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Message à l'appui d'un projet d'arrêté fédéral concernant la nouvelle réglementation de l'approvisionnement du pays du 6 septembre 1978

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, Nous vous soumettons, par le présent message, un projet d'arrêté fédéral concernant la nouvelle réglementation de l'approvisionnement du pays (modification de l'art. 31bis, 3e al., let. e, de la constitution).

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

6 septembre 1978

1978 - 588

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Ritschard Le chancelier de la Confédération, Huber

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Vue d'ensemble La politique en matière d'approvisionnement est actuellement fondée sur l'article 31tis, 3e alinéa, lettre e, de la constitution fédérale qui a la teneur suivante: 3 Lorsque l'intérêt général le justifie, la Confédération a le droit, en dérogeant, s'il le faut, au principe de la liberté du commerce et de l'industrie, d'édicter des dispositions :

e. Pour prendre des mesures de précaution en vue de temps de guerre.

Les événements survenus ces dernières années ont clairement montré qu'une politique en matière d'approvisionnement conçue uniquement en fonction de situations résultant de faits de guerre et reposant sur l'expérience acquise au cours de la première et de la deuxième guerre mondiale n'est pas propre à dénouer des situations de crise du genre de celles que nous avons vécues récemment. En effet, une politique de puissance (chantage, prétentions abusives, etc.) ou même des perturbations des marchés peuvent fort bien entraver gravement l'approvisionnement de notre pays sans pour autant que des mesures d'ordre militaire se révèlent nécessaires. Or les moyens dont nous disposons aujourd'hui ne nous permettent pas ou ne nous permettent qu'imparfaitement déparer à un tel état de choses. Dans sa teneur actuelle, l'article 31Ms, 3f alinéa, lettre e, de la constitution ne peut servir de base qu'à des mesures de précaution en vue de temps de guerre, mais ne nous autorise pas à intervenir en cas de difficultés d'approvisionnement dues à des facteurs politiques, économiques ou à d'autres causes échappant à notre influence.

Lors des travaux de revision de la loi en vigueur (loi fédérale du 30 septembre 1955 sur la préparation de la défense nationale économique, RS 53L01J, l'avis a été unanimement exprimé qu'on ne saurait se contenter, pour élaborer une politique moderne en matière d'approvisionnement, de reviser cette loi, mais qu'une modification de la constitution est indispensable.

Dans sa nouvelle teneur, telle qu'elle est proposée, l'article 37Mf, 3e alinéa, lettre e, donnera à l'approvisionnement du pays un fondement juridique solide qui permettra à la Confédération de prendre des mesures non seulement en cas de menaces découlant d'un conflit armé ou d'une politique de puissance (défense nationale économique), mais aussi en cas de graves pénuries auxquelles l'économie n'est pas à même de remédier par ses propres moyens.

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Message l

Historique

Durant ces dernières années, il s'est révélé toujours plus nettement que les attributions et les moyens d'action dont dispose la Confédération ne suffisent pas à assurer en tout temps l'approvisionnement de notre pays en marchandises indispensables et les prestations de services d'importance vitale. L'une des expériences les plus marquantes à cet égard découle des difficultés survenues en 1973 et 1974 dans le secteur pétrolier; ces perturbations montrèrent à l'évidence que l'approvisionnement de notre pays peut être mis en danger même indépendamment de toute menace de guerre. Cette constatation fut d'ailleurs à l'origine de diverses interventions parlementaires (interpellation Baumberger du 29 janvier 1974, postulat Künzi du 11 mars 1974, postulat Cavelty du 16 septembre 1974, interpellation Fischer du 4 juin 1975) nous invitant à veiller à ce que la Confédération soit expressément chargée d'assurer l'approvisionnement du pays en matières premières, en denrées alimentaires et en énergie et à ce qu'elle soit dotée des pouvoirs nécessaires.

A cette époque, la revision de la loi sur la préparation de la défense nationale économique était, déjà en cours et aboutit, en 1974, à l'élaboration d'un avantprojet de «loi sur les mesures préparatoires de la défense nationale économique» qui fut soumis à une commission d'experts instituée par nos soins.

Celle-ci exprima l'avis que des mesures devraient être prises pour assurer l'approvisionnement du pays et la protection d'avoirs suisses et que, dès lors, on ne saurait se borner à envisager l'hypothèse où les importations seraient menacées ou entravées et le cas où notre pays serait impliqué dans des conflits internationaux. La commission se demanda également s'il n'y avait pas lieu d'élargir la portée de l'article 31Ws, 3e alinéa, lettre e, de la constitution.

Se fondant sur l'avis exprimé par la commission d'experts, le délégué à la défense nationale économique, après avoir obtenu l'assentiment du chef du Département fédéral de l'économie publique, chargea M. Rudolf Probst, docteur en droit, professeur à l'Université de Berne, de présenter un rapport analysant les problèmes que posent l'approvisionnement du pays en marchandises indispensables et les prestations de services d'importance vitale et d'y joindre, le cas échéant, des propositions portant sur la
revision du droit en vigueur. Au milieu de 1975, le professeur Probst présenta un rapport détaillé, accompagné d'un projet de nouvelle disposition constitutionnelle et d'un projet de loi régissant de façon générale l'approvisionnement du pays. Ces projets furent étudiés et remaniés par un groupe de travail composé de représentants de tous les départements fédéraux intéressés. Ils furent ensuite soumis à la commission d'experts qui les examina au cours de trois séances tenues le 24 septembre 1976, le 25 octobre 1976 et le 19 janvier 1977. La commission reconnut à l'unanimité la nécessité d'une base constitutionnelle plus large et accepta la formulation proposée par le groupe de travail. La procédure de consultation eut lieu du 2 décembre 1977 à la fin de mai 1978. A une forte majorité, la nécessité d'étendre la base constitutionnelle de l'approvisionne705

ment du pays fut admise. La formulation proposée fut généralement bien accueillie; toutefois, de nombreux avis exprimèrent la crainte qu'elle pût servir de base à des mesures de politique structurelle ou conjoncturelle. Pour tenir compte de ces réserves, nous avons établi une nouvelle version que la commission d'experts a approuvée le 2 juin 1978. Nous estimons qu'il y a lieu de reprendre ce texte dans la constitution.

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Nécessité d'une nouvelle disposition constitutionnelle sur l'approvisionnement du pays

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Expérience acquise en matière d'approvisionnement

Depuis la fin de la crise de Suez (1956) jusqu'au début des années 70, notre pays ne connut guère de difficultés notables en matière d'approvisionnement.

En revanche, le conflit du Proche-Orient qui éclata en 1973 entraîna de très fortes hausses du prix du pétrole et des produits pétroliers. De plus, le pétrole ayant alors été utilisé comme moyen de pression, une certaine pénurie vint affecter le marché européen. Au vu de cette situation, nous décidâmes d'instaurer des mesures de restriction. C'est ainsi que nous édictâmes les dispositions suivantes, fondées sur la loi du 30 septembre 1955 sur la préparation de la défense nationale économique: - Arrêté du Conseil fédéral (ci-après ACF) du 14 novembre 1973 fixant une vitesse maximale hors des localités (RO 7975 1697); - ACF du 21 novembre 1973 limitant la consommation de carburants et de combustibles liquides (RO 1973 1727); - ACF du 16 novembre 1973 sur la livraison de carburants par les postes d'essence (RO 7P73 1732); - ACF du 21 novembre 1973 interdisant la circulation dominicale des véhicules routiers, aéronefs et bateaux à moteur (RO 1973 1734); - ACF du 7 décembre 1973 concernant l'entrée en Suisse de véhicules à moteur immatriculés à l'étranger (RO 1973 1835).

Les difficultés d'importation n'étant pas très graves, nous estimâmes pouvoir y remédier a l'aide de ces mesures simples et relativement peu rigoureuses. Nous étions en particulier d'avis que les stocks obligatoires disponibles devaient être conservés à titre de réserves stratégiques et que l'on ne saurait y avoir recours au moindre signe de difficultés d'importation.

Si ces perturbations s'étaient fortement accentuées, il n'aurait vraisemblablement pas été possible d'éviter une mise à contribution des réserves obligatoires.

Toutefois, les conditions d'approvisionnement s'améliorèrent dès le début de 1974, ce qui nous permit d'abroger graduellement, jusqu'en mars 1974, les dispositions précitées.

Des difficultés surgirent également dans le secteur alimentaire, en particulier pour le sucre. On sait que ces dernières années, plus de 90 pour cent du sucre importé en Suisse provient des pays de la Communauté européenne. A la fin de juillet 1974, pour la première fois, la Communauté annonça officiellement que sa production de sucre ne couvrirait vraisemblablement pas ses propres besoins en 1974. Il convenait donc de ne plus compter recevoir de livraisons jusqu'à nouvel avis. A la même époque, il fallut déplorer, dans notre pays, des achats

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massifs de sucre, ce qui entraîna une diminution considérable des stocks libres.

