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FEUILLE FÉDÉRALE 74e année.

Berne, le 9 août 1922.

Volume II.

Paraît une fois par semaine. Prix: 20 francs par an; 10 francs pour six mois plus la finance d'abonnement ou de remboursement par la poste.

Insertions : 5O centimes la ligne on son espace : doivent être adressées franco à l'imprimerie K.-J. Wyss Erben, à Berne.

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RAPPORT

du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur

l'initiative concernant la perception d'un prélèvement sur la fortune (art. 42bis de la Constitution fédérale).

(Du 1er août 1922.)

Introduction.

Le 13 septembre 1921, la direction du parti socialiste a remis au Conseil fédéral une initiative signée par 87.535 citoyens suisses tendant à la perception d'un prélèvement sur la fortune. Par arrêtés des 28 mars et 5 avril 1922, les Chambres ont constaté que l'initiative avait abouti et l'ont transmise au Conseil fédéral, en l'invitant à leur présenter un rapport sur le fond de la question. L'initiative a la teneur .suivante : « La disposition ci-après, insérée comme article 42bis, est introduite dans la constitution fédérale : 1° La Confédération prélève un impôt unique sur la fortune à l'effet de lui permettre, ainsi qu'aux cantons et aux communes, de réaliser leurs tâches sociales.

2° Les personnes naturelles et juridiques sont soumises ,à l'impôt.

3° Sont exonérés de l'impôt : a) la Confédération et les cantons et leurs établissements et exploitations, ainsi que les fonds spéciaux dont ils .ont la gérance, la Banque nationale suisse, la Caisse nationale d'assurance en cas d'accidents et la Régie fédérale des alcools; "b) les communes, ainsi que les autres corporations et établissements de droit public et ecclésiastiques, pour la Feuille fédérale. 74» année. Vol. IL

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942 fortune qui sert comme telle ou par son produit aux intérêts publics; c) les autres corporations et établissements, pour la fortune qui sert comme telle ou par son pr.oduit au culte et à l'instruction publique ou aux oeuvres sociales en faveur des pauvres, et des malades, ainsi que pour la vieillesse et l'invalidité ou autres buts d'intérêt exclusivement général.

4° La fortune totale est soumise à l'impôt, après déduction des dettes. Demeurent réservées les dispositions des chiffres 5, 6 et 9.

5° Le mobilier jusqu'à concurrence de fr1. 50.000 n'est pas.

considéré, pour les personnes naturelles, comme fortune imposable.

6° Ne sont pas considérés comme fortune imposable pour les personnes juridiques : a) le capital social versé; b) les réserves destinées uniquement à des buts d'intérêt général ou d'utilité publique, dont l'emploi à ces finsest assuré.

7° Fait règle pour la fixation1 de l'impôt la fortune réuniedes époux qui ne vivent pas en permanence séparés l'un de l'autre.

8° Le 31 décembre 1922 est réputé délai de rigueur pource qui concerne l'obligation personnelle et matérielle de payer l'impôt, ainsi que pour l'estimation.

9° N'est soumise à l'impôt, pour les personnes naturelles, et juridiques, que la partie de la fortune dépassant ff, 80.000.

Le montant non imposable s'accroît dans la famille : ,a) de fr. 30.000 pour la femme; b) de fr. 10.000 par enfant mineur.

10° Pour les personnes naturelles, l'impôt sur la fortuneest calculé ainsi qu'il suit : Fr.

Pour » » » » » »

les premiers » 50.000 » 100.000 » 200.000 » 300.000 » 400.000 » 600.000

Fr.

50.000 suivants » » » » »

(ou fraction » » » » » » » » » » » »

de cette » » » » » » » » » » » »

somme) » » » » » »

de la fortune imposable 8 %> »» » » 10 » »» » » 12 » »» » » J4 » »» » » 16 » »» » » 18 »»» » » 20 >v

943 Fr.

POUF les 1.000.000 suivants (on fraction de cette somme) de la fortune imposable 22 % » » 1.000.000 » » '» » » » » » » » 24 » » » 1.000.000 » » » » » » »» » » 26 » » » 2.000.000 » » » » » » »» » » 28 » » » 2.000.000 » » » » » » »» » » 30 » » » 2.000.000 » » » » » » »» » » 32 » » » 2.000.000 » » » » » » »» » » 34 » » » 2.000.000 » » » » » » »» » » 37 » » » 2.000.000 » » » » » » »» » » 40 » » » 2.000.000 » » » » » » »» » » 43 » » » 3.000.000 » » » » » » »» » » 46 » » » 3.000.000 » » » » » » »» » » 49 » » » 3.000.000 » » » » » » »» » » 52 » » » 3.000.000 » » » » » » »» » » 56 » pour toutes les sommes suivantes 60 » Pour les personnes juridiques, l'impôt est de 10 % de la fortune imposable.

11° A l'impôt sur la fortune s'ajoute à partir du 1er janvier 1923 un intérêt de 6 %.

12° L'impôt sur la fortune peut être payé en une fois ou en acomptes annuels dans l'espace de trois ans.

13° Les obligations ou bons de caisse de la Confédération incontestablement souscrits par les personnes soumises à l'impôt seront acceptés en paiement à un cours à déterminer.

Une loi fédérale déterminera si et à quelles conditions des obligations des cantons et des communes ou d'autres valeurs seront acceptées en paiement.

Les personnes soumises à l'impôt peuvent de même être obligées à remettre en paiement des titres ou autres valeurs.

Les cas de ce genre, ainsi que les principes de mise en valeur seront fixés par une loi fédérale.

14° Les cantons fixent et perçoivent l'impôt sur la fortune conformément aux instructions et sous la surveillance de la Confédération. Les frais sont supportés par la Confédération, par les cantons et par les communes dans la mesure de leur part au pr.oduit de l'impôt sur la fortune.

15° Dès l'acceptation dtì présent article constitutionnel, l'Assemblée fédérale édicté par arrêté fédéral d'urgence les prescriptions qui permettent d'atteindre par l'impôt toutes les fortunes constituées en titres et d'empêcher la fuite de capitaux à l'étranger.

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L'Etat ordonnera notamment à une époque déterminée le timbrage des titres. Le fait de soustraire un titre au timbrage éteint pour le débiteur l'obligation de le payer.

16° La déclaration de fortune est obligatoire.

Toutes les personnes naturelles et juridiques sont tenues d'e fournir les renseignements nécessaires à l'autorité chargée de la perception de l'impôt. Les établissements de banque sont notamment tenus de se soumettre à toutes les mesures de contrôle des organes de taxation.

17° La loi détermine les conditions auxquelles peut avoir lieu la revision de l'estimation.

18° Les cantons et les communes reçoivent chacun 20 % du montant des impôts, des impôts arriérés, des intérêts et des amendes perçus sur leur territoire. L'autre 60 % revient à la Confédération.

19° Le présent article constitutionnel cesse d'être applicable après prélèvement de l'impôt unique sur la fortune. »

Remarques relatives au texte.

Nous constatons sur plusieurs points un manque regrettable de concordance entre les textes allemand et français.

C'est ainsi que « Vermögensabgabe » signifie en français « prélèvement sur la fortune » et non pas « impôt sur la fortune ». L'expression « impôt unique » a pris dans le vocabulaire fiscal une signification qui n'a rien de commun avec « prélèvement unique sur la fortune » ; « natürliche Person » signifie « personne physique » et non pas « personne naturelle »; « Stichtag » ne doit pas se traduire par, « délai de rigueur » ; « Wertpapier » veut dire « papier valeur » et non pas « titre ».

Au § 13, al. 4, la traduction du texte allemand est particulièrement défectueuse. L'expression « principe de mise en valeur » est énigmatique. Elle n'est point l'équivalent de « Bewertungsgrundsätze », qui aurait dû se traduire par « principes d'évaluation ».

I.

Généralités.

D'allure très socialisante quant à son fond et à ses modalités d'exécution, l'initiative se propose de conférer à l'Etat le droit de confisquer à son profit une partie de la

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fortune privée. Le produit de ce prélèvement ne viendra pas alimenter le budget général de la Confédération, mais devra servir à réaliser certains postulats rentrant dans le domaine spécial de la politique sociale.

La portée économique sociale, financière et politique de ce projet fiscal est si considérable qu'un examen attentif de ces divers points de vue s'impose. Il importe aussi d'en étudier les répercussions non seulement sur la situation budgétaire de la Confédération, mais aussi sur celle des cantons et des communes.

Le prélèvement sur la fortune n'est pas un moyen fiscal nouveau. L'histoire générale constate qu'aux époques des grandes crises maints peuples anciens et modernes l'ont appliqué, mais en le considérant toujours comme le moyen extrême réservé aux heures de détresse financière. Nous donnons en annexe un exposé succint de l'histoire de cette institution dans les législations nouvelles. Mieux que les considérations théoriques les plus perspicaces, les expériences faites ailleurs nous montreront par des exemples instructifs les conséquences auxquelles aboutit cette mesure fiscale.

La contribution extraordinaire a trouvé des défenseurs chez les partisans du régime économique actuel comme chez les socialistes. Les premiers l'ont préconisée comme un moyen énergique et rapide de liquider le compte de guerre.

Les seconds y ont vu surtout le moyen propre à servir une tendance politique. Mais chaque fois qu'on à recouru au prélèvement sur le capital, chaque fois qu'on s'est résigné à accepter cette extrémité -- malgré les perturbations économiques qui en sont l'inévitable conséquence --, c'est parce qu'on la considérait comme l'ultime sauvetage, la dernière possibilité d'assainissement, l'unique moyen d'éviter la faillite de l'Etat.

Le prélèvement sur la fortune a été considéré comme un moyen d'amortir rapidement la dette publique. Il n'est pas surprenant que plusieurs Etats précipités par la guerre dans une situation financière critique se soient résignés à y recourir. Mais réitérons que tous les pays qiii ont appliqué cette mesure énergique l'ont fait sans exception pour aboutir rapidement à une réduction de la gigantesque dette publique qui les écrasait. Ils y ont cherché un allégement au fardeau qui paralysait leur économie générale. Le but de leurs efforts était aussi de réduire des charges fiscales per-

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manentes qui étouffaient progressivement le commerce et l'industrie. Placés en face de ce terrible dilemme : faillite économique et banqueroute de l'Etat ou prélèvement sur le capital, ils ont préféré la confiscation partielle des fortunes privées, espérant par là échapper à la catastrophe. Entre deux maux, ils ont choisi le moindre.

Constatons immédiatement qu'en Suisse la situation financière ne nous place point en face de cette alternative. Nous verrons plus loin que si la dette fédérale de l'Etat est très lourde pour notre petit pays, nous pouvons néanmoins lui assurer un service normal d'intérêts et d'amortissement sans recourir à une mesure aussi violente que la confiscation de la fortune. A la condition d'en échelonner le remboursement sur une cinquantaine d'années -- solution financière très acceptable --, nous sommes en mesure d'assurer cet amortissement par. des moyens normaux. La nécessité invoquée dans les autres pays n'existe donc pas pour nous.

Autre observation très importante. Si dans tous les pays qui l'ont appliqué toujours et partout la liquidation des charges financières de la guerre fut la justification de ce moyen extraordinaire, chez nous le parti socialiste propose d'utiliser le produit du prélèvement sur le capital à des oeuvres de politique sociale. Il ne justifie donc point cette mesure si grave au point de vue économique et politique en invoquant le motif décisif qui seul l'a fait adopter dans les pays qui s'y sont résignés.

Se plaçant au point de vue économique, les partisans de l'initiative ont insisté sur le fait qu'en dépit du prélèvement sur la fortune, le capital mis à la disposition de l'économie générale restait, dans son ensemble, intact. Cette contribution, disent-ils n'entraîne pas de diminution, mais simplement un transfert de capitaux, puisque les sommes payées par le contribuable font retour aux créanciers de l'Etat par le canal des caisses publiques. Cet argument ne saurait être invoqué que dans l'hypothèse où le prélèvement serait affecté au remboursement des dettes de l'Etat. Comme l'initiative prévoit l'obligation d'affecter le produit de cette contribution à un autre but qu'à l'amortissement de la dette publique, l'argument avancé ailleurs ne peut être invoqué dans notre pays. Dès lors, les arguments décisifs que l'on fait généralement valoir en
faveur du prélèvement sur la fortune sont en partie inopérants chez nous. Les prescriptions formelles de l'initiative prévoient l'affectation de son produit à un but spécial. Le projet du parti socialiste exclut dès lors la

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réduction des charges fiscales permanentes, obtenue par l'allégement du service de la dette. Il empêche un retour à l'amélioration économique générale, résultant de l'amortissement. L'initiative présente ce nouvel impôt sur le capital .sous une forme toute différente qui nous prive des avantages considérés toujours comme l'objet et la seule justification du prélèvement sur la fortune.

