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RAPPORT du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur la demande d'initiative concernant le droit des cantons et des communes d'interdire les boissons distillées.

(Du 5 décembre 1927.)

Le 10 novembre 1921, la demande d'initiative reproduite ci-après, appuyée par 146,510 signatures de citoyens suisses, a été remise à la Chancellerie fédérale : «II est introduit dans la Constitution fédérale, à la suite de l'article 32ter actuel, un article nouveau ainsi conçu : ,,Les cantons et les communes sont autorisés à interdire sur leur, territoire la fabrication et la vente des boissons distillées.

L'interdiction peut être décidée ou abrogée, soit dans les formes prévues par le droit cantonal, soit, à la demande d'un dixième des électeurs, par votation populaire dans le canton ou la commune." » Des 146,510 signatures déposées, 145,761 étaient valables et 749 non valables.

Les signatures valables se répartissent comme il suit entre les différents cantons : Zurich 20,789 signatures Berne .

32,564 » Lucerne 2,458 » Uri 303 » Schwyz 866 » Unterwald-le-Haut . . . .

49 » Unterwald-le-Bas 8 » Glaris 1,529 » Zoug 500 » Pribourg 1,052 » Soleure . . . . . . . .

» A reporter 64,984 signatures

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Report

64,984 signatures 12,070 3,780 3,407 3,308 656 11,626.

4,285 8,364 4,325 64 14,105 247 8,535 6,005

Total

145,7,61 signatures.

Bàie-Ville Bàie-Campagne Schaffhouse Appenzell-Rh. ext.

Appenzell-Rh. int.

St-Gall Grisons Argovie Thurgovie Tessin Vaud .

Valais Neuchâtel Genève

En date du 13 mars 1922 et conformément à l'article 5 de la loi fédérale du 27 janvier 1892 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, nous vous avons transmis la demande d'initiative avec notre rapport sur le résultat de la vérification des signatures (Feuille féd. 1922, tome I, p. 348). Le Conseil des Etats, le 14 juin 1922, et le Conseil national, le 30 juin 1922, en ont pris acte et nous ont invités à prendre les dispositions ultérieures.

Nous avons aujourd'hui l'honneur dé vous présenter notre rapport sur cette initiative et de vous soumettre nos propositions : I.

Origine de l'option locale ; son introduction dans plusieurs législations étrangères.

s L'option local© ) a pris naissance en Amérique. En vertu de cette institution, les électeurs peuvent, à la majorité, prohiber l'alcool sur une partie plus ou moins grande du territoire de l'Etat (cantons, districts ou communes S5a).

*) Pour simplifier, nous emploierons ci-après le terme d'opHon locale, même pour désigner l'initiative qui demande le droit d'interdire les boissons distillées non seulement pour les communes, mais aussi pour les cantons.

**) Bureau fédéral de statistique. Question de l'alcoolisme. Exposé comparatif des lois et des expériences de quelques Etats étrangers, 1884, page 636.

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Cette prohibition peut s'étendre à toutes les boissons alcooliques .ou seulement aux boissons distillées.

Uni court aperçu historique nous permettra de mieux saisir le sens ©t le but de l'institution.

Au milieu du siècle dernier, un assez grand nombre d'Etats de l'Amérique du Nord essayèrent d'introduire la prohibition sur leur territoire. A la suite d'expériences peu satisfaisantes, plusieurs d'entre eux revinrent au système des licences; désireux, cependant, de laisser aux communes acquises à la prohibition la faculté d'interdire l'usage de l'alcool sur leur territoire, ils créèrent l'option locale, qui rencontra de vives sympathies, surtout à la campagne. C'est ainsi qu'en 1875, l'Etat de Massachussets remplaça la loi de prohibition de 1852 par une loi instituant des licences et une sorte d'option locale.

Une évolution semblable eut lieu dans le Connecticut, le Rhode-Island, le Nebraska, le Dakota du Sud, etc. D'autres Etats suivirent, qui jusqu'alors n'avaient pas eu de loi de prohibition et s'étaient contentés d'imposer l'alcool. *) C'est de ces circonstances qu'est née l'option locale, dont l'Amérique ne semble pas avoir eu, en général, à se plaindre. L'idée passa bientôt en Europe, où elle fut appliquée tout d'abord e,n Finlande et en Norvège.

En Finlande, les lois de 1855, de 1873 et de 1886 donnèrent aux autorités des communes rurales le droit d'interdire la vente et le débit die l'eau-de-vie. Dans les villes, les autorités ne reçurent qu'en1 1892 le droit de fixer le nombre des concessions et la forme de leur exploitation.

En 1894, la Norvège étend l'option locale aux communes urbaines.

Les communes rurales avaient déjà un certain droit d'option locale.

Par, la loi de 1894, les communes obtiennent le droit de décider, à la majorité des électeurs des deux sexes âgés de plus de vingt-cinq ans, si le commerce de l'eau-de-vie devait être autorisé sur leur territoire.

A la demande d'un vingtième des électeurs, la question devait être posée tous les six ans. De nombreuses communes ont ainsi supprimé le commerce des eaux-de-vie**). On sait que la Norvège a ensuite prohibé l'eau-de-vie sur tout son territoire, mais qu'elle est revenue tout dernièrement à un système où l'option locale joue un rôle important.

