08.061 Message relatif à l'initiative populaire «contre la construction de minarets» du 27 août 2008

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, Nous vous soumettons le message et le projet d'arrêté fédéral relatifs à l'initiative populaire «contre la construction de minarets» et vous proposons de soumettre cette initiative sans contre-projet au peuple et aux cantons en leur recommandant de la rejeter.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

27 août 2008

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Pascal Couchepin La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2008-2011

6923

Condensé L'initiative populaire «contre la construction de minarets», déposée le 8 juillet 2008, vise à insérer à l'art. 72 de la Constitution un al. 3 interdisant la construction de tout nouveau minaret en Suisse, sans exception possible. Le comité d'initiative avance que les minarets ne sont pas un édifice de caractère religieux mais le symbole d'une revendication de pouvoir politico-religieuse, contraire à la Constitution et au régime légal suisse. L'interdiction d'en construire, selon lui, ne porte pas atteinte à la liberté religieuse.

En vertu de l'art. 139, al. 2, de la Constitution, l'Assemblée fédérale doit déclarer totalement ou partiellement nulle toute initiative qui ne respecte pas les règles impératives du droit international. L'examen montre que tel n'est pas le cas de l'initiative «contre la construction de minarets», notamment pour ce qui est des droits intangibles garantis par les grands textes relatifs aux droits de l'homme ­ la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et le Pacte de l'ONU relatif aux droits civils et politiques (Pacte II de l'ONU). Cependant, elle porte sans conteste atteinte à plusieurs droits de l'homme garantis par le droit international: à la liberté de religion et de conviction et à l'interdiction de discrimination consacrées par les art. 9 et 14 CEDH, à l'interdiction de discrimination et à la liberté de religion et d'opinion consacrées par les art. 2 et 18 du Pacte II de l'ONU, ainsi que, éventuellement, à la protection des minorités garantie par l'art. 27 du pacte. Comme le texte de l'initiative est formulé de manière à n'autoriser aucune exception, il n'est guère envisageable d'en donner une interprétation conforme au droit international.

S'il devait entrer en vigueur, il entrerait en conflit avec les normes internationales relatives aux droits de l'homme.

L'initiative, qui vise selon ses auteurs à protéger le système qui régit la société suisse, est contraire à plusieurs valeurs fondamentales de notre Etat, inscrites dans la Constitution: ce sont l'égalité devant le droit (art. 8 Cst.), la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.), la garantie de la propriété (art. 26 Cst.), le principe de proportionnalité (art. 5, al. 2, Cst.) et le respect du droit international (art. 5, al. 4, Cst.).

Inscrire dans la Constitution une interdiction
sans limites ni exceptions de construire de nouveaux minarets reviendrait à restreindre des droits fondamentaux essentiels mais aussi à empiéter sur les compétences cantonales, et ce sans aucun égard au principe de proportionnalité. Les autorités locales sont les mieux à même de décider si l'érection d'un tel édifice doit être autorisée ou non. Elles peuvent se fonder sur les prescriptions communales et cantonales, notamment en matière de construction et d'aménagement du territoire. Il n'y a pas lieu de s'écarter de ce système, éprouvé, dans le seul cas des édifices religieux, d'autant moins en discriminant une communauté religieuse par rapport à toutes les autres.

De plus, l'interdiction de construire des minarets serait tout à fait impropre à atteindre l'objectif visé par les auteurs de l'initiative. Elle ne permettrait en aucune façon de combattre ou de prévenir les actes violents, attentatoires à la Constitution, des milieux extrémistes et fondamentalistes qui se réclament de l'islam. La planifi-

6924

cation, l'organisation et l'exécution de ces actes ont peu à voir avec ces édifices.

L'interdiction, au contraire, menacerait la paix religieuse car elle serait perçue comme une discrimination par la population musulmane. La Constitution et d'ailleurs l'ensemble de la législation suisse s'appliquent à tous, y compris aux musulmans de ce pays. Aucun d'eux ne peut invoquer un précepte religieux ou la charia pour se soustraire au droit. Mais s'ils ne peuvent se réclamer d'un statut spécial, ils ont aussi le droit d'être traités à l'égal des autres personnes et communautés religieuses qui vivent en Suisse, droit dont l'initiative fait litière.

A l'étranger, l'interdiction visée par l'initiative susciterait l'incompréhension et ternirait l'image de la Suisse, ce qui pourrait avoir des répercussions fâcheuses sur la sécurité des établissements suisses et sur nos intérêts économiques.

Le Conseil fédéral propose de soumettre l'initiative populaire «contre la construction de minarets» sans contre-projet au vote du peuple et des cantons en leur recommandant de la rejeter.

6925

Table des matières Condensé

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1 Aspects formels 1.1 Texte de l'initiative 1.2 Aboutissement 1.3 Délais de traitement

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2 Validité 2.1 Unité de la forme 2.2 Unité de la matière 2.3 Compatibilité de l'initiative populaire avec les règles impératives du droit international 2.3.1 L'art. 139, al. 2, Cst.

2.3.2 Définition des règles impératives du droit international (jus cogens) 2.3.3 Règles impératives du droit international dans la CEDH 2.4 Règles impératives du droit international dans le Pacte II de l'ONU

6928 6928 6929 6929 6929 6929 6931 6932

3 Contexte 3.1 Importance du minaret 3.1.1 Histoire et architecture du minaret 3.1.2 Signification et fonction du minaret 3.2 Situation actuelle en Suisse 3.3 Principes et restrictions régissant la construction de minarets sur le plan constitutionnel en droit positif 3.3.1 Le principe de l'égalité devant la loi et l'interdiction des discriminations (art. 8 Cst.)

3.3.2 La liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.)

3.3.3 La garantie de la propriété (art. 26 Cst.)

3.3.4 La garantie de la paix religieuse (art. 72, al. 2, Cst.)

3.4 Restrictions applicables en matière de droit de la construction 3.4.1 Autorisation de construire au sens de l'art. 22 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire 3.4.2 Prescriptions en matière de construction et de nuisances sonores 3.5 Mesures permettant de protéger les fondements démocratiques et constitutionnels et de lutter contre l'extrémisme 3.5.1 Mesures visant au maintien de la sûreté intérieure 3.5.2 Restrictions découlant de la législation sur les étrangers et mesures destinées à favoriser l'intégration des étrangers 3.5.3 Autres mesures

6932 6932 6932 6933 6933

4 Situation à l'étranger 4.1 Les règles concernant la construction de minarets dans les Etats voisins 4.1.1 Allemagne 4.1.2 France 4.1.3 Italie

6943 6943 6943 6943 6944

6926

6935 6935 6936 6937 6937 6938 6938 6938 6940 6940 6942 6942

4.1.4 Autriche 4.1.5 Synthèse 4.2 Situation dans certains pays musulmans concernant la construction d'édifices d'autres religions

6944 6944 6944

5 Buts et teneur de l'initiative 5.1 Buts de l'initiative 5.2 Réglementation prévue par l'initiative 5.3 Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

6945 6945 6945 6945

6 Appréciation de l'initiative 6.1 Appréciation des buts de l'initiative 6.1.1 Une interdiction inutile et disproportionnée 6.1.2 L'initiative populaire manque clairement son but 6.2 Exécutabilité 6.3 Compatibilité de l'initiative avec le droit international 6.3.1 Examen de la compatibilité avec l'art. 9 CEDH 6.3.2 Examen de la compatibilité avec l'art. 14 CEDH 6.3.3 Examen de la compatibilité avec l'art. 18 du Pacte II de l'ONU 6.3.4 Examen de la compatibilité avec l'art. 2 du Pacte II de l'ONU 6.3.5 Examen de la compatibilité avec l'art. 27 du Pacte II de l'ONU 6.3.6 Examen de la compatibilité avec d'autres traités internationaux 6.3.7 Conséquences d'une violation de la CEDH et du Pacte II de l'ONU 6.4 Conséquences sur le plan interne en cas d'acceptation 6.4.1 Une restriction à la liberté religieuse inutile et disproportionnée 6.4.2 Une inégalité de traitement dépourvue de justification 6.4.3 Un pas en arrière par rapport à la Constitution fédérale de 1999 6.4.4 Mise en péril de la paix religieuse et de l'intégration des musulmans en Suisse 6.4.5 Une atteinte aux compétences des cantons 6.4.6 Conséquences pour la garantie de la propriété 6.5 Conséquences pour la sécurité du pays et pour la politique et le commerce extérieurs

6946 6946 6946 6947 6948 6949 6950 6957 6959 6960 6961 6962

7 Absence de contre-projet

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8 Conclusions

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Arrêté fédéral concernant l'initiative populaire«Contre la construction de minarets» (Projet)

6971

6963 6964 6964 6965 6966 6966 6967 6967 6967

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Message 1

Aspects formels

1.1

Texte de l'initiative

L'initiative populaire «contre la construction de minarets» a la teneur suivante: La Constitution fédérale (Cst) est modifiée comme suit: Art. 72, al. 3 (nouveau) 3

La construction de minarets est interdite.

1.2

Aboutissement

L'initiative populaire fédérale «contre la construction de minarets» a été déposée munie de 113 540 signatures valables le 8 juillet 2008. Dans sa décision du 28 juillet 2008, la Chancellerie fédérale a établi que l'initiative avait abouti1.

La Chancellerie a procédé à l'examen préliminaire de l'initiative le 17 avril 2007, avant le début de la récolte de signatures, vérifiant la conformité de la liste de signatures aux exigences de forme et les traductions2. Sa décision mentionne la clause de retrait qui autorise sept des auteurs de l'initiative à la retirer sans réserve à la majorité absolue.

1.3

Délais de traitement

L'initiative «contre la construction de minarets», déposée le 8 juillet 2008, demande une révision partielle de la Constitution et revêt la forme d'un projet rédigé.

L'Assemblée fédérale doit décider dans les 30 mois si elle recommandera au peuple et aux cantons de l'accepter ou de la rejeter (art. 100 de la loi du 13 déc. 2002 sur le Parlement3). Elle doit donc l'examiner d'ici au 8 janvier 2011.

2

Validité

2.1

Unité de la forme

Une initiative peut soit être conçue en termes généraux soit revêtir la forme d'un projet rédigé (art. 139 [ancien], al. 2, et 194, al. 3, Cst.). Une forme mixte n'est pas autorisée (art. 75, al. 3, de la LF du 18 déc. 1976 sur les droits politiques4).

1 2 3 4

FF 2008 6259 FF 2007 3045 RS 171.10 RS 161.1

6928

L'initiative «contre la construction de minarets», qui revêt la forme d'un projet rédigé, respecte le principe de l'unité de la forme.

2.2

Unité de la matière

Une initiative doit ne porter que sur une matière (art. 139, al. 2, et 194, al. 2, Cst.).

L'initiative «contre la construction de minarets» concerne exclusivement l'interdiction d'ériger ce type d'édifice. Elle respecte donc le principe de l'unité de la matière.

2.3

Compatibilité de l'initiative populaire avec les règles impératives du droit international

2.3.1

L'art. 139, al. 2, Cst.

Selon l'art. 139, al. 2, Cst., l'Assemblée fédérale doit déclarer une initiative populaire totalement ou partiellement nulle lorsqu'elle ne respecte pas les règles impératives du droit international. Cette disposition découle des limites matérielles générales posées au constituant, qui ne peut pas opérer une révision totale ou partielle de la Constitution qui violerait les règles impératives du droit international (art.193, al. 4, et 194, al. 2, Cst.). Il nous faut donc examiner si tel est le cas de l'interdiction de construire des minarets en Suisse visée par les auteurs de l'initiative.

2.3.2

Définition des règles impératives du droit international (jus cogens)

La Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités5, à son art. 53, définit les normes impératives du droit international (jus cogens) comme des normes acceptées et reconnues par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que normes auxquelles aucune dérogation n'est permise et qui ne peuvent être modifiées que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère. Cette définition est aujourd'hui reconnue comme ayant un caractère universel, valable au-delà du cercle des Etats parties à la Convention de Vienne6. La caractéristique décisive de la norme impérative est son «indérogeabilité» (droit intangible)7.

La Convention de Vienne n'énumère pas les normes du droit international répondant à cette définition. Dans leur majorité, la doctrine et la pratique considèrent comme telles les dispositions essentielles du droit international que sont d'une part l'interdiction de l'usage de la force dans les relations entre Etats (art. 2, al. 4, de la Charte des Nations Unies du 26 juin 19458) et d'autre part les garanties élémentaires des droits de l'homme et du droit international humanitaire tels que l'interdiction de

5 6 7 8

RS 0.111.

Eva Kornicker, Ius cogens und Umweltvölkerrecht, Bâle 1997, p. 23.

Ibid., p. 53.

RS 0.120

6929

la torture et des traitements inhumains, la protection contre l'infliction arbitraire de la mort, l'interdiction de l'esclavage, de la piraterie et du génocide9.

Dans son message relatif à une nouvelle constitution fédérale, le Conseil fédéral a cité parmi les normes du jus cogens l'interdiction de la torture, du génocide et de l'esclavage, les garanties de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH)10 qui ne souffrent aucune dérogation, même en état de nécessité, et les principes du droit international humanitaire11. La plus grande partie du droit international n'a cependant pas un caractère impératif et ne peut pas constituer une limite absolue à la révision de la Constitution.

Une initiative populaire ne peut pas être déclarée nulle parce qu'elle enfreint des normes non impératives du droit international. Si elle est acceptée par le peuple et les cantons, les autorités fédérales doivent envisager de dénoncer l'accord international en question12.

En une seule occasion, l'Assemblée fédérale a dû déclarer nulle une initiative populaire qui violait des règles impératives du droit international: c'était l'initiative «pour une politique d'asile raisonnable» déposée en 1992. Le Conseil fédéral, ayant approfondi la notion de jus cogens dans le message relatif à cette initiative13, a confirmé la nature impérative de l'interdiction de la torture; la question qui se posait était de savoir s'il était possible de déroger à cette interdiction inscrite dans le droit international, en relation avec l'assouplissement du principe de non-refoulement demandé par l'initiative14.

Le Conseil fédéral a constaté, dans son message relatif à l'initiative populaire «pour une conception moderne de la protection des animaux (Oui à la protection des animaux!)» que la CEDH et le Pacte du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques15 (Pacte II de l'ONU), notamment, ont «un rang qui rend leur dénonciation de fait impossible»16. Pour ce qui est de la CEDH, il a souligné les «conséquences politiques très graves» qu'aurait une dénonciation, même si elle est en théorie possible. Il a cependant renoncé expressément à reconnaître ces dispositions comme des normes internationales impératives de facto au sens de l'art. 139, al. 2, Cst.17.

9

10 11 12 13 14

15 16 17

V. par ex. Stefan Oeter, Ius cogens und der Schutz der Menschenrechte, in: Stephan Breitenmoser/ Bernhard Ehrenzeller/Marco Sassòli/Béatrice Wagner Pfeifer (éd.), Menschenrechte, Demokratie und Rechtsstaat, Liber amicorum Luzius Wildhaber, p. 499 ss, 506.

RS 0.101 FF 1997 I 454 V. FF 1974 II 1152; 1994 III 1481 ss.

FF 1994 III 1471 FF 1994 III 1486, p.1493 ss. Dans les faits, seules trois autres initiatives populaires ont été déclarées nulles par l'Assemblée fédérale. La première, l'initiative «pour une réduction temporaire des dépenses militaires» (initiative «pour une trêve de l'armement» ou 1re initiative Chevalier), déposée en 1954, a été jugée inexécutable (v. FF 1955 II 341 ss.).

Les deux autres enfreignaient l'unité de la matière: l'initiative «contre la vie chère et l'inflation», déposée en 1975 (v. FF 1977 II 477 ss.) et l'initiative «pour moins de dépenses militaires et davantage de politique de paix», déposée en 1992 (v. BO 1995 N 1396 ss; BO 1995 E 369 ss). Ces cas se sont produits avant l'adoption de la Constitution de 1999.

RS 0.103.2 FF 2004 3077, p. 3088 FF 2004 3077, p. 3088. Il a confirmé cette position dans son message relatif à l'initiative populaire fédérale «pour des naturalisations démocratiques» FF 2006 8481.

6930

2.3.3

Règles impératives du droit international dans la CEDH

Remarques générales La CEDH ne fait pas mention explicite des règles impératives du droit international.

Son art. 15, al. 2, nomme cependant certaines garanties conventionnelles auxquelles aucune dérogation n'est possible, même «en cas de guerre ou en cas d'autre danger public menaçant la vie de la nation» (art. 15, al. 1, CEDH). Le fait qu'elles demeurent intangibles en état de nécessité est considéré comme un indice de leur nature impérative, si bien que les dispositions citées sont comptées parmi le jus cogens18.

L'initiative «contre la construction de minarets» ne touche aucun des droits auxquels il n'est pas possible de déroger même en état de nécessité, visés à l'art. 15, al. 2. Elle ne viole donc pas ces règles impératives du droit international.