Après avoir rappelé sommairement les considérations ·qui justifient le prélèvement sur la fortune aux yeux de ses partisans, nous voulons examiner le problème dans ses effets sociaux et fiscaux, pour l'étudier ensuite dans ses conséquences économiques et financières. Nous verrons enfin ce qu'il en faut penser, au point de vue politique suisse.

IL

Considérations d'ordre fiscal et social.

1. Toujours, mais dans une démocratie surtout, la justice fiscale exige que l'impôt repose sur la généralité de l'imposition. Elle veut en outre que la charge fiscale soit proportionnée à la capacité contributive de chacun. Tout impôt ne remplissant pas ces conditions sera une solution mauvaise au point de vue politique et fiscal. Comme l'impôt qui, au lieu de ménager la vie économique entraverait et paralyserait le progrès, ne serait plus recommandable au point de vue de la prospérité générale.

Voyons d'abord si le prélèvement sur la fortune satisfait au principe de la généralité de l'impôt. Nous examinerons ensuite s'il réalise une équitable répartition des char,ges, c'est-à-dire s'il proportionne l'effort fiscal aux forces contributives de chacun, en assurant un traitement égal à ious les contribuables de la même condition.

Sans doute il ne faut pas entendre le principe de la généralité en ce sens que chaque impôt doive frapper tous les contribuables sans exception. C'est l'ensemble de la fiscalité qui doit réaliser la généralité de l'imposition. Cependant chaque impôt considéré pour lui-même, abstraction faite de ses rapports avec l'ensemble de la fiscalité, doit remplir une double condition : 1« les contributions doivent être prélevées de telle sorte que toutes les personnes appartenant au même groupe économique soient en principe assujetties au même impôt; 2° au moment de la fixation des charges, on tiendra

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compte de la capacité contributive de chacun. En d'autres; termes, l'impôt sur la fortune frappera en principe tous les possesseurs de fortune, l'impôt sur le produit du travail,, tous ceux qui perçoivent un produit du travail, l'impôt sur le revenu provenant de la fortune tous ceux qui reçoivent des intérêts ou des rentes. Les fortunes et les revenus minimes peuvent être exonérés de l'impôt pour des motifsd'ordre social ou de technique fiscale. Il n'y a pas d'inconvénients non plus à libérer quelques catégories de contribuables de certains impôts complémentaires dont le but est d'aggraver les charges fiscales frappant certains biens ou certains contribuables. Ce sera le cas par exemple pour l'impôt complémentaire sur la fortune dans les pays où l'impôt général sur le revenu joue le rôle d'impôt principal.

Toutefois, si l'on veut respecter le principe de la généralité de l'impôt, ces exceptions doivent rester dans des limites, étroites.

Or, le prélèvement sur la fortune proposé par l'initiativene remplit pas les fonctions d'un impôt complémentaire. Iï institue une contribution principale, un impôt fondamentalGomme tel, il doit reposer sur une base large pour satisfaire dans une mesure importante au principe primordial de la.

généralité. La loi allemande relative à la « Eeichsnotopfer » n'a exonéré que les fortunes inférieures à 5000 marks. On a précisément justifié ce mode d'imposition en invoquant tout spécialement le grand principe de la généralité de l'impôt.

L'initiative au contraire propose l'exonération complète de toutes les fortunes jusqu'à 80.000 francs. Elle prévoit en outre plusieurs éléments de réduction, de sorte qu'un pèredé famille ayant quatre enfants ne payera l'impôt que dansle cas où sa fortune excède 150.000 francs. Une statistique' minutieusement établie nous permet de prévoir que dans ces conditions le prélèvement n'atteindra que le 9 % de ceux qui ont été frappés par le premier impôt de guerre. Commeus furent environ 260.000, la nouvelle contribution ne toucherait que 23 à 24 mille personnes, c'est-à-dire le 3% % des i contribuables à l'impôt cantonal, ce qui signifie que le 99,4 % de la population échapperait au prélèvement sur la fortune.

Un peuple démocratique ne saurait accepter une contribution sur la fortune qui, ne frappant que quelques propriétaires, viole si gravement le principe de la généralité de l'impôt.

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2. Après avoir méconnu le principe de la généralité, le système proposé par l'initiative ignore le principe qui exige une imposition proportionnelle à la capacité contributive de chacun. Il ne pouvait du reste en être autrement. Cette grave défectuosité est en effet inhérente à la nature spéciale de cette contribution.

Un prélèvement calculé sur un tarif atteignant le 60 % du capital constitue une contribution1 extrjêmement lourde.

La justice distributive demande impérieusement qu'une imposition de ce genre soit établie sur la base d'une évaluation strictement exacte. En effet, l'inégalité dans la taxation consacrerait immédiatement d'intolérables injustices. Or, les méthodes de taxation les meilleures doivent nécessairement procéder par voie générale et ne sauraient par conséquent assurer dans les cas particuliers qu'une justice et une équité approximatives.

Les prescriptions spéciales contenues dans l'initiative resteront des correctifs nécessairement insuffisants. Elles ne réussiront point à empêcher que deux fortunes apparemment égales soient frappées de la même taxe, bien qu'elles procurent à leur propriétaire des revenus très différents.

Pour le contribuable dont la fortune est difficilement réalisable, le même prélèvement aura, en cette époque de crise, des conséquences autrement graves que pour celui possédant une fortune égale, mais, composée de moyens très liquides.

L'impossibilité de tenir compte de ces différences, l'obliga' tion de leur appliquer, par voie de généralité, des méthodes uniformes aboutiront fatalement à de graves inégalités. Il serait également anormal de frapper de la même taxe la fortune de luxe et le capital qui travaille. Pourquoi, en outre, exonérer le mobilier jusqu'à concurrence de 50.000 francs"?

Cette exonération créera des possibilités de placement passager qui favoriseront l'évasion fiscale. Les pays qui ont recouru à la conûscation partielle du capital ont fait dans ce domaine d'instructives expériences. Dans ce même ordre d'idées ajoutons encore que le prélèvement n'aura pas les mêmes conséquences pour toutes les fortunes dont la consistance est aujourd'hui égale. Celles qui ont échappé aux brusques fluctuations de l'après guerre seraient déjà très gravement atteintes par le prélèvement sur le capital. Mais pour celles, très nombreuses, qui ont été
réduites ou gravement ébranlées par la crise, le prélèvement, venant après de grosses pertes, sera beaucoup plus douloureux et aura la portée d'une véritable catastrophe. Pour le petit rentier arrivé à un âge où l'on ne peut plus gagner sa vie, le prélève-

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ment ajouté au renchérissement de la vie et aux pertes subies aboutira le plus souvent à la gêne.

Dans tous les parlements où cette question fut discutée, ses multiples difficultés ont apparu. On a relevé en particulier l'importance capitale du rôle joué par la taxation pour l'égalité contributive. Une évaluation défectueuse aboutit ici non seulement à l'injustice sociale; elle peut encore compromettre l'existence économique du contribuable.

En France, en Angleterre et en Amérique on invoqua, comme motifs péremptoires contre le prélèvement sur la fortune, l'impossibilité de tenir, compte des circonstances créant des situations de fortune spéciales et l'impossibilité d'établir des évaluations suffisamment exactes. Notons encore à cet égard que ces difficultés sont aggravées chez nous par les conditions particulières de notre organisation politique.

Dans un Etat fédératif, les législations fiscales, les méthodes de taxation et les habitudes prises sont fatalement très diverses et accentuent considérablement par conséquent les difficultés de la péréquation.

Une importante particularité du prélèvement sur la fortune réside dans l'exonération totale du produit du travail.

Si élevé qu'il soit, il échappe complètement au prélèvement.

On a pu, dans une certaine mesure, justifier l'imposition unilatérale du capital quand il s'agissait de réduire rapidement, par un moyen radical, les dettes de guerre. Cette inégalité de traitement ne s'explique plus dès qu'il s'agit d'affecter le produit de la contribution à des buts sociaux. Pourquoi ce régime de faveur au profit de celui qui, sans avoir de fortune, est en mesure de dépenser de gros revenus, en menant un train de vie très large? On a tort de méconnaître que dans certains cas le revenu provenant du travail constitue iin élément dont la possibilité contributive est supérieure au revenu de la fortune. Dans son intéressant discours surö le second impôt de guerre, M. le conseiller national Meyer ) a rappelé qu'au sein de la commission parlementaire un représentant du parti socialiste avait lui-même relevé au sujet de la motion Gcetschel, «qu'il1 est effarant de constater à quel point un projet tel que celui-là négligerait la capacité contributive réelle, en laissant échapper précisément un revenu' élevé, qui, pendant la guerre notamment possède une valeur fiscale bien plus élevée que la fortune. » *) Voir, à ce sujet, discours de M. Meyer, bulletin sténographique du Conseil national, septembre 1918.

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Les auteurs de l'initiative ont gravement méconnu le rapport qui existait en Suisse entre le revenu de la fortune et le revenu gagné. Suivant les économistes les plus optimistes, le revenu total de la fortune ne dépasse pas en Suisse 1 milliard et demi, alors que les rôles des contributions nous permettent de constater, que le produit du travail s'élève à plus de 5 milliards. Chez nous, autant et probablement plus qu'ailleurs, l'ensemble du peuple tire ses moyens d'existence surtout de son activité agricole, commerciale et industrielle, c'est-à-dire de son travail. L'opinion est en général mal informée sur cet important problème économique. On exagère volontiers la puissance statique du capital pour mésestimer la puissance dynamique de l'activité économique générale. Le ralentissement de l'activité 'productrice dans le monde entier a cruellement souligné l'erreur qui règne sur ce point.

Nous désirons terminer ces remarques d'ordre général en signalant une dernière difficulté. La fixation de la date qui doit faire règle pour la taxation, dans le cas particulier le 31 décembre 1922, est une inéluctable nécessité. Mais nous devons constater en même temps qu'elle aurait les plus graves conséquences parce qu'elle engendrerait fatalement de grossières inégalités. A notre époque de vie intense où tout est en mouvement dans le domaine économique, les fortunes se modifient très rapidement. On peut tenir pour certain que pendant les trois années prévues pour le prélèvement, des modifications très considérables se produiraient dans les fortunes. Tandis que les unes augmenteraient, les autres diminueraient ou même disparaîtraient totalement.

Or, tandis que le contribuable continuerait, en principe, à devoir l'impôt sur une fortune qui n'existe plus, les fortunes nouvellement acquises seraient exonérées de la contribution. Nous rappelons ici qu'à l'occasion de la perception accélérée de la « Keichsnotopfer », le Reichstag a considéré comme une grave défectuosité du système le fait que le prélèvement devait être effectué sur la base de l'état de fortune au 31 décembre 1919. Les critiques nombreuses qui se firent jour à cet égard aboutirent à la transformation du prélèvement sur la fortune en un impôt périodique annuel.

Rappelons qu'en Italie le prélèvement sur le capital a été réparti sur une période assez
longue pour permettre de ramener approximativement les taux à une échelle analogue à celle qui fait règle en Suisse pour la perception du second impôt de guerre. Ces deux suggestives constatations ne manqueront pas de frapper les partisans du prélèvement sur la fortune.

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III.

Considérations d'ordre économique.

La reconstitution économique du monde reste le gros problème de l'heure présente. Partout on s'efforce de lui trouver des solutions. L'humanité entière a souffert et souffre encore de la crise. Il nous paraît superflu d'insister sur la gravité des proportions qu'elle a prise dans notre pays.

Personne n'ignore que si la Suisse a eu l'insigne bonheur d'échapper à la conflagration générale, elle paye par contre un très lourd tribut à l'après-guerre. Le problème de la répercussion fiscale sur l'économie générale emprunte à ces circonstances extraordinaires une signification toute particulière. Il importe dès lors de se rendre compte des conséquences économiques du prélèvement sur la fortune.