En Suéde et au Danemark également, l'option locale a donné lieu à des luttes qui
durèrent plusieuïs années.

La Suède connaît déjà depuis 1865 une sorte d'option locale, avec *) Bureau fédéral de statistique. Question de l'alcoolisme. Exposé comparatif des lois et des expériences de quelques Etats étrangers, 1884, page 5.

Rowntree and Sherwett, State prohibition and local option, Londres, 1900.

**) Schmolders, Prohibition im Norden, Berlin, 1926, page 32.

Feuille fédérale. 79e année. Vol. II.

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cette différence que ce n'est pas le peuple, mais les conseils communaux qui décident si la vente de l'eau-de-vie est permise ou non.

Elle a, en outre, introduit le système Bratt, qui ne permet la vente de l'eau-de-vie que par rations et sur présentation d'un livret d'achat.

Au Danemark, l'option locale n'a été introduite qu'en 1925. Elle existait cependant déjà depuis 1920 en ce sens que les communes avaient le droit de provoquer un plébiscite concernant les demandes relatives aux nouveaux débits. Le gouvernement a toujours respecté le verdict populaire.

Ij'Eco'Sse a, elle aussi, depuis 1913, une loi autorisant les communes à restreindre le nombre des débits de boissons ou à les supprimer.

La suppression est appliquée, si 35 pour cent des électeurs et 55 pour cent des votants se sont prononcés en sa faveur. Cette loi est entrée en vigueur en 1920 et un grand nombre de communes ont fait usage de leur droit d'option locale *).

Au Canada, la prohibition de guerre qui avait été introduite dans toutes les provinces, sauf celle de Québec, a été petit à petit abolie et remplacée par divers systèmes de contrôle, tout en maintenant l'option locale qui existe dans le pays depuis plus de 40 ans.

L'option locale a également été introduite dans d'autres parties de l'Empire britannique, ainsi en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Des efforts sont aussi tentés depuis longtemps pour l'instituer en Hollande et en Allemagne. Tout dernièrement, le Reichstag allemand s'est prononcé contre l'insertion du principe d© l'option locale dans la nouvelle loi sur les débits de boissons.

En Pologne, l'option locale a été introduite, en 1921, non seulement pour les communes, mais aussi pour les districts.

La Lithuanie, YEsthonie, ainsi que la Bulgarie ont également introduit l'option locale.

Mais, en général, dans les pays viticoles, le terrain n'était évidemment pas favorable à son adoption. Plusieurs Etats, en particulier l'Italie, ont eu recours à d'autres mesures : ils réduisirent le nombre des débits et comprimèrent la consommation des boissons distillées par des impôts très élevés.

n.

La législation suisse sur l'alcool et l'option locale.

En Suisse, l'idée de l'option locale, propagée de bonne heure par les milieux antialcooliques, fit peu à peu de nombreux adhérents. Cependant, elle ne devait guère gagner de terrain dans la suite, les conditions étant, chez nous, toutes différentes de celles de son paysd'origine, les Etats-Unis d'Amérique, où les communes ont un territoire beaucoup plus grand.

*) Revue internationale contre l'alcoolisme, 1924, page 32.

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Au cours du dernier quart du 19e siècle, on avait même- constaté que l'autonomie dont jouissaient alors les cantons en matière de législation sur l'alcool nuisait à la répression des abus. C'est ainsi qu'au moment où les Etats-Unis décentralisaient les pouvoirs en introduisant l'option locale, la Suisse unifiait le régime des alcools.

La réglementation qui a été instituée, en 1885, par les articles 31 et 321"8 de la constitution fédérale, comme celle qui était déjà prévue par l'ancien article 31, ne laisse pas de place à des prohibitions cantonales ou communales.

L'article 31, lettre c, conféra, il est vrai, aux cantons le droit de soumettre par voie législative l'exercice du métier d'aubergiste et le commerce en détail des boissons spiritueuses aux restrictions exigées par le bien-être public. Les cantons ne peuvent toutefois pas interdire purement et simplement les auberges et le commerce en détail des boissons spiritueuses, ni déléguer ce droit aux communes, étant donné que l'article 31 prévoit seulement des restrictions, et non une prohibition.

La Confédération qui, conformément à l'article 32Ws, 1er alinéa, a le droit de légiférer sur la fabrication et la vente des boissons distillées ne peut, elle non plus, ni directement ni par délégation aux cantons ou aux communes, interdire l'eau-de-vie.

Il n'est donc pas possible d'autoriser les cantons ou les communes à interdire les boissons spiritueuses, distillées ou non, sans reviser la Constitution. Jamais des doutes sérieux n'ont été émis à ce sujet.

Les restrictions susmentionnées n'empêchent cependant pas de réprimer efficacement les abus. Comme nous l'avons déjà dit, les cantons peuvent soumettre l'exercice du métier d'aubergiste et le commerce au détail des boissons spiritueuses à toutes les restrictions exigées par le bien-être public. Ils peuvent réduire le nombre des auberges et des débits à l'emporter (clause dite du nombre normal); ils peuvent demander que certaines conditions soient remplies, décréter des prescriptions concernant l'exploitation et prélever des droits de patente.

