie.

·

V. SOCIÉTÉS ÉTRANGÈRES

L'initiative entend encore ajouter à l'article constitutionnel un dernier alinéa, ainsi conçu : «Toute activité quelconque se rattachant directement ou indirectement à de semblables associations étrangères est également interdite sur le territoire suisse. » Cette disposition nous paraît destinée à compléter l'alinéa précédent et à s'opposer à toute manoeuvre tendant à tourner l'interdiction. Si l'on interdit, en Suisse, la franc-maçonnerie et les sociétés similaires, il faut veiller également à ce qu'elles ne puissent continuer à déployer leur activité dans le pays, sous le couvert d'un transfert de siège à l'étranger, ou encore à ce que leur activité ne soit pas reprise purement et simplement par des sociétés étrangères. Le sens de cet alinéa dépend donc de la suite qui sera donnée à l'alinéa précédent. Toutefois, nous ne pensons pas qu'il y aurait des raisons d'interdire à ces sociétés étrangères toute activité en Suisse, même dans le cas où elles pourraient y avoir leur siège. Le rejet de l'alinéa précédent de la demande d'initiative conduit à repousser également ce dernier alinéa.

VI. CONCLUSION En résumé, nous pouvons dire qu'à notre connaissance, rien n'établit que la franc-maçonnerie et les autres sociétés nommément énumérées

554 ou indirectement désignées par l'initiative soient illicites, dangereuses pour l'Etat ou contraires aux moeurs. En tout cas, l'abondante documentation que nous avons pu obtenir ne nous a pas apporté une preuve positive du contraire. De leur côté, les auteurs de l'initiative ne l'ont pas fournie non plus. Il est évident que l'on ne peut pas exiger des preuves strictes dans un domaine où l'on a affaire à des sociétés qui, dans toute la mesure du possible, cherchent à gard.er au moins secrète la liste de leurs membres.

Pour pouvoir introduire, à bon droit, dans la constitution fédérale, une interdiction spéciale, il aurait suffi d'établir certains faits constituant des indices graves et selon lesquels ces associations, par le but qu'elles poursuivent réellement ou par les moyens qu'elles emploient, violent l'esprit et la lettre de l'article 56 de la constitution. Mais il n'a pas été possible non plus d'établir aucun de ces faits. Il ressort, au contraire, des statuts que nous avons pu nous procurer, que toutes ces associations n'ont rien de contraire à la constitution dans les tâches qu'elles se proposent de remplir. Les expériences faites jusqu'à maintenant par les autorités n'aboutissent pas à une conclusion contraire. Si l'interdiction réclamée par l'initiative était inscrite dans la constitution, on aurait par conséquent abouti à restreindre la liberté d'association garantie par l'article 56. Le Conseil fédéral ne saurait, aujourd'hui encore, envisager pareille mesure.

A vrai dire, les circonstances actuelles ne sont plus celles d'autrefois; à une époque où les conditions politiques, sociales et économiques sont aussi tendues qu'elles le sont aujourd'hui, il n'est plus possible d'autoriser bien des choses qui auraient paru absolument inoffensives il y a quelques années. Mais faut-il vraiment aller jusqu'à tracer à la liberté d'association d'autres limites plus étroites ? Ainsi que nous l'avons vu, au début du présent rapport, l'article 56 de la constitution fédérale, dans sa teneur actuelle, permet de tenir compte du nouvel état de choses. Son origine remonte, en effet, à des temps également troublés, où, sous l'influence des nombreux réfugiés politiques des Etats voisins, les sociétés secrètes pouvaient être la cause de difficultés plus nombreuses que ce n'est le cas de nos jours.

Et,
malgré cela, il ne fut point question alors d'interdire les sociétés qui nous occupent aujourd'hui. C'est pourquoi les normes fixées par la constitution -- association illicite ou dangereuse pour l'Etat -- suffisent encore entièrement. Mais il ne faut pas oublier qu'une société absolument inoffensive en temps normaux, peut devenir dangereuse pour l'Etat dans d'autres circonstances. A notre avis, même en s'inspirant de la sévérité que dictent les circonstances actuelles, on doit reconnaître que les sociétés visées par la demande d'initiative ne tombent pas sous le coup de l'interdiction. D'ailleurs, on pourrait se demander aussi ce qu'il y aurait vraiment à gagner d'une interdiction. L'adjonction que la demande d'initiative entend apporter à l'article 56 ne se justifie donc pas. Mais cela ne signifie nullement qu'en se prononçant contre cette interdiction spéciale, le Conseil fédéral ne puisse pas néanmoins poursuivre la dissolution de l'une ou l'autre

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de ces sociétés, s'il venait à être prouvé, par des faits, qu'elles sont dangereuses pour l'Etat.

Par ces motifs, nous vous proposons

de décider, en vertu des articles 8 et suivants de la loi fédérale du 27 janvier 1892 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, de rejeter la demande d'initiative tendant à interdire les sociétés de francsmaçons et les loges, les Odd Fellows, la société philanthropique Union et les associations affiliées ou similaires (addition à l'article 56 de la constitution fédérale) et de la soumettre à la votation du peuple et des cantons, en en proposant le rejet sans présenter de contre-projet.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 4 septembre 1936.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération,

MEYER.

Le chancelier de la Confédération, G. BOVET.

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(Projet.)

Arrêté fédéral la demande d'initiative concernant la revision partielle de l'article 56 de la constitution fédérale (interdiction des sociétés franc-maçonniques et associations similaires).

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA

CONFÉDÉRATION SUISSE, vu la demande d'initiative concernant la revision partielle de l'article 56 de la constitution fédérale (interdiction des sociétés franc-maçonniques et associations similaires) et le rapport du Conseil fédéral du 4 septembre 1936; vu les articles 121 et suivants de la constitution et les articles 8 et suivants de la loi fédérale du 27 janvier 1892 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution, arrête :

Article premier.

La demande d'initiative concernant la revision partielle de l'article 56 de la constitution fédérale (interdiction des sociétés franc-maçonniques et associations similaires) sera soumise à la votation du peuple et des cantons. Cette demande d'initiative a la teneur suivante: « Les citoyens suisses soussignés, aptes à voter en matière fédérale et exerçant leurs droits politiques dans la commune de ..., demandent, en vertu de l'article 121 de la constitution fédérale, que celle-ci soit revisée partiellement à son article 56, et que ledit article soit remplacé par un article 56 nouveau, qui aurait la teneur suivante:

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« Les citoyens ont le droit de former des associations, pourvu qu'il n'y ait, dans le but de ces associations ou dans les moyens qu'elles emploient, rien d'illicite ou de dangereux pour l'Etat. Les lois cantonales statuent les mesures nécessaires à la répression des abus.

Cependant les sociétés franc-maçonniques, les loges maçonniques et Odd Pellows, la société philanthropique Union et les associations affiliées ou similaires sont interdites en Suisse.

Toute activité quelconque se rattachant directement ou indirectement à de semblables associations étrangères est également interdite sur le territoire suisse. »

Art. 2.

L'Assemblée fédérale recommande au peuple et aux cantons le rejet de la demande d'initiative.

Art. 3.

Le Conseil fédéral est chargé de l'exécution du présent arrêté.

Schweizerisches Bundesarchiv, Digitale Amtsdruckschriften Archives fédérales suisses, Publications officielles numérisées Archivio federale svizzero, Pubblicazioni ufficiali digitali

RAPPORT du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur la demande d'initiative populaire tendant à interdire la franc-maçonnerie et les sociétés similaires (addition à l'article 56 de la constitution). (Du 4 septembre 1936.)

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