15.050 Message relatif à l'initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire» du 24 juin 2015

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire» en leur recommandant de la rejeter.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents,Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

24 juin 2015

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2015-0321

5273

Condensé L'initiative populaire fédérale «Pour la sécurité alimentaire» demande le renforcement de l'approvisionnement de la population en denrées alimentaires issues d'une production indigène. Le Conseil fédéral reconnait l'importance de la sécurité alimentaire. Il rejette cependant l'initiative au motif que le niveau de la sécurité alimentaire est très élevé en Suisse et que les exigences de l'initiative sont déjà largement couvertes par la Constitution en vigueur.

Contenu de l'initiative L'initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire» munie de 147 812 signatures valables a été déposée le 8 juillet 2014. Elle a pour objectif de renforcer l'approvisionnement de la population en denrées alimentaires issues d'une production indigène diversifiée et durable. A cet effet, elle propose de compléter la Constitution (Cst.) par un nouvel art. 104a (Sécurité alimentaire) imposant des mesures pour freiner la perte des terres agricoles et mettre en oeuvre une stratégie qualité. La Confédération doit en outre veiller à limiter la charge administrative dans l'agriculture et garantir la sécurité du droit et des investissements.

Mérites et lacunes de l'initiative Le Conseil fédéral partage l'avis des auteurs de l'initiative, à savoir que la sécurité alimentaire revêt une importance capitale tant à l'échelle mondiale que nationale. Il estime en outre que la perte constante de terres agricoles va à l'encontre d'un développement durable, voire qu'il réduit sur le long terme les perspectives de production de denrées alimentaires en Suisse.

Le Conseil fédéral rejette toutefois l'initiative pour les raisons suivantes: l'actuel art. 104 Cst. bénéficie comme par le passé d'un large consensus politique. Il offre une solide base pour que la production agricole puisse contribuer substantiellement à la sécurité de l'approvisionnement de la population et fournir en parallèle d'autres prestations en faveur de la société (multifonctionnalité).

Le niveau de sécurité alimentaire de la Suisse est très élevé: les denrées alimentaires sont disponibles en permanence en quantités suffisantes, d'une très grande qualité sanitaire et le consommateur a la possibilité d'acquérir ces produits alimentaires. En outre, la Suisse réunit les meilleures conditions pour relever les défis à venir et pour que la sécurité alimentaire soit
garantie également à l'avenir.

L'objectif de l'initiative est de renforcer la production indigène. Ses auteurs se basent sur l'hypothèse que la politique agricole actuelle favorise en Suisse un affaiblissement de la production indigène. Or, ce n'est pas le cas. Par le biais des instruments de politique agricole, la Confédération apporte chaque année un soutien de l'ordre de 3,8 milliards de francs et l'agriculture suisse a atteint, en moyenne de ces trois dernières années, un niveau record en termes de production.

5274

En tout état de cause, la protection des terres cultivées est une préoccupation sociopolitique et un objectif de la Confédération, qui sont déjà suffisamment couverts par l'art. 75 Cst. Le législateur a amélioré la protection des terres cultivées dans le cadre de la première étape de la révision de la loi sur l'aménagement du territoire adoptée récemment et le Conseil fédéral a l'intention de la renforcer encore au moyen des instruments de l'aménagement du territoire.

L'initiative est unilatérale et déséquilibrée, puisqu'elle aborde l'objectif de la sécurité alimentaire en se focalisant uniquement sur la production indigène. La sécurité alimentaire est toutefois tributaire aussi des secteurs en amont et en aval, de l'accès aux marchés agricoles internationaux et de la façon dont les consommateurs utilisent les denrées alimentaires. Or, l'initiative ignore ces divers liens de causalité.

Les autres exigences formulées dans l'initiative présentent des points de convergence avec certains principes constitutionnels existants. Il n'est dès lors nul besoin de compléter la Constitution.

Examen d'un contre-projet direct Dans un premier temps, le Conseil fédéral avait envisagé d'inscrire explicitement le thème de la sécurité alimentaire dans la Constitution et d'opposer à l'initiative un nouvel art. 102a Cst. en guise de contre-projet direct, ce qui permettait à la fois de renforcer la cohérence entre les divers domaines politiques concernés et de proposer un concept global équilibré et exhaustif. Celui-ci inclut les aspects de la préservation des bases de production (en particulier les terres agricoles), de la production adaptée aux conditions locales et utilisant les ressources de façon efficiente, de la compétitivité du secteur agroalimentaire, de l'accès aux marchés agricoles internationaux et d'une utilisation des denrées alimentaires préservant les ressources naturelles. Si dans le cadre de la consultation le concept a été majoritairement soutenu au plan du contenu, de nombreux milieux ont jugé qu'il était superflu de l'inscrire explicitement dans un nouvel article constitutionnel. Une majorité des participants à la consultation est d'avis que la Constitution offre aujourd'hui déjà une base suffisante pour mettre en oeuvre le concept proposé. C'est pourquoi le Conseil fédéral renonce à opposer un
contre-projet direct à l'initiative populaire pour la sécurité alimentaire. Il se fondera toutefois sur le concept en question dans la poursuite de la politique agricole et dans les domaines politiques pertinents.

Proposition du Conseil fédéral Par le présent message, le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire» sans lui opposer de contre-projet direct ou indirect en leur recommandant de la rejeter.

5275

Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Texte de l'initiative

L'initiative «Pour la sécurité alimentaire» a la teneur suivante: La Constitution1 est modifiée comme suit: Art. 104a

Sécurité alimentaire

La Confédération renforce l'approvisionnement de la population avec des denrées alimentaires issues d'une production indigène diversifiée et durable; à cet effet, elle prend des mesures efficaces notamment contre la perte des terres cultivées, y compris des surfaces d'estivage, et pour la mise en oeuvre d'une stratégie de qualité.

1

Elle veille à maintenir une charge administrative basse pour l'agriculture et à garantir la sécurité du droit, ainsi qu'une sécurité adéquate au niveau des investissements.

2

Art. 197, ch. 112 11. Disposition transitoire ad art. 104a (Sécurité alimentaire) Le Conseil fédéral propose à l'Assemblée fédérale des dispositions légales correspondant à l'art. 104a au plus tard deux ans après l'acceptation de celui-ci par le peuple et les cantons.

1.2

Dépôt de l'initiative et délais de traitement

L'initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire» a fait l'objet d'un examen préliminaire de la Chancellerie fédérale le 21 janvier 20143 et a été déposée le 8 juillet 2014. Par décision du 29 juillet 2014, la Chancellerie fédérale a constaté l'aboutissement de l'initiative munie de 147 812 signatures valables4.

L'initiative revêt la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral n'y oppose pas de contre-projet direct ou indirect. Conformément à l'art. 97, al. 1, let. a, de la loi du 13 septembre 2002 sur le Parlement (LParl)5, le Conseil fédéral est tenu de soumettre au Parlement au plus tard d'ici au 8 juillet 2015 un projet d'arrêté fédéral accompagné d'un message. L'Assemblée fédérale a jusqu'au 8 janvier 2017 pour décider de recommander l'acceptation ou le rejet de l'initiative. Elle peut proroger

1 2 3 4 5

RS 101 La Chancellerie fédérale décidera de la numérotation définitive de cette disposition transitoire après la votation populaire.

FF 2014 935 FF 2014 5919 RS 171.10

5276

ce délai d'un an si l'un des conseils a pris une décision sur un contre-projet ou un projet d'acte en rapport étroit avec l'initiative populaire (art. 100 et 105, al. 1, LParl).

1.3

Validité

L'initiative remplit les conditions de validité prévues à l'art. 139, al. 3, Cst.6: a.

Elle revêt la forme d'un projet entièrement rédigé et respecte ainsi le principe de l'unité de la forme.

b.

La connexité matérielle entre les deux parties de l'initiative est établie.

L'initiative respecte donc le principe de l'unité de la matière.

c.

L'initiative ne contrevient pas aux règles impératives du droit international.

Elle répond ainsi aux exigences de compatibilité avec le droit international impératif.

2

Contexte

2.1

Contexte de la politique agricole dans lequel l'initiative a vu le jour

L'actuel art. 104, al. 1, Cst. charge la Confédération de veiller à ce que l'agriculture, par une production répondant aux exigences du développement durable et à celles du marché, contribue substantiellement à la sécurité de l'approvisionnement de la population, à la conservation des ressources naturelles et à l'entretien du paysage rural, ainsi qu'à l'occupation décentralisée du territoire. Dans le cadre de l'examen de la modification de la loi du 29 avril 1998 sur l'agriculture (LAgr)7 demandée dans le message du Conseil fédéral du 1er février 2012 concernant l'évolution future de la politique agricole dans les années 2014­2017 (Politique agricole 2014­2017)8, le Parlement a décidé d'orienter davantage le système des paiements directs sur les objectifs formulés à l'art. 104, al. 1, Cst. Ce processus s'accompagnait également d'un découplage accru des instruments des paiements directs des incitations directes à la production et d'un renforcement des mesures visant à encourager de manière ciblée les efforts dans le domaine de l'écologie et du paysage, ainsi que les prestations dans les domaines du bien-être des animaux et de l'efficience des ressources.

En outre, une base légale a été créée pour la promotion d'une stratégie qualité dans le secteur agroalimentaire suisse.

Quelques organisations paysannes ont demandé le référendum contre la modification de la LAgr liée à la Politique agricole 2014­2017. Le nombre requis de signatures n'a cependant pas été atteint. L'Union suisse des paysans n'a pas participé au référendum, elle a cependant lancé la présente initiative suite au non-aboutissement de celui-ci.