Dans notre réponse à une petite question Bretscher du 18 septembre 1974, nous déclarâmes que nous avions libéré, à titre provisoire, 15 pour cent des stocks obligatoires ordinaires de sucre. Nous précisâmes en outre que les quantités effectivement prélevées sur les stocks obligatoires jusqu'à la mioctobre 1974 étaient insignifiantes et qu'elles représentaient, en tout, moins de un pour mille du volume prescrit des réserves obligatoires.

Il sied de mentionner également les obstacles auxquelles s'est heurté en 1973 notre approvisionnement en riz. Au cours du mois de mai 1973, la Communauté européenne décida d'interrompre complètement les exportations de riz italien qui couvrent 40 à 45 pour cent de notre consommation. La demande étant forte dans le monde entier, il se révéla en outre difficile d'importer du riz en provenance des pays d'outre-mer. Aux Etats-Unis, la récolte fut considérablement retardée par l'ouragan «Deliah». De ce fait, les quantités de riz importées en août et septembre demeurèrent sensiblement inférieures au volume de la consommation. Les réserves libres devinrent insuffisantes; il s'agissait dès lors d'éviter une ruée générale sur les stocks encore disponibles. C'est pourquoi, dans ce secteur aussi, nous décidâmes de libérer temporairement 30 pour cent au maximum des réserves obligatoires.

Qu'il s'agisse du pétrole, du sucre ou du riz, les difficultés furent passagères et purent être surmontées assez rapidement sans qu'il ait été nécessaire de recourir à des mesures particulièrement rigoureuses. Si elles avaient persisté, il aurait fallu intervenir plus énergiquement.

Les mesures édictées reposaient sur la loi fédérale du 30 septembre 1955 sur la préparation de la défense nationale économique qui permet de prendre des mesures de précaution en vue de temps de guerre. Les expériences décrites ci-dessus ont pourtant montré qu'en cas de difficultés de ce genre, notre approvisionnement peut être sérieusement menacé, voire entravé, sans qu'il faille nécessairement en rechercher la cause dans des faits de guerre survenant à l'étranger; ces phénomènes sont plutôt la conséquence de certaines décisions prises par un groupe d'Etats, quand bien même celles-ci ne sont pas dirigées contre notre pays. Enfin,
ces expériences nous ont appris que les perturbations des marchés, qu'elles soient dues à des facteurs naturels (conditions atmosphériques) ou économiques (limitations des exportations, etc.), ne sont pas dépourvues de conséquences pour la Suisse.

Il faut dès lors se demander si les mesures préventives consacrées par la disposition en vigueur, qui sont conçues essentiellement en fonction d'événements de guerre, doivent être aménagées de manière que notre approvisionnement puisse également être assuré lorsque les importations sont entravées en raison de conflits de tous genres ou lorsque les perturbations sont dues à des situations ou à des décisions sur lesquelles nous ne pouvons exercer aucune influence.

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Genèse de la disposition constitutionnelle actuelle

Comme nous l'avons relevé, notre politique en matière d'approvisionnement 707

est fondée sur l'article 31W5, 3e alinéa, lettre e, de la constitution, qui a la teneur suivante: 3 Lorsque l'intérêt général le justifie, la Confédération a le droit, en dérogeant, s'il le faut, au principe de la liberté du commerce et de l'industrie, d'édicter des dispositions :

e. Pour prendre des mesures de précaution en vue de,temps de guerre.

Pour bien comprendre cette disposition, il faut se remémorer certains aspects de sa genèse: Le premier projet portant sur une revision partielle des dispositions constitutionnelles qui régissent l'ordre économique - soumis à l'Assemblée fédérale par un message du 10 septembre 1937 (FF 1937 H 829) - ne contient encore aucune disposition prévoyant des mesures de précaution en vue de temps de guerre. C'est la commission du Conseil national (CN) qui, sur proposition du Département fédéral de l'économie publique (DFEP), compléta ledit projet par une lettre c"15 «concernant des mesures de précaution en vue de temps de guerre» (commission du CN, procès-verbal de la première séance, du 24 au 27 janvier 1938, p. 74). A l'appui de cette proposition, le conseiller fédéral Obrecht déclara au Conseil national, lors du débat sur l'entrée en matière «qu'il convenait de donner après coup une base constitutionnelle solide et claire» à la loi tendant à assurer l'approvisionnement du pays en marchandises indispensables (LF du 1er avril 1938, ci-après loi sur l'approvisionnement, RS 10 777). Il exposa que le Conseil fédéral n'avait pas encore pensé à des mesures de précaution en vue de temps de guerre lorsqu'il avait proposé les nouveaux articles constitutionnels. Cette lacune, qu'il y avait lieu de combler, n'était apparue qu'au cours des débats relatifs à la loi (BSt. CN, 1938, p. 334, traduction).

Il faut en conclure que la disposition en question n'était pas prévue dans les nouveaux articles économiques et que l'on n'avait pas envisagé dès l'origine la possibilité de déroger au principe de la liberté du commerce et de l'industrie pour prendre des mesures de précaution en vue de temps de guerre. Le fait que cette disposition a été placée plutôt fortuitement au 3e alinéa de l'article 31Ms de la constitution joue un rôle certain dans la délimitation de sa portée matérielle, mais surtout dans l'appréciation de ses rapports avec d'autres droits fondamentaux que la liberté du commerce et de l'inidustrie.

En outre, il est frappant que la disposition dont il s'agit ait été adoptée sans discussion par les Chambres fédérales, aussi bien en 1938/39 que lors de la deuxième lecture des articles économiques en 1945. Cela mérite d'être souligné si l'on
considère que cette disposition permet tout de même certaines dérogations au principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Il faut notamment en rechercher la cause dans le fait que les parlementaires auraient sans doute jugé inopportun de mettre en cause la défense nationale économique à un moment où la guerre menaçait (1938/39).

On peut cependant trouver à cette acceptation sans discussion une explication mieux fondée, à savoir que les débats relatifs aux articles économiques de la constitution furent précédés de peu par l'adoption de la loi sur l'approvision-

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nement. Gaudenz Staehelin («Tragweite und Entwicklung des Artikels über die wirtschaftliche Kriegsvorsorge», thèse, Bàie 1960) estime vraisemblable que la portée de la disposition en question avait pu être appréciée dans une large mesure à la lumière des discussions relatives à la loi sur l'approvisionnement (op. cit., p. 15). Le rapport étroit, tant matériel que temporel, qui existe entre la disposition constitutionnelle et la loi sur l'approvisionnement justifie quelques considérations sur la genèse de ladite loi.

La loi en question fut soumise aux Chambres fédérales par un message du 9 novembre 1937 (FF 1937III 293). Sous le titre «Nécessité d'assurer la préparation du pays à la guerre», le Conseil fédéral déclare «que la préparation de la défense nationale ne saurait plus aujourd'hui se confiner au domaine militaire» et que «des mesures d'ordre économique sont devenues indispensables pour se prémunir contre les conséquences de la guerre; elles forment une partie essentielle de la défense nationale» (p. 293).

Tant le rapporteur du Conseil national (ESt. CN, 1937, p. 875-881) que son collègue du Conseil des Etats (BSt. CE, 1938, p, 10-16) mirent en évidence, dans leur exposé sur l'entrée en matière, les principes régissant la défense nationale économique et insistèrent sur le lien qui unit la défense nationale militaire et économique. Tous deux définirent comme il suit les tâches de l'économie de défense : 1. Réglementer le service de travail; 2. Assurer des possibilités de transport; 3. Assurer l'approvisionnement en matières premières, combustibles, eau et énergie; 4. Economie de guerre dans l'industrie et l'artisanat; 5. Assurer la production agricole et l'alimentation; 6. Assurer la protection de l'industrie et des usines d'électricité; 7. Prévoir des mesures de précaution en matière financière; 8. Encourager la recherche en matière de défense nationale économique et promouvoir l'éducation à la discipline.

(BSt. CN, 1937, p. 875; CE, 1938, p. 14) L'objectif visé dans le projet de loi était sensiblement plus limité puisqu'on se proposait uniquement d'assurer l'approvisionnement en marchandises indispensables. Certains parlementaires, surtout au Conseil national, estimèrent qu'il s'agissait d'une oeuvre incomplète (cf. les déclarations Gafner, BSt. CN, 1937, p. 881, Müller-Bienne, p. 885,
Meile-Bâle, p. 887, Anliker, p. 889 et Baumann, p. 893). A titre de justification, on fit observer que les mesures proposées ne souffraient aucun retard et qu'il n'était pas encore possible de déterminer exhaustivement ce qu'il y aurait lieu d'entreprendre (BSt. CN, 1937, p. 878; BSt. CE, 1938, p. 14). Le conseiller fédéral Obrecht répondit comme il suit aux critiques émises au Conseil national : On ne saurait "mésuser de la présente loi et s'en servir pour bouleverser fondamentalement notre système en temps de paix sous prétexte que des mesures doivent être prises pour assurer la préparation économique du pays à la guerre. Chacune des mesures de précaution que nous envisageons à ce titre devra être reconnue indispensable pour atteindre cet objectif...