Essayons d'éclairer ce point, si important, en précisant la charge que le prélèvement sur la fortune imposerait d'abord au contribuable en particulier et ensuite au pays en général. Comme elle viendrait se superposer aux autres impôts, voyons quelle situation ferait aux contribuables suisses notre fiscalité considérée dans son ensemble. L'annexe I du présent message fournit des indications détaillées concernant la charge que le projet imposerait aux différentes catégories de contribuables. Nous constatons en premier lieu que si le prélèvement était effectué en une seule fois, il représenterait à lui seul, -- abstraction faite des autres impôts --, jusqu'au 500 % du revenu annuel. Dans ces conditions, il ne saurait être question pour le contribuable de l'acquitter au moyen de ses revenus. Nous voulons, par conséquent, admettre sans autre que le paiement en serait réparti sur trois ans.

L'annexe II indique pour quelques municipalités la charge fiscale totale que représenterait le tiers du prélèvement sur la fortune ajouté à l'impôt de guerre et aux autres contributions permanentes perçues par la commune et le canton. Une fortune de 500.000 francs paierait annuellement 23.400 francs à Zurich, 24.700 francs à Berne, 21.200 francs à Baie, c'est-à-dire qu'elle devrait verser au fisc la totalité de son revenu. Notons que dans ces chiffres déjà très élevés ne sont compris ni l'impôt sur les coupons ni le timbre qui valent à l'Etat une recette annuelle minimum de 30 millions. Telle est la situation fiscale que l'initiative réserve au contribuable suisse. Même dans le cas d'une répartition sur trois ans, la plupart des contribuables en seraient réduits à verser au fisc une portion de leur capital. C'est du reste le but de

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l'initiative. Il ne s'agit par conséquent plus d'un impôt, mais bien d'une confiscation partielle de la fortune privée.

Tâchons de préciser maintenant la somme globale que le fisc, sous l'empire du nouveau régime, prélèverait annuellement sur l'économie générale. Suivant nos évaluations, le prélèvement effectué sur la base de l'échelle proposée par l'initiative représenterait une somme globale d'un milliard 250 millions environ, qui équivaut, divisée en trois paiements, à une annuité de 415 millions. L'ensemble de la charge fiscale imposée à l'économie générale serait par conséquent la suivante : 1) produit annuel du prélèvement sur la fortune Fr.

(Va de 1250 millions) 416,6 millions 2) produit du deuxième impôt de guerre .

. 40,0 » 3) produit de tous les autres impôts de la Confédération, des cantons et des communes . 700,o » 1156,o millions Certains économistes évaluent le total de la fortune productive de la Suisse à 22 milliards. Compté à 5 %, son rendement ne dépasserait pas, par conséquent, 1100 millions.

Le revenu total de toute notre fortune suffirait donc à peine à couvrir les exigences du fisc pendant la période du prélèvement. Comment notre économie s'adapterait-elle à ce nouveau régime ?

Un phénomène important nous est signalé par la statistique bancaire : depuis un certain temps déjà, l'épargne suisse n'augmente plus, elle marque plutôt une diminution.

Aussi longtemps que la crise durera, cette tendance à la baisse subsistera, en se faisant sentir non seulement sur l'épargne, mais sur toutes les formes de dépôt. De plus, notre balance commerciale étant déficitaire et l'industrie hôtelière n'apportant plus à la Suisse l'appoint compensateur d'avant-guerre, il est évident que notre situation économique générale empire. Puis, rappelons-nous le coup douloureux porté à notre fortune privée par la guerre et la crise qui l'a suivie. Les pertes sur valeurs étrangères résultant de la chute des cours et de l'effondrement des changes sont énormes. En outre, la ruine de l'Orient européen a gravement atteint les industries florissantes créées par nos compatriotes à l'étranger. A l'intérieur nous avons immobilisé environ 1500 millions d'ans l'hôtellerie, des sommes énormes dans les chemins de fer alpestres et régionaux.

Ces capitaux qui représentent une portion importante de

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notre patrimoine sont aujourd'hui improductifs. Enfin, pendant la guerre déjà, mais surtout durant la période de l'après-guerre, le fisc fut exigeant. Force lui sera probablement de majorer encore ses prétentions pour couvrir les déficits budgétaires et suffire aux dépenses courantes. Cet effort fiscal considérable ajouté aux pertes subies ont éprouvé notre économie nationale. L'industrie est mal en point, elle souffre en général du manque d'acheteurs. Secondée par l'Etat, elle fait un effort intense pour placer ses produits.

Ses ressources sont fortement mises à réquisition par les subsides aux chômeurs. Comment exiger encore d'elle une contribution extraordinaire, au moment où elle a pour ses propres besoins mobilisé ses derniers capitaux ? Les entreprises qui ont encore quelques disponibilités en seraient privées. Celles qui devraient recourir à l'emprunt auraient épuisé leur crédit pour obtenir les fonds destinés) au fisc.

Quant à celles qui ne trouveraient pas prêteur, elles devraient se résigner pour faire de l'argent liquide à aliéner une partie de leur patrimoine. Or, n'oublions pas que bien souvent la vente forcée, dans les conditions actuelles, conduirait directement à la ruine. Il y a sans doute le moyen extrême, celui prévu par l'initiative, le paiement en nature, c'est-à-dire la remise à l'Etat d'une partie des biens. Comment songer sérieusement à réduire le contribuable à cette cruelle extrémité ?

Pour l'industrie tout entière déjà si mal en point, l'impôt sur le capital serait un coup terrible. Pour les industries à base financière faible qui épr.ouvent déjà tant de difficultés à se procurer les capitaux nécessaires, la situation deviendrait intenable. On a peine à s'expliquer qu'on choisisse pour la dépouiller le moment où, déjà anémiée par la crise, elle a besoin pour mener les mêmes affaires de beaucoup plus de capitaux qu'avant la guerre.

A-t-on songé en outre à l'effet déprimant qu'exerceraient les réalisations en masse soit sur le marché des valeurs, soit sur: le marché immobilier. Le nombre de ceux qui seraient obligés de vendre serait si considérable que les acheteurs se feraient rares. Les difficultés s'aggraveraient du fait de l'exode inévitable des capitaux. La confiscation partielle de la fortune aurait en effet comme conséquence immédiate de mettre en fuite les dépôts
étrangers de même que les dépôts effectués par les contribuables suisses. L'initiative reconnaît elle-même le danger de l'évasion fiscale puisqu'elle prévoit des mesures extraordinaires destinées à la prévenir et à l'empêcher.

955

Avant de prendre une détermination sur la grave question posée par l'initiative, réfléchissons aux conséquences d'une telle perturbation. Profitons des expériences faites ailleurs. Les pays qui ont adopté le prélèvement sur la fortune ont senti le besoin de procurer aux contribuables des moyens extraordinaires de crédit. Partout les circonstances ont obligé l'Etat à fonder, pour; parer à une crise intense, des instituts de crédit dont la mission spéciale consistait à créer et à fournir des moyens de paiement aux contribuables. Partout le contribuable fut dans l'impossibilité dte payer avec ses propres moyens. Il ne rentre pas dans le cadre restreint du présent message d'examiner les différentes solutions qui ont été envisagées. Disons cependant que toutes se sont révélées insuffisantes pour parer aux graves inconvénients inhérents au prélèvement sur la fortune.

L'initiative nous menace d'un autre danger. L'expropriation partielle de la fortune privée diminuerait la capacité de consommation du peuple. L'industrie verrait s'accentuer encore la difficulté de vendre. Le prélèvement sur la fortune ne manquerait pas de provoquer un nouveau ralentissement d'activité, c'est-à-dire une diminution du travail aboutissant à une augmentation du chômage. Il nous paraît superflu d'insister sur les graves inconvénients qui en résulteraient. On sait ce que le chômage coûte à l'entreprise privée et à l'Etat (Confédération, cantons et communes).

En aggravant la situation de l'industrie, l'initiative atteindrait indirectement l'ouvrier qui souffrirait inévitablement du nouveau ralentissement de la vie économique, aboutissant à une diminution du travail. Il subirait le contre-coup de ces mesures fiscales dont les effets ne manqueraient pas de se faire gravement sentir dans les milieux d'où l'initiative est partie.

Le problème fiscal doit toujours rester en fonction du problème économique. Or, les considérations ci-dessus nous permettent d'affirmer, que le prélèvement sur la fortune est économiquement irrationnel. Il porterait à l'industrie un nouveau coup dont elle ne se relèverait peut-être pas. Il prolongerait la période de trouble et d'insécurité dont il faudra pourtant sortir avant d'atteindre une période de prospérité.

Le prélèvement sur le capital ébranlerait un autre pilier

956 de l'édifice économique : l'épargne. C'est elle qui a constitué le capital avec lequel travaille l'humanité. Toute industrie nouvelle, tout procédé de perfectionnement dépendent de l'épargne. C'est elle le facteur indispensable de tout progrès.

Sans elle, la production n'aurait jamais atteint son développement actuel. Il est utile de répéter ici que c'est à l'intérêt produit par les immenses économies accumulées que tous, patrons et salariés, nous devons le bien-être relatif dont nous jouissons. Or, à cette époque de crise, les possibilités d'épargne ont diminué. Beaucoup de ceux qui économisaient régulièrement ne peuvent plus le faire aujourd'hui. Les pertes et la vie chère leur en ont enlevé la faculté.

Dans l'atmosphère déprimante où l'initiative nous plongerait pour longtemps, ceux qui pourraient encore économiser ne le feraient plus. A quoi bon, diraient-ils, constituer des réserves dont Ite fisc nous privera un jour. Raisonnement imprudent sans doute, mais cette mentalité dangereuse serait le résultat inévitable de la mesure fiscale extrême qu'on nous propose. Si le projet était admis une première fois, personne ne pourrait garantir qu'il ne reviendrait pas. Un de ses partisans a du reste déclaré récemment que pour lui le but poursuivi n'était pas un prélèvement unique sur le capital, mais le commencement d'une suite. Répétée dans son application, cette contribution serait sans doute un excellent moyen de politique communiste, mais aussi la voie de la ruine.

Les partisans de la confiscation du capital ont tort de parler comme s'ils avaient fait une découverte nouvelle et très originale. Leur procédé est vieux comme le monde.

L'Anglais John Bailles rappelait dernièrement que les tyrans asiatiques l'ont employé en tout temps. On peut mesurer sa valeur économique à la pauvreté générale de l'Asie.

L'Asie fut le pays où toute épargne avait cessé. Or, l'état de misère qui en résulta fut tel qu'un économiste put dire : « La pauvreté du pauvre asiatique est entièrement différente de la pauvreté dans l'occident capitaliste. » Dans les Etats qui l'ont appliqué, le prélèvement sur la fortune s'est révélé comme destructif du sens de l'épargne. Les gens n'économisent pas ce qui est exposé à la confiscation. Or, l'épargne étant une condition nécessaire au développement du progrès, c'està-dire à l'amélioration du sort de l'ensemble du peuple, nous avons démontré une nouvelle fois que le prélèvement est une formule anti-économique et anti-sociale.

957 IV.

Répercussions sur les finances publiques.

La guerre et surtout la crise économique qui en fut le prolongement ont profondément bouleversé les finances publiques. Les cantons industriels et les communes urbaines spécialement furent gravement atteints. Partout les comptes administratifs accusent des déficits inquiétants. Les dettes publiques augmentent tandis que les fortunes privées diminuent. Avant la guerre, le bilan de la Confédération et des cantons notait un excédent actif; aujourd'hui 'Confédération, cantons et communes bouclent par des soldes passifs déjà énormes. Tout le monde sait que la situation de la Confédération est difficile. La dette fédérale, à l'exclusion de celle des chemins de fer fédéraux, dépasse 2 milliards. Les comptes d'administration pour 1921 enregistrent 127 millions de déficit. Le budget de 1922 prévoit un excédent de dépenses évalué à. 99 millions. -- Les comptes annuels des cantons présentent pour l'exercice 1921 un déficit de 48.500.000 francs qui, selon toutes probabilités, dépassera 50 millions en 1922.

La dette totale des cantons atteint aujourd'hui 1% milliard.

D'après les statistiques publiées par M. le prof. Steiger dans l'Annuaire financier, les communes, faisant partie de l'association des villes suisses et dont la population représente le tiers de celle de la Suisse, avaient à la fin de 1920 une dette totale de 908 millions. Elle dépasse aujourd'hui certainement le milliard. Les communes n'appartenant pas à l'association des villes suisses et qui comprennent les deux tiers de notre population ont certainement une dette globale d'au moins 1 milliard. La dette totale des cantons et des communes atteint donc 3 K milliards. Même en tenant compte du fait qu'une partie de ces dettes ont une contrepartie en actif productif, il n'en reste pas moins certain · que la situation s'est très sérieusement aggravée.

