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Appréciation annuelle de la menace Rapport du Conseil fédéral aux Chambres fédérales et au public du 12 mai 2021

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent rapport, nous vous informons de notre appréciation de la menace conformément à l'art. 70, al. 1, let. d, de la loi fédérale du 25 septembre 2015 sur le renseignement.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

12 mai 2021

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Guy Parmelin Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

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Appréciation de la menace 1

Contexte

Conformément à l'art. 70, al. 1, let. d, de la loi fédérale du 25 septembre 2015 sur le renseignement (LRens)1, le Conseil fédéral évalue chaque année la menace pesant sur la Suisse et en informe les Chambres fédérales ainsi que le public. L'appréciation porte sur les menaces citées dans la LRens tout comme sur les événements importants en matière de politique de sécurité se produisant à l'étranger.

Une présentation plus exhaustive de la situation selon la perspective du renseignement figure dans le rapport de situation annuel du Service de renseignement de la Confédération (SRC) «La sécurité de la Suisse»2. La question de savoir si, et dans quelle mesure, la politique de sécurité et ses instruments doivent être adaptés en raison de l'évolution de la situation reste du ressort des rapports réguliers sur la politique de sécurité3 de la Suisse. Le nouveau rapport est prévu pour 2021.

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Vue d'ensemble

La sécurité de la Suisse est considérablement influencée par une multitude de tendances. Citons notamment la concurrence croissante entre les grandes puissances et les puissances régionales montantes, la mondialisation avec des tendances à la régionalisation et au nationalisme parfois en opposition, le progrès technologique et, enfin, la polarisation de la société.

La concurrence croissante entre grandes puissances et puissances régionales montantes entraîne un usage plus fréquent de la force. Ces États investissent dans le maintien ou l'extension de leurs sphères d'influence ainsi que dans l'affaiblissement systématique de leurs adversaires, provoquant une croissance de l'instabilité, des tensions, mais aussi le risque de conflits armés lorsqu'aucun acteur ne peut jouir d'une position dominante. Alors que la plupart des moyens militaires, de renseignement, politiques et économiques engagés sont tangibles et que leur impact peut être anticipé, les progrès technologiques fulgurants entraînent de nouveaux risques difficilement calculables, en particulier dans le domaine de la défense et dans le cyberespace.

Certains facteurs de stabilisation, tels que la maîtrise des armements traditionnels et nucléaires, sont confrontés à des défis considérables. Les conflits régionaux se muent en conflits par procuration complexes qui font courir le risque d'une confrontation militaire entre les grandes puissances et les puissances régionales en présence. Des conflits gelés peuvent également être attisés, comme l'a montré la guerre dans le HautKarabakh en 2020. Les cyberattaques sont désormais la norme dans le cadre des conflits, tandis que leurs conséquences, tant attendues qu'inattendues, ne se limitent 1 2 3

RS 121 www.vbs.admin.ch Portrait Organisation Unités administratives Service de renseignement Documents La sécurité de la Suisse FF 2010 4681, 2016 7549

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pas au cyberespace. Elles recèlent dorénavant un potentiel d'escalade accru dans la mesure où elles peuvent provoquer une réaction par des moyens cinétiques selon la doctrine militaire de certains États. L'importance des cyberoutils en tant qu'instrument d'espionnage va grandissant en raison de la numérisation. Les activités d'influence et la désinformation par des tiers jouent désormais aussi un rôle plus significatif pour la Suisse.

De grandes entreprises actives dans le monde entier ont gagné considérablement en importance sur le plan de la politique de sécurité. Dans le secteur technologique, certaines d'entre elles exercent d'ores et déjà de facto une fonction de régulation qui rivalise avec l'influence des États et de la scène internationale. Les intérêts économiques de ces sociétés vont parfois à l'encontre des intérêts en matière de politique de sécurité d'États fortement dépendants des producteurs de technologies. En cas de crises et de situations extraordinaires, la marge de manoeuvre de ces États pourrait alors être considérablement réduite sur le plan de la politique de sécurité.