Jus cogens et art. 9 CEDH L'art. 9 CEDH garantit la liberté de pensée, de conscience et de religion. L'al. 1 protège d'abord la conviction intime de l'individu, c'est-à-dire, pour ce qui est de la religion, la liberté de développer sa propre pensée religieuse et celle de changer de conviction (forum internum). Il garantit en outre le droit de manifester sa conviction religieuse, c'est-à-dire d'exprimer sa foi en public et de pratiquer une religion individuellement ou collectivement, en public ou en privé (forum externum)19. Dans cette dimension extérieure (dont relève la construction de minarets), et seulement dans celle-ci, la liberté religieuse peut être soumise à certaines limites prévues à l'art. 9, al. 2, CEDH. De plus, l'art. 9 CEDH n'est pas cité à l'art. 15, al. 2, CEDH, qui énumère les droits intangibles.

L'initiative «contre la construction de minarets» ne viole donc pas les règles impératives du droit international au regard de l'art. 9 CEDH. L'interdiction de construire des minarets n'empêcherait pas les musulmans de se former une conviction religieuse et de vivre en fonction de cette conviction, ni de pratiquer leur religion et d'en transmettre l'enseignement. Elle ne toucherait donc pas à la liberté religieuse intérieure ­ noyau dur de ce droit fondamental ­ qui, seule, pourrait prétendre à une protection absolue.

Jus cogens et art. 14 CEDH L'interdiction de discrimination de l'art. 14 CEDH se traduit par l'obligation d'assurer la jouissance des droits et libertés reconnus dans la convention sans distinction aucune. Il ne s'agit
pas là d'un des droits auxquels il n'est pas possible de déroger même en état de nécessité, visés à l'art. 15, al. 2, CEDH. L'initiative «contre la construction de minarets» ne viole pas de règles impératives du droit international au regard de l'art. 14 CEDH.

18 19

Kornicker, op. cit. (note 6), p. 59, notamment note 310; Oeter, op. cit. (note 9), p. 509.

Christoph Grabenwarter, Internationaler Kommentar zur Europäischen Menschenrechtskonvention, Cologne/Berlin/Bonn/Munich 1997, ad art. 9 CEDH, no 36 à 38 et 45; Mark E. Villiger, Handbuch der Europäischen Menschenrechtskonvention (CEDH), 2e éd., Zurich 1999, p. 382.

6931

2.4

Règles impératives du droit international dans le Pacte II de l'ONU

Jus cogens et art. 18 du Pacte II de l'ONU Comme la CEDH, le Pacte II de l'ONU ne mentionne pas explicitement les règles impératives du droit international, bien qu'il contienne un certain nombre de droits auxquels il n'est pas possible de déroger même en état de nécessité (art. 4, al. 1, du Pacte II de l'ONU). La liberté de pensée, de conscience et de religion y est considérée comme un droit auquel on ne peut déroger même en état de nécessité, au contraire de la CEDH. Cependant, cette disposition ne peut pas être comptée comme du jus cogens, car l'art. 18, al. 3, du Pacte II de l'ONU autorise des restrictions de la liberté religieuse extérieure. Quand il est dit qu'un état de nécessité ne permet pas de dérogation à l'art. 18, l'article est alors considéré dans son ensemble, y compris les restrictions mentionnées à l'al. 320. L'initiative «contre la construction de minarets» ne viole pas à cet égard des règles impératives du droit international.

Jus cogens et art. 2 et 27 du Pacte II de l'ONU Ni le principe de non-discrimination de l'art. 2, al. 1, du Pacte II de l'ONU, ni l'art. 27 de ce texte, qui garantit la protection des minorités, ne figurent dans la liste des droits auxquels il est impossible de déroger en état de nécessité en vertu de l'art. 4, al. 1. L'initiative ne viole donc pas non plus le jus cogens au regard de ces articles21.

3

Contexte

3.1

Importance du minaret

3.1.1

Histoire et architecture du minaret

A l'origine, la maison de Mahomet, dans laquelle il prêchait, ne comportait aucun élément d'architecture d'où puisse être lancé l'appel à la prière. L'un des premiers minarets connus est celui de la mosquée des Omeyades en Syrie qui date de 715.

Aujourd'hui, le minaret reste un élément architectural important d'une mosquée, même si la religion musulmane ne l'impose pas et ne prévoit pas de règles particulières concernant sa forme ou sa dimension. Son architecture peut varier fortement selon les régions22.

20

21

22

Les auteurs du pacte étaient manifestement conscients de ce fait: v. Manfred Nowak, UNO-Pakt über bürgerliche und politische Rechte und Fakultativprotokoll, Kehl/Strasbourg/Arlington 1989, ad art. 4 du Pacte II de l'ONU, no 21, où il se réfère aux débats de la 3e session de l'Assemblée générale de l'ONU.

Le fait que l'art. 4, al. 1, du Pacte II de l'ONU admette des mesures abolissant les droits garantis par le pacte seulement si elles «n'entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur [...] la religion» n'y change rien. D'une part, cette réserve ne s'applique qu'aux restrictions des droits fondamentaux les plus graves, telles qu'elles peuvent découler d'une situation de crise de l'Etat. D'autre part, le terme «uniquement» souligne que seules sont interdites les restrictions de ce type qui ciblent un certain groupe de population ou, en d'autres termes, qui sont intentionnellement dirigées contre ce groupe de population. V. Nowak, op. cit. (note 20) ad art. 4 du Pacte II de l'ONU, no 28. Les discriminations visant d'autres buts, elles, ne sont pas exclues.

Yves Korbendau, L'architecture sacrée de l'Islam, Paris 1997, p. 14 ss.

6932

3.1.2

Signification et fonction du minaret

Dans la conscience collective et la représentation des musulmans, le minaret est tout aussi indissociable de la mosquée que le clocher de l'église. Le minaret est un signe fort de reconnaissance et témoigne de la religion musulmane en tant qu'élément culturel et identitaire. Dans le domaine spirituel et mystique, il se voit attribuer des fonctions allégoriques, représentant l'évocation de Dieu (dhikr). Sa verticalité évoque un lien matériel avec la sphère divine dans le ciel. D'autres voient dans le minaret l'alif, la première lettre de l'alphabet arabe, allégorie de Dieu (Allah). L'alif symbolise en outre l'Unique, se référant à l'unicité de Dieu dans la vision monothéique de l'islam (tawhid).

Comme les églises, les mosquées peuvent aussi servir un dessein politique, par exemple comme symbole du pouvoir de dirigeants politiques vis-à-vis du peuple, mais aussi comme signe de leur prééminence au-dessus du domaine de la religion.

Au moyen-âge, par exemple, seules les mosquées érigées par le souverain pouvaient avoir plus d'un minaret. La taille des mosquées sert aussi à marquer la différence entre capitales et villes de province, entre dynasties ou par rapport aux peuples voisins. Mais rien ne laisse penser que des mosquées ou des minarets aient été érigés à titre de monument célébrant ou commémorant une victoire militaire ou politique.

Comme pour les églises, l'instrumentalisation politique des mosquées et minarets ne concerne qu'un tout petit nombre d'entre elles et ne peut être généralisée à l'ensemble de ces édifices. La volonté de manifester la puissance d'un souverain s'exprime non pas dans le type de bâtiment, mais dans sa taille et la splendeur de son architecture ou de sa décoration. L'histoire de l'architecture montre qu'il n'en va pas autrement pour les minarets que pour tout autre type de monument.

Certains musulmans fondamentalistes ou intégristes aspirent à vivre selon l'idéal des premiers temps de l'islam, où les minarets n'existaient pas. Ils les considèrent donc comme une bid'a, une innovation, qui ne correspond pas à l'«islam vrai» et est donc condamnable à leurs yeux. Le minaret n'a pas de signification particulière pour certains milieux islamistes qui élèvent des revendications sur le plan politique et religieux. Au contraire, il est dans les pays musulmans un symbole du pouvoir de l'Etat, auquel le radicalisme islamiste s'oppose en principe.

3.2

Situation actuelle en Suisse

Selon le recensement de la population de 2000, la Suisse compte 310 807 personnes de confession musulmane, dont la majeure partie provient des Balkans ou de la Turquie et 11,75 % possèdent la nationalité suisse. Les arabophones représentent 5,6 % des musulmans résidant en Suisse23.

23

Recensement fédéral de la population 2000, Le paysage religieux en Suisse, éd. par l'OFS, Neuchâtel, décembre 2004; voir aussi: Vie musulmane en Suisse, Profils identitaires, demandes et perceptions des musulmans en Suisse, rapport du Groupe de Recherche sur l'Islam en Suisse publié en 2005 par la Commission fédérale des étrangers.

6933

Selon un rapport publié par la Commission fédérale des étrangers24, on recenserait environ 130 centres culturels et lieux de prières musulmans en Suisse. La plupart de ces lieux sont situés dans des appartements ou des immeubles banals25. A Genève et à Zurich, deux mosquées possèdent chacune un minaret qui n'est pas utilisé pour l'appel à la prière. Le minaret de Zurich mesure 18 mètres de haut. Il existe également un minaret d'une hauteur de quelques mètres à Winterthour. Enfin, il existe des édifices qui s'inspirent de l'architecture islamique et ressemblent à un minaret, mais qui sont dépourvus de fonction religieuse26.

Le 4 juillet 2007, le Tribunal fédéral a rejeté le recours formé par des particuliers contre une décision du Tribunal administratif du canton de Soleure, par laquelle il confirmait la décision des autorités soleuroises compétentes d'autoriser l'association culturelle turque à construire un minaret d'une hauteur de six mètres sur le toit de leur communauté à Wangen, près de Olten, à la condition qu'il ne soit pas possible d'y monter et qu'il n'y ait pas d'appel à la prière27. L'autorisation de construire est devenue entretemps caduque. L'association culturelle turque ayant recouru contre le refus de l'autorité communale de prolonger la durée de validité de l'autorisation, le Département des travaux publics et de la justice du canton de Soleure a cependant accepté de prolonger la durée de validité de l'autorisation jusqu'au printemps 200928.

Dans une décision du 20 décembre 2006, l'autorité compétente de la ville de Langenthal a octroyé une autorisation de construire concernant entre autres un minaret.

Plusieurs personnes ont attaqué cette décision devant l'autorité de recours cantonale, qui a accepté le recours le 18 avril 2007. La décision de la ville a été annulée et l'autorité qui octroie les autorisations de construire a été chargée de mener des études complémentaires.

D'autres projets de construction ont été abandonnés. A Emmenbrücke, dans le canton de Lucerne, la communauté religieuse bosniaque a obtenu une autorisation de construire un minaret, mais elle a finalement renoncé à le construire, préférant investir dans l'aménagement intérieur de sa mosquée29. A Wil dans le canton de Saint-Gall, un projet de minaret a également été abandonné30.

Il est également question de
construire un centre culturel islamique à Berne, qui comprendrait un musée, une petite mosquée, un hôtel, des auditoires, des bureaux et des appartements. Il n'est toutefois pas prévu d'y élever un minaret31.

24 25 26 27

28 29 30 31

Rapport sur la vie musulmane en Suisse du Groupe de recherche sur l'Islam en Suisse, op. cit. (note 23), p. 18.

Mallory Schneuwly Purdie et Stéphane Lathion, Panorama de l'Islam en Suisse (www.gris.info/panorama_islam_suisse.html) (visité le 8.8.2008).

Voir, à titre d'exemples, le minaret construit par le chocolatier Suchard à Serrières et la tour panoramique de Chaumont dans le canton de Neuchâtel.

Arrêt du Tribunal fédéral du 4.7.2007 dans la cause XY contre l'association culturelle turque, la commune de Wangen près de Olten et le Département des constructions et de la justice du canton de Soleure (1P.26/2007).

Le Temps du 10.7.2008.

Luzerner Zeitung du 8.5.2007, p. 5.

Tagblatt du 3.4.2008, p. 9.

Der Bund du 6.11.2007, p. 25.

6934

Enfin, rappelons que, ces dernières années, plusieurs législatifs cantonaux ont rejeté à de fortes majorités, des propositions visant soit à prévoir dans la législation une interdiction générale de construire des minarets, soit à soumettre la construction de minarets au référendum obligatoire32.

3.3

Principes et restrictions régissant la construction de minarets sur le plan constitutionnel en droit positif

3.3.1

Le principe de l'égalité devant la loi et l'interdiction des discriminations (art. 8 Cst.)

L'art. 8 Cst. dispose que tous les êtres humains sont égaux devant la loi (al. 1) et que nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race et de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques (al. 2).

Selon la formule utilisée par le Tribunal fédéral, une décision ou un arrêté viole le principe de l'égalité de traitement au sens de l'art. 8, al. 1, Cst. lorsqu'il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu'il omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances33. Toute différence de traitement ne constitue donc pas une inégalité prohibée par la Constitution. Il n'y a inégalité de traitement contraire à l'art. 8, al. 1, Cst. que si la différence de traitement ne repose sur aucune justification raisonnable. Sauf si une dérogation est prévue par la Constitution (ce qui serait le cas si l'initiative «contre la construction de minarets» était acceptée), le législateur ne peut donc pas poser, sans motif pertinent, des conditions restrictives à l'exercice d'un culte, par exemple en interdisant la construction de certains types d'édifices religieux propres à une communauté religieuse bien précise. Dans la mesure où la construction d'un minaret ne se distingue pas en soi de la construction d'un autre édifice religieux comportant un élément élevé, on ne voit pas quel motif pertinent pourrait justifier d'interdire de manière générale tous les minarets, alors qu'on autorise d'autres types d'édifices religieux analogues comme les clochers d'église, les stûpas, etc34.

32

33

34

Le 28.6.2006, le Grand Conseil du canton de Soleure rejetait par 71 voix contre 17 et 2 abstentions un mandat («Auftrag») visant à interdire la construction de nouveaux édifices religieux, qui visait en réalité la construction de minarets. Le 29.11.2006, le Grand Conseil du canton de Saint-Gall rejetait, par 108 voix contre 46 et 24 abstentions, une motion qui entendait soumettre au référendum obligatoire la construction de nouveaux édifices religieux: là aussi, la motion visait en réalité la construction de minarets. Enfin, le 23.06.2008, le Grand Conseil du canton de Zurich a rejeté, par 112 voix contre 50 et 1 abstention, une initiative parlementaire visant à interdire la construction de bâtiments dotés de minarets sur tout le territoire du canton de Zurich.

Cf. notamment ATF 131 I 1, p. 6 c. 4.2. Cf. aussi Jean-François Aubert et Pascal Mahon, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, Zurich/Bâle/Genève, 2003, ad art. 8 Cst., p. 74 ss.

C'est vraisemblablement pour cette raison d'ailleurs que certaines des interventions parlementaires qui ont été déposées dans les législatifs cantonaux dans le but avoué d'interdire ou de limiter la construction de minarets étaient formulées de manière à inclure dans l'interdiction ou la limitation toute construction ou transformation d'un nouvel édifice religieux quel qu'il soit; voir à ce sujet ch. 3.2.

6935

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral35, il y a discrimination au sens de l'art. 8, al. 2, Cst., lorsqu'une personne subit une inégalité de traitement, uniquement en raison de son appartenance à un groupe déterminé, qui, dans l'histoire a été marginalisé ou déprécié ou qui l'est encore aujourd'hui. La discrimination constitue une forme qualifiée d'inégalité de traitement par rapport à des personnes se trouvant dans des situations comparables, dans la mesure où elle désavantage une personne en se fondant sur des caractéristiques qui forment une part essentielle de son identité ou auxquelles il lui est difficile de renoncer, ce qui revient à la rabaisser ou à la marginaliser. Le Tribunal fédéral n'exclut pas pour autant la possibilité de se fonder sur un des critères énumérés à l'art. 8, al. 2, Cst., tels que l'origine, la race, le sexe ou les convictions religieuses, mais l'inégalité de traitement qui en découle sera présumée inadmissible et seule une justification suffisamment qualifiée pourra renverser cette présomption. Dans une jurisprudence récente36, le Tribunal fédéral a considéré que le refus d'accorder la nationalité suisse à un ressortissant bosniaque pour le seul motif que son épouse portait le foulard islamique, constituait une discrimination au sens de l'art. 8, al. 2, Cst. A l'appui de sa décision, il a retenu que le refus de l'autorité communale compétente se fondait exclusivement sur les critères prohibés de l'art. 8, al. 2, Cst. et qu'il n'existait pas de motifs objectifs suffisants pour justifier une différence de traitement. Tel aurait été le cas par exemple si le port du foulard islamique par l'épouse du recourant avait révélé, pour ce dernier, un comportement contraire aux valeurs fondamentales et démocratiques de notre pays.

Au vu de ce qui précède, le Conseil fédéral est d'avis que, sur la base du droit constitutionnel en vigueur, le refus d'une autorité d'accorder une autorisation de construire un minaret pour le seul et unique motif que cet édifice constitue un symbole de revendication de pouvoir de la religion musulmane constituerait une discrimination au sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral37. On notera qu'en cas d'acceptation de l'initiative, un tel refus ne serait plus contraire à l'art. 8, al. 2, Cst., puisque la dérogation serait prévue dans la Constitution fédérale elle-même (se poserait toutefois la question de sa non-conformité au droit international; v. ch. 6.3 ci-dessous).

3.3.2

La liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.)