Une situation financière figée est toujours une entrave regrettable. Un Etat auquel les moyens financiers font défaut est condamné à une politique de stagnation qui est fatalement la négation du progrès. Par conséquent, tous les citoyens, mais ceux surtout qui veulent avec raison le développement rationnel du rôle social de l'Etat, ont un intérêt immédiat à la reconstitution des finances publiques, au rétablissement de l'équilibre budgétaire. Eappelons
à ceux qui ont l'habitude de beaucoup demander à l'Etat qu'ils seraient les premiers atteints par la misère des finances publiques.

Ce serait en effet construire sur le sable que d'édifier des oeuvres sociales sur la plate-forme chancelante d'un budget Feuille fédérale. 74° année. Vol. IL

70

958 déséquilibré. Ce qu'il nous faut avant tout, c'est un bore budget, réalisant enfin cette loi suprême de l'équilibre qur domine les affaires publiques comme les affaires privées,, loi que personne n'a jamais violée impunément. Le retour, à l'équilibre est indispensable non seulement "pour enrayer, ledéveloppement progressif de la dette publique, mais pour rendre au budget l'élasticité exigée par les besoins d'unepolitique de progrès social. L'assainissement des finances, publiques, c'est-à-dire le rétablissement de l'équilibre budgé-taire doit rester notre première, notre grande préoccupation administrative.

Voyons maintenant si le prélèvement sur la fortune améliorerait nos finances et allégerait nos budgets. Permettra-t-il' à la Confédération, aux cantons et aux communes de sortir; enfin de l'ère des déficits ?

Quelques brèves réflexions suffiront à nous démontrer que non seulement cette contribution extraordinaire ne nous', rapprocherait pas de l'équilibre, mais qu'elle compliquerait au contraire très gravement le problème de la reconstitution financière.

Nous savons déjà que ce prélèvement aurait une grave répercussion sur notre économie nationale déjà si éprouvée. Réduction des bénéfices industriels, conséquence d'un nouveau et inéluctable» bouleversement économique, réduction des fortunes, diminution de la matière imposable, c'est-à-dire en définitive affaiblissement de la puissance contributive, voilà ce que nous vaudrait le prélèvement sur la fortune.

Nous voudrions ici attirer en outre votre attention sur une considération d'ordre financier extrêmement importante..

L'initiative ne destine pas le produit du prélèvement à.

la caisse de l'Etat, elle le réserve exclusivement aux tâches-d'ordre social. Les journaux socialistes ont publié un intéressant commentaire d'où il ressort qu'il devrait être affecté aiix assurances et spécialement à l'assurance vieillesse et invalidité. Cette oeuvre de solidarité sociale a toute notre sympathie; elle doit être réalisée dès que notre situation financière sera rétablie. Mais la combinaison fiscale qu'on propose ne saurait fournir aux oeuvres sociales une justification financière suffisante. Cet appoint extraordinaire et unique n'assurerait qu'un premier apport. Il ne fournirait qu'une somme fixe permettant d'instituer les assurances et d'assurer
provisoirement leur fonctionnement. A brève échéance, Confédération et cantons devraient suppléer à cette insuffisance par le versement régulier de subventions annuelles..

959

Une contribution sur le capital prélevée une seule fois ne fournirait à l'assurance vieillesse et invalidité que des ressources impropres et insuffisantes. Or, les dépenses durables exigent des recettes continues. Les moyens financiers destinés aux assurances doivent être puisés à des sources assurant un apport constant. La solution proposée par le Conseil fédéral pour les assurances est parfaitement conforme à ce principe. Elle leur réserve les recettes provenant de l'imposition du tabac ainsi que la part de la Confédération aux bénéfices de la régie des alcools. L'assurance invalidité et celle aux survivants seraient spécialement alimentées pafl un contingent annuel sur les successions et les donations entre vifs.

Si les auteurs de l'initiative ont voulu exprimer à nouveau ici leur très légitime désir de réaliser les assurances le plus tôt possible, les commentaires parus à ce sujet contiennent des critiques auxquelles nous devons une brève réponse. Ils signifient que l'activité officielle a été insuffisante dans le domaine social. Il nous paraît opportun de rappeler à cet égard qu'à la veille de la guerre la Confédération institua l'assurance maladie et accidents *qui lui coûte annuellement 6 à 7 millions. Dès le début des hostilités, elle a organisé l'office du ravitaillement afin d'assurer au pays une alimentation satisfaisante. Rappelons encore son action en faveur des consommateurs peu aisés auxquels elle a fourni du! lait à prix réduit, les sacrifices qu'elle s'est imposés en prenant à sa charge une partie du' coût du blé.

Avec la collaboration des cantons et des communes, la Confédération a entrepris une lutte onéreuse contre le chômage. Suivant les données officielles de l'office fédéral du; travail, l'assistance au chômage, à elle seule, a coûté à la Suisse jusqu'à fin 1921 plus d'e 350 millions. Cette action large et généreuse a entraîné une aggravation rapide de notre situation financière. Aujourd'hui, certaines communes industrielles ont épuisé leurs ressources et leur crédit pour payer des subsides aux chômeurs". La Confédération et les cantons se sont en outre efforcés de combattre le chômage en créant, au prix de nouveaux sacrifices, des occasions de travail. L'action so'ciale développée d'ans le domaine de l'alimentation et du chômage a coûté à notre pays depuis 1915 environ 1
milliard. La très faible amélioration qui s'est produite sur le marché du travail nous impose la prolongation de l'aide aux chômeurs qui demeure le besoin le plus pressant. Dans certains cantons industriels, dans certaines communes urbaines, les caisses-publiques ont été mises à contri-

960 bution dans des proportions considérables. La perspective d'une prolongation de cette action de secours donne lieu aux plus graves inquiétudes. C'est là qu'est le gros problème de l'heure présente, la question brûlante. Avant de songer à d'autres tâches sociales intéressantes, mais moins urgentes, nous sommes contraints par les difficultés présentes à satisfaire d'abord aux exigences immédiates. En raison de l'affectation exclusive de son produit aux oeuvres de politique sociale et spécialement à l'oeuvre des assurances, le prélèvement sur la fortune n'apporterait aux finances publiques aucune recette nouvelle. La combinaison proposée leur imposerait au contraire des charges nouvelles et cela à un moment où le rétablissement de l'équilibre budgétaire et les besoins urgents devraient demeurer la préoccupation immédiate.

Nous faisons à l'initiative un autre grave reproche. En diminuant la fortune privée et les bénéfices industriels, elle réduira la matière imposable, c'est-à-dire qu'elle se traduira par une moins-value des impôts actuels. Elle affaiblira le débit des sources permanentes auxquelles s'alimente la fiscalité. Pour la Confédération, elle entraînerait dès lors dans le rendement de l'impôt de guerre une baisse immédiate, dont la conséquence inévitable serait d'en prolonger la perception. Le produit du timbre et de la taxe sur les coupons serait également diminué.

L'initiative aurait aussi les conséquences les plus graves pour les cantons et les communes. Le déchet dans le produit de leurs impôts sur la fortune, sur le revenu et sur les successions réduirait fortement des ressources qui leur sont absolument indispensables. Ils devraient dès lors immédiatement chercher une compensation dans la majoration des taux qui aggraverait sensiblement le poids déjà très lourd des charges fiscales. Est-il possible d'exiger des contribuables une augmentation de l'impôt cantonal et communal ?

Avant de répondre à cette question, nous voulons indiquer rapidement quel est le rendement des impôts directs en Suisse et voir ce qu'a été leur développement depuis 1914.

Rendement des impôts sur la fortune et sur le revenu : 1913 1920 1921 Fr.

Fr.

Pr.

1922 Fr.

Confédération -- 178.623.000 111.266.000 106.000.000 Cantons 82.722.000 191.616.000 210.000.000 210.000.000 Communes 94.984.000 190.000.000 210.000.000 210.000.000 177.706.000 560.239.000 531.266.000 526.000.000

961

L'apport fait à la Confédération, aux cantons et aux communes par les impôts directs a donc passé de 177 à 526 millions, c'est-à-dire qu'il a triplé. Aussi dans nombre de villes les taux de l'impôt cantonal et communal sont-ils très élevés.

L'impôt cantonal et communal représentait en 1921 pour, une fortune de 500.000 francs : . % da revenu

% h revenu

à » » » » »

Hérisau . .

Frauenfeld.

Berne . .

Zurich St-GalI . .

Schaffhouse

.

· . . · . . .

31,25

28,05 26,57 22

. . . 20 . . . 18,85

à » » » »

Neuchâtel . . . . 18;1 Glaris · 17,82 Lucerne .

. 16 Aarau Baie .

14,83

Pour une fortune de 100.C 00 francs : o/o du mena à Hérisau 28.TM à Glaris . . . .

» Berne . . . . .

» Schaffhouse . .

19,7 » Zurich . . . .

» St-Gall . . . . . 19,2 » Frauenfeld. . . · 17,i L'impôt prélevé sur le p roduit du travail' pour, un salaire de 10.000 frartes : % à Lucerne . .

à, Coire 16« » Hérisau .

. 13,* » Schaffhouse . .

» Zoug » Soleure 12 * » Frauenfeld . . . . H,4 » Lausanne .

» Berne 91 » Ha.]« . .

» St-Gall .

o/o dn revenu

.

15,7

·

14,4

.

13,8

représente

10.Q

pour, un produit du travail de 25.000 francs : % I 26 à. St-fiall . .

à Coire » Soleure .

» Zoug . . .

. 16« . 16« » Lausanne .

» Lucerne .

» Baie . . .

» Hérisau . . . . . 15 » Frauenfeld . . . · » Schaffhouse 13,7 » Aarau . .

» Berne .

13,3

.

.

· · .

.

.

· · .

.

% 8 6,7 6,1 6 6

.

.

3,7

«/o . . 13,?

.

.

10 o

. · · 9,7 . . . 8,0 .

8,!

. . .

·

6,7

Si nous y ajoutons l'impôt de guerre, le pourcentage de la taxe globale sur le revenu du travail, nous obtenons comme impôt total sur le rendement d'une fortune de 500.000

962

francs et un produit du travail de 10.000 francs le pourjcentage suivant :

à » » » » »

Hérisau .

Frauenfeld . .

Berne Zurich , St-Gall . . .

Schaffhouse

fortune de 5(JO.OOO francs : °/o % · 34, 5 à Neuchâtel . . . . 21,io » Glaris 20,82 · 31,05 29,37 » Lucerne . . . . 19 . 25 » Âarau . . . . 18,07 . 23 » Baie 17,83 2

·

21,85

produit du travail de 10.000 francs : à » » » » »

% Coire 1H,9 Hérisau 14(1 Zoug 13,i Frauenfeld . . . . 1 2 Berne ll,s St-Gall 9,7

%

à » » » » »

Lucerne . .

Schaffhouse Soleure . .

Àarau . .

Lausanne Baie . . .

8,6 7,3

6,7 6,8 6,6 4,3

Tenant compte du fait que l'impôt sur les coupons et la taxe du timbre modifieront encore la taxe de l'impôt sur, la fortune, nous constatons que l'ensemble des impôts représente une charge globale extrêmement lourde. La fiscalité atteint des limites qu'il serait imprudent de dépasser. Ce serait compromettre le sens de l'épargne, décourager les initiatives, éteindre l'ardeur laborieuse, seule source d'une prospérité durable et d'un progrès continu.

Remarquons en passant qu'il ressort à l'évidence de ces constatations que pour rétablir l'équilibre budgétaire tout en évitant une fiscalité économiquement ruineuse, Confédération, cantons et communes ont l'obligation de faire encore de sérieux efforts dans la direction des économies. Au lieu de lui imposer de nouvelles charges fiscales, il faudrait pouvoirs accorder à notre économie nationale une période de répit, lui permettre de reprendre haleine et de refaire ses forces. Le fisc y aurait un intérêt durable puisque c'est au réservoir de l'économie nationale qu'il s'alimente. Au lieu d'élever les taux, il serait au contraire désirable de pouvoir les réduire.