Mais il ne saurait être question de transformer toute notre économie en temps de paix ou d'exercer sur elle une influence déterminante uniquement en prévision du cas de guerre.

(BSt. CN, 1937, p. 898/899, traduction)

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Un aspect de la discussion de détail mérite une attention particulière: le Conseil fédéral avait proposé aux Chambres de formuler comme il suit le but de la loi: «Le Conseil fédéral est autorisé à prendre les mesures propres à pourvoir le peuple et l'armée des marchandises qui sont indispensables à leur approvisionnement en cas de guerre», (art. 1er, 1er alinéa, du projet). Le Conseil national se rallia à cette version (BSt. CN, 1937, p. 900; vote p. 904).

En revanche, le Conseil des Etats choisit une formulation plus large qui, outre la préparation économique à la guerre, devait englober «le blocus économique» (BSt. CE, 1938, p. 23 et 24), Lors de l'élimination des divergences, le Conseil national se rallia à la décision du Conseil des Etats (BSt. CN, 1938, p. 153 et 154). La teneur définitive de l'article 1er, 1er alinéa, de la loi sur l'approvisionnement fut dès lors la suivante: La Confédération prend les mesures propres à pourvoir la population et l'armée des marchandises qui seront indispensables à leur approvisionnement en période de blocus économique ou en temps de guerre.

L'importance des débats concernant la loi sur l'approvisionnement pour l'interprétation de l'article constitutionnel sur les mesures de précaution en vue de temps de guerre est manifeste lorsque l'on compare les termes apaisants utilisés par le porte-parole du Conseil fédéral dans la déclaration précitée aux considérations émises par le rapporteur, le conseiller national Nietlispach, lors des délibérations relatives au projet d'article constitutionnel: Au sujet de la lettre cMs concernant la préparation à la guerre, la commission s'est demandé s'il y avait lieu de suivre la Banque nationale qui propose d'édicter une disposition spéciale s'appliquant au temps de guerre.

La commission s'y est refusée, estimant que, de toute manière, d'autres moyens juridiques doivent être disponibles en cas de guerre. Elle tient en3 revanche pour judicieux d'insérer dans la constitution une lettre bTM (correctement: cBi3) qui permettra à la Confédération de préparer en temps de paix déjà les mesures nécessaires en cas de guerre. La rédaction proposée comprend non seulement l'approvisionnement du pays en marchandises indispensables, mais aussi toutes les autres mesures qui doivent être prises, en temps de paix déjà, pour le cas de guerre.

(BSt. CN., 1938, p. 354 et 355, traduction)

Cette déclaration ne s'est heurtée a aucune opposition au sein des Chambres fédérales. Doit-on ou peut-on en conclure qu'aux yeux de chacun la disposition constitutionnelle ainsi commentée servirait de base à toutes les tâches de la défense économique énumérées lors de la discussion de la loi sur l'approvisionnement?

Par un message complémentaire du 3 août 1945, l'Assemblée fédérale fut saisie d'un projet modifié de revision des articles relatifs au domaine économique (FF 1945 I 877). Sous le titre «Modifications d'ordre rédactionnel», le message mentionne notamment l'article en question: «A la lettre e, le terme allemand de < Kriegsvorsorge > a été remplacé par l'expression < vorsorgliche Massnahmen für Kriegszeiten > » (p. 901). Au Parlement, on se borna à constater que la nouvelle formulation correspond, quant au fond, à l'ancienne (BSt. CN, 1945, p. 518). Cette nouvelle version est encore en vigueur (cf. RO 1947 1048).

A cet égard, il serait également intéressant d'examiner la portée qui a été conférée par les Chambres fédérales au nouvel article constitutionnel après son 710

acceptation par le peuple et les cantons (6 juillet 1947). Pour cela, il faut avant tout analyser la genèse de la loi fédérale du 30 septembre 1955 sur la préparation de la défense nationale économique (RS 531.01) qui est encore en vigueur.

La loi sur l'approvisionnement n'autorisait le Conseil fédéral à prendre les mesures qui lui paraissaient nécessaires pour assurer l'approvisionnement du pays qu'«en cas de danger de guerre imminent» (art. 7 de la loi sur l'approvisionnement). En raison de la gravité de la situation internationale (hostilités en Corée), le Conseil fédéral estima indispensable de demander au Parlement de nouvelles attributions lui permettant d'agir également «en période troublée» (cf. le catalogue limitatif des mesures énumérées aux articles 3 à 6 de la loi sur l'approvisionnement). Dans son message du 30 janvier 1951 (FF 19511 320), le Conseil fédéral démontra la nécessité de l'arrêté dont il proposait l'adoption à l'Assemblée fédérale (appelé «Korea-Beschluss», RO 1951 419). Cet arrêté se fondait sur l'article 1er, 3e alinéa, de la loi sur l'approvisionnement. II s'agissait d'une mesure urgente de durée limitée.

Dans le même message, le Conseil fédéral fit part de son intention de procéder à une revision totale de la loi sur l'approvisionnement. C'est ainsi que, par un message du 29 avril 1955 (FF 19551 789), les Chambres fédérales furent saisies d'un projet, plusieurs fois modifié, de «loi fédérale sur la préparation de la défense nationale économique». Commentant l'article 1er, qui expose le but de la loi, le message se réfère à la nouvelle base constitutionnelle: « . . . dans une guerre froide opposant les grandes puissances et entraînant l'institution d'un système de blocus et de contre-blocus, les mesures nécessaires pour en combattre les effets ou pour assurer l'approvisionnement du pays ne pourraient être fondées sur la nouvelle loi qu'en tant qu'elles s'imposeraient simultanément a titre de précaution pour le cas de guerre proprement dit; des mesures de plus grande portée destinées à nous prémunir contre l'interruption de nos voies d'accès devraient, en revanche, faire l'objet d'actes législatifs spéciaux.

C'est en quoi le champ d'application de la nouvelle loi a été restreint par rapport à celui de la loi sur l'approvisionnement qui, à l'article 1er, 1er alinéa,
envisage d'une façon toute générale des mesures en période de blocus économique. La nouvelle base constitutionnelle exige cette limitation (cf. p. 804)».

La commission du Conseil national se distança cependant de ce point de vue; en effet, la majorité de la commission demanda que le but de la loi, tel qu'il est fixé à l'article 1er, se réfère non seulement au danger de guerre mais aussi au blocus économique (BSt. CN, 1955, p. 126, traduction). Le Conseil national suivit cependant de justesse (par 69 voix contre 53) le Conseil fédéral. La proposition de la minorité de la commission, qui souhaitait l'adoption du projet du Conseil fédéral, reposait sur l'argument qu'il fallait opérer une distinction claire et nette entre la préparation à la guerre, d'une part, et les mesures de pure politique commerciale, d'autre part. La loi proposée ne devait en aucun cas servir de base à des mesures de politique commerciale (BSt. CN, 1955, p. 131 et 132, traduction). Par la suite, le Conseil des Etats se rallia à cette opinion (BSt. CE, 1955, p. 112).

D ressort clairement de ce qui précède que l'expression «en vue de temps de guerre» utilisée à l'article 31Ms, 3e alinéa, lettre e, signifie: dans la perspective 711

d'une guerre où la Suisse serait impliquée malgré sa neutralité ou qui, à tout le moins, exposerait notre pays à une crise d'approvisionnement. Cela découle absolument du contexte historique, de la concrétisation, dans des dispositions légales, des expériences faites durant deux guerres mondiales ainsi que du lien qui unit la défense nationale militaire et économique. Il reste à souligner que même si des mesures visant à assurer l'approvisionnement du pays et de sa population se justifiaient «dans l'intérêt général», elles ne sauraient être fondées sur l'article 31bis, 3e alinéa, lettre e, lorsque la menace n'est pas due à des faits de guerre mais à des événements d'autre nature.

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Conclusions

L'expérience relatée sous chiffre 21 a montré que l'approvisionnement de notre pays en marchandises indispensables et les prestations de services d'importance vitale peuvent être menacés non seulement par des faits de guerre, mais aussi par d'autres événements. Les problèmes qui en découlent devront dès lors être examinés d'une manière plus large. Certes, la notion de «guerre» est, en soi, susceptible d'interprétation; dans son sens le plus large, ce terme peut par exemple signifier «conflit». Une interprétation aussi extensive n'est cependant pas admissible sur le plan constitutionnel.