Rien ne les empêche de réduire le nombre des auberges et de restreindre la vente au détail des boissons spiritueuses, comme le prévoit par exemple l'article 22 de la loi sur les auberges du canton d'Appenzell-Rh. ext. Celle-ci prescrit entre autre qu'une
partie des droits de patente doit être affectée au rachat amiable des concessions d'auberges existantes. Les cantons peuvent, en; outre, fixer à leur gré les heures d'ouverture et de fermeture des débits de boissons et interdire ou restreindre l'exploitation de ceuxi-ci pendant les heures qui présentent le plus de danger au point de vue de l'alcoolisme (petit verre du matin, consommation le samedi et le dimanche). Plusieurs cantons ont déjà pris des dispositions restrictives dans ce sens. C'est

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ainsi que, dans le canton de Fribourg, il n'est pas permis de servir de l'eau-de-vie avant neuf heures du matin. Il en est de même dans le canton de Vaud. Il est interdit aussi, dans plusieurs cantons, de débiter des boissons alcooliques le dimanche matin et, en général, d'en vendre le dimanche. Ces restrictions sont cependant peu de chose et pourraient, au besoin, être étendues.

Il est vrai que les attributions susmentionnées appartiennent aux cantons et non aux communes; niais un grand nombre de cantons ont accordé voix au chapitre à ces dernières. En général, les communes sont appelées à préaviser sur. l'octroi ou le renouvellement de concessions d'auberges ou de débits à l'emporter, et elles assurent la police de ces établissements. Plusieurs cantons leur ont accordé le droit d'avancer l'heure de fermeture ; ailleurs, comme dans le canton de Vaud, elles la fixent elles-mêmes.

Dans plusieurs cantons, les prérogatives communales sont encore plus étendues. Dans celui de Glaris, par exemple, le conseil communal peut, sous réserve de recours au gouvernement cantonal, refuser l'octroi ou le renouvellement de patentes, si le bien-être public est menacé par le nombre excessif des auberges (art. 7 de la loi de 1904 sur les auberges). Dans les communes vaudoises où il n'existe encore ni auberge ni débit de boissons, il ne peut être octroyé de patente que moyennant autorisation du conseil général ou du conseil communal (art. 12 de la loi du 30 juillet 1920 sur les auberges). Dans les cantons de St-Gall, des Grisons, de Thurgovie et du Valais, les communes fixent elles-mêmes le nombre des patentes à accorder aux débits à.

l'emporter; dans les Grisons et le Valais, ce sont les communes qui accordent, en général, les patentes d'auberges et celles pour la vente au détail.

Le droit des communes de restreindre, par un vote populaire, la vente des boissons spiritueuses existe du reste déjà dans les cantons de Fribourg et de St-Gall.

La loi fribourgeoise du 20 mai 1919 sur les auberges prévoit, à l'article 5, que si le cinquième de la population d'une commune le demande, le conseil communal doit soumettre au vote de l'assemblée électorale la réduction, dans la proportion fixée par l'initiative, du nombre des débits ou la transformation d'un nombre déterminé de concessions comportant le débit d'eau-de-vie en
concessions sans débit d'eau-de-vie. Les femmes majeures ont aussi le droit d'initiative, mais non pas le droit de vote.

La loi saint-galloise du 25 mai 1905 dispose, à l'article 6, que si le bien-être public d'une commune paraît menacé par l'augmentation du nombre des auberges, l'assemblée électorale peut décider de refuser jusqu'à nouvel ordre l'octroi de patentes d'auberges sur tout

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le territoire communal ou sur une partie de celui-ci. Cette décision doit toutefois être approuvée par le Conseil d'Etat.

Dans les cantons des Grisons et du Valais, où les communes accordent elles-mêmes les patentes, la loi donne expressément à l'autorité communale le droit de réduire le nombre des auberges si le bienêtre public l'exige.

De plus, l'article 69 de la loi zurichoise autorise les conseils communaux ou les autorités sanitaires locales à décréter, sous réserve de l'approbation de la direction cantonale de police ou de la direction cantonale d'hygiène publique, les mesures de police des auberges ou de police sanitaire commandées par les circonstances. L'article 49 de la loi fribourgeoise va encore plus loin, en obligeant toutes les autorités (sans en excepter les autorités communales) à prendre les mesures utiles pour combattre l'abus de l'alcool et pour en prévenir les funestes effets. Enfin, l'article 31 de la loi vaudoise de 1920 sur les auberges prévoit que les règlements communaux doivent prescrire les mesures de police jugées nécessaires dans l'intérêt de l'ordre public.

Cet aperçu, qui pourrait encore être complété à divers égards, montre que, sous le régime actuel déjà, les cantons et les communes sont armés contre les abus qui peuvent résulter du nombre des auberges ou du commerce au détail des boissons spiritueuses. Personne ne conteste que ces attributions, qui, pour les communes surtout, ne sont pas très étendues, ne permettent pas, dans bien des cas, de combattre efficacement l'abus de l'alcool. Les communes qui ont fait pleinement usage de leurs attributions dans ce domaine ne sont, au reste, pas nombreuses.

III.

Premiers essais pour introduire l'option locale en Suisse.