6 7 8

RS 101 RS 910.1 FF 2012 1857

5277

La modification de la LAgr étant entrée en vigueur 1er janvier 2014, le Conseil fédéral a l'intention d'évaluer au cours des prochaines années la réalisation des objectifs fixés. Pendant la période 2018­2021, la politique agricole sera optimisée à l'échelon des ordonnances et un message concernant les enveloppes financières agricoles sera présenté, sans révision de la LAgr9. Ce message expliquera comment les moyens seront répartis entre les différents instruments et sera complété par des propositions d'adaptations ciblées des ordonnances dans les trois domaines suivants: développement entrepreneurial des agriculteurs et des exploitations; dynamisme des ventes sur les marchés; utilisation des ressources et production durables. La procédure de consultation relative aux enveloppes financières pour la période 2018­2021 aura probablement lieu au dernier trimestre de 2015.

2.2

Autres initiatives populaires dans le domaine de la sécurité alimentaire

Outre l'initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire», le Parti écologiste suisse et le syndicat paysan Uniterre ont également lancé des initiatives concernant la politique agricole ou l'approvisionnement de la population en denrées alimentaires.

Celles-ci se trouvent encore au stade de la collecte des signatures.

Initiative pour des aliments équitables du Parti écologiste suisse Le 27 mai 2014, le Parti écologiste suisse a débuté la récolte de signatures pour l'initiative populaire «Pour des denrées alimentaires saines et produites dans des conditions équitables et écologiques (initiative pour des aliments équitables)»10.

L'initiative demande de compléter la Constitution par un nouvel art. 104a (Denrées alimentaires) prévoyant que la Confédération renforce l'offre de denrées alimentaires sûres, de bonne qualité et produites dans le respect de l'environnement, des ressources et des animaux, ainsi que dans des conditions de travail équitables. En outre, la Confédération doit s'assurer que les mêmes exigences sont appliquées en règle générale pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux importés.

Un autre objectif de l'initiative est de réduire les incidences négatives du transport des denrées alimentaires et des aliments pour animaux sur l'environnement et le climat. Pour atteindre ce but, la Confédération doit obtenir la compétence pour édicter des prescriptions concernant l'autorisation et la déclaration, moduler les droits à l'importation, conclure des conventions d'objectifs contraignantes avec les importateurs et encourager la transformation et la commercialisation à l'échelon régional.

Initiative d'Uniterre pour la souveraineté alimentaire Le syndicat paysan Uniterre a débuté la récolte de signatures pour l'initiative populaire «Pour la souveraineté alimentaire. L'agriculture nous concerne toutes et tous»11 le 30 septembre 2014. Le texte de l'initiative comprend un large catalogue de demandes qui reprend les exigences principales de l'initiative de l'Union suisse des paysans (protection des surfaces d'assolement) et du Parti écologiste suisse (mêmes 9 10 11

Cf. aussi avis du Conseil fédéral sur la motion Jans 14.3372 «Renoncer aux modifications législatives découlant de la Politique agricole 2018­2021».

FF 2014 3525 FF 2014 6597

5278

exigences pour les denrées alimentaires suisses et importées). Cette initiative va cependant plus loin que les deux autres: elle demande par exemple des mesures pour augmenter le nombre des personnes actives dans l'agriculture, veut interdire l'utilisation d'organismes génétiquement modifiés dans l'agriculture et propose la réglementation du volume des importations pour la préservation et l'encouragement de la production indigène.

2.3

Définition de la sécurité alimentaire

L'initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire» demande que l'approvisionnement de la population en denrées alimentaires issues d'une production indigène durable soit renforcé. L'acception de la sécurité alimentaire selon l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) est cependant plus large.

Selon la FAO, la sécurité alimentaire est assurée quand toutes les personnes ont, en tout temps, accès à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins nutritionnels pour mener une vie saine et active12. Cette définition de la sécurité alimentaire fait intervenir quatre facteurs déterminants: ­

la disponibilité alimentaire: elle se rapporte à l'offre et comprend les secteurs de la production durable des aliments, ainsi que leur transformation et leur commerce;

­

l'accès à la nourriture: il concerne la demande et réside dans la possibilité pour le consommateur de se procurer des denrées alimentaires à un prix abordable;

­

l'utilisation: elle couvre des aspects tels que la sécurité sanitaire des denrées alimentaires et leurs caractéristiques sur le plan nutritionnel;

­

la stabilité: pour assurer la sécurité alimentaire, les trois facteurs susmentionnés doivent être réunis en permanence; la stabilité de l'approvisionnement est en outre fortement tributaire de la stabilité politique et institutionnelle générale.

La définition de la FAO étant communément acceptée aux échelons international et national, le Conseil fédéral l'utilise comme base pour évaluer ci-après la situation actuelle et les défis à venir.

2.4

Situation actuelle

Dimension internationale Le dernier rapport de la FAO sur la sécurité alimentaire dans le monde13 fait état de la sous-alimentation chronique dont souffrent près de 800 millions d'êtres humains dans le monde, ce qui signifie que l'alimentation de ces personnes ne couvre pas leurs besoins en énergie. Depuis 1990/92, le nombre des personnes sous-alimentées 12

13

FAO (1996): Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale et Plan d'action du sommet mondial de l'alimentation, 13­17 novembre 1996, disponible sous www.fao.org.

FAO (2014): L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde 2014, disponible sous www.fao.org.

5279

a diminué de 220 millions. Pour les trois-quarts de ces personnes, le recul s'est opéré ces dix dernières années. La production alimentaire par habitant est actuellement suffisante pour nourrir toute la planète. Le fait qu'un nombre aussi élevé de personnes souffre de sous-alimentation s'explique en premier lieu par la répartition inégale des denrées alimentaires et par des difficultés d'accès à la nourriture à un prix abordable. Ce dernier aspect du problème présente une fois de plus un caractère le plus souvent économique, puisque c'est faute d'un pouvoir d'achat suffisant que ces personnes ne peuvent se procurer une nourriture suffisante. Les plus touchés appartiennent aux couches pauvres de la population des centres urbains, mais aussi aux populations rurales des pays en développement qui, pour une large part, vivent encore dans une économie de subsistance.

Dimension nationale Le niveau de sécurité alimentaire de la Suisse est très élevé: les denrées alimentaires sont disponibles en quantités suffisantes, d'une très grande qualité sanitaire et le consommateur a la possibilité d'acquérir ces produits. Autrement dit, il dispose d'un revenu suffisamment élevé pour couvrir son besoin en denrées alimentaires. Preuve en est le fait que les ménages suisses ne consacrent en moyenne que 9 % de leur revenu disponible à l'alimentation14. Par ailleurs, on estime qu'un tiers des denrées alimentaires produites est perdu ou gaspillé (cf. ch. 2.6)15. Selon l'observatoire suisse de la santé, les individus souffrant d'un excédent de poids représentaient au total 41 % de la population suisse en 201216, soit un tiers de plus qu'il y a 20 ans, un phénomène causé tant par la suralimentation que par une trop grande sédentarité.

Sur le plan de la disponibilité, il faut noter que la Suisse est une importatrice nette de produits alimentaires. Au cours des 100 dernières années, la part de la production indigène dans les calories consommées globalement a oscillé entre 50 et 70 %17 et se situe actuellement aux alentours de 60 % (cf. ch. 2.5). La souveraineté alimentaire de la Suisse repose donc principalement sur la production indigène, en complément de laquelle les importations permettent d'assurer un approvisionnement suffisant et équilibré de la population. Les importations sont garantes d'une diversification de
l'offre et compensent les fluctuations de la production indigène. Le fait que la Suisse importe environ 40 % de ses denrées alimentaires ne signifie pas que la production agricole soit particulièrement extensive. Par comparaison avec les autres pays, les rendements sont même relativement élevés, grâce aux conditions que le pays offre à l'agriculture, comme la richesse des sols, l'abondance des précipitations et la disponibilité des moyens de production. La forte proportion des importations s'explique surtout par la densité de la population, c'est-à-dire par la faible étendue des terres utilisables par l'agriculture par rapport au nombre des habitants. La Suisse possède seulement 500 mètres carrés de terres agricoles par habitant, soit seulement un quart de ce dont disposent en moyenne les autres pays. En outre, compte tenu des condi-

14

15 16 17

Office fédéral de la statistique (2014): Enquête sur le budget des ménages 2012, disponible sous www.bfs.admin.ch > Thèmes > 20 ­ Situation économique et sociale de la population > Revenus, consommation et fortune des ménages.

Office fédéral de l'agriculture (2012): Rapport agricole 2014, p. 78, disponible sous www.blw.admin.ch > Documentation > Publications > Rapport agricole 2014.

www.osban.admin.ch > Monitorage et données > Indicateurs de santé > Indice de masse corporelle.

Cf. avis du Conseil fédéral sur la motion Schibli (06.3880) «Promouvoir la production nationale de denrées alimentaires».

5280

tions topographiques ou climatiques, deux tiers de la surface agricole utile ne peuvent être exploités que comme surfaces herbagères.

2.5

Contribution de la production indigène

S'agissant de la contribution de la production indigène à la sécurité alimentaire, le Conseil fédéral a défini les objectifs à long terme suivants dans le cadre de la Politique agricole 2014-201718: ­

maintenir la capacité de production (niveau actuel de production de calories) et maintenir les cultures particulières, stratégiquement importantes;

­

préserver des sols fertiles et cultivables en quantité suffisante.

Le présent message présente ci-après l'évolution de la situation au cours des dernières années et l'état actuel par rapport aux objectifs susmentionnés. Il est primordial que les denrées alimentaires soient produites selon les principes du développement durable pour que l'agriculture puisse contribuer à l'atteinte de ces objectifs à long terme. C'est pourquoi les principaux paramètres de la durabilité sont également pris en considération.