L'Angleterre a senti le besoin de ramener son impôt sur le revenu de 6 à 5 shellings par livre sterling. Elle a diminué les impôts de consommation sur certaines denrées alimen-

963

iaires. Les Etats-Unis ont également prévu une réduction de l'impôt sur le revenu. Or, pour la plupart des cantons et des communes suisses, une réduction du taux est exclue. Il faut prévoir au contraire qu'une majoration sera malheureusement le seul moyen de couvrir les excédents de dépenses.

La situation des finances cantonales et communales est donc telle qu'elle exclut définitivement toute mesure fiscale dont la conséquence serait de réduire la matière imposable.

Le prélèvement sur la fortune porterait le coup de grâce à la politique financière des cantons. Il aggraverait une situation déjà très difficile. Il pourrait, dans certains cas ·avoir comme conséquence de paralyser l'activité des cantons «en les rendant financièrement incapables de remplir leurs tâches traditionnelles. A ce point de vue, le prélèvement sur la fortune serait une faute politique. Il menace l'autonomie ·«cantonale.

V.

Point de vue politique.

Le prélèvement sur la fortune n'est plus une question intacte. Le problème a été posé au Conseil national le 16 avril 1918 par la motion Goetschel dont nous rappelons la teneur : « Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il n'y a pas lieu de prélever sur la fortune nationale quels qu'en puissent être les détenteurs, abstraction faite de la Confédération, le 5 %, dont trois quarts seront affectés à libérer en tout ou partie la dette de mobilisation et un quart sera attribué aux cantons comme contribution aux charges extraordinaires déterminées par la guerre, ce quart à répartir d'une façon équitable proportionnellement à l'importance des dépenses qu'ils ont eu à s'imposer. Ce prélèvement ne se fera qu'une fois pour toutes. » On lui a immédiatement opposé le renouvellement de l'impôt de guerre. Entre les deux solutions, les Chambres fédérales ont choisi en donnant la préférence à l'impôt de guerre, c'est-à-dire à une contribution répartie sur une période prolongée. Le peuple suisse a ratifié ce choix le 14 février 1919. Nous ne contestons point aux auteurs de l'initiative le droit de reprendre la question; nous constatons seulement qu'elle a été tranchée une première fois. Eeimarquons que le procédé a tout de même quelque chose ·d'extraordinaire. Aux Chambres, la question fut posée sous la forme alternative : on a opposé les d'eux solutions. La

964

majorité s'est prononcée en faveur de l'impôt de guerre contre le prélèvement. L'initiative cherche donc aujourd'hui à faire cumuler le prélèvement et l'impôt de guerre. Ceux: qui se sont prononcés pour la première solution afin d'éliminer la seconde, verraient se modifier après coup les conditions de leur vote. Il va de soi que seule une nécessité absolue et inéluctable, c'est-à-dire le sauvetage d'une situation financière désespérée pourrait justifier une procédure aussi extraordinaire. Or, nous savons que l'état de nos finances ne réclame point l'usage de ce moyen extrême. D'autre part, son application serait d'autant plus incompréhensible qu'elle ne réduirait pas le poids de notre dette et n'allégerait point le service de ses intérêts. Le produit du prélèvement est en effet réservé à une autre destination.

Au point de vue fiscal, cette solution ne résiste pas à une critique objective. Les socialistes l'ont eux-mêmes re-, connu1. Appelés en 1918 à faire partie de la commission d'experts chargée d'examiner le projet de renouvellement de l'impôt de guerre, leurs représentants ont eu l'occasion de se prononcer à cet égard. Or, ils ont pris position contre le prélèvement sur la fortune. L'un d'eux invoqua, à l'appui de son opinion, l'influence défavorable de cette mesure sur les finances des cantons et des communes. Un autre affirma, à son tour que, malgré la sympathie qu'il éprouvait pour la, motion Gcetschel, elle lui paraissait inapplicable et déclara par conséquent lui préférer le renouvellement de l'impôt de guerre.

On croyait cette question définitivement liquidée. Aussi l'étonnement fut-il considérable lorsqu'on 1921 le parti socialiste modifia totalement son attitude première en proposant,, par la voie d'une initiative, appuyée de 87.500 signatures, un prélèvement de 8 à 60 % sur toutes les fortunes dépassant ,une certaine importance. Après avoir condamné cette formule en 1918, il pr.end lui-même l'initiative, deux ans plustard, d'en proposer l'adoption. En 1918, il contribue au rejet de la motion Gcetschel. Aujourd'hui, après l'avoir enveloppée dans une formule très démagogique, il demande que la question soit soumise au peuple souverain !

Que signifie ce brusque changement d'attitude î Aujourd'hui comme en 1918, le prélèvement sur la fortune reste unemesure fiscalement inefficace et
inapplicable. Depuis lors,., les cruelles expériences faites ailleurs dans ce domaine sont venues confirmer l'opinion qui a prévalu au Conseil national suisse. Impossible dès lors d'expliquer cette évolution par-

965des motifs d'ordre fiscal ou financier ! Les raisons de l'attitude actuelle du parti socialiste doivent être cherchées ailleurs. Elles sont d'ordre politique. Si la valeur fiscale, la portée financière de cette mesure restent inchangées, parcontre la signification que lui donne le parti socialiste est modifiée. Il la considère sous un autre angle. C'est le point.

de vue politique qui a passé au premier plan. Eclairé par la doctrine de Goldscheid, le prélèvement sur la fortune ap-.

paraît aujourd'hui aux yeux de ses partisans comme le moyen inespéré de réaliser d'un seul coup une portion importante du programme socialiste. Le prélèvement sur la.

fortune, c'est le moyen par excellence d'égalisation, c'est la combinaison qui va enfin permettre d'entrer résolument dans la voie de la socialisation. C'est ce côté de la question quenous voulons examiner attentivement.

A. Le prélèvement sur la fortune comme moyen d'égalisation.

Sous ses apparences égalitaires, l'initiative est antidémocratique. Dans la vraie démocratie, l'égalité dans lédomaine des droits exige l'égalité dans le domaine des devoirs. A l'égalité du droit politique doit correspondre la généralité de l'obligation fiscale. Or, l'initiative propose une combinaison ne frappant qu'une infime minorité, soit à peu près le SVa % des contribuables à l'impôt cantonal sur la.

fortune, et environ le 6°/oo de la population. En limitant par une disposition constitutionnelle déjà le prélèvement de cettecontribution à un petit nombre de personnes, l'initiativepréconise une mesure d'exception contraire à l'esprit de nos institutions démocratiques.

On a sacrifié le grand principe de l'égalité politique ati désir de réaliser une certaine égalisation de fortune. L'exonération de toutes les fortunes inférieures à 80.000 francs^ ainsi que des taux très lourds allant jusqu'à 60 %, donnent à l'initiative une tendance égalisatrice très accentuée. Elle poseindirectement tout le problème de la répartition de la fortune en Suisse. Très intéressante au double point de vue social et économique, cette question ferait à elle seule l'objet' d'une vaste dissertation. Bornons nous à quelques constatations d'ordre statistique.

Suivant les indications fournies par l'administration fédérale des contributions, la Suisse compte 800.000 fortunes petites ou grandes. Le nombre et l'importance des grosses

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fortunes sont, toutes proportions gardées, beaucoup m'oins ·considérables chez nous que chez nos grands voisins. Par contre, les petites et moyennes fortunes sont beaucoup plus nombreuses. Elles représentent une très large tranche de notre patrimoine national, ce qui nous vaut d'avoir une classe moyenne solide. C'est là un précieux avantage, puisque la classe moyenne constitue la grande force politique et sociale d'une démocratie. Dans une large mesure, la Suisse a échappé au grave danger de la concentration de la fortune. La comparaison des conditions de répartition de la fortune dans notre pays avec les intéressantes données statistiques pu'bliées par l'office de statistique du ministère des finances de Trance est frappante. Elle appelle immédiatement des constatations très suggestives. Chez nous, les très grosses fortunes n'existent pour ainsi dire pas; les fortunes importantes Tie sont pas nombreuses; .elles représentent heureusement Tine portion de notre patrimoine beaucoup moins considé·rable que dans les pays voisins. En outre, la propriété immobilière étant très morcelée en Suisse, les fortunes importantes sont composées dans une large mesure en titres. Or, Taprès guerre a déjà opéré un important prélèvement sur la fortune mobilière, en réduisant considérablement la valeur des titres industriels surtout. La crise a dès lors touché ·principalement les fortunes importantes. Par conséquent, chez nous encore plus qu'ailleurs, l'impôt progressif, dont le ·type fut adopté dans toutes nos lois fédérales et cantonales, ·est le moyen économiquement rationnel et fiscalement suffisant de mettre largement à contribution les fortunes dépas-sant une certaine moyenne.

Il nous paraît nécessaire de rappeler en outre que même si elle ne les touche pas directement, l'initiative serait graveTnent préjudiciable aux petites fortunes et aux fortunes moyennes. En effet, la diminution de la matière imposable, conséquence du prélèvement, aurait comme inévitable résultat, dans les villes surtout, de provoquer une baisse importante du produit de l'impôt communal et cantonal. Or, "l'état déplorable des finances de la plupart des cantons et des «communes urbaines spécialement ne saurait s'accommoder d'une réduction de recettes. Il leur faudrait, pour compenser, recourir à une forte majoration générale des taux. Dans
les villes en particulier, les contribuables (propriétaires, petits "bourgeois, commerçants, artisans et ouvriers) savent comT)ien le poids total des charges fiscales est accablant. L'ini"tiative leuri en réserve une nouvelle aggravation.

967

JB. Le prélèvement sur la fortune comme moyen de socialisation.

A l'occasion de la conférence de Kandersteg, M. le conseiller national Kloeti avait envisagé le prélèvement sur la fortune, comme un moyen rapide d'amortir la dette fédérale.

Estimant que l'impôt direct n'avait pas encore fourni à la caisse publique l'appoint süffisant, il suggéra de revenir au moyen proposé par M. Goetschel. Toutefois, en économiste avisé, il recommanda de faciliter l'acquittement de cette contribution extraordinaire, en permettant de la payer par acomptes échelonnés sur une période de 20 ans. Cette solution s'inspirait exclusivement de considérations fiscales et financières. C'est alors que M. Müller, conseiller national, prit la parole pour, déclarer que s'il partageait d'une maiiière générale l'avis de son collègue, il n'était cependant pas d'accord avec lui sur un point spécial. Il expliqua qu'après avoir étudié l'exposé de l'économiste autrichien Goldscheid, il avait modifié son opinion. Pour lui, le prélèvement sur la fortune devait être effectué en une seule fois. C'était lui enlever son caractère que d'en répartir le paiement sur une période prolongée. Il ajouta qu'il fallait alors prévoir la prestation en' nature, c'est-à-dire la remise en paiement d'actions et d'obligations. Cela devait permettre à la Confédération de devenir co-propriétaire d'entreprises industrielles.

Parmi les pays que la misère financière a contraints au prélèvement sur la fortune, aucun n'a songé à introduire le paiement en nature. Sur ce point, l'initiative innove et accuse une tendance beaucoup plus socialisante !

L'historique de l'initiative révèle la véritable intention qui l'inspire et explique le changement brusque de l'attitude du parti socialiste. Elle nous autorise à croire que la socialisation peut être considérée comme le but principal de l'initiative. On le contestera probablement, mais, quoi qu'il en soit, les aspirations socialistes ont puissamment contribué à orienter l'initiative dans cette direction. Cela ressort à l'évidence de l'article 13 dont nous reproduisons ci-après le texte : « Les obligations ou bons de caisse de la Confédération incontestablement souscrits par les personnes soumises à l'impôt, seront acceptés en paiement à un cours à déterminer.

« Une loi fédérale déterminera si, et à quelles conditions, des obligations des cantons et des communes ou d'autres valeurs sero;nt acceptées en paiement.

968

« Les personnes soumises à l'impôt peuvent de même êtreobligées à remettre en paiement des titres ou autres valeurs.

« Les cas de ce genre ainsi que les principes de mise en valeur seront fixés par une loi fédérale. » Les alinéas 1 et 2 accordent aux contribuables la faculté de se libérer par la remise d'obligations ou de bons de caisse de la Confédération. Ils prévoient aussi la possibilité de donner en paiement des obligations émises par les cantons, et les communes comme aussi d'autres valeurs.