La menace terroriste, notamment celle d'origine djihadiste, demeure également élevée en Suisse. Le potentiel de violence émanant de l'extrémisme de droite et de gauche subsiste dans le pays. Tous deux possèdent un réseau de contacts internationaux.

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Les menaces en détail

3.1

Terrorisme

La menace terroriste demeure élevée en Suisse. Elle est principalement marquée par des acteurs djihadistes, et en premier lieu par des individus isolés agissant de manière autonome. Parmi eux, on recense un nombre croissant de personnes souffrant de troubles psychiques, comme l'ont montré les attaques à Morges le 12 septembre 2020 et à Lugano le 24 novembre 2020. En parallèle de violences similaires survenues en France, en Allemagne et en Autriche, ces actes révèlent que la menace terroriste la plus plausible est constituée par des attentats ne nécessitant qu'une faible logistique, visant des buts dits faciles et perpétrés par un seul individu ou un petit groupe. Entraînant potentiellement une pression économique et des situations d'isolement social, les mesures restrictives adoptées dans le cadre de la pandémie représentent un facteur de risque supplémentaire. Certaines d'entre elles encouragent la fuite dans l'espace virtuel, et ainsi la consommation de contenus djihadistes et radicalisants par exemple, de même que des contacts entre personnes radicalisées.

Les États impliqués militairement dans la lutte contre l'organisation terroriste «État islamique» constituent ses cibles principales. Leurs intérêts peuvent être visés dans le cadre d'attaques sur le territoire suisse. Il en va de même pour des intérêts israéliens ou juifs dans le pays. L'«État islamique» continue par ailleurs d'inspirer de petits groupes et des individus isolés à agir en son nom dans le monde entier. Son noyau dur s'est particulièrement consolidé en Irak sous la forme d'un mouvement clandestin. Si celui-ci dispose encore de structures de commandement régionales, de réseaux internationaux et de vastes ressources, il n'est pratiquement plus en mesure de préparer ni de perpétrer lui-même des attentats en Europe. Certaines ramifications régionales de

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l'«État islamique» acquièrent par conséquent une influence croissante, comme dans certaines régions d'Afrique.

La gestion des personnes radicalisées en détention et des djihadistes condamnés ayant purgé leur peine reste un défi. En outre, des personnes s'étant rendues dans la zone de guerre syro-irakienne pour des motifs djihadistes durant la période du califat de l'«État islamique», mais aussi leurs proches, pourraient menacer la sécurité de la Suisse à leur retour.

Concernant la menace fondée sur des motivations ethno-nationalistes, les activités du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) demeurent particulièrement significatives en Europe et donc en Suisse. Si le PKK tente d'atteindre ses objectifs politiques sans violence en Europe, il soutient cependant aussi le conflit armé dans les régions kurdes.

En Europe, il poursuit ses opérations de propagande et d'idéologisation de la jeunesse kurde, collecte des fonds, recrute de nouveaux membres et organise des camps d'entraînement. La menace du Hezbollah libanais pour la Suisse sera exposée par le Conseil fédéral dans un rapport distinct.

3.2

Espionnage

L'espionnage demeure un phénomène permanent dont les objectifs et méthodes n'ont guère évolué. Néanmoins, la numérisation et la mise en réseau se traduisent par une nette recrudescence des cas d'espionnage dans le cyberespace, la concurrence entre grandes puissances et puissances régionales entraînant une intensification de l'espionnage à l'échelle mondiale. Certains États ont par ailleurs recours à des activités d'influence, à la désinformation et au sabotage dans l'optique d'influencer, d'affaiblir ou de déstabiliser des adversaires politiques ou des concurrents économiques. Dans certains cas, il est même fait usage de violence létale à l'encontre de personnes indésirables sur le territoire national ou celui d'autres États. Une telle attaque pourrait aussi avoir lieu en Suisse.

La Suisse reste fortement touchée par des actes d'espionnage perpétrés par des acteurs tant étatiques que non étatiques. Les services de renseignement civils et militaires des grandes puissances, mais aussi de quelques puissances régionales, jouent un rôle majeur dans ce contexte. En Suisse, certains services de renseignement peuvent s'appuyer sur des structures et de vastes réseaux établis, ou engager leurs ressources dans d'autres parties du monde pour viser des ressortissants et des intérêts suisses.

Les objectifs de l'espionnage étranger en Suisse n'ont pas changé. Ces opérations visent en premier lieu les autorités, le Parlement, l'armée, les instituts de recherche, les médias et divers secteurs économiques. Genève reste un point sensible compte tenu de la présence d'organisations internationales, de représentations diplomatiques et d'organisations non gouvernementales. En Suisse, des services de renseignement étrangers prennent aussi pour cible des critiques du régime, des membres de l'opposition ou des membres de minorités ethniques ou religieuses. Il est par ailleurs possible que des acteurs du renseignement tentent de mener des activités d'influence contre des intérêts suisses dans le pays.

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Prolifération NBC4

En Suisse, des acteurs étrangers poursuivent leurs tentatives d'acquérir du matériel au profit de programmes d'armes de destruction massive ou en vue de fabriquer des vecteurs. L'Iran est parvenu dernièrement à apporter d'importantes améliorations qualitatives à ses systèmes de missiles à propergol solide et à ses missiles de croisière.

Ces processus impliquent également du matériel en provenance de Suisse.

Le Pakistan demeure fortement intéressé par le savoir-faire et les biens en provenance de Suisse, en particulier dans le cadre du développement de son programme nucléaire.

Cet État investit des moyens considérables dans son armement nucléaire et devrait bientôt posséder davantage d'ogives nucléaires que le Royaume-Uni dans son arsenal actif.

Les puissances nucléaires mettent en oeuvre de vastes programmes de modernisation de leurs arsenaux. Bien que le système de maîtrise stratégique des armements présente des signes de dégradation, les rapports de dissuasion entre les grandes puissances nucléaires restent stables. De son côté, la Russie améliore sa capacité à mener une guerre contre un puissant adversaire conventionnel, tandis que l'OTAN poursuit le développement de ses capacités de dissuasion et de défense en Europe.

3.4

Attaques visant des infrastructures critiques

En principe, les infrastructures critiques peuvent être prises pour cible par des acteurs étatiques ou non étatiques, et impliquer aussi bien des attaques physiques que des cyberoutils. Les mobiles de telles attaques peuvent relever de l'extrémisme violent, du terrorisme, de l'espionnage, mais aussi de la politique de puissance ou de considérations financières.

La transition numérique progresse encore depuis le printemps 2020 sous l'effet des mesures liées à la pandémie. Les efforts rapidement déployés, comme la mise en place d'accès à distance en vue de permettre le télétravail, peuvent mettre en péril l'attention à la sécurité et de grandes quantités d'informations risquent d'être volées. Dès lors, les surfaces d'attaque potentielles se multiplient au sein des infrastructures critiques: parfois directement, mais aussi indirectement par l'intermédiaire des chaînes d'approvisionnement, c'est-à-dire de l'imbrication entre clients et prestataires.

Les nombreuses entreprises en Suisse qui proposent des accessoires et des prestations spécialisées en vue de l'exploitation d'infrastructures critiques en Suisse et à l'étranger peuvent représenter des cibles intéressantes pour des criminels, à savoir des acteurs aux motivations financières, mais aussi des acteurs proches de certains États.

Des attaques de ce type contre les chaînes d'approvisionnement continuent de se produire. Il convient par conséquent de s'attendre à une recrudescence des cyberattaques étatiques et criminelles contre des infrastructures critiques. Au cours des dernières années, plusieurs services de la Confédération et des entreprises privées ont été 4

Diffusion d'armes nucléaires, biologiques et chimiques, y compris de leurs vecteurs et de tous les biens et toutes les technologies à usage civil et militaire nécessaires à leur fabrication.

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victimes de cyberattaques de la part d'États en quête de renseignements politiques ou économiques. À l'avenir, les attaques menées dans le cadre de conflits stratégiques pourront aussi être dirigées contre des cibles en Suisse ou affecter des intérêts suisses.

En outre, les cybercriminels diversifient en permanence leur mode opératoire. Certains groupes criminels proposent ainsi de plus en plus souvent à des tiers les accès qu'ils sont parvenus à se procurer, de même que des informations dérobées et une expertise technique. De telles offres pourraient également intéresser des acteurs étatiques.

3.5

Extrémisme violent

Le potentiel de violence émanant de l'extrémisme de droite et de gauche subsiste dans le pays; les deux milieux possèdent un réseau de contacts internationaux. Les milieux extrémistes de gauche comme de droite cherchent un public pour leur idéologie, mais la pandémie et les mesures de lutte mises en oeuvre ont un impact sur leurs activités, puisque l'on constate un recul du nombre d'actions publiques et une hausse du nombre d'activités virtuelles.

La grande majorité des extrémistes de droite continuent d'agir dans la clandestinité en Suisse et font preuve de retenue quant à l'usage de la violence. Ils disposent néanmoins de grandes quantités d'armes fonctionnelles et s'entraînent aux sports de combat. Les milieux d'extrême droite sont en train de se restructurer. En Suisse alémanique notamment, l'émergence d'une jeune génération motivée a conduit à une collaboration entre plusieurs groupements. Si ces jeunes membres se montrent prêts à agir au grand jour, ils le font néanmoins de manière calculée, construisant sur l'expérience de leurs pairs plus âgés. Les réactions affichées par le mouvement antifasciste aux provocations d'extrémistes de droite montrent que ce conflit pourrait sortir du cadre du cyberespace où il est en grande partie confiné à l'heure actuelle. Des agressions physiques contre des membres de l'un ou de l'autre milieu pourraient se produire de manière planifiée ou spontanée.

Le risque d'attaque sur fond d'extrémisme de droite persiste de la part de personnes se présentant comme appartenant à ces milieux, mais n'ayant aucun contact avec des groupements violents. Plusieurs attaques perpétrées depuis 2019 à l'étranger ont montré que des extrémistes isolés finissent par franchir la frontière du terrorisme en faisant massivement usage de la violence. Pour l'heure, très peu d'éléments laissent présager un tel développement en Suisse.

Les principales thématiques traitées par les extrémistes de gauche violents peuvent être classées selon quatre grandes catégories: «anticapitalisme», «migration et asile», «antifascisme» et «antirépression». Toutefois, l'extrême gauche violente est également fortement influencée par l'actualité. Elle a notamment instrumentalisé la pandémie de COVID-19 en ajoutant par exemple les «coronasceptiques» à son répertoire, puisqu'elle associe une partie de ces personnes à la mouvance d'extrême droite. Des contre-manifestations sont donc régulièrement organisées par des extrémistes de gauche.

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Les milieux violents d'extrême gauche en Suisse continuent par ailleurs de s'engager en faveur des Kurdes dans leur quête d'autonomie en soutenant leur cause en Suisse, mais aussi dans la région autonome kurde du Rojava dans le nord de la Syrie. À cet effet, l'extrême gauche organise aussi des actions violentes en Suisse et récolte des fonds servant à équiper les combattantes et combattants sur place. Les milieux d'extrême gauche ont également organisé des actions violentes contre des intérêts turcs et leurs «collabos» en Suisse.

Les extrémistes de gauche violents réagissent vivement lorsque des personnes ou des groupes qu'ils considèrent appartenir à l'extrême droite se montrent en public, et ils les affrontent avec une agressivité croissante.

Lors d'attaques contre des forces de sécurité, ils assument le risque d'atteinte à l'intégrité corporelle et à la vie, voire cherchent délibérément un tel résultat.

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Événements importants en matière de politique de sécurité à l'étranger

L'usage de la force persiste dans le monde entier, même dans le contexte de la pandémie et des bouleversements économiques qui en découlent. Les grandes puissances évitent les confrontations directes dans le domaine de la politique de sécurité. La Chine se concentre sur l'extension de sa sphère d'influence, tandis que la Russie cherche à renforcer la sienne. Le président Biden veut rompre avec l'approche de son prédécesseur Donald Trump et assumer le leadership des États-Unis sur le plan international, conjointement avec les États tournés vers l'Occident. Des puissances régionales comme l'Iran et la Turquie engagent leurs forces armées et milices alliées en vue de sécuriser et d'étendre leurs sphères d'influence. L'Europe, notamment l'Union européenne, a certes le potentiel de devenir un acteur influent à l'échelle mondiale, mais la question de savoir si elle peut l'exploiter reste ouverte, particulièrement vu la nécessité de dégager un consensus.

Sous la présidence Trump, les États-Unis ont entretenu leur réseau d'alliés en Europe et en Asie avec moins d'attention qu'autrefois. La nouvelle administration a affirmé son engagement en faveur de relations économiques et politico-sécuritaires mutuellement bénéfiques. La polarisation de la politique intérieure américaine et l'accélération de sa dette publique compromettent la capacité d'action des États-Unis. Ces derniers ont ainsi des attentes plus élevées à l'égard de leurs alliés en Europe, dans le golfe Persique et en Asie concernant la résolution des conflits dans leurs rangs afin d'accroître leur propre capacité d'action. La perspective transatlantique après le mandat Biden demeure incertaine.

Sous ce dernier, les États-Unis devront également se concentrer sur le défi stratégique que représente la Chine. Dans le cadre de l'OTAN, les États-Unis continuent néanmoins de fournir une contribution décisive à la défense de l'Europe. Les États-Unis exigent de la part de leurs alliés européens qu'ils assument davantage de responsabilités pour assurer leur sécurité et qu'ils les soutiennent dans le cadre de l'endiguement de la Chine, notamment dans les domaines économique et technologique. Les ambitions nucléaires et régionales de l'Iran ainsi que la constitution de l'armement nucléaire de la Corée du Nord restent des problèmes récurrents ayant des répercussions 7 / 10

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dans le monde entier. La normalisation des relations diplomatiques des Émirats arabes unis et d'autres États arabes avec Israël ouvre de nouvelles perspectives de collaboration économique et politico-sécuritaire dans la région. L'une des raisons principales de ce dégel des relations diplomatiques semble être l'espoir de pouvoir contrer plus efficacement l'influence régionale de l'Iran et de la Turquie en agissant de concert.

En comparaison des États-Unis et de la Russie, la Chine a mieux géré la crise du coronavirus sur le plan économique. Ses efforts en matière d'armement se poursuivent imperturbablement. La montée en puissance économique et militaire de la Chine exacerbe les rivalités avec la puissance mondiale que sont les États-Unis. La force militaire croissante de la Chine lui permet d'imposer ses revendications territoriales avec toujours plus d'assurance. La mer de Chine méridionale tombe de plus en plus sous l'influence chinoise malgré les revendications des États côtiers et les forces armées chinoises sont toujours plus actives en mer de Chine orientale, menaçant le Japon. Les accrochages se multiplient également avec l'Inde dans la région de l'Himalaya.

Le développement économique reste cependant l'axe principal de la Chine en vue d'étendre sa sphère d'influence. Sous la direction du parti communiste et de son secrétaire général Xi Jinping, les efforts de modernisation se poursuivront dans le but d'exercer un leadership mondial dans des secteurs technologiques choisis. La Chine accroît son influence mondiale en concluant des accords commerciaux et en investissant à l'étranger. Sur le plan de la politique extérieure, elle utilise de plus en plus sa puissance économique pour imposer ses exigences politiques, mais aussi pour se défendre contre les critiques internationales qui dénoncent la répression toujours plus sévère des minorités et des dissidents politiques. La Chine a par ailleurs étoffé la gamme d'outils à sa disposition pour ses activités d'influence, notamment à la suite des critiques internationales en lien avec la pandémie de COVID-19.

La Russie dispose d'un pouvoir stable qui assure sa pérennité par un large contrôle du paysage médiatique, une ligne dure contre les dissidents politiques et la corruption.

Elle parvient à déployer avec succès ses moyens limités à l'étranger,
à un coût relativement faible, afin de renforcer sa sphère d'influence en Europe de l'Est, au ProcheOrient et en Afrique du Nord. Le président Poutine profite également des faiblesses de ses adversaires dans le domaine de la politique extérieure, dont la désunion et les différends internes sont exploités et attisés.

Le Bélarus est devenu encore plus dépendant de la Russie au lendemain des troubles de politique intérieure qui ont agité le pays, tandis que la Russie cherche à renforcer davantage son influence en Ukraine. En cas de crise, le flanc oriental de l'OTAN présente un risque d'escalade considérable. En Syrie, où aucune fin du conflit ne se profile, la Russie continue d'exercer le plus d'influence, même si celle-ci reste limitée à l'échelle régionale, en raison d'une puissance économique largement en deçà de celle des deux autres grandes puissances que sont les États-Unis et la Chine. Il convient de souligner les relations entretenues par la Russie avec la Turquie, qui poursuit des intérêts divergents dans la quasi-totalité des zones de conflit tout en restant un partenaire économique de premier plan. Le président Poutine trouve sans cesse avec le président turc Erdogan des moyens de concilier les sphères d'influence russe et turque qui sont pourtant en concurrence.

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Parmi les puissances régionales, la Turquie continue de chercher à étendre sa zone d'influence. Présente au nord de l'Irak, elle est aussi engagée militairement en Syrie et en Libye. Ses actions dans le cadre du conflit avec le PKK et des groupes affiliés peuvent avoir des répercussions directes sur la menace en Europe. Dans l'est de la Méditerranée, la Turquie revendique l'exploitation économique exclusive d'une vaste zone marine également revendiquée par la Grèce et Chypre. Jusqu'à présent, la Turquie est parvenue à atteindre ses objectifs dans la région en dépit d'une économie très vulnérable. Principal partenaire commercial de la Turquie, l'Union européenne renonce pour le moment à imposer des sanctions radicales, notamment parce que selon ses propres estimations, elle a besoin de la Turquie comme partenaire dans la lutte contre l'immigration illégale. Parallèlement, la Turquie étant membre de l'OTAN, elle reste formellement un allié de nombreux États membres européens, du Canada et des États-Unis.

Aucune solution au conflit qui oppose les États-Unis à l'Iran n'est encore en vue.

Malgré la reprise des activités d'enrichissement iraniennes, en violation de l'accord de Vienne sur le programme nucléaire iranien, l'Iran ne semble pas miser sur le développement rapide de l'arme nucléaire. Depuis l'entrée en fonction du président Biden, les deux camps laissent paraître une certaine disposition à prendre des mesures de désescalade et à entamer de nouvelles négociations. Après une période de détente et de dialogue avec les États-Unis, la Corée du Nord renoue avec son attitude de confrontation, ses ambitions vis-à-vis des États-Unis n'ayant pas été satisfaites. Dès lors, le chemin à parcourir est encore long avant d'aboutir au démantèlement du programme d'armes de destruction massive de la Corée du Nord.

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Conséquences pour la Suisse

La lutte mondiale pour imposer des sphères d'influence et les ambitions de certaines puissances régionales ont des répercussions sur la sécurité et la stabilité de l'Europe, et donc de la Suisse. Globalement, l'effet protecteur de l'environnement de la Suisse en matière de politique de sécurité continue à décroître. Des conflits régionaux entraînent des mouvements migratoires qui touchent aussi la Suisse. Les menaces dans le cyberespace deviennent particulièrement évidentes. Des attaques massives sont lancées quotidiennement, tant par des acteurs étatiques ou sous mandat étatique que par des cybercriminels: des organismes gouvernementaux et des particuliers ou des entreprises en Suisse comptent régulièrement parmi les victimes. Il importe par ailleurs de souligner le potentiel de menace pour la Suisse des activités d'influence et de la désinformation.

De nouveaux acteurs de la politique de sécurité émergent ­ notamment sous l'effet du développement technologique ­ tandis que la collaboration multilatérale et les structures de sécurité internationales existantes sont soumises à une forte pression, voire s'érodent, et que l'on observe un recours accru à des moyens hybrides pour résoudre des conflits. De ce fait, la marge de manoeuvre des organisations de sécurité internationales diminue, alors que l'approche multipartite gagne en importance. La Suisse

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n'engage pas de moyens de coercition pour défendre ses intérêts, aussi est-elle tributaire du maintien des mécanismes internationaux éprouvés de résolution pacifique des conflits et du développement de nouveaux mécanismes.

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