40 ans d'adhésion de la Suisse à la CEDH: Bilan et perspectives Rapport du Conseil fédéral en exécution du postulat Stöckli 13.4187 du 12 décembre 2013 du 19 novembre 2014

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, En exécution du postulat Stöckli du 12 décembre 2013 (13.4187 «40 ans d'adhésion de la Suisse à la CEDH. Bilan et perspectives»), nous vous soumettons le présent rapport.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

19 novembre 2014

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Didier Burkhalter La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2014-2519

353

Condensé Le 28 novembre 2014 marquera le quarantième anniversaire de la ratification de la convention européenne des droits de l'homme (CEDH) par la Suisse. Au fil de ces quatre décennies, la convention est devenue partie intégrante de l'ordre juridique suisse. Elle a influencé de multiples façons tant la législation que la pratique. Le catalogue des droits protégés, de même que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (Cour) et le système de contrôle des organes de la CEDH ont évolué en parallèle.

Le Conseil fédéral présente le présent rapport en réponse au postulat Stöckli du 12 décembre 2013 (13.4187 «40 ans d'adhésion de la Suisse à la CEDH. Bilan et perspectives»), dont la teneur est la suivante: «Le Conseil fédéral est chargé d'établir, à temps pour la commémoration des 40 ans de notre adhésion à la convention européenne des droits de l'homme (CEDH), un rapport substantiel sur les expériences et les perspectives de la Suisse en relation avec la CEDH, ses mécanismes de contrôle et la Cour européenne des droits de l'homme.

Le rapport portera notamment sur: 1.

les circonstances de l'adhésion de la Suisse à la CEDH et de l'approbation de son protocole additionnel; le rapport précisera également si la CEDH devrait être soumise au référendum a posteriori;

2.

l'influence et la portée de la CEDH, en particulier de son développement et des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, sur la société et la politique suisses, sur la législation et la jurisprudence des cantons et de la Confédération et sur la doctrine et la recherche;

3.

les effets de l'adhésion de la Suisse et l'influence de celle-ci sur la CEDH et la Cour européenne des droits de l'homme;

4.

la manière de procéder pour dénoncer la convention, les conséquences d'une dénonciation, la possibilité d'une réadhésion moyennant la formulation de réserves;

5.

les perspectives concernant les relations de la Suisse avec la CEDH, la Cour européenne de droits de l'homme et les organes de celle-ci, ainsi que les adaptations matérielles et structurelles à mettre en oeuvre.»

Le rapport reprend dans les grandes lignes la structure adoptée par le postulat et s'articule en sept parties: ­

une introduction qui rappelle les principales caractéristiques de la CEDH et du système de contrôle de Strasbourg;

­

des explications sur les circonstances qui ont entouré l'adhésion de la Suisse en 1974;

354

­

une récapitulation des développements intervenus depuis, qui concernent notre pays, assortie de réflexions portant notamment sur les protocoles additionnels et les protocoles d'amendement à la convention, le retrait des réserves, les interventions parlementaires et l'évolution du nombre de requêtes déposées et terminées;

­

une analyse de l'impact qu'ont eu la CEDH et la jurisprudence de la Cour sur l'ordre juridique suisse, accompagnée d'une récapitulation des critiques, formulées surtout ces derniers temps à l'encontre de «Strasbourg»;

­

quelques pistes de réflexion visant à déterminer l'influence que la Suisse a exercée sur la CEDH et la Cour européenne des droits de l'homme;

­

des explications sur la question de la dénonciation de la CEDH;

­

bilan et perspectives.

Le Conseil fédéral a toujours accordé une grande priorité à la CEDH, à la jurisprudence de la Cour et à l'efficacité du système de contrôle de la CEDH: pour des raisons de politique nationale, du fait que la convention a aussi renforcé et consolidé l'Etat de droit en Suisse; mais aussi pour des raisons de politique extérieure, car il serait mal perçu de rester à l'écart de l'instrument juridique le plus important pour la protection internationale des droits de l'homme. Telle est la position exprimée par le Conseil fédéral il y a déjà plus de 40 ans et elle n'a pas changé depuis.

La CEDH constitue la pierre angulaire d'une communauté européenne de valeurs fondamentales, valeurs que la Suisse défend depuis toujours et qui s'inscrivent dans sa tradition constitutionnelle. Dans ces circonstances, le Conseil fédéral estime qu'une dénonciation de la CEDH n'entre pas en ligne de compte.

Cet attachement à la convention n'empêche pas de poursuivre une réflexion critique sur la jurisprudence de la CEDH, de souligner l'importance du principe de subsidiarité qui est un principe essentiel au bon fonctionnement et à l'acceptation de la Cour et d'oeuvrer, encore et toujours, à la mise en place de réformes efficaces du système de contrôle, à court et à long terme. Dans la mesure où les critiques actuelles résultent du fait que certaines initiatives populaires ces dernières années ont mis en évidence des conflits potentiels avec la CEDH, le Conseil fédéral poursuit ses efforts pour trouver une solution appropriée, susceptible de satisfaire une majorité politique.

355

Table des matières Condensé

354

1

Introduction 1.1 Postulat et développement 1.2 Contenu et structure du rapport

358 358 359

2

La CEDH et son mécanisme de contrôle 2.1 Le système à sa création en 1950 2.2 L'évolution du mécanisme de contrôle 2.3 Elargissement du catalogue des droits et libertés de la convention par des protocoles additionnels 2.4 Les caractéristiques du système de la convention

360 360 361

Les circonstances qui ont entouré l'adhésion de la Suisse 3.1 Etat d'esprit positif et obstacles constitutionnels 3.2 Réserves et déclarations interprétatives 3.3 Acceptation du droit de requête individuel et reconnaissance de la juridiction de la Cour européenne des droits de l'homme 3.4 La question du référendum

366 366 368

Développements depuis la ratification par la Suisse 4.1 Protocoles d'amendement et additionels 4.2 Retrait de réserves et de déclarations interprétatives 4.2.1 Réserve relative à l'art. 5 CEDH 4.2.2 Réserves relative à l'art. 6, par. 1 CEDH 4.2.3 Déclaration interprétative relative à l'art. 6, par. 1, CEDH (garantie d'un procès équitable) 4.2.4 Déclaration interprétative relative à l'art. 6, par. 3, let. c et e, CEDH (gratuité de l'assistance d'un avocat d'office et d'un interprète) 4.2.5 Réserve à l'art. 5 du protocole no 7 à la CEDH (égalité des époux concernant le nom de famille, le droit de cité et le droit transitoire des régimes matrimoniaux) 4.3 Interventions parlementaires 4.4 Evolution du nombre de requêtes et de leur règlement 4.4.1 En général 4.4.2 Pour la Suisse

370 370 370 370 371

372 373 376 376 377

Influence et portée de la CEDH 5.1 En général 5.2 Pour la Suisse 5.2.1 Statistiques 5.2.2 Réception de la convention en Suisse 5.2.3 Principaux domaines où s'exerce une influence

378 378 379 379 380 384

3

4

5

356

363 364

368 368

371 372

Exécution des arrêts par la Confédération et les cantons 5.2.5 Excursus: l'importance de la CEDH dans le débat sur la relation entre droit international et droit interne Critiques envers la jurisprudence de la Cour 5.2.4

5.3 6

7

8

Influence de la Suisse sur la CEDH et la Cour européenne des droits de l'homme 6.1 Sur le plan de la représentation 6.2 Sur le plan matériel 6.2.1 Sur le plan de la jurisprudence 6.2.2 Réformes des institutions

388 391 392 395 395 395 395 396

Dénonciation 7.1 Possibilité de dénoncer et de réadhérer à la convention 7.2 Dénonciation et participation au Conseil de l'Europe 7.3 Validité des obligations de droit international nonobstant une éventuelle dénonciation de la convention 7.4 Dénonciation et réadhésion avec nouvelle réserve 7.5 Compétence pour dénoncer la convention et référendum obligatoire en cas de nouvelle ratification

397 397 398

Bilan et perspectives 8.1 Débuts timides ­ Développement rapide 8.2 Voix critiques 8.3 La dénociation ne constitue pas une option 8.4 Processus de réforme permanent 8.5 Adhésion prévue de l'UE à la CEDH 8.6 Lien entre le droit international public et le droit interne

402 402 403 404 405 406 406

Annexes 1 2 3 4 5 6 7 8 9

Etats gros pourvoyeurs de requêtes Evolution des requêtes 1959­2013 Nombre de requêtes attribuées à une formation judiciaire Arrêts rendus par la Cour Arrêts rendus par la Cour depuis sa création Objets des arrêts de violation rendus par la Cour Objets des arrêts de violation rendus par la Cour en 2013 Violations par article et par Etat Statistique de l'Office fédéral de la justice

399 400 401

407 408 409 410 411 412 413 414 416

357

Rapport 1

Introduction

1.1

Postulat et développement

Le 12 décembre 2013, le député au Conseil des Etats Hans Stöckli a déposé un postulat dont la teneur est la suivante: «Le Conseil fédéral est chargé d'établir, à temps pour la commémoration des 40 ans de notre adhésion à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), un rapport substantiel sur les expériences et les perspectives de la Suisse en relation avec la CEDH, ses mécanismes de contrôle et la Cour européenne des droits de l'homme.