Nombreuses sont les entreprises industrielles et commerciales qui ne disposent pas de moyens liquides suffisants pour payer le prélèvement. Force leur serait dès lors de se libérer, en abandonnant à l'Etat une partie de leurs proprestitres. Elles seraient contraintes par les circonstances à céder à l'Etat une participation à leurs entreprises. Il est probable que l'industrie en particulier serait obligée de faire largement usage de cette faculté. Ce serait incontestablement l'ingérence de l'Etat dans un domaine auquel il doit rester étranger. Tout ceci aboutirait inéluctablement à des conséquences économiques très graves. Mais tout de même faut-il reconnaître que cette faculté de libération peut à la rigueur être justifiée par la nécessité d'accorder aux contribuables une facilité de paiement. La participation éventuelle del'Etat à la propriété ou à l'administration des entreprises privées n'est pas ici le but principal, elle n'est que la conséquence inévitable du paiement en nature.

L'alinéa 3 stipule par contre que les contribuables peuvent être contraints à verser cette contribution par la remiss de titres et autres valeurs. Il ne s'agit plus ici de la faculté de payer en titres au lieu de numéraire. C'est l'obligation de la prestation en nature; c'est le droit conféré à l'Etat d'exiger du contribuable la remise de titres ou autres biens qu'il conviendra à l'Etat de réclamer. L'obligation de remettre en paiement des titres ou autres biens, c'est la cession à l'Etat d'une part des moyens de production. C'est par conséquent le premier pas dans la voie de la socialisation.

Cette disposition a dès lors une signification politique et économique capitale. Si l'initiative était acceptée, on ne manquerait pas dans la phase de l'élaboration de la loi d'invoquer le vote du peuple et d'affirmer qu'en acceptant
l'initiative il s'est prononcé en faveur de la socialisation.

La gravité du problème eût exigé qu'il fût posé avec netteté à titre de question principale, et non point sous une

969

forme incidente et accessoire. Ce point devrait passer au premier plan, car c'est par là surtout que l'initiative revêt une importance capitale au point de vue social et politique.

Les commentaires de la presse socialiste ne sauraient ni modifier la nature de cette disposition ni en atténuer la portée. Le sens du texte est clair et précis. Les personnes sou·mises à l'impôt peuvent de même être obligées à remettre en paiement des titres ou autres valeurs. Il ne s'agit donc de rien moins que d'une révolution économique. Les auteurs de l'initiative eux-mêmes seraient impuissants à restreindre les possibilités futures du développement de l'idée fondamentale contenue dans cette phrase à la fois si brève et si ;grosse de conséquences.

Il est probable que la simple lecture du texte de l'initiative laisse aux électeurs l'impression que cette formule est une simple modalité de paiement. Il importe de prémunir le peuple suisse contre cette dangereuse erreur en attirant son attention sur la gravité de cette disposition. Il s'agit 'ici d'une question capitale. Considérée dans ses conséquences politiques et sociales, cette disposition est la plus importante de toutes celles contenues dans l'initiative. Elle devient le point essentiel du projet socialiste. Il est dès lors vivement regrettable qu'elle disparaisse, noyée dans d'interminables prescriptions de procédure. On doit déplorer également qu'on prétende faire trancher, en la forme incidente, le grave problème de la socialisation. Celui-ci, a une importance telle que nous avons l'obligation de nous y arrêter quelques instants. Nous ne voudrions point attribuer aux auteurs de l'initiative des intentions qu'ils n'ont pas ou' n'ont jamais eues. Notre unique désir est de mettre en relief la vraie signification de leur proposition, en soulignant sa portée sociale et politique. Nous voudrions éclairer ce côté de la question afin que les Chambres et le peuple voient dans l'initiative tout ce que ses auteurs ont voulu y renfermer. Nous demanderons l'interprétation de cette formule laconique à Goldscheid lui-même, c'est-àdire à l'économiste dont s'est inspiré M. Müller. Nous sommes convaincus que c'est de Goldscheid1 que procède l'idée maîtresse du projet socialiste. C'est à lui qu'on a emprunté la combinaison qui donne au projet une caractéristique spéciale. Car,
l'initiative socialiste n'est pas comme le prélèvement allemand ou autrichien une solution fiscale et financière seulement, elle est avant tout une combinaison à tendance sociale. Goldscheid a exposé son point de vue sur cette question dans un ouvrage paru sous le titre « Sozialisierung

970

der Wirtschaft oder Staatsbankerott ». Puisque les socialistes ont adopté le mode qu'il préconise, sa doctrine sur ce point a pour nous un intérêt particulier. Pour Goldscheid, il existe deux moyens de réaliser le programme socialiste. Le premier, c'est le moyen violent, c'est-à-dire la, Dévolution qui si souvent échoue, ou ne donne pas les résultats qu'elle promet. Le second, c'est la méthode pacifique, c'est-à-dire la socialisation progressive des moyens de production. Sa préférence va sans conteste à la seconde méthode,, dont il attend des effets définitifs. Après avoir considéré comme une naïveté la doctrine fiscale qui se borne à favoriser la majoration des impôts directs pour échapper à l'aggravation des impôts indirects, il se plaint que l'on n'ait pas.

compris plus tôt les avantages sociaux énormes qu'offre le prélèvement sur la fortune. Il regrette que l'on n'ait pas demandé encore à certaines modalités de cette contribution la réalisation pacifique du programme socialiste.

Il affirme catégoriquement qu'il y voit le seul moyen pratique de modifier l'économie actuelle en introduisant enfin la socialisation. Pour, lui, la prestation fiscale en nature., c'est la solution idéale, parce qu'elle assure directement la mainmise de l'Etat sur les moyens de production. Avec une sincérité dont il faut lui savoir gré, il déclare que le prélèvement sur la fortune suppose nécessairement la socialisation. D'après lui, le prélèvement sur; le capital est pratiquement irréalisable en dehors de la socialisation. Le prélèvement sur la fortune et la socialisation ne sont doncpoint une association facultative de moyens, mais une naturelle et inéluctable association d'idées. Il ajoute enfin que l'expression « prélèvement sur la fortune » n'est qu'un heureux euphémisme puisqu'on réalité ce n'est pas prélèvement sur la fortune qu'il faudrait dire, mais bien confiscation au profit de l'Etat. Voilà ce que pense et dit du prélèvement sur la fortune celui à qui revient incontestablement la paternité de la combinaison socialiste. Ces indications puiséesà une source authentique précisent la signification de l'initiative. Le but politique du projet socialiste, c'est la socialisation des moyens de production, c'est-à-dire l'étatisation d'une portion de la propriété privée réalisée par la confiscation. Elle tend par
conséquent à rien moins qu'à introduire en Suisse le régime collectiviste.

Il importait que sur ce point pleine et entière lumière soit faite. Le peuple doit savoir que l'initiative tend à une modification profonde de l'ordre -social.

97Î

C'était le droit incontestable des auteurs de l'initiative d'exiger que leur proposition soit soumise au peuple. C'est notre devoir de pourvoir à ce que la question soit posée de telle sorte qu'elle soit comprise.

VI.

Procédure fiscale.

Poussés par le désir de faire coup double, les auteurs del'initiative prétendent faire trancher simultanément, comme s'il s'agissait d'une question accessoire, le grave problème de la socialisation. Ils entendent en outre fixer dans la clause constitutionnelle une série de modalités d'ordre exécutif très importantes. Comme, abstraction faite de leur comiexité avec l'initiative, elles ont par elles-mêmes une portée considérable, il vaut la peine de s'y arrêter quelques instants.

1. Le prélèvement sur la fortune se heurte de prime abord à des difficultés de technique fiscale inéluctables beaucoup plus grandes que celles inhérentes aux impôts ordinaires. L'initiative les aggrave par des prescriptions spéciales concernant la taxation et le prélèvement. Elle prévoit . en particulier que le 31 décembre 1922 fera règle pour l'assujettissement à l'impôt et l'évaluation de la fortune. Or, l'application de l'article constitutionnel appelle une réglementation détaillée dont l'élaboration exigera un certain temps.

Il n'est dès lors guère probable que la loi d'application puisseentrer en vigueur avant le 1er janvier 1924. A une époque où les fortunes se modifient si rapidement, comment sera-t-il possible de préciser et de vérifier en 1924 la consistance d'unefortune au 31 décembre 1922 Ì Cette disposition aggrave singulièrement, pour ne rien dire de plus, les opérations de la taxation qui, en raison des taux, prennent ici une importance capitale.

2. Le problème de la détermination des personnes qui doivent l'impôt, est toujours très délicat. Il se complique, sur le terrain international, des difficultés de la double imposition. Une contribution comportant, dans certains cas,., la confiscation de la moitié de la fortune provoque non seulement l'évasion des capitaux, mais l'exode des contribuablesOr, comme les opérations de taxation ne pourront commencer qu'une année au plus tôt après l'adoption de l'articleconstitutionnel, on devine ce que sera la tâche des organesdû fisc chargés d'empêcher l'évasion.

3. Pour faciliter les recherches du fisc, on veut imposeraux personnes physiques et aux personnes morales l'obli-

.972 .gation de fournir tous les renseignements au sujet des faits et des constatations concernant la taxation. Cette obligation n'est pas limitée à certaines questions posées sur certaines particularités. Son allure générale lui donne le caractère d'une dénonciation. C'est une innovation qui modifie profondément la législation fiscale actuelle, c'est une disposition ·qui va beaucoup plus loin que la levée du secret de banque · que le Conseil national a rejetée en 1920 par 104 voix contre 59.

En outre, le système prévu comporte non seulement le devoir pour les banques de fournir des renseignements, mais l'obligation de se soumettre à toute mesure de contrôle et de perquisition jugée opportune par les organes du fisc. La conséquence immédiate en serait de ruiner la confiance dont les banques ont besoin et qui repose précisément sur la discrétion. Cette mesure compliquerait leur tâche économique, en les privant des capitaux qui seraient chassés à l'étranger.

Ces perquisitions auraient comme résultats une raréfaction 'des capitaux sur le marché suisse et fatalement une hausse des taux débiteurs dont l'abaissement serait si désirable puisqu'il contribuerait à une diminution d'à coût de la vie.

Nous croyons que la levée du secret des banques est indispensable à la perception du prélèvement sur la fortune. Il fallait donc souligner les graves préjudices qui en seraient la désastreuse conséquence aussi longtemps que la levée du secret des banques ne sera pas généralisée dans tous les pays.

4. Le timbrage des titres. L'initiative comporte encore "l'obligation du timbrage de tous les titres. Dans la forme où il est prévu au chiffre 15, alinéa 2, le timbrage des titres est une mesure d'une utilité très problématique. Elle serait par contre la source de nombreux litiges. En effet, l'initiative impose cette formalité sous peine de nullité à tous les porteurs de titres. Cette obligation touche donc aussi -- et ils sont la grande majorité -- tous les porteurs non assujettis au prélèvement sur la fortune. C'est une des caractéristiques frappantes de ces mesures d'exécution de prévoir des dispositions ayant une portée générale et se répercutant bien au delà du cercle des assujettis à la contribution extraordinaire. On voudrait profiter de l'occasion pour réaliser certains postulats modifiant les conditions de
l'ordre économique actuel. Dans l'intention de ses auteurs, cette mesure doit avoir une portée générale. Or, l'obligation du timbrage n'atteint pas tous les titres suisses puisque ceux dont le possesseur n'est pas domicilié en Suisse ne sont pas soumis à ·cette formalité. Notons en passant que le rapatriement de ·ces' titres réserverait probablement aux nouveaux porteurs

973

les discussions les plus désagréables avec le fisc et avec le débiteur.

On peut se demander ensuite pourquoi cette formalité est restreinte aux papiers valeurs et pourquoi toutes les autres créances, telles que reconnaissances de dettes, participations, etc. en sont libérées. A ce double point de vue, la formule nous paraît insuffisante. Une grande partie du capital mobilier lui échappera. Nous croyons par contre qu'elle va beaucoup trop loin dans une autre direction. L'obligation du timbrage ne vise pas seulement les valeurs composant habituellement le portefeuille du capitaliste; elle s'étend à tous les petits titres, tels que les parts sociales de l'ouvrier membre d'une coopérative de consommation, ou de l'agriculteur appartenant à une coopérative agricole. Se trouvant 'entre les mains de porteurs exonérés du prélèvement sur la fortune, ces titres ne seront probablement pas présentés au timbrage. Ils encourront néanmoins la sanction constitutionnelle qui consiste dans l'extinction de leur créance. Cette pénalité constitue une sanction exorbitante. Mais elle est .anormale surtout parce que c'est au profit du débiteur qu'on l'a établie. Il y a quelque chose de choquant, d'immoral à permettre au débiteur de tirer d'une simple omission d'ordre fiscal un avantage d'ordre civil aussi énorme. Ce bénéfice anormal, presque illicite, est une sorte d'atteinte à la bonne foi. Il eût été en tout cas plus rationnel que la prescription profitât non pas aux débiteurs mais à l'Etat.