2.5.1

Production de calories et diversité des cultures

Au cours des dernières années, la production indigène de denrées alimentaires n'a cessé de croître. La production de calories (en chiffres bruts) a progressé de près de 5 % entre 2000/02 et 2011/13 passant à 23 600 térajoules. L'objectif quantifié de 23 300 térajoules fixé pour 2017 par le Conseil fédéral dans le cadre de la Politique agricole 2014­2017 est donc déjà dépassé. Alors que la production animale n'a globalement pas changé entre 2000/02 et 2011/13, la production de calories issues de la production végétale s'est accrue de quelque 10 %. Si l'on tient compte uniquement des denrées alimentaires produites sur la base de fourrages indigènes, la hausse de la production de calories (en chiffres nets) se monte à près de 1 %. Concernant la production nette, la hausse est plus faible car les importations de fourrages ont augmenté. Comme la consommation de denrées alimentaires a également augmenté en Suisse de près de 6 % en raison de la croissance de la population, le taux brut d'auto-approvisionnement est demeuré plus ou moins stable (­0,8 point de pourcentage), alors que le taux net d'auto-approvisionnement a légèrement reculé (­2,5 point de pourcentage).

18

FF 2012 1857 1883

5281

Figure 1

Térajoules

Evolution de la production de calories et taux d'auto-approvisionnement 25 000

100%

20 000

80%

15 000

60%

10 000

40%

5 000

20%

Production indigène brute Taux d'auto-approvisionnement brut

2014*

2012

2013*

2011

2010

2009

2008

2007

2006

2005

2004

2003

2002

2001

2000

0%

Production indigène nette Taux d'auto-approvisionnement net

*2013: chiffres provisoires; 2014: calcul interne sur la base des chiffres des Comptes économiques de l'agriculture (CEA), estimation 2014

Sources: USP et OFS

Bien que pour l'heure on ne dispose que d'estimations pour 2014 ­ la première année de mise en oeuvre de la Politique agricole 2014­2017, on peut supposer, compte tenu des très bons rendements de la production végétale et de la forte production laitière, que la production de calories sera supérieure au niveau atteint en 2011, année record.

Entre 2000/02 et 2011/13, les terres ouvertes ont diminué; elles sont passées de 290 000 à 270 000 hectares (­7 %). Ce recul s'explique d'une part en raison de la progression des surfaces de prairies artificielles (+15 000 ha) et d'autre part par la perte des terres cultivables due au développement de l'urbanisation. Ces dernières années, il y a eu divers mouvements entre les cultures sur les terres ouvertes. La surface céréalière a reculé de 32 000 hectares (­18 %); à noter que la régression est plus marquée pour les céréales fourragères que pour les céréales panifiables. Le niveau des surfaces céréalières s'est stabilisé dans l'ensemble ces dernières années.

Celles affectées à la culture de pommes de terre affichent également une baisse (­2700 ha; ­20 %). Les quantités produites couvrent néanmoins, comme jusqu'ici, environ 90 % du besoin de l'alimentation humaine. En contrepartie, la culture de betteraves sucrières (+1600 ha; +9 %) et surtout de colza (+7900 ha; +55 %) s'est nettement étendue. Les surfaces de maïs d'ensilage et de maïs vert enregistrent également une forte progression (+6300 ha; +15 %). Dans l'ensemble, la surface sur laquelle sont cultivées les plantes fourragères (prairies artificielles, maïs d'ensilage et maïs vert, betteraves fourragères et céréales fourragères) est demeurée stable et se monte à environ 250 000 hectares. La diversité des grandes cultures est, pour le moment, préservée.

5282

2.5.2

Terres agricoles fertiles

Entre 1979/85 et 2004/09, les terres agricoles accusent un repli de 5,4 %, soit 85 000 hectares, ce qui correspond quasiment à dix fois la surface du lac de Zurich. Le recul des terres agricoles a eu lieu pour deux tiers dans la région d'habitat permanent (­55 500 ha) et pour un tiers sur les surfaces affectées à l'économie alpestre (­29 500 ha). Le recul a ralenti ces dernières années. Alors qu'entre 1979/85 et 1992/97 près de 52 000 hectares de terres agricoles ont disparu (­3,3 %), celles-ci régressent encore de 33 000 hectares (­2,2 %) entre 1992/97 et 2004/09.

La principale cause de cette évolution est l'extension des surfaces bâties (­54 000 ha) qui, dans la région d'habitat permanent, est même responsable de la perte de plus de 90 % des terres agricoles. L'extension du milieu bâti sur des terres agricoles a été la plus prononcée dans les aires de bâtiments agricoles (31 000 ha), dont près d'un cinquième (5 700 ha) est attribuable à l'accroissement du parc de bâtiments agricoles.

La deuxième cause de ce recul est l'avancée de la forêt, qui est responsable de la perte de près d'un tiers des terres agricoles. Entre 1979/85 et 2004/09, la surface boisée et la végétation buissonneuse sur les surfaces agricoles ont augmenté de près de 27 000 hectares. La forêt a principalement progressé sur les surfaces affectées à l'économie alpestre. Cette progression était d'autant plus marquée que les surfaces étaient situées en altitude et qu'elles présentaient une déclivité élevée. Le recul des surfaces affectées à l'économie alpestre est très prononcé au Tessin et dans les vallées du sud du Valais19. Comme les rendements dans la région d'estivage sont nettement plus faibles que ceux des surfaces situées à des altitudes moins élevées, l'importance des surfaces affectées à l'économie alpestre réside dans leur contribution à l'approvisionnement alimentaire, mais avant tout dans le fait qu'elles constituent un élément marquant du paysage suisse et qu'elles permettent de conserver la biodiversité alpine.

19

OFS (2015): L'utilisation du sol en Suisse 1985­2009: exploitations et analyses, disponible sous www.bfs.admin.ch > Thèmes > 02 ­ Espace, environnement > Utilisation et couverture du sol > Analyses.

5283

Figure 2 Evolution des surfaces agricoles 1979/85-2004/09 Evolution des surfaces agricoles dans la région d'habitat permanent

dans la région d'économie alpestre

Historique des surfaces agricoles dans la région d'habitat permanent

dans la région d'économie alpestre

0

hectares

-10 000 -20 000 -30 000 -40 000 -50 000 -60 000

1979/85-1992/97 1992/97-2004/09

... vers les surfaces bâties ... vers les surfaces boisées ... vers les surfaces non productives Source: statistique de la superficie OFS

Parallèlement au maintien des terres agricoles, la fertilité du sol joue un rôle essentiel dans la garantie de la production à long terme. Celle-ci dépend autre autres de facteurs tels les substances polluantes présentes dans le sol, la teneur en humus, l'érosion et le compactage du sous-sol. Des bases cohérentes et globales font encore défaut pour évaluer la qualité du sol. En ce qui concerne la contamination des sols par les métaux lourds, ce sont aujourd'hui le cuivre et le zinc qui jouent avant tout un rôle important. Dans les exploitations pratiquant l'élevage intensif de bétail et dans celles affectées aux cultures spéciales, il arrive souvent que des métaux lourds parviennent dans le sol. Dans certaines exploitations, surtout celles pratiquant les grandes cultures sans bétail ou avec un nombre restreint d'animaux, on constate de plus une tendance à la perte d'humus. Tant l'apport de métaux lourds que la perte d'humus sont susceptibles, à long terme, d'entraîner une baisse de la fertilité des sols. Des études de cas montrent en outre que l'érosion et le compactage du sous-sol, en particulier dans les zones de grandes cultures, détériorent de manière irréversible la qualité des sols agricoles.

2.5.3

Durabilité des prestations

Dimension écologique La production agricole est tributaire d'écosystèmes intacts. Depuis le début des années 90, d'importants efforts ont été réalisés pour freiner la perte de la biodiversité sur la surface agricole utile. L'introduction des prestations écologiques requises comme condition au versement de paiements directs a eu pour impact de contraindre les exploitations à affecter au moins 7 % de leurs surfaces aux surfaces de promotion de la biodiversité. Sur ce type de surfaces, le potentiel de rendement n'est pas com5284

plètement exploité. Actuellement, quelque 150 000 hectares sont exploités comme surfaces de promotion de la biodiversité. L'effet sur la biodiversité est modérément positif. Par exemple, la population d'oiseaux nicheurs est demeurée relativement stable pour ce qui est des espèces caractéristiques. La biodiversité, notamment la flore accompagnatrice (flore messicole) et les mousses dans les prairies sèches, continue en revanche de régresser. Comme les objectifs quantitatifs en ce qui concerne les surfaces de promotion de la biodiversité sont atteints, l'accent est mis sur l'amélioration de la qualité de ces surfaces.

Des programmes spéciaux en faveur des ressources génétiques végétales et animales promeuvent le maintien de la diversité génétique des plantes cultivées et des animaux de rente et ont permis, dans l'ensemble, de freiner la disparition de certaines races et variétés. Aussi, 18 700 races animales et 245 variétés végétales sont désormais considérées comme sauvegardées. Des lacunes subsistent probablement dans le domaine des prestations écosystémiques rendues par la biodiversité. Pour promouvoir cette biodiversité fonctionnelle de manière ciblée, des fondements scientifiques font néanmoins encore défaut.

De manière générale, on observe, depuis le passage au nouveau millénaire, un ralentissement des progrès dans le domaine de la durabilité environnementale. Les émissions globales de l'agriculture demeurent d'ailleurs supérieures au niveau visé20. De plus, la production reste très fortement tributaire des ressources non renouvelables.

Par exemple, près de 0,8 calorie d'énergie directe (principalement des ressources d'énergie fossile) a été utilisée en 2010/12 pour la production d'une calorie alimentaire (nette). Si l'on considère aussi l'énergie indirecte, on obtient une utilisation de près de 2,5 calories par calorie alimentaire produite (l'efficacité énergétique dépasse à peine 40 %). La modification de la LAgr entrée en vigueur au 1er janvier 2014 (Politique agricole 2014­2017) devrait permettre des optimisations dans ce domaine, par exemple grâce à l'introduction d'instruments destinés à promouvoir des systèmes de production durable et à augmenter l'efficience des ressources.