L'art. 15, al. 1, Cst. garantit la liberté de conscience et de croyance. Cette disposition protège le citoyen de toute ingérence de l'Etat qui serait de nature à gêner ses convictions religieuses. Elle confère au citoyen le droit d'exiger que l'Etat n'intervienne pas de façon injustifiée en édictant des règles limitant l'expression et la pratique de ses convictions religieuses. Elle comporte la liberté intérieure de se forger ses propres convictions religieuses et la liberté extérieure de les exprimer, de les pratiquer et de les communiquer dans certaines limites38. Selon la jurisprudence, la liberté religieuse ne protège toutefois pas tout comportement qui est en relation avec la religion39. La doctrine est partagée sur la question de savoir si le refus de

35 36 37

38 39

ATF 129 I 217 ATF 134 I 56, voir aussi ATF 134 I 49 A ce sujet, v. aussi Bernhard Waldman, Moscheebau und Gebetsruf p. 219 ss, in René Pahud de Mortanges et Erwin Tanner (éd.), Les musulmans et l'ordre juridique suisse, Fribourg 2002.

ATF 123 I 296 ss.

ATF 125 I 369, 379

6936

construire un édifice religieux touche ce droit fondamental. Selon certains auteurs40, le refus de délivrer une autorisation de construire une église pour un motif relevant du droit des constructions est un acte dont le rapport plus ou moins lointain avec la liberté religieuse n'est pas pertinent pour déterminer sa conformité à l'ordre juridique. Pour une autre partie de la doctrine41, la construction d'un édifice religieux présente un lien suffisamment étroit avec le domaine de protection de la liberté religieuse pour empiéter sur ce domaine en cas de refus de l'autorisation de construire. La construction d'un édifice religieux doit être considérée comme le symbole d'un culte et donc comme l'expression d'une identité religieuse.

Selon la jurisprudence et la doctrine, le noyau intangible de la liberté religieuse ne comporte pas la manifestation extérieure de la liberté religieuse42. Le droit d'exprimer et de manifester ses convictions peut donc être limité, à condition que la restriction repose sur une base légale suffisante, réponde à un intérêt public prépondérant et respecte le principe de proportionnalité conformément aux exigences de l'art. 36 Cst.

3.3.3

La garantie de la propriété (art. 26 Cst.)

La propriété est garantie à l'art. 26, al. 1, Cst. Ce droit ­ comme tous les autres droits fondamentaux ­ peut être restreint aux conditions prévues à l'art. 36 Cst. La restriction doit reposer sur une base légale suffisante (al. 1) et poursuivre un intérêt public tel que l'ordre public, la sécurité, la vie, la santé, la tranquillité et la moralité publique (al. 2). Elle doit en outre respecter le principe de proportionnalité (al. 3) et ne pas porter atteinte au noyau de la propriété (al. 4).

Selon la jurisprudence43, une restriction ne doit pas seulement être nécessaire mais doit en outre ne pas aller au-delà de ce qu'il faut pour atteindre le but d'intérêt public recherché, l'autorité concernée ayant l'obligation d'adopter la mesure la moins incisive, c'est-à-dire celle qui est la moins préjudiciable aux particuliers pour parvenir au but d'intérêt public visé. Dans l'affaire en question, le Tribunal fédéral a considéré disproportionnée l'interdiction de construire sur une parcelle située dans la vieille ville d'Estavayer-le-Lac lorsqu'elle empêche la construction d'un centre paroissial à proximité immédiate du temple, parce qu'une conciliation des intérêts opposés était possible.

3.3.4

La garantie de la paix religieuse (art. 72, al. 2, Cst.)

En vertu de l'art. 72, al. 1, Cst., les cantons sont compétents pour régler les rapports entre l'Eglise et l'Etat. Ils le font de manière autonome et ne sont liés que par les principes généraux de l'activité étatique (art. 5 Cst.) et par les droits fondamentaux garantis par la Constitution fédérale, en particulier la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.) et l'égalité de traitement (art. 8 Cst.). Conformément à l'art. 72, al. 2, Cst., la Confédération et les cantons peuvent prendre, dans les limites 40 41 42 43

Andreas Auer, Giorgio Malinverni et Michel Hottelier, Droit constitutionnel suisse volume II les droits fondamentaux, Berne 2006, p. 223.

Waldman, op. cit. (note 37), p. 219 ss.

ATF 123 I 302 ATF 110 Ia 30

6937

de leurs compétences respectives, des mesures propres à maintenir la paix entre les membres des diverses communautés religieuses. La compétence des cantons se fonde sur leur pouvoir général de police. L'art. 72, al. 2, Cst. ne confère pas de nouvelle compétence à la Confédération. Cette dernière n'a en effet qu'une compétence subsidiaire résultant de ses compétences inhérentes et en particulier de la clause générale de police (art. 185 Cst.) et n'intervient donc que si les mesures cantonales s'avèrent insuffisantes ou en cas de troubles sérieux de dimension supracantonale44.

3.4

Restrictions applicables en matière de droit de la construction

3.4.1

Autorisation de construire au sens de l'art. 22 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire

L'art. 22 de la loi du 22 juin 1979 sur l'aménagement du territoire (LAT)45 prévoit qu'aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l'autorité compétente (al. 1). Cet article fixe également des exigences minimales destinées à assurer une exécution des constructions conforme au droit matériel: selon les al. 2 et 3, la construction doit être conforme à l'affectation de la zone, le terrain doit être équipé et les autres conditions que peuvent poser le droit fédéral et le droit cantonal doivent être respectées. Lorsque ces conditions sont remplies, le requérant a le droit d'obtenir une autorisation ordinaire de construire46.

Selon la jurisprudence47, la notion de «construction et d'installation» vise tous les aménagements durables créés par la main de l'homme, qui sont fixés au sol et qui ont une incidence sur son affectation, soit qu'ils modifient sensiblement l'espace extérieur, soit qu'ils aient des effets sur l'équipement ou qu'ils soient susceptibles de porter atteinte à l'environnement. Cette notion relevant du droit fédéral, les cantons ne peuvent s'en écarter. Un minaret constitue une construction au sens de cette jurisprudence.

3.4.2

Prescriptions en matière de construction et de nuisances sonores

Les prescriptions de droit public en matière de construction relèvent de la compétence législative des cantons (art. 3 Cst.), ce que rappelle expressément l'art. 702 du code civil (CC)48. Tous les cantons ont adopté des prescriptions sur les constructions qui comprennent des normes de droit matériel de construction et de procédure.

44 45 46 47 48

Aubert et Mahon, op. cit. (note 33), pp. 571 à 576.

RS 700 Piermarco Zen-Ruffinen et Christine Guy-Ecabert, Aménagement du territoire, construction, expropriation, Berne 2001, pp. 206 à 208.

ATF 123 II 259 consid. 3.

RS 210

6938

Les normes de droit matériel de construction peuvent être regroupées en trois catégories: ­

des normes du droit de l'aménagement du territoire qui règlent la gestion de l'espace et, en particulier, la mesure de l'utilisation du sol (coefficients d'utilisation et d'occupation du sol; distances; hauteurs et longueurs des constructions; modes de construction; implantation des constructions; types de bâtiments);

­

des normes de police des constructions, qui visent à protéger l'ordre, la sécurité et la santé publics contre des dangers concrets liés à la création, la transformation et à la démolition de constructions ou d'installations, ou à leur existence même (salubrité et sécurité des constructions);

­

des dispositions visant la protection du patrimoine bâti, destinées à assurer l'intégration des constructions dans leur environnement et leur qualité esthétique (clause d'esthétique)49.

Sur le plan matériel, la construction d'un minaret doit donc remplir les exigences minimales de l'art. 22 LAT et les prescriptions cantonales en matière de construction. La construction d'un tel édifice doit en particulier être conforme à l'affectation de la zone et respecter les dispositions réglementant la mesure de l'utilisation du sol (notamment les critères fixant ses dimensions et en particulier sa hauteur). Si le droit cantonal prévoit une clause d'esthétique, le minaret y est également soumis, même s'il correspond aux prescriptions de la zone où il se trouve. La construction d'un minaret doit enfin respecter certaines normes de police de construction qui visent à protéger l'ordre et la sécurité publics contre les dangers liés à sa création.

La construction d'un minaret doit faire l'objet d'une procédure d'autorisation, comme toute autre construction. La requête fait l'objet d'une mise à l'enquête publique pour permettre aux tiers de prendre position et à l'autorité de statuer sur la base des objections soulevées.

L'autorisation de construire est rendue en la forme écrite. Sa motivation doit porter sur toutes les questions de droit public soulevées par le projet de construction et par les oppositions. Si toutes les exigences sont remplies, l'autorité doit accorder l'autorisation de construire. Cette décision peut être assortie de conditions et de charges, interdisant par exemple que le minaret soit utilisé pour des appels à la prière. La durée de validité de l'autorisation est limitée dans le temps. La décision est notifiée au requérant et aux opposants avec l'indication des voies de recours.

Comme nous l'avons indiqué au ch. 3.3.1, le refus d'une autorité d'accorder une autorisation de construire un minaret pour le seul et unique motif que cet édifice constitue un symbole de revendication de pouvoir de la religion musulmane, constituerait une discrimination au sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral. L'autorité peut en revanche refuser une autorisation de construire si par exemple le projet ne respecte pas l'art. 22 LAT et les normes cantonales de construction.

En tant qu'installation au sens de l'art. 7, al. 1, de la loi du 7 octobre 1983 sur la protection de l'environnement (LPE)50, le minaret, dans l'hypothèse où il servirait à l'appel à la prière, est également soumis aux limitations contre les nuisances sonores prévues par cette loi. L'appel à la prière peut donc en règle générale être assimilé au 49 50

Zen-Ruffinen et Guy-Ecabert, op. cit. (note 46), p. 371 ss.

RS 814.01

6939

tintement des cloches d'églises et être soumis aux mêmes restrictions51. Toutefois, la construction des minarets peut être davantage affectée par ces normes, dans la mesure où il s'agit généralement de nouvelles installations, pour lesquelles la LPE prévoit des règles particulières. D'autre part, la doctrine admet que les us et coutumes locaux peuvent justifier une différence de traitement au détriment des minarets, dans la mesure où la population n'est généralement pas accoutumée au cri du muezzin et peut donc percevoir l'émission sonore qui en résulte comme plus perturbante que le tintement de cloches d'église, plus familier à nos oreilles52.

3.5

Mesures permettant de protéger les fondements démocratiques et constitutionnels et de lutter contre l'extrémisme

L'initiative a été lancée en particulier pour répondre à la crainte de certains milieux de voir les musulmans imposer en Suisse un système légal axé sur la charia, qui remettrait en cause les droits fondamentaux garantis par la Constitution fédérale et l'ordre juridique suisse53. Or, le droit positif connaît déjà des mesures qui permettent de répondre à cette crainte et d'assurer le respect des fondements démocratiques et constitutionnels de la Suisse.

3.5.1

Mesures visant au maintien de la sûreté intérieure

La loi fédérale du 21 mars 1997 instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (LMSI)54 vise à assurer le respect des fondements démocratiques et constitutionnels de la Suisse ainsi qu'à protéger les libertés de sa population (art. 1).

La Confédération est chargée de prendre des mesures préventives pour détecter précocement et combattre les dangers liés notamment au terrorisme et à l'extrémisme violent (art. 2, al. 1). La notion de mesures préventives vise notamment l'évaluation périodique de la situation de la menace par les autorités politiques et l'attribution de mandats aux organes préposés à la sûreté intérieure, le traitement des informations relatives à la sûreté intérieure et extérieure ainsi que la saisie, le séquestre et la confiscation de matériel de propagande dont le contenu incite à la violence (art. 2, al. 4). L'art. 3 fixe certaines limites en prévoyant que les organes de sûreté de la Confédération et des cantons ne peuvent pas traiter des informations relatives à l'exercice de droits découlant de la liberté d'opinion, d'association et de réunion, sauf si une présomption sérieuse permet de soupçonner une organisation ou des personnes qui en font partie de se servir de l'exercice de ces droits fondamentaux pour dissimuler la préparation ou l'exécution d'actes relevant par exemple du terrorisme ou de l'extrémisme violent. Les art. 4 à 9 LMSI règlent la répartition des tâches. L'art. 4, al. 1, prescrit en particulier que chaque canton est responsable en premier chef de la sûreté intérieure sur son territoire. Les art. 10, 12 et 13 règlent le devoir d'information des autorités entre elles lorsque des faits sont susceptibles de 51 52 53 54

Voir, pour les restrictions applicables au tintement de cloches d'église, par ex.

ATF 126 II 366.

Waldman, op. cit. (note 37), p. 234 ss.

http://www.minarets.ch/index.php?id=1 (visité le 08.08.2008).

RS 120

6940

compromettre la sûreté intérieure ou extérieure. L'art. 8 de l'ordonnance d'exécution55 précise que les autorités compétentes communiquent spontanément toute information relative à des activités terroristes déployées en vue d'influencer ou de modifier les structures de l'Etat et de la société, susceptibles d'être réalisées ou favorisées en commettant des infractions graves ou en menaçant de s'y livrer, et en faisant régner la peur et la terreur. L'art. 13a LMSI confère aux autorités compétentes le droit de saisir le matériel qui peut servir à des fins de propagande et dont le contenu incite, d'une manière concrète et sérieuse, à faire usage de la violence contre des personnes ou des objets (al. 1). Lorsque du matériel de propagande est diffusé par le biais d'Internet, l'autorité compétente peut ordonner la suppression du site concerné si le matériel se trouve sur un serveur suisse ou, dans la négative, recommander aux fournisseurs d'accès suisses de bloquer l'accès au site concerné.

En vertu de l'art. 14, les autorités peuvent rechercher les informations nécessaires à l'exécution des tâches définies par la LMSI, et en particulier collecter des données personnelles à l'insu de la personne concernée (al. 1). Ces données peuvent être collectées notamment par le biais de l'exploitation de sources accessibles au public, de demandes de renseignements, d'enquêtes sur l'identité ou le lieu de séjour de personnes, du relevé des déplacements et des contacts de personnes (al. 2). Le Conseil fédéral peut, par ailleurs, interdire certaines activités constituant une menace pour la sécurité extérieure ou intérieure de la Suisse, sur la base des art. 184, al. 3, Cst. et 185, al. 3, Cst. Ces interdictions sont cependant soumises à des conditions restrictives: selon l'art. 185, al. 3, Cst., les mesures édictées par le Conseil fédéral doivent avoir pour but de parer à des troubles existants ou imminents menaçant gravement l'ordre public, la sécurité extérieure ou la sécurité intérieure; elles doivent de plus être limitées dans le temps.

La LMSI fait actuellement l'objet d'une révision56. Le projet du Conseil fédéral vise à renforcer la recherche d'informations à titre préventif dans le domaine de la protection de l'Etat, afin de détecter à temps les menaces qui pèsent sur la sûreté de la Suisse. En cas de menaces
concrètes contre la sûreté intérieure ou extérieure liée au terrorisme, au service de renseignements politiques ou militaires prohibés ou au commerce illicite d'armes ou de substances radioactives ou au transfert illégal de technologie, il sera en particulier possible de surveiller la correspondance par poste et télécommunication à titre préventif, de procéder à des observations de personnes dangereuses dans des lieux qui ne sont pas librement accessibles et de perquisitionner secrètement des systèmes informatiques. Le chef du Département fédéral de justice et police recevra la compétence d'interdire des activités qui servent à promouvoir des agissements terroristes ou extrémistes violents et qui menacent concrètement la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse. Il sera également possible de recourir notamment à des informateurs qui pourront utiliser des identités d'emprunt pour infiltrer des groupes extrémistes ou terroristes. Les voies de droit seront renforcées pour protéger les intérêts des personnes concernées.

55 56

RS 120.2; ordonnance du 27 juin 2001 sur les mesures visant au maintien de la sûreté intérieure.

FF 2007 4773

6941

3.5.2

Restrictions découlant de la législation sur les étrangers et mesures destinées à favoriser l'intégration des étrangers

La loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers (LEtr)57 règle entre autres l'entrée en Suisse et la sortie de Suisse, le séjour des étrangers et le regroupement familial. Elle prévoit notamment un système d'autorisation de séjour et fixe les conditions à remplir. Elle détermine également les cas dans lesquels l'autorisation de séjour peut être révoquée, notamment lorsque l'étranger menace la sécurité et l'ordre public en Suisse et à l'étranger. Dans le cadre de l'ancienne loi sur le séjour et l'établissement des étrangers, les autorités compétentes du canton du Valais avaient déjà refusé une demande de séjour à un imam macédonien qui souhaitait venir en Suisse pour assurer l'assistance et l'enseignement religieux au Centre islamique de Sion. Dans leur décision, les autorités valaisannes avaient considéré qu'il existait un intérêt public important à interdire la venue en Valais de cet imam, parce qu'il avait reçu une formation religieuse islamique wahhabite qui se caractérise par une vision de l'islam fondée sur la primauté d'une lecture rigoriste du coran.