Le terme de «guerre» implique un recours à la force militaire, qui peut être assorti de chantage ou d'exigences abusives en matière économique; des événements de ce genre peuvent toucher directement ou indirectement notre pays. Du point de vue de l'approvisionnement du pays, il faut aujourd'hui assimiler à la guerre les mesures politiques prises par une puissance étrangère qui peuvent engendrer les mêmes effets. Au même titre qu'une guerre, ces mesures (embargo, restrictions de livraisons, hausses de prix) sont de nature à menacer notre approvisionnement et, partant, l'indépendance de notre pays, la sécurité intérieure et extérieure, la neutralité et Ja paix sociale. Il faut citer encore une troisième forme de menace fort différente, à savoir celle qui est due à des perturbations des marchés. Elle doit être qualifiée de permanente si l'on considère le faible degré d'autarcie de notre pays et les lacunes qui existent à cet égard.

Nous avons montré sous chiffre 22 que la réglementation actuelle, tant sur le plan constitutionnel qu'au niveau de la loi, est incomplète et en partie désuète.

Cette constatation s'applique en premier lieu à la défense nationale économique en cas de mesures prises par une puissance étrangère (indépendamment de tout conflit armé), ainsi qu'aux possibilités d'assurer l'approvisionnement en cas de perturbations des marchés. Dès lors, pour disposer d'une réglementation répondant vraiment aux exigences de notre temps, il ne suffit pas de reviser le droit en vigueur au niveau de la loi; une modification de la constitution s'impose.

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Objectifs et limites de la politique en matière d'approvisionnement Les problèmes à résoudre

Le marché mondial de certaines marchandises d'importance vitale est actuellement en proie à diverses perturbations; cela confère au problème de notre 712

approvisionnement une nouvelle acuité. Les risques de pénurie et de difficultés d'importation de marchandises d'importance vitale doivent être pris très au sérieux.

Les causes de la menace extérieure à laquelle notre approvisionnement risque d'être exposé peuvent n'avoir aucun rapport avec la politique (p. ex. en cas de mauvaises récoltes). Les difficultés peuvent aussi être la conséquence fortuite d'une politique économique déterminée; il en ira par exemple ainsi lorsque certains pays accorderont un traitement préférentiel à d'autres Etats. La menace peut en outre provenir de l'application directe contre notre pays d'une politique de puissance ou être indirectement consécutive à des mesures dirigées contre des Etats tiers. Le cas extrême est la menace de guerre.

Nous pourrions être dangereusement menacés par le détenteur d'un monopole ou par un cartel de l'offre. Des cas de ce genre peuvent survenir aussi bien dans le domaine des marchandises d'importance vitale que dans celui des services, en particulier des transports (flottes de pétroliers). Que l'on songe aussi aux effets d'une rupture de traités au détriment de notre pays, ou à l'obligation qui peut nous être imposée de nous accommoder d'une réglementation préjudiciable à nos intérêts, Les problèmes liés à l'approvisionnement en marchandises indispensables et aux prestations de services d'importance vitale peuvent être aggravés par la montée de la spéculation internationale, la concentration organisée de l'offre et le traitement discriminatoire que subissent parfois nos exportations qui sont pourtant nécessaires pour assurer l'équilibre de notre balance commerciale.

Les achats et accaparements de marchandises d'usage courant à des fins spéculatives, c'est-à-dire de nature à provoquer ou à aggraver une situation de pénurie, qui sont suivis de ventes massives une fois le résultat atteint, perturbent gravement l'approvisionnement et ont des conséquences néfastes même pour les consommateurs.

Nous avons déjà relevé que les pays producteurs et exportateurs de pétrole se sont regroupés et que cette concentration de l'offre présente des aspects cartellaires et monopolistiques. Des-phénomènes analogues peuvent se produire aujourd'hui sur les marchés internationaux des produits agricoles et des matières premières. Ils peuvent toucher diverses
marchandises indispensables à notre approvisionnement: oléagineux, cacao, café, bauxite, cuivre, étain et autres métaux, huiles minérales.

Il s'agit là de problèmes nouveaux qui ne peuvent être résolus, ou qui ne peuvent l'être qu'imparfaitement, à l'aide de la réglementation constitutionnelle et légale en vigueur. Cela ne doit pas faire oublier que la défense nationale économique proprement dite conserve une importance primordiale. Le potentiel militaire des grandes puissances constitue par sa seule existence une menace constante pour l'approvisionnement de notre pays qui, à plus forte raison, serait gravement remis en cause en cas d'engagement de ces forces, c'est-à-dire en cas de guerre. Il faut cependant souligner à cet égard que notre pays a pratiqué une politique conséquente et pris les précautions requises. Il a toujours su tirer les enseignements de l'expérience acquise depuis de nombreuses années. Seule une adaptation des bases légales régissant ce secteur sera nécessaire.

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Aspects fondamentaux d'une politique suisse en matière d'approvisionnement

La politique en matière d'approvisionnement a pour objectif d'assurer en tout temps l'approvisionnement de notre pays en marchandises indispensables et les prestations de services d'importance vitale, c'est-à-dire aussi bien en cas de perturbations des marchés qu'en cas de menace résultant de mesures prises par une puissance étrangère ou d'un conflit armé. Eu égard à la densité de notre population, au degré d'industrialisation élevé de notre pays, à sa pauvreté en matières premières et à l'insuffisance de ses ressources alimentaires et énergétiques, le problème de notre approvisionnement se pose en permanence.

Cela étant, les mesures à prendre devront s'étendre aussi bien à la défense nationale économique (mesures prises par une puissance étrangère, guerre) qu'à l'économie de marché (prévenir les perturbations et y remédier). H y aura lieu d'opérer une distinction claire entre ces deux catégories de mesures. Cette distinction a une grande importance dans la pratique car les mesures prises, qui seront identiques ou de même nature dans les deux cas (p. ex. constitution de réserves, réglementation), devront être qualifiées différemment selon qu'elles relèveront de la défense nationale économique ou de l'économie de marché.

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Aspects matériels

Dans le domaine de l'économie de marché, il y a lieu de se fonder sur le principe selon lequel, conformément à notre système d'économie libérale, il appartient à l'économie privée d'assurer l'approvisionnement du pays en marchandises indispensables et les prestations de services d'importance vitale. L'Etat concevra donc sa politique en matière d'approvisionnement en s'inspirant de l'idée que les tâches qui en découlent incombent en premier lieu au secteur privé qui les mènera à bien avec les moyens qui lui sont propres. Il n'interviendra qu'avec retenue aussi longtemps que les mécanismes du marché fonctionneront. Assurer l'approvisionnement consistera surtout à favoriser et à soutenir l'activité de l'économie privée. On peut donc affirmer que le caractère subsidiaire de l'intervention de l'Etat est tout particulièrement marqué dans ce domaine. Cela signifie aussi qu'il appartiendra en premier lieu à l'économie elle-même d'assurer l'approvisionnement et de remédier aux perturbations qui pourraient se produire. L'expérience dont nous avons fait état montre cependant que l'économie privée n'est pas toujours en mesure d'y parvenir par ses propres moyens. Or si l'approvisionnement n'est pas assuré par le marché, les conséquences qui en résultent sont préjudiciables à l'intérêt général et peuvent justifier une intervention de l'Etat. En d'autres termes, il faut admettre que les mécanismes du marché nous permettent de subvenir à nos besoins. Il appartient cependant à l'Etat de prendre, s'il le faut, des mesures propres à prévenir ou à éliminer des perturbations.

En ce qui concerne ta défense nationale économique, la politique en matière d'approvisionnement se fonde sur le rapport du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale du 27 juin 1973 sur la politique de sécurité de la Suisse (Conception de 714

la défense générale, FF 1973 II 103), auquel nous renvoyons expressément. Il s'agira avant tout, dans ce domaine, de poursuivre la politique axée sur la protection de notre neutralité, et surtout sur la défense, qui a donné satisfaction, tout en étendant son champ d'application au cas de crises graves avec toutes les menaces extérieures que cela comporte et les effets directs ou indirects qui en résultent. Il faudra en outre tirer parti de l'expérience acquise.

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Organisation

II va sans dire que l'organisation appelée à mettre en oeuvre la politique en matière d'approvisionnement doit être conçue selon les principes énoncés cidessus. Cela signifie notamment que les mesures prévues et leur application ne devront pas constituer une entrave trop sensible à la vie économique. La politique en matière d'approvisionnement ne doit pas devenir la dominante de la politique économique. Il faut donc qu'elle soit l'oeuvre commune de l'économie libérale et de l'Etat. Une collaboration harmonieuse entre ces deux partenaires est le gage d'une politique bien conçue et efficace.

Les tâches relevant de l'approvisionnement du pays s'étendent à tous les domaines de l'économie. Pour comprendre les problèmes et leur trouver des solutions adéquates, il faut être quotidiennement en relation avec l'économie.

L'Etat doit dès lors pouvoir compter sur le dynamisme de ces milieux, l'expérience des affaires qu'ils ont acquise et les relations qu'ils ont établies à l'échelle mondiale. Cette collaboration souhaitée entre l'économie et l'Etat existe déjà depuis plusieurs années dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler le système de milice; elle s'est révélée efficace. Selon ce système, des personnalités qualifiées issues de l'économie et des administrations cantonales et communales assument de leur plein gré certaines tâches dans l'intérêt de l'approvisionnement du pays. Le système de milice implique également la collaboration de certains services fédéraux. Il faut mentionner également, à cet égard, les organisations de détenteurs de réserves obligatoires (Carbura, OFIDA, etc.) qui jouent un rôle déterminant dans l'approvisionnement du pays.

H ressort de ce qui précède que les personnes disposant des connaissances spéciales nécessaires ne peuvent être trouvées le plus souvent que dans l'économie. De plus, l'Etat ne serait absolument pas en mesure de résoudre à lui seul tous les problèmes d'approvisionnement. Dans ces conditions, le maintien du système de milice doit être considéré comme la solution la plus judicieuse et la plus efficace; il se révèle donc indispensable. D'ailleurs, les opinions exprimées lors de la procédure de consultation confirment sans équivoque cette manière de voir.

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Mesures relevant de la politique en matière d'approvisionnement

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Introduction

Pour concrétiser la politique en matière d'approvisionnement que nous avons exposée ci-dessus, il faudra non seulement modifier la constitution, mais aussi édicter de nouvelles dispositions au niveau de la loi. Comme nous l'avons déjà

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relevé, la commission d'experts a exprimé l'avis que des mesures devraient être prises pour assurer l'approvisionnement du pays et la protection d'avoirs suisses et que, dès lors, on ne saurait se limiter à envisager l'hypothèse où les importations seraient entravées et le cas où notre pays serait impliqué dans des hostilités.

Aussi, la future réglementation devra-t-elle tenir compte de tous les genres de menaces et permettre d'assurer en tout temps l'approvisionnement de notre pays. Les considérations qui suivent donnent un aperçu de cette réglementation telle que la conçoit la commission d'experts. A cet égard, il y a lieu de faire une distinction entre la défense nationale économique et les mesures contre les perturbations des marchés.

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Défense nationale économique

Dans le domaine de la défense nationale économique, il s'agit de coordonner la politique en matière d'approvisionnement et la conception de la défense générale qui a été établie conformément aux principes régissant notre politique de sécurité, compte tenu des divers genres de menaces (cf. le rapport sur la politique de sécurité, FF 1973 II 112). A la menace permanente devraient correspondre les mesures que requiert un état de préparation permanent, alors qu'il y aurait lieu, en cas d'aggravation de la menace, d'en prendre encore d'autres.

332.1

Etat de préparation permanent

Dans ce domaine, on pourra s'en tenir pour une large part aux mesures prévues par le droit en vigueur, qui ont en général donné satisfaction, tout en étendant leur champ d'application à la menace résultant de mesures prises par une puissance étrangère indépendamment de tout conflit armé. Dans cette optique, on considère que la constitution de réserves doit demeurer l'élément essentiel de l'état de préparation permanent et que cette tâche continuera d'incomber en premier lieu à l'économie privée et aux particuliers. Dans ce secteur comme ailleurs, l'intervention de l'Etat viserait uniquement à compléter les mesures d'ordre privé.

Les stocks obligatoires devraient rester la principale composante de la constitution de réserves. Le propriétaire d'un stock obligatoire s'engage par contrat envers la Confédération à détenir des stocks déterminés en un endroit convenu, à leur vouer les soins qu'ils requièrent et à les renouveler régulièrement. II s'agit de stocks de marchandises excédant les besoins normaux; la Confédération en facilite le financement en offrant sa garantie et octroie des privilèges fiscaux. Le contrat de stockage détermine de façon détaillée les droits et les obligations respectifs de la Confédération et du détenteur de réserves obligatoires. L'institution en tant que telle a donné largement satisfaction et n'appelle que peu de modifications; les enseignements tirés de l'expérience ont cependant révélé la nécessité de procéder à quelques retouches:

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- On avait estimé, à l'origine, que chacun devait être entièrement libre de conclure un contrat de stockage. Il s'avéra cependant bientôt que les branches économiques et maisons intéressées n'étaient pas toujours à même de constituer des réserves obligatoires ou de le faire dans une mesure suffisante. C'est pourquoi la Confédération a soumis au régime du permis l'importation de marchandises déterminées et a subordonné l'octroi des autorisations à la conclusion et à l'exécution de contrats de stockage. Ce système fondé sur la contrainte indirecte doit être maintenu. D faut cependant constater que seuls les importateurs peuvent être tenus de constituer des réserves obligatoires. Or il apparaît nécessaire de compléter le système en prévoyant la possibilité d'étendre cette obligation aux entreprises indigènes d'autres branches, de manière à combler des lacunes présentes ou futures.

Une extension dans ce sens est envisagée avant tout dans le secteur industriel (matières premières et produits semi-fabriques importants destinés à diverses branches). En l'occurrence, la contrainte exercée serait aussi de nature indirecte: la Confédération pourrait imposer à la branche économique ou à la maison en question l'obligation de constituer des réserves s'il se révélait impossible de conclure un contrat de stockage de plein gré, - La lourde responsabilité qu'assumé la Confédération envers les banques par suite du financement des réserves obligatoires exige qu'elle soit protégée contre les pertes qu'elle pourrait subir. A cette fin, elle dispose déjà d'un moyen particulier appelé droit de disjonction. En vertu de ce droit, la Confédération devient propriétaire de la réserve obligatoire d'une entreprise dès que la déclaration de faillite ou l'octroi d'un sursis concordataire est passé en force. Une expérience très récente a suscité des doutes quant à l'efficacité du droit de disjonction lors d'une poursuite par voie de saisie ou de réalisation de gage ou encore en cas de réalisation de gré à gré, stipulée contractuellement, de réserves obligatoires mises en gage. Cette question devra être soumise à un nouvel examen approfondi.

Au nombre des mesures que requiert un état de préparation permanent figurent aussi celles qui visent à assurer des prestations de services d'importance vitale, notamment dans le domaine des transports. Il s'agira essentiellement, en l'occurrence, de maintenir la réglementation actuelle qui a donné satisfaction.

332.2

Mesures en cas d'aggravation de la menace et de perturbation de l'approvisionnement

La défense nationale économique implique également une série de mesures applicables en cas d'aggravation de la menace. En d'autres termes, nous devons pourvoir intervenir lorsque l'approvisionnement est sérieusement menacé ou perturbé. Ces mesures sont prises suivant les cas. Elles restent en vigueur aussi longtemps que la situation l'exige et peuvent donc être de longue durée. Pour qu'elles puissent, le cas échéant, déployer leurs effets immédiatement, elles doivent être préparées déjà en période normale.

H s'agit notamment des mesures suivantes, dont certaines sont déjà prévues dans la législation en vigueur: 48 Feuille Odorale. 130« année. Vol. n

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- Intensifier la production indigène, mettre en oeuvre un plan d'alimentation; - Rechercher des succédanés; - Réglementer les marchandises (par voie de contingentement, de rationnement, etc.); - Accroître le volume des réserves; - Créer des syndicats d'importation; - Procéder à des achats supplémentaires sur les marchés mondiaux en faisant assumer à la Confédération ou à une organisation de détenteurs de réserves obligatoires les risques en matière de prix; - Créer et maintenir des installations de production.

La dernière des mesures mentionnées a déjà donné lieu à de nombreuses discussions. Il est évident qu'en cas de menace grave, certaines entreprises doivent être maintenues à tout prix et que l'Etat doit être à même de prendre les mesures nécessaires à cet effet. On ne saurait néanmoins soutenir, par des mesures de protection de nature structurelle, des entreprises qui ne sont plus viables en prenant prétexte de l'intérêt qu'elles présentent sous l'angle de la politique en matière d'approvisionnement. Il convient également de souligner qu'une telle mesure ne saurait entrer en ligne de compte au titre de l'état de préparation permanent car des interventions de ce genre, destinées à assurer l'autarcie du pays, ne sont concevables qu'en présence d'une menace grave.

Mais il va sans dire que pour maintenir leur capacité de production les entreprises privées ont la faculté de conclure avec la Confédération des conventions de gré à gré.

Au demeurant, il convient de rappeler que les mesures de défense économique qui peuvent être instaurées dans le domaine des marchandises et des prestations de services impliquent en règle générale une régulation des prix. Dès lors, il faut prévoir la possibilité de mettre en oeuvre une surveillance des prix; celle-ci n'entrerait cependant en considération qu'en cas d'aggravation de la menace et exclusivement en relation avec des prescriptions en matière de réglementation et d'utilisation des marchandises.

333

Protection d'avoirs

La défense nationale économique vise non seulement à assurer l'approvisionnement, mais aussi à protéger les avoirs. Une réglementation dans ce domaine demeure indispensable. Il nous incombe d'édicter toutes les dispositions propres à éviter des lacunes. C'est pourquoi, les deux arrêtés du Conseil fédéral en vigueur (ACF du 12 avril 1957 concernant la protection des papiers-valeurs et titres analogues par des mesures conservatoires, ACF du 12 avril 1957/ 4 juillet 1958 protégeant par des mesures conservatoires les personnes morales, sociétés de personnes et raisons individuelles) seront maintenus jusqu'à l'entrée en vigueur d'une législation spéciale en la matière.

334

Mesures contre les perturbations des marchés

II s'agit en l'occurrence de prévenir ou d'éliminer des perturbations des marchés et, par le fait même, des situations de pénurie survenant indépendam718

ment de toute mesure prise par une puissance étrangère et en dehors de tout acte d'hostilité. Les causes et les conséquences de situations de ce genre peuvent être fort diverses. Bien entendu, il appartient en premier lieu à l'économie privée de surmonter ces difficultés. Mais il se pourrait, comme nous l'avons relevé, que l'économie ne soit pas toujours à même d'y remédier par ses propres moyens. Le cas échéant, l'Etat devrait alors prendre des mesures d'encouragement et, s'il le faut, des mesures complémentaires. Il faut cependant se conformer au principe selon lequel l'intervention de l'Etat doit se limiter au minimum aussi bien quant au fond que quant à la durée. C'est pourquoi les mesures entrant en considération devront être énumérées exhaustivement dans la future législation.

334.1

Mesures d'encouragement

Ces mesures visent à appuyer aussi.efficacement que possible les efforts entrepris par l'économie privée pour assurer l'approvisionnement du pays, sans déroger pour autant au principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Il s'agit en premier lieu de soutenir activement les importations. La Confédération pourrait par exemple encourager les importateurs à acquérir des marchandises en commun et participer à la couverture des risques. On peut également envisager que la Confédération favorise l'accroissement des réserves libres d'entreprises tout en garantissant à leurs détenteurs la libre disposition de ces réserves même en cas de réglementation des marchandises. Des facilités analogues seraient accordées pour les provisions de ménage.

334.2

Mesures complémentaires

En cas de perturbations des marchés, il peut arriver que même les mesures d'encouragement .prises par la Confédération ne suffisent plus à assurer l'approvisionnement du pays. La Confédération devrait alors être autorisée à déroger au principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Il faut songer en premier lieu à la constitution de réserves compensatoires. A cet égard, rappelons qu'aussi bien selon le droit actuel qu'en vertu de la future législation, les réserves obligatoires doivent être exclusivement destinées à la défense nationale économique. Or, comme nous l'avons relevé, des perturbations survenant sur les marchés internationaux peuvent entraîner de graves pénuries de marchandises d'importance vitale en dépit de tous les efforts de collaboration entrepris sur le plan international. C'est pourquoi on envisage de créer des réserves compensatoires auxquelles il serait possible d'avoir recours même en l'absence de toute menace résultant d'une politique de puissance. A cet égard, diverses possibilités entrent en considération: par exemple, il serait concevable que les réserves compensatoires soient constituées à titre préventif et demeurent ensuite disponibles en permanence. Dans cette hypothèse, les dispositions relatives aux réserves obligatoires pourraient s'appliquer par analogie à la constitution et à l'entretien des réserves compensatoires; ce qui signifie que les détenteurs de ces réserves auraient les mêmes droits et les mêmes obligations que les détenteurs de réserves obligatoires. On pourrait aussi envisager que, pour certaines mar-

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chandises d'importance vitale, une partie des réserves obligatoires actuelles -·- par exemple les quantités nécessaires pour un ou deux mois - soient destinées à remédier aux perturbations des marchés. Cela ne devrait cependant pas remettre en cause la couverture des besoins telle qu'elle est prescrite par les autorités dans le domaine des stocks obligatoires proprement dits. Il y aura lieu de trouver une solution adéquate lors de l'élaboration de la législation d'exécution. Il faut toutefois souligner dès maintenant que les principes de la subsidiarité, de la proportionnalité et de l'opportunité doivent également s'appliquer sans restriction à la constitution de réserves. C'est dire que le détenteur de réserves obligatoires ne serait pas nécessairement tenu de constituer des réserves compensatoires.

Pour le cas où les perturbations se prolongeraient, on pourrait également envisager de prendre des mesures de réglementation et d'édicter des prescriptions visant à diminuer la consommation et à restreindre les exportations. A la différence des mesures de défense nationale économique, qui sont de nature générale, ces interventions auraient pour objet un secteur particulier et clairement défini de l'économie du marché; de plus, elles seraient limitées à la fois quant à leur portée matérielle et à leur durée.

Il est hors de doute que les mesures contre les perturbations des marchés impliquent une extension de la notion d'approvisionnement du pays. Il faut cependant souligner une fois encore qu'à l'heure actuelle, il y a lieu de craindre avant tout l'apparition de pénuries subites et graves.

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Résultats de la procédure de consultation

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Remarques fondamentales

Le texte suivant, accompagné d'un rapport explicatif, fut soumis à l'appréciation des milieux intéressés : 3 Lorsque l'intérêt général le justifie, la Confédération a le droit, en dérogeant, s'il le faut, au principe de la liberté du commerce et de l'industrie, d'édicter des dispositions:

e. Pour prendre des mesures de précaution en matière de défense nationale économique et, de façon générale, pour assurer l'approvisionnement du pays en marchandises indispensables et les prestations de services d'importance vitale.

Dans l'ensemble, les milieux consultés ont réservé un bon accueil à ce projet. A une exception près, ils se sont déclarés favorables à une nouvelle réglementation de la compétence fédérale en la matière.

Dans la mesure où des réserves ont été formulées, leurs auteurs ont exprimé la crainte que, sous sa nouvelle forme, l'article constitutionnel permette à la Confédération de prendre des mesures de politique conjoncturelle ou structurelle.

Certains milieux ont évoqué des problèmes qui ne sont pas directement en relation avec l'article constitutionnel mais concernent plutôt la future législation d'exécution. Mentionnons en particulier, à cet égard, les nombreux avis 720

qui se prononcent en faveur du maintien du système de milice; c'est surtout dans ces milieux que l'on peut également déceler une opposition plus ou moins forte à la création d'un office fédéral. Par ailleurs, certaines organisations s'opposent à la création de réserves compensatoires, c'est-à-dire de réserves accumulées en prévision de graves pénuries.

Enfin, quelques rares milieux ont attiré l'attention sur des questions entièrement ou partiellement étrangères à l'approvisionnement du pays (mesures de politique structurelle en faveur de l'agriculture de montagne, de l'industrie suisse de transformation dans le secteur alimentaire, etc.).

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Les cantons

A une exception près, les cantons ont donné leur accord de principe. Quatre d'entre eux ont proposé des modifications du texte; parmi ceux-ci, deux se contentent de demander que l'on biffe les mots «de façon générale»; la proposition du troisième est de nature purement formelle, alors que le quatrième souhaite une formulation plus restrictive qui n'autoriserait la Confédération à déroger au principe de la liberté du commerce et de l'industrie que lorsque l'économie n'est pas en mesure de remédier par ses propres moyens à des perturbations des marchés. Le seul canton qui rejette le projet déplore surtout que le caractère subsidiaire de l'intervention de l'Etat ne soit pas mis en évidence. Il motive son attitude en faisant valoir que la version proposée permettrait d'étatiser l'ensemble de l'économie.

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Les partis

Les partis consultés ont eux aussi donné leur approbation de principe. L'un d'eux propose de biffer «de façon générale», alors qu'un autre souhaite que la compétence fédérale soit limitée par l'adjonction du mot «temporairement».

Une autre proposition, de nature toute différente, demande que la phrase introductive de l'article 31tls, 3e alinéa, impose à la Confédération l'obligation d'édicter des prescriptions et ne se limite plus à lui en donner la compétence.

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Les organisations et associations économiques

C'est naturellement dans leurs réponses que l'éventail des opinions est le plus large. Il faut cependant relever qu'une seule organisation s'est prononcée de manière entièrement négative; elle souhaite que l'article constitutionnel ne s'applique qu'en prévision de temps de guerre ou lorsque des pressions économiques sont dirigées contre notre pays. Elle craint que le projet n'ouvre toutes grandes les portes aux interventions de l'Etat.

Toutes les autres organisations et associations se rallient plus ou moins au projet. Les propositions de modification demandent toutes que le texte de l'article constitutionnel soit formulé de manière plus restrictive. Les avis exprimés par les représentants de l'économie sont ceux qui reflètent le plus 49 Feuille fédérale. 130' année. Vol. U

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nettement la crainte de voir la disposition constitutionnelle utilisée de manière abusive pour servir de base à des mesures de politique conjoncturelle ou structurelle. C'est dès lors de ces milieux que proviennent la plupart des propositions de modification. Au total, treize associations ou organisations ont proposé des amendements.

5 51

Nouvelle disposition constitutionnelle sur l'approvisionnement du pays Remarques préliminaires

Nous avons constaté que, pour disposer d'une réglementation répondant vraiment aux exigences de notre temps, il ne suffit pas de reviser la loi; une modification de la constitution est indispensable.

En sus de l'article SI1*13, 3e alinéa, lettre e, la constitution contient d'autres dispositions qui touchent à l'approvisionnement du pays, par exemple l'article 22iuater, 1er alinéa, sur l'aménagement du territoire, qui permet de créer des zones agricoles, l'article 23bl5 sur l'approvisionnement du pays en blé, l'article 31Ws, 3e alinéa, lettre b, qui vise à conserver une forte population paysanne et à assurer la productivité de l'agriculture, ainsi que l'article 32bla concernant la législation sur l'alcool.

Ces dispositions pourraient servir de base à quelques-unes des mesures prévues par la future loi sur l'approvisionnement du pays; celle-ci devra toutefois s'étendre aussi à certains domaines pour lesquels la constitution, dans sa teneur actuelle, n'offre pas de base suffisante. Aussi est-il indispensable que le droit en matière d'approvisionnement repose sur un fondement incontestable et de large portée.

On s'est également demandé s'il ne suffirait pas de donner une interprétation extensive à l'article 31bls, 3e alinéa, lettre e, sans en modifier la teneur. On a cependant renoncé à cette solution car une politique de puissance, non accompagnée de faits d'armes, ne constitue pas une menace assimilable à la notion de «guerre». De plus, cette disposition ne pourrait en aucun cas être appliquée lorsque les perturbations de notre approvisionnement ont leur origine dans l'économie elle-même.

Au vu de ce qui précède, nous estimons qu'une revision partielle de la constitution s'impose.

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Principes

Le nouveau droit en matière d'approvisionnement doit être en harmonie avec les principes de la constitution et, en particulier, s'insérer dans le système des articles économiques. En d'autres ternies, il devra être conciliatale avec la conception fondamentale de notre régime économique - économie libérale fondée sur la concurrence et bénéficiant de l'appui de l'Etat qui doit assurer la prospérité. Il est cependant possible que certaines mesures en matière d'approvisionnement entrent en conflit avec les droits fondamentaux garantis par la 722

constitution; on peut se demander par exemple si l'obligation de fournir certaines prestations est compatible avec les droits de la personnalité, ou si les séquestres et interdictions d'utilisation mettent en cause la garantie de la propriété. A cet égard, il faut relever que les interventions de l'Etat provoquent souvent des conflits de ce genre. Atténuer ces tensions est l'un des objectifs permanents de notre ordre juridique. Une limitation des droits et libertés fondamentaux qui découlent nécessairement des dispositions en matière d'approvisionnement du pays ne se justifie que si l'intérêt de l'approvisionnement l'emporte sur les autres. Les principes généraux régissant l'activité de l'Etat, tels que l'opportunité, la proportionnalité et la subsidiarité, interdisent l'arbitraire et garantissent que les mesures prises en matière d'approvisionnement respectent les exigences auxquelles doit satisfaire un Etat fondé sur le droit. De plus, l'essence même des droits fondamentaux offre une protection absolue contre les atteintes aux libertés de l'individu.

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Place de la nouvelle disposition et projet de texte

Pour ce qui est de la rédaction du texte et de son insertion dans la constitution, diverses possibilités existent. Comme nous l'avons relevé, la disposition en vigueur a une portée insuffisante car elle est inapplicable en cas de menace résultant d'une politique de puissance (non accompagnée de guerre). Régler cette matière dans le cadre d'une disposition sur la défense générale ne satisferait pas non plus aux exigences, le cas de simple perturbation des marchés ne pouvant y trouver place. On ne saurait pas davantage avoir recours à des dispositions constitutionnelles relevant de plusieurs domaines différents et touchant de près ou de loin l'approvisionnement du pays car ces dispositions ne visent pas nécessairement - ou pas exclusivement - à assurer l'approvisionnement du pays lorsque les importations sont entravées. Cela créerait de sérieux problèmes d'interprétation puisqu'il faudrait examiner dans chaque cas particulier si la disposition en question donne le pouvoir de légiférer en matière d'approvisionnement du pays. Enfin, si l'on retenait l'idée d'une disposition constitutionnelle entièrement distincte, on serait confronté au problème délicat que poserait sa relation avec les articles économiques ; de plus, les conditions requises à l'article 31Ms pour légiférer en dérogeant, s'il le faut, au principe de la liberté du commerce et de l'industrie devraient être répétées.

Les mesures visant à assurer l'approvisionnement du pays en marchandises indispensables et les prestations de services d'importance vitale doivent se fonder sur une disposition incorporée aux articles économiques de la constitution. Leur contexte naturel est l'article 31bis: il s'agit, de façon générale, du bien-être de la population et de la sécurité économique des citoyens. Nous proposons dès lors que la base constitutionnelle des mesures visant à assurer l'approvisionnement du pays trouve place, comme jusqu'à présent, dans l'article 3ptst y alinéa, de la constitution.

Si l'on choisit cette solution, il faut également tenir compte de la relation existant entre la disposition sur l'approvisionnement et les autres règles contenues dans le 3e alinéa de l'article 31Ms, dont la teneur est la suivante: 723

3 Lorsque l'intérêt général le justifie, la Confédération a le droit, en dérogeant, s'il le faut, au principe de la liberté du commerce et de l'industrie, d'édicter des dispositions : a. Pour sauvegarder d'importantes branches économiques ou professions menacées dans leur existence, ainsi que pour développer la capacité professionnelle des personnes qui exercent une activité indépendante dans ces branches ou professions; b. Pour conserver une forte population paysanne, assurer la productivité de l'agriculture et consolider la propriété rurale; c. Pour protéger des régions dont l'économie est menacée; d. Pour remédier aux conséquences nuisibles, d'ordre économique ou social, des cartels ou des groupements analogues.

On constate que toutes les attributions de la Confédération énumérées aux lettres a à e sont en rapport plus ou moins étroit avec l'approvisionnement du pays. Cette remarque concerne en tout premier lieu les lettres b et e. La lettre a, qui autorise la Confédération à légiférer pour sauvegarder d'importantes branches économiques ou professions menacées dans leur existence vise cependant aussi, en partie, à sauvegarder les moyens permettant à notre économie d'assurer l'approvisionnement du pays. La lettre c, qui a pour objet la protection des régions dont l'économie est menacée, joue elle aussi un certain .rôle en matière d'approvisionnement. Il s'agit d'empêcher que des régions ne s'affaiblissent économiquement et ne souffrent de dépeuplement, ce qui ne manquerait pas d'entraver l'approvisionnement. La lettre d, qui permet de remédier aux conséquences nuisibles, d'ordre économique ou social, des cartels ou des groupements analogues, garantit en particulier la libre concurrence, qui est le mieux en mesure de satisfaire les besoins vitaux du pays.

Dans sa teneur actuelle, l'article 31Ms, 3e alinéa, ne donne pas à la Confédération de pouvoirs suffisants lui permettant d'édicter une législation propre à assurer l'approvisionnement du pays en marchandises indispensables et les prestations de services d'importance vitale non seulement en temps de guerre, mais aussi en période de crise. Certes, il lui facilite l'accomplissement de cette tâche. Il est cependant nécessaire d'octroyer à la Confédération le pouvoir de légiférer dans le domaine de l'approvisionnement proprement dit; cela lui permettra de prendre des mesures de défense nationale économique en prévision de la guerre ou d'autres menaces extérieures et de remédier aux perturbations des marchés. La nouvelle disposition constitutionnelle et la future législation procureront à notre économie les moyens d'assurer l'approvisionnement du pays même dans les temps les plus difficiles.

II faut rappeler une fois encore l'existence de relations étroites entre l'approvisionnement du pays et plusieurs autres domaines que la Confédération est habilitée à réglementer: approvisionnement en blé, transports et énergie, monnaie, droit foncier et, en particulier, défense militaire. Il convient de souligner que le nouvel article constitutionnel n'est aucunement
destiné à se substituer à ces dispositions. C'est ainsi, par exemple, que l'approvisionnement du pays en blé continuera d'être fondé sur l'article 23Ms et la législation en matière d'énergie atomique sur l'article 24auln
Pour éviter toute équivoque, il faut encore mettre l'accent sur le rôle que la nouvelle disposition sur l'approvisionnement du pays est appelée à jouer. Il ne s'agit pas d'étendre à l'infini le champ d'application de l'article 31Ws, 3e alinéa, 724

lettre e. Au contraire, il s'agit en premier lieu d'assurer la défense nationale économique à l'aide de mesures dont la plupart sont déjà en vigueur. Toutefois, en vertu de la nouvelle disposition, ces mesures pourront être prises non seulement en vue de temps de guerre, mais aussi en cas de menaces découlant d'une politique de puissance ou de perturbations des marchés. Il n'en demeure pas moins que, comme jusqu'à présent, l'intervention de l'Etat restera subsidiaire. Il est évident que, dans sa nouvelle teneur, la disposition précitée aura un champ d'application plus large. Elle ne pourra cependant servir de base qu'à des mesures destinées à assurer la défense nationale économique et l'approvisionnement du pays et ne permettra en aucun cas d'intervenir dans les domaines de la politique commerciale, conjoncturelle ou énergétique.

Il reste à signaler que les problèmes d'approvisionnement ne peuvent être résolus uniquement à l'aide de mesures relevant du droit interne. Les accords internationaux jouent eux aussi un rôle déterminant, et cela à deux égards: premièrement, notre approvisionnement en dépend pour une bonne part; deuxièmement, nos possibilités de légiférer de manière autonome sont limitées non seulement par ces accords, mais aussi par des considérations de politique commerciale découlant de nos relations avec l'étranger. Les accords les plus importants sont, d'une part, ceux qui visent à libéraliser le commerce international (accords multilatéraux tels que le GATT, la CEE et l'AELE), et, d'autre part, les accords spéciaux dont le but premier, ou du moins l'un des objectifs, est d'assurer l'approvisionnement (programme international de l'énergie, accords sur les matières premières).

Enfin, il faut relever que la nouvelle disposition constitutionnelle devra satisfaire à une exigence importante: dans sa teneur actuelle, l'article 3l1"8, 3e alinéa, lettre e, sert aussi de base à des dispositions légales touchant à d'autres domaines de la défense nationale économique. Il s'agit avant tout de la protection d'avoirs et de papiers-valeurs, ainsi que d'autres mesures analogues. La nouvelle disposition devra être formulée de manière à pouvoir elle aussi servir de base aux mesures de ce genre.

Au vu de ces considérations, nous proposons le texte suivant : Article 31TM, 3e alinéa de la constitution
fédérale Lorsque l'intérêt général le justifie, la Confédération a le droit, en dérogeant, s'il le faut, au principe de la liberté du commerce et de l'industrie, d'édicter des dispositions : 3

e. Pour prendre des mesures de précaution en matière de défense nationale économique et pour assurer l'approvisionnement du pays en marchandises indispensables et les prestations de services d'importance vitale lors de graves pénuries auxquelles l'économie n'est pas à même de remédier par ses propres moyens.

La Confédération se voit ainsi confier la compétence et la mandat d'édicter par la voie législative ordinaire : - des mesures de défense nationale économique, aussi bien dans la perspective d'une menace exercée par une puissance étrangère, indépendamment de tout conflit armé, qu'en prévision de la guerre; - des mesures contre les graves perturbations des marchés auxquelles l'économie n'est pas à même de remédier par ses propres moyens ; 725

- des mesures de défense nationale économique ne relevant pas de l'approvisionnement, qui visent en particulier à protéger les avoirs.

La version proposée ci-dessus satisfait aux exigences auxquelles doit répondre la base constitutionnelle de l'approvisionnement du pays. Elle tient compte des suggestions et remarques qui ont été faites au cours de la procédure de consultation. Le texte initial donnait peut-être trop l'impression que l'approvisionnement du pays pourrait devenir une tâche assumée principalement par l'Etat. Les considérations formulées dans le présent message montrent que telle n'a jamais été l'intention des autorités. La nouvelle version exclut d'ailleurs toutes mesures de politique commerciale, conjoncturelle ou structurelle.

Enfin, il faut souligner que la Confédération ne pourra faire usage des attributions que lui confère l'article 31Ws, 3e alinéa, lettre e, qu'aux conditions fixées dans la phrase introductive de cet alinéa; elles s'appliquent aussi bien à la lettre e qu'aux lettres a à d. Cela signifie que la Confédération ne peut édicter des dispositions que «lorsque l'intérêt général le justifie» et que, ce faisant, elle ne peut déroger au principe de la liberté du commerce et de l'industrie que «s'il le faut». Il est dès lors clairement établi que la nouvelle disposition constitutionnelle n'autorisera, elle aussi, la Confédération à n'agir qu'après avoir dûment pesé les intérêts en présence et s'être conformée aux principes de l'opportunité, de la subsidiarité et de la proportionnalité.

6

Conséquences financières et effet sur l'état du personnel

61

Conséquences financières

De façon générale, les conséquences financières dépendront essentiellement des dispositions de la nouvelle loi sur l'approvisionnement. Les charges financières incombant directement à la Confédération à la suite de la modification constitutionnelle proposée devraient demeurer modestes. Dans des conditions normales, les dépenses resteront sensiblement égales à ce qu'elles sont aujourd'hui.

U faut cependant se souvenir qu'en cas de perturbations, le champ d'action de la Confédération sera plus étendu et que, par exemple, des mesures pourront être prises en cas de perturbations des marchés. Il pourrait en résulter un surcroît de dépenses qui, pour des raisons bien compréhensibles, ne saurait être déterminé aujourd'hui.

62

Effets sur l'état du personnel

De même, les effets sur l'état du personnel dépendront essentiellement des dispositions de la nouvelle loi sur l'approvisionnement. Sur le plan fédéral, ils devraient être négligeables. On tentera autant que possible de ne pas accroître les effectifs. Aussi longtemps que, dans le cadre du système de milice, l'économie privée mettra à disposition des personnes de valeur, on pourra même s'acquitter de tâches supplémentaires. Une extension du service du Délégué à la défense nationale économique et de certains services fédéraux pourrait cependant s'imposer si l'adoption de la nouvelle base constitutionnelle devait occasionner d'importantes tâches supplémentaires.

726

Si le service précité devait être transformé en un office fédéral, ce que prévoit d'ailleurs la loi sur l'organisation de l'administration fédérale, il s'agirait là d'une mesure de nature avant tout formelle.

63

Conséquences pour les cantons et les communes

En principe, la plupart des dispositions concernant les cantons et les communes figurent déjà dans la réglementation en vigueur. Dès lors, si l'on peut admettre que, du point de vue juridique, les cantons ne seront guère mis davantage à contribution que jusqu'ici, il peut en aller différemment dans les faits. Il faut se souvenir que des mesures pourront être prises non seulement en cas de danger de guerre imminent, mais aussi en cas de menace découlant d'une politique de puissance. Les autorités cantonales compétentes pourraient donc être amenées à intervenir plus tôt. La collaboration des cantons à l'exécution des mesures prévues est indispensable; il en irait d'ailleurs de même s'il fallait agir contre des perturbations des marchés. II y a cependant lieu d'admettre que dans des conditions normales, les tâches des cantons ne seront pas plus nombreuses que jusqu'à présent.

64

Grandes lignes de la politique gouvernementale

Le projet de nouvelle disposition constitutionnelle sur l'approvisionnement du pays a été annoncé dans les Grandes lignes de la politique gouvernementale pendant la législature 1975-1979, du 28 janvier 1976 (FF 19761 413).

7

Remarques finales

La nouvelle disposition constitutionnelle sur l'approvisionnement du pays est sans doute l'une des conditions indispensables d'une politique de l'approvisionnement judicieuse et conforme aux exigences de notre époque, mais elle ne la garantit pas pour autant. La mesure dans laquelle les divers objectifs proposés seront atteints dépend d'une manière décisive de la législation d'exécution qui sera édictée. Les travaux préparatoires relatifs à une nouvelle loi fédérale sur l'approvisionnement du pays en matière économique sont déjà fort avancés; si la disposition constitutionnelle que nous proposons est acceptée par le peuple et les cantons, nous serons donc en mesure de soumettre en temps utile au Parlement un projet de loi correspondant.

727

Arrêté fédéral concernant la nouvelle réglementation de l'approvisionnement du pays

Projet

L'Assemblée fédérale de la Confédération suisse, vu le message du Conseil fédéral du 6 septembre 1978", arrête:

I La constitution est modifiée comme il suit: Art. 31"is, 3e al., ht. e 3 Lorsque l'intérêt général le Justine, la Confédération a le droit, en dérogeant, s'il le faut, au principe de la liberté du commerce et de l'industrie, d'édicter des dispositions: e. pour prendre des mesures de précaution en matière de défense nationale économique et pour assurer l'approvisionnement du pays en marchandises indispensables et les prestations de services d'importance vitale lors de graves pénuries auxquelles l'économie n'est pas en mesure de remédier par ses propres moyens.

II Le présent arrêté est soumis au vote du peuple et des cantons.

24846

D FF 1978 II 703

728

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Message à l'appui d'un projet d'arrêté fédéral concernant la nouvelle réglementation de l'approvisionnement du pays du 6 septembre 1978

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Jahr

1978

Année Anno Band

2

Volume Volume Heft

39

Cahier Numero Geschäftsnummer

78.057

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

26.09.1978

Date Data Seite

703-728

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10 102 255

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