Dimension économique La situation économique permet aux exploitations d'investir en continu. Le taux de
renouvellement du capital s'est par conséquent développé de manière constante au cours des dernières années. On ne peut donc pas parler de perte de substance malgré l'évolution structurelle de l'agriculture.

En raison de la forte protection douanière et du niveau général élevé des coûts en Suisse, les prix indigènes à la production et à la consommation pour les denrées alimentaires sont nettement supérieurs au niveau international. Au cours des années passées, le franc fort a en outre sensiblement contribué à l'écart de prix. Or, si les prix élevés à la production peuvent accroître l'offre à court terme, ils présentent à plus long terme un risque, car ils vont à l'encontre des incitations à suivre l'évolution des marchés internationaux et à améliorer la compétitivité et l'innovation. Si la productivité n'a cessé de s'améliorer ces 20 dernières années (augmentation de la

20

Cf. à ce sujet Politique agricole 2014­2017, FF 2012 1857 1885 ss et Rapport agricole 2013; p. 127 disponible sous: www.blw.admin.ch > Documentation > Publications.

5285

productivité au travail de près de 2 % par année), elle n'en demeure pas moins faible par rapport à ce que l'on observe dans les régions transfrontalières comparables21.

Domaine social Dans l'agriculture, le revenu du travail est certes inférieur aux salaires tirés des autres activités économiques. Mais l'écart s'est resserré, car le revenu moyen dans l'agriculture a davantage progressé ces dernières années que le niveau des salaires du reste de la population. Si entre 1995/97 le revenu du travail par unité de main d'oeuvre familiale était inférieur d'environ 50 % par rapport au salaire de référence, entre 2011/13, la différence s'est estompée et ne se monte plus qu'à 35 %. Dans son message du 26 juin 1996 sur la Politique agricole 200222, le Conseil fédéral avait fixé comme objectif, en lien avec l'art. 5 LAgr, que la part des exploitations qui gagnent un revenu comparable devait pouvoir être maintenue à l'avenir. Ce taux s'élevait autrefois (moyenne des années 1995/97) à 11 % et est passé aujourd'hui à 23 %. Cette évolution positive est en partie attribuable aux taux d'intérêts bas de ces dernières années. Il faut en outre retenir que le coût de la vie des ménages agricoles est plus faible en raison des particularités des exploitations agricoles. S'agissant du logement par exemple, les coûts sont de moitié inférieurs à des ménages comparables de communes rurales.

2.6

Les défis à relever

Dimension internationale Au niveau mondial, les principaux défis de demain consistent à maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande et à optimiser la répartition des denrées alimentaires. A cet égard, des efforts particuliers seront nécessaires tant du côté de l'offre que de celui de la demande. Il est capital de réduire le gaspillage des aliments23 et de développer une gestion des denrées alimentaires préservant les ressources afin d'atténuer les effets de la hausse de la demande. Dans le domaine de l'offre, il s'agit d'accroître la quantité et la qualité des denrées alimentaires par de nouveaux gains de productivité, tout en utilisant de façon plus efficiente les ressources naturelles telles que le sol et l'eau, sans mettre à mal la biodiversité. Il convient d'améliorer dans de nombreux pays les infrastructures et les conditions-cadre politiques pour les investissements dans une agriculture durable et dans le progrès technique. Concernant la répartition, il est essentiel de suivre d'autres pistes, c'est-à-dire garantir le fonctionnement des échanges entre les régions et, plus généralement, des mesures visant à améliorer le pouvoir d'achat des catégories les plus démunies de la population.

21

22 23

Schmid D. (2009): Schweiz ­ Baden-Württemberg: ein Produktivitätsvergleich. Agrarforschung, 16(4), p. 118 à 123; Gazzarin C., Kohler M. et Flaten (O) 2014: Exploitations laitières: pourquoi la Suisse produit-elle plus cher que la Norvège? Recherche agronomique Suisse 5(6), p. 245 à 255.

FF 1996 IV 1 Par gaspillage alimentaire, on entend tous les aliments destinés à la consommation humaine qui sont perdus ou jetés tout au long de la chaîne de création de valeur et dans la consommation (ménages privés et cuisines professionnelles). Certaines définitions font la distinction entre pertes alimentaires et gaspillage alimentaire. Les pertes alimentaires se réfèrent aux pertes occasionnées dans l'agriculture et la transformation, alors que le gaspillage alimentaire se réfère aux aliments éliminés par le commerce et les consommateurs.

5286

Dimension nationale Compte tenu de l'évolution démographique, la hausse de la demande de denrées alimentaires devrait se poursuivre ces prochaines années. Il faut cependant s'attendre à un tassement consécutif au vieillissement de la population et à la baisse de la consommation individuelle qui s'ensuivra. Parallèlement, la production intérieure devrait s'accroître grâce aux progrès techniques, c'est-à-dire le perfectionnement de la sélection végétale et animale ainsi que l'emploi de technologies plus efficientes24.

Les défis mondiaux jouent un rôle important aussi à l'échelon national. Mais les priorités se présentent différemment. S'agissant de l'offre, l'accent est placé sur la durabilité et non pas sur l'intensification de la production25. La Suisse pratique une agriculture relativement intensive par comparaison avec les autres pays, se situant en partie au-delà de ce que les écosystèmes et les ressources naturelles peuvent supporter (cf. ch.2.5.3). Il faut donc en réduire l'impact sur l'environnement, notamment en améliorant l'efficience de l'utilisation des ressources, pour maintenir à long terme la contribution de la production indigène dans l'approvisionnement du pays. Il s'agit avant tout de pratiquer une agriculture qui tienne compte de la résilience des écosystèmes, soit adaptée aux conditions locales et tire le meilleur parti possible du potentiel de production.

Compte tenu de l'analyse de la situation actuelle (cf. ch. 2.4) et des développements internationaux, il s'agira de relever les défis majeurs suivants dans le contexte de la Suisse pour garantir à l'avenir la sécurité alimentaire26:

24 25 26

1.

conserver les terres agricoles dans leur qualité et leur étendue et réduire notre dépendance à l'égard des ressources non renouvelables;

2.

exploiter de façon optimale le potentiel de production naturel en pratiquant une agriculture adaptée au lieu de production et efficiente dans l'emploi de ses ressources;

3.

améliorer la compétitivité de l'économie agroalimentaire suisse par un allègement des coûts et la création de valeur sur les marchés;

4.

importer suffisamment de denrées alimentaires et de moyens de production agricoles en garantissant l'accès de la Suisse aux marchés agricoles internationaux sur la base d'un large éventail de pays fournisseurs;

5.

préserver les ressources en réduisant le gaspillage alimentaire et en optant pour une alimentation ménageant davantage les ressources.

Cf. à ce sujet Politique agricole 2014­2017, FF 2012 1857 2098 ss.

Buckwell et. al (2014): Sustainable Intensification of European Agriculture. RISE Foundation, Brussels.

Cf. à ce sujet le rapport explicatif sur le contre-projet du Conseil fédéral à l'initiative populaire fédérale «Pour la sécurité alimentaire». Le rapport est disponible sous www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation et d'audition terminées > 2015 > Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche.

5287

3

Buts et contenu

3.1

Buts visés

L'initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire» est née de la préoccupation de ses auteurs qui craignent qu'en raison de la Politique agricole 2014­2017, le ciblage accru des instruments de politique agricole sur la fourniture de prestations d'intérêt public conduise peu à peu à un affaiblissement de l'approvisionnement en denrées alimentaires issues d'une production indigène. L'objectif déclaré de l'initiative est le renforcement de l'approvisionnement en denrées alimentaires issues d'une production indigène diversifiée et durable. Selon le comité d'initiative27, cet objectif doit être atteint en renforçant le secteur agricole et la filière alimentaire et en premier lieu la production suisse, en luttant contre la perte de terres agricoles, en compensant les désavantages de production, en promouvant la qualité, en améliorant l'efficience dans l'utilisation des ressources de même qu'en encourageant et intensifiant l'innovation.

Le comité d'initiative cite plusieurs raisons au lancement de l'initiative. D'une part, les auteurs de l'initiative situent leur préoccupation dans le contexte global de la sécurité alimentaire constatant que «l'approvisionnement mondial des populations en denrées alimentaires est l'un des principaux défis de notre temps». Cela s'explique par l'accroissement continu de la demande (croissance de la population mondiale, évolution des comportements de consommation et pouvoir d'achat) et par des ressources naturelles limitées pour la production. Par ailleurs, il existerait en Suisse plus particulièrement une tendance à affaiblir la production nationale de denrées alimentaires. En fait, les terres agricoles existantes permettraient de satisfaire au moins en partie aux besoins en denrées alimentaires de la Suisse par une production répondant à des critères écologiques et éthologiques élevés. Sans le sol, ressource limitée et infiniment précieuse parce que non renouvelable, l'agriculture ne peut remplir son mandat multifonctionnel. Pour assurer la sécurité alimentaire et la survie alimentaire des futures générations, il convient donc de prendre soin des terres cultivables.

3.2

Dispositif proposé

A l'art. 104a, al. 1, Cst., l'initiative exige de la Confédération des mesures efficaces de renforcement de l'approvisionnement de la population en denrées alimentaires issues d'une production indigène durable et diversifiée. A cet effet, il convient de lutter contre la perte de terres cultivées, y compris des surfaces d'estivage, et des mesures doivent être prises pour mettre en oeuvre une stratégie de qualité. Mises à part les mesures explicitement mentionnées, le terme «notamment» à l'al. 1 signifie qu'en plus des mesures de protection des terres arables et de mise en oeuvre de la stratégie de qualité, d'autres instruments encore sont envisageables pour atteindre les objectifs. Sur son site Internet, le comité d'initiative formule en conséquence d'autres mesures telles le maintien de la protection douanière pour les produits agricoles ou une juste rémunération des prestations non commercialisables.