Dans le cadre de l'ordonnance du 24 octobre 2007 sur l'intégration des étrangers (OIE)58, la Confédération a édicté un certain nombre de dispositions relatives à l'intégration des personnes étrangères souhaitant exercer une activité d'encadrement religieux en Suisse. En effet, celles-ci jouent un rôle déterminant dans le processus d'intégration des communautés étrangères en Suisse. Selon l'art. 7 OIE, elles doivent posséder les aptitudes nécessaires à l'exercice de leur activité spécifique (diplôme de théologie), connaître les systèmes social et juridique suisse et être aptes à transmettre ces connaissances aux étrangers qu'elles encadrent. En outre, elles doivent, avant même leur arrivée en Suisse, prouver qu'elles disposent de connaissances de la langue parlée sur le lieu de travail. Si cette dernière condition n'est pas remplie, la demande peut quand même être accordée à condition que l'intéressé s'engage, par une convention d'intégration, à prouver qu'il possède les connaissances linguistiques nécessaires avant le terme de son autorisation de séjour, c'est-àdire au bout de douze mois. Faute d'y parvenir, il n'obtiendra pas la prolongation de l'autorisation. Il est également possible d'examiner, dans le cadre de la procédure d'autorisation,
si les vues religieuses de la personne concernée s'accordent avec nos principes en matière d'Etat de droit et de droits fondamentaux. L'autorisation est refusée si les idées professées par le requérant sont de nature à porter atteinte aux principes de l'égalité des sexes, de la liberté religieuse, de la liberté d'expression, du monopole étatique de la violence légitime et autres valeurs fondamentales de la Constitution.

3.5.3

Autres mesures

Enfin, le code pénal (CP)59 permet de réprimer des actes attentatoires à la paix publique, comme la provocation publique au crime et à la violence (art. 259 CP) ou le financement du terrorisme (art. 260quater CP), de même que la participation à une organisation qui tient sa structure et son effectif secrets et qui poursuit le but de 57 58 59

RS 142.20 RS 142.205 RS 311.0

6942

commettre des actes de violence criminels ou de se procurer des revenus par des moyens criminels (art. 260ter CP).

4

Situation à l'étranger60

4.1

Les règles concernant la construction de minarets dans les Etats voisins

4.1.1

Allemagne

L'Allemagne est un Etat idéologiquement neutre qui garantit la liberté religieuse dans sa constitution (art. 4 de la loi fondamentale). Elle ne connaît pas de dispositions particulières du droit de la construction concernant les mosquées ou les minarets, dont l'érection se fonde sur les dispositions générales en matière de construction. Les conflits entre l'exercice de la liberté religieuse et d'autres intérêts publics ou privés, tels qu'il pourrait en apparaître autour de la construction d'un édifice religieux, sont tranchés au terme d'une pesée des intérêts, les circonstances étant prises en compte. Les tribunaux allemands ont eu à plusieurs reprises l'occasion d'examiner sous l'angle juridique des projets de construction de mosquées et de minarets. Il en ressort que l'érection de ces édifices est compris comme un moyen de manifester et de pratiquer la religion; une attention toute particulière est donc portée à ces projets en raison des besoins religieux qui y sont liés61. L'utilisation du minaret pour l'appel à la prière, restreinte à quelques cas, doit se conformer aux règles du droit en matière de nuisances sonores.

4.1.2

France

La France qui, en tant que république laïque, accorde une grande importance à la séparation de l'Eglise et de l'Etat, ne connaît pas non plus de dispositions spécifiques concernant la construction de mosquées et de minarets. Les règles applicables sont les normes générales en matière d'urbanisme et de construction. L'utilisation d'un minaret pour l'appel à la prière doit être autorisée par la commune (arrêté municipal). Un refus peut être porté devant le préfet (arrêté préfectoral).

60

61

Les explications qui suivent se fondent en grande partie sur un avis de droit émis par l'Institut suisse de droit comparé (ISDC) sur mandat de l'Office fédéral de la justice («Avis sur les lieux de culte et les pratiques religieuses dans plusieurs pays musulmans et non-musulmans», avis no 07-072 du 14.9.2007).

Ainsi, le code en matière de construction allemand (Baugesetzbuch) mentionne au § 1, al. 6, no 6, les besoins du culte et de l'assistance spirituelle reconnus par les Eglises et les communautés religieuses comme un des points dont il faut particulièrement tenir compte dans le droit de la planification des constructions. Cette considération particulière apportée aux besoins religieux dans les questions de construction s'étend aux communautés religieuses organisées selon le droit privé, auxquelles appartient la communauté musulmane. Cf. par ex. les considérations de la Cour constitutionnelle bavaroise sur l'importance du minaret, arrêt du 29.8.1996, Neue Zeitschrift für Verwaltungsrecht (NVwZ) 1997, p. 1016, citées au ch. 6.3.1, note 80.

6943

4.1.3

Italie

Dès les années 50, la cour constitutionnelle italienne a déclaré inconstitutionnelles les règles de l'époque fasciste qui soumettaient à une autorisation les bâtiments des communautés religieuses qui n'avaient pas conclu de convention avec l'Etat. Divers projets de loi des années 2004 à 2007 qui visent entre autres à régler les relations entre l'Etat italien et les communautés islamiques sont pendants. Il n'existe pas de dispositions particulières concernant la construction de mosquées et de minarets.

Elle est autorisée dès lors que les normes générales en matière d'urbanisme et de construction sont respectées.

4.1.4

Autriche

L'Autriche est un Etat idéologiquement neutre qui garantit la liberté religieuse dans sa constitution. Il n'existe pas de règles de construction spéciales qui s'appliqueraient aux mosquées et aux minarets. Sont applicables les dispositions générales en matière d'aménagement du territoire et de construction édictées par les Länder. Les édifices religieux sont autorisés s'ils respectent ces dispositions. L'autorité qui avalise les projets de construction doit prendre en compte les besoins immatériels et notamment éthiques de la population, dont font partie les besoins religieux.

L'utilisation du minaret pour l'appel à la prière (on en recense, semble-t-il, un seul cas à Vienne), est soumise aux règles du droit en matière de nuisances sonores.

4.1.5

Synthèse

L'exposé de la situation juridique en Allemagne, en France, en Italie et en Autriche montre qu'aucun de ces pays n'applique de règles particulières à la construction de mosquées ou de minarets. L'érection et l'utilisation de ces édifices sont soumises aux dispositions générales en matière de construction et aux règles en matière d'aménagement du territoire, de protection des monuments, d'urbanisme et de nuisances sonores. Dans nul de ces Etats, la construction de minarets n'est interdite ni restreinte par rapport à celle d'autres édifices religieux. Pour examiner les projets de construction, les autorités et les tribunaux mettent en balance les intérêts en présence en tenant compte des circonstances, mais ils accordent une grande valeur au besoin de pratiquer et de manifester sa religion.

4.2

Situation dans certains pays musulmans concernant la construction d'édifices d'autres religions

Les chrétiens sont discriminés et parfois même gravement persécutés dans certains pays musulmans. Seule l'Arabie Saoudite interdit l'exercice de la religion chrétienne, sous peine de sanction pénale. Dans certains Etats musulmans, les chrétiens sont reconnus en tant que minorité religieuse et peuvent exercer leur culte, mais leurs activités sont surveillées par les autorités. Il existe cependant des églises chré-

6944

tiennes dans la plupart des pays musulmans et les chrétiens ont le droit d'y célébrer leur culte à certaines conditions62.

5

Buts et teneur de l'initiative

5.1

Buts de l'initiative

Les auteurs de l'initiative veulent interdire la construction de minarets en Suisse, arguant que ces édifices n'ont pas de caractère religieux mais sont le symbole d'une revendication de pouvoir politico-religieuse, contraire à la Constitution et au régime légal suisse. Une interdiction, selon eux, garantirait durablement la validité illimitée du régime légal et social défini par la Constitution et enrayerait les tentatives de milieux islamistes d'imposer en Suisse un système légal fondé sur la charia63.

5.2

Réglementation prévue par l'initiative

L'initiative prévoit l'interdiction générale de construire des minarets. Elle ne prévoit aucune exception et ne définit pas précisément la notion de minaret.

5.3

Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

En principe, il convient de se fonder sur la lettre d'une initiative populaire pour l'interpréter et non sur les intentions subjectives de ses auteurs. Le texte d'accompagnement, s'il existe, et les déclarations des auteurs de l'initiative peuvent toutefois être pris en compte. De même, les circonstances qui ont mené à sa conception peuvent jouer un rôle. Quant à l'analyse littérale du texte, il y a lieu de suivre les règles reconnues de l'interprétation.

L'initiative vise à interdire la construction des minarets, sans définir à quel type de construction elle se réfère. Le minaret peut se définir comme la «tour d'une mosquée du haut de laquelle le muezzin invite les fidèles à la prière»64. Si on retient le dernier élément, on pourrait en déduire que seule serait interdite l'érection de minarets destinés à l'appel à la prière. Cette interprétation restrictive ne semble pas refléter la volonté du comité d'initiative. Une autre interprétation, plus large et sans doute plus proche de la volonté du comité d'initiative, serait de considérer que l'initiative interdit l'érection d'une tour qui ait une fonction religieuse et fasse partie d'une mosquée ou y soit attenante. Dans ce cas, il faut se demander si la construction d'un minaret qui serait indépendant d'une mosquée pourrait être autorisée. En outre, une telle interprétation semble être en contradiction avec les affirmations du comité d'initiative selon lesquelles le minaret n'a pas de fonction religieuse (v. ch. 5.1).

62 63 64

Par exemple, en Egypte, 21 demandes de construction de nouvelles églises ont été approuvées par le président entre juin 2005 et juin 2006.

Arguments du comité d'initiative, www.minarette.ch/index.php?id=33, Rubrique «De quoi s'agit-il?» (visité le 22.7.2008).

Définition selon Le Petit Robert, dictionnaire de la langue française.

6945

L'interdiction vise-t-elle aussi les propriétaires qui envisageraient de construire sur leur bien-fonds un minaret sans fonction religieuse, pour des raisons sentimentales liées à leur patrie, en souvenir d'un voyage ou encore pour des motifs esthétiques. Le chocolatier Philippe Suchard a fait construire en 1865 dans le canton de Neuchâtel une mosquée dotée d'un minaret, que l'on peut encore admirer aujourd'hui. Rien n'indique que Philippe Suchard se soit converti à l'islam: sans doute a-t-il édifié ce minaret en souvenir de ses voyages ou par goût de l'orientalisme, qui était en vogue à cette époque. Etendre l'interdiction à ce type de construction concorderait avec la volonté du comité d'initiative. En effet, dans la mesure où le minaret est perçu comme le symbole apparent de la mainmise de l'islam sur la société suisse, la valeur de ce symbole n'est pas nécessairement moins forte si le minaret est dépourvu de fonction religieuse: même purement décoratif, il demeure une référence visible à l'islam.

L'initiative ne vise expressément que la construction du minaret. Il s'agit donc de savoir si l'utilisation ou la conversion d'un bâtiment existant serait également interdite. Compte tenu des objectifs poursuivis par le comité d'initiative, l'initiative devrait être interprétée comme interdisant l'utilisation et la conversion d'un bâtiment existant. Toutefois, d'autres arguments, comme la non-conformité au droit international, pourraient plaider pour une interprétation littérale restrictive.

L'initiative posant un certain nombre de problèmes d'interprétation, il pourrait être utile d'adopter une législation précisant l'objet de l'interdiction. De manière générale, on peut cependant partir de l'idée que l'interdiction, compte tenu des objectifs poursuivis par le comité d'initiative, devrait avoir une portée large et viser tous les types de minarets.

6

Appréciation de l'initiative

6.1

Appréciation des buts de l'initiative

6.1.1

Une interdiction inutile et disproportionnée

Comme nous l'avons vu, la législation actuelle permet déjà de limiter la construction de minarets, notamment pour des motifs liés à la police des constructions et à l'aménagement du territoire (v. ch. 3.4). L'expérience montre que ces restrictions sont loin d'être des formalités, et il n'est pas rare qu'au vu des obstacles juridiques et des nombreuses oppositions rencontrés le projet de construction soit abandonné (v. ch. 3.2). Trouver un terrain qui permette une construction conforme à l'affectation de la zone n'est en effet pas une tâche facile. Les communautés religieuses installées depuis peu dans notre pays sont donc de ce fait déjà plutôt désavantagées par rapport aux communautés religieuses traditionnelles, qui ont pu édifier leurs lieux de culte au centre des villes65. Il n'est donc pas utile d'instaurer, qui plus est au niveau constitutionnel fédéral, des restrictions supplémentaires, a fortiori un régime d'interdiction spécifique visant un élément d'architecture particulier.

L'initiative populaire est en outre disproportionnée, dans la mesure où elle prévoit une interdiction absolue, qui ne souffre aucune exception. Une telle interdiction ne 65

Regina Kiener et Mathias Kuhn, Die bau- und planungsrechtliche Gleichbehandlung von Kultusgebäuden im Lichte der Glaubens- und Gewissensfreiheit, avis de droit destiné à la Commission fédérale des étrangers (CFE) in: CFE (éd.), Intégration et habitat ­ Aménagement du territoire dans la société pluraliste, Berne 2004, p. 27, ch. 3.4.1.

6946

permet pas de tenir compte des circonstances, contrairement aux dispositions légales en vigueur. La construction d'un petit minaret de deux ou trois mètres de haut pour une mosquée située dans une zone industrielle sans intérêt esthétique ne pose pas les mêmes problèmes que la construction d'un minaret imposant dans un quartier historique du centre-ville. L'initiative populaire ne tient aucun compte de ces différences.

Selon certains partisans de l'initiative, la construction de minarets doit être interdite en Suisse, parce que la population chrétienne vivant dans un pays musulman ne bénéficie pas de la liberté religieuse, et en particulier du droit de construire des édifices religieux.

Le Conseil fédéral reconnaît que la situation de la communauté chrétienne est problématique dans certains pays musulmans66. Il est toutefois d'avis que l'on ne peut pas comparer la Suisse à des Etats qui ne connaissent pas le principe de la séparation entre institutions laïques et institutions ecclésiastiques et qui ne respectent pas les droits de l'homme. Il serait dès lors contraire à nos valeurs fondamentales et démocratiques d'interdire la construction de minarets en Suisse parce que certains pays musulmans ne garantissent pas la réciprocité à la population chrétienne vivant sur leur territoire. De plus, une telle interdiction pourrait inciter certains milieux fondamentalistes à prendre des mesures de rétorsion à l'encontre de cette population, et aggraver ainsi sa situation.

6.1.2

L'initiative populaire manque clairement son but

Si l'objectif est d'enrayer la progression de l'islam en Suisse et d'empêcher que notre système légal soit supplanté par la charia, l'interdiction de construire des minarets n'est pas un moyen efficace pour y parvenir. En effet, l'initiative n'interdit pas la construction de mosquées. Or une mosquée peut être fréquentée à mauvais escient avec ou sans minaret. Les centres religieux cachés dans des caves ou des garages et fréquentés pas des personnes appartenant à des mouvements fondamentalistes et islamistes sont plus dangereux que les mosquées dotées de minarets.

L'initiative risque même d'avoir des effets contre-productifs, car elle pourrait aliéner certaines franges de la population musulmane modérée qui y verront une mesure inutilement vexatoire à leur encontre et seront tentées de basculer dans la frange extrémiste. Or, celle-ci réussit à gagner de nouveaux adeptes en postulant une impossibilité de pratiquer librement l'islam en Occident et une hostilité de ce dernier à l'égard des musulmans. Au contraire, la construction d'un minaret présente l'avantage de donner une certaine visibilité et une certaine transparence à la pratique de la religion musulmane.

Il convient en outre de relativiser le danger de voir la charia supplanter les règles de la société civile dans notre pays: selon certaines estimations, 10 à 15 % seulement de la population musulmane en Suisse serait pratiquante, et une grande partie des musulmans vivant en Suisse ne se reconnaît pas dans l'ensemble des revendications formulées par certains leaders intellectuels ou religieux67. Plus de 80 % des musulmans de Suisse vivent leur religion d'une manière plutôt pragmatique68.

66 67 68

Cf. ch. 4.2 ci-dessus.

Rapport sur la vie musulmane en Suisse du Groupe de recherche sur l'Islam en Suisse, op. cit. (note 23), p.10, ch. 2.

Ibid., p. 3.

6947

La législation sur la sûreté intérieure et la législation sur les étrangers permettent de lutter plus efficacement contre d'éventuelles dérives extrémistes qu'une interdiction de construire des minarets.

La loi, en Suisse, ne fait pas de distinction et s'applique à tous, que l'on soit musulman, chrétien ou d'une autre religion. L'accent doit donc être mis sur les mesures qui favorisent l'intégration des personnes de confession musulmane qui ne sont pas encore familiarisées avec notre système légal. Comme nous l'avons vu, la Confédération a édicté un certain nombre de dispositions relatives à l'intégration des personnes étrangères souhaitant exercer une activité d'encadrement religieux en Suisse.

Ces mesures permettent par exemple de limiter l'arrivée en Suisse d'imams qui viendraient prêcher un islam extrémiste, peu compatible avec les principes de notre droit. De telles mesures sont bien plus efficaces que l'interdiction de construire des minarets.