Le rapport portera notamment sur: 1.

les circonstances de l'adhésion de la Suisse à la CEDH et de l'approbation de son protocole additionnel; le rapport précisera également si la CEDH devrait être soumise au référendum a posteriori;

2.

l'influence et la portée de la CEDH, en particulier de son développement et des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, sur la société et la politique suisses, sur la législation et la jurisprudence des cantons et de la Confédération et sur la doctrine et la recherche;

3.

les effets de l'adhésion de la Suisse et l'influence de celle-ci sur la CEDH et la Cour européenne des droits de l'homme;

4.

la manière de procéder pour dénoncer la convention, les conséquences d'une dénonciation, la possibilité d'une réadhésion moyennant la formulation de réserves;

5.

les perspectives concernant les relations de la Suisse avec la CEDH, la Cour européenne de droits de l'homme et les organes de celle-ci, ainsi que les adaptations matérielles et structurelles à mettre en oeuvre.»

Dans son développement, l'auteur expose les arguments suivants: «La CEDH est contraignante pour la Suisse depuis le 28 novembre 1974. Cette convention ayant fortement marqué notre ordre juridique, une analyse approfondie et une appréciation s'imposent à l'occasion du quarantième anniversaire de notre adhésion.

Depuis peu, la convention et ses mécanismes de contrôle, en particulier en relation avec les initiatives populaires fédérales et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, sont remis en question. Le rapport devra également tenir compte de cet aspect.

Il faudra également examiner les perspectives de la CEDH et de ses organes.» Le 12 février 2014, le Conseil fédéral a proposé d'accepter le postulat, sans formuler d'avis.

358

1.2

Contenu et structure du rapport

Comme ce fut le cas dans d'autres Etats parties, la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention européenne des droits de l'homme, CEDH, convention)1 a acquis en Suisse aussi une importance prépondérante au cours des dernières décennies. La convention et la pratique des organes de contrôle de Strasbourg qui s'est développée sur cette base, plus particulièrement la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (la Cour), ont eu une incidence notable sur la réalité juridique de notre pays, et ce à maints égards.

Le présent rapport n'a pas pour objet de retracer et d'analyser cette évolution en détail. Il vise plutôt à dégager les grandes lignes qui ont sous-tendu cette évolution et qui expliquent la situation telle qu'elle se présente aujourd'hui. Ce rapport poursuit un double objectif: premièrement, tenter de dresser un bilan des quarante années d'adhésion à la convention; deuxièmement, toujours en exécution du postulat, explorer les perspectives d'avenir.

Le rapport se divise en huit parties: Après la présente introduction (ch. 1) et un rappel des principales caractéristiques de la CEDH et du système de contrôle de Strasbourg (ch. 2), le ch. 3 relate les circonstances dans lesquelles la Suisse a ratifié la convention en 1974. La partie suivante propose une récapitulation des développements intervenus depuis, qui ont une importance pour notre pays (ch. 4). Elle est assortie d'explications portant notamment sur les protocoles additionnels et les protocoles d'amendement à la convention, le retrait des réserves, les interventions parlementaires et l'évolution du nombre de requêtes déposées et terminées. Le ch. 5 examine l'influence et la portée de la convention pour et sur l'ordre juridique suisse et passe en revue les critiques qui se sont exprimées contre «Strasbourg», surtout ces derniers temps. En réponse au passage correspondant du postulat, le chiffre 6 analyse dans quelle mesure la Suisse a exercé une influence sur la CEDH et sur la Cour européenne des droits de l'homme. Le ch. 7 est consacré à la question de la dénonciation de la CEDH. Enfin le ch. 8 dresse un bilan et esquisse des perspectives pour l'avenir.

Le rapport s'accompagne des annexes suivantes: Annexe 1: Etats gros pourvoyeurs de requêtes Annexe 2: Evolution
des requêtes 1959­2013 Annexe 3: Nombre de requêtes attribuées à une formation judiciaire Annexe 4: Arrêts rendus par la Cour Annexe 5: Arrêts rendus par la Cour depuis sa création Annexe 6: Objets des arrêts de violation rendus par la Cour Annexe 7: Objets des arrêts de violation rendus par la Cour en 2013 Annexe 8: Violations par article et par Etat Annexe 9: Statistique de l'Office fédéral de la justice

1

RS 0.101

359

2

La CEDH et son mécanisme de contrôle

2.1

Le système à sa création en 1950

La CEDH a été adoptée à Rome le 4 novembre 1950. Son objectif initial, tel que fixé par les Etats parties, est énoncé succinctement dans le préambule. En particulier, les Parties ont exprimé leur «profond attachement à ces libertés fondamentales qui constituent les assises mêmes de la justice et de la paix dans le monde et dont le maintien repose essentiellement sur un régime politique véritablement démocratique, d'une part, et, d'autre part, sur une conception commune et un commun respect des droits de l'homme dont ils se réclament». Elles se sont décrites comme une association d'«Etats européens animés d'un même esprit et possédant un patrimoine commun d'idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit». Leur objectif, en adoptant la convention, était «de prendre les premières mesures propres à assurer la garantie collective de certains des droits énoncés dans la Déclaration universelle [des droits de l'homme]».

En vertu de l'art. 1 de la convention, les Parties se soumettent à l'obligation juridique de respecter et de protéger un catalogue de droits et de libertés individuels reconnus aux personnes relevant de leur juridiction. La convention renvoie ainsi dès son art. 1 au principe de la subsidiarité qui sous-tend son mécanisme de contrôle, Conformément à ce principe, la responsabilité première d'assurer l'application effective de la convention au niveau national, y compris par sa transposition au besoin dans le droit interne, incombe ainsi aux Parties; la Cour ne peut et ne devrait intervenir que de manière subsidiaire. D'autres dispositions de la convention se réfèrent à ce même principe: En vertu de l'art.13 CEDH, les Etats parties doivent prévoir un recours interne effectif, permettant de faire valoir la violation des garanties de la convention. En constitue le corollaire l'art. 35, par. 1, CEDH qui oblige les requérants d'épuiser les voies de recours internes avant de saisir la Cour d'une requête individuelle, le non-respect de cette obligation entraînant l'irrecevabilité de leur requête. Le principe de la subsidiarité sera explicitement intégré dans le préambule de la convention dès l'entrée en vigueur du protocole no 15.2 Font partie des droits, majoritairement de nature matérielle, prévus par les art. 2 à 14 CEDH, le droit à la vie (art. 2),
l'interdiction de la torture (art. 3), l'interdiction de l'esclavage et du travail forcé (art. 4), le principe nulla poena sine lege (art. 7), le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8), la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9), la liberté d'expression (art. 10), la liberté de réunion et d'association (art. 11) et le droit au mariage (art. 12). S'y ajoutent, comme garanties procédurales, le droit à un procès équitable en matière pénale et civile (art. 6) et le droit à un recours effectif devant une instance nationale en cas d'allégations de violation des garanties de la convention (art. 13). Le droit à la liberté et à la sûreté (art. 5 CEDH) comprend aussi bien des garanties matérielles que procédurales; de même, des garanties procédurales peuvent découler de dispositions de droit matériel.

L'art. 14 CEDH prévoit, pour sa part, une interdiction de discrimination qui s'applique à l'ensemble du catalogue des droits garantis (caractère accessoire).

La convention connaît deux types de requêtes: la requête interétatique (art. 33) et la requête individuelle (art. 34). Dans le système de contrôle d'origine, les deux types de requêtes devaient être déposés auprès de l'ancienne Commission européenne 2

360

Cf. ch. 2.2 ci-après; en ce qui concerne le principe de la subsidiarité, v. également les ch. 2.4., 4.3 (Ip. 13.3779), 5.1, 5.3 et 8.2.

pour les droits de l'homme. Si la commission déclarait une requête recevable, elle établissait un rapport dans lequel elle se prononçait sur la question d'une éventuelle violation de la convention. A l'origine, seule la commission ou, le cas échéant, l'Etat partie concerné, mais pas le requérant, pouvait porter l'affaire devant la Cour. Si l'affaire n'était pas portée devant la Cour, le rapport de la commission était transmis au Comité des Ministres, lequel devait formellement trancher la question d'une éventuelle violation de la convention.

Alors que tous les Etats parties devaient accepter la requête interétatique, la reconnaissance de la compétence de la commission d'examiner des requêtes introduites par des individus était facultative. Il en allait de même de la reconnaissance de la juridiction de la Cour européenne des droits de l'homme, qui ne pouvait être saisie que par la commission ou par une Haute Partie contractante.3

2.2

L'évolution du mécanisme de contrôle

Depuis sa création, le mécanisme de contrôle de la convention a considérablement évolué. Cette évolution a continué depuis la ratification de la convention par la Suisse le 28 novembre 1974, ceci notamment au vu de la croissance du nombre des Etats parties de 19 en 1975 à 21 en 1990, à 31 en 1995, à 41 en 2000 et à 47 en 2014.

Le protocole no 8 du 19 mars 19854 était destiné à accroître la souplesse et l'efficacité structurelles du mécanisme de contrôle5. Il est entré en vigueur le 1er janvier 1990, après avoir été ratifié par tous les Etats parties. Le protocole no 9 du 6 novembre 19906 a renforcé la position du requérant dans la procédure. Dorénavant, les Etats pouvaient accepter à titre d'option qu'un requérant dont la requête avait fait l'objet d'un rapport de la commission puisse saisir la Cour, possibilité que n'avaient auparavant que certains autres Etats et la commission. Le protocole no 10 du 25 mars 1992 visait à modifier les majorités requises au sein du Comité des Ministres lorsque ce dernier devait prendre des décisions dans des affaires qui n'avaient pas été déférées à la Cour. Le protocole no 107 n'est toutefois pas entré en vigueur puisqu'il a été remplacé avant son entrée en vigueur par le protocole no 11 du 11 mai 19948, qui a supprimé le rôle du Comité des Ministres de décider s'il y avait eu ou non violation de la convention.