27

L'adresse du site Internet du comité d'initiative est: www.ernaehrungssicherheit.ch/fr (état au 21 mai 2015).

5288

En vertu de l'art. 104a, al. 2, Cst. la Confédération doit en outre veiller à limiter autant que possible la charge administrative dans l'agriculture et à garantir une sécurité appropriée des investissements. Alors que l'al. 1 exige des mesures concrètes de la part de la Confédération, les exigences formulées à l'al. 2 sont plutôt des exigences d'ordre général touchant à la conception des instruments de la politique agricole.

La disposition transitoire de l'art. 197, ch. 11, Cst. exige en outre du Conseil fédéral que deux ans au plus tard après l'acceptation de l'initiative, il soumette des propositions adéquates de dispositions à l'Assemblée fédérale.

3.3

Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

Il y a lieu de constater, d'une manière générale, que l'initiative ne prévoit pas de compétences supplémentaires pour la Confédération; la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons reste donc essentiellement la même.

Relation avec l'art. 104 Cst.

La disposition constitutionnelle proposée est formulée de manière relativement ouverte au niveau du contenu matériel. Le texte de l'initiative ne contient pas de contradictions de normes impératives par rapport à l'art. 104 Cst. ou à d'autres dispositions constitutionnelles. Conformément à l'art. 104, al. 1, Cst., la Confédération est chargée de veiller à ce que l'agriculture, par une production répondant à la fois aux exigences du développement durable et à celles du marché, contribue substantiellement à la sécurité de l'approvisionnement de la population (let. a), à la conservation des ressources naturelles et à l'entretien du paysage rural (let. b), ainsi qu'à l'occupation décentralisée du territoire (let. c). Par la production, l'agriculture doit contribuer à la fourniture de prestations d'intérêt général (= multifonctionnalité). Le texte de l'initiative reprend, pour l'essentiel, l'aspect de la sécurité de l'approvisionnement inscrit à l'art. 104, al. 1, let. a, Cst. pour mieux le concrétiser.

Le nouvel art. 104a Cst. ne mentionne certes pas explicitement les autres prestations fournies par l'agriculture, mais cela ne suppose pas pour autant qu'elles soient dépréciées par rapport au mandat d'approvisionnement ou que le principe de la multifonctionnalité soit remis en question. Le fait que les auteurs de l'initiative aient laissé l'art. 104 Cst. inchangé confirme d'ailleurs cette interprétation. L'art. 104a Cst. est dès lors pleinement compatible avec le principe en vigueur de la multifonctionnalité.

Al. 1 Le texte de l'initiative se réfère à l'approvisionnement de la population en denrées alimentaires. A l'al. 1, il exige le renforcement de l'approvisionnement en denrées alimentaires issues d'une production indigène durable et diversifiée. L'adjectif «diversifiée» souligne le fait qu'un large éventail de produits est cultivé en Suisse et qu'il est impératif d'éviter la spécialisation sur quelques produits uniquement.

L'adjectif «durable» est déjà utilisé dans l'actuel art. 104, al. 1, Cst. et concrétisé dans la législation
sur l'agriculture. La durabilité s'inscrit au sens large dans trois dimensions, qui sont d'ordre économique, social et écologique.

Le terme «renforce» possède une dimension temporelle. Les auteurs de l'initiative partent du principe qu'il existe aujourd'hui une tendance à affaiblir la production 5289

indigène. Dans ce contexte, il faut comprendre «renforcer» comme une volonté, dans la durée, de ne pas voir la production baisser. Le verbe peut également être mis en lien avec les autres tâches de l'agriculture figurant à l'art. 104 Cst., à savoir que la production agricole doit être renforcée par des mesures de la Confédération en lien avec la conservation des ressources naturelles ou l'entretien du paysage cultivé.

Cependant, interprétée dans le sens d'une exigence de durabilité, l'initiative contient sa propre limite puisqu'elle exclut une extension de la production au détriment de l'environnement. Du point de vue du Conseil fédéral, l'initiative vise d'une manière générale le maintien de la production agricole indigène.

Dans la seconde partie de l'al. 1, la Confédération est chargée de prendre des mesures efficaces afin d'atteindre les objectifs fixés dans la première partie de la phrase. Deux types de mesures sont mis en avant: a.

des mesures contre la perte des terres cultivées, surfaces d'estivage y comprises;

b.

des mesures pour la mise en oeuvre d'une stratégie qualité.

Le «notamment» laisse entendre que d'autres mesures sont envisageables, mais que les aspects décrits de manière explicite doivent toutefois bénéficier d'une priorité particulière.

La disponibilité de terres cultivées en suffisance est une condition impérative pour la production agricole. Or, la Suisse voit sans discontinuer disparaître des terres agricoles en raison du développement du milieu bâti et de l'envahissement de la forêt.

Pour lutter contre la perte des terres cultivées, deux types de mesures sont dès lors placées au premier plan: en premier lieu, des mesures ressortissant de l'aménagement du territoire et, en second lieu, les mesures de politique agricole visant le maintien d'un paysage cultivé ouvert (zones d'estivage incl.) grâce à une exploitation de la plus grande part possible des surfaces.

En Suisse, la production agricole est confrontée à un environnement de coûts élevés et à des conditions climatiques et topographiques difficiles. La qualité des produits revêt d'autant plus d'importance en vue de générer une valeur ajoutée sur le marché.

Cela nécessite une coordination stratégique entre les divers acteurs de la chaîne alimentaire. Etant donné que pour l'orientation commune sur une stratégie qualité, il s'agit de positionnement sur le marché, ce sont les acteurs privés des secteurs agricole et agroalimentaire qui en portent la responsabilité première. Les mesures de la Confédération pour la mise en oeuvre d'une stratégie qualité ne sont susceptibles de soutenir les efforts réalisés au sein de la branche qu'à titre subsidiaire.

Al. 2 A l'al. 2, la Confédération est appelée à veiller à une charge administrative réduite pour l'agriculture. Les aides financières octroyées à l'agriculture par la Confédération impliquent nécessairement un certain degré de charges liées à l'exécution (administration de prestations). Par «basse», il faut comprendre qu'il convient d'ambitionner le meilleur rapport coûts/utilité dans les réglementations étatiques. La notion de «charge administrative» souligne de plus le fait que l'exigence de la charge basse se réfère à l'exécution des réglementations étatiques. La part de la charge générée au sein des exploitations en raison de réglementations de droit privé n'est pas concernée par cette disposition. La Confédération peut éventuellement soulager à titre subsidiaire dans ce domaine, par exemple par une coordination des contrôles. L'al. 2 se limite à l'agriculture; on ne peut donc pas en déduire que la 5290

charge doit être aussi réduite pour les autres acteurs dans le domaine de l'exécution de la politique agricole (par ex. cantons).

Dans la deuxième partie de l'al. 2, la Confédération est chargée de garantir une sécurité appropriée au niveau des investissements et du droit. La sécurité du droit constitue une caractéristique essentielle dans un Etat de droit. La sécurité des investissements est un volet de la sécurité juridique. Celle-ci est garantie lorsque les investissements consentis peuvent être utilisés sur le long terme. Par «adéquate», on entend qu'il ne s'agit pas d'une protection absolue des investissements, mais d'une pesée entre les intérêts privés impliqués et des intérêts publics supérieurs.

4

Appréciation de l'initiative

Les six points principaux du texte de l'initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire», sont évalués ci-après du point de vue matériel et juridique.

4.1

Appréciation des exigences de l'initiative

4.1.1

Sécurité de l'approvisionnement

La sécurité alimentaire selon la définition formulée au ch. 2.3 présente, aujourd'hui déjà, de nombreux points de convergence avec des dispositions constitutionnelles existantes. S'agissant des facteurs accès, utilisation (notamment la sécurité des aliments) et stabilité, il s'agit des articles suivants: ­

Art. 12 et 41 Cst.: droit d'obtenir de l'aide dans des situations de détresse, sécurité sociale et conditions de vie acceptables (accès au plan individuel);

­

Art. 118 Cst.: dispositions sur l'utilisation des denrées alimentaires en vue de la protection de la santé (utilisation ou sécurité des aliments);

­

Art. 102 Cst.: approvisionnement en biens et en services d'importance vitale pendant les situations de crise (stabilité). Pour atteindre cela, les instruments de l'approvisionnement économique du pays comprennent, outre l'orientation de l'offre (par ex. réserves obligatoires) et de la demande (par ex. contingentement), également des mesures appropriées pour garantir des transports vitaux ainsi que les infrastructures d'information et de communication.

Ces mesures permettent d'accroître la résilience de la Suisse dans le domaine de l'approvisionnement alimentaire.

En ce qui concerne la disponibilité des produits alimentaires, l'art. 104 Cst. prévoit une contribution de la production indigène à des fins de sécurité de l'approvisionnement (cf. ch. 4.1.2). L'importation de produits agricoles et de denrées alimentaires est implicitement réglée par les dispositions générales sur la liberté économique (art. 94 Cst.), sur la politique économique extérieure (art. 101 Cst.) et sur la négociation de traités internationaux (art. 54 Cst.). Il n'existe en revanche aucune disposition qui regroupe les différents aspects et les défis de la sécurité alimentaire pour les restituer dans un concept cohérent.

L'initiative permet certes d'introduire le concept de sécurité alimentaire au niveau constitutionnel, mais en raison du fait qu'elle se focalise explicitement sur la produc-

5291

tion indigène, elle aurait pour effet d'inscrire une disposition très unilatérale et déséquilibrée dans la Constitution.