La législation fédérale confère en outre un certain nombre de moyens aux autorités suisses pour prévenir un renversement de nos principes constitutionnels et démocratiques, comme on l'a exposé au ch. 3.5. Celles-ci peuvent par exemple échanger spontanément toute information relative à des actives terroristes. Elles sont également compétentes pour saisir le matériel susceptible de servir à des fins de propagande et dont le contenu incite à faire usage de la violence. Si du matériel de propagande est diffusé sur Internet, l'autorité peut ordonner ou demander la suppression du site concerné. Des données personnelles peuvent également être collectées à l'insu de la personne concernée. De plus, la révision en cours de la LMSI renforcera la recherche d'informations à titre préventif dans le domaine de la protection de l'Etat. Enfin, le code pénal érige en infractions certains actes attentatoires à la paix publique (v. ch. 3.5.3). Le Conseil fédéral est convaincu qu'une interdiction générale de construire des minarets en Suisse ne constitue pas un moyen adéquat pour résoudre des problèmes liés à la sécurité et que la Confédération et les cantons disposent déjà des moyens nécessaires pour lutter contre le terrorisme de manière plus efficace.

6.2

Exécutabilité

L'initiative interdit la construction des minarets. A première vue, la portée de cette interdiction semble claire, mais à y regarder de plus près il n'en est rien (v. ch. 5.3).

On ne peut en effet définir le minaret par rapport à des caractéristiques architecturales précises. Il existe de multiples variations69. Certains minarets ne sont pas adaptés pour lancer l'appel à la prière et il n'est pas possible d'accéder à leur sommet par un escalier intérieur. Les minarets peuvent avoir des styles très différents selon les régions, certains n'ayant rien à voir avec le minaret de style ottoman aisément reconnaissable, qui figure sur le matériel de propagande du comité d'initiative. Au Maghreb, les minarets ont plutôt la forme d'une tour rectangulaire qui ne se distingue pas dans son apparence générale des clochers d'églises chrétiennes. Le minaret hélicoïdal de la grande mosquée de Samarra en Irak ressemble à la tour de Babel, tandis qu'au Niger les minarets en terre séchée ont une forme pyramidale. En Chine, il existe même des mosquées ayant la forme d'une pagode. Il serait donc possible de contourner l'interdiction en imaginant d'autres formes que celles interdites par la loi.

69

Korbendau, op. cit. (note 22), p. 14 ss.

6948

Il semble donc que le seul élément architectural commun à tous les minarets soit d'être une sorte de tour, ce qui ne le distingue pas d'autres éléments architecturaux proéminents de forme élevée, tels les clochers d'églises, stûpas, etc.

A défaut de pouvoir délimiter l'objet de l'interdiction à l'aide de critères architecturaux, on pourrait le délimiter par sa fonction religieuse. La vocation religieuse d'un édifice peut toutefois prêter à discussion. La limite risque d'être difficile à tracer si l'on songe qu'il peut exister des lieux dont l'affectation est mixte et que le minaret peut aussi être une tourelle de faible dimension mêlant fonctions décorative et religieuse. En outre, ce critère n'englobe pas les minarets dépourvus de fonction religieuse, édifiés pour des raisons sentimentales ou esthétiques, comme le minaret Suchard dans le canton de Neuchâtel (v. ch. 5.3).

L'initiative ne vise expressément que la construction du minaret et non l'utilisation ou la transformation en minaret d'un bâtiment existant: comme le minaret ne se distingue pas par des caractéristiques architecturales précises, l'interdiction pourrait aisément être contournée si elle se limitait à la construction d'un nouveau bâtiment, car n'importe quelle tour pourrait faire l'affaire (y compris d'ailleurs une ancienne tour d'église désaffectée70).

Qu'on limite la portée de l'interdiction à des édifices ayant une fonction religieuse ou que l'on renonce à faire cette distinction, on se heurte à des problèmes de délimitation et de cohérence législative. Ces difficultés ne sont toutefois pas telles qu'elles rendent l'initiative impossible à exécuter.

6.3

Compatibilité de l'initiative avec le droit international

Quelles seraient les conséquences, en droit international, de l'acceptation de l'initiative «contre la construction de minarets»? En d'autres termes, ce texte peut-il être concilié avec les droits fondamentaux que la Suisse est tenue de garantir au regard du droit international, en vertu de la CEDH et du Pacte II de l'ONU71?

Tant la CEDH que le Pacte II de l'ONU sont directement applicables72. Les droits fondamentaux consacrés par ces deux conventions sont traités, en droit de la procédure, à l'égal des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution73. Leurs violations peuvent faire l'objet d'un recours devant le Tribunal fédéral (art. 95, let. b, de 70

71

72

73

On notera qu'en Espagne de nombreux minarets construits au moyen-âge ont été convertis en clochers d'église par la suite. On pourrait donc également imaginer le phénomène inverse.

La Suisse a ratifié la CEDH le 28.11.1974; ce texte est entré en vigueur le jour même pour notre pays. Elle a ratifié le Pacte II de l'ONU le 18.6.1992; ce texte est entré en vigueur pour notre pays le 18.9.1992. De nombreux droits fondamentaux consacrés par ces deux traités se sont vu en outre reconnaître le statut de droit coutumier. V. Mark E. Villiger, Handbuch der Europäischen Menschenrechtskonvention (EMRK), 2e éd., Zurich 1999, p. 5, no 3, notamment la référence à l'influence de la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU le 10.12.1948 (résolution 217 III) sur de nombreuses conventions relatives aux droits de l'homme.

Ulrich Häfelin/Walter Haller, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 6e éd., Zurich 2005, p. 74, no 255 (CEDH); Giorgio Malinverni, Les Pactes dans l'ordre juridique interne, in Walter Kälin/Giorgio Malinverni/Manfred Nowak, Die Schweiz und die UNOMenschenrechtspakte, 2e éd., Bâle 1997, pp. 71 ss, 71 à 73 (Pacte II de l'ONU).

Häfelin/Haller, op. cit. (note 72), p.74, no 236 et p. 77, no 245.

6949

la loi du 17 juin 2006 sur le Tribunal fédéral74). Lorsqu'elles ont épuisé les voies de droit internes, les personnes concernées peuvent déposer une requête individuelle pour violation de la CEDH auprès de la Cour européenne des droits de l'homme75.

Les autorités et les tribunaux suisses appliquent directement les normes de la CEDH et du Pacte II de l'ONU relatives aux droits fondamentaux, dans le sens d'un standard minimal76.

6.3.1

Examen de la compatibilité avec l'art. 9 CEDH

L'art. 9 CEDH garantit la liberté de pensée, de conscience et de religion. Son énoncé est le suivant: 1.

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.

2.

La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

L'objet de la protection Le comité d'initiative affirme qu'interdire la construction des minarets «ne viole d'aucune manière la liberté de religion et de croyance»77, puisqu'il argue que «le minaret en tant que bâtiment n'a pas de caractère religieux», n'étant «pas mentionné dans le coran» ni «dans les autres écritures saintes de l'islam».

Comme on l'a vu plus haut, la liberté de religion garantie par l'art. 9, al. 1, CEDH comprend d'abord la conviction intime de l'individu, c'est-à-dire son droit de former sa propre pensée religieuse et de changer de conviction (forum internum), ensuite le droit de manifester sa conviction religieuse, c'est-à-dire de l'exprimer en public et la pratiquer individuellement ou collectivement, en public ou en privé (forum externum)78.

Du point de vue purement architectural, le minaret n'est rien d'autre qu'une tour dont la taille et la forme varie fortement d'un cas à l'autre. Il n'est identifié comme tel que par sa relation avec la religion musulmane79. C'est par là qu'il se distingue 74 75 76

77

78 79

RS 173.110.

Häfelin/Haller, op. cit. (note 72), p. 74, no 237.

Si la Constitution fédérale offre une protection plus large que la CEDH et le Pacte II de l'ONU, elle prime, mais dans le cas contraire, ce sont ces deux traités qui sont déterminants. V. Häfelin/Haller, op. cit. (note 72), p. 75, no 241 et p. 77, no 245.

Exposé de M. Walter Wobmann, conseiller national, membre du comité d'initiative, lors de la conférence de presse tenue à l'occasion du dépôt de l'initiative populaire le 8.7.2008, www.minarette.ch/index.php?id=33, Rubrique «Actualité»/«Exposés et articles» (visité le 11.7.2008).

Grabenwarter, op. cit. (note 19), ad art. 9 CEDH, no 36 à 38 et 45; Villiger, op. cit.

(note 71), p. 382.

Pour plus de détails sur la signification du minaret, v. le ch. 3.1.

6950

des bâtiments profanes tels qu'une cheminée d'usine, une tour de guet ou une tour panoramique, mais aussi des édifices religieux comparables ­ clochers, stûpas ou pagodes. Le minaret est une manifestation visuelle de leur religion par les communautés musulmanes et donc une expression publique de la présence de l'islam. La question de sa mention dans le coran ou dans d'autres écrits sacrés de l'islam n'est pas pertinente. De la même manière que les clochers, qui, bien qu'ils n'apparaissent pas dans la bible, n'en sont pas moins des édifices sacrés pour les chrétiens, les minarets symbolisent l'islam et ils sont associés à cette religion tant aux yeux de ses fidèles que des non-musulmans. La Cour constitutionnelle de Bavière a remarqué avec pertinence, dans un arrêt de 1996 qui peut sans problèmes être transposé à la Suisse, que le minaret ­ bien qu'il ne soit pas mentionné dans le coran ­ forme une «unité quasi indissoluble» avec la mosquée depuis la fin du 7e siècle, à laquelle l'attache un lien resté stable jusqu'à aujourd'hui dans des cultures très diverses, et qu'il n'a pas seulement, vis-à-vis de l'islam, une valeur symbolique comparable à celle du clocher dans l'histoire chrétienne, mais aussi qu'il possède une forte signification au regard de l'identité de la communauté musulmane locale. Le projet d'une communauté musulmane d'ériger un minaret dans l'enceinte d'une mosquée existante revêt une importance non négligeable en raison de sa haute valeur symbolique dans l'islam et de son importance pour l'identité de cette communauté80.

D'ailleurs, le comité d'initiative lui-même assigne le minaret à l'islam et, alors que l'initiative populaire ne vise soi-disant pas un symbole religieux, focalise ses commentaires sur la religion musulmane, à laquelle il reproche de mettre la religion au-dessus du droit et «de donner aux instructions religieuses une importance plus grande qu'au régime légal institué par l'Etat de droit»81.

La construction, l'installation et l'utilisation d'édifices et locaux de culte ont de fortes répercussions sur l'exercice individuel et collectif d'une conviction religieuse et appartiennent donc au domaine matériel protégé par la liberté de croyance et de conscience82. Il est donc hors de doute que l'érection ou l'existence d'un minaret en tant que manifestation physique de la
foi musulmane relève de la liberté religieuse extérieure («la liberté de manifester sa religion ou sa conviction [...] en public ou en privé») et est donc protégée par l'art. 9, al. 1, CEDH. Cela resterait d'ailleurs vrai même si l'on adoptait le point de vue inverse de celui défendu ici, selon lequel le minaret n'est pas un symbole religieux, mais l'expression d'une certaine Weltanschauung. En effet, l'art. 9, al. 1, CEDH ne protège pas seulement les croyances religieuses mais aussi les «convictions»83 en général. Quant à savoir si la manifestation d'une conviction, religieuse ou autre, peut être soumise à des restrictions, c'est là un point à examiner sous l'angle des critères fixés à l'art. 9, al. 2, CEDH.

80 81 82 83

Arrêt de la Cour constitutionnelle de Bavière (Bayerischer Verwaltungsgerichtshof) du 29.8.1996, Neue Zeitschrift für Verwaltungsrecht (NVwZ) 1997, 1016 ss, 1016.

www.minarette.ch/index.php?id=33, Rubrique «De quoi s'agit-il?» (visité le 11.7.2008).

Kiener/Kuhn, op. cit. (note 65), pp. 21 ss et 34.

Dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, la distinction entre conviction et religion n'a jamais joué aucun rôle jusqu'à présent. Il ne serait guère faisable de délimiter exactement ces deux notions, outre que cela ne serait pas nécessaire puisque la protection garantie est la même. V. Grabenwarter, op. cit. (note 19), ad art. 9 CEDH, no 41 et 42.

6951

Les limites du droit fondamental (justification des restrictions) L'art. 9, al. 1, CEDH autorise des restrictions de la liberté religieuse extérieure lorsque trois conditions sont réunies. Les restrictions doivent: A

être prévues par la loi (réserve de la loi);

B

poursuivre un des objectifs suivants: assurer la sécurité publique, protéger l'ordre, la santé ou la morale publiques, protéger les droits et libertés d'autrui;

C

être nécessaires dans une société démocratique.

Reste à examiner si, sur la base de ces critères, l'interdiction de construire des minarets visée par les auteurs de l'initiative est une restriction admissible au sens de l'art. 9, al. 2, CEDH.

A

Réserve de la loi Toute restriction de la liberté religieuse extérieure doit être prévue par la loi.

La Cour européenne des droits de l'homme a fixé sur ce point une exigence qualitative: la loi doit être formulée de manière suffisamment précise pour qu'un individu puisse y conformer son comportement84.

Si l'initiative était acceptée, l'art. 72 Cst. serait complété par un troisième alinéa: «La construction de minarets est interdite.» Bien qu'elle semble claire à première vue, cette brève phrase aurait sans doute besoin d'être précisée à l'échelon de la loi. Il faudrait, s'il ne s'agit pas d'une tour mais d'une surélévation sur le toit d'un bâtiment, fixer à partir de quelle taille la construction est visée par cette disposition. Il faudrait encore préciser si l'interdiction ne vise que des bâtiments en relation avec un lieu de prière islamique ou si elle doit aussi inclure les édifices purement décoratifs (v. aussi les ch. 5.3 et 6.2). Fixer ces détails avec précision dans la loi présenterait des difficultés, mais serait faisable. Par conséquent, il serait possible de respecter le critère de la réserve de la loi.

B

Objectif légitime de l'intervention de l'Etat Sécurité publique/ordre public Toute restriction des droits inscrits à l'art. 9 CEDH doit se fonder sur un des objectifs énumérés à l'al. 2. Pour le comité d'initiative, le minaret est «le symbole d'une revendication de pouvoir politico-religieuse qui [...] conteste des droits fondamentaux» et «place la religion au-dessus de l'Etat»85. Un motif envisageable de restriction de la liberté religieuse serait donc la protection de la sécurité publique ou celle de l'ordre public. Par sécurité publique, on entend, à l'art. 9, al. 2, CEDH, la sécurité de l'Etat et de ses institutions, la protection de la vie et de la santé de la population et la sécurité des biens matériels86. La préservation de l'ordre public signifie le respect des normes édictées par l'Etat qui ont trait à la règlementation assurant une coexistence paisible et sans heurts des personnes physiques, y compris les mesures prises

84 85 86

Grabenwarter, op. cit. (note 19), ad art. 9 CEDH, no 81.

www.minarette.ch/index.php?id=33, Rubrique «De quoi s'agit-il?» (visité le 11.7.2008).

Grabenwarter, op. cit. (note 19), ad art. 9 CEDH, no 83.

6952

pour sauvegarder l'ordre juridique87. La sauvegarde de la paix religieuse peut être incluse dans ces objectifs88.

Ceci dit, la protection de la sécurité et de l'ordre publics constituerait-elle une justification suffisante à une interdiction de construire des minarets?

Dans son rapport annuel concernant l'appréciation de la menace et les activités des organes de sûreté de la Confédération, le Conseil fédéral a constaté que la Suisse était située dans la zone exposée au risque du terrorisme islamiste constituée par l'Europe occidentale, mais n'en était cependant pas une cible première89.

Les auteurs de l'initiative mettent les minarets en relation avec le fanatisme religieux et la violence islamiste. Les minarets seraient «les phares du jihad» et «le symbole, bien visible à la ronde, d'une soumission religieuse absolue et de l'intolérance que cela implique»90. Ce point de vue n'est pas défendable. Seule une infime fraction des quelque 310 000 musulmans qui résident en Suisse (chiffres du recensement de la population de 2000) souscrit aux positions du radicalisme islamiste; encore plus rares sont ceux qui seraient prêts à s'engager dans l'activisme violent. Les minarets ont autant à voir avec eux que les mâts d'éclairage d'un stade avec les quelques hooligans qui se mêlent au public. Les trois minarets qui existent en Suisse aujourd'hui, à Genève, Winterthour et Zurich, et qui sont plutôt discrets, sont des symboles de la présence dans notre pays de la religion musulmane dont une grande majorité des adeptes sont pacifiques et respectent les lois et l'ordre social de la Suisse. D'ailleurs, l'islam n'est plus tout à fait une religion étrangère, il est de plus en plus une des religions des Suisses91.