Le protocole no 11 fusionnait la commission et la Cour, deux organes fonctionnant à temps partiel, en une cour unique permanente se prononçant sur la recevabilité et sur le fond des requêtes portées devant elle. Il intégrait dans le texte de la convention les dispositions concernant le pouvoir de la Cour de rendre des avis de droit et rendait obligatoire pour tous les Etats parties la reconnaissance du droit de requête individuelle devant la nouvelle Cour. Il était prévu que la nouvelle Cour siège essentiellement dans la formation de chambres, avec la possibilité, dans certaines circons3 4 5 6 7 8

Cf. les anciens art. 25 et 46 de la convention, FF 1974 I 1020 1064 1069.

RO 1989 2371 Rapport explicatif, § 2 s. (conventions.coe.int > liste complète > no 118 > rapport explicatif).

RO 1995 3950. La Suisse a ratifié le protocole no 9 le 11 avril 1995, soit après son entrée en vigueur le 1er octobre 1994.

Série des traités européens (STE) no 146 (conventions.coe.int > liste complète).

RS 0.101.09

361

tances, de demander une nouvelle audition devant une autre formation de la Cour, la «Grande Chambre». Le rôle du Comité des Ministres fut limité à la surveillance de l'exécution des arrêts de la Cour.

Ce développement fut notamment rendu possible grâce au fait qu'au fil du temps, la quasi-totalité des Etats parties avait accepté les éléments facultatifs du mécanisme de surveillance: en 1987, ils avaient tous accepté le droit de recours individuel devant la commission et, en 1990, ils avaient tous accepté la compétence de la Cour.

Le protocole no 11 constituait également une première réponse à la vague d'élargissement du Conseil de l'Europe et à l'augmentation du nombre d'Etats parties à la convention à la suite de la chute du mur de Berlin en 1989 ainsi que des dissolutions de l'Union soviétique en 1991 et de l'ex-Yougoslavie. Ce d'autant plus que, depuis 1990, la ratification rapide de la convention et de ses protocoles est une condition d'adhésion pour tous les nouveaux Etats membres du Conseil de l'Europe. Lorsque le protocole no 11 a été adopté en 1994, le problème de la charge de travail de la Cour, déjà préoccupant au milieu des années 1980, était devenu sous l'effet de l'élargissement une source de vive inquiétude. Le protocole était donc censé répondre à la nécessité de «prévoir un mécanisme de contrôle qui puisse fonctionner de manière satisfaisante et à un coût raisonnable même avec quarante Etats membres, et soit capable de maintenir, à l'avenir, l'autorité et la qualité de sa jurisprudence»9.

Dès l'entrée en vigueur du protocole no 11, il existait des craintes que cet instrument ne permette pas de faire face efficacement à l'explosion de la charge de travail de la Cour due à l'élargissement. Lors d'une Conférence ministérielle tenue à Rome en 2000, les Etats parties ont en conséquence adopté une série de résolutions et une déclaration faisant état du soutien politique accordé au système de la convention et préconisant une étude et une réflexion approfondies sur les défis à relever. Ces travaux ont, au bout du compte, débouché sur le protocole no 14 du 13 mai 200410 et sur une série d'instruments non contraignants du Comité des Ministres, dont la plupart visent à renforcer l'application de la convention au niveau national11.

Le protocole no 14 a affiné le mécanisme de contrôle établi
par le protocole no 11. Il a créé la formation du juge unique, compétent pour rendre des décisions dans des affaires manifestement irrecevables; donné à des comités de trois juges la compé9 10 11

362

Rapport explicatif, § 23 (conventions.coe.int > liste complète > no 155 > rapport explicatif).

RS 0.101.094 Voir la déclaration du Comité des Ministres «Assurer l'efficacité de la mise en oeuvre de la Convention européenne des droits de l'homme aux niveaux national et européen» (adoptée par le Comité des Ministres le 12 mai 2004) rappelant notamment les Recommandations no R (2000) 2 sur le réexamen ou la réouverture de certaines affaires au niveau interne à la suite d'arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l'homme, Rec(2002)13 sur la publication et la diffusion dans les Etats membres du texte de la Convention européenne des droits de l'homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, Rec(2004)4 sur la Convention européenne des droits de l'homme dans l'enseignement universitaire et la formation professionnelle, Rec(2004)5 sur la vérification de la compatibilité des projets de lois, des lois en vigueur et des pratiques administratives avec les standards fixés par la Convention européenne des droits de l'homme, Rec(2004)6 sur l'amélioration des recours internes et les résolutions suivantes: Res(2002)59 relative à la pratique en matière de règlements amiables et Res(2004)3 sur les arrêts qui révèlent un problème structurel sous-jacent.

(coe.int > droits de l'homme > efficacité du système de la Convention des droits de l'homme (CEDH) aux niveaux national et européen > textes adoptés).

tence pour se prononcer dans des affaires répétitives; institué un nouveau critère de recevabilité exigeant des requérants qu'ils aient subi un «préjudice important» et permis à la Cour de demander que le nombre de juges des chambres soit réduit de sept à cinq12. En tant que protocole le d'amendement à la convention, le protocole no 14 n'est entré en vigueur que le 1er juin 2010, après que la Russie, en tant que dernier Etat partie, a déposé son instrument de ratification le 18 février 2010.

Très tôt et indépendamment des effets potentiels du retard considérable de son entrée en vigueur, des doutes ont porté sur la capacité du protocole no 14 à régler les problèmes de surcharge de la Cour. Le 3e Sommet des Chefs d'Etat et de gouvernement du Conseil de l'Europe, qui s'est tenu à Varsovie du 16 au 17 mai 2005, a en conséquence demandé à un Groupe des Sages «d'examiner la question de l'efficacité à long terme du mécanisme de contrôle de la CEDH, y compris les effets initiaux du protocole no 14 et des autres décisions prises en mai 2004, [et] de présenter ... des propositions allant au-delà de ces mesures, tout en conservant la philosophie de base qui sous-tend la convention». Le Groupe des Sages a remis son rapport au Comité des Ministres en novembre 2006.

Face à une détérioration continue de la situation, le Président de la Cour a, en 2009, demandé une nouvelle conférence à haut niveau. C'est ainsi que s'est tenue en 2010 la Conférence d'Interlaken13, qui a été suivie en 2011 par celle d'Izmir et en 2012 par celle de Brighton14. Les décisions opérationnelles prises à la suite de la Conférence de Brighton ont finalement abouti aux protocoles no 15 du 24 juin 201315 et no 16 du 21 octobre 201316. Le protocole no 15 comprend des dispositions relatives au principe de la subsidiarité, aux conditions de recevabilité, au délai pour le dépôt de requêtes individuelles, à la procédure de dessaisissement d'une Chambre au profit de la Grande Chambre et à la limite d'âge des juges. Le protocole no 16, protocole additionnel, confère à la Cour la compétence de donner des avis consultatifs à la demande des juridictions nationales. Aucun de ces deux protocoles n'est à ce jour entré en vigueur17.

2.3

Elargissement du catalogue des droits et libertés de la convention par des protocoles additionnels

Au fil du temps, le catalogue des droits et libertés de la convention a également été adapté.

Avant l'adhésion de la Suisse à la CEDH en 1974, les Etats parties ont complété les garanties de la convention par l'adoption de deux protocoles additionnels. Le proto12

13 14 15 16 17

Il a aussi modifié le mandat des juges qui, de six ans renouvelable une fois, est passé à neuf ans non renouvelable, a permis au Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe d'intervenir dans les procédures en tant que tierce partie et a créé une base juridique pour l'adhésion de l'Union européenne à la Convention.

www.eda.admin.ch > Thèmes > Conseil de l'Europe > Présidence suisse 2009 > Archives > Conférence de haut niveau à Interlaken www.coe.int/brighton STE no 213 (conventions.coe.int > liste complète).

STE no 214 (conventions.coe.int > liste complète).

Le Conseil fédéral envisage de proposer à l'Assemblée fédérale l'approbation du protocole no 15 qui a fait l'objet d'une procédure de consultation entre le 13 août et le 13 novembre 2014 dans un proche avenir. En ce qui concerne le protocole no 16, aucune mesure n'a encore été décidée.

363

cole no 1 du 20 mars 1952 garantit la protection de la propriété, le droit à l'instruction et le droit à des élections libres18. Le protocole no 4 du 16 septembre 1963 ajoute aux droits de la convention l'interdiction de l'emprisonnement pour dette, différentes garanties pour les ressortissants étrangers ainsi que l'interdiction de l'expulsion des nationaux19. La Suisse n'a pas ratifié les protocoles no 1 et no 420.

A partir des années 80, quatre autres protocoles additionnels furent adoptés, trois desquels furent ratifiés par la Suisse: les protocoles no 6 du 28 avril 198321 et no 13 du 3 mai 200222 complètent le droit à la vie par une interdiction complète de la peine de mort. Le protocole no 7 du 22 novembre 198423 contient des garanties procédurales dans le domaine du droit des étrangers, le droit à l'égalité entre époux ainsi que trois garanties dans le domaine de la procédure pénale (droit à un double degré de juridiction en matière pénale, droit d'indemnisation en cas d'erreur judiciaire, droit à ne pas être jugé ou puni deux fois). Le protocole no 12 du 4 novembre 2000 statue une interdiction générale de la discrimination et complète ainsi l'interdiction accessoire de la discrimination garantie par l'art. 14 CEDH. En raison du petit nombre de jugements rendus par la Cour, la portée d'une ratification de ce protocole et les conséquences de sa mise en oeuvre pour l'ordre juridique suisse demeurent encore difficiles à apprécier. Pour cette raison, le Conseil fédéral a pour l'instant renoncé à y adhérer24.