Hilty, le professeur de droit public et l'écrivain bien connu, est le premier qui ait tenté d'introduire l'option locale dans la législation fédérale. Le 12 décembre 1899, lors du débat sur la revision de la loi sur l'alcool, il déposa au Conseil national le postulat suivant : « Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il n'y aurait pas lieu de reviser de préférence l'article 31 de la constitution fédérale, en ce sens que les cantons et les communes soient autorisés à prendre des mesures pour combattre l'alcoolisme sur leur territoire, sans en être empêchés par le principe de la liberté de commerce et d'industrie. » *) *) Bulletin sténographique officiel des Chambres fédérales, IXe année, 1899 page 850. Voir aussi Hilty, Das Alkoholpostulat, dans le « Politisches Jahrbuch der Eidgenossenschaft», p. 76 et suivantes.

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Dans l'exposé de ses motifs, le professeur Hilty faisait remarquer que la législation fédérale sur l'alcool élaborée de 1885 à 1887 n'avait eu que peu d'influence sur la santé publique et que l'alcoolisme était aussi répandu dans notre pays qu'auparavant. Il en inférait que les cantons et les communes qui étaient convaincus des dangers de l'alccolisme devaient avoir le droit de bannir l'alcool de leur territoire.

Si on leur donnait ce droit, on pourrait, après dix ou vingt ans, constater la différence entre les diverses communes, et cette démonstration ad oculos serait plus efficace que tout le travail d'éducation antialcoolique.

Chacun reconnut que les mobiles auxquels avait obéi le professeur Hilty étaient excellents, mais plusieurs orateurs, notamment M.

Curti, attirèrent l'attention du Conseil national sur les difficultés que rencontrerait la réforme projetée. Quoique le postulat ait été repoussé, M. von Arx, rapporteur du projet de loi sur l'alcool au Conseil des Etats, y fit encore allusion dans son rapport. Il constata que les conditions étaient tout autres chez nous que dans les pays où naquit l'idée de l'option locale et qu'une grande autonomie communale en matière d'auberges ne ferait que multiplier les abus. Il convint cependant que notre législation sur l'alcool avait aussi son côté faible et que l'article 32t>is de la constitution fédérale, ainsi que l'augmentation des prix de vente de la Bégie, encourageaient la distillation libre 8 ).

Depuis lors, la question ne fut reprise qu'en 1919, à l'occasion de la réforme du régime des alcools. Deux ans auparavant déjà s'était fondée une association pour l'option locale, dont le but principal était d'introduire en Suisse le droit d'interdiction communal.

Le Conseil national avait commencé à discuter notre projet du 27 mai 1919 relatif à la revision des articles 31 et 32bis d'.e la Constitution, lorsque les abstinents suisses proposèrent à la commission d'insérer le principe de l'option locale dans le nouvel article constitutionnel. La commission du Conseil national fut d'avis qu'il valait mieux ne pas compliquer l'oeuvre de la revision, déjà suffisamment difficile, en y ajoutant encore la question très discutée de l'option locale. Elle se refusa à entrer en matière sur la proposition des abstinents. Le Comité du secrétariat antialcoolique
suisse décida alors, le 27 novembre 1920, de lancer une demande d'initiative populaire.

C'est sur cette initiative que nous sommes appelés à vous faire un rapport et des propositions.

*) Bulletin sténographique officiel des Chambres fédérales, année 1900, pages 14 et 15.

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IV.

Objet et but de l'initiative.

L'initiative tend à accorder aux cantons et aux communes le droit «constitutionnel de prohiber, sur leur territoire, la fabrication et la vente des boissons distillées. La prohibition devrait être décidée ou .abrogée soit d'ans les formes prévues par le droit cantonal, soit, à la demande d'un dixième des électeurs, par votati on populaire dans le canton ou la commune.

Quant au contenu de l'initiative, l'interdiction prévue s'applique uniquement à la fabrication et à la vente de l'eau-de-vie, et non à son usage. Ni l'importation, ni la circulation de l'eau-de-vie ne peuvent être interdites, si l'eau-de-vie importée ou transportée n'est pas destinée à être vendue sur le territoire du canton ou de la commune.

L'initiative permet en outre de restreindre l'interdiction de la vente à l'intérieur du canton ou de la commune, en laissant libres la fabrication et la vente au dehors. Elle permet aussi de limiter l'interdiction à certaines parties du territoire cantonal ou communal. Somme toute, l'initiative permet d'adapter la prohibition dans une assez large mesure aux diverses conditions locales.

Quant au mode de procéder, elle laisse également différentes possibilités : 1. Les autorités cantonales peuvent décréter la prohibition de l'eau-de-vie de leur propre initiative et selon les règles du droit cantonal, sans attendre que le peuple la demande. Quant à savoir si, ·dans ce cas, une votation est nécessaire, c'est une question qui relève de la constitution ou de la loi cantonale.

2. Abstraction faite de la législation cantonale, une votation populaire doit avoir lieu dans le canton ou la commune dès qu'un dixième des électeurs le demande.

L'initiative prévoit expressément aussi la possibilité d'abroger ·dans les mêmes formes une interdiction décrétée précédemment.

V.

Arguments pour ou contre l'option locale.