4.1.2

Renforcement de l'approvisionnement en denrées alimentaires par une production indigène variée et durable

La Cst. offre actuellement à la Confédération, à l'art. 104, une solide base pour assurer une contribution importante à la sécurité de l'approvisionnement de la population par la production agricole en Suisse. L'objectif formulé par les auteurs de l'initiative, qui vise à renforcer la production indigène, est ainsi déjà contenu dans l'art. 104, al. 1, let. a.

Au niveau de la loi, les dispositions actuelles, notamment celles de la LAgr, offrent déjà une base étendue pour renforcer la production indigène. Les mesures poursuivant explicitement cet objectif sont d'une part les instruments d'encouragement de la production et des ventes figurant sous le deuxième titre de la LAgr (protection douanière, contributions pour le soutien du marché, contributions à des cultures particulières et promotion des ventes), et d'autre part les nouvelles contributions à la sécurité de l'approvisionnement selon l'art. 72 LAgr qui ont été introduites avec la politique agricole 2014­2017. En 2014, l'agriculture suisse a bénéficié d'un soutien à hauteur de près de 3,8 milliards de francs par le biais de ces instruments. Comme la diversité des mesures et le niveau de soutien dans ce domaine sont importants, le Conseil fédéral s'est engagé au cours des étapes de réforme précédentes pour un redimensionnement de l'instrumentaire et s'est prononcé à plusieurs reprises en faveur d'une réduction des droits de douane et d'un rapprochement plus fort avec les marchés internationaux.

4.1.3

Lutte contre la perte de terres agricoles

L'art. 75, al. 1, Cst. prévoit que la Confédération fixe les principes applicables à l'aménagement du territoire. Celui-ci incombe principalement aux cantons et sert une utilisation judicieuse et mesurée du sol et une occupation rationnelle du territoire. La protection des terres cultivées n'est certes pas explicitement mentionnée à l'art. 75, al. 1, Cst., mais cette notion comprend implicitement l'utilisation judicieuse et mesurée du sol. Alors que les compétences relatives à l'aménagement du territoire reviennent aujourd'hui principalement aux cantons, l'acceptation de l'initiative renforcerait le rôle de la Confédération dans la protection des terres cultivées.

L'art. 104, al. 1, let. b, Cst. couvre déjà actuellement la lutte contre l'avancée de la forêt (maintien d'un paysage cultivé ouvert).

L'art. 3 de la loi du 22 juin 1979 sur l'aménagement du territoire (LAT)28 impose de réserver à l'agriculture «suffisamment de bonnes terres cultivables». Cet objectif est concrétisé dans la LAT par une séparation entre les zones constructibles et non constructibles du territoire et par la possibilité de créer des zones agricoles et des zones de protection. La modification de la LAT du 15 juin 201229 (première étape de 28 29

RS 700 RO 2014 899

5292

la révision), qui a été acceptée par le peuple lors de la votation du 3 mars 2013, a permis de trouver une première solution à la problématique des zones à bâtir trop grandes dans certains cantons et communes, ce qui a pour conséquence que les bâtiments sont souvent construits loin du centre des localités. Cette révision freine les pertes de surfaces et la spéculation foncière: les zones à bâtir surdimensionnées sont réduites, les réserves existantes de zones à bâtir et de zones d'affectation situées dans les zones déjà construites sont mieux exploitées.

La protection renforcée des terres cultivées et, en particulier, des surfaces d'assolement (SDA) figurait dans le dossier de consultation relatif à la deuxième étape de révision de la LAT. En principe il est proposé d'introduire une compensation obligatoire pour toutes les surfaces SDA. La procédure de consultation relative à la deuxième étape s'est étendue du 5 décembre 2014 au 15 mai 201530. Au cours du second semestre 2015, le Conseil fédéral décidera de la marche à suivre.

La révision totale de la loi du 8 octobre 1982 sur l'approvisionnement du pays (LAP)31 étaye également les mesures en matière d'aménagement du territoire pour protéger les surfaces d'assolement. Le message du 3 septembre 2014 concernant la révision totale de la LAP prévoit une disposition qui fixe l'importance de réserver à l'agriculture suffisamment de bonnes terres, en particulier des surfaces d'assolement, pour le plan alimentaire en cas de crise32. Cela permet ainsi d'assurer un approvisionnement suffisant en denrées alimentaires du pays en cas de pénurie grave. La relation entre la protection des terres cultivées et la thématique de la stabilité de la sécurité alimentaire est ainsi clarifiée. La révision totale de la LAP est actuellement débattue au Parlement. Le 18 mars 2015, le Conseil des Etats a adopté le projet à l'unanimité.

Dans le cadre de la Politique agricole 2014­2017, les mesures de protection des terres agricoles et de maintien d'un paysage cultivé ouvert ont été développées de manière ciblée. C'est ainsi qu'un droit de recours a été introduit pour l'Office fédéral de l'agriculture contre des décisions portant sur des projets qui requièrent des surfaces d'assolement. En outre, plus aucun paiement direct n'est versé pour les nouvelles surfaces classées en
zones à bâtir. En ce qui concerne le maintien d'un paysage cultivé ouvert, on dispose de nouveaux instruments tels la contribution pour surfaces en forte pente, la contribution de mise à l'alpage et la contribution pour les surfaces herbagères et les surfaces à litière riches en espèces de la région d'estivage.

D'autre part, les mesures en faveur du maintien d'un paysage cultivé ouvert, notamment dans la zone d'estivage, ont été étoffées de manière substantielle et les moyens qui y sont affectés augmentés.

4.1.4

Mise en oeuvre d'une stratégie qualité

Il est nécessaire de renforcer le positionnement des denrées alimentaires suisses au moyen de la qualité pour générer une plus-value optimale à tous les échelons de la chaîne alimentaire. Par «qualité», on entend des caractéristiques du produit qui vont 30

31 32

Les documents relatifs à la consultation sont disponibles sous www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation et d'audition terminées > 2015 > Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication.

RS 531 FF 2014 6859 6887 s.

5293

au-delà de la garantie de la sécurité des aliments. Dans cet objectif, des acteurs du secteur agricole et de la filière alimentaire se sont mis d'accord sur une stratégie qualité commune et ont signé en 2012 la charte qui les engage à en respecter les principes33. Les éléments clé de cette stratégie sont le leadership en matière de qualité, le partenariat pour la qualité et l'offensive sur le marché.

La mise en oeuvre de la stratégie qualité incombe en premier lieu aux acteurs du secteur privé. La Confédération n'assume qu'un rôle subsidiaire (cf. art. 104, al. 2, Cst.). Sur la base de l'art. 104, al. 1 et 3, let. c, la Confédération a aujourd'hui déjà la possibilité de soutenir les acteurs dans leurs efforts pour mettre en oeuvre une stratégie qualité.

L'art. 2, al. 3, LAgr entré en vigueur le 1er janvier 2014 inscrit la notion de «stratégie qualité» dans la loi. Grâce aux instruments de la promotion des ventes (art. 12 LAgr) et de la désignation (art. 14 à 16 LAgr), les efforts réalisés par la branche peuvent être soutenus à titre subsidiaire. En outre, grâce au nouvel art. 11 LAgr, on dispose désormais d'un instrument supplémentaire pour soutenir à titre subsidiaire les efforts de la filière dans ce domaine. Etant donné que la mise en oeuvre de la stratégie qualité vient seulement de commencer, il est pour le moment impossible de se prononcer sur l'efficacité de cet instrument.

4.1.5

Réduction de la charge administrative

La densité réglementaire dans l'agriculture a augmenté au cours des dernières années, non seulement en raison des dispositions de droit public, mais également en raison des dispositions de droit privé. Cette évolution s'explique par divers facteurs: exigences croissantes en matière de sécurité de la production alimentaire du point de vue de la protection de la santé et de l'environnement (par ex. charges imposées dans le domaine du droit des denrées alimentaires et du droit de la protection des eaux), exigence sociétale d'un élevage respectueux des espèces (règles plus strictes de protection des animaux) ou d'une utilisation plus efficiente des paiements directs.

Au moyen de ces derniers, la Confédération encourage la fourniture par l'agriculture de prestations d'intérêt public. A l'échelon de l'exploitation, les prestations sont le plus souvent formulées en tant qu'exigences touchant au mode d'exploitation (par ex. charge minimale en bétail ou part minimale de surfaces de promotion de la biodiversité). La charge administrative importante s'explique par le fait que l'observation de ces exigences relatives au mode d'exploitation doit être attestée, documentée et contrôlée. Le fait que les acteurs du marché veulent positionner plus clairement leurs produits au moyen de certifications ou de labels de droit privé occasionne en retour un surcroît de travail. Une importance croissante est en outre accordée à la traçabilité des produits. Elle est aujourd'hui un instrument central dans la lutte contre les épizooties et elle d'une manière générale importante pour des raisons de sécurité alimentaire. De plus, elle permet de mieux répondre au souhait de transparence de la part des consommateurs en ce qui concerne l'origine régionale des produits. Garantir la traçabilité suppose toutefois une documentation correspondante. Si une certaine charge de travail est indispensable, elle ne devrait néanmoins pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs mentionnés.

33

La charte est disponible sous www.qualitaetsstrategie.ch/fr.

5294

L'exigence d'une charge administrative réduite est déjà couverte par l'art. 5, al. 2, Cst. Le principe de proportionnalité inscrit dans la Constitution exige ainsi qu'en présence de plusieurs alternatives toutes compatibles avec la défense des intérêts publics, la préférence soit toujours donnée aux mesures les moins radicales. La réduction de la charge administrative est en outre une directive valable pour l'ensemble de la législation et ne doit pas exclusivement se rapporter à l'agriculture.

Une réglementation de rang constitutionnel concernant la réduction de la charge administrative n'est dès lors pas appropriée.