2.4

Les caractéristiques du système de la convention

L'art. 1 de la convention dispose qu'il incombe en premier lieu aux Etats parties de respecter et de protéger les droits que la convention reconnaît aux personnes relevant de leur juridiction. Cette obligation distingue la convention d'instruments relatifs aux droits de l'homme purement déclaratoires et statue d'emblée le principe de subsidiarité. De plus, dans la mesure où les arrêts de la Cour font autorité sur l'interprétation et l'application des droits reconnus dans la convention (art. 32 CEDH), les Etats parties devraient tenir compte de la jurisprudence dans son ensemble, y compris des arrêts contre d'autres Etats parties, pour appliquer pleinement et effectivement la convention au niveau national.

En vertu de l'art. 13 de la convention, les Etats parties doivent octroyer un recours effectif à tous ceux qui se plaignent de violations de droits protégés. Dans sa jurisprudence, la Cour a largement expliqué la nature du recours requis et a également défini les «obligations positives» inhérentes à certains droits, soulignant les garanties procédurales qui doivent être respectées pour assurer une protection effective du droit concerné.

18 19 20 21 22 23 24

364

STE no 9 (conventions.coe.int > liste complète). Le protocole no 1 est entré en vigueur le 18 mai 1954.

STE no 46 (conventions.coe.int > liste complète). Le protocole no 4 est entré en vigueur le 2 mai 1968.

Pour les motifs, voir dixième rapport sur la Suisse et les conventions du Conseil de l'Europe, FF 2013 1915 1926 s. 1928.

RS 0.101.06 RS 0.101.093 RS 0.101.07 Voir dixième rapport sur la Suisse et les conventions du Conseil de l'Europe (note 20), FF 2013 1915 1930.

Aujourd'hui, la Cour se compose d'un nombre de juges égal à celui des Etats parties (art. 20 CEDH). Les juges sont élus par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, composée de délégations de membres des parlements nationaux, au titre de chaque Etat partie, à partir d'une liste de trois noms proposés par l'Etat partie (art. 22 CEDH). Les juges doivent jouir de la plus haute considération morale, avoir les qualifications et l'expérience nécessaires, siéger à titre individuel et ne pas exercer d'activités incompatibles avec les exigences d'indépendance, d'impartialité ou de disponibilité requise par une activité exercée à plein temps (art. 21 CEDH). En 2010, un panel consultatif d'experts indépendants a été constitué pour formuler à l'intention des Etats parties des avis sur la question de savoir si les candidats à l'élection à la fonction de juge remplissaient ces critères25.

Le système de la convention prévoit plusieurs voies de recours et garanties d'accès au mécanisme de contrôle outre la requête individuelle susmentionnée. Comme il a été dit, d'autres Etats parties peuvent aussi saisir la Cour de tout manquement présumé (art. 33 CEDH). Dans les affaires individuelles et interétatiques, les requérants peuvent demander à la Cour d'indiquer les mesures provisoires devant être prises par un Etat défendeur (art. 39 du Règlement de la Cour)26. Dans sa jurisprudence, la Cour a établi que cette indication était obligatoire. En vertu de l'art. 36 de la convention, des tierces parties peuvent intervenir dans les procédures devant la Cour. Selon les circonstances, cette possibilité existe d'office, sur invitation du président de la Cour ou à la suite d'une autorisation de ce dernier.

La Cour ne peut traiter que les affaires qui remplissent les conditions de recevabilité de la convention, à savoir notamment l'épuisement des voies de recours internes et la saisine de la Cour dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive (art. 35, par. 1 CEDH). L'exigence d'avoir épuisé les voies de recours internes renforce l'application du principe de subsidiarité en ce sens que les autorités nationales ont la possibilité et l'obligation d'examiner le grief et de se prononcer avant son examen par la Cour. En vertu de l'art. 35, par. 3, de la convention, la Cour déclare irrecevable
toute requête lorsque le requérant individuel n'a subi aucun préjudice important; est ainsi traduite en effet la maxime de minimis non curat praetor. Les requêtes individuelles ne peuvent émaner que de ceux qui se prétendent victimes d'une violation (art. 34 CEDH); aucune disposition de la convention ne prévoit l'actio popularis.

Dans sa jurisprudence, la Cour a énoncé un certain nombre de principes fondamentaux pour l'application de la convention. Les droits et les libertés reconnus dans la convention doivent être pratiques et effectifs, et non théoriques ou illusoires; les restrictions, les réserves et les autres limitations autorisées à leur jouissance ne doivent pas être de nature à altérer leur essence même. Toute atteinte autorisée à un droit ou toute limitation d'un droit doit être proportionnelle au but poursuivi. Les autorités nationales peuvent disposer d'une marge d'appréciation pour trancher la question de savoir si l'atteinte ou la limitation est proportionnelle. L'étendue de cette marge dépend des circonstances de l'affaire et demeure assujettie à la compétence de contrôle de la Cour27.

25

26 27

Résolution CM/Res(2010)26 sur la création d'un Panel consultatif d'experts sur les candidats à l'élection de juges à la Cour européenne des droits de l'homme (coe.int > organisation > Comité des ministres > textes adoptés > toutes les résolutions).

RS 0.101.2 Cf., aussi les développements aux ch. 5.3 et 8 portant sur l'interprétation évolutive et dynamique de la Convention par la Cour.

365

La Cour dispose également d'autres mécanismes de règlement des litiges. Lorsque les parties parviennent à un règlement amiable dans le respect des droits garantis dans la convention, la Cour peut rayer l'affaire du rôle (art. 39 CEDH). L'exécution des termes des règlements amiables est surveillée par le Comité des Ministres (art. 39, par. 4, CEDH)28.

Si la Cour constate qu'il y a eu violation de la convention, elle peut ordonner diverses mesures. Ces mesures ont pour objet d'octroyer une réparation à la victime et/ou de prévenir la poursuite ou la répétition de la violation. Si le droit interne de l'Etat défendeur ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de la violation, la Cour accorde une satisfaction équitable (art. 41 CEDH). La pratique actuelle de la Cour consiste généralement à associer le fond et la satisfaction équitable dans un seul arrêt. La Cour peut aussi ordonner à un Etat défendeur de prendre d'autres mesures, individuelles ou générales, qu'il est obligé d'appliquer en vertu de l'art. 46 CEDH. Dans le cadre de la procédure de l'arrêt pilote, mise au point par la Cour pour faire face à des problèmes structurels ou systémiques, la Cour peut, à la suite d'un constat de violation, ajourner le traitement de requêtes similaires pour permettre à l'Etat défendeur de prendre une mesure générale (redressement) capable d'assurer une réparation suffisante, de sorte que les requêtes ajournées ne doivent plus être traitées.

Les Etats parties s'engagent à se conformer aux arrêts de la Cour dans tous les litiges auxquels ils sont parties (art. 46, par. 1, CEDH). Cela implique, le cas échéant, le versement de la satisfaction équitable accordée ainsi que la mise en oeuvre d'autres mesures individuelles ou générales destinées à effacer les conséquences de la violation et à prévenir sa répétition. L'exécution des arrêts est surveillée par le Comité des Ministres, qui peut renvoyer certaines questions à la Cour (art. 46, par. 2 à 5 CEDH).

3

Les circonstances qui ont entouré l'adhésion de la Suisse

3.1

Etat d'esprit positif et obstacles constitutionnels

La Suisse est l'un des derniers pays d'Europe occidentale à avoir ratifié la CEDH, en 1974. Ce ne sont ni le manque d'intérêt ni une réticence envers la protection internationale des droits de l'homme qui en sont la cause. L'adhésion de la Suisse au Conseil de l'Europe datait de 1963. Ce n'est qu'à partir de ce moment-là que la ratification de la CEDH a commencé à être évoquée. Après que le Conseil national avait transmis le postulat Eggenberger en 1966, le Conseil fédéral a adressé en 1968 un rapport circonstancié sur la CEDH à l'Assemblée fédérale29.

28

29

366

Dans les cas où le requérant refuse les termes d'une proposition de règlement amiable, l'Etat défendeur peut faire une déclaration unilatérale reconnaissant qu'il y a eu violation et s'engageant à fournir un redressement et, le cas échéant, à prendre les mesures correctives nécessaires. La Cour peut alors rayer l'affaire du rôle (art. 62A du Règlement de la Cour). L'exécution des termes des déclarations unilatérales, même de celles comprenant des mesures correctives pouvant avoir un effet plus large, n'est pas surveillée par le Comité des ministres.

Rapport du Conseil fédéral du 9 décembre 1968 à l'Assemblée fédérale sur la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (rapport sur la CEDH), FF 1968 II 1069.

Le rapport en question reflète un état d'esprit positif à l'égard de la CEDH. Aux yeux du Conseil fédéral, la ratification était non seulement la suite logique de l'adhésion au Conseil de l'Europe. Elle contribuerait avant tout à une forme d'intégration européenne que le Conseil fédéral avait toujours soutenue; la ratification marquerait la volonté de la Suisse de collaborer au développement d'un domaine important du droit international. Dans ce rapport, le Conseil fédéral identifiait en outre les répercussions positives d'une ratification sur l'ordre juridique suisse, notamment dans le domaine des droits fondamentaux. Il estimait par ailleurs que les articles d'exception, dits «articles confessionnels» (art. 51 et 52 aCst.)30 et l'absence du droit de vote des femmes, à l'échelon fédéral et dans la plupart des cantons, constituaient des obstacles constitutionnels majeurs. En ce qui concerne le droit de vote des femmes, en particulier, le Conseil fédéral se dit résolument acquis à l'idée d'une révision de la Constitution fédérale en amont de la ratification31. Le Conseil national a accepté le rapport du Conseil fédéral en 1969 alors que le Conseil des Etats s'est contenté d'en prendre acte. Plusieurs raisons expliquent que la majorité du Conseil des Etats ait rejeté le rapport. L'un des arguments avancés par les opposants consistait à dire qu'en Suisse les droits fondamentaux étaient suffisamment protégés. D'autres voix ont mis en garde contre le fait qu'une instance étrangère comme la Commission européenne des droits de l'homme pourrait s'immiscer dans des litiges suisses. Enfin, un troisième groupe a estimé qu'il fallait d'abord introduire le droit de vote pour les femmes.