L'extrémisme violent de nature religieuse ou idéologique naît dans le cerveau de l'homme et est professé et mis en oeuvre par l'homme. Pour le combattre, il ne faut pas prendre pour cible des bâtiments, mais des groupes de personnes ou des individus tels que des prédicateurs militants qui défient notre Etat en incitant à la violence. Rien ne permet de croire qu'une interdiction des minarets dans toute la Suisse permettrait d'améliorer la sécurité publique dans notre pays. Les extrémistes prêts à faire usage de la violence agissent à la façon de conspirateurs et évitent d'attirer l'attention. Quelques 87 88

89

90

91

Ibid., no 84.

Ibid., no 83 et 84. Les mesures visant à éviter des tensions quotidiennes dans la coexistence entre plusieurs communautés religieuses relèvent plutôt de la protection de l'ordre public; les mesures visant à stopper l'escalade d'un conflit ont davantage à voir avec la sécurité publique.

Rapport du Conseil fédéral du 2.4.2008 concernant l'appréciation de la menace et les activités des organes de sûreté de la Confédération en 2007, FF 2008 2441, v. les ch. 2.1 et 2.3, p. 2444 ss. Le Conseil fédéral se réfère au rapport sur la sécurité intérieure de la Suisse en 2007, publié par l'Office fédéral de la police en juillet 2008, qui fait une analyse détaillée d'incidents liés à l'extrémisme islamiste violent aux pp. 14 à 18.

Les phares du Jihad, exposé de M. Oskar Freysinger, conseiller national, du 3.5.2007, http://www.minarets.ch/index.php?id=76, Rubrique «Actualité», «Exposés et articles» (visité le 14.7.2008).

Le recensement de la population de 2000 a montré que plus de 10 % des musulmans de Suisse ont la nationalité suisse. Ce groupe est ainsi devenu plus important, en chiffres absolus, que les communautés juive et catholique chrétienne. V. Claude Bovay / Raphaël Broquet, Le paysage religieux en Suisse, Analyse scientifique de l'Office fédéral de la statistique dans le cadre du recensement fédéral de la population 2000, Neuchâtel, décembre 2004, p. 32 ss.

6953

hommes qui se rencontrent dans un appartement, un café, un garage ou une cour d'immeuble donnent moins lieu à suspicion que s'ils se réunissaient dans une salle de prière. Même pour un terroriste ayant des motivations religieuses, peu importe qu'un minaret, un clocher ou un édifice comparable soit attenant ou non aux locaux du culte. Rappelons ce que nous avons exposé plus haut92: certains extrémistes et terroristes islamistes relèvent en majeure partie du courant wahhabite salafiste, qui considère par principe le minaret comme une innovation ­ soit une hérésie par rapport à l'«islam vrai» ­ si bien que l'initiative en viendrait à répondre aux vues des extrémistes musulmans. Le rapport de l'Office fédéral de la police sur la sécurité intérieure de la Suisse en 200793 montre en outre que la propagande et la communication, le recrutement, la formation et la récolte de renseignements nécessaires à la préparation d'attaques terroristes ont de plus en plus Internet pour vecteur. Le terrorisme moderne, organisé de manière flexible, opère à l'échelle internationale. On ne peut en aucune manière constater de lien entre les activités islamistes violentes à l'étranger ou en Suisse et les trois minarets de Genève, Winterthour et Zurich (ou les deux minarets prévus à Wangen bei Olten et à Langenthal).

On ne voit donc pas en quoi des minarets dont le projet est établi et la construction menée dans le respect des normes en vigueur pourraient menacer le régime démocratique de la Suisse. Certes, la Cour européenne des droits de l'homme a confirmé, dans le cas de la Turquie, l'interdiction de porter le foulard islamique dans les universités publiques. A l'appui de cet arrêt, elle a fait valoir que cette interdiction servait à préserver l'ordre public face à des groupements politiques extrémistes turcs qui voulaient imposer à la société entière leurs symboles religieux et une conception de la société basée sur des préceptes religieux94. Ce jugement ne peut pas être transposé à la question des minarets. D'une part, l'interdiction de porter le foulard islamique examinée par la Cour européenne est très limitée dans l'espace puisqu'elle ne s'applique que dans les établissements d'enseignement public, qui doivent respecter la neutralité religieuse. L'initiative «contre la construction de minarets» vise par contre
l'aménagement du lieu de culte des musulmans et veut interdire d'une manière générale aux communautés islamiques d'ériger un symbole religieux sur des biens-fonds privés. D'autre part, l'arrêt de la Cour européenne, comme le souligne celle-ci, tient compte de la situation

92 93 94

V. le ch. 3.1.2.

V. note 89 Leyla ahin c. Turquie, arrêt du 10.11.2005, 44774/98, § 114 et surtout § 115; v. aussi Grabenwarter, op. cit. (note 19), ad art. 9 CEDH, no 90.

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spécifique de la Turquie95, qui n'est pas comparable avec celle de la Suisse96.

L'interdiction générale de construire des minarets en Suisse, donc, ne contribuerait pas à la sécurité publique ni à la protection de l'ordre public.

Les musulmans de Suisse ressentiraient au contraire cette mesure comme un affront et une marque de rejet. En fin de compte, elle compromettrait la paix religieuse de notre pays au lieu de la garantir: des lieux de prière dignes, correspondant aux besoins des croyants, servent bien mieux la paix religieuse que des locaux de fortune avec lesquels les adeptes de la religion considérée ne s'identifient pas. L'histoire de la Suisse nous enseigne d'ailleurs qu'il est plus aisé d'éviter ou de résoudre les conflits de religion en prenant en considération la diversité religieuse et les particularités locales du pays qu'en édictant des règles ou des interdictions uniformes au niveau fédéral97. Enfin, un Etat de droit démocratique qui respecte la pluralité des religions et qui se fait un devoir de protéger les minorités doit tolérer qu'il subsiste quelques tensions ayant leur source dans la religion. La Cour européenne des droits de l'homme a souligné à plusieurs reprises, dans sa jurisprudence, que l'Etat ne saurait avoir pour rôle de prendre, afin d'éviter des tensions de cet ordre, des mesures de nature à supprimer le pluralisme religieux98. Au contraire, il est nécessaire d'adopter une approche nuancée, respectueuse du principe de proportionnalité, comme on le verra au point C.

95 96

97

98

Leyla ahin c. Turquie, arrêt du 10.11.2005, 44774/98, §§ 109, 114 et 115.

Le paysage religieux de la Suisse est bien plus fragmenté et mêlé que celui de la Turquie.

Celle-ci est un république fondamentalement laïque, caractérisée par une stricte séparation de la religion et de l'Etat, alors qu'en Suisse les relations entre l'Etat et les communautés religieuses sont plus ou moins étroites selon les cantons. La Turquie, depuis la fondation de la république en 1923, est régulièrement agitée par des conflits sociaux et politiques entre courants laïques et républicains et mouvements religieux, débouchant souvent sur des affrontements violents. La doctrine admet que la Cour européenne des droits de l'homme ne confirmerait pas une interdiction faite aux élèves et aux étudiantes de porter le voile islamique dans des Etats parties dont la situation n'est pas comparable à celle de la Turquie. V. Grabenwarter, op. cit. (note 19), ad art. 9 CEDH, no 90. Markus Scheffer, Grundrechte in der Schweiz, volume supplémentaire de la 3e édition de l'oeuvre du même titre de Jörg Paul Müller, Berne 2005, p. 90, estime qu'une telle interdiction serait inadmissible en Suisse.

Le système fédéraliste et nuancé des relations entre communautés religieuses et Etat, qui fonctionne parfaitement à l'heure actuelle, repose sur la prise de conscience du fait que la Suisse ne peut exister que si toutes les minorités ­ y compris religieuses ­ qui la composent y concourent. Les guerres de religion des 16e et 17e s., les tensions sociales du Kulturkampf au 19e s., dont les conséquences ont persisté jusqu'à l'abrogation des derniers «articles confessionnels» dans la Constitution fédérale, en 1973 (interdiction des jésuites et l'interdiction de nouveaux ordres et couvents) et en 2001 (article sur le évêchés), ont montré l'inanité d'une approche dogmatique.

Par ex. Serif c. Grèce, arrêt du 14.12.1999, 38178/97, § 52; Leyla ahin c. Turquie, arrêt du 10.11.2005, 44774/98, § 107.

6955

L'interdiction générale de construire des minarets que les auteurs de l'initiative veulent inscrire dans la Constitution ne peut donc pas être justifiée par la protection de la sécurité et de l'ordre publics, comme le prévoit l'art. 9, al. 2, CEDH. Etant donné que les autres objectifs admissibles énumérés par cette disposition sont soit non pertinents99 soit non réalisés100, le critère de l'objectif légitime de la restriction n'est pas rempli.

C

Nécessité dans une société démocratique L'interdiction de construire des minarets ne sera pas non plus admise par l'art. 9, al. 2, CEDH si elle n'est pas nécessaire dans une société démocratique, condition qui s'applique quel que soit l'objectif visé. Les organes de contrôle institués par la convention procèdent, pour juger de ce point, à un examen de la proportionnalité; c'est-à-dire que la règle générale et abstraite, mais aussi les mesures concrètes prises pour atteindre un objectif légitime de l'intervention de l'Etat cité à l'art. 9, al. 2, CEDH doivent être appropriées et non excessives par rapport au but poursuivi101. S'il est vrai que la Cour européenne des droits de l'homme laisse aux Etats parties une grande latitude pour juger de quelle manière les relations entre l'Etat et les communautés religieuses doivent être réglées, afin de tenir compte des caractères nationaux différents102, la nature générale et absolue de l'interdiction visée par l'initiative, qui ne souffre aucune exception, interdit même tout examen de la proportionnalité. C'est avec une certain degré de subtilité qu'il faut soupeser d'une part les droits individuels des personnes et des groupes de personnes qui découlent de la liberté de religion et d'autre part l'intérêt légitime de la collectivité à la protection de l'ordre public, y compris à la paix religieuse.

Cette pesée des intérêts ne peut pas s'effectuer uniquement sur le plan général et abstrait, elle exige un examen des cas concrets. A l'heure actuelle, il n'est en aucune façon possible de construire n'importe où des minarets de n'importe quelle forme et de n'importe quelle taille, pas plus que d'autres édifices religieux. Il faut observer les plans de zone et les régimes d'affectation, les règles en matière de construction et de protection des monuments historiques, les prescriptions en matière de protection contre les nuisances sonores et autres. Ces points sont examinés pour chaque projet. De plus, l'environnement d'un édifice religieux joue manifestement un rôle essentiel.

Si quelqu'un formait le projet de construire un minaret juste à côté de la cathédrale de Bâle ou de Lausanne, cette proposition se heurterait non seulement à des considérations de protection des monuments historiques et de préservation de l'image de la ville, mais aussi à l'exigence du
maintien de la paix religieuse, parce que la proximité immédiate de symboles forts de deux religions différentes pourrait créer mécontentement et tensions entre leurs fidèles. Les autorités administratives suisses sont parfaitement en mesure d'appliquer correctement le principe de proportionnalité. Témoins non seulement l'examen minutieux des projets de construction de minarets à Wan-

99

La protection de la santé, que ce soit celle de l'individu ou de la collectivité, n'est manifestement pas pertinente ici.

100 Nous avons démontré, à propos de la sécurité et l'ordre public, que l'érection ou l'utilisation de minarets n'avait pas de lien matériel avec l'extrémisme islamiste violent; les interdire ne protègerait donc pas la morale ni les droits et libertés d'autrui.

101 Grabenwarter, op. cit. (note 19), ad art. 9 CEDH, no 87.

102 Cf. par ex. Leyla ahin c. Turquie, arrêt du 10.11.2005, 44774/98, § 109.

6956

gen bei Olten et à Langenthal103, mais aussi la finesse de la pondération opérée par le Tribunal fédéral entre la liberté religieuse, la tradition locale et le besoin de repos des individus lorsqu'il a examiné la question des nuisances sonores de cloches d'église104.

Compatibilité avec l'art. 9 CEDH: synthèse L'analyse faite aux points B et C ci-dessus montre que l'initiative «contre la construction de minarets» porte atteinte à la liberté religieuse garantie par l'art. 9 CEDH.

La mesure demandée n'a pas de justification au sens de l'al. 2 de cette disposition car elle est dépourvue de tout objectif légitime et, en outre, disproportionnée c'est-àdire non nécessaire dans une société démocratique. Une interprétation conforme à la convention n'est pas possible puisque l'interdiction demandée est générale et absolue et que le critère de définition du minaret est son association à l'islam. Dans le cas où l'initiative populaire serait acceptée, il est hautement vraisemblable que la Cour européenne des droits de l'homme condamnerait la Suisse pour violation de l'art. 9 CEDH si elle était saisie d'une requête.

6.3.2

Examen de la compatibilité avec l'art. 14 CEDH

L'art. 14 CEDH, qui règle l'interdiction de discrimination, a la teneur suivante: La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

L'objet de la protection Le principe de non-discrimination a un caractère accessoire. Il ne s'agit pas d'un droit indépendant: il n'est possible de le faire valoir qu'en relation avec un autre droit garanti par la CEDH ou par ses protocoles additionnels105. Il suffit toutefois que le fait incriminé relève du domaine protégé par cet autre droit, qu'il porte ou non atteinte à ce dernier106. Nous avons montré plus haut que l'objet de l'initiative entre dans le domaine protégé par l'art. 9 CEDH ­ qu'il viole d'ailleurs107. Si la Suisse adoptait une interdiction de construire des minarets, il serait possible d'invoquer l'art. 14 CEDH.

Présence d'une discrimination La Cour européenne des droits de l'homme considère qu'une différence de traitement entre des personnes se trouvant dans des situations analogues ou d'une similarité significative est discriminatoire lorsqu'elle se fonde sur des caractéristiques

103 104 105

V. le ch. 3.2.

V. par ex. ATF 126 II 366 ss. (X. c. Eglise réformée de Bubikon).

Villiger, op. cit. (note 19), n. 658; Rainer J. Schweizer, Internationaler Kommentar zur Europäischen Menschenrechtskonvention, Cologne/Berlin/Bonn/Munich 1997, ad art. 14 CEDH, no 2 et 47.

106 Schweizer, op. cit. (note 105), ad art. 14 CEDH, no 3.

107 Voir le ch. 6.3.1.

6957

personnelles mais n'a pas de justification objective et raisonnable ou lorsque les moyens mis en oeuvre sont disproportionnés par rapport à l'objectif visé108.

L'art. 14 CEDH cite parmi les critères de discrimination «la religion» et «les opinions politiques ou toutes autres opinions». En demandant l'interdiction de construire des minarets, l'initiative populaire vise uniquement un symbole religieux de l'islam, à l'exclusion de tout autre symbole architectural comparable des autres religions. Il y a là manifestement une différence de traitement fondée sur la religion.

Cette différence de traitement ne se fonde sur aucune justification légitime. On se reportera sur ce point aux explications données à propos de l'art. 9 CEDH109.

L'interdiction de construire des minarets est tout à fait inappropriée pour influer positivement, de quelque façon que ce soit, sur la sécurité et l'ordre publics et en particulier sur la paix religieuse qui semble être au premier plan des préoccupations des auteurs de l'initiative. Au contraire, il est sérieusement à craindre qu'en défavorisant une communauté religieuse par rapport aux autres, on ne nuise à la sécurité et à l'ordre publics, ainsi qu'aux relations avec les adeptes d'autres fois. Il est indéfendable, du point de vue de la sécurité publique, de se concentrer exclusivement sur la communauté islamique: toutes les communautés religieuses sont confrontées à un fondamentalisme violent qui tire ses sources de la religion110, sans compter qu'il existe aussi une violence motivée par des convictions politiques et idéologiques.

Rien ne permet de justifier que l'on traite différemment les membres d'une confession, d'autant plus que la CEDH compte les inégalités de traitement fondées sur le critère de la religion parmi les «catégories suspectes»: pour celles-ci, la discrimination est présumée d'emblée et leur justification doit remplir des exigences particulièrement élevées111.

Enfin, l'initiative ne présente pas la proportionnalité requise des moyens par rapport au but visé. Le principe contenu dans l'interdiction de discrimination ­ traiter ce qui est similaire de manière similaire et traiter ce qui est différent de manière différente112 ­ requiert une comparaison nuancée des divers cas de figure qui se présentent. Or une interdiction de construire des minarets
applicable de manière absolue et visant une seule et unique communauté religieuse rendrait cette comparaison impossible. Le droit actuel, par contre, comme on l'a exposé plus haut113, permet d'adopter des solutions raisonnables qui tiennent compte des spécificités du cas envisagé et qui concilient au mieux la liberté religieuse des individus ou des communautés avec le besoin de protection de la collectivité.

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Par ex. Alatulkkila ua c. Finlande, arrêt du 28.7.2005, 33538/96, § 69, cité par Schweizer, op. cit. (note 105), ad art. 14 CEDH, no 15.

V. le ch. 6.3.1.

Considérons par ex. le conflit d'Irlande du Nord, qui a vu s'affronter dans des combats sanglants les activistes catholiques et protestants pendant des dizaines d'années; les groupements fondamentalistes hindous en Inde, qui pratiquent des actes terroristes graves contre les musulmans; toujours en Inde, les mouvements extrémistes sikhs du Pendjab; les extrémistes juifs responsables de l'assassinat du premier ministre israélien Yitzhak Rabin en 1995; enfin la guerre civile au Sri Lanka, qui oppose autour d'une ligne de fracture ethno-religieuse des singhalais bouddhistes et des tamouls hindouistes et dont les répercussions se sont fait sentir dans notre pays dans les années 1980, avec l'arrivée de flots de réfugiés tamouls.