Le mouvement qui a donné lieu à l'initiative s'inspire des considérations suivantes : Les cantons et les communes où l'abus du schnaps se fait plus particulièrement sentir sont directement touchés par l'aggravation des conditions économiques et sociales qui en résulte et qui se manifeste par une augmentation des charges de l'assistance publique. Les cantons ou les communes qui se trouvent dans ces conditions et qui, ayant reconnu la gravité de leur situation, veulent supprimer l'usage

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de l'eau-de-vie, source de tout le mal, ne devraient pas être contrecarrés par, des prescriptions fédérales ou cantonales. Ils ne devraient pas être obligés d'attendre que des mesures soient prises par la Confédération ou les cantons; on ne devrait pas les obliger non plus à, laisser subsister la production et la vente de l'eau-de-vie, s'ils ne veulent plus les tolérer.

Ces raisons capitales sont, en quelque sorte, la justification de fout le mouvement. Les promoteurs de l'initiative espèrent arriver à réduire la consommation de l'eau-de-vie au moins là où la majorité dela population le désire et estiment que l'alcoolisme reculera dans les contrées qui interdiront l'eau-de-vie.

Ils espèrent aussi qu'une fois le premier pas fait, il aura bientôt' de nombreux imitateurs. Comme le professeur Hilty l'a déjà exposé à l'appui de son postulat, la comparaison entre cantons et communes avec interdiction et sans interdiction révélera une telle supériorité de,s premiers quant au bien-être des populations qu'elle convaincra le peuple, mieux que toute autre explication, de l'excellence des mesures antialcooliques.

Les promoteurs de l'initiative voient en outre dans l'option locale une extension' précieuse des prérogatives du peuple. Ils s'appuient enfin sur les résultats d'une série de consultations populaires faites dans les années 1919 et 1920 par le Secrétariat antialcoolique suisse, pour affirmer qu'une bonne partie du peuple incline vers une interdiction de l'eau-de-vie en vertu du droit cantonal ou communal..

Ces arguments appellent les remarques suivantes : 1. L'initiative a pour but principal de combattre l'abus du schnaps. Nous n'hésitons pas à déclarer que nous saluons toute entreprise susceptible d'encourager cette lutte dans notre pays. Nous nousdemandons toutefois si l'initiative qui fait l'objet du présent rapport mène à ce but. Il est permis d'en douter. Le peuple suisse et les cantons accepteront difficilement l'option locale. A cet égard, le vote regrettable du 3 juin 1923, où sombra le premier projet de réforme du régime des alcools, est significatif. Le peuple suisse, à une forte majorité des votants et des cantons, a repoussé un projet qui tendait simplement à réglementer toute la distillation. Par cent mille voix de majorité, il s'est prononcé contre cette mesure. Nous 'doutons dès lors
qu'il veuille autoriser les cantons et les communes à interdire, c'està-dire à supprimer totalement, la fabrication et la vente de l'alcool.

Peut-être même l'initiative, en dépit des bonnes intentions de ses protagonistes, est-elle de nature à nuire à la lutte antialcoolique. Estil opportun que le Conseil fédéral et les Chambres fassent, après l'échec du 3 juin 1923, un nouvel effort qui serait voué à un échec presque certain ? Il vaut mieux concentrer son activité et unir toutes

617' les bonnes volontés sur un projet qui a des chances d'aboutir. Tout en rendant hommage aux sentiments généreux qui inspirent les signataires de l'initiative, nous ne croyons pas pouvoir, les suivre sur léchemin où ils se sont engagés.

2. Même si la majorité du peuple et des cantons se prononçait en faveur de l'option locale, il nous paraît très douteux que cette réforme modifie notablement l'état actuel des choses. En effet, seuls en profiteront les cantons et les communes qui interdiront sur leur territoire la fabrication et la vente de l'eau-de-vie. Il est aussi à prévoir que l'interdiction de la distillation ne trouvera pas une majorité dans les communes où l'on distille beaucoup. La votation du 3 juin 1923 nous a permis de constater que le projet de limitation de la distillati otoi a été rejeté, à une forte majorité, dans toutes les contrées où se trouvent le plus d'alambics.

Nous mentionnerons les quelques chiffres suivants: .

r oantons

Lucerne .

.

Schwyz .

.

Unterwald-le-Haut Unterwald-le-Bas Zoug Baie-Campagne .

Nombre de non Nombre d'alambics pour 100 votants pour 1000 habitants

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

83,o 79,i 76,i 79,3 77,i 74,«

22,21 18,S5 35,97 24,14 21,82 22.40

Les cantons où plus de 70 pour cent des votants se sont prononcés contre le projet avaient tous un nombre d'alambics supérieur à 18 pour mille habitants; aucun des cantons acceptants n'en avait plus de 14. Les cantons qui ont accepté le projet à une belle majorité sont ceux où le nombre des appareils était le plus faible par rapport à la population (entre autres Baie-Ville, Tessin, Neuchâtel, les Grisons).

Il est probable que la votation sur l'option locale donnera des résultats semblables. Les contrées où l'on produit le plus de schnaps ne se décideront guère à en interdire la fabrication et la vente. Il est donc malheureusement à prévoir que les cantons et les communes qui souffrent le plus de l'abus du schnaps seront précisément les moins enclins à faire usage de l'option locale. Conclusion : Même au cas où l'option locale, qui nous paraît vouée à un échec certain, trouverait grâce devant le peuple suisse et réunirait la majorité des cantons, son utilité pratique resterait douteuse.

3. D'autres difficultés surgiront encore dans l'application de l'option locale telle que la demande l'initiative. Celle-ci permet aus cantons et aux communes d'interdire uniquement la fabrication et la vente de l'eau-de-vie.

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La consommation de l'eau-de-vie, de même que son importation, ne pourraient pas être interdites aussi longtemps que l'eau-de-vie ne serait pas destinée à être vendue sur le territoire de la commune.

Même en admettant que l'on puisse supprimer réellement la fabrication et la yente, il n'en subsisterait donc pas moins, dans la région interdite, une consommation légitiml.e au schnaps, et il n'y aurait aucun moyen de la supprimer.

Nous reconnaissons volontiers que la suppression de la fabrication et de la vente pourrait faire diminuer sensiblement la consommation. D'autre part, il ne faut pas oublier que les débits supprimés seraient remplacés par d'autres situés hors de la zone interdite. Pour les cantons, le danger serait moins grand1 que pour les communes, dont le territoire est généralement restreint, et dont les frontières, surtout sur le plateau suisse, peuvent être facilement et rapidement franchies.

Il est à prévoir que toute une série d'auberges et de débits s'érigeraient bientôt aux frontières des communes ayant introduit l'interdiction. Les cantons pourraient sans doute s'y opposer en vertu de la clause du nombre normal, mais il n'existe naturellement aucune disposition qui les oblige à refuser une patente.

Dans ces conditions, il est à craindre avant tout que l'interdiction de l'eau-de-vie ne soit impuissante à atteindre les milieux qu'elle vise.

La population sobre boira vraisemblablement encore moins d'eau-devie, tandis que les buveurs n'hésiteront pas à se< rendïe en dehors de la commune pour satisfaire leur passion et pour braver leurs autorités locales. Les co'mmunes où se passeront de pareils faits ne pourront guère compter sur une diminution de leurs charges d'assistance. Nous insistons sur le fait que l'exiguïté du territoire de la plupart de nos ·communes est un élément capital dans le problème de l'option locale.

Ces quelques explications montrent le peu d'effet qu'aurait une interdiction communale de l'eau-de-vie. Même si l'application en soi réussissait, elle n'atteindrait pas complètement son but.

4. En outre, les effets bienfaisants qu'attendent les promoteurs de l'initiative d'une interdiction cantonale ou communale de l'eau-devie supposent tacitement une application parfaite et sans heurt de l'interdiction. Il est impossible d'affirmer d'ores et déjà si et dans quelle
mesure les cantons et les communes seraient à même d'y pourvoir.

L'acceptation, par la majorité des électeurs, d'une loi qui interdit un produit recherché et entré depuis longtemps dans les moeurs n'empêch'era pas que soti application se heurte aux plus grosses difficultés. Les cdVYWam.es précisément sont très peu préparées et très mal -outillées pour, vaincre ces difficultés 'd'exécution.

619 Ce qui leur manque avant tout, c'est le pouvoir de répression, sans lequel il est impossible de faire respecter sérieusement une interdiction aussi absolue. Une commune a bien le droit d'infliger des amendes, mais l'emprisonnement ne peut être prononcé que par les tribunaux, et seulement en vertu de dispositions pénales qui relèvent exclusivement du droit fédéral ou cantonal. La commune est donc dépendante du canton non seulement pour la lutte contre les auberges et débits frontières, mais encore pour la poursuite des contraventions.

Or, pour que les tribunaux cantonaux puissent condamner les contrevenants, il faut que le canton leur fournisse les armes nécessaires.

Si, pour une raison quelconque, le canton ne veut pas suivre la politique d'interdiction pratiquée par une commune, celle-ci ne pourra pas sévir sérieusement contre les contrevenants, et son interdiction deviendra bientôt inopérante. De l'attitude du canton dépendra donc en grande partie l'efficacité de l'interdiction communale.

Même si la bonne volonté du canton est acquise, tout dépendra encore de la méthode qu'adoptera la commune pour appliquer l'interdiction. Il lui incombe avant tout d'organiser la surveillance de la zone interdite', surveillance qui doit être parfaite, si l'on veut que l'interdiction soit effective.

Quoique, d'après le texte de l'initiative, l'importation de l'eau-devie ne tombe pas directement sous le coup de l'interdiction, la commune n'en devrait pas moins établir un contrôle à ses frontières sur les routes et chemins et surveiller toute la circulation sur son territoire. Il faut y ajouter la surveillance nécessaire pour empêcher la production et la vente de l'eau-de-vie. Ces nombreuses mesures policières grèveraient non seulement la commune de lourdes charges financières, mais seraient encore considérées par la population et par les voyageurs comme des plus tracassières. On est arrivé jadis, avec beaucoup de peine, à obtenir que la constitution fédérale supprime toutes les entraves à la liberté de commerce à l'intérieur de nos frontières. Les cantons et les communes ne peuvent plus, comme auparavant, prélever à leurs frontières des droits de douane ou d'octroi.

Avec l'option locale, la police de l'alcool, qui pourrait contrôler chaque passant et chaque transport à la limite ou à l'intérieur du territoire
de la commune, érigerait une nouvelle barrière. Cela conduirait sans aucun doute aux plus grandes difficultés.

On peut donc se demander, au vu de tous ces inconvénients, si le résultat qu'on attend, pour la salubrité publique, d'une interdiction communale justifie ce déploiement de forces policières. Nous croyons devoir répondre négativement à cette question.

Nous concluons de cet expo.se que la mise en vigueur d'une interdiction communale de l'eau-de-vie, rrùême avec le bienveillant appui

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du canton, se heurterait à de très grosses difficultés et que, d'autre part, elle deviendrait impossible si le canton lui refusait cet appui.

Uinterdiction cantonale serait relativement beaucoup plus facile à appliquer, car le canton possède non seulement un territoire plu?

étendu, maïs encore dispose de moyens de contrainte que les communes ne possèdent pas. Malgré cela, las difficultés auxquelles se heurte toute interdiction émanant de l'Etat seraient d'autant plus grandes qu'en l'espèce, l'interdiction vise un article très recherché.

5. Quant à la valeur démocratique de l'option locale, dont foui; état les promoteurs de l'initiative, on peut en toute bonne foi la mettre en doute. Bornons-nous à faire remarquer que l'interdiction de l'eau-de-vie, même si elle est acceptée par la majorité des électeurs d'un canton ou d'une commune, sera, une fois appliquée, considérée par de nombreuses personnes comme une atteinte excessive à leur liberté personnelle. Les expériences faites avec l'interdiction de l'absinthe ne sont pas assez encourageantes pour permettre à ce sujetune autre opinion.

6. Les difficultés d'application de l'option locale qui viennent d'être exposées nous font douter que la comparaison entre les contrées avec interdiction et celles sans interdiction donne les résultats escomptés par les promoteurs de l'initiative. Ainsi s'évanouirait également leur autre espérance, savoir que cette comparaison convaincrait le peuple, mieux que toute théorie, de la valeur des mesures antialcooliques. lî est probable que cet espoir est doublé du désir que l'option locale ouvre la porte à une interdiction générale de l'eau-de-vie dans tout le -pays, et, plus tard, à l'interdiction de toutes les autres boissons alcooliques.

Autant nous serions heureux que la consommation de l'eau-de-vie diminuât dans notre pays, autant nous croyons qu'une interdiction n'est pas le moyen d'atteindre ce but. De nombreuses expériences montrent que les interdictions de boissons alcooliques décrétées par l'Etat se heurtent à une grande résistance dans la population et, de ce fait, sont très difficiles à appliquer. La plupart du temps, le résultat obtenu n'est pas proportionné aux dépenses qu'elles nécessitent.

L'Etat doit encourager énergiquement la lutte contre l'alcoolisme, mais il faut que cette lutte soit entreprise
par des moyens appropriés.

Quant aux remarques des promoteurs de l'initiative concernant leurs consultations populaires, nous concédons que les résultats obtenus ne sont pas sans valeur. Ils ne peuvent cependant pas constituer un argument objectif en faveur de l'option locale. Les résultats assez favorables de ces consultations, de même que le nombre relativement grand des signatures de l'initiative pour l'option locale montrent sans

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doute que? la question intéresse des milieux très étendus, et bien que la voie proposée pour la suppression des méfaits de l'alcool dans notre peuple soit en réalité hérissée de beaucoup plus d'obstacles qu'il .ne paraît à première vue, il est certain que l'initiative répond à un besoin. Mais nous avons l'impression que ses promoteurs n'ont pas suffisamment tenu compte des difficultés.

Il existe, à côté de l'option locale, d'autres voies et moyens qui, pour paraître plus modestes, n'en sont pas moins préférables dans la pratique. Les cantons et les communes sont loin, par exemple, d'avoir «épuisé tes attributions gué la Constitution leur confère en matière d'auberges et de commerce au détail des boissons spiritueuses, et que nous avons énumérées ci-dessus.

Nous rappelons que les cantons peuvent soumettre à des restrictions très étendues l'exercice du métier d'aubergiste et le commerce ·en détail des boissons spiritueuses. Comme nous l'avons déjà mentionné, il leur est loisible d'empêcher une trop grande extension des débits de boissons et d'en réduire le nombre. Ils peuvent, en outre, .combattre efficacement l'abus de l'alcool en posant des conditions sévères à l'exploitation des auberges et des débits à l'emporter et en restreignant la durée d'ouverture de ces établissements. En un mot, les dispositions actuelles de la Constitution laissent aux cantons dans le domaine de la législation sur les auberges et la vente'au détail une liberté telle qu'il ne paraît pas urgent de leur octroyer de nouvelles .attributions. Il leur suffirait d'utiliser celles qui leur sont actuellement dévolues d'une manière plus complète et plus énergique pour intensifier considérablement leur action.

On objectera peut-être que les conditions peuvent varier sensiblement d'une contrée à l'autre dans le même canton et que l'option locale permettrait de tenir compte de ces diversités mieux que les législations cantonales uniformes sur les auberges et le commerce en ·détail. Il ne faut toutefois pas oublier que rien n'empêche actuellement les cantons d'adapter leurs législations aux circonstances spéciales à telle ou telle contrée. Sans doute peut-il arriver que les attributions actuelles se révèlent insuffisantes, mais il nous paraît très douteux, après tout ce que nous avons exposé, que l'interdiction soit alors >d'e
quelque secours.

7. L'imposition de la totalité des eaux-de-vie que prévoit la réforme du régimte de l'alcool sera beaucoup plus efficace que l'option locale. Quoique l'imposition semble à première vue moins radicale qu'une interdiction, son application n'en sera que plus facile et plus sûre et ne rencontrera pas dans le public une aussi forte opposition que la prohibition. Nous espérons lui ga:gner l'opinion' publique, ce facteur nécessaire à l'efficacité de toutes

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les mesures fiscales. Les expériences faites en Suisse avec l'interdiction de l'absinthe sont significatives à cet égard. Il est permis de croire, en effet, qu'une forte imposition eût été plus efficace que l'interdiction, qui n'est malheureusement pas toujours observée. Les conditions particulières à notre pays, la mentalité de notre peuple, font penser qu'en Suisse on obtiendra, pour les autres boissons alcooliques également, de meilleurs résultats par l'imposition que par l'interdiction. A ce seul point de vue, la revision de la législation sur l'alcool est préférable à l'option locale, indépendamment même du fait qu'une réglementation uniforme du régime des alcools sur tout le territoire de la Confédération présente de plus grands avantages et offre de meilleures garanties d'application qu'une interdiction locale.

Dans sa rédaction actuelle, le projet de révision s'avère préférable sur un autre point encore à l'initiative. Tandis que celle-ci se borne à autoriser les cantons et les communes à prohiber l'eau-de-vie et ne se soucie pas du tout de l'utilisation des matières premières de la distillation, entre autres des déchets de fruits, le projet de revision résout cette question d'une façon rationnelle. Equitablement, on ne peut, en effet, interdire aux producteurs de distiller, sans leur donner en même temps la possibilité de mettre en valeur leurs déchets de fruits d'une autre façon.

Les promoteurs de l'initiative estiment, en outre, que l'option locale entraînera tout naturellement après elle la suppression de la distillerie domestique. Il nous semble, au contraire, qu'on arrivera plus facilement à réduire le nombre des petits alambics par un accord amiable, comme le prévoit le projet de revision, que si l'on interdit simplement la distillation, sans posséder les moyens suffisants de réprimer les contraventions.

Ces quelques considérations montrent que la revision de la législation sur l'alcool tient mieux compte que l'initiative des défauts particuliers et des lacunes du .régime actuel. C'est pourquoi l'on peut en attendre de meilleurs résultats. Le proverbe qui dit que le mieux est souvent l'ennemi du bien s'applique tout particulièrement au domaine qui nous occupe et aux conditions spéciales de notre pays.

VI.

Conclusion.

Tout en rendant hommage aux louables intentions des promoteurs de l'initiative, nous sommes convaincus que son acceptation serait une erreur. En raison des difficultés particulièrement grandes que l'option locale rencontrerait dans notre pays, elle ne pourrait jamais atteindre entièrement son but et ne servirait que très faible-

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ment la lutte contre l'abus du schnaps. Nous considérons la revision de la législation fédérale sur l'alcool comme beaucoup plus efficace et plus importante pour la santé publique que l'introduction de l'option locale.

Nous estimons en outre que ce n'est pas le moment, pour les adversaires de l'alcoolisme, de disperser leurs forces et que tous -- qu'ils soient abstinents ou non -- doivent concentrer leurs efforts pour mener à bonne fin le projet de revision élaboré par les autorités fédérales.

C'est du succès de ce dernier que dépendent pour une large part la santé future de notre peuple et le sort des assurances sociales.

Nous vous recommandons, par conséquent, de proposer au peuple et aux cantons le rejet de l'initiative concernant le droit des cantonset des communes d'interdire les boissons distillées et d'adhérer au projet d'arrêté ci-annexé.

Berne, le 5 décembre 1927.

Au nom du Conseil fédéral suisse : Le président de la Confédération, MOTTA.

Le chancelier de la Confédération, KABSLIN.

(Projet)

Arrêté fédéral sur

l'initiative concernant le droit des cantons et des communes d'interdire les boissons distillées.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE, vu la demande d'initiative concernant le droit des cantons et des communes d'interdire les boissons distillées; vu le rapport du Conseil fédéral du 5 décembre 1927; vu lès articles 121 et suivants de la Constitution et les articles 8 et suivants de la loi fédérale du 27 janvier 1892 concernant le mode de

624 procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la révision de la Constitution, arrête: Article premier.

Est soumise au vote du peuple et des cantons l'initiative concernant le droit des cantons et des communes d'interdire les boissons distillées. Cette initiative a la teneur suivante: « II est introduit dans la Constitution fédérale, à la suite de l'article 32ter actuel, un article nouveau ainsi conçu: Les cantons et les communes sont autorisés à interdire sur leur territoire la fabrication et la vente des boissons distillées.

L'interdiction peut être décidée ou abrogée, soit dans les formes prévues par le droit cantonal, soit à la demande d'un dixième des électeurs, par votation populaire dans le canton ou la commune. »

Art. 2.

L'Assemblée fédérale recommande au peuple et aux cantons le rejet de l'initiative.

Art. 3.

Le Conseil fédéral est chargé de l'exécution du présent arrêté.

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RAPPORT du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur la demande d'initiative concernant le droit des cantons et des communes d'interdire les boissons distillées. (Du 5 décembre 1927.)

In

Bundesblatt

Dans

Feuille fédérale

In

Foglio federale

Jahr

1927

Année Anno Band

2

Volume Volume Heft

49

Cahier Numero Geschäftsnummer

2264

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

07.12.1927

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607-624

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10 085 127

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