Le 7 février 1971, le peuple et les cantons ont voté en faveur de l'introduction du droit de vote des femmes à l'échelon fédéral. En 1972, le Conseil fédéral a adressé à l'Assemblée fédérale un rapport complémentaire sur la CEDH32. Il y évoque notamment les travaux engagés en vue de supprimer les articles d'exception, dits «articles confessionnels»33. Les Chambres fédérales ont alors approuvé l'intention annoncée par le Conseil fédéral de signer la CEDH, laquelle a finalement été signée par la Suisse le 21 décembre 1972.

En approuvant l'abrogation des articles confessionnels le 20 mai 1973, le peuple et les cantons ont également
éliminé le second obstacle constitutionnel qui s'opposait à la ratification de la CEDH. L'année suivante, le Conseil fédéral a soumis à l'Assemblée fédérale son message concernant la ratification de la CEDH34.

30

31 32

33 34

Rapport sur la CEDH (note 29), FF 1968 II 1127. L'art. 51 de l'ancienne Constitution fédérale interdisait aux membres de l'ordre des jésuites d'exercer toute activité dans l'Eglise et dans l'école; l'art. 52 interdisait de fonder de nouveaux couvents et de rétablir les couvents supprimés.

Rapport sur la CEDH (note 29), FF 1968 II 1140.

Rapport complémentaire du Conseil fédéral du 23 février 1972 à l'Assemblée fédérale sur la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (rapport complémentaire sur la CEDH), FF 1972 I 989.

Rapport complémentaire sur la CEDH (note 32), FF 1972 I 994.

Message du Conseil fédéral du 4 mars 1974 à l'Assemblée fédérale concernant la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, FF 1974 I 1020.

367

3.2

Réserves et déclarations interprétatives

Se fondant sur son analyse de la situation juridique interne, le Conseil fédéral a proposé de formuler trois réserves et deux déclarations interprétatives au moment de la ratification: a)

Réserves portant sur ­ l'art. 5 CEDH concernant les lois cantonales sur l'internement administratif et le placement d'un enfant ou d'un pupille dans un établissement; ­ l'art. 6, al. 1, afin que le principe de la publicité des audiences ne soit pas applicable aux procédures qui, conformément à des lois cantonales, se déroulent devant une autorité administrative; ­ l'art. 6, par. 1, afin que le principe de la publicité du prononcé du jugement soit appliqué sans préjudice des dispositions des lois cantonales de procédure civile et pénale prévoyant que le jugement n'est pas rendu en séance publique, mais communiqué aux parties par écrit;

b)

Déclarations interprétatives relatives à ­ l'art. 6, par. 1, CEDH, précisant que cette disposition accorde uniquement le droit à un contrôle judiciaire final; ­ l'art. 6, par. 3, let. c et e, précisant que la garantie de la gratuité de l'assistance d'un avocat d'office et d'un interprète ne libère pas définitivement le bénéficiaire du paiement des frais qui en résultent.

3.3

Acceptation du droit de requête individuel et reconnaissance de la juridiction de la Cour européenne des droits de l'homme

Dans le système de contrôle initial, le droit de requête individuel devant l'ancienne Commission européenne des droits de l'homme, de même que la reconnaissance de la juridiction de la Cour, revêtaient un caractère facultatif. Ainsi, un Etat pouvait ratifier la CEDH sans pour autant se soumettre au système de contrôle. Dès le début, les choses se sont passées différemment pour la Suisse. Dans son message concernant la convention, le Conseil fédéral a également demandé que lui soit délégué le droit de reconnaître la juridiction de la Cour ainsi que la compétence de la Commission européenne des droits de l'homme à être saisie de requêtes individuelles35.

3.4

La question du référendum

Pour terminer, le Conseil fédéral s'est longuement penché sur la question du référendum36. En vertu de la disposition constitutionnelle alors en vigueur (art. 89, al. 4, aCst.), les traités internationaux conclus pour une durée indéterminée ou pour plus de quinze ans étaient sujets au référendum. Dans la pratique, cette disposition a toujours été interprétée comme signifiant que des traités internationaux n'étaient pas sujets au référendum lorsqu'ils pouvaient être dénoncés avant l'expiration du délai 35 36

368

Message sur la CEDH (note 34), FF 1974 I 1035 1053 s.

Message sur la CEDH (note 34), FF 1974 I 1045 ss.

de quinze ans. Tel était (et est toujours) le cas de la CEDH: les Etats contractants peuvent dénoncer la convention à l'issue d'un délai de cinq ans à partir de son entrée en vigueur, moyennant un préavis de six mois (ancien art. 65, par. 1, CEDH). Le Conseil fédéral a refusé l'organisation d'un référendum obligatoire, analogue à celui dont avait fait l'objet l'accord de libre-échange avec les Communautés européennes (d'alors), c'est-à-dire sans base constitutionnelle explicite, parce que ni les garanties matérielles de la CEDH, ni le mécanisme de contrôle international n'auraient modifié la structure de nos institutions en profondeur. La question du référendum a aussi donné lieu à un vif débat au sein de l'Assemblée fédérale. Le Conseil des Etats a rejeté l'organisation d'un référendum obligatoire par 27 voix contre 4 et le Conseil national par 64 voix contre 27. Le Conseil national a en outre rejeté par 65 voix contre 36 une proposition subsidiaire visant à prévoir le référendum facultatif pour l'arrêté fédéral d'approbation au37.

Le 3 octobre 1974, l'Assemblée fédérale a approuvé la convention, conformément à la proposition du Conseil fédéral, et la Suisse a déposé son instrument de ratification le 28 novembre 1974.

Concernant le référendum, le postulat Stöckli s'interroge sur la possibilité de soumettre la CEDH à un référendum a posteriori. Les dispositions de la Constitution (art. 140 s. Cst.) prévoient que les référendums obligatoires et facultatifs doivent en principe être organisés avant l'entrée en vigueur de l'acte en question. Un référendum a posteriori est prévu dans deux cas seulement. Pour les lois fédérales urgentes qui sont dépourvues de base constitutionnelle et dont la durée de validité dépasse une année; ces lois doivent être soumises au vote du peuple et des cantons dans le délai d'un an à compter de leur adoption par l'Assemblée fédérale (art. 140, al. 1, let. c, Cst.). Un référendum a posteriori (facultatif) est également prévu pour les lois fédérales urgentes pourvues d'une base constitutionnelle (art. 141, al. 1, let. b, et 165, al. 2, Cst.). Dès lors, il semble peu probable que l'organisation d'un référendum a posteriori sur l'adhésion de la Suisse à la CEDH ou sur le maintien de la Suisse au Conseil de l'Europe soit licite, faute d'une base constitutionnelle explicite.
Quoi qu'il en soit, le Conseil fédéral relève que les garanties matérielles de la CEDH et des protocoles additionnels ont été reprises dans l'actuelle Constitution, lors de sa mise à jour38. Il s'ensuit qu'elles ont reçu au moins indirectement une légitimité démocratique du peuple et des cantons. Les critiques formulées actuellement à l'encontre de la CEDH visent aussi, sur le fond, la Cour européenne des droits de l'homme et, par voie de conséquence, le mécanisme de contrôle de la CEDH, dont la version actuelle résulte en grande partie de la réforme fondamentale introduite par les protocoles no 11 et 14 (cf. ch. 2.2 ci-dessus). Conformément aux dispositions de la Constitution alors en vigueur, l'approbation du protocole no 11 n'était pas sujette au référendum39. L'approbation du protocole no 14 en revanche était bien sujette au référendum, suite à la révision de la Constitution40. D'autres modifications, qui concernent essentiellement le mécanisme de contrôle, font l'objet du protocole no 15, dont le Conseil fédéral envisage de proposer incessamment l'approbation; là encore, le Conseil fédéral estime que les conditions d'un référendum facultatif sont réunies, conformément à l'art. 141, al. 1, let. d, ch. 3, de la Constitution. Au vu de ce 37 38 39 40

BO 1974 E 387 ss, 1974 N 1495 ss, 1502 s.

Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 1 138 ss; voir le ch. 5.2.2 ci-après.

RO 1998 2992 RO 2009 3065

369

qui précède, la CEDH bénéficie d'une forte légitimité également au regard de la démocratie directe. Dans ces conditions, il ne semble pas opportun, également à l'heure actuelle, de soumettre à un référendum a posteriori l'adhésion de la Suisse à la CEDH41.

4

Développements depuis la ratification par la Suisse

4.1

Protocoles d'amendement et additionels

La convention a été complétée au cours des années par divers protocoles additionnels (no 1, 4, 6, 7, 9, 12 et 13) et d'amendement (no 8, 10, 11 et 14) qui ont permis, soit d'élargir le catalogue des droits protégés (protocoles additionnels), soit de modifier l'organisation de ou la procédure devant la Cour (protocoles d'amendement)42.

4.2

Retrait de réserves et de déclarations interprétatives

Lors de la ratification de la CEDH en 1974, la Suisse a formulé différentes réserves et déclarations interprétatives destinées à limiter ponctuellement le champ d'application de certaines garanties prévues par la convention (cf. ci-avant ch. 3.2).