L'article 15 prévoit en outre des mesures spéciales pour prévenir la fuite des capitaux à l'étranger. Celles-ci seraient probablement tardives puisqu'elles ne pourraient être exécutées qu'après le vote de l'article constitutionnel. Elles risquent par conséquent de rester partiellement inefficaces. Du reste, les voies ouvertes à l'évasion sont si nombreuses que les mesures légales ou administratives les plus rapides demeurent toujours insuffisantes. Ici l'intervention de l'Etat aurait un certain effet utile. Toutefois, les expériences faites .ailleurs dans ce domaine ont été plutôt négatives. Toutes les mesures de contrôle telles que : centrales des changes, levée du secret des banques, levée du secret postal pendant la période de taxation, etc. atteindraient gravement toute notr.e économie nationale. Le préjudice qu'elles
occasionneraient ne serait certainement pas compensé par. le bénéfice fiscal ·qu'elles nous procureraient.

L'organisation de ce contrôle de l'Etat a quelque lointaine analogie avec la suppression du titre au porteur. On Feuille fédérale. 74° année. Vol. II.

71

974

sait que le retour, à la nominativité de tous les titres tend à la généralisation de l'enregistrement, c'est-à-dire à l'obligation de la révélation au fisc. Or, en Italie spécialement la suppression du titre au porteur soulève tous les jours de nouvelles difficultés. En dépit des défenses formelles et des sanctions les plus sévères, la pratique reconstitue peu à peu le titre au porteur par, les endossements à ordre. A deux reprises, l'Etat a dû suspendre l'application du décret d'interdiction. Un ouvrage paru dernièrement sur cette intéressante question a relevé non sans malice que, pour assurer le succès de son emprunt, le Trésor italien a dû lui-même émettre des bons au porteur !

On a reproché, non sans apparences de fondement, aux partisans des titres au porteur de se faire l'écho des privilégiés de la fortune et des internationalistes de la haute finance. Et voilà que la statistique française semble avoir aujourd'hui démontré que les portefeuilles des ploutocrates.

sont surtout composés de titres nominatifs et que la classe moyenne préfère au contraire le titre au porteur. L'Angleterre et les Etats-Unis propagent la forme au porteur, pour introduire les valeurs mobilières dans les classes populaires..

M. F. Garin faisait remarquer récemment qu'en France, dans les émissions de titres au porteur, le nombre des souscripteurs est plus considérable et la moyenne des souscriptions plus faible. Il en conclut que le titre au porteur est, dans ces conditions, une forme essentiellement démocratique.

Tout cela démontre qu'il est imprudent de faire violence à la loi économique. Efforçons nous donc d'éviter toute mesure qui coûterait à l'économie nationale davantage qu'elle ne rapporterait au fisc. On pourrait ajouter en outre qu'en matière fiscale comme en matière économique la bonne volonté ne suffit pas toujours à constituer une opinion juste r il y faut encore de la science, du sens critique et de l'expérience.

Conclusions.

Arrivés au terme de notre exposé, résumons les motifs qui nous déterminent à prendre catégoriquement position contre l'initiative concernant le prélèvement sur la fortune.

1. Les Etats en détresse qui ont recouru à cette mesure extrême en justifient l'application par l'urgente et absolue nécessité de tenter un sauvetage. Ils l'ont

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présentée comme Tunique possibilité d'échapper à la débâcle. L'état de nos finances publiques ne nous oblige point à l'adoption d'une mesure aussi dangereuse.

2. Le prélèvement sur la fortune n'apporterait aucune amélioration aux finances publiques de la Suisse parce que son produit est réservé à un but spécial.

11 aggraverait au contraire la situation financière des cantons et des communes dont il diminuerait la recette fiscale. Il constitue à ce point de vue un danger politique.

3. Il accentuerait le déséquilibre financier et ajournerait le retour si urgent à une situation budgétaire normale. Il priverait dès lors, Confédération, cantons et communes d'une partie des moyens nécessaires à la réalisation de leurs tâches immédiates.

4. Le prélèvement sur la fortune causerait un préjudice irréparable à notre économie générale. Il porterait un coup fatal à notre industrie déjà si gravement éprouvée.

5. Il accentuerait le ralentissement de notre activité économique, diminuerait les occasions de travail et augmenterait partout le chômage. Il atteindrait gravement les milieux ouvriers.

6. Mesure spoliatrice, il détruirait le sens de l'épargne, source de la prospérité générale. Il acheminerait notre pays vers l'appauvrissement.

7. Dans une démocratie il est inadmissible que l'impôt ne frappe que le six pour mille des habitants. Sous des apparences démocratiques, l'initiative veut un régime d'exception contraire aux principes d'égalité qui sont à la base de nos institutions démocratiques.

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8. Le payement obligatoire en nature est une spoliation qui aboutit à la socialisation des moyens de production. L'initiative tend à introduire en Suisse le système communiste.

Enfin nous répondons négativement à la Question de savoir s'il y a lieu de soumettre au peuple un contre-projet à la demande d'initiative. Nous faisons remarquer à cet égard que si l'initiative prétend fournir à la Confédération et aux cantons les moyens de réaliser leurs tâches sociales, le Conseil fédéral a déjà présenté une solution fiscale tendant au même but. Il propose de puiser, aux sources stables de l'imposition du tabac et de l'alcool, aux.contingents sur les successions les moyens financiers nécessaires aux assurances.

Nous avons par conséquent l'honneur de vous proposer, «n application des articles 8 et suivants de la loi fédérale du 27 janvier, 1892 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiatives populaires et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, de repousser la demande d'initiative concernant l'introduction d'un article 42bîs dans la constitution fédérale (prélèvement d'un impôt unique sur la fortune) et de la soumettre à la votation du peuple et des cantons avec une proposition de rejet sans contre-projet de l'Assemblée fédérale.

Nous vous prions d'agréer, messieurs les députés, l'assurance de notre haute considération.

Berne, le ler août 1922.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, D' HAAB.

i

(Annexe.)

Le vice-chancelier, KAESLIN.

t

977

Annexe.

Le prélèvement sur la fortune à l'étranger, Pendant les dernières années de la guerre et après l'ar;mistice, le prélèvement sur. la fortune a été discuté par, presque tous les parlements européens. Avec des modalités diverses, cette mesure fiscale a été appliquée en Allemagne, en Autriche, en Tchécoslovaquie, en Italie et en Hongrie.

Seule parmi les pays vainqueurs de la guerre, l'Italie a adopté le prélèvement sur la fortune; toutefois, le type auquel elle s'est rallié diffère considérablement de ce qui a été proposé ailleurs : ses taux, notamment, sont beaucoup plus bas que ceux prévus par les projets des autres Etats.

Un court résumé de l'histoire, toute récente, du prélèvement sur la fortune dans les Etats européens serait incomplet s'il n'y était fait mention des pays qui ont discuté la question sans l'avoir tranchée. Au moment où le problème se pose chez nous, il n'est pas sans intérêt de savoir, comment il a été abordé à l'étranger.

Avant de parler des lois étrangères relatives à l'impôt sur le capital, disons un mot des discussions qui ont eu lieu' dans les pays où cette mesure a été envisagée, soit aux EtatsUnis, en Angleterre et en France. Au préalable, constatons à nouveau que tous les Etats qui ont introduit le prélèvement sur le capital dans leur législation, n'ont recouru à ce moyen que parce qu'ils n'en trouvaient plus d'autres pour; couvrir leurs déficits et éteindre leurs dettes.

I. Aux Etats-Unis.

Alors que l'idée d'un prélèvement sur le capital semblait s'imposer dans tous les Etats, l'opinion publique des EtatsUnis envisageait qu'une mesure aussi désespérée ne convenait pas aux pays sortis vainqueurs de la guerre. Politiquement et financièrement, cette innovation ne paraissait ni nécessaire ni possible, étant données les charges pesant déjà sur les contribuables. Pendant les hostilités, la classe possédante et ceux qui jouissaient de revenus élevés avaient été soumis

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à de fortes contributions. Comme on estimait cependant que les charges résultant de la guerre ne devaient pas être transférées, sous forme d'impôts directs fort élevés, des épaules des riches à celles des pauvres, les préférences allaient vers une forte augmentation de l'impôt fédéral sur les successions.

Le problème fut toutefois examiné par une commission spéciale qui écarta résolument l'idée d'un prélèvement sur le capital, destiné à couvrir les frais de la guerre et recommanda, par contre, une étude détaillée de l'impôt sur la fortune.

Ces discussions fiscales eurent leur épilogue au congrès dans le message présidentiel du 20 mai 1919; il n'y était question ni d'un prélèvement sur le capital, ni d'un impôt sur la fortune, mais bien d'un impôt sur les successions qu'on présentait comme le moyen le plus propre à liquider, les charges de la guerre.

Depuis lors, si l'on a cessé de parler du prélèvement sur le capital, c'est que les Etats-Unis se sont trouvés en mesure de commencer à supprimer progressivement les dispositions de leur législation fiscale de guerre (réduction de l'incometax).

IL En Angleterre.

Dans ce pays, on a fait de très sérieuses tentatives pour Introduire un prélèvement sur le capital. Cet Etat, qui a poussé fort loin l'héroïsme fiscal, est également celui où ce projet a donné lieu à la lutte la plus acharnée. En 1916 déjà, le congrès syndicaliste de Birmingham s'était prononcé à l'unanimité pour un prélèvement sur la fortune, idée qui fut défendue par toute la classe ouvrière. Des raisons d'opportunité ont incité, un certain temps, le gouvernement, où M.

Bonar Law siégeait comme ministre des finances, à ne pas s'opposer à ce projet. Après l'armistice, cependant, un changement politique ayant fait entrer Lord Chamberlain au ministère des finances, les adversaires du prélèvement sur le capital, prirent le dessus. Dans son discours sur le budget, le ministre des finances se prononça contre ce projet et se déclara partisan du renforcement de l'impôt sur les successions.

«On parle beaucoup, depuis quelque temps, d'un prélèvement sur la fortune ou d'un impôt sur le capital. Si, par impôt sur le capital, on entend une faible charge annuelle, j'estime que cette

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·charge sera tout aussi équitablement répartie et commodément prélevée au moyen de notre income tax.

Si, au contraire, l'on entend prélever un lourd impôt sur la fortune, couper une large tranche dans le capital, je prie la Chambre de considérer quel en sera le résultat.

Le moment est mal choisi pour proposer un impôt de ce genre ; en effet, pendant ces cinq dernières années, vous avez conjuré le peuple de faire des économies et aujourd'hui encore vous êtes obligés de lui demander de continuer à vous donner son épargne.

Le moment est mal choisi pour frapper d'un impôt ceux qui ont répondu à votre appel en réduisant leurs dépenses et en faisant des économies et pour laisser tranquilles ceux qui n'ont pas suivi vos conseils et ont dépensé leur argent quand cela était nuisible aux intérêts de l'Etat.

Considérons un impôt sur le capital sans tenir compte des circonstances actuelles. L'impôt sur les successions (death duties) ·opère déjà un prélèvement et cela une seule fois dans la vie, à un moment où le contribuable reçoit un revenu nouveau; comme il n'est prélevé qu'à la mort d'un individu et que nous ne mourrons pas tous à la fois, l'estimation et la perception de cet impôt sont ·des tâches faciles. Elles peuvent être remplies avec justice et équité, avec un minimum de fraude et d'évasion. Une partie seulement du capital du pays étant frappée chaque année, l'impôt se paie ;sans trouble pour le crédit et sans qu'il en résulte une dépréciation de valeur au détriment soit de l'Etat lui-même, soit de l'individu.

Si l'on percevait un impôt frappant en même temps l'ensemble du capital d'un pays, tous ses avantages seraient perdus. L'établissement d'une évaluation exacte et équitable dépasserait le pouvoir de toute administration fiscale au monde; je vais même jusqu'à dire que notre système actuel est meilleur. En tous temps, cette besogne dépasserait le pouvoir de toute administration, mais plus encore à l'heure actuelle, alors que le personnel est désorganisé par la guerre ··et qu'il est chargé des nouvelles responsabilités écrasantes que la guerre a fait naître.

Cet impôt soulèvera les mêmes objections et les mêmes difficultés qu'ont suscitées l'évaluation de l'ensemble des propriétés foncières du pays et l'imposition de la terre en vertu de l'impôt sur les plus-values foncières (Land values duties)
; ces objections seraient -encore plus graves puisqu'il faudrait évaluer non seulement la propriété foncière, mais aussi la propriété mobilière. Comme peu de personnes auraient suffisamment de numéraire disponible pour -se libérer de l'impôt, cela provoquerait des troubles considérables dans le capital; chacun chercherait à vendre des valeurs d'une catégorie ou d'une autre et si tout le monde était vendeur qui donc serait acheteur ? Et qui donc mesurera la perte causée au pays et aux individus par la dépréciation de toutes les valeurs?» Le parlement rejeta par 244 contre 81 voix le projet de prélèvement sur la fortune.

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III. En France.

En février 1918, la Chambre des députés fut saisie d'uni projet instituant un impôt progressif de 0,05 à 0,25 sur la; fortune pour toutes les fortunes dépassant 30.000 francs.

En fait, il ne s'agissait pas d'un véritable prélèvement sur la fortune, mais plutôt d'un impôt non renouvelable, calculé sur la fortune, mais prélevé sur le revenu.

Le parlement fit jin accueil défavorable à cette idée dont, l'opinion publique ne s'était pas occupée. Une autre proposition, plus modérée, fut présentée en février 1919 par M. Klotz, ministre des finances, à la commission du budget des financesElle ne paraît pas non plus avoir été accueillie avec faveur, car le gouvernement ne l'a jamais transformée en projet de loi.

IV. Italie.

(Imposta straordinaria progressiva sul patrimonio, du 22 avril 1922.)> Dans ce pays, la loi actuellement en vigueur qui institue un prélèvement sur la fortune est étroitement liée à la réforme des impôts directs projetée depuis longtemps et qu'est venue accélérer la situation financière résultant de la guerre. L'idée primitive n'est pas celle d'un prélèvement sur la fortune, mais d'un impôt sur la fortune (mars 1919, ministère Orlando). Le ministère Nitti, qui succéda en 1919 au cabinet Orlando, se fit le champion du prélèvement sur la fortune au sens propre du terme. Le parlement introduisit dans le projet d'impôt sur la fortune, qui était en discussion, toute une série de dispositions lui donnant le caractère d'un véritable prélèvement sur le capital. Le titre de la loi pourtant resta le même (imposta). Cette loi est un moyen terme entre l'impôt sur la fortune suivant l'ancienne formule et le prélèvement sur le capital. Elle institue non pas jin impôt périodique sur la fortune, mais un prélèvement non renouvelable sur le capital. (La faculté de payer l'impôt en vingt annuités masque la véritable nature de l'imposition,, mais ne l'altère pas.) Comparés à ceux d'autres prélèvements sur le capital, les taux sont bas, tout en dépassant fortement ceux d'un impôt ordinaire sur la fortune. Le taux minimum!

est de 4,5%, le taux maximum du tarif progressif de 50%; la cote annuelle de l'impôt atteint ainsi un maximum de 2,5 %, chiffre qui ne serait pas applicable à un impôt régulier et périodique sur la fortune.

981

Tout capital sis en Italie est imposable; cet impôt s'applique aux nationaux comme aux étrangers. Tous les titresémis par l'Etat italien sont réputés sis en Italie, de telle sorte qu'en règle générale, l'impôt sur ces valeurs est dû aussi bien par l'Italien que par l'étranger. Le prélèvement n'est effectué que sur les fortunes dépassant 50.000 lires. Le tarif comporte des taux annuels allant de 0,225 %, pour les fortunes de 50.000 lires, à 2,5 % pour celles dépassant 100.000.000* lires. Ce prélèvement est réparti en vingt annuités; on ne perçoit pas d'intérêts sur le montant des sommes dues pendant cette période, mais les contribuables qui effectuent en utae seule fois'la totalité du prélèvement bénéficient d'un: escompte.

Y. En Allemagne.

(Loi du 31 décembre 1919: Reichsnotopfer.)

Sous l'impression de l'énormité de la dette de guerre allemande, les spécialistes de la science financière de ce pays ont discuté le problème du prélèvement sur le capital bien avant qu'il soit devenu une des questions politiques du jour. Ces controverses, qui se produisirent surtout en 1917 et 1918, firent naître de nombreuses publications. La discussion se porta sur un terrain pratique lorsque le problème devint public.

L'idée d'un prélèvement sur le capital fit du chemin à mesure que la situation financière de l'Allemagne s'avérait plus compromise. La révolution de novembre 1918 aiguilla l'affaire sur; la voie des réalisations.

La question d'un prélèvement sur la fortune fut envisagée une première fois en novembre 1918 déjà par le ministre Erzberger clans son message gouvernemental sur les finances et reprise en juillet 1919 après la signature du traité de paix.

Il a toujours été expressément entendu que le produit de ce prélèvement servirait à amortir les dettes courantes et à réduire les dettes flottantes du Reich. Le projet gouvernemental devint loi en décembre 1919. Cette loi est rigoureuse,, puisqu'elle s'applique aux nationaux et aux étrangers possédant en Allemagne une fortune dépassant 5000 marks. Pour les époux, dont la fortune est considérée comme ne formant qu'une seiile masse, -10.000 marks sont exonérés de l'impôt.

La loi soumet au prélèvement l'ensemble de la fortune nette.

Les taux sont de 10 % pour les fortunes inférieures à 50.000-'

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marks de capital imposable et vont jusqu'à 65 % pour celles dépassant sept millions de marks. Le paiement s'effectue soit par le versement d'un capital, soit sous forme de rente; ce dernier, mode est la règle.

Outre le paiement comptant, on admet la libération par compensation de dettes, par cession d'obligations et de bons du trésor.

Les rentrées ont été extrêmement lentes. Aussi, une loi du 22 décembre 1920 prévoit-elle un paiement accéléré de l'impôt. Des lois nouvelles ont abrogé toute la législation relaiive à ce prélèvement extraordinaire, qui, conformément au ·compromis fiscal d'avril 1922, a été remplacée par, un impôt périodique sur la fortune.

VI. En Autriche allemande.

·(Loi du 21 juillet 1920 touchant le prélèvement unique sur la fortune.)

La loi allemande a servi de modèle à l'Autriche et à la Tchécoslovaquie. La loi autrichienne n'en diffère que par son but qui vise non seulement le rendement fiscal, mais aussi l'amélioration du change. On lit dans le préambule de la loi : « Le but du prélèvement sur la fortune est de relever la valeur de l'argent. Elle vise à diminuer la circulation fiduciaire, à libérer l'Etat d'une partie de sa dette de guerre, à créer des facilités pour les paiements étrangers. » C'est pourquoi les billets de banque remis en paiement sont détruits.

Pour le reste, dans tous ses points essentiels, la loi autrichienne est copiée sur la loi allemande. Son taux va de 3 % pour les fortunes supérieures à 30.000 couronnes à 65 %. Les paiements s'effectuent soit en capital, soit en rentes; ce dernier mode de libération n'est cependant pas la règle comme dans la loi allemande. Le principe est que le paiement doit se faire en capital et en espèces. Le paiement en rentes n'est admis que sur demande expresse du contribuable et lorsque la constitution de la masse imposable répond à certaines conditions prévues par la loi. On ne peut payer en rentes que '80 % au' maximum du total de l'impôt. Le paiement en capital est obligatoire lorsque moins du 40 % de la fortune imposable est constitué par des valeurs non liquides. Le paiement par rentes n'étant pas la régie générale, la loi autrichienne y a substitué des annuités réparties sur une plus longue période.

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TII. En Tchécoslovaquie.

(Prélèvement sur la fortune et impôt sur l'accroissement de la fortune.)

Le but du prélèvement est formulé d'une façon analogue à celle de la loi autrichienne : c'est la régularisation du change par le retrait des billets.

Les taux s'élèvent progressivement de 1 % pour les fortunes de 25.000 couronnes à 30 % pour les fortunes supérieures à neuf millions de couronnes.

La loi ne connaît que le paiement en capital, mais prévoit différentes modalités, telles que remise de titres, cession de dépôts en banque, de créances, etc. Le paiement par tranches est admis, mais le 10 % de la somme due doit être versée «n tous cas dans le mois qui suit la communication de la taxation.

Vin. En Hongrie.

(Articles de la loi XV et XLV, 1921.)

La loi hongroise a un caractère tout différent de celle des autres Etats : ce n'est pas d'un impôt personnel qu'il s'agit, mais d'un prélèvement sur la fortune par imposition des biens réels. Toutefois, ce principe primitif, qui exclut la possibilité de tenir compte des conditions personnelles du contribuable, n'a pas prévalu intégralement : au cours des délibérations parlementaires, on y a introduit certains éléments caractéristiques de l'impôt personnel : ainsi des exonérations minimales pour certaines catégories d'impôt et un tarif progressif. L'intention première du ministre Hegedus, auteur de la loi était de prélever l'impôt sur la base d'un taux uniforme. °) Le prélèvement hongrois sur le capital est réglé par une série de lois spéciales frappant séparément toutes les parties d'une fortune : les immeubles et les terres, les diverses catégories de fortune mobilière, en argent liquide, en titres, «te. L'impôt peut, au choix du contribuable, être effectué en nature, en terres, en effets de toutes catégories ou encore en *) D'après le Pester Lloyd du 17 juin 1921, n° 131, le ministre Hegedus s'est exprimé comme suit: «Le prélèvement sur la fortune «st une mesure d'ordre pratique, mais à oase théorique. Son seul défaut est de ne pouvoir être entièrement compris que j>ar celui qui embrasse le projet dans son ensemble. Comment se fait ce prélèvement sur la fortune? Je ne prends pas le 90% de la fortune comme on la fait en Allemagne. Je ne puis davantage suivre l'exemple de l'Autriche. Ma théorie est celle-ci: la guerre a duré cinq ans; pendant ce temps, chaque fortune a produit du 4%. Quatre fois cinq font vingt; je prélève donc le 20% de la fortune.»

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espèces. Ainsi l'Etat devient le participant des entreprises les plus variées. Voici les objets frappés séparément par; la loi.

1° Les dépôts, les comptes-courants créanciers, le numéraire.

Ici, une somme de 1000 couronnes est exonérée; le prélèvement s'effectue séparément sur chaque dépôt pour autant qu'il n'y a pas plusieurs comptes auprès d'un seul et même établissement. Les taux s'élèvent progressivement de 5% à 20%.

Les dépôts, créances et comptes-courants, stipulés en devises étrangères, sont soumis à un prélèvement de 20 % sans progression.

2° Les actions hongroises et les parts de sociétés coopératives.

Les sociétés anonymes paient le 15 % de leur fortune calculé sur le cours des actions en bourse. Le paiement s'effectue en espèces ou par remise d'actions, avec augmentation correspondante du capital social. Il en est de même pour; les parts de sociétés coopératives.

3° Valeurs étrangères.

Le taux est de 20 %.

4» Les entreprises industrielles.

Elles paient le 10 % du capital soumis au prélèvement; les entreprises dont la fortune ne dépasse pas 30.000 couronnes sont exonérées.

5° La propriété immobilière.

Sur les biens agricoles, l'imposition est calculée en kilogrammes de froment. Le contribuable doit fournir trois mètres cubes de céréales par mesure (Joch) de terrain agricole. Le paiement peut s'effectuer en nature, mais aussi en espèces; dans ce cas, il doit être garanti par lettres de gage ou par sûretés hypothécaires. Pour la propriété foncière et bâtie des villes, le taux progressif s'élève de 6 % à 90 % de la valeur vénale. Les biens dont la valeur vénale est inférieure à 40.000 couronnes, sont exonérés.

6° Les stocks de marchandises.

Ils sont frappés suivant un tarif progressif allant de 5 % à 15 % calculé sur les deux tiers de la valeur effective de ces biens.

7° Les autres biens (meubles, instruments de musique, tapis, billards, voitures, autos, chevaux, objets d'art; etc.)

sont frappés d'un impôt variant de 5 % à 20 %.

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RAPPORT du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative concernant la perception d'un prélèvement sur la fortune (art. 42bis de la Constitution fédérale). (Du 1er août 1922.)

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