Schweizer, op. cit. (note 105), ad art. 14 CEDH, no 18 à 21 et 67.

Schweizer, op. cit. (note 105), ad art. 14, CEDH no 12.

V. les ch. 3.3 à 3.5.

6958

Compatibilité avec l'art. 14 CEDH: synthèse Au vu des considérations qui précèdent, on constate que l'interdiction de construire des minarets enfreindrait l'interdiction de discrimination de l'art. 14 CEDH, qui pourrait être invoqué en relation avec l'art. 9 CEDH: elle crée une inégalité de traitement entre des groupes de personnes dans des situations similaires, sur la base du critère éminemment personnel de la religion; cette différence de traitement n'a pas de justification légitime; enfin, l'interdiction prévue est disproportionnée. A supposer que cette disposition constitutionnelle entre en vigueur, il est hautement vraisemblable que la Cour européenne des droits de l'homme condamnerait la Suisse pour violation de l'art. 14 CEDH si elle était saisie d'une requête.

6.3.3

Examen de la compatibilité avec l'art. 18 du Pacte II de l'ONU

L'objet de la protection L'art. 18 du Pacte II de l'ONU garantit la liberté de pensée, de conscience, de religion et de conviction. Sur le fond, il correspond largement à l'art. 9 CEDH. Il couvre lui aussi les aspects intérieurs et extérieurs de la religion et de la conviction114. La liberté extérieure est définie comme «la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé [...]».

Nous avons déjà exposé115, lors de l'examen de l'art. 9 CEDH, que l'interdiction demandée par l'initiative relève de la liberté religieuse extérieure, puisque le minaret, symbole religieux de l'islam, manifeste la présence de celui-ci vis-à-vis de l'extérieur et représente donc une sorte de témoignage de cette religion.

Les limites du droit fondamental (justification de la restriction) L'art. 18, ch. 3, du Pacte II de l'ONU autorise des restrictions de la liberté de manifester sa religion ou ses convictions, à condition qu'elles soient prévues par la loi et «nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui».

Les objectifs légitimes de la restriction qu'énumère la disposition se recoupent très largement avec ceux de l'art. 9, al. 2, CEDH. On peut donc se reporter in extenso aux considérations relatives à cet article pour juger de la légitimité de la justification de l'initiative. On en conclura qu'une interdiction générale et absolue de construire des minarets en Suisse ne peut pas être justifiée par la protection de la sécurité et de l'ordre publics116, tandis que les autres objectifs cités à l'art. 18, ch. 3, du Pacte II de l'ONU sont soit non pertinents, soit non réalisés117. Quant à la nécessité de la restriction, elle fait tout particulièrement défaut. L'initiative ne répond donc pas au principe de proportionnalité, selon lequel la restriction devrait, en gravité et en

114

Nowak, op. cit. (note 20), ad art. 18, p. 337, no 20, parle à ce sujet de liberté active ou passive de religion et de conviction.

115 V. le ch. 6.3.1.

116 V. le ch. 6.3.1 et Nowak, op. cit. (note 20), ad art. 18 du Pacte II de l'ONU, no 36 à 39.

117 En particulier, la restriction ne peut pas être justifiée par la protection des libertés et droits fondamentaux d'autrui, l'objectif n'étant pas réalisé, voir le ch. 6.3.1 et Nowak, op. cit.

(note 20), ad art. 18 du Pacte II de l'ONU, no 43 ss.

6959

intensité, être proportionnelle au but visé, et ne devrait pas devenir la règle118. Cette condition n'est visiblement pas remplie. Le caractère absolu de l'interdiction ne laisserait aucune marge de manoeuvre aux autorités pour apprécier un cas particulier en fonction des circonstances.

Compatibilité avec l'art. 18 du Pacte II de l'ONU: synthèse L'initiative «contre la construction de minarets» entre dans le domaine protégé par l'art. 18 du Pacte II de l'ONU. L'interdiction visée n'ayant pas de justification légitime et n'étant pas proportionnée, il y aurait violation de l'art. 18 du Pacte II de l'ONU si l'initiative était acceptée.

6.3.4

Examen de la compatibilité avec l'art. 2 du Pacte II de l'ONU

L'objet de la protection L'art. 2 du Pacte II de l'ONU contient une interdiction de discrimination qui recouvre à peu près, sur le fond, celle de l'art. 14 CEDH: les droits reconnus par le pacte doivent être garantis à tous, sans distinction de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion.

Comme l'art. 14, cette disposition est de nature accessoire, c'est-à-dire qu'elle ne peut être invoquée qu'en relation avec un autre droit garanti par le pacte, que cet autre droit ait été violé ou non119. Or cette condition est remplie dans le cas qui nous occupe, puisque nous avons constaté une violation de l'art. 18 du Pacte II de l'ONU.

Les limites du droit fondamental (justification de la restriction) Comme pour l'art. 14 CEDH, on admet qu'il y a discrimination lorsque des personnes ou des groupes de personnes qui se trouvent dans une situation similaire sont traités de manière différente et que cette différence de traitement ne repose pas sur des critères raisonnables et objectifs ou bien est disproportionnée120. S'il l'on interdisait la construction de minarets en Suisse, on traiterait les musulmans différemment des autres communautés religieuses, en prenant la religion comme critère. On a déjà vu121, en étudiant les art. 9 et 14 CEDH, que cette interdiction ne pouvait pas se fonder sur un intérêt public légitime et était disproportionnée. On peut donc en conclure qu'il y a discrimination.

Compatibilité avec l'art. 2 du Pacte II de l'ONU: synthèse L'interdiction de construire des minarets créerait une différence de traitement entre une communauté religieuse et toutes les autres, sans justification légitime et en violation du principe de proportionnalité. Si cette disposition entrait en vigueur, elle enfreindrait l'art. 2 du Pacte II de l'ONU.

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Nowak, op. cit. (note 20), ad art. 18 du Pacte II de l'ONU, no 34.

Nowak, op. cit. (note 20), ad art. 2 du Pacte II de l'ONU, no 3 et 13 à 15.

Nowak, op. cit. (note 20), ad art. 2 du Pacte II de l'ONU, no 33.

V. les ch. 6.3.1, 6.3.2 et 6.3.3.

6960

6.3.5

Examen de la compatibilité avec l'art. 27 du Pacte II de l'ONU

L'objet de la protection L'art. 27 du Pacte II de l'ONU garantit la protection des minorités. Sa teneur est la suivante: Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue.

La notion centrale délimitant le champ d'application de l'art. 27 du Pacte II de l'ONU est celle de «minorité», dont ni le pacte ni aucun autre texte international ne donne de définition contraignante. Les auteurs de doctrine défendent deux approches. Tous s'accordent sur le fait que ni la plus grande part de la population d'un Etat ni un groupe ayant une position dominante sur le plan politique, économique, culturel ou social ne sont des minorités; il faut en outre que le groupe se distingue de la majorité par des caractéristiques ethniques, par la langue ou par la religion et qu'il fasse preuve d'une certaine solidarité et d'une certaine stabilité pour ce qui est de la préservation de ses valeurs collectives122. Mais les partisans d'une interprétation plus restrictive limitent le terme de minorité aux ressortissants de l'Etat considéré, en excluant les étrangers qui y sont établis123, tandis que d'autres y incluent aussi en principe les non-ressortissants124. Cette dernière définition, plus large, est celle que défend le Comité des droits de l'homme des Nations Unies qui interprète les dispositions du pacte et veille à ce que les Etats parties le respectent125, si bien que l'on peut parler là de conception dominante. Les prises de positions les plus récentes du Comité montrent une tendance à étendre la notion de minorité, notamment en ce qui concerne les minorités religieuses126.

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125 126

Nowak, op. cit. (note 20), ad art. 27 du Pacte II de l'ONU, no 13 à 15; Malinverni, op. cit.

(note 72), p. 233 ss, pp. 235 à 237, notamment p. 236.

Par ex. Malinverni, op. cit. (note 72), p. 237; Francesco Capotorti, Study on the rights of persons belonging to ethnic, religious and linguistic minorities, New York 1979, p. 96, § 568, cité par Nowak, op. cit. (note 20), ad art. 27 du Pacte II de l'ONU, no 13 et 16. Les partisans d'une limitation de la minorité aux ressortissants soulignent l'exigence de stabilité que ne garantit pas un groupe d'immigrés, cf. Malinverni, op. cit. (note 72), p. 237 et la présentation de cette conception chez Nowak, op. cit. (note 20), ad art. 27 du Pacte II de l'ONU, no 18.

Par ex. Nowak, op. cit. (note 20), ad art. 27 du Pacte II de l'ONU, no 16 ss, qui fait valoir notamment que les Etats parties se sont engagés, à l'art. 2, al. 1, du Pacte II de l'ONU, à garantir les droits reconnus par le pacte à tous les individus se trouvant sur leur territoire sans distinction aucune.

Voir les observations du Comité relatives à l'art. 27, citées par Kälin/Malinverni/Nowak, op. cit. (note 72), pp. 403 à 406.

Sur cette évolution, v. Manfred Nowak, Der Minderheitenschutz in den Vereinten Nationen, exposé du 06.10.2006 dans le cadre du symposium international «Schutz und Durchsetzung der Rechte nationaler Minderheiten» de la International Law Association (ILA) ­ branche autrichienne, au Bildungshaus Sodalitas de Tainach/Tinje, p. 5: il y souligne que les cas traités par le Comité récemment montrent que celui-ci interprète la notion de minorité de manière assez large.

6961

Compatibilité avec l'art. 27 du Pacte II de l'ONU: synthèse Contrairement à la Convention-cadre du Conseil de l'Europe pour la protection des minorités nationales (v. le ch. 6.3.6), l'art. 27 du Pacte II de l'ONU n'abandonne pas aux Etats parties le soin de délimiter la notion de minorité. L'interprétation du Comité des droits de l'homme de l'ONU compétent pour l'application de ce pacte est déterminante. A l'heure actuelle, on peut douter que les musulmans de Suisse représentent une minorité au sens de l'art. 27 du Pacte II de l'ONU127, vu leur hétérogénéité ethnique, la multiplicité des courants religieux auxquels ils adhèrent et la diversité de leurs modes de vie. Il n'est cependant pas exclu, sur la base de l'interprétation dynamique de la notion de minorité, notamment de minorité religieuse, faite par le Comité, qu'ils puissent un jour être qualifiés de minorité au sens de cette disposition. Dans ce cas, une interdiction de construire des minarets pourraient violer l'art. 27 du Pacte II de l'ONU car, comme on l'a montré plus haut128, cette mesure ne poursuit pas un objectif légitime et ne satisfait pas au principe de la proportionnalité.

6.3.6

Examen de la compatibilité avec d'autres traités internationaux

Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale L'art. 1 de la Convention internationale du 21 décembre 1965 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale129 lie la notion de «discrimination raciale» aux différences fondées sur la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique d'une personne ou d'un groupe de personnes. Il ne mentionne pas la religion comme critère. Le fait d'appliquer un traitement différent à des personnes ou groupes de personnes en fonction de leur religion n'entre pas dans le champ d'application de la convention130. Interdire la construction de minarets en Suisse ne violerait donc pas la convention contre le racisme. Cependant, cela irait à l'encontre de l'esprit de cette convention, car la Suisse s'y est engagée à déclarer punissable toute diffusion d'idées fondées sur la supériorité d'une race ou d'un groupe de population131. Rappelons en outre que la Suisse a émis en 2003 une déclaration de reconnaissance de compétence au sens de l'art. 14 de la convention, grâce à laquelle le comité compétent peut examiner la conformité à cet instrument

127

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131

En imposant le critère de la stabilité, les auteurs du pacte voulaient éviter que l'on qualifie trop hâtivement des groupes de travailleurs immigrés ou autres migrants de nouvelles minorités: Nowak, op. cit. (note 20), ad art. 27 du Pacte II de l'ONU, no 18 ss. Il n'est cependant pas exclu que ces groupes de population puissent se réclamer de cette disposition après un certain temps passé dans le pays, ibid., no 20.

V. le ch. 6.3.1.

RS 0.104. La convention a été conclue le 21.12.1965. Ratifiée par la Suisse le 29.11.1994, elle est entrée en vigueur pour notre pays un mois plus tard.

Le critère de l'appartenance religieuse devait initialement être inclus dans la convention, mais on y a renoncé sur les instances des pays arabes qui voulaient éviter que leur conflit avec Israël ne soit considéré à l'aune de ce critère. Cette omission a poussé la Suisse à sanctionner les discriminations fondées sur la religion à l'art. 261bis du code pénal (Discrimination raciale). Cf. les explications données dans le message concernant l'adhésion de la Suisse à la Convention internationale de 1965 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la révision y relative du droit pénal, FF 1992 III 265, p. 306.

V. par ex. l'art. 4, let. a, de la convention.

6962

international d'actes de la Suisse, sur communication d'une personne ou d'un groupe de personnes.

Convention-cadre pour la protection des minorités nationales La Convention-cadre du Conseil de l'Europe du 1er février 1995 pour la protection des minorités nationales132 interdit «toute discrimination fondée sur l'appartenance à une minorité nationale» (art. 4, al. 1). En outre, elle oblige les parties «à promouvoir les conditions propres à permettre aux personnes appartenant à des minorités nationales de conserver et développer leur culture, ainsi que de préserver les éléments essentiels de leur identité, que sont leur religion, leur langue, leurs traditions et leur patrimoine culturel» (art. 5, al. 1). Enfin, les parties «s'engagent à reconnaître à toute personne appartenant à une minorité nationale le droit de manifester sa religion ou sa conviction, ainsi que le droit de créer des institutions religieuses, organisations et associations» (art. 8).

La convention-cadre protège les «minorités nationales» sans définir cette notion. Il revient aux Etats de déterminer quels groupes de population sont des minorités nationales au sens de la convention et entrent dans son champ d'application133. La Suisse l'a fait sous la forme d'une déclaration dans laquelle elle désigne comme minorités au sens de la convention «les groupes de personnes qui sont numériquement inférieurs au restant de la population [...], sont de nationalité suisse, entretiennent des liens anciens, solides et durables avec la Suisse et sont animés de la volonté de préserver ensemble ce qui fait leur identité commune» (ce dernier point peut parfaitement s'incarner dans la religion)134.

La Suisse applique la notion de minorité nationale non seulement aux minorités linguistiques mais aussi, par exemple, à la communauté juive135. Elle est plus réservée en ce qui concerne d'autres religions dont la progression ne date que de quelques décennies, en raison de ces exigences de liens anciens et durables et de volonté de préserver leur identité commune136. On peut en déduire qu'à l'heure actuelle, sur la base de la déclaration de la Suisse, une interdiction de construire des minarets ne violerait pas la convention du Conseil de l'Europe.

6.3.7

Conséquences d'une violation de la CEDH et du Pacte II de l'ONU

Etant donné que l'interdiction de construire des minarets visée par l'initiative est formulée de manière générale et absolue, il n'est guère envisageable de l'interpréter de manière conforme au droit international et d'éviter une violation des art. 9 et 14 CEDH et des art. 2 et 18 du Pacte II de l'ONU. Si elle était adoptée, le Conseil

132 133

134 135 136

RS 0.441.1. La convention a été conclue le 1.2.1995. Ratifiée par la Suisse le 21.10.1998, elle est entrée en vigueur pour notre pays le 1.2.1999.

V. à ce sujet le message du 19.11.1997 relatif à la Convention du Conseil de l'Europe pour la protection des minorités nationales, FF 1998 1046, pp. 1308 et 1041 ss, où l'on constate qu'aucun instrument international juridiquement contraignant ne contient de définition de la notion de «minorité» ou de «minorité nationale».

RS 0.441.1, déclaration suivant le texte de la convention.

Message du 19.11.1997, FF 1998 1046, p. 1048.

Cela apparaît par exemple dans la position adoptée par la Suisse vis-à-vis du comité consultatif chargé de surveiller l'application de la convention.

6963

fédéral et le Parlement devraient décider de quelle manière il conviendrait de résoudre ce conflit.

En ce qui concerne la CEDH, les organes du Conseil de l'Europe pourraient prendre des mesures à l'encontre de la Suisse. Si une requête dans le contexte de la mise en oeuvre de l'initiative devait aboutir à un constat de non-conformité à la CEDH, des mesures générales, par exemple une réforme législative ou constitutionnelle, seraient certainement exigées de la Suisse pour prévenir de nouvelles violations. Si notre pays devait ne pas obtempérer, le Comité des Ministres aurait différents moyens à sa disposition allant d'une simple résolution intérimaire «de pression» pour marquer sa réprobation, qui suffirait à porter atteinte à la réputation et à la crédibilité de la Suisse, jusqu'à une menace d'exclusion du Conseil de l'Europe.

La CEDH pourrait aussi être dénoncée, moyennant un préavis de six mois (art. 58, al. 1, CEDH). Il est clair que cette démarche aurait dans tous les cas de graves conséquences pour la Suisse, notamment en ce qui concerne sa réputation en tant qu'Etat de droit, ses relations avec les autres Etats et la collaboration au sein des organisations internationales.

Le Pacte II de l'ONU, lui, ne contient pas de clause de dénonciation. Comme ni la nature de ce traité, ni l'intention des Etats parties ne permettent d'inférer un droit de dénonciation137, la Suisse ne pourrait pas le dénoncer unilatéralement; il faudrait l'accord de toutes les autres parties138.

6.4

Conséquences sur le plan interne en cas d'acceptation

6.4.1

Une restriction à la liberté religieuse inutile et disproportionnée

Bien que l'interdiction de construire un minaret n'empêche pas les musulmans de Suisse de pratiquer leur religion, elle restreint, sans justification objective, par principe et de manière absolue, toute possibilité de construire un élément architectural qui est traditionnellement associé aux édifices religieux musulmans. Elle restreint donc dans une certaine mesure la liberté religieuse de la population musulmane en Suisse. Les musulmans peuvent en effet avoir un intérêt justifié, sous l'angle de la liberté religieuse, à ce que leurs lieux de culte, souvent situés dans des endroits peu visibles et des édifices peu reconnaissables à la périphérie des agglomérations139, puissent se distinguer architecturalement des bâtiments avoisinants. Or, comme le clocher permet de reconnaître aisément une église chrétienne, le minaret est l'un des éléments caractéristiques qui permet de distinguer une mosquée d'un autre édifice.

137

Ce sont les conditions fixées à l'art. 56 de la Convention de Vienne du 23.5.1969 sur le droit des traités (RS 0.111) en vertu desquelles il est possible de dénoncer un traité qui ne prévoit pas de clause de dénonciation.

138 Nowak, op. cit. (note 20), Einführung, no 25 et 26. Le Conseil fédéral a aussi explicitement jugé que le Pacte II de l'ONU est indénonçable. V. le message du 30.1.1991 sur l'adhésion de la Suisse aux deux Pactes internationaux de 1966 relatifs aux droits de l'homme et une modification de la loi fédérale d'organisation judiciaire, FF 1991 I 1129, p. 1147 et le message du 22.6.1994 concernant les initiatives populaires «pour une politique d'asile raisonnable» et «contre l'immigration clandestine», FF 1994 III 1471, p. 1479.

139 Kiener/Kuhn, op.cit. (note 65), p. 10.

6964

6.4.2

Une inégalité de traitement dépourvue de justification

Une interdiction générale de construire des minarets en Suisse pour le seul et unique motif que ces édifices constituent un symbole de revendication de pouvoir de la religion musulmane introduirait dans la Constitution une exception au principe de l'égalité devant la loi garantie par l'art. 8, al. 1, Cst. et de l'interdiction des discriminations garantie par l'art. 8, al. 2, Cst. En effet, l'interdiction de construire les minarets ne vise que les communautés musulmanes. Si l'initiative est acceptée, les personnes de religion musulmane seront traitées de manière différente des membres d'autres communautés religieuses représentées en Suisse (y compris par rapport à des communautés non chrétiennes), puisque ces dernières conserveront le droit de construire des édifices symbolisant leur religion dans notre pays. Certes, il existe déjà des différences de statut entre les religions, dans la mesure où certaines d'entre elles jouissent d'une reconnaissance par le droit cantonal. Toutefois, les conditions d'une reconnaissance étatique reposent en principe sur des facteurs objectifs, tels que la durée d'existence de la communauté religieuse, le nombre de ses membres, son organisation juridique ou son engagement de respecter l'ordre public, les droits fondamentaux et l'Etat de droit. Plusieurs constitutions cantonales récentes envisagent d'ailleurs la possibilité d'étendre cette reconnaissance à d'autres communautés religieuses que les communautés chrétienne et juive. Si une communauté demande à être reconnue et qu'elle remplit les conditions légales, elle a un droit subjectif à ce que la reconnaissance lui soit accordée140. L'initiative, au contraire, fait une distinction qui se fonde sur un symbole particulier propre à une religion spécifique et à elle seule. Or, cette distinction ne se fonde sur aucune justification objective. On ne comprend pas en effet pourquoi il serait interdit par principe aux musulmans d'édifier une tour comme élément architectural de leurs édifices religieux, alors que la construction d'un sikhara hindou ou d'un stûpa bouddhiste ou jaïniste ne serait soumise qu'aux règles usuelles en matière de construction et d'aménagement du territoire, bien qu'il s'agisse là aussi d'éléments architecturaux proéminents et élevés, semblables à une tour.

En Suisse, la loi s'applique de manière
égale pour tous. Les musulmans dans notre pays ne peuvent donc se prévaloir de la charia pour se soustraire aux règles étatiques. «Nul ne peut, pour cause d'opinion religieuse, s'affranchir de l'accomplissement d'un devoir civique», selon les termes de l'art. 49, al. 5, aCst. Autrement dit, nul ne peut invoquer la liberté de croyance et de conscience pour justifier une infraction au droit ordinaire édicté par l'Etat. Si les personnes de confession musulmane ne peuvent prétendre à l'octroi de privilèges légaux, à l'inverse ils ne devraient pas non plus se voir imposer des restrictions particulières qui ne s'appliqueraient qu'à l'exercice de leur religion. Le principe de l'égalité de traitement vaut en effet dans les deux sens.

140

Die Schweizerische Bundesverfassung, Kommentar, ad Art. 72, no 13, 2e éd., édité par Bernhard Ehrenzeller/Philippe Mastronardi/Rainer J. Schweizer/Klaus A. Vallender, St.Gall 2008.

6965

6.4.3

Un pas en arrière par rapport à la Constitution fédérale de 1999

Pendant longtemps, la Constitution fédérale a contenu en matière de religion des dispositions éparses profondément marquées par l'histoire et le contexte confessionnel de leur adoption. En effet, les constitutions de 1848 et 1874 furent adoptées dans un climat d'intolérance religieuse. Il en résulta quelques dispositions discriminatoires pour l'Eglise catholique romaine141. Lors de la naissance de l'Etat fédéral suisse, la Constitution de 1848 se présentait comme la conclusion normative d'un conflit religieux qui avait opposé les cantons catholiques aux cantons réformés (guerre du «Sonderbund»), dans le but d'assurer la paix confessionnelle. La Constitution de 1848 ne garantissait toutefois la liberté de culte qu'aux seules confessions chrétiennes. Ce n'est qu'en 1874 que la liberté de conscience et de croyance a été reconnue et étendue à toutes les confessions mais l'interdiction des jésuites a été renforcée et élargie à celle des couvents et des ordres pour affaiblir la religion catholique142. De plus, une autorisation fédérale était requise pour la création d'un nouvel évêché.

La Constitution fédérale de 1999 ne fait plus de distinction entre les religions chrétiennes et les autres confessions. L'art. 15 Cst. vise toutes les religions indépendamment de leur importance numérique dans notre pays. Cette formulation permet de tenir compte du fait que notre société essentiellement chrétienne se transforme lentement en une société multiculturelle et multireligieuse. L'adoption d'une interdiction constitutionnelle de construire des minarets en Suisse réintroduirait un critère lié à la confession, à l'instar des constitutions de 1848 et 1874. Or l'absence de critères confessionnels dans la Constitution fédérale de 1999 met en évidence notre conception actuelle de neutralité confessionnelle de l'Etat. Une interdiction constitutionnelle de construire des minarets en Suisse marquerait donc un retour en arrière.

6.4.4

Mise en péril de la paix religieuse et de l'intégration des musulmans en Suisse

Une interdiction au niveau constitutionnel de construire des minarets pourrait troubler la paix religieuse en Suisse. En effet, elle pourrait attiser certaines tensions entre la population musulmane et les membres d'autres communautés religieuses qui conserveraient le droit de construire des édifices symbolisant leur religion. L'égalité des religions serait ainsi mise en péril. Or l'Etat doit faire preuve de neutralité confessionnelle et s'abstenir de faire des distinctions entre les symboles des différentes religions s'il entend assurer la paix religieuse entre les différentes communautés.

Une interdiction de construire des minarets en Suisse pourrait également nuire à l'intégration de la population musulmane en Suisse, qui, se sentant rejetée, pourrait se réfugier dans le radicalisme religieux. La possibilité pour une communauté religieuse d'avoir une position publique permet d'éviter qu'elle ne soit isolée et exposée aux propos de ceux qui viendraient y prêcher, à l'abri des regards et des critiques, une religion à caractère fondamentaliste. La visibilité d'une religion permet également de lutter contre les peurs de la population face à une communauté et d'éviter 141

Jean-François Aubert, Traité de droit constitutionnel suisse, Vol. II, Neuchâtel 1967, pp.722 à 728.

142 Aubert et Mahon, op. cit. (note 33), p. 130 à 140, ainsi que Auer, Malinverni et Hottelier, op. cit. (note 40), p. 212 à 214.

6966

ainsi que des actes d'hostilité ne soient dirigés contre cette dernière. En interdisant les minarets, l'initiative ne contribue pas à promouvoir la paix religieuse.

6.4.5

Une atteinte aux compétences des cantons

En Suisse, les rapports entre l'Etat et les Eglises relèvent de la compétence des cantons (art. 72, al. 1, Cst.). Ce système laisse à chaque canton le soin de déterminer les relations entre l'Etat et les communautés religieuses. Une interdiction de construire des minarets en Suisse au niveau de la Constitution fédérale empièterait sur cette compétence des cantons qui constitue un élément central du fédéralisme helvétique.

L'initiative interdisant la construction de minarets en Suisse empiète également sur la compétence des cantons en matière du droit de la construction, puisque l'interdiction de construire des minarets en Suisse est en réalité une norme de construction qui vise à interdire un symbole de culte d'une communauté religieuse.

La décision d'autoriser la construction d'un minaret doit rester du ressort des autorités cantonales et communales, lesquelles sont les mieux à même de juger des circonstances locales et de procéder à la pondération des intérêts en jeu.

6.4.6

Conséquences pour la garantie de la propriété

L'acceptation de l'initiative introduirait une restriction supplémentaire au droit de propriété, puisqu'en plus des restrictions légales usuelles en matière de police des constructions, d'aménagement du territoire ou de protection du patrimoine, elle prévoit une interdiction constitutionnelle de construire un élément architectural particulier. L'initiative aura pour conséquence de restreindre la liberté des propriétaires d'user de leur bien comme ils l'entendent. Suivant l'interprétation qu'on donne à l'initiative (v. ch. 5.3), cette restriction pourrait même s'appliquer à la construction d'édifices entièrement laïques s'inspirant de l'architecture musulmane et qui seraient édifiés par des non-musulmans. L'initiative a aussi pour conséquence de restreindre la liberté des architectes de concevoir leurs projets de construction en y intégrant certains éléments d'architecture. Dans la mesure où l'architecture peut être considérée comme un art, l'initiative a donc aussi pour conséquence de restreindre la liberté de l'art.

6.5

Conséquences pour la sécurité du pays et pour la politique et le commerce extérieurs

On ne saurait exclure que l'acceptation de l'initiative interdisant la construction de minarets en Suisse soit perçue dans certains cercles islamistes fondamentalistes comme une provocation contre l'islam. Le site Internet de la chaîne qatarie Al-Jazira a ainsi provoqué un certain nombre de réactions dans le monde musulman en annonçant que des extrémistes suisses voulaient interdire la construction de mosquées.

Si l'initiative était acceptée, des groupes extrémistes pourraient exploiter ce fait pour leur propagande anti-occidentale. Il est difficile d'estimer dans quelle mesure la 6967

menace d'attentats terroristes contre la Suisse augmenterait et si les intérêts suisses à l'étranger pourraient être la cible d'attaques.

La Suisse jouit dans le monde musulman de l'image d'un Etat neutre marqué par une forte tradition démocratique et humanitaire et elle est appréciée en tant qu'Etathôte de nombreuses organisations internationales. Grâce à une politique extérieure équilibrée, elle s'est forgé la réputation d'une partenaire impartiale et sans préventions. Une interdiction de construire des minarets serait perçue comme un geste discriminatoire et comme le signe d'une montée de l'islamophobie, ce qui pourrait nuire à la renommée de la Suisse et à ses bonnes relations avec ces pays. L'initiative «contre la construction de minarets» a suscité l'incompréhension dans le monde islamique avant même d'être déposée. Les représentations de la Suisse à l'étranger ont été informées de sa portée limitée afin d'être en mesure de fournir des explications. Même si quelques pays sont loin d'être exemplaires en matière de tolérance religieuse, l'acceptation de l'initiative ne fera pas cesser les discriminations dont sont victimes les chrétiens dans certaines régions du monde, bien au contraire. Dans le cadre de l'ONU, la Suisse soutient différentes initiatives tendant à l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction. L'acceptation de l'initiative ruinerait ses efforts dans ce domaine. Pratiquant elle-même de telles discriminations, elle ne pourrait plus s'engager activement dans la lutte contre les discriminations pratiquées dans certains pays à l'encontre des minorités religieuses, en particulier des minorités chrétiennes.

Enfin, il est possible que l'acceptation de l'initiative ait des répercussions négatives sur le commerce extérieur, les banques et le tourisme. On songe à l'exemple du boycott des produits danois lors de l'affaire des caricatures. Dans les pays musulmans, cela pourrait se traduire par des mesures de rétorsion prises à l'encontre de la Suisse et des entreprises suisses. Plus simplement, les consommateurs musulmans pourraient être tentés de bouder les produits suisses. Il est difficile d'évaluer les conséquences d'une menace de boycott, mais il faut songer que la Suisse entretient des relations commerciales actives avec plusieurs Etats islamiques, par exemple avec les Etats du Conseil de coopération du Golfe (CCG)143.

7

Absence de contre-projet

Le Conseil fédéral est d'avis que l'initiative doit être soumise au vote sans contreprojet. Il s'agit bien plutôt de poursuivre les mesures déjà prises, en particulier pour favoriser l'intégration des étrangers. Ces mesures permettent notamment de restreindre la venue d'imams étrangers susceptibles de défendre des valeurs contraires au droit suisse.

8

Conclusions

L'initiative respecte le principe de l'unité de la forme et celui de l'unité de la matière, de même que les règles impératives du droit international (jus cogens). Elle est donc valable. Elle viole néanmoins les art. 9 et 14 CEDH, de même que les art. 2 et 143

Ainsi, les exportations suisses vers les Etats du CCG se sont montées à plus de 2,6 milliards de francs au seul premier semestre 2008.

6968

18 (et, éventuellement, l'art. 27) du Pacte II de l'ONU. Même si cela n'entache pas la validité de l'initiative, il n'en demeure pas moins qu'en acceptant cette initiative, la Suisse ne respecterait plus ses engagements internationaux.

L'initiative, qui prétend défendre les valeurs de notre ordre juridique, est elle-même en contradiction avec plusieurs de ces valeurs, consacrées par notre droit constitutionnel, à savoir le principe d'égalité (art. 8 Cst.), la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.), la garantie de la propriété (art. 26 Cst.), le principe de proportionnalité (art. 5, al. 2, Cst.) et le respect du droit international (art. 5, al. 4, Cst).

Les autorités locales sont les mieux à même de décider d'autoriser ou de ne pas autoriser la construction d'un minaret et elles peuvent, pour ce faire, se fonder sur les dispositions légales existantes, en particulier aux niveaux cantonal et communal, notamment en matière de police des constructions et d'aménagement du territoire. Il n'est pas nécessaire d'inscrire une interdiction de construire des minarets dans la Constitution fédérale. Une telle interdiction serait disproportionnée et empiéterait inutilement sur le domaine de compétences des cantons.

L'interdiction de construire des minarets n'empêchera pas la construction de mosquées, pas plus qu'elle n'empêchera certains milieux musulmans intégristes de prêcher des thèses peu compatibles avec les valeurs de notre ordre juridique, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur des mosquées. Au contraire, l'acceptation de l'initiative menace la paix religieuse et risque de radicaliser une partie de la population musulmane, qui y verra une mesure vexatoire à son égard. Pour le Conseil fédéral, l'accent doit être mis sur des mesures qui favorisent l'intégration des étrangers et la bonne entente entre les différentes communautés religieuses. Les musulmans ne peuvent prétendre être régis par la charia dans notre pays. Le droit s'applique à eux comme à tous les citoyens. Nul ne peut, pour cause d'opinion religieuse, se placer au-dessus des lois. Si l'on admet que les musulmans ne peuvent revendiquer un statut spécial, il faut admettre qu'ils ont aussi le droit d'être traités comme les autres citoyens, ce que ne fait pas l'initiative.

Enfin, l'initiative, si elle était acceptée, risquerait
de susciter des réactions d'incompréhension à l'étranger. La menace d'attentats terroristes visant notre pays pourrait également s'intensifier. Des répercussions négatives sur notre économie ne sont pas non plus à exclure. Pour ces motifs, le Conseil fédéral propose de soumettre l'initiative sans contre-projet au vote du peuple et des cantons en leur recommandant de la rejeter.

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