Depuis un certain temps déjà, les réserves et déclarations interprétatives relatives à l'art. 5 et 6 CEDH ont perdu leur raison d'être, du fait de la modification du droit en vigueur (cf. ci-après, ch. 4.2.1) ou du fait qu'elles ont été invalidées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et par celle du Tribunal fédéral (cf. ci-après, ch. 4.2.2­4.2.4). En ce qui concerne la réserve formulée par la Suisse à l'art. 5 du protocole additionnel no 7 à la CEDH, même si elle est formellement maintenue, la Cour lui a nié toute pertinence (cf. ci-après, ch. 4.2.5).

4.2.1

Réserve relative à l'art. 5 CEDH

La modification du code civil suisse entrée en vigueur le 1er janvier 1982 (privation de liberté à des fins d'assistance), a établi dans le code civil une réglementation exhaustive de la privation de liberté à des fins d'assistance conforme aux dispositions de la CEDH et a créé les conditions permettant de retirer, avec effet au 1er janvier 1982, la réserve portant sur l'art. 5 CEDH43.

41 42 43

370

Concernant la question de la dénonciation, suivie d'une réadhésion (sujette à référendum), voir le ch. 7.4 ci-après.

Ces protocoles sont décrits en détail aux ch. 2.2 et 2.3 du présent rapport.

Retrait du 26 janvier 1982 (conventions.coe.int > Recherches > Réserves et Déclarations).

Voire aussi message du 17 août 1977 concernant la modification du code civil suisse (privation de liberté à des fins d'assistance) et le retrait de la réserve apportée à l'article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, FF 1977 III 1 ss; O. Jacot-Guillarmod, Intérêt de la jurisprudence des organes de la CEDH pour la mise en oeuvre du nouveau droit suisse de la privation de liberté à fins d'assistance, RDT 36/1981, p. 44 ss.

4.2.2

Réserves relative à l'art. 6, par. 1 CEDH

Réserve relative à la publicité des audiences Dans son arrêt Weber c. Suisse du 22 mai 199044, la Cour a déclaré cette réserve non valide car le «bref exposé» des lois visées par la réserve, exigé par l'ancien art. 64, par. 2, CEDH (aujourd'hui art. 57, par. 2, CEDH), faisait défaut45.

Formellement, cette réserve, comme toutes les réserves et déclarations interprétatives portant sur l'art. 6 CEDH, a été retirée le 29 août 200046.

Réserve relative à la publicité du prononcé du jugement Les circonstances à l'origine de l'arrêt Weber ne concernaient que la garantie de la publicité des débats et non celle de la publicité du prononcé du jugement. La Suisse a toutefois toujours considéré que les deux volets de la réserve ­ étroitement liés quant à leur objet ­ formaient un tout. La Cour les a du reste traités en ce sens.

Partant, la Suisse a admis que le second volet de la réserve était compris dans le jugement de la Cour en l'affaire Weber et, par conséquent, était également invalide47. Formellement, cette réserve a été retirée le 29 août 200048.

4.2.3

Déclaration interprétative relative à l'art. 6, par. 1, CEDH (garantie d'un procès équitable)

Dans son arrêt Belilos c. Suisse du 29 avril 198849, la Cour a qualifié la déclaration interprétative initiale du Conseil fédéral à l'art. 6, par. 1, CEDH de réserve proprement dite et l'a déclarée non valide. Selon la Cour, en effet, la déclaration n'était pas formulée de manière suffisamment claire et tombait sous le coup de l'interdiction des réserves à caractère général inscrite à l'ancien art. 64, par. 1, CEDH (aujourd'hui art. 57, par. 1, CEDH). De plus, la déclaration n'était pas accompagnée du bref exposé des dispositions couvertes par la réserve exigé par l'ancien art. 64, par. 2, CEDH (aujourd'hui art. 57, par. 1 CEDH). Etant donné que cet arrêt ne portait que sur le volet pénal de la réserve, le Conseil fédéral a reformulé la déclaration pour en maintenir le volet civil et l'a notifiée au Secrétaire général du Conseil de l'Europe en y annexant par la suite la liste des dispositions fédérales et cantonales visées par la nouvelle déclaration. Cette nouvelle déclaration interprétative a cependant été déclarée non valide par le Tribunal fédéral dans un arrêt du 17 décembre 199250, car elle constituait une réserve formulée postérieurement à la ratification de la CEDH et, partant, n'était pas admissible au regard de l'ancien art. 64, par. 1, CEDH (aujourd'hui art. 57, par. 1, CEDH).51 Formellement, elle a été retirée le 29 août 200052.

44 45

46 47 48 49 50 51 52

Série A, vol. 177.

Message du 24 mars 1999 concernant le retrait des réserves et déclarations interprétatives de la Suisse à l'art. 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, FF 1999 3350 3354.

Retrait du 24 août 2000 (conventions.coe.int > Recherches > Réserves et Déclarations).

Cf., aussi, RO 2002 1142.

Message retrait des réserves et déclarations interprétatives (note 45), FF 1999 3354.

Cf. note 46.

Série A, vol. 132.

ATF 118 la 473, 487 consid. 7 c) cc).

Message retrait des réserves et déclarations interprétatives (note 45), FF 1999 3354 s.

Cf. note 46.

371

4.2.4

Déclaration interprétative relative à l'art. 6, par. 3, let. c et e, CEDH (gratuité de l'assistance d'un avocat d'office et d'un interprète)

Assistance gratuite d'un interprète Dès son arrêt Luedicke, Belkacem et Koç c. RFA du 28 novembre 197853, la Cour a précisé que le par. 3, let. e, de l'art. 6 CEDH impliquait la libération définitive du paiement des frais d'interprète. La déclaration interprétative suisse relative aux frais d'interprète apparaissait dès lors comme une véritable réserve. Or, les considérants de la Cour dans les arrêts Weber (cf. ci-dessus, ch. 4.2.2) et Belilos (cf. ci-dessus, ch. 4.2.3), relatifs aux conditions de la validité d'une réserve, laissaient supposer que cette «déclaration interprétative» se heurterait elle aussi à l'exigence du «bref exposé de la loi en cause». Le Conseil fédéral a donc considéré qu'il fallait partir de l'idée que la «déclaration interprétative» (réserve) relative à la libération non définitive du paiement des frais d'interprète n'était pas conforme aux exigences de l'ancien art. 64 CEDH (aujourd'hui: art. 57 CEDH) et qu'il fallait retirer cette déclaration54. Formellement, elle a été retirée le 29 août 200055.

Assistance gratuite d'un avocat d'office Même si l'arrêt Luedicke, Belkacem et Koç ne traitait pas directement de cette question, il découle de ses considérants que le par. 3, let. c ­ contrairement à la let. e ­ de l'art. 6 CEDH ne dispense pas définitivement du paiement des frais d'assistance d'un avocat d'office. L'ancienne Commission européenne des droits de l'homme a confirmé cette interprétation. La déclaration interprétative suisse était donc superflue dans la mesure où elle portait sur le remboursement des frais d'assistance d'un avocat d'office. Par ailleurs, la validité de cette déclaration interprétative s'exposait aux mêmes objections que celles exprimées à propos de l'assistance gratuite d'un interprète. Le Conseil fédéral a ainsi estimé que la déclaration interprétative portant sur l'assistance gratuite d'un avocat d'office n'apparaissait plus nécessaire et devrait, dès lors, être retirée56. Formellement, elle a été retirée le 29 août 200057.

4.2.5

Réserve à l'art. 5 du protocole no 7 à la CEDH (égalité des époux concernant le nom de famille, le droit de cité et le droit transitoire des régimes matrimoniaux)

Dans son arrêt du 22 février 1994 en l'affaire Burghartz c. Suisse58, la Cour a jugé que le nom de famille relevait de l'art. 8 CEDH (respect de la vie privée et familiale) et que, partant, il pouvait être examiné sous l'angle de cette disposition combinée avec l'art. 14 CEDH (interdiction de discrimination). Selon la Cour, l'art. 5 du protocole no 7 ne peut ni restreindre le champ d'application des art. 8 et 14 CEDH, ni primer sur ces dispositions en tant que lex specialis. La Cour a ainsi nié, dans le 53 54 55 56 57 58

372

Série A, vol. 29.

Message retrait des réserves et déclarations interprétatives (note 45), FF 1999 3355.

Cf. note 46.

Message retrait des réserves et déclarations interprétatives (note 45), FF 1999 3356.

Cf. note 46.

Série A, vol. 280.

cas d'espèce, toute pertinence à la réserve à l'art. 5 du protocole no 7. La validité de cette réserve n'a en revanche pas été remise en cause jusqu'ici. Eu égard à certaines dispositions transitoires du droit matrimonial59, également comprises dans la réserve et probablement encore actuelles, la réserve n'a pas non plus été retirée lors de la révision du CC concernant le nom et le droit de cité des époux60.

4.3

Interventions parlementaires

Depuis sa ratification par la Suisse, la CEDH a été l'objet de nombreuses discussions politiques. Ainsi, plusieurs centaines d'objets parlementaires se réfèrent, soit dans le texte, soit dans le titre à la CEDH et/ou à la Cour.

Ces dernières années, le débat politique autour de la CEDH s'est encore intensifié en Suisse, comme dans d'autres Etats également. On constate en outre une accumulation d'objets parlementaires qui questionnent la relation entre le droit national et la CEDH ou le droit international en général61.

Parmi les objets parlementaires déposés ces dernières années, on peut mentionner les suivants:

59 60 61

­

13.4187 ­ Postulat Stöckli «40 ans d'adhésion de la Suisse à la CEDH. Bilan et perspectives», déposé le 12 décembre 2013 au Conseil des Etats, accepté par le Conseil fédéral.

­

13.4174 ­ Interpellation Keller «Primauté du droit étranger sur le droit suisse?», déposée le 12 décembre 2013 au Conseil national (liquidée): questions relatives aux statistiques des recours et à la procédure de renvoi devant la Grande Chambre.

