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21.021 Message relatif à l'initiative populaire «Contre les exportations d'armes dans des pays en proie à la guerre civile (initiative correctrice)» et au contre-projet indirect (modification de la loi fédérale sur le matériel de guerre) du 5 mars 2021

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Contre les exportations d'armes dans des pays en proie à la guerre civile (initiative correctrice)», en leur recommandant de la rejeter. Nous vous soumettons simultanément un contre-projet indirect sous la forme d'une modification de la loi fédérale sur le matériel de guerre, en vous proposant de l'adopter.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

5 mars 2021

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Guy Parmelin Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2021-0715

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Condensé Le Conseil fédéral recommande de rejeter l'initiative populaire «Contre les exportations d'armes dans des pays en proie à la guerre civile (initiative correctrice)».

S'il comprend les préoccupations majeures des auteurs de l'initiative, il estime cependant qu'inscrire le texte de l'initiative dans la Constitution serait problématique du point de vue de la hiérarchie des normes. Si l'initiative était acceptée, elle contribuerait en outre à affaiblir la base technologique et industrielle importante pour la sécurité (BTIS) de la Suisse. C'est pourquoi le Conseil fédéral entend soumettre au Parlement un contre-projet indirect prévoyant de transférer les critères de l'ordonnance sur le matériel de guerre dans la loi, mais sans reprendre la dérogation relative aux pays réputés pour commettre des violations graves et systématiques des droits de l'homme. Le contre-projet propose également d'accorder au Conseil fédéral une compétence dérogatoire lui permettant de s'écarter, dans un cadre clairement défini, des critères d'autorisation légaux en cas de circonstances exceptionnelles et si la sauvegarde des intérêts du pays en matière de politique extérieure ou de politique de sécurité l'exige.

Contenu de l'initiative La Coalition contre les exportations d'armes dans les pays en guerre civile (ci-après dénommée «coalition») souhaite que les critères d'autorisation applicables aux exportations de matériel de guerre soient réglés non plus dans l'ordonnance, mais dans la Constitution. Le Conseil fédéral se verrait ainsi retirer la compétence de modifier ces critères. En outre, les auteurs de l'initiative veulent empêcher que du matériel de guerre ne soit exporté dans des pays en proie à la guerre civile. Ils aimeraient également rétablir le «statu quo de 2014», en interdisant de manière générale les exportations de matériel de guerre vers des pays qui commettent des violations graves et systématiques des droits de l'homme, que le matériel de guerre à exporter permette ou non de commettre de tels actes.

Avantages et inconvénients de l'initiative L'initiative s'empare d'un débat émotionnel, amorcé en 2018, sur une révision des critères d'autorisation pour les exportations de matériel de guerre, qui n'a finalement pas abouti, et permet aux citoyens de prendre position sur l'orientation de la politique en
matière d'exportation de matériel de guerre. Le transfert de compétences de l'exécutif au peuple demandé par l'initiative contrevient cependant au principe selon lequel le législateur fixe les grandes lignes d'une norme juridique et confie au Conseil fédéral le soin d'édicter les dispositions d'exécution. L'instauration d'interdictions constitutionnelles priverait le Parlement et le Conseil fédéral de leur marge de manoeuvre en vue de maintenir la BTIS, étant donné que toute adaptation des critères d'autorisation à une nouvelle donne exigerait une révision de la Constitution, moyennant une procédure longue et laborieuse. Or le renforcement de la BTIS compte au nombre des priorités de la politique de sécurité menée par le Conseil fédéral. Par ailleurs, les interdictions constitutionnelles pourraient remettre en question les régimes spéciaux prévus par la loi, comme celui applicable à la livraison de pièces de rechange destinées à du matériel de guerre exporté antérieurement de Suisse, qui a 2 / 40

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été adopté par le Parlement en vue de garantir la sécurité juridique et, partant, la protection de la confiance légitime. Cette disposition permet d'assurer que la livraison de pièces de rechange à laquelle le fournisseur suisse s'est engagé à long terme au moment de la vente d'un système d'armes ne soit pas interdite en l'absence de justes motifs. Sans cette réglementation spéciale pour les pièces de rechange, il ne serait plus possible de respecter dans tous les cas les garanties données, ce qui pourrait compromettre la réputation de fiabilité de la Suisse dans les relations commerciales et nuire à la compétitivité des entreprises suisses. Les interdictions envisagées par la coalition devraient donc être inscrites dans la loi et non dans la Constitution.

Proposition du Conseil fédéral Si le Conseil fédéral comprend le souhait de la coalition, qui exige un meilleur contrôle démocratique, il estime cependant que l'initiative présente certaines lacunes, qui l'ont incité à présenter un contre-projet indirect.

Le contre-projet indirect prévoit le transfert des critères d'autorisation de l'ordonnance sur le matériel de guerre dans la loi, mais sans la dérogation applicable aux pays qui commettent des violations graves et systématiques des droits de l'homme, figurant à l'art. 5, al. 4, de l'ordonnance en vigueur. Pointée du doigt par la coalition, cette disposition dérogatoire est supprimée sans être remplacée. De plus, le contreprojet indirect accorde au Conseil fédéral une compétence dérogatoire lui permettant de s'écarter, dans un cadre clairement défini, des critères d'autorisation légaux en cas de circonstances exceptionnelles et si la sauvegarde des intérêts du pays en matière de politique extérieure ou de politique de sécurité l'exige.

Le contre-projet indirect fait cas des trois préoccupations majeures exprimées par la coalition: il supprime la dérogation applicable aux pays réputés pour commettre des violations graves et systématiques des droits de l'homme, il inscrit les critères d'autorisation au niveau de la loi et exclut les exportations de matériel de guerre vers des pays impliqués dans des conflits armés. Avec le transfert des critères d'autorisation de l'ordonnance dans la loi, le Conseil fédéral ne pourra plus effectuer d'adaptations.

Il est néanmoins important d'accorder à l'exécutif
une compétence dérogatoire pour lui permettre, dans un cadre clairement défini, de réagir au plus vite en cas de circonstances exceptionnelles et si la sauvegarde des intérêts du pays en matière de politique extérieure ou de politique de sécurité l'exige.

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Table des matières Condensé

2

1

Aspects formels et validité de l'initiative 1.1 Texte de l'initiative 1.2 Aboutissement et délais de traitement 1.3 Validité

6 6 7 7

2

Contexte de l'initiative 2.1 Genèse 2.2 La base technologique et industrielle importante pour la sécurité de la Suisse

7 7 9

3

Buts et contenu de l'initiative 3.1 Buts visés 3.2 Réglementation proposée 3.3 Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

11 11 11 13

4

Appréciation de l'initiative 4.1 Conformité aux principes et valeurs de la Suisse 4.1.1 «Les exportations d'armement doivent être placées sous contrôle démocratique» 4.1.2 «La Coalition ne veut pas un durcissement en matière d'exportations d'armes mais un retour au statu quo de 2014» 4.1.3 «Le Conseil fédéral pourrait déjà revenir sur sa décision dans l'année à venir» 4.1.4 «La Suisse doit combattre les causes de la migration» 4.1.5 «Les armes en zone de conflit tombent facilement entre les mains de terroristes» 4.2 Conséquences en cas d'acceptation de l'initiative 4.2.1 Conséquences des exceptions pour les pays impliqués dans un conflit armé interne ou international 4.2.2 Conséquences de l'abolition de la dérogation pour les pays qui violent gravement et systématiquement les droits de l'homme 4.2.3 Conséquences sur le régime relatif à la livraison de pièces de rechange 4.2.4 Conséquences économiques et en matière de politique de sécurité 4.3 Avantages et inconvénients de l'initiative 4.4 Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

16 16

5

Conclusions

24

6

Contre-projet indirect

25

4 / 40

16 18 18 19 19 20 20 20 21 22 23 24

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6.1

6.2 6.3 6.4

6.5

Procédure préliminaire, consultation comprise 6.1.1 Projet mis en consultation 6.1.2 Synthèse des résultats de la procédure de consultation 6.1.3 Appréciation des résultats de la procédure de consultation Présentation du contre-projet indirect Commentaire des dispositions Conséquences 6.4.1 Conséquences économiques 6.4.2 Conséquences pour la sécurité de la Suisse Aspects juridiques 6.5.1 Constitutionnalité 6.5.2 Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse 6.5.3 Forme de l'acte à adopter

25 25 26 26 27 30 39 39 39 40 40 40 40

Loi fédérale sur le matériel de guerre (LFMG) (Projet)

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Arrêté fédéral relatif à l'initiative populaire «Contre les exportations d'armes dans des pays en proie à la guerre civile (initiative correctrice)» (Projet)

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Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Texte de l'initiative

L'initiative populaire «Contre les exportations d'armes dans des pays en proie à la guerre civile (initiative correctrice)» a la teneur suivante: La Constitution1 est modifiée comme suit: Art. 107, al. 2 à 4 Elle [la Confédération] légifère par une loi fédérale sur la fabrication, l'acquisition, la distribution, l'importation, l'exportation et le transit de matériel de guerre.

2

Les marchés passés avec l'étranger qui portent sur du matériel de guerre sont interdits notamment dans les cas suivants: 3

a.

le pays de destination est impliqué dans un conflit armé interne ou international; la loi peut prévoir des exceptions, notamment pour les pays suivants: 1. pays démocratiques disposant d'un régime de contrôle des exportations comparable à celui de la Suisse, 2. pays qui ne sont impliqués dans un tel conflit que dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies;

b.

le pays de destination viole systématiquement et gravement les droits de l'homme;

c.

le risque que le matériel de guerre soit utilisé contre la population civile est élevé dans le pays de destination, ou

d.

le risque que le matériel de guerre soit transmis à un destinataire final non souhaité est élevé dans le pays de destination.

La loi peut prévoir des exceptions à l'al. 3 pour les appareils servant au déminage humanitaire; elle peut aussi en prévoir pour des armes à feu à épauler et des armes à feu de poing individuelles, ainsi que pour leurs munitions, lorsque ces armes sont destinées exclusivement à un usage privé ou sportif.

4

Art. 197, ch. 122 12. Disposition transitoire ad art. 107, al. 2 à 4 (Armes et matériel de guerre) Si les dispositions légales relatives à l'art. 107, al. 2 à 4, ne sont pas entrées en vigueur trois ans après l'acceptation dudit article par le peuple et les cantons, le Conseil fédéral

1 2

RS 101 Le numéro définitif de la présente disposition transitoire sera fixé par la Chancellerie fédérale après le scrutin.

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édicte les dispositions d'exécution nécessaires par voie d'ordonnance; ces dernières ont effet jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions légales.

1.2

Aboutissement et délais de traitement

L'initiative populaire «Contre les exportations d'armes dans des pays en proie à la guerre civile (initiative correctrice)» a fait l'objet d'un examen préliminaire par la Chancellerie fédérale le 27 novembre 20183 et a été déposée le 24 juin 2019 avec le nombre de signatures requis.

Par décision du 16 juillet 2019, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait recueilli 126355 signatures valables et qu'elle avait donc abouti4.

L'initiative est présentée sous la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral lui oppose un contre-projet indirect. Conformément à l'art. 97, al. 2, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)5 et compte tenu de l'art. 1, al. 1, let. b, de l'ordonnance du 20 mars 2020 sur la suspension des délais applicables aux initiatives populaires fédérales et aux demandes de référendum au niveau fédéral 6, le Conseil fédéral a jusqu'au 6 mars 2021 pour soumettre à l'Assemblée fédérale un projet d'arrêté fédéral et un projet d'acte accompagné d'un message. L'Assemblée fédérale a, en vertu de l'art. 100 LParl, jusqu'au 6 mars 2022 pour décider si elle recommandera d'accepter ou de rejeter l'initiative. Elle peut proroger d'un an le délai imparti pour la traiter si les conditions mentionnées à l'art. 105 LParl sont réunies.

1.3

Validité

L'initiative remplit les conditions de validité prévues à l'art. 139, al. 3, Cst.: a.

elle obéit au principe de l'unité de la forme puisqu'elle revêt entièrement la forme d'un projet rédigé;

b.

elle respecte l'unité de la matière puisqu'il y a un lien matériel entre ses différentes parties;

c.

elle satisfait aux exigences de compatibilité avec le droit international puisqu'elle n'en viole pas les règles impératives.

2

Contexte de l'initiative

2.1

Genèse

L'initiative a été lancée par la Coalition contre les exportations d'armes dans les pays en guerre civile en réaction à l'adaptation de l'ordonnance du 25 février 1998 sur le 3 4 5 6

FF 2018 7697 FF 2019 4929 RS 171.10 RO 2020 847

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matériel de guerre (OMG)7, décidée le 15 juin 2018 par le Conseil fédéral mais pas mise en oeuvre. Cette modification avait pour but de rapprocher les critères d'autorisation applicables aux exportations de matériel de guerre avec ceux de l'Union européenne (UE), et donc de nos pays voisins. Cette décision traduisait la crainte de voir la base technologique et industrielle importante pour la sécurité (BTIS) de la Suisse mise en péril8. Disposer de sa propre base industrielle dans les techniques de sécurité et de défense est essentiel à la crédibilité de la politique de sécurité d'un petit pays neutre, même dans un monde de plus en plus globalisé (cf. ch. 2.2). C'est dans cet esprit que l'art. 1 de la loi fédérale du 13 décembre 1996 sur le matériel de guerre (LFMG)9 souligne la nécessité de maintenir une capacité industrielle adaptée aux besoins de la défense nationale dans les limites imposées par le contrôle des exportations (obligations internationales et principes de politique étrangère de la Suisse). Afin de servir cet objectif, il est nécessaire de réexaminer régulièrement les conditions-cadre régissant notre politique en matière d'exportation de matériel de guerre.

La Suisse dispose aujourd'hui d'une solide base industrielle en comparaison internationale, mais celle-ci est exposée à la concurrence de plus en plus féroce qui s'exerce entre places économiques. Or il est très difficile de reconstituer, une fois perdues, les capacités industrielles d'un pays. Ce constat s'applique en particulier aux compétences technologiques et aux capacités industrielles dans le domaine de la sécurité et de la défense, d'autant plus que le marché international de l'armement n'est pas un marché ouvert, car il est souvent réglementé par des dispositions d'ordre national.

Comme le marché national du matériel de guerre est limité et qu'il affiche une tendance plutôt à la baisse, l'industrie suisse des techniques de sécurité et de défense est tributaire des exportations.

C'est pourquoi, dans le cadre de la révision de l'OMG prévue en 2018, le Conseil fédéral avait jugé nécessaire de créer la possibilité d'établir des nuances, à savoir d'autoriser au cas par cas l'exportation de matériel de guerre vers un pays de destination impliqué dans un conflit armé interne s'il n'y a aucune raison de penser que le matériel
en question sera utilisé dans ledit conflit.

Le 31 octobre 2018, le Conseil fédéral a toutefois décidé de ne pas procéder à cette adaptation. L'élément déterminant qui a guidé sa décision est le fait que la réforme ne bénéficiait plus du soutien politique nécessaire, notamment au sein des Commissions de la politique de sécurité, en charge de ce dossier. En raison du rejet de la motion 18.3394 du groupe BD ( «Élargir la base démocratique des exportations d'armes») par le Parlement le 28 mai 2018, la coalition a estimé nécessaire de maintenir son initiative. Elle a en outre souligné que, sans cette initiative, le Conseil fédéral peut décider à tout moment d'assouplir à nouveau les critères d'autorisation si ces derniers continuent de figurer dans une ordonnance. Elle entend empêcher l'exportation de matériel de guerre dans les pays en proie à la guerre civile, en retirant au Conseil fédéral la compétence d'adapter les critères d'autorisation. Par ailleurs, de par leur inscription dans la Constitution, les critères applicables aux autorisations d'exporter du matériel de guerre seraient légitimés directement par le peuple. Enfin, l'initiative 7 8 9

RS 514.511 Communiqué du Conseil fédéral du 15 juin 2018: «L'ordonnance sur le matériel de guerre sera adaptée».

RS 514.51

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prévoit d'abroger la dérogation introduite en 2014 concernant les pays qui violent gravement et systématiquement les droits de l'homme.

L'initiative prévoit d'inscrire dans la Constitution des interdictions spécifiques applicables à l'exportation de matériel de guerre. Ces interdictions reprennent les critères d'autorisation en vigueur, en les durcissant légèrement. L'instauration d'interdictions constitutionnelles réduirait la marge de manoeuvre du Parlement et du Conseil fédéral pour définir l'orientation de la pratique en matière d'autorisation des exportations de matériel de guerre.

La Coalition contre les exportations d'armes dans les pays en guerre civile rassemble des oeuvres d'entraide, des partis et des organismes religieux. Elle regroupe 47 membres, qui sont des organisations comme la section suisse d'Amnesty International, le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA), Public Eye ou l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR), ou encore des partis comme le Parti bourgeoisdémocratique (PBD), le Parti socialiste suisse (PS), le Parti écologiste suisse (les Verts), le Parti évangélique suisse (PEV), le Parti vert-libéral (PVL) et les sections jeunes de diverses tendances.

2.2

La base technologique et industrielle importante pour la sécurité de la Suisse

Dans ses principes en matière de politique d'armement du DDPS, le Conseil fédéral précise que la BTIS est constituée des «établissements de recherche et [des] entreprises qui disposent en Suisse de compétences, facultés et capacités techniques dans le domaine de la défense et de la sécurité». La BTIS contribue dans une mesure essentielle à assurer l'équipement et les prestations nécessaires à l'Armée suisse et à d'autres institutions fédérales chargées de la sécurité du pays, comme l'Office fédéral de la police et le Corps des gardes-frontière. Dans bon nombre d'États, une base technologique et industrielle performante est une composante essentielle de la politique d'armement, et donc de la politique de sécurité et de défense. Cet aspect est primordial pour la Suisse, qui, en sa qualité d'État neutre, ne peut pas conclure d'alliance défensive ni donc prétendre à un appui militaire de la part d'autres États. Le renforcement de la BTIS compte donc au nombre des priorités de la politique de sécurité menée par le Conseil fédéral, qui y accorde une importance toute particulière dans ses principes en matière de politique d'armement du DDPS du 24 octobre 201810.

Les compétences technologiques et les capacités industrielles de la Suisse dans le domaine de la sécurité et de la défense sont surtout le reflet des connaissances et des capacités des petites et moyennes entreprises innovantes qui produisent, face à une âpre concurrence internationale, des sous-systèmes de haut niveau technologique ou des pièces détachées pour des systèmes militaires ou civils. Les établissements de recherche et ces entreprises forment la BTIS, laquelle englobe donc bien plus que les firmes d'armement classiques. Or la Suisse, qui ne dispose pas d'une grande industrie de la sécurité et de la défense, est largement tributaire de l'étranger dans ce domaine 10

www.ar.admin.ch > Acquisitions > Politique d'armement du Conseil fédéral (état au 2.10.2020).

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de haute importance. À de rares exceptions près, seules les filiales suisses d'entreprises étrangères disposent encore de fournisseurs et intégrateurs de systèmes. Ce sont souvent d'anciennes entreprises suisses rachetées par des groupes étrangers. La majorité des biens d'armement et des prestations destinées à l'Armée suisse sont achetés par l'entremise de ces représentations suisses de grandes entreprises internationales.

Notre pays n'a par conséquent aucune influence directe qui lui permettrait de s'assurer l'accès aux technologies utilisées dans ces systèmes de sécurité ainsi qu'aux compétences clés et aux capacités industrielles nécessaires à leur intégration, utilisation et entretien en Suisse en toute situation.

L'indépendance totale de la Suisse envers les pays étrangers en matière d'armement n'étant pas un objectif réaliste, notre pays se concentre sur la maîtrise de certaines technologies et compétences industrielles clés qui sont essentielles pour la sécurité du pays. La BTIS doit être en mesure de garantir au mieux ces compétences technologiques et capacités industrielles centrales avec les moyens disponibles en Suisse. Elle doit pouvoir fournir des prestations essentielles pour assurer la capacité à durer des principaux systèmes d'engagement de l'armée et d'autres institutions fédérales chargées de la sécurité du pays. Cela exige, d'une part, de grandes capacités pour l'exploitation et l'entretien, dans la mesure du possible autonome, des systèmes d'engagement existants et futurs et, d'autre part, des capacités de développement et d'intégration spécifiques afin, par exemple, de pouvoir fabriquer de nouveaux composants et de bien les intégrer dans ces systèmes, dans le cadre de mesures de maintien de la valeur du matériel.

Comme précisé plus haut, la BTIS est également constituée d'entreprises de droit privé, qui ne peuvent subsister sur le marché que si elles sont compétitives et si la vente de leurs produits et services leur permet de dégager du profit. La demande intérieure émanant de l'armée et d'autres institutions fédérales chargées de la sécurité du pays n'est pas suffisante pour garantir l'existence de la BTIS et la disponibilité des compétences, du savoir-faire et des capacités nécessaires. À l'instar des acquisitions en Suisse et des affaires compensatoires, la politique
de contrôle des exportations a un rôle particulièrement important à jouer, étant donné que ces trois instruments permettent d'influer directement sur les débouchés des entreprises et constituent ainsi les moyens de pilotage les plus directs pour renforcer la BTIS. Pour être performante, celle-ci exige des conditions-cadre compétitives permettant aux entreprises de proposer des produits et des services concurrentiels, en Suisse comme à l'international. Par sa législation et sa politique de contrôle des exportations, la Confédération crée ces conditions, dans le respect des obligations du droit international et des principes de politique étrangère.

De plus amples informations concernant l'orientation de la politique de la Suisse en matière d'économie, d'innovation, de sécurité et d'armement figurent dans le rapport du Conseil fédéral du 4 décembre 2020 en réponse au postulat 17.3243 Golay («Innovation et sécurité. Une alliance d'intérêts cruciale pour la prospérité et l'autonomie de la Suisse»)11.

11

www.parlement.ch > 17.3243 > Rapport en réponse à l'intervention parlementaire.

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3

Buts et contenu de l'initiative

3.1

Buts visés

Selon la coalition, l'initiative vise en premier lieu à permettre une «réglementation démocratique durable» du contrôle des exportations de matériel de guerre en réglant les critères applicables à celles-ci au niveau de la Constitution et de la loi. Les auteurs de l'initiative espèrent en outre lutter contre les causes des déplacements forcés, sachant que, depuis la Seconde Guerre mondiale, le nombre de personnes en fuite n'a jamais été aussi élevé que de nos jours. Ils estiment qu'une Suisse exportant des armes dans des pays violant les droits de l'homme pousserait immanquablement davantage d'hommes et de femmes sur les chemins de l'exil. Enfin, ils jugent élevé le risque que des armes exportées dans des régions en crise tombent entre les mains de terroristes.

Par son initiative, la coalition n'entend pas interdire l'exportation d'armes, mais veut revenir aux critères d'autorisation décidés par le Conseil fédéral en 2008 (introduction des critères d'exclusion à l'art. 5, al. 2, OMG) et complétés en 2014 par la dérogation concernant les pays qui violent gravement et systématiquement les droits de l'homme (art. 5, al. 4, OMG). Elle vise ainsi à rendre impossible l'exportation d'armes dans des pays qui violent les droits de l'homme de façon grave et systématique ou qui sont impliqués dans un conflit armé interne ou international, indépendamment du fait que le matériel de guerre à exporter puisse ou non être utilisé dans le conflit ou servir à violer les droits de l'homme.

3.2

Réglementation proposée

Les principales conditions d'octroi de l'autorisation d'exporter du matériel de guerre sont fixées dans la loi. Aux termes de l'art. 22 LFMG, les exportations de matériel de guerre sont autorisées si elles ne contreviennent pas au droit international et ne sont pas contraires aux principes de la politique étrangère de la Suisse et à ses obligations internationales. Il revient au Conseil fédéral d'arrêter les dispositions d'exécution par voie d'ordonnance (art. 43 LFMG), ce qu'il a fait en définissant les critères d'autorisation à l'art. 5 OMG, avec, d'une part, les critères à prendre en considération (art. 5, al. 1, OMG) et, d'autre part, les critères d'exclusion, qui conduisent obligatoirement à un refus de l'autorisation (art. 5, al. 2, OMG). Des dérogations sont en outre prévues à l'art. 5, al. 3 et 4, OMG.

Art. 5

Critères d'autorisation pour les marchés passés avec l'étranger

L'autorisation concernant les marchés passés avec l'étranger et la conclusion de contrats aux termes de l'art. 20 LFMG doit reposer sur les considérations suivantes: 1

a.

le maintien de la paix, de la sécurité internationale et de la stabilité régionale;

b.

la situation qui prévaut dans le pays de destination; il faut tenir compte notamment du respect des droits de l'homme et de la renonciation à utiliser des enfants-soldats;

c.

les efforts déployés par la Suisse dans le domaine de la coopération au développement, en particulier l'éventualité que le pays de destination figure parmi 11 / 40

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les pays les moins avancés sur la liste en vigueur des pays bénéficiaires de l'aide publique au développement12 établie par le Comité d'aide au développement de l'Organisation de coopération et de développement économiques; d.

l'attitude du pays de destination envers la communauté internationale, notamment sous l'angle du respect du droit international public;

e.

la conduite adoptée par les pays qui, comme la Suisse, sont affiliés aux régimes internationaux de contrôle des exportations.

L'autorisation concernant les marchés passés avec l'étranger et la conclusion de contrats aux termes de l'art. 20 LFMG n'est pas accordée: 2

a.

si le pays de destination est impliqué dans un conflit armé interne ou international;

b.

si le pays de destination viole systématiquement et gravement les droits de l'homme;

c.

[...]

d.

s'il y a de forts risques que, dans le pays de destination, le matériel de guerre à exporter soit utilisé contre la population civile; ou

e.

s'il y a de forts risques que, dans le pays de destination, le matériel de guerre à exporter soit transmis à un destinataire final non souhaité.

En dérogation aux al. 1 et 2, une autorisation peut être accordée pour des armes individuelles de la catégorie KM 1 répertoriées dans l'annexe 1 et pour leurs munitions, lorsqu'elles sont destinées exclusivement à un usage privé ou sportif.

3

Par dérogation à l'al. 2, let. b, une autorisation peut être accordée si le risque est faible que le matériel de guerre à exporter soit utilisé pour commettre des violations graves des droits de l'homme.

4

La coalition souhaite, au moyen de l'initiative, inscrire dans la Constitution les critères d'exclusion énumérés à l'art. 5, al. 2, OMG, et ce sous forme d'interdictions (moyennant quelques ajustements), mais ne se prononce pas sur le devenir des critères fixés à l'art. 5, al. 1, OMG, qui sont à prendre en considération dans la procédure d'autorisation. La formulation des critères d'exclusion sous forme d'interdictions et leur inscription dans la Constitution entraînent une modification de droit formel. Sur le plan du droit matériel, cependant, il n'y a aucune différence entre la législation actuelle et le texte de l'initiative, étant donné que, dans les deux cas, aucune autorisation n'est accordée lorsque l'un des critères d'exclusion est rempli.

Le comité d'initiative veut en outre abolir la dérogation prévue à l'art. 5, al. 4, OMG.

Cette dérogation permet d'autoriser à titre exceptionnel l'exportation de matériel de guerre dans des pays de destination qui violent gravement et systématiquement les droits de l'homme, si le risque est faible que le matériel de guerre à exporter soit utilisé pour commettre des violations graves des droits de l'homme. L'initiative permet en revanche au législateur d'édicter des clauses dérogatoires pour les pays impliqués

12

La liste établie par le Comité d'aide au développement de l'OCDE peut être consultée en ligne à l'adresse suivante: www.oecd.org.

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dans un conflit armé interne ou international. Par ailleurs, le texte précise expressément que les interdictions ne s'appliquent pas aux appareils servant au déminage humanitaire. Il conserve également la dérogation en vigueur (art. 5, al. 3, OMG) pour les armes à feu individuelles de poing ou à épauler destinées à un usage privé ou sportif.

L'initiative ne précise pas comment traiter les pièces de rechange destinées à du matériel de guerre déjà livré. En vue de garantir la sécurité du droit et la protection de la confiance légitime, la réglementation actuelle prévoit des conditions très strictes pour refuser l'autorisation de livrer des pièces de rechange destinées à du matériel de guerre déjà exporté. Formulées en termes absolus, les interdictions figurant à l'art. 107, al. 3, du texte de l'initiative pourraient s'appliquer aussi bien à la livraison de nouveaux produits qu'à celle de pièces de rechange, étant donné que des interdictions constitutionnelles primeraient la disposition légale spéciale de l'art. 23 LFMG. Ce durcissement notable se ferait aux dépens de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime.

3.3

Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

Les dispositions du texte de l'initiative sont largement identiques aux critères d'exclusion actuels (art. 5, al. 2, OMG). Les quelques différences sont expliquées plus en détail dans les lignes qui suivent.

Art. 107, al. 2 «par une loi fédérale» Le texte de l'initiative prévoit que la Confédération légifère par une loi fédérale sur la fabrication, l'acquisition, la distribution, l'importation, l'exportation et le transit de matériel de guerre. À la différence de la disposition actuelle, qui précise de manière générale que la Confédération légifère sur l'importation, l'exportation et le transit de matériel de guerre, la modification proposée indique la forme sous laquelle les règles en question doivent être édictées. Le rapport hiérarchique entre la loi et l'ordonnance découle des art. 164 et 182 Cst. Sous l'angle de la systématique juridique, la qualification de «loi fédérale» ne doit donc pas être comprise comme si le Conseil fédéral ne pouvait plus édicter de dispositions d'exécution fondées sur l'art. 182 Cst. Il ne faut donc pas considérer le texte de l'initiative comme une interdiction de délégation; cela dit, il exige à tout le moins un examen de la répartition de la réglementation entre la loi et l'ordonnance et de son éventuelle réorganisation.

Art. 107, al. 3, let. a «Les marchés passés avec l'étranger qui portent sur du matériel de guerre sont interdits notamment dans les cas suivants: [...] le pays de destination est impliqué dans un conflit armé interne ou international».

L'expression «conflit armé interne» a été introduite par le Conseil fédéral en 2008, en même temps que les critères d'exclusion de l'art. 5, al. 2, OMG. L'objectif de cette 13 / 40

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disposition était de créer un motif d'exclusion absolu pour les pays ravagés par un conflit armé interne, autrement dit par une guerre civile. Dans sa réponse à la question 09.1108 Lang du 12 juin 2009 («Interprétation inacceptable de l'ordonnance sur le matériel de guerre»), le Conseil fédéral a relevé que les exportations de matériel de guerre sont interdites lorsque l'État destinataire est le théâtre d'un conflit armé.

La coalition aimerait que cette notion d'implication dans un conflit armé interne, qui figure aussi dans le texte de l'initiative, soit comprise de manière plus extensive. Elle considère que ce critère d'exclusion doit également s'appliquer lorsque le pays de destination est impliqué dans un conflit armé interne qui sévit sur le territoire d'un autre État, se référant expressément au rôle de l'Arabie saoudite dans le conflit armé au Yémen13. Selon l'interprétation du Conseil fédéral, le motif d'exclusion absolu selon l'art. 5, al. 2, let. a, OMG, à savoir l'implication dans un conflit armé interne, ne s'applique pas à l'Arabie saoudite, raison pour laquelle il s'est fondé sur l'art. 5, al. 1, let. a, OMG pour refuser toute exportation de matériel de guerre lorsqu'il y a des raisons de penser qu'il pourrait être utilisé dans le conflit au Yémen. Cette décision s'applique aux pays qui participent à la coalition militaire emmenée par l'Arabie saoudite et concerne surtout du matériel de guerre tel que les fusils d'assaut ou les véhicules blindés de transport de troupes. En revanche, le Conseil fédéral estime que l'exportation de systèmes de défense antiaérienne peut, en principe, faire l'objet d'une autorisation.

Or l'interprétation de la notion d'implication dans un conflit armé interne prévue par la coalition exige que toute demande d'exportation de matériel de guerre dans un pays engagé (militairement) dans le conflit au Yémen soit rejetée. Par exemple, l'exportation de systèmes de défense antiaérienne en Arabie saoudite serait interdite. Cette interprétation du terme «implication» se traduirait par le durcissement de la pratique en matière d'autorisation appliquée depuis plus de vingt ans. Il faudrait alors se demander si des pays comme les États-Unis ou la France ne seraient pas impliqués dans un conflit armé interne, ce qui supposerait qu'il faudrait interdire l'exportation
de matériel de guerre en France ou aux États-Unis. Le comité d'initiative tente d'apporter une solution au moyen d'une possibilité de dérogation (cf. infra, commentaire de l'art. 107, al. 3, let. a, ch. 1 et 2). Si l'initiative est acceptée, l'interprétation spécifique de l'interdiction, et donc du critère de l'implication dans un conflit armé interne, ressortirait au Parlement et, ensuite, au Conseil fédéral.

Art. 107, al. 3, let. a, ch. 1 et 2 «pays démocratiques disposant d'un régime de contrôle des exportations comparable à celui de la Suisse» et «pays qui ne sont impliqués dans un tel conflit que dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies» Le législateur doit pouvoir prévoir des exceptions à l'interdiction inscrite dans la Constitution d'exporter du matériel de guerre dans un pays de destination impliqué dans un conflit armé interne ou international, notamment pour les pays démocratiques disposant d'un régime de contrôle des exportations comparable à celui de la Suisse ou

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www.initiative-rectification.ch > Initiative > Les arguments (état au 15.02.2021).

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pour les pays qui ne sont impliqués dans un tel conflit que dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies. Les termes «pays démocratiques» et «disposant d'un régime de contrôle des exportations comparable à celui de la Suisse» sont des notions juridiques floues qui appellent une interprétation.

Faute de définition dans le texte de l'initiative, sur quels critères ou sur quelles normes se baser pour évaluer si un pays doit être considéré comme démocratique? Il incomberait là aussi au législateur et, le cas échéant, au Conseil fédéral de préciser ce point.

Selon la lecture qu'en fait la coalition, l'actuel art. 5, al. 2, let. a, OMG (l'autorisation n'est pas accordée si le pays de destination est impliqué dans un conflit armé interne ou international) impose également d'interdire les livraisons d'armes aux pays impliqués dans des conflits au titre d'un mandat de l'ONU. À ses yeux, l'exception que prévoit le texte de l'initiative pour les pays impliqués dans de tels conflits dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, exclusivement, permettrait de pallier le problème. Le Conseil fédéral n'estime pas nécessaire de procéder à cette clarification du texte. Lorsqu'une résolution de l'ONU est adoptée en vue d'une intervention militaire ou d'une opération de maintien de la paix, il ne s'agit pas, dans ce cas de figure, d'une implication dans un conflit armé interne ou international relevant de la législation sur le matériel de guerre, mais plutôt d'une action du pays concerné menée au nom de la communauté internationale pour maintenir la paix. Les exceptions possibles, dont l'énumération à l'art. 107, al. 3, let. a, ch. 1 et 2, n'est pas exhaustive, soulignent que le critère d'exclusion lié au conflit armé au sens de l'interprétation du comité d'initiative (participation extraterritoriale aussi considérée comme une implication) ne devrait être écarté que pour les raisons indiquées explicitement dans le texte de l'initiative ou dans les définitions du législateur. Elles permettraient néanmoins à des pays comme les États-Unis ou la France, qui, selon l'interprétation de la coalition, seraient touchés par l'interdiction prévue à l'art. 107, al. 3, let. a, de se faire tout de même livrer du matériel de guerre provenant de la Suisse, sur la base
des exceptions visées à l'art. 107, al. 3, let. a, ch. 1 et 2.

Art. 107, al. 4 «appareils servant au déminage humanitaire» Le texte de l'initiative permet d'introduire des exceptions légales pour les appareils servant au déminage humanitaire à toutes les interdictions prévues à l'art. 107, al. 3, Cst. Ces équipements ne sont toutefois pas considérés comme du matériel de guerre; ils sont soumis au régime du permis prévu par la loi du 13 décembre 1996 sur le contrôle des biens14, si bien que cette possibilité de dérogation ne serait pas utilisée en pratique.

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Appréciation de l'initiative

4.1

Conformité aux principes et valeurs de la Suisse

Les auteurs de l'initiative ont pour ambition (1) de renforcer le contrôle démocratique des exportations de matériel de guerre, (2) d'interdire de manière générale et sans exception la livraison de matériel de guerre dans les pays qui violent gravement et systématiquement les droits de l'homme (rétablissement du régime en vigueur jusqu'en 2014, «statu quo de 2014»), (3) de restreindre la marge de manoeuvre du Conseil fédéral afin de garantir notamment que la livraison d'armes suisses dans des pays en proie à une guerre civile reste interdite, (4) de combattre les causes de la migration, et (5) d'empêcher que des armes suisses ne tombent entre les mains de terroristes15. Les paragraphes ci-après examinent l'efficacité de l'initiative pour atteindre ces objectifs.

4.1.1

«Les exportations d'armement doivent être placées sous contrôle démocratique»

La coalition justifie l'initiative entre autres par le fait que, selon elle, le Conseil fédéral peut actuellement décider de son propre chef de la politique de la Suisse en matière d'exportations de matériel de guerre. Aujourd'hui déjà, les conditions d'octroi de l'autorisation d'exporter du matériel de guerre sont posées au niveau de la loi (art. 22 LFMG), tandis que les dispositions d'exécution correspondantes sont fixées à l'art. 5 OMG. La compétence de modifier les dispositions d'exécution ressortit certes au Conseil fédéral, mais ce dernier n'en a jamais fait usage de façon autonome. Ainsi, l'ajout, en 2008, de motifs de refus (art. 5, al. 2, OMG) en complément des critères à prendre en considération dans la procédure d'autorisation met en oeuvre une recommandation des Commissions de gestion des Chambres fédérales (CdG) 16, la dérogation figurant à l'art. 5, al. 4, OMG se fonde sur la motion 13.3662 de la Commission de la politique de sécurité du Conseil des États (CPS-E) du 25 juin 2013 («Mettre un terme à la discrimination de l'industrie suisse d'armement»), et la décision du Conseil fédéral d'élaborer une nouvelle modification d'ordonnance en 2018 bénéficiait également du soutien de la CPS-E17.

De plus, le Conseil fédéral doit respecter le cadre défini par les conditions d'autorisation prévues à l'art. 22 LFMG. Les échanges qui ont lieu à différentes occasions entre le Parlement (CPS, CdG, p. ex.) et le Conseil fédéral garantissent un examen régulier des critères d'autorisation de l'art. 5 OMG pour vérifier si ceux-ci permettent d'atteindre les objectifs fixés à l'art. 1 LFMG et s'ils sont conformes aux conditions d'octroi de l'autorisation fixées à l'art. 22 LFMG. Par ailleurs, conformément à l'art. 32

15 16

17

www.initiative-rectification.ch > Initiative > Les arguments (état au 02.10.2020) Rapport de la CdG-N du 7 novembre 2006 «Exécution de la législation sur le matériel de guerre: décisions du Conseil fédéral du 29 juin 2005 et réexportation d'obusiers blindés vers le Maroc»; FF 2007 1993.

www.parlement.ch > Services > La commission soutient la révision de l'ordonnance sur le matériel de guerre (état au 02.10.2020).

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LFMG, le Conseil fédéral renseigne les CdG une fois par an sur le détail des exportations de matériel de guerre. Ainsi, le droit en vigueur permet déjà au Parlement d'obtenir les informations nécessaires et d'influer sur l'aménagement des dispositions d'exécution à l'échelon réglementaire.

Par conséquent, compte tenu des limites inscrites dans la loi (art. 22 LFMG), le contrôle démocratique est déjà garanti. L'initiative augmenterait la légitimité démocratique. Il serait toutefois inhabituel, compte tenu de la hiérarchie des normes, d'inscrire les critères dans la Constitution. La législation actuelle sur le matériel de guerre est un bon exemple du fonctionnement du processus législatif normal: le Parlement fixe dans une loi les grandes lignes de la matière à régler sur la base de la Constitution, et délègue au Conseil fédéral le soin de régler les modalités de l'exécution. Cette délégation offre au Conseil fédéral une certaine marge de manoeuvre matérielle dans la conception des dispositions d'exécution tout en lui conférant la légitimité démocratique d'édicter de telles dispositions.

La question du niveau normatif (loi ou ordonnance du Conseil fédéral) où faire figurer les critères applicables à l'examen des demandes d'exportation a déjà été discutée par le passé, lorsque le Conseil fédéral a soumis aux Chambres fédérales son projet de révision totale de la LFMG, le 15 février 1995. L'art. 21 du projet de loi du Conseil fédéral énumérait les critères d'autorisation pour le transfert de matériel de guerre, critères qui étaient très similaires à ceux figurant aujourd'hui à l'art. 5, al. 1, OMG.

Les Chambres fédérales, convaincues par l'argumentation de la CPS-N, ont décidé de ne pas inscrire ces critères dans la loi. La CPS-N était en effet d'avis qu'il n'était pas nécessaire de détailler les critères d'autorisation dans la loi, qu'il suffisait de les définir dans l'ordonnance. Au final, le législateur prévoit à l'art. 22 LFMG que le transfert de matériel de guerre sera autorisé s'il ne contrevient pas au droit international et qu'il n'est pas contraire aux principes de la politique étrangère de la Suisse et à ses obligations internationales. Pour le surplus, il a estimé que ces principes devaient être concrétisés par voie d'ordonnance.

En remontant plus loin dans le temps, on constate que la
loi fédérale du 30 juin 1972 sur le matériel de guerre contenait également les critères d'autorisation (art. 11), qui étaient donc réglés au niveau de la loi. Ces critères ne prévoyaient toutefois que deux motifs de refus et octroyaient au Conseil fédéral une certaine marge d'interprétation.

Dans la LFMG en vigueur, l'art. 1, en relation avec l'art. 22, exige du Conseil fédéral une pesée des intérêts complexe: il faut veiller au respect des obligations internationales et des principes de la politique étrangère de la Suisse, tout en permettant le maintien en Suisse d'une capacité industrielle adaptée aux besoins de sa défense. Il est dès lors compréhensible que l'Assemblée fédérale ait décidé que les critères d'autorisation devraient être précisés par voie d'ordonnance. Il revient par conséquent au Conseil fédéral de garantir que la Suisse respecte ses obligations internationales et les principes de sa politique étrangère. Les CdG et les CPS examinent régulièrement la pratique du Conseil fédéral en matière d'autorisation et interviennent au moyen de recommandations ou de motions si elles estiment que des adaptations sont nécessaires.

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4.1.2

«La Coalition ne veut pas un durcissement en matière d'exportations d'armes mais un retour au statu quo de 2014»

La coalition fait valoir que, sous l'empire de l'ancien droit, les violations graves et systématiques des droits de l'homme ou un contexte de guerre civile dans le pays de destination excluaient toute autorisation d'exporter du matériel de guerre. Elle rappelle que, lors de la campagne de votation sur l'initiative «Pour l'interdiction d'exporter du matériel de guerre», en 2009, le Conseil fédéral avait promis de ne pas assouplir les critères d'autorisation. Elle estime que le Conseil fédéral a toutefois rompu sa promesse une première fois en 2014, puis à nouveau en 2018, raison pour laquelle l'initiative est nécessaire.

Les interdictions prévues par l'initiative auraient globalement les mêmes effets que les critères d'exclusion de l'art. 5, al. 2, OMG avant la modification d'ordonnance de 2014. Ainsi, les exportations de matériel de guerre dans les pays qui violent gravement et systématiquement les droits de l'homme ne seraient plus autorisées. L'acceptation de l'initiative engendrerait par conséquent un durcissement des critères d'autorisation et de la pratique actuelle à l'égard des pays de destination qui commettent de telles violations, étant donné que la dérogation prévue à l'art. 5, al. 4, OMG serait abolie. Ainsi, en ce qui concerne la livraison de matériel de guerre à des pays qui violent gravement et systématiquement les droits de l'homme, la situation juridique serait rétablie à l'état antérieur à la modification de 2014. En revanche, elle n'aurait en principe aucun impact sur les exportations dans d'autres pays. S'agissant de pays impliqués dans un conflit armé interne ou international, la future pratique en matière d'autorisation dépendrait dans une large mesure du fait que le Parlement adopte ou non de nouvelles dérogations et que d'autres ajustements soient apportés (p. ex. concernant la notion d'implication dans un conflit armé). La situation est tout autre pour ce qui est de la livraison de pièces de rechange: l'initiative pourrait entraîner un net durcissement, qui irait au-delà du statu quo de 2014 visé par le comité d'initiative.

Concernant le non-respect, par le Conseil fédéral, de sa promesse de ne pas procéder à des assouplissements, il convient de souligner que l'adaptation des critères d'exclusion de l'art. 5, al. 2, OMG en 2014 ainsi que l'adaptation décidée, mais non
appliquée, de 2018, découlent d'initiatives parlementaires. Le Conseil fédéral n'a donc pas agi de façon autonome, mais a cherché à satisfaire à des demandes émanant du Parlement.

4.1.3

«Le Conseil fédéral pourrait déjà revenir sur sa décision dans l'année à venir»

Si l'initiative était acceptée, le Conseil fédéral ne pourrait plus adapter les critères d'autorisation sur la base de la loi sur le matériel de guerre. Sa marge de manoeuvre serait donc restreinte. Il pourrait toutefois toujours s'écarter, sur la base de l'art. 184 Cst., des critères d'autorisation (cf. ch. 6.3). Avec l'initiative, seul le Parlement ou les citoyens seraient compétents pour modifier les critères d'autorisation. Un assouplissement des critères d'approbation ne peut donc être exclu, mais il devrait toutefois être adopté par le Parlement dans le cadre d'une procédure législative ou résulter de 18 / 40

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la volonté des citoyens. Inscrire la compétence au niveau de la Constitution ou de la loi rendrait donc une adaptation plus difficile.

4.1.4

«La Suisse doit combattre les causes de la migration»

Les auteurs de l'initiative estiment que les livraisons d'armes à des pays qui violent les droits de l'homme pousseraient encore davantage de personnes à migrer. L'initiative vise à lutter contre cet effet en interdisant toute livraison de matériel de guerre dans ces pays. Or, aujourd'hui déjà, les exportations de matériel de guerre sont refusées si le pays de destination viole gravement et systématiquement les droits de l'homme. Des exceptions sont admises uniquement lorsqu'il n'existe qu'un faible risque que le matériel de guerre exporté soit utilisé pour commettre de graves violations des droits de l'homme (p. ex. dans le cas de systèmes de défense antiaérienne qui ne peuvent pas servir à commettre de telles violations). Par conséquent, une acceptation de l'initiative ne permettrait pas de combattre l'immigration liée aux violations des droits de l'homme.

4.1.5

«Les armes en zone de conflit tombent facilement entre les mains de terroristes»

Selon le comité d'initiative, le matériel de guerre exporté dans des pays qui violent les droits de l'homme ou qui connaissent une situation politique instable tombe très facilement entre de mauvaises mains, notamment de groupes terroristes, comme en témoignent les affaires des grenades, des chars et des munitions qui ont éclaté ces dernières années.

Aujourd'hui, le risque que le matériel de guerre exporté tombe entre de mauvaises mains est déjà pris en considération dans le cadre de l'examen au cas par cas des demandes d'exportation par le Secrétariat d'État à l'économie (SECO) et le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Conformément à l'art. 5, al. 2, let. e, OMG, s'il y a de forts risques que le matériel de guerre à exporter soit transmis à un destinataire final non souhaité, la demande d'exportation est obligatoirement rejetée.

La déclaration de non-réexportation que doivent signer les services gouvernementaux compétents du pays de destination ainsi que les inspections sur place (Post-shipment verifications) constituent deux autres mesures de lutte contre le risque de prolifération, qui avaient été introduites à la suite des cas d'abus cités en exemple par la coalition.

L'initiative n'apporterait donc pas d'amélioration décisive, d'autant qu'elle ne prévoit aucune adaptation matérielle des conditions juridiques concernant le critère d'exclusion en cas de forts risques que le matériel de guerre à exporter soit transmis à un destinataire final non souhaité. Il s'ensuit que la pratique en matière d'autorisation resterait inchangée en cas d'acceptation de l'initiative.

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4.2

Conséquences en cas d'acceptation de l'initiative

Si l'initiative était acceptée, sa principale conséquence serait le transfert dans la Constitution, sous la forme d'interdictions, des critères d'exclusion applicables aux exportations de matériel de guerre. Tant le Conseil fédéral que le législateur perdraient dès lors la compétence de modifier ces interdictions. Le législateur aurait toujours la possibilité d'édicter des exceptions pour les exportations de matériel de guerre dans des pays impliqués dans un conflit armé interne ou international, comme le prévoit l'art. 107, al. 3, let. a, du texte de l'initiative. Aucune exception n'est par contre admise concernant les trois autres interdictions (art. 107, al. 3, let. b à d, du texte de l'initiative). Ce durcissement par rapport au droit en vigueur aurait un impact sur les exportations dans des pays qui violent gravement et systématiquement les droits de l'homme. Les interdictions prévues dans le texte de l'initiative sont en outre formulées de manière non exhaustive, si bien que le législateur aurait la possibilité d'introduire des interdictions supplémentaires. Il pourrait également prévoir des exceptions applicables aux exportations dans les pays impliqués dans un conflit armé interne ou international. En cas d'acceptation de l'initiative, il conviendrait de se demander si les régimes spéciaux, comme pour les livraisons de pièces de rechange, pourraient être maintenus. Enfin, nul ne sait ce qu'il adviendrait des critères d'autorisation énumérés à l'art. 5, al. 1, OMG.

4.2.1

Conséquences des exceptions pour les pays impliqués dans un conflit armé interne ou international

En matière de matériel de guerre, l'interprétation du Conseil fédéral de l'expression «pays impliqué dans un conflit armé interne ou international» diffère de celle de la coalition. L'initiative prévoit deux exceptions à l'interdiction d'exporter du matériel de guerre dans ces pays (cf. art. 107, al. 3, let. a, ch. 1 et 2, du texte de l'initiative) et autorise le Parlement à en inscrire d'autres dans la loi. La portée de l'interdiction prévue à l'art. 107, al. 3, let. a, du texte de l'initiative dépendrait donc de l'adoption éventuelle, par le législateur, de dispositions comportant des dérogations ou des précisions concernant l'interprétation du terme «impliqué».

4.2.2

Conséquences de l'abolition de la dérogation pour les pays qui violent gravement et systématiquement les droits de l'homme

La dérogation prévue actuellement à l'art. 5, al. 4, OMG concernant l'autorisation d'exportation dans les cas où le pays de destination viole gravement et systématiquement les droits de l'homme serait supprimée, si l'initiative était acceptée. Il ne serait ainsi plus possible de procéder à une différenciation en fonction du potentiel de risque lié au matériel de guerre à exporter, comme peuvent le faire les États membres de

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l'UE en vertu de la position commune 2008/944/PESC18 du Conseil du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d'équipements militaires. Par conséquent, la livraison de matériel de guerre dans un pays qui viole gravement et systématiquement les droits de l'homme serait interdite, même si ce matériel était destiné à la défense nationale et qu'il ne pouvait pas servir à commettre des violations des droits de l'homme (en fonction de la situation du pays de destination, il peut p. ex. s'agir de systèmes de défense antiaérienne ou de radars destinés à la marine permettant de conduire le feu). L'acceptation de l'initiative créerait ainsi un cadre juridique plus strict que celui des États membres de l'UE, si bien que l'industrie suisse de l'armement serait désavantagée par rapport à ses concurrents européens.

Dans son rapport du 21 novembre 2012 en réponse au postulat 10.3622 Frick du 18 juin 2010 («Donner à l'industrie suisse de la sécurité et de l'armement les moyens de se battre à armes égales avec la concurrence européenne») 19, le Conseil fédéral explique que la législation suisse et la pratique d'autorisation des exportations d'armes sont comparables à celles de l'Autriche et de la Suède, qui connaissent des conditionscadre analogues aux nôtres en matière de droit international et de politique extérieure pour ce qui est de l'exportation de matériel de guerre. Les législation et pratique suisses sont ponctuellement même plus sévères que celles de ces deux pays, et le sont nettement plus que celles d'autres pays européens, notamment la France, l'Allemagne et l'Italie. Les différences les plus notables sont les critères d'exclusion concernant les droits de l'homme (art. 5, al. 2, let. b, OMG) et concernant les pays impliqués dans un conflit armé interne ou international (art. 5, al. 2, let. a, OMG).

Sur la base de la motion 13.3662 CPS-E du 25 juin 2013, le Conseil fédéral a introduit en 2014 l'art. 5, al. 4, OMG, qui prévoit qu'une autorisation d'exportation dans un pays qui viole gravement et systématiquement les droits de l'homme peut exceptionnellement être accordée si le risque que le matériel de guerre à exporter soit utilisé pour commettre des violations graves des droits de l'homme est faible. Cette nouvelle disposition a permis
d'atténuer les différences juridiques par rapport aux pays voisins de la Suisse en instaurant une pratique différenciée en fonction du potentiel de risque lié à un destinataire final spécifique et à la possibilité que le matériel de guerre à exporter puisse être utilisé pour commettre des violations graves des droits de l'homme.

4.2.3

Conséquences sur le régime relatif à la livraison de pièces de rechange

L'art. 23 de la LFMG prévoit un régime spécial pour les pièces de rechange de matériel de guerre déjà livré: l'exportation de pièces de rechange destinées à du matériel de guerre dont l'exportation a été autorisée est également autorisée, à moins que des

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19

Position commune 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d'équipements militaires, JO L 335, du 13.12.2008, p. 99; modifiée en dernier lieu par la décision (PESC) 2019/1560, JO L 239, du 17.9.209, p. 16.

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circonstances exceptionnelles, qui justifieraient la révocation des premières autorisations, ne soient survenues entre-temps. Il existe donc une procédure d'autorisation automatique pour la livraison de pièces de rechange, pour autant qu'aucune circonstance exceptionnelle ne s'y oppose. Dans le but de garantir aux entreprises la sécurité juridique dont elles ont besoin pour remplir leurs obligations contractuelles, le législateur a sciemment décidé de rendre plus difficile le refus d'une demande portant sur la livraison de pièces de rechange que le rejet d'une demande relative à un nouveau lot de matériel de guerre. L'initiative ne dit par contre rien de la réglementation applicable à la livraison de pièces de rechange. Étant donné que les normes constitutionnelles priment les normes légales, la question se pose de savoir si les interdictions constitutionnelles visées par l'initiative pourraient également s'appliquer à l'exportation de pièces de rechange, indépendamment du régime spécial prévu par la loi. Ce changement nuirait à la sécurité juridique et à la protection de la confiance légitime, et serait contraire au principe selon lequel les conventions doivent être respectées (pacta sunt servanda).

L'acheteur qui acquiert du matériel de guerre doit avoir la certitude qu'il pourra bénéficier de services de garantie et commander des pièces de rechange. Lorsqu'il existe des motifs de refus absolus ou des interdictions d'exporter du matériel de guerre qui tiennent compte uniquement de la situation dans le pays de destination sans considérer le type de matériel de guerre à exporter ni les risques qui y sont liés, la livraison des pièces de rechange doit être soumise à un régime spécial. Ce dernier est indispensable pour pouvoir, dans un cas précis, protéger la confiance légitime du client et lui offrir la sécurité juridique dont il a besoin. L'abolition du régime spécial nuirait à la réputation de fiabilité de l'industrie suisse dans les relations commerciales, notamment dans les cas où la livraison de pièces de rechange serait refusée uniquement en raison de la situation juridique et non du risque spécifique qui existe dans le pays de destination.

4.2.4

Conséquences économiques et en matière de politique de sécurité

Quelque 200 entreprises et entreprises individuelles demandent régulièrement des autorisations pour le transfert de matériel de guerre. Il ne s'agit pas uniquement de grandes entreprises, mais également de nombreuses PME. Le nombre de travailleurs dans l'industrie suisse de la sécurité et de la défense, entreprises sous-traitantes incluses, a été évalué pour la dernière fois dans le cadre du rapport du Conseil fédéral du 21 novembre 2012 en réponse au postulat 10.3622 Frick «Donner à l'industrie suisse de la sécurité et de l'armement les moyens de se battre à armes égales avec la concurrence européenne»: on dénombrait alors entre 10 000 et 20 000 personnes actives dans cette industrie. Le durcissement de la politique suisse en matière d'exportation par rapport à la concurrence européenne pourrait engendrer non seulement une perte d'emplois en Suisse, mais encore une fuite du savoir-faire et des compétences industrielles clés vers l'étranger. La BTIS s'en trouverait affaiblie, aux dépens de l'armée et d'autres institutions fédérales chargées de la sécurité de l'État (cf. ch. 2.2).

Les conséquences de l'initiative pour l'économie suisse seraient en principe limitées, étant donné que les exportations de matériel de guerre représentaient en moyenne 22 / 40

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508,6 millions de francs entre 2015 et 2019 et que leur part moyenne dans l'ensemble des exportations suisses demeurait inférieure à 1 % (0,17 %). Le poids économique des exportations de matériel de guerre est donc plutôt faible. En outre, la disposition d'exception à abroger ne concerne qu'une petite partie des exportations de matériel de guerre. Les conséquences économiques à l'échelle nationale seraient dès lors modérées. Toutefois, certaines régions pourraient être plus fortement touchées si des entreprises qui y sont implantées venaient à cesser leurs activités. Il ne faut par conséquent pas négliger l'importance régionale des exportations de matériel de guerre. Dans certains cantons, un grand nombre d'emplois et une part relativement grande de la valeur ajoutée dépendent de la fabrication de matériel de guerre. Il ne faut en outre pas oublier la part de valeur ajoutée indirecte et le fait que la perte d'économies d'échelle risquerait d'entraîner une réduction des exportations, voire leur chute, ce qui pourrait également avoir un impact sur la production indigène ou la situation économique générale de certaines entreprises et de leurs sous-traitants.

4.3

Avantages et inconvénients de l'initiative

L'initiative s'empare d'un débat très émotionnel amorcé en 2018 et permet aux citoyens de se prononcer. Contrairement à l'initiative populaire fédérale «Pour l'interdiction d'exporter du matériel de guerre»20, sur laquelle le peuple a voté en 2009, l'initiative correctrice ne cherche pas à interdire complètement les exportations de matériel de guerre, mais à réglementer une partie de ces exportations. Elle est portée par une large coalition de partis et d'organisations et, d'après les résultats de la procédure de consultation, une majorité des partis étaient globalement favorables à un durcissement des critères d'autorisation.

Le transfert de compétences qu'entraîne l'initiative contrevient cependant au principe selon lequel le législateur fixe les grandes lignes d'une norme juridique et octroie au Conseil fédéral la compétence d'édicter les dispositions d'exécution. Les interdictions visées par l'initiative devraient par conséquent figurer dans la loi plutôt que dans la Constitution. Dans ce cas, l'application du régime spécial prévu à l'art. 23 LFMG pour les pièces de rechange resterait garantie.

En cas d'acceptation de l'initiative, le Parlement et le Conseil fédéral perdraient la marge de manoeuvre dont ils disposent actuellement, notamment pour favoriser le maintien de la BTIS, alors qu'une base technologique et industrielle performante est un élément crucial de la politique d'armement. La BTIS est composée d'établissements de recherche et d'entreprises qui disposent en Suisse de compétences, savoirfaire et capacités techniques dans le domaine de la défense et de la sécurité21. Il serait nettement plus difficile d'adapter les critères d'autorisation à de nouvelles circonstances. L'assouplissement ou le durcissement des critères nécessiterait au moins un processus législatif au Parlement, voire une nouvelle votation populaire. L'atout majeur de la solution en vigueur réside dans la flexibilité qu'elle offre pour réagir rapidement à toute nouvelle situation et garantir ainsi en tout temps le respect des objectifs 20 21

FF 2008 6869 www.ar.admin.ch > Acquisitions > Politique d'armement du Conseil fédéral > Base technologique et industrielle importante pour la sécurité (BTIS).

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énoncés aux art. 1 et 22 LFMG. Ces dispositions permettent une prise en considération pondérée d'intérêts de politique extérieure et de politique de sécurité. L'acceptation de l'initiative pourrait nuire à cette structure équilibrée, aux dépens de la BTIS. Contrairement à la législation et à la pratique actuelles, le contrôle régulier des conditionscadre régissant la politique en matière d'exportation de matériel de guerre par le Parlement et le Conseil fédéral et, au besoin, leur adaptation rapide ne seraient possibles que de manière limitée. Tant la modification de 2014 que l'ajout des critères d'exclusion en 2008 seraient concernés.

4.4

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

L'initiative ne contrevient à aucun traité ou obligation relevant du droit international.

Elle est notamment conforme au droit de la neutralité et au Traité du 2 avril 2013 sur le commerce des armes22.

5

Conclusions

Si le Conseil fédéral comprend les préoccupations essentielles de la coalition, il estime cependant que cette initiative va trop loin. En effet, si elle était acceptée, la hiérarchie des normes serait bouleversée et l'industrie suisse de la sécurité et de la défense se verrait pénalisée par rapport à la concurrence européenne. Cette situation aurait des conséquences directes sur la politique de sécurité de la Suisse, car un affaiblissement de la BTIS accroît la dépendance du pays à l'égard de l'étranger en matière de politique d'armement. Par ailleurs, les termes juridiques flous utilisés dans le texte de l'initiative compliqueraient la mise en oeuvre et entraîneraient une insécurité juridique pour l'industrie de la sécurité et de la défense. Enfin, l'abolition du régime spécial prévu à l'art. 23 LFMG (livraison de pièces de rechange) entraînerait un durcissement supplémentaire des dispositions légales qui compromettrait la sécurité juridique et la protection de la confiance légitime, ce qui porterait préjudice à la réputation de fiabilité l'industrie suisse dans les relations commerciales.

Pour toutes ces raisons, le Conseil fédéral rejette l'initiative. Néanmoins, il lui oppose un contre-projet indirect visant à inscrire dans la loi les critères de l'art. 5 OMG, mais sans l'exception concernant les pays violant gravement et systématiquement les droits de l'homme. Le contre-projet prévoit toutefois que le Conseil fédéral se voit octroyer la compétence de déroger aux critères d'autorisation, dans le respect d'un cadre clairement défini, en vue de sauvegarder les intérêts du pays en matière de politique extérieure ou de sécurité lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient.

Avec la suppression de l'exception relative aux pays qui violent gravement et systématiquement les droits de l'homme (1), l'inscription dans la loi des critères d'autorisation (2) et l'interdiction d'exporter du matériel de guerre dans des pays en proie à

22

RS 0.518.61

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des conflits armés (3), le contre-projet indirect prend en considération les trois préoccupations majeures du comité d'initiative. Par ailleurs, en attribuant une compétence dérogatoire au Conseil fédéral, il tient compte d'une des principales demandes exprimées par certains participants à la consultation.

Il permet dans le même temps d'atténuer les conséquences négatives liées à un transfert de compétences. Ainsi, l'application du régime propre aux pièces de rechange (art. 23 LFMG), entre autres, serait garantie. En outre, l'industrie suisse de la sécurité et de la défense bénéficierait d'une plus grande sécurité juridique, notamment dans la mesure où le contre-projet n'introduit pas de nouveau terme juridique flou. Par ailleurs, l'art. 5, al. 1, OMG, qui revêt une grande importance pour la pratique en matière d'autorisation, serait élevé au même rang que les motifs de refus visés à l'art. 5, al. 2, OMG.

6

Contre-projet indirect

6.1

Procédure préliminaire, consultation comprise

Le 20 mars 2020, le Conseil fédéral a ouvert une procédure de consultation relative à la modification de la LFMG présentée comme contre-projet indirect à l'initiative populaire fédérale. Deux variantes d'un contre-projet indirect ont été mises en consultation jusqu'au 29 juin 2020.

Les cantons, la Conférence des gouvernements cantonaux (CdC), les partis politiques représentés à l'Assemblée fédérale, les associations faîtières nationales des communes, des villes et des régions de montagne, les associations faîtières nationales de l'économie, et 41 autres milieux intéressés ont été directement contactés lors de la consultation. Au total, 91 autorités et organisations intéressées ont été consultées23.

6.1.1

Projet mis en consultation

Deux variantes d'un contre-projet indirect ont été mises en consultation: La variante 1 prévoyait de transférer tels quels dans la LFMG aussi bien les critères fixés à l'art. 5, al. 1, OMG, qui sont à prendre en considération dans la procédure d'autorisation, que les critères d'exclusion énumérés à l'art. 5, al. 2, OMG et les dérogations figurant aux al. 3 et 4. Cette variante proposait en outre d'instaurer une compétence dérogatoire permettant au Conseil fédéral de s'écarter des critères d'autorisation lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient et que la sauvegarde des intérêts du pays en matière de politique extérieure ou de politique de sécurité l'exige.

La variante 2 prévoyait également de transférer tels quels dans la LFMG aussi bien les critères fixés à l'art. 5, al. 1, OMG, que les critères d'exclusion énumérés à l'art. 5, al. 2, OMG et la dérogation figurant à l'al. 3. Cependant, elle ne reprenait pas la disposition dérogatoire de l'art. 5, al. 4, OMG, qui permet l'exportation dans des pays 23

Le projet mis en consultation peut être consulté à l'adresse suivante: www.admin.ch > Droit fédéral > Consultations > Procédures de consultation terminées > 2020 > DEFR.

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qui violent gravement et systématiquement les droits de l'homme, si bien qu'elle aurait été abrogée. Par ailleurs, la variante 2 ne prévoyait pas d'octroyer au Conseil fédéral une compétence dérogatoire lui permettant de s'éloigner des critères d'autorisation lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient.

6.1.2

Synthèse des résultats de la procédure de consultation

À l'expiration de la consultation, le 29 juin 2020, le Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche (DEFR) avait reçu 69 avis d'autorités et d'organisations. La majorité des cantons étaient favorables à la variante 1 du contre-projet indirect, tandis que la plupart des partis, la coalition, deux organisations de développement et une organisation chrétienne avaient souscrit à la variante 2. Les associations économiques et les entreprises de l'industrie d'armement avaient quant à elles rejeté les deux variantes du contre-projet indirect. Enfin, 1367 citoyens avaient répondu à l'appel de la coalition et manifesté leur soutien à la variante 2.

6.1.3

Appréciation des résultats de la procédure de consultation

Les avis recueillis au cours de la consultation divergent. D'une manière générale, ils se prononcent en faveur de la variante 1 ou 2 du contre-projet indirect, même si parfois les deux sont refusées ou qu'aucune préférence n'est donnée. Les arguments des uns et des autres peuvent être consultés dans le rapport sur les résultats de la procédure de consultation24.

D'un point de vue quantitatif, 15 autorités et organisations se prononcent en faveur de la variante 1, 29 en faveur de la variante 2, et 16 les rejettent les deux. Par ailleurs, 1367 citoyens soutiennent la variante 2. Par conséquent, en fonction du nombre d'avis exprimés, la variante 2 devrait être privilégiée. Mais ce serait ignorer l'importance relative des différentes organisations et le fait que les avis exprimés peuvent reposer sur des projets ou des discussions entre différents partenaires, d'où la nécessité d'une appréciation qualitative des résultats de la procédure de consultation.

Parmi les 15 avis favorables à la variante 1, on compte 12 cantons. Selon ces derniers, cette variante prend entre autres en considération la nécessité d'accorder une liberté d'action suffisante au Conseil fédéral pour la sauvegarde des intérêts du pays en matière de politique extérieure ou de politique de sécurité dans des circonstances exceptionnelles. Cet appui de 12 cantons à la variante 1 prend d'autant plus de poids sur le plan politique que ces cantons se sont exprimés à titre individuel, et non à travers un projet commun ni en concertation, comme l'ont fait par exemple les entreprises de l'industrie de l'armement, les membres de la coalition ou encore les 1367 citoyens.

24

Le rapport sur les résultats de la consultation est disponible à l'adresse suivante: www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2020 > DEFR.

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Cependant, même si la variante 1 bénéficie de ce point de vue d'un important soutien, elle ne recueille pas les faveurs des partis politiques. Sur 8 partis politiques, 6 (PBD, PDC, PEV, PVL, les Verts et PS) se prononcent explicitement en faveur de la variante 2, en particulier en raison du fait qu'elle n'autorise plus aucune exception pour des pays qui violent gravement et systématiquement les droits de l'homme. Le PLR est le seul parti à prôner la variante 1, et l'UDC rejette sur le fond tout contre-projet.

Les vert'libéraux demandent par ailleurs que le contre-projet soit complété de sorte que la livraison de pièces de rechange réponde aux mêmes règles qu'une exportation d'armes.

Bien que la procédure de consultation ne fasse pas émerger de préférence claire en faveur de l'une ou l'autre variante, il apparaît que, pour les tenants de la variante 2, l'interdiction d'exportation de matériel de guerre dans des pays qui violent gravement et systématiquement les droits de l'homme joue un rôle prépondérant dans leur choix.

Pour leur part, les partisans de la variante 1 soulignent avant tout l'importance de la compétence dérogatoire du Conseil fédéral dans des circonstances exceptionnelles.

Pour cette raison, le Conseil fédéral a décidé, le 21 octobre 2020, de présenter un nouveau contre-projet indirect en vue de présenter un compromis susceptible de rallier les deux camps politiques.

6.2

Présentation du contre-projet indirect

Transfert des critères d'autorisation de l'ordonnance dans la loi Les critères de rejet à prendre en considération, énumérés à l'art. 5, al. 1, LFMG, lors d'une demande d'autorisation d'exportation de matériel de guerre passent du niveau de l'ordonnance à celui de la loi pour être inscrits dans la LFMG. Il en va de même pour les critères d'exclusion à l'art. 5, al. 2, OMG et la dérogation à ceux-ci pour un usage privé ou sportif, prévue à l'art. 5, al. 3, OMG.

Suppression de la dérogation applicable aux pays responsables de violations graves et systématiques des droits de l'homme En revanche, la disposition dérogatoire de l'art. 5, al. 4, OMG, qui permet l'exportation dans des pays qui violent gravement et systématiquement les droits de l'homme, est supprimée sans être remplacée.

Le transfert des critères d'autorisation dans la loi constitue une réponse à la demande de contrôle démocratique accru formulée par le comité d'initiative. La suppression de l'art. 5, al. 4, OMG et l'exclusion des exportations de matériel de guerre dans des pays impliqués dans des conflits armés, fait justice aux trois principales exigences du comité d'initiative et à l'avis exprimé par les tenants de la variante 2 du projet mis en consultation.

Exception pour les exportations en vue d'engagements en faveur de la paix Contrairement à l'initiative, le contre-projet indirect prévoit une exception concernant les critères d'autorisation si le matériel de guerre à exporter doit être utilisé dans le cadre d'engagements en faveur de la paix sur la base d'un mandat des Nations Unies, 27 / 40

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de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ou d'une organisation supranationale qui vise à promouvoir la paix. La pratique en vigueur a permis par le passé des exportations en vue de tels engagements, conformément aux conditions d'octroi de l'autorisation énumérées à l'art. 22 LFMG (droit international, obligations internationales et principes de la politique étrangère de la Suisse). L'inscription des critères d'autorisation au niveau de la loi rendrait pratiquement impossible de telles exportations, puisque les pays de destination dans lesquels de tels engagements ont lieu sont dans la plupart des cas impliqués dans un conflit interne ou international et/ou violent gravement et systématiquement les droits de l'homme. Dès lors, une disposition d'exception est nécessaire pour permettre la poursuite de cette pratique en dérogation aux critères d'exclusion de l'al. 2. Des dérogations doivent par conséquent rester possibles à des conditions clairement définies.

Compétence dérogatoire du Conseil fédéral dans des circonstances exceptionnelles La disposition prévoit une compétence dérogatoire permettant au Conseil fédéral de s'écarter des critères d'autorisation lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient et que la sauvegarde des intérêts du pays en matière de politique extérieure et de politique de sécurité l'exige. Les conditions permettant d'y recourir sont clairement définies.

Cette compétence dérogatoire est une des demandes principales des tenants de la variante 1 du projet mis en consultation.

Le projet de loi présenté en tant que contre-projet indirect est formulé comme suit: Art. 22a

Critères d'autorisation pour les affaires avec l'étranger

L'évaluation d'une demande d'autorisation concernant les affaires avec l'étranger au sens de l'art. 22 ou concernant la conclusion de contrats au sens de l'art. 20 doit reposer sur les considérations suivantes: 1

a.

le maintien de la paix, de la sécurité internationale et de la stabilité régionale;

b.

la situation qui prévaut dans le pays de destination; il faut tenir compte notamment du respect des droits de l'homme et de la renonciation à utiliser des enfants-soldats;

c.

les efforts déployés par la Suisse dans le domaine de la coopération au développement; il faut tenir compte notamment de l'éventualité que le pays de destination figure parmi les pays les moins avancés sur la liste en vigueur des pays bénéficiaires de l'aide publique au développement établie par le Comité d'aide au développement de l'Organisation de coopération et de développement économiques;

d.

l'attitude du pays de destination envers la communauté internationale, notamment sous l'angle du respect du droit international;

e.

la conduite adoptée par les pays qui, comme la Suisse, sont affiliés aux régimes internationaux de contrôle des exportations.

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L'autorisation concernant les affaires avec l'étranger au sens de l'art. 22 et la conclusion de contrats au sens de l'art. 20 n'est pas accordée: 2

a.

si le pays de destination est impliqué dans un conflit armé interne ou international;

b.

si le pays de destination viole gravement et systématiquement les droits de l'homme;

c.

s'il y a de forts risques que, dans le pays de destination, le matériel de guerre à exporter soit utilisé contre la population civile, ou

d.

s'il y a de forts risques que, dans le pays de destination, le matériel de guerre à exporter soit transmis à un destinataire final non souhaité.

Par dérogation aux al. 1 et 2, une autorisation peut être accordée pour des armes à feu individuelles de poing ou à épauler de tout calibre et leurs munitions, lorsqu'elles sont destinées exclusivement à un usage privé ou sportif.

3

Par dérogation à l'al. 2, une autorisation concernant une affaire avec l'étranger en vue d'un engagement en faveur de la paix peut être accordée si l'engagement résulte d'un mandat des Nations Unies, de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ou d'une organisation supranationale ayant pour mission la promotion de la paix.

4

Art. 22b

Dérogation du Conseil fédéral aux critères d'autorisation pour les affaires avec l'étranger

Le Conseil fédéral peut, sous réserve des conditions prévues à l'art. 22, déroger aux critères d'autorisation de l'art. 22a: 1

a.

en cas de circonstances exceptionnelles, et

b.

si la sauvegarde des intérêts du pays en matière de politique extérieure ou de politique de sécurité l'exige.

Si la dérogation intervient par voie de décision, le Conseil fédéral en informe les Commissions de la politique de sécurité de l'Assemblée fédérale dans les 24 heures qui suivent sa décision.

2

Si la dérogation intervient par voie d'ordonnance, le Conseil fédéral limite la durée de validité de celle-ci de manière appropriée; cette durée ne peut dépasser quatre ans.

Le Conseil fédéral peut proroger l'ordonnance une fois. Le cas échéant, celle-ci devient caduque six mois après l'entrée en vigueur de sa prorogation si le Conseil fédéral n'a pas soumis à l'Assemblée fédérale un projet modifiant les critères d'autorisation visés à l'art. 22a.

3

L'entrée en vigueur de cette disposition légale entraînerait l'abrogation de l'art. 5 LFMG en vigueur.

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6.3

Commentaire des dispositions

Art. 22 L'art. 22 LFMG en vigueur fixe les conditions requises pour l'octroi de l'autorisation.

Les demandes concernant des marchés passés avec l'étranger concernant du matériel de guerre sont autorisées si elles ne contreviennent pas au droit international et ne sont pas contraire aux principes de la politique étrangère de la Suisse ni à ses obligations internationales.

Plusieurs obligations de la Suisse en matière de droit international touchent le domaine des exportations de matériel de guerre. Il s'agit, entre autres, des embargos sur les armes et des sanctions relevant du droit international, du traité sur le commerce des armes, du droit de la neutralité, du droit international humanitaire et des droits de l'homme. Leur application et leur mise en oeuvre s'appuient sur les sources pertinentes du droit international et sur la jurisprudence qui y est associée.

Les principes de politique étrangère sont définis en particulier à l'art. 54 Cst. comme étant des objectifs de la Confédération. Guidée par cet article, cette dernière s'attache à préserver l'indépendance et la prospérité de la Suisse, contribue notamment à soulager les populations dans le besoin et à lutter contre la pauvreté ainsi qu'à promouvoir le respect des droits de l'homme, la démocratie, la coexistence pacifique des peuples et la préservation des ressources naturelles. Comme ils figurent dans la Constitution, les principes établis à l'art. 54 Cst. ne peuvent être relativisés que par d'autres intérêts de politique étrangère. De plus, en tant qu'État dépositaire des Conventions de Genève et de par sa tradition humanitaire, la Suisse est chargée de défendre le droit international humanitaire et les valeurs humanitaires.

Lors de l'appréciation des demandes d'exportation de matériel de guerre, il faut toujours veiller à la neutralité de la Suisse, qui est composée du droit de la neutralité et de la politique de neutralité. Le statut d'État neutre comprend ainsi des obligations internationales, comme elles sont inscrites dans les Conventions de La Haye de 190725 et dans le droit coutumier international. Conformément au droit coutumier international, les États ne peuvent pas prendre, même en temps de paix, d'engagements qui pourraient entrer, en cas de conflit, en contradiction avec les obligations découlant du droit de la
neutralité. Considérée dans sa globalité, la neutralité est un instrument de la politique étrangère et de sécurité de la Suisse. La politique de neutralité menée par la Suisse lui permet, au-delà de ses obligations légales concrètes, de prendre d'autres mesures pour asseoir l'efficacité et la crédibilité de sa neutralité et garantir ainsi son statut particulier d'État neutre permanent au sein de la communauté internationale.

Comme le droit de la neutralité ne s'applique qu'en cas de conflits armés internationaux, les considérations de politique de neutralité interviennent avant tout dans le contexte de conflits armés opposant des États. Toutefois, des exportations de matériel de guerre dans des États parties à un conflit armé interne et non international peuvent aussi mettre en question la crédibilité de la neutralité suisse. Ceci peut notamment être le cas d'exportations de matériel de guerre dans certaines configurations, exportations qui pourraient être perçues par la communauté internationale comme une volonté

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RS 0.515.21 et RS 0.515.22

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claire de favoriser une partie au conflit. Une telle perception pourrait, indépendamment de la qualification juridique du conflit, avoir des répercussions négatives sur la crédibilité de la neutralité de la Suisse eu égard aux conflits internationaux actuels et futurs.

Art. 22a Actuellement, l'art. 5 OMG précise l'art. 22 LFMG. Si le projet était accepté, ce serait l'art 22a P-LFMG qui le ferait.

L'art. 22a comprend des critères à prendre en compte lors de marchés passés avec l'étranger (critères de rejet, al. 1) ou qui entraînent obligatoirement le refus de l'autorisation (critères d'exclusion, al. 2). En outre, des dérogations sont prévues aux al. 3 et 4.

Les critères de rejet et d'exclusion de l'art. 22a ainsi que les dérogations prévues aux al. 3 et 4 doivent être interprétés à la lumière de l'art. 22 lors de l'évaluation d'un cas.

L'art. 22 prescrit entre autres le respect des obligations internationales, ce qui permet de garantir qu'un marché passé avec l'étranger n'est pas contraire aux obligations de la Suisse en la matière et, en particulier, qu'il est en accord avec le traité sur le commerce des armes, le droit de la neutralité, le droit international humanitaire et les droits de l'homme. En outre, on retrouve notamment les principes de politique étrangère de lutte contre la pauvreté, de respect des droits de l'homme, de promotion de la démocratie et de la coexistence pacifique des peuples à l'art. 22a, al. 1 et 2. Comme toutefois les principes de politique étrangère sont formulés de manière plus large que les critères concrets d'évaluation et de rejet, ils demeurent, ce qui signifie concrètement que, dans l'interprétation de l'art. 22a, on retiendra tous les principes de politique étrangère sans en perdre de vue un seul.

Art. 22a, al. 1 L'al. 1 mentionne les critères à prendre en considération lors de l'examen d'une demande (critères de rejet), critères qui n'entraînent toutefois pas nécessairement de conséquences juridiques. Les autorités compétentes en matière d'autorisation disposent ainsi d'une marge d'appréciation pour pondérer ces critères au moment de décider si la demande doit être rejetée ou non. Les critères de rejet ont été repris sans changement de l'art. 5, al. 1, OMG.

L'art. 22a, al. 1, let. a, prévoit la prise en considération du maintien de la paix, de la sécurité
internationale et de la stabilité régionale. Il convient par conséquent d'examiner si une livraison de matériel est susceptible de mettre en cause le maintien de la paix, la sécurité internationale ou la stabilité régionale. Il s'agit en particulier d'analyser la situation dans le pays de destination et dans la région. Dans ce contexte, le type de matériel de guerre, mais aussi l'utilisateur final et l'usage prévu jouent un rôle important dans l'évaluation et la décision d'octroi de l'autorisation. L'impact sur le maintien de la paix, la sécurité internationale la stabilité régionale doit être évalué concrètement pour chaque cas. Cet impact est considéré avéré en particulier lorsqu'il y a raison de penser que le matériel de guerre à exporter aurait un effet déstabilisant sur la paix, la sécurité internationale ou la stabilité régionale. La seule éventualité que le matériel de guerre à exporter puisse être utilisé dans un contexte qui pourrait mettre 31 / 40

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en danger la paix, la sécurité internationale ou la stabilité régionale peut suffire à entraîner le rejet d'une demande. Un tel contexte peut être donné, par exemple, si le pays ou la région de destination se trouve dans une situation de conflit, qu'il est marqué par une forte activité terroriste ou que le crime organisé y règne.

Conformément à la pratique du Conseil fédéral, le critère évoqué peut à lui seul entraîner un rejet de la demande s'il y a une raison de penser que le matériel de guerre à exporter sera utilisé dans un conflit armé, et cela même s'il n'existe pas encore de cas concret au sens de l'al. 2, let. a. Ce fut le cas par exemple des livraisons de matériel de guerre à des pays étant intervenus militairement au Yémen depuis 2015 dans le cadre de l'alliance militaire menée par l'Arabie Saoudite. La décision de rejet d'une demande d'exportation sur la base de l'art. 22a, al. 1, let. a, doit être prise au cas par cas. En pratique, les livraisons de matériel de guerre à des pays qui contribuent à la paix et à la sécurité par leurs engagements et défendent ainsi les mêmes valeurs que la Suisse (en particulier les pays voisins) sont évaluées différemment que des livraisons à des pays qui remettent en question ces valeurs. Sur le fond, une telle différenciation correspond à la volonté des auteurs de l'initiative, qui prévoient une exception pour les pays démocratiques disposant d'un régime de contrôle des exportations comparable à celui de la Suisse.

L'art 22a, al. 1, let. b, dispose que la situation à l'intérieur du pays de destination doit être prise en considération. La situation des droits de l'homme et la renonciation à utiliser des enfants-soldats sont nommément mentionnés. La disposition est formulée de manière large, de sorte que d'autres aspects se rapportant à la situation qui prévaut dans le pays de destination peuvent eux aussi conduire à un rejet. D'une manière générale, il convient de prendre en considération la stabilité à l'intérieur du pays de destination. L'existence de troubles, le niveau du crime organisé ou de la corruption sont des éléments importants à cet égard. Dans ce contexte, non seulement le type de matériel de guerre, mais encore l'utilisateur final et l'usage prévu jouent un rôle important dans l'évaluation de la demande d'autorisation.

En vertu de l'art. 22a,
al. 1, let. c, les efforts déployés par la Suisse dans le cadre de la coopération bilatérale au développement et la participation de la Suisse dans le cadre de projets multilatéraux de coopération au développement doivent être pris en considération. Il convient toutefois de tenir également compte des éventuels besoins du pays de destination en matière de sécurité. L'analyse des besoins du pays bénéficiaire en termes de sécurité sera fondée sur l'examen de la situation sécuritaire ainsi que le type et la quantité du matériel de guerre à exporter. Il s'agira d'estimer si les ressources économiques affectées aux achats du pays bénéficiaire sont en proportion non seulement de ses besoins en termes de sécurité, mais aussi d'autres dépenses étatiques nécessaires.

Dans la perspective d'une politique cohérente en matière de développement, il faut garder notamment à l'esprit que, dans le cadre de la coopération au développement, la Suisse soutient plusieurs pays, fragiles pour la plupart, figurant sur la liste du Comité d'aide au développement (CAD) de l'Organisation de coopération et de développement économiques. C'est pourquoi le critère lié à cette liste constitue un élément important dans l'appréciation des marchés passés avec l'étranger. Au final, il s'agit d'éviter que le développement socioéconomique du pays bénéficiaire soit remis en

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cause par les livraisons de matériel de guerre. Enfin, il s'agira de résoudre les contradictions susceptibles de surgir entre, d'une part, le soutien apporté par la Suisse et la communauté internationale dans le cadre de la coopération au développement et, d'autre part, d'éventuelles livraisons de matériel de guerre par la Suisse.

L'art. 22a, al. 1, let. d prend en compte l'attitude du pays de destination envers la communauté internationale. Il convient notamment d'examiner si ce dernier satisfait à ses engagements internationaux. Ses obligations en matière de désarmement et de non-prolifération, de droit humanitaire international, de droits de l'homme et d'embargos internationaux constituent des aspects fondamentaux à cet égard.

Aux termes de l'art. 22a, al 1, let. e, l'appréciation d'une demande prend également en considération la conduite adoptée par les pays affiliés à des régimes internationaux de contrôle des exportations dont la Suisse est partie prenante. L'objectif est une certaine harmonisation sur le plan international, nécessaire à la mise en place d'une politique efficace de contrôle des exportations.

Art. 22a, al. 2 Tandis que les critères à l'al. 1 appellent à une évaluation qualitative passant par une pesée des intérêts au cas par cas, l'al. 2 définit les cas où le rejet d'une demande est impératif. Les critères d'exclusion de l'al. 2 ont été repris de l'art. 5, al. 2, OMG sans modification quant au fond.

Art. 22a, al. 2, let. a: l'autorisation doit impérativement être refusée si le pays de destination est impliqué dans un conflit armé interne ou international. L'existence d'un conflit armé est déterminée sur la base de critères objectifs.

Il y a conflit armé international lorsqu'il y a recours à la force armée entre États. Selon la législation sur le matériel de guerre, l'implication dans un conflit armé international demande l'intervention militaire d'organismes gouvernementaux, telles que les forces armées d'une partie à un conflit ou d'un groupe armé sous le contrôle d'une partie étatique à un conflit. Au sens de la LFMG, ce seuil se fonde en premier lieu sur l'applicabilité du droit de la neutralité. Autrement dit, le conflit doit être d'une certaine durée et intensité pour que l'exportation de matériel de guerre doive impérativement être rejetée. Ce critère d'exclusion
va au-delà des obligations découlant du droit de la neutralité, lequel n'interdit pas aux entreprises privées d'exporter du matériel de guerre vers des États belligérants (cette interdiction s'applique aux seuls organismes gouvernementaux), et les soumet uniquement au principe de l'égalité de traitement.

La notion conflit armé interne s'entend d'un recours à la violence armée entre des forces gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre plusieurs de ces groupes sur le territoire d'un État. Pour faire valoir l'existence d'un conflit armé, il faut que les hostilités atteignent une certaine intensité et que les groupes armés fassent preuve d'un minimum d'organisation.

Selon l'interprétation actuelle du Conseil fédéral, ce critère d'exclusion n'est applicable que lorsque le pays de destination est lui-même en proie à un conflit armé interne. Cette disposition a pour but d'opposer un rejet impératif des demandes d'exportation de matériel de guerre dans des pays de destination impliqués dans un conflit

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armé interne (aussi couramment appelé «guerre civile») qui se déroule sur leur territoire. La livraison de matériel de guerre n'est donc pas exclue dans les cas où un État apporte son soutien à un État tiers dans son combat contre des groupes armés sur le territoire de ce dernier et avec son accord. Dans le cas de pays qui interviennent militairement dans des États tiers, mais où un refus n'est pas nécessairement indiqué sur la base de l'interprétation faite par le Conseil fédéral de la notion d'«implication», il s'agit d'évaluer au cas par cas s'il y a lieu de rejeter la demande, notamment au regard de l'al. 1, let. a; par exemple s'il y a des raisons de penser que le matériel de guerre à exporter pourrait être utilisé dans un conflit armé. En pratique, la durée des affrontements est aussi prise en considération lors de l'examen des demandes en vue de déterminer si un pays est impliqué dans un conflit armé interne au sens de la LFMG.

Art. 22a, al. 2, let. b: les demandes d'exportation doivent être impérativement rejetées si le pays de destination viole gravement et systématiquement les droits de l'homme.

Peu importe que le matériel de guerre à exporter soit propre ou non à commettre des violations graves des droits de l'homme.

Afin d'évaluer s'il y a violation grave des droits de l'homme, il y a lieu d'examiner si des garanties élémentaires inscrites dans des instruments internationaux sur les droits de l'homme n'ont pas été respectées. Ce sont pour l'essentiel le droit à la vie, le droit à ne pas être soumis à la torture, ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, le droit à la liberté et à la sûreté, le droit à ne pas être tenu en esclavage, le droit à la liberté de pensée et de religion, le droit à la liberté de réunion et d'expression. Point incontesté, toute infraction aux règles impératives du droit international est considérée comme une violation grave des droits de l'homme reconnus au niveau international.

Font notamment partie du droit international impératif l'interdiction du recours à la force, de la torture, du génocide et de l'esclavage, les grands principes du droit international humanitaire et toutes les garanties de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales26 auxquelles on ne peut déroger même en état de
nécessité ainsi que les garanties du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques27. Il y a tout lieu de penser que le seuil de tolérance en matière de violation grave s'élèvera pour les droits de l'homme qui n'appartiennent pas à ce cercle étroit du droit international impératif.

Les autorités disposent par conséquent d'une certaine liberté d'appréciation.

Les violations des droits de l'homme sont jugées systématiques lorsqu'elles sont préméditées ou obéissent à une méthode comparable. Il suffit que les violations concernées manifestent une certaine constance. Il n'est toutefois pas nécessaire que ces dernières se concrétisent dans tous les cas (p. ex., torture de toutes les personnes incarcérées). Il convient en outre d'observer si les violations des droits de l'homme commises régionalement peuvent être attribuées au pays de destination. À cet égard, on peut notamment tenir compte du fait que les violations se limitent à des régions et/ou des autorités données. On dénombre par exemple au nombre des violations systématiques des droits de l'homme la persécution organisée ou institutionnalisée et la torture des opposants politiques, la légalisation de châtiments corporels lors de la poursuite de crimes ou la restriction des garanties de procédure fondamentales fixées 26 27

RS 0.101 RS 0.103.2

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par la loi. La répression violente, à la fois coordonnée et répétée, de rassemblements pacifiques constitue également une violation systématique des droits de l'homme. En revanche, des cas isolés de violence policière excessive exercée sans préméditation ou ne manifestant pas de constance quant à la méthode ne sont pas considérés comme systématiques. En vertu de l'art. 22a, al. 1, let. b, il faut tenir compte de ces éléments lors de l'évaluation de la situation qui prévaut dans le pays de destination.

Art. 22a, al. 2, let. c: la demande d'exportation doit être impérativement rejetée s'il y a de forts risques que, dans le pays de destination, le matériel de guerre à exporter soit utilisé contre la population civile. Il convient à cet égard de considérer, d'une part, le type de matériel de guerre à exporter, et, d'autre part, les destinataires finaux concernés et les circonstances dans le pays de destination, comme la situation des droits de l'homme et le comportement général de l'État à l'égard de la population civile. Les risques sont forts lorsque le matériel de guerre se prête à une utilisation contre la population civile et que des indices concrets attestent de cette utilisation, par exemple, parce que le destinataire final ou un acteur assimilable à ce dernier ont déjà agi de manière répressive à l'encontre de la population par le passé.

Art. 22a, al. 2, let. d: l'autorisation doit être refusée s'il y a de forts risques que, dans le pays de destination, le matériel de guerre à exporter soit transmis à un destinataire final non souhaité. Les risques sont considérés comme forts lorsqu'il y a lieu de penser que le matériel de guerre à exporter sera transmis à un destinataire final non souhaité en dépit des mesures de réduction des risques à disposition (p. ex., déclaration de nonréexportation assortie d'une inspection sur place). Le type de matériel à exporter est déterminant pour l'évaluation des risques (un pistolet peut être plus facilement transmis à un tiers qu'un système d'armes lourd comme un obusier). La situation prévalant dans le pays de destination et dans la région (p. ex., degré de corruption et de crime organisé) ainsi que le comportement du destinataire final par le passé sont d'autres éléments cruciaux pour l'évaluation. Les risques doivent être jugés plus élevés s'il y a eu des
cas de transmission illicite à des destinataires finaux non souhaités par le passé que si ces cas ne se sont pas présentés.

Art. 22a, al. 3 L'al. 3 permet l'octroi d'une autorisation pour des armes à feu individuelles de poing ou à épauler pour un usage privé ou sportif indépendamment des critères susmentionnés. Sont notamment assimilées à un usage privé la chasse, la protection personnelle ou la collection.

Art. 22a, al. 4 Étant donné que les pays de destination qui sont le théâtre d'un engagement en faveur de la paix sont généralement impliqués dans un conflit armé interne ou international et/ou violent gravement et systématiquement les droits de l'homme, des exportations dans ces pays sont en principe impérativement à exclure.

La Suisse a cependant un intérêt à permettre, dans un cadre clairement défini, l'autorisation de ces affaires avec l'étranger (en l'occurrence avant tout des exportations) par dérogation aux critères d'exclusion impératifs de l'al. 2.

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Entrent dans le champ d'application de l'art. 22a, al. 4, P-LFMG les opérations de maintien de la paix résultant d'un mandat des Nations Unies, de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ou menées par une organisation supranationale ayant pour mission la promotion de la paix.

Les affaires avec l'étranger en vue d'un engagement en faveur de la paix peuvent par conséquent être autorisées dans la mesure où les limites posées par l'art. 22 LFMG sont respectées et où les critères de rejet énumérés à l'al. 1 ne s'y opposent pas. Hormis les critères visés à l'al. 1, les conditions suivantes doivent être remplies cumulativement: a.

ni l'engagement en faveur de la paix ni l'exportation de matériel de guerre ne sont contraires au droit international et aux engagements internationaux et principes de politique étrangère de la Suisse;

b.

l'engagement résulte d'un mandat conforme au droit international;

c.

la compatibilité avec le traité sur le commerce des armes, la neutralité de la Suisse, le droit international humanitaire, les sanctions et les autres engagements relevant du droit international est garantie.

Art. 22b

Dérogation du Conseil fédéral aux critères d'autorisation pour les marchés passés avec l'étranger

La compétence dérogatoire introduite à l'art. 22b offre au Conseil fédéral une certaine flexibilité, qui lui permet d'adapter la politique en matière d'exportation du matériel de guerre à l'évolution du contexte de la politique extérieure et de la politique de sécurité. Cette compétence permet également, dans les limites d'un cadre clair, de garantir le maintien en Suisse d'une capacité industrielle adaptée aux besoins de sa défense (art. 1 LFMG) et de sauvegarder les intérêts du pays en matière de politique extérieure.

Par analogie à l'art. 7c de la loi du 21 mars 1997 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration (LOGA)28, le Conseil fédéral peut exercer la compétence dérogatoire visée à l'art. 22b de deux manières: soit il déroge au cas par cas par voie de décision aux critères de rejet fixés à l'art. 22a P-LFMG (al. 2), soit il adopte selon les modalités appropriées une ordonnance de durée limitée (al. 3). Dans les deux cas, il ne peut faire valoir sa compétence dérogatoire qu'à titre exceptionnel et lorsque des conditions clairement définies sont remplies cumulativement: ­

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des circonstances exceptionnelles le justifient (voir ci-après «Contexte»). Ces circonstances exceptionnelles se distinguent de celles qui entraînent la suspension ou la révocation d'autorisations déjà délivrées: la décision de déroger aux critères d'autorisation visés à l'art. 22a P-LFMG est admise uniquement lorsque l'intérêt supérieur de l'État à autoriser une affaire avec l'étranger qui ne serait autrement pas autorisée prime de manière évidente l'intérêt de ne pas accorder cette autorisation;

RS 172.010

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de plus, le Conseil fédéral ne peut déroger aux critères d'autorisation visés à l'art. 22a P-LFMG que si la sauvegarde des intérêts du pays en matière de politique extérieure ou de politique de sécurité l'exige;

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sur le plan matériel, il est tenu de respecter les limites absolues fixées par l'art. 22 LFMG lorsqu'il déroge aux critères d'autorisation énoncés à l'art. 22a P-LFMG; autrement dit, le régime de dérogation n'est applicable qu'aux affaires avec l'étranger qui ne sont pas contraires au droit international et aux engagements internationaux et principes de politique étrangère de la Suisse;

­

enfin, le Conseil fédéral se doit de faire appel à sa compétence dérogatoire uniquement dans la mesure où il y a une urgence temporelle et matérielle qui ne tolère aucun report lié à des travaux législatifs.

En cas de circonstances exceptionnelles et si la sauvegarde des intérêts du pays en matière de politique extérieure ou de politique de sécurité exige une dérogation à ces critères, le Parlement reste, au regard des prescriptions légales, impliqué dans l'application du droit d'urgence conforme à la Constitution (cf. art. 7c LOGA). Si la dérogation intervient par voie de décision, le Conseil fédéral informe les Commissions de la politique de sécurité de l'Assemblée fédérale 24 heures au plus tard après avoir pris sa décision (soit après le rendu de la décision). Si la dérogation intervient par voie d'ordonnance, le Conseil fédéral limite la durée de validité de celle-ci de manière appropriée, mais à quatre ans au plus. Il peut proroger l'ordonnance une fois. Le cas échéant, celle-ci devient automatiquement caduque six mois après l'entrée en vigueur de sa prorogation si le Conseil fédéral n'a pas soumis à l'Assemblée fédérale un projet modifiant les critères légaux d'autorisation visés à l'art. 22a. L'adaptation des critères d'autorisation est sujette au référendum.

Contexte Au moment de l'entrée en vigueur de la LFMG, en 1998, les rapports de force apparaissaient comme relativement stables à l'échelle mondiale. Aujourd'hui, la situation géopolitique a toutefois de nouveau gagné en instabilité et l'ordre international fondé sur des règles a subi à plusieurs reprises de fortes pressions au cours des dernières années. Le risque de conflits armés internes ou internationaux s'est accru à l'échelle mondiale; même les pays occidentaux, qui constituent l'essentiel du marché de l'industrie d'armement suisse, participent à ce type de conflits armés et pourraient à l'avenir être considérés comme impliqués dans ces conflits aux termes de la LFMG.

En parallèle, le nombre d'acteurs étatiques et non étatiques influents va croissant, ce qui conduit à une fragmentation de la situation dans le domaine de la politique de sécurité. Le Conseil fédéral a notamment fait état de ces tendances dans son rapport

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sur la politique de sécurité 201629 et son rapport concernant l'appréciation de la menace de 202030.

Dans l'éventualité où un État avec lequel la Suisse fait commerce d'armes devait être impliqué dans un conflit armé interne ou international, il serait important que le Conseil fédéral puisse procéder à une pesée des intérêts afin de déterminer les exportations de matériel de guerre qui pourraient encore être autorisées au regard du droit international et celles qui devraient être refusées compte tenu des principes de politique étrangère de la Suisse. Ce cas de figure s'est notamment présenté en 2003, lorsque le Conseil fédéral a autorisé certaines exportations de matériel de guerre vers les États-Unis, malgré l'implication de ceux-ci dans un conflit armé international avec l'Irak entrant dans le champ d'application du droit de la neutralité. Il a pu agir de la sorte dans la mesure où le principe d'égalité de traitement découlant du droit de la neutralité n'était pas applicable en raison de l'embargo sur les armes décrété par l'ONU à l'encontre de l'Irak, et où suffisamment d'indices avaient permis d'exclure que le matériel exporté par la Suisse puisse être assemblé dans des systèmes qui auraient été utilisés dans le conflit31. Il n'est pas exclu que le Conseil fédéral doive à l'avenir une nouvelle fois se poser la question de savoir s'il convient, le cas échéant, de maintenir ou non la collaboration entre des sous-traitants suisses et des entreprises d'armement d'un État étranger dans un contexte de conflit armé. La possibilité de procéder à une pesée des intérêts a également toute son importance lorsque, par exemple, des obligations compensatoires découlant d'une éventuelle acquisition de matériel de guerre sont visées, et qu'un refus de l'autorisation d'exportation risquerait d'apporter son lot de défis diplomatiques (p. ex., menace de sanctions économiques). En de telles circonstances, le Conseil fédéral devrait pouvoir procéder à une pesée des intérêts en vue de sauvegarder ses intérêts en matière de politique extérieure et de politique de sécurité, en particulier si les pays concernés s'avèrent être des partenaires politiques et économiques importants, avec lesquels la Suisse entretient une relation étroite.

Sans compétence dérogatoire du Conseil fédéral, les exportations dans des pays
impliqués dans un conflit armé interne ou international seraient interdites par la loi, à l'exception des cas prévus aux al. 3 et 4, ce qui ne laisse pratiquement aucune marge d'interprétation politique. Le Conseil fédéral pourrait uniquement procéder à une pesée des intérêts en application de la Constitution, notamment de l'art. 184 Cst. Une autorisation d'exportation de matériel de guerre fondée sur la Constitution serait contraire à la lettre de la loi, et pourrait soulever des questions institutionnelles, tandis qu'une compétence dérogatoire fixée au niveau légal crée une situation claire. En cas d'aggravation rapide de tensions de ce genre, une compétence dérogatoire permet au

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La politique de sécurité de la Suisse (16.061): rapport du Conseil fédéral du 24 août 2016, consultable sous www.ddps.admin.ch > Autres thèmes > Politique de sécurité > Rapports sur la politique de sécurité > 2016.

Appréciation annuelle de la menace: rapport du Conseil fédéral aux Chambres fédérales et au public du 29 avril 2020, consultable sous www.ddps.admin.ch > Autres thèmes > Recherche de renseignements > Loi sur le renseignement > Documents > Appréciation annuelle de la menace 2020.

Cf. La neutralité à l'épreuve du conflit en Irak: synthèse de la pratique suisse de la neutralité au cours du conflit en Irak en réponse au postulat 03.3066 Reimann et à la motion 03.3050 du groupe UDC, du 2 décembre 2005, FF 2005 6535 6550 s.

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Conseil fédéral de procéder à une pesée des intérêts dans le cadre de la loi et à l'aide de critères bien définis.

6.4

Conséquences

6.4.1

Conséquences économiques

Les dispositions d'exception visées à l'art. 5, al. 4, OMG, qui sont abrogées dans le projet de loi, ont été introduites dans l'ordonnance en 2014 à la suite de la motion 13.3662 de la CPS-E («Mettre un terme à la discrimination de l'industrie suisse d'armement») afin de mettre un terme à la discrimination de l'industrie suisse de l'armement par rapport à ses concurrents européens. L'introduction de cette exception a permis de créer de meilleures conditions de concurrence pour l'industrie suisse de la sécurité et de l'armement et la BTIS, sans que la pratique en matière d'exportation de matériel de guerre remette en question la poursuite de la politique extérieure axée sur la promotion de la paix et de la politique des droits de l'homme.

L'abrogation de la disposition d'exception en vigueur résulterait en une interdiction des exportations de matériel de guerre dans les pays qui violent gravement et systématiquement les droits de l'homme, y compris si le risque est faible que le matériel de guerre à exporter soit utilisé pour commettre des violations graves des droits de l'homme. Elle toucherait notamment trois grandes entreprises d'armement suisses et leurs nombreux sous-traitants, tous potentiellement importants pour la BTIS.

Le cadre suisse serait à cet égard plus restrictif que la position commune 2008/944/ PESC de l'UE, qui suit une approche nuancée en la matière, ce qui pourrait déboucher sur un désavantage concurrentiel.

Les conséquences macroéconomiques seraient limitées, étant donné que la part des exportations de matériel de guerre dans l'ensemble des exportations suisses reste plutôt modeste. En outre, la disposition d'exception à abroger ne concerne qu'une petite partie des exportations de matériel de guerre. Le poids économique des exportations de matériel de guerre est donc plutôt faible, et les conséquences à l'échelle nationale seraient dès lors modérées. Toutefois, certaines régions pourraient être plus fortement touchées si des entreprises qui y sont implantées venaient à cesser leurs activités. Il ne faut par conséquent pas négliger l'importance des exportations de matériel de guerre pour la politique régionale. Dans certains cantons, un grand nombre d'emplois et une part relativement grande de la valeur ajoutée dépendent de la fabrication de matériel de guerre. Il ne faut en outre pas oublier la part de valeur ajoutée indirecte.

6.4.2

Conséquences pour la sécurité de la Suisse

Les conséquences pour la sécurité de la Suisse seraient plus lourdes que les conséquences économiques. En tant qu'État neutre qui n'est membre d'aucune alliance défensive, la Suisse dépend de la force de sa propre BTIS pour ne pas être entièrement tributaire de l'étranger, au moins dans certains domaines liés à la sécurité. En adoptant une politique d'exportation plus restrictive que les autres pays européens, la Suisse 39 / 40

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créerait un désavantage concurrentiel pour les entreprises qui participent à sa propre BTIS. Toutes les entreprises de sa BTIS sont privées et ne peuvent exister qu'en réalisant les bénéfices usuels dans la branche. S'il est impossible de réaliser ces bénéfices en Suisse, une entreprise pourrait décider de délocaliser sa production à l'étranger ou alors de transférer ses activités dans d'autres domaines que celui des techniques de sécurité et de défense. Dans ces deux cas de figure, la Suisse perdrait des compétences et des capacités qui lui sont pourtant cruciales en vue d'assurer sa propre sécurité (cf. ch. 2.2).

6.5

Aspects juridiques

6.5.1

Constitutionnalité

Le projet de loi se fonde sur l'art. 107, al. 2, Cst., qui confère à la Confédération le pouvoir de légiférer sur la fabrication, l'acquisition, la distribution, l'importation, l'exportation et le transit de matériel de guerre. Il convient également de prendre en considération l'art. 54, al. 1, Cst., qui dispose que les affaires étrangères relèvent de la compétence de la Confédération.

6.5.2

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

Le projet de loi ne contrevient à aucun traité ou obligation relevant du droit international. Il est notamment conforme aux engagements pris par la Suisse au titre du traité sur le commerce des armes.

6.5.3

Forme de l'acte à adopter

Le projet contient des dispositions importantes fixant des règles de droit qui, en vertu de l'art. 164, al. 1, Cst., doivent être édictées sous la forme d'une loi fédérale. La compétence de l'Assemblée fédérale découle de l'art. 163, al. 1, Cst.

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