En réponse au postulat Knecht34, le Conseil fédéral a annoncé son intention d'examiner les bases légales du point de vue de la charge administrative imposée, ceci dans le cadre d'un état des lieux avant la poursuite du développement de la politique agricole. Cet examen portera sur l'adéquation, la nécessité et l'admissibilité des prescriptions, avec une attention particulière accordée à la charge administrative et à la charge en ressources humaines. Il sera également examiné de quelle façon les prescriptions sont régulées. La réduction de la charge administrative constituera un élément important du développement de la politique agricole après 2017 (cf. ch. 2.1).

4.1.6

Garantie de la sécurité du droit et des investissements

La garantie de la sécurité du droit est ancrée dans le principe de la légalité (art. 5, al. 1, Cst.). La notion de sécurité des investissements n'est pas définie au niveau constitutionnel, mais peut être déduite implicitement en rapport avec la sécurité du droit. La sécurité du droit et des investissements est en lien étroit avec la protection de la confiance. La législation doit être conçue de sorte à ne pas mettre en danger la confiance des particuliers en une base légale donnée, laquelle est digne de protection. Grâce à la protection de la confiance, les modifications du droit ne sont pas fondamentalement remises en question. De plus, en raison du principe de démocratie, l'ordre juridique peut être modifié à tout moment.

Il est essentiel que les modifications de la situation juridique soient prévisibles et que, le cas échéant, des réglementations de transition soient décidées. Actuellement, le développement de la politique agricole tient compte de manière appropriée de ces deux aspects. En raison de la mise en oeuvre du changement de système des paiements directs sur une période de huit ans35 et de la renonciation volontaire à une révision législative pendant la période 2018­2021 (cf. ch. 2.1), une grande sécurité d'investissement est garantie aux agriculteurs.

4.2

Conséquences en cas d'acceptation de l'initiative

Formulée de façon relativement ouverte dans son contenu matériel, l'initiative ne prévoit pas de compétences supplémentaires pour la Confédération. Il a en outre été démontré au ch. 4.1 que les exigences de l'initiative sont déjà largement couvertes 34 35

Postulat Knecht 14.3514: «Politique agricole 2018­2021. Plan visant à réduire l'excès de bureaucratie et les effectifs dans l'administration».

Cf. à ce sujet Politique agricole 2014­2017, FF 2012 1857 2012 s.

5295

par la législation en vigueur. Dans ce contexte, l'acceptation de l'initiative n'impliquerait donc aucune nécessité matérielle d'adapter les bases légales (cf. ch. 3.3). Etant donné que la productivité de l'agriculture suisse continuera de progresser et qu'on peut supposer qu'à long terme les prix resteront au moins stables sur les marchés internationaux, elle n'entraînerait pas non plus un besoin accru de soutien de l'agriculture.

4.3

Avantages et inconvénients

L'initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire» reprend un thème de société majeur. Garantir la sécurité alimentaire à l'échelle globale représente un grand défi résultant en premier chef des changements des conditions-cadre telles la croissance démographique et la raréfaction des ressources naturelles. La Suisse aussi se voit confrontée à divers défis dans le contexte de cette thématique (cf. ch. 2.6). L'initiative en aborde quelques-uns comme la protection des terres cultivées et la nécessité d'une production durable et thématise le renforcement de la compétitivité tout en demandant des mesures de mise en oeuvre de la stratégie de qualité. Le fait que l'initiative ne remette pas en question l'art. 104 Cst.36, qui bénéficie d'un large consensus politique, et notamment le principe de la multifonctionnalité qu'il renferme est en soit une démarche positive.

L'initiative est basée sur l'hypothèse qu'il existe en Suisse une tendance à affaiblir la production agricole nationale, cette dernière ne repose toutefois sur aucune base empirique. Conformément à l'art. 104, al. 1, let. a, Cst., on attend toujours de l'agriculture suisse qu'elle contribue substantiellement à la sécurité de l'approvisionnement de la population. Le Conseil fédéral et le Parlement se sont prononcés à plusieurs reprises en faveur du maintien de la production agricole en Suisse et ont défini des objectifs correspondants37. Comme par le passé, 3,8 milliards de francs sont investis chaque année dans les mesures de politique agricole visant la promotion de la production et des ventes et la sécurité de l'approvisionnement (cf. ch. 4.1.2). Ces dernières années, la production agricole n'a cessé de croître pour atteindre un niveau record en moyenne des années 2012/14. Jusqu'à présent, les objectifs fixés par le Parlement et le Conseil fédéral concernant la production indigène ont été atteints. De plus, aucun élément n'indique qu'elle ne continuera pas à se développer positivement aussi à l'avenir dans le respect des exigences écologiques.

Du point de vue du Conseil fédéral, il n'existe aucun besoin matériel de légiférer dans ce domaine.

En tout état de cause, la protection des terres cultivées est une préoccupation sociopolitique ainsi qu'un objectif de la Confédération, qui est poursuivi avec les instruments de l'aménagement du
territoire. L'art. 75 Cst. offre une base suffisante à cet égard. Le législateur a récemment consolidé l'instrumentaire en ce sens qu'il a décidé que les zones à bâtir surdimensionnées devaient être réduites et que les réserves existantes de zones à bâtir et de zones d'affectation situées dans des zones 36

37

Cf. Brandenberg A. et al. (2007): Was erwartet die Schweizer Bevölkerung von der Landwirtschaft? 4hm AG et Uni St. Gallen, Saint-Gall. L'enquête a été répétée en 2015.

Ses résultats seront probablement publiés au courant de l'année (Brandenberg A. et al.: Was erwartet die Schweizer Bevölkerung von der Landwirtschaft? 4hm AG? Hochschule Luzern, Lucerne.

Cf. FF 2012 1857 1883 1932 s.

5296

déjà construites devaient être mieux utilisées. Le Conseil fédéral prévoit de renforcer encore plus la protection des terres cultivées au moyen des instruments de l'aménagement du territoire.

Partielle puisqu'axée uniquement sur la production indigène, l'initiative occulte d'autres aspects revêtant également une grande importance pour la garantie de la sécurité alimentaire, par exemple la compétitivité tout au long de la chaîne de création de valeur, l'accès aux marchés agricoles internationaux et une gestion des denrées alimentaires préservant les ressources naturelles. Du fait qu'elle ignore ces liens de causalité, accepter l'initiative reviendrait à inscrire dans la Constitution une disposition unilatérale et déséquilibrée sous le titre «Sécurité alimentaire».

Les autres exigences formulées par les auteurs de l'initiative sont déjà largement couvertes par plusieurs principes constitutionnels (cf. ch. 4.1). Aussi, les mesures contre la perte des surfaces d'estivage et celles pour la mise en oeuvre d'une stratégie qualité sont déjà ancrées à l'art. 104 Cst. Le fait de réduire autant que possible la charge administrative et de garantir la sécurité du droit et la sécurité des investissements constituent des principes généraux du droit (art. 5 Cst.). Il n'existe dès lors aucune nécessité de compléter la Constitution fédérale. La durabilité de la production, le maintien des surfaces d'estivage, le soutien d'une stratégie qualité et la réduction de la charge administrative font en outre partie de processus législatifs récemment achevés ou encore en cours. Dans le cadre de la Politique agricole 2014­ 2017, le Parlement a décidé d'orienter davantage le système des paiements directs sur les objectifs figurant à l'art. 104 Cst. et de consolider de manière ciblée les mesures dans les domaines de la conservation des ressources naturelles et de l'entretien du paysage rural. L'introduction de contributions au système de production et à l'efficience des ressources permet de renforcer les synergies entre l'écologie et la production avec pour conséquence une utilisation durable des ressources naturelles. Grâce aux contributions au paysage cultivé, le maintien d'un paysage ouvert dans les zones d'estivage est plus fortement soutenu. Les mesures pour augmenter la valeur ajoutée et soutenir la stratégie qualité
sont également étoffées. De plus, le Conseil fédéral a l'intention, dans le cadre de la prochaine période quadriennale 2018­2021, de mettre un accent particulier sur la réduction de la charge administrative et sur la garantie de la sécurité des investissements.

4.4

Compatibilité avec les obligations internationales

En ce qui concerne les engagements internationaux dans les domaines de la production, de la commercialisation et de l'étiquetage des denrées alimentaires, il s'agit principalement de ceux contractés par la Suisse en relation avec l'Accord du 15 avril 1994 instituant l'Organisation mondiale du commerce38. Il faut en outre prendre en compte les engagements vis-à-vis de l'UE dans le cadre des accords bilatéraux et les accords de libre-échange avec des pays tiers.

Eu égard au droit de l'OMC, l'accord sur l'agriculture (accord OMC sur l'agriculture)39 revêt une importance majeure. Il convient cependant aussi de respecter les principes fondamentaux du commerce international des marchandises tels qu'ils sont énoncés dans l'Accord général du 30 octobre 1947 sur les tarifs douaniers et le 38 39

RS 0.632.20 RS 0.632.20, annexe 1A.3

5297

commerce (GATT)40. Dans le cadre de l'accord OMC sur l'agriculture, la Suisse a contracté des engagements concernant l'accès aux marchés qu'elle a consignés dans des listes d'engagements. Le régime d'importation, avec droits de douane et contingents, résultant de ces engagements permet d'importer tous les produits agricoles en quantités suffisantes. La Suisse est du reste libre de fixer le droit de douane effectivement appliqué à un niveau inférieur à celui du taux du droit de douane consolidé et d'augmenter le volume des contingents effectivement libérés au-delà de la quantité minimale fixée dans la liste d'engagements. A cet égard, il faut noter que le régime d'importation appliqué par la Suisse doit bénéficier sans distinction à tous les Etats membres de l'OMC. L'accord OMC sur l'agriculture impose également des obligations à la Suisse en ce qui concerne le soutien interne à l'agriculture et la concurrence à l'exportation. Il existe ainsi des obligations relatives à la mesure globale du soutien total dans le cas de mesures spécifiques aux produits ou de mesures ayant un effet de distorsion sur le commerce, et des restrictions budgétaires portant sur le subventionnement des exportations agricoles.

L'Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne relatif aux échanges de produits agricoles (accord agricole)41 couvre certaines denrées alimentaires et certains moyens de production (entre autres les produits issus de l'agriculture biologique, les aliments pour animaux, les semences, les produits d'origine animale) et garantit sur la base de l'équivalence des normes de production l'accès réciproque simplifié au marché pour ces produits agricoles.

Conformément à l'art. 14, al. 2, de l'accord agricole, les parties contractantes s'abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l'accord. L'introduction de réglementations d'importation spécifiques pour des produits agricoles et denrées alimentaires qui s'écartent des prescriptions européennes pourrait ne pas être conforme au principe d'équivalence fixé dans l'accord agricole (annexes 5, 6, 9 et 11). Cela irait à l'encontre de l'accès réciproque au marché accordé de part et d'autre pour les groupes de produits couverts par l'accord.

Les produits agricoles transformés relèvent
du champ d'application de l'Accord du 22 juillet 1972 entre la Confédération suisse et la Communauté économique européenne (accord de libre-échange, ALE)42. Dans le cadre de son champ d'application, l'ALE interdit, outre l'introduction de nouveaux droits de douane à l'importation et à l'exportation et de mesures d'effet équivalant à des droits de douane, également l'introduction de nouvelles restrictions quantitatives ou de mesures d'effet équivalent.

Le texte de l'initiative n'est pas en contradiction directe avec les engagements internationaux de la Suisse et la marge de manoeuvre pour conclure des accords internationaux n'est en principe pas restreinte. La relation avec les obligations internationales dépendra toutefois considérablement de la transposition à l'échelon de la loi. En cas d'acceptation, la mise en oeuvre de l'initiative serait réalisée dans le respect des engagements de droit international contractés par la Suisse afin qu'elle puisse préserver, dans l'intérêt de l'économie dans son ensemble, sa marge de manoeuvre en matière de politique extérieure.

40 41 42

RS 0.632.21 RS 0.916.026.81 RS 0.632.401

5298

4.5

Examen d'un contre-projet direct

Dans un premier temps, le Conseil fédéral avait prévu d'opposer un contre-projet direct à l'initiative afin d'inscrire dans la Constitution le concept de la sécurité alimentaire et d'améliorer la cohérence entre les différents domaines politiques concernés pour proposer ainsi un concept global qui prenne en compte les défis de demain présentés au ch. 2.6 de manière exhaustive et équilibrée. Il avait proposé d'ajouter un nouvel art. 102a (Sécurité alimentaire) à la Constitution qui aurait chargé la Confédération de créer les conditions-cadre afin d'assurer l'approvisionnement de la population en denrées alimentaires qui soutiennent la durabilité et favorisent: a.

la préservation des bases de la production agricole, notamment des terres agricoles;

b.

une production de denrées alimentaires adaptée aux conditions locales et utilisant les ressources naturelles de manière efficiente;

c.

une agriculture et un secteur agroalimentaire compétitifs;

d.

l'accès aux marchés agricoles internationaux;

e.

une gestion des denrées alimentaires qui préserve les ressources naturelles.

Une consultation relative au contre-projet direct a été menée du 14 janvier au 14 avril 201543. Elle a montré que la majorité des participants soutient certes le concept global proposé par le Conseil fédéral dans son contenu, mais de nombreux milieux jugent qu'il est superflu de l'ancrer au niveau constitutionnel, notamment au motif que la Constitution actuelle forme une base suffisante pour mettre en oeuvre le concept du Conseil fédéral44. Ce dernier peut se rallier à cette conclusion. C'est pourquoi il renonce à opposer un contre-projet direct à l'initiative «Pour la sécurité alimentaire». Mais il se fondera sur le concept en question dans la poursuite de la politique agricole.

5

Conclusions

Garantir la sécurité alimentaire dans le monde représente un grand défi et la Suisse aussi se voit confrontée à divers défis dans le contexte de cette thématique. C'est pourquoi le Conseil fédéral partage l'avis des auteurs de l'initiative, à savoir que la sécurité alimentaire revêt une grande importance tant à l'échelle mondiale que nationale. Il estime en outre que le recul constant des terres agricoles va à l'encontre d'un développement durable, voire qu'il réduit, sur le long terme, les perspectives de production de denrées alimentaires en Suisse.

Formulée de manière relativement ouverte au niveau de son contenu matériel, la disposition constitutionnelle proposée est compatible avec la base constitutionnelle 43

44

Les documents relatifs à la consultation sont disponibles sous www.admin.ch > Droit fédéral> Procédures de consultation > Procédures de consultation et d'audition terminées > 2015 > Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche.

Rapport rendant compte des résultats de la consultation sur le contre-projet direct du Conseil fédéral à l'initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire» du 24 juin 2015.

Le rapport est disponible sous www.admin.ch > Droit fédéral> Procédures de consultation > Procédures de consultation et d'audition terminées > 2015 > Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche.

5299

en vigueur et les obligations internationales pertinentes de la Suisse. L'initiative ne remet pas en question le principe de la multifonctionnalité de l'agriculture inscrit à l'art. 104 Cst. qui reste stratégiquement important dans la perspective du développement futur de la politique agricole.

Le Conseil fédéral rejette toutefois l'initiative pour les motifs suivants: l'actuel art. 104 Cst. jouit toujours d'un large consensus politique. Il offre une solide base pour que la production agricole en Suisse puisse contribuer substantiellement à la sécurité de l'approvisionnement de la population et fournir en parallèle d'autres prestations au profit de la société.

Le niveau de sécurité alimentaire de la Suisse est très élevé: les denrées alimentaires sont disponibles en permanence en quantités suffisantes, d'une très grande qualité sanitaire et le consommateur a la possibilité d'acquérir ces produits alimentaires. En outre, la Suisse réunit les meilleures conditions pour relever les défis à venir et pour que la sécurité alimentaire soit garantie également à l'avenir.

L'objectif de l'initiative est le renforcement de la production indigène. Ses auteurs se fondent sur l'hypothèse que la politique agricole actuelle favorise en Suisse un affaiblissement de la production indigène. Or, ce n'est pas le cas. Comme par le passé, on attend de l'agriculture suisse qu'elle contribue substantiellement à la sécurité de l'approvisionnement de la population (cf. art. 104 Cst.) et la Confédération apporte chaque année un soutien de l'ordre de 3,8 milliards de francs par le biais des instruments de politique agricole. Ces dernières années, la production agricole suisse a globalement augmenté pour atteindre un niveau record, en moyenne des trois dernières années. Du point de vue du Conseil fédéral, il n'existe dès lors aucun besoin matériel de légiférer dans ce domaine. En matière de sécurité alimentaire, il juge que des interventions s'avèrent nécessaires non pas au niveau du volume de production, mais de celui de l'amélioration de la durabilité. Il s'agit non seulement de protéger les terres cultivées, mais aussi d'accroître la compétitivité de la filière et de promouvoir une utilisation des denrées alimentaires préservant les ressources naturelles.

En tout état de cause, la protection des terres cultivées est une
préoccupation sociopolitique ainsi qu'un objectif de la Confédération, qui est déjà suffisamment couvert par l'art. 75 Cst. Le législateur a amélioré la protection des terres cultivées dans le cadre de la première étape de la révision de la loi sur l'aménagement du territoire adoptée récemment et le Conseil fédéral a l'intention de la renforcer encore au moyen des instruments de l'aménagement du territoire.

La sécurité de l'approvisionnement ne saurait être garantie uniquement par une focalisation sur la production indigène, ainsi que le suggère l'initiative. Celle-ci est en effet tributaire aussi des secteurs en amont et en aval et de la façon dont les consommateurs utilisent les denrées alimentaires. De plus, l'accès de la Suisse aux marchés agricoles internationaux est déterminant pour le secteur agricole national et pour la sécurité de l'approvisionnement, tant sur le plan des importations que des exportations. Du fait que l'initiative ignore ces divers liens de causalité, elle est unilatérale et déséquilibrée.

Les autres exigences formulées par l'initiative (maintien des surfaces d'estivage, mise en oeuvre d'une stratégie de qualité, réduction de la charge administrative, sécurité du droit et sécurité des investissements) sont déjà ancrées dans divers principes constitutionnels, notamment à l'art. 5 (Principes de l'activité de l'Etat régis par le droit) et 104 (Agriculture). De plus, la Constitution attribue aujourd'hui déjà à la 5300

Confédération la compétence d'édicter des réglementations correspondantes. Dans ces domaines non plus, il n'est nul besoin de compléter la Constitution. Par ailleurs, la Politique agricole 2014­2017 soutient de manière ciblée et systématique plusieurs de ces objectifs (par ex. surfaces d'estivage).

Dans un premier temps, le Conseil fédéral avait envisagé d'inscrire explicitement le thème de la sécurité alimentaire dans la Constitution et d'opposer à l'initiative un nouvel art. 102a Cst. en guise de contre-projet direct, ce qui permettait à la fois de renforcer la cohérence entre les divers domaines politiques concernés et de proposer un concept global équilibré et exhaustif. Si le concept a été majoritairement soutenu au plan du contenu dans le cadre de la consultation, de nombreux milieux ont jugé qu'il est superflu de l'ancrer dans un nouvel article constitutionnel. La majorité des participants à la consultation est d'avis que la Constitution permet aujourd'hui déjà de mettre en oeuvre le concept proposé. C'est pourquoi le Conseil fédéral renonce à opposer un contre-projet direct à l'initiative populaire pour la sécurité alimentaire.

Mais il se fondera sur le concept en question dans la poursuite de la politique agricole et dans les domaines politiques pertinents.

Le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Pour la sécurité alimentaire» sans lui opposer de contre-projet direct ou indirect en leur recommandant de la rejeter.

5301

5302