­

13.3890 ­ Motion Markwalder «40e anniversaire de la ratification de la CEDH», déposée le 26 septembre 2013 au Conseil national (non encore traitée au conseil): mandat au Conseil fédéral de célébrer à sa juste valeur le 40e anniversaire de la ratification par la Suisse de la CEDH et de prendre les mesures adéquates pour communiquer l'importance de la CEDH. Opposition au Conseil national; discussion renvoyée.

­

13.3805 ­ Postulat Groupe libéral-radical «Etablir un rapport clair entre le droit international et le droit suisse», déposé le 25 septembre 2013 au Conseil national (transmis): introduction du référendum obligatoire pour les traités internationaux ayant un caractère constitutionnel, organisation des normes de droit international selon leur légitimité démocratique. Conseil fédéral: le droit constitutionnel actuel permet déjà de soumettre au référendum les traités internationaux «ayant un caractère constitutionnel»; les Etats parties à un traité ne peuvent pas invoquer leur droit interne pour se soustraire à une obligation découlant du traité; dans ces limites, possible d'étudier comment les normes de droit international pourraient être hiérarchisées (hiérarchie qui n'aurait toutefois qu'une valeur sur le plan interne).

Art. 9, 9a, 9c, 9d, 9e, 10 et 10a tit. fin. CC.

RO 2012 2569; FF 2009 6843 6851 Résumé in W. Kälin/S. Schlegel, Schweizer Recht bricht Völkerrecht, Szenarien eines Konfliktes mit dem Europarat im Falle eines beanspruchten Vorranges des Landesrechts vor der EMRK, avril 2014, p. 7 ss, publié sur www.skmr.ch.

373

­

13.3779 ­ Interpellation Groupe libéral-radical, «Focalisation de la Cour européenne des droits de l'homme sur ses tâches principales», déposée le 24 septembre 2013 au Conseil national (liquidée): diverses questions relatives à la nécessité d'une réforme de la Cour et au renforcement du principe de subsidiarité. Conseil fédéral: une partie des mesures évoquées sont déjà en place ou en préparation du fait de l'entrée en vigueur du protocole no 14 à la CEDH et de l'approbation du protocole no 15; idée d'instituer une procédure d'autorisation déjà débattue: pas de soutien majoritaire.

­

13.3237 ­ Interpellation Brunner, «Dénonciation de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales», déposée le 22 mars 2013 au Conseil national (non encore traitée au conseil): questions relatives au développement de la jurisprudence de la Cour, à la ratification de la CEDH sans décision populaire, à l'influence de la jurisprudence de la Cour sur les lois et la jurisprudence en Suisse et aux avantages et inconvénients d'une dénonciation de la CEDH. Conseil fédéral: dénonciation de la CEDH n'entre pas en ligne de compte pour des motifs politiques et juridiques.

­

13.3075 ­ Interpellation Gilli, «Conseil de l'Europe. Ratification du premier protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales», déposée le 13 mars 2013 au Conseil national (liquidée).

­

13.1039 ­ Question Gross, «La Suisse et la ratification de la Charte sociale européenne et du 1er protocole additionnel à la CEDH», déposée le 19 juin 2013 au Conseil national (liquidée): diverses questions en relation avec la ratification du 1er protocole additionnel à la CEDH. Conseil fédéral: n'envisage pour l'instant pas une ratification compte tenu des problèmes juridiques qui ont été dénombrés; questions de compatibilité avec le droit national que pourrait soulever une ratification du premier protocole essentiellement liées à son art. 1, qui protège la propriété: difficulté dans la portée qu'a donnée la Cour à l'art. 1 en étendant la protection de la propriété aux prestations sociales; également difficulté possible en relation avec l'application de l'art. 3, qui garantit le «droit à des élections libres et secrètes»; la ratification du premier protocole poserait des problèmes à la Suisse vu le nombre important et inhabituel de réserves qu'il conviendrait de formuler.

­

13.1037 ­ Question Gross, «La Suisse et la jurisprudence de la CEDH», déposée le 19 juin 2013 au Conseil national (liquidée): données statistiques, durée moyenne des procédures contre la Suisse à Strasbourg, soutien financier et en personnel à la Cour, détachement de juristes suisses à la Cour, trop grande marge d'appréciation de la Cour. Réponse détaillée du Conseil fédéral, en particulier sur les données statistiques.

­

12.435 ­ Initiative parlementaire UDC, «Préserver l'autonomie judiciaire de la Suisse», déposée le 29 mai 2012 au Conseil national (liquidée): abrogation de l'art. 122 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF) en ce qu'il prévoit la violation de la convention comme motif de révision. Le Conseil national a décidé de ne pas donner suite à l'initiative.

­

12.3523 ­ Interpellation Freysinger, «Durée des procédures devant la Cour européenne à Strasbourg», déposée le 14 juin 2012 au Conseil national (liquidée): statistiques des requêtes, renforcement du mécanisme de filtrage

374

de la Cour afin de raccourcir la durée des procédures. Conseil fédéral: la Cour reçoit considérablement plus de nouvelles requêtes qu'elle ne peut en juger; l'allongement des délais de traitement qui en résulte affecte dans les mêmes proportions les petits et les grands Etats; les Etats membres et la Cour ont pris de nombreuses mesures dans le but de rétablir l'équilibre (protocole no 11 à la CEDH; protocole no 14 à la CEDH; recommandations adoptées par le Comité des ministres visant à améliorer l'efficacité de la mise en oeuvre de la convention au niveau national; mesures internes à la Cour; efforts de réforme engagés notamment lors des conférences d'Interlaken en février 2010 et plus récemment de Brighton en avril 2012); relevé de la durée moyenne des procédures dans le cas des requêtes déposées contre la Suisse pendant les dix dernières années impossible: la Cour déclare irrecevables environ 98 % de l'ensemble des requêtes déposées contre la Suisse, sans que cette dernière ait à soumettre des observations, et la Cour détruit les actes des procédures classées après un an; selon la Cour, il devrait être possible de réduire suffisamment le nombre total des requêtes pendantes, afin de le ramener d'ici fin 2015 dans des proportions gérables.

­

11.4174 ­ Interpellation Mörgeli, «Cour européenne des droits de l'homme.

Des droits pervertis», déposée le 23 décembre 2011 au Conseil national (liquidée): questions en relation avec l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 11 octobre 2011 Association Rhino c. Suisse (req. 48848/07), auxquelles le Conseil fédéral a répondu: la Suisse a demandé le renvoi de l'arrêt Association Rhino c. Suisse devant la Grande Chambre; il peut être nécessaire de modifier la disposition juridique à l'origine d'une violation de la CEDH ou suffire d'annuler un acte administratif; un arrêt de la Cour peut aussi justifier la révision d'un arrêt du Ttribunal fédéral; dans les rares cas dans lesquels une loi fédérale est modifiée suite à un arrêt de la Cour, la modification se fait selon la procédure législative usuelle, donc la marge de manoeuvre du législateur peut être restreinte mais elle n'est pas supprimée.

­

11.3468 ­ Motion de la Commission des institutions politiques du Conseil national, «Mesures visant à garantir une meilleure compatibilité des initiatives populaires avec les droits fondamentaux», déposée le 19 mai 2011 au Conseil national (liquidée): Conseil fédéral chargé d'élaborer un projet à l'intention de l'Assemblée fédérale en se fondant sur son rapport additionnel du 30 mars 2011 au rapport sur la relation entre droit international et droit interne.

­

09.5615 ­ Question Wobmann, «CEDH. Réserve relative à la construction de minarets», déposée le 7 décembre 2009 au Conseil national (liquidée): possibilité d'une réserve à la CEDH relative à la construction de minarets, de sorte que la Cour européenne des droits de l'homme ne puisse pas condamner la Suisse si une plainte devait être déposée contre l'interdiction d'en construire un. Conseil fédéral: réserves doivent être apposées lors de la signature ou de la ratification; dénonciation de la CEDH n'est pas une option.

­

09.5611 ­ Question Prelicz-Huber, «Interdiction des minarets. Examen de la conformité à la CEDH par le Conseil fédéral», déposée le 7 décembre 2009 au Conseil national (liquidée): examen, suite à l'acceptation par les citoyens suisses de l'initiative populaire «contre la construction de minarets», de la compatibilité avec la liberté de religion garantie par la convention de cette 375

interdiction. Conseil fédéral: question déjà examinée dans le cadre du message relatif à cette initiative, initiative contrevient à plusieurs droits fondamentaux garantis par le droit international, entre autres à la liberté de religion (art. 9 CEDH); probable constat de violation de la CEDH (en particulier de l'art. 9) en cas de requête à la Cour dans un cas d'application.

4.4

Evolution du nombre de requêtes et de leur règlement

4.4.1

En général

Depuis 1959 jusqu'à fin 2013, 644 35762 requêtes ont été attribuées à une formation judiciaire. De ces requêtes, 22 764, soit environ 4 %, se sont terminées par un arrêt et 518 63063 ont été déclarées irrecevables ou ont été rayées du rôle (cf. annexe 2).

Les Etats gros pourvoyeurs de requêtes sont la Russie (16,8 %), l'Italie (14,4 %), l'Ukraine (13,3 %), la Serbie (11,3 %) et la Turquie (11 %) (cf. annexe 2).

Entre 2000 et 2004, la Cour a rendu par année entre 695 et 888 arrêts. Ce nombre a passé à 1 105 en 2005 et à environ 1500 arrêts par an (1625 en 2009) entre 2006 et 2010. Il est redescendu à 1157 en 2011, 1093 en 2012 et 916 en 2013. Ces dernières années, la Cour a joint certaines requêtes posant des problèmes juridiques similaires.

Par conséquent, bien que le nombre d'arrêts rendus ait ralenti sa progression, un plus grand nombre de requêtes a été examiné par la Cour (cf. annexes 3 et 4). Près de la moitié des arrêts rendus par la Cour étaient dirigés contre cinq Etats: la Turquie (2994), l'Italie (2268), la Fédération de Russie (1475), la Pologne (1042) et la Roumanie (1026) (cf. annexe 5).

Sur le nombre total d'arrêts rendus, dans environ 83 % des cas, la Cour a constaté au moins une violation de la convention et condamné l'Etat défendeur64.Dans environ 6 % des cas, la Cour a conclu à la non-violation de la convention et 8 % environ des cas se sont soldés par un règlement amiable ou une radiation65.

Quant à l'objet des arrêts de violation rendus par la Cour entre 1959 et 2013, dans plus de 43 % des cas, la Cour a conclu à la violation de l'art. 6 de la convention (droit à un procès équitable). Elle a conclu à une violation de la convention concernant le droit à la vie ou l'interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (art. 2 et 3 de la convention) dans un peu plus de 13 % des cas (cf. annexe 6). En 2013, la Cour a conclu à une violation de la convention concernant le droit à la vie ou l'interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants dans plus de 24 % des cas (cf. annexe 7)66.

62 63 64 65 66

376

Y compris les requêtes introduites devant l'ancienne Commission européenne des droits de l'homme (jusqu'à l'entrée en vigueur du protocole no 11 en 1998).

Y compris les décisions d'irrecevabilité de l'ancienne Commission européenne des droits de l'homme (jusqu'en 1998).

Cf. annexe 8.

Cf. annexe 8.

Pour ce qui est des violations par article et par Etat entre 1959 et 2013, cf. annexe 8, et ci-après ch. 4.4.2.

4.4.2

Pour la Suisse

Depuis 1974 à fin 2013, 5940 requêtes ont été enregistrées contre la Suisse (ou, selon la nouvelle terminologie, ont été «attribuées à une formation judiciaire»).67 Plus de la moitié des requêtes déposées contre la Suisse ­ 3533 ­ l'ont été entre 2002 et 2013: 214 en 2002; 162 en 2003; 203 en 2004; 232 en 2005; 277 en 2006; 236 en 2007; 261 en 2008; 471 en 2009; 368 en 2010; 358 en 2011; 326 en 2012 et 445 en 2013 (cf. statistique de l'Office fédéral de la justice, annexe 9)68.

En 2013, 445 requêtes ont été attribuées à une formation judiciaire, soit 0,55 pour 10 000 habitants (le nombre moyen de requêtes attribuées à une formation judiciaire pour 10 000 habitants pour l'ensemble des Etats parties étant de 0,80 en 2013).

Des 5 940 requêtes attribuées à une formation judiciaires entre 1974 et fin 2013, 5516, soit à peu près 93 %, ont été déclarées irrecevables ou rayées du rôle (cf.

annexe 2).

Jusqu'à fin 2013, la Cour et le Comité des Ministres69 ont rendu un total de 152 arrêts/décisions définitifs dans des affaires suisses (Comité des Ministres: 27 décisions; Cour: 125 arrêts; ne sont pas comprises dans ce nombre deux affaires qui sont encore pendantes devant la Grande Chambre). Dans 93 affaires, le Comité des Ministres ou la Cour ont constaté une violation de la convention (Comité des Ministres: 11; Cour: 82; cf. statistique de l'Office fédéral de la justice, annexe 9).

13 affaires se sont soldées par un règlement amiable, 17 affaires ont été rayées du rôle faute d'intérêt du requérant de les maintenir, 6 affaires ont été rayées du rôle en raison de la résolution du litige, 3 affaires ont été rayées du rôle pour retrait de la requête et 6 autres affaires ont été rayées du rôle pour d'autres motifs.

La comparaison entre le nombre de requêtes contre la Suisse qui ont été enregistrées entre 1974 et 2013 et le nombre de constats de violations prononcés durant cette période démontre que, jusqu'ici, moins de 1,6 % du contentieux suisse devant la Cour a débouché sur un arrêt de condamnation.

En ce qui concerne les demandes de renvoi devant la Grande Chambre, 17 demandes de renvoi ont été formulées dans des affaires suisses jusqu'à fin 2013 (9 émanant du gouvernement suisse et 8 de la partie requérante). 5 demandes de renvoi ont été acceptées et 9 ont été rejetées; 3 demandes étaient pendantes
fin 2013. La Grande Chambre a confirmé l'arrêt de la Chambre dans 2 affaires et l'a infirmé dans 2 affaires, une affaire étant pendante70.

L'aperçu figurant à l'annexe 8 du présent rapport renseigne sur l'objet des violations de la convention par article et par Etat. Il en ressort qu'en comparaison avec d'autres Etats, la Suisse a subi peu de condamnations pour violations graves de la convention concernant les art. 2 (droit à la vie, 1 violation procédurale) et 3 de la convention (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants, 1 violation 67

68

69 70

Ce chiffre correspond à la somme des chiffres figurant dans les statistiques annuelles de la Cour. Il diffère de 10 requêtes de la statistique figurant à l'annexe 2 pour les années 1959­2013, qui dénombre 5950 requêtes.

Cf. également réponse du Conseil fédéral à l'interpellation 13.4174 Keller Peter du 12.12.2013, «Primauté du droit étranger sur le droit suisse?», qui cite toutefois des chiffres provisoires, lesquels comprenaient également les requêtes qui n'ont, par la suite, pas été attribuées à une formation judiciaire.

Compétent, lui aussi, dans le système de contrôle en vigueur jusqu'à l'entrée en vigueur du protocole no 11, cf. ci-dessus, ch. 2.1.

Pour plus de détails, cf. liste des arrêts, annexe 9.

377

procédurale, 1 violation matérielle)71. En comparaison avec d'autres Etats, la Suisse a également subi peu de condamnations (7 violations) pour des durées excessives de procédure (art. 6 CEDH). Plus nombreuses en revanche, sont les violations constatées en relation avec les art. 5 (12 violations), 6 (28 violations [autres que des durées de procédure]), 8 (21 violations) et 10 CEDH (13 violations).

On peut signaler pour terminer que, pour les requêtes qui ont été transmises à la Suisse, la durée de traitement moyenne est de 4,69 ans jusqu'à l'arrêt définitif de la Cour. Quant aux décisions d'irrecevabilité, elles sont rendues en moyenne après 3,5 ans. Les chiffres de ces cinq dernières années montrent une faible réduction de la durée des procédures (4,55 et 3,35 ans).

5

Influence et portée de la CEDH

5.1

En général

Entrée en vigueur en 1953, la CEDH concernait à l'origine dix Etats; aujourd'hui, 47 Etats l'ont ratifiée. La Cour européenne des droits de l'homme a rendu son premier arrêt en 1960; à ce jour, elle a rendu quelque 17 000 arrêts; si l'on y ajoute la jurisprudence rendue antérieurement par le Comité des Ministres, on atteint environ 23 000 décisions72. Les décisions portent sur les cas et les domaines juridiques les plus divers, qui relèvent aussi bien du droit public que du droit pénal ou du droit civil. Environ 80 % des arrêts rendus font état d'une violation de la CEDH.

Comme évoqué précédemment (cf. ch. 2 ci-dessus), les décisions des organes de Strasbourg ont force obligatoire pour l'Etat partie au litige; le Comité des Ministres en surveille l'exécution par les autorités du pays concerné (art. 46, par. 1 et 2, CEDH). Depuis 1998, la juridiction de la Cour est obligatoire pour tous les Etats parties à la convention. La force obligatoire des arrêts et l'obligation pour les Etats de se soumettre à la juridiction de la Cour sont les signes distinctifs du système de contrôle de la CEDH. Ils distinguent cette procédure des autres systèmes de contrôle internationaux qui existent dans le domaine de la protection des droits de l'homme73 et expliquent en grande partie le succès de la CEDH. Il n'est pas exagéré de dire que la convention est «à ce jour le système supranational de protection des droits de l'homme le plus développé au monde»74.

Les garanties de la convention ­ comme toutes les garanties en matière de droits de l'homme et de droits fondamentaux ­ sont formulées de manière abstraite et doivent être concrétisées. La teneur et la portée de la convention n'apparaissent donc qu'en filigrane dans le libellé de ses dispositions. L'activité judiciaire de la Cour est autrement plus importante. Cet élément a déjà été soulevé lors du débat parlementaire sur l'approbation de la convention75. Des notions fondamentales comme le principe de subsidiarité, l'image de la convention en tant qu'«instrument vivant» ou la recon71 72 73

74 75

378

Cf. également G. Malinverni, La Suisse devant la Cour Européenne des droits de l'homme, in «Justice ­ Justiz ­ Giustizia» 2012/2, www.richterzeitung.ch.

Cf. annexe 2.

Seule la convention américaine relative aux droits de l'homme prévoit la procédure de requête individuelle (art. 44) qui ne peut cependant être introduite qu'indirectement devant la Cour interaméricaine des droits de l'homme.

F.C. Mayer, in: Karpenstein/Mayer, Konvention zum Schutz der Menschenrechte und Grundfreiheiten, Commentaire, Munich 2012, Introduction, N 1.

Conseiller aux Etats Peter Hefti, porte-parole de la commission (BO E 1974 379).

naissance des obligations positives incombant aux Etats parties se sont concrétisées ou simplement conceptualisées au fil des décennies. Au vu de cette évolution, on peut affirmer aujourd'hui que la CEDH n'est plus considérée comme un simple traité multilatéral qui règle les obligations entre les Etats parties; elle vise surtout à défendre le droit des particuliers à déposer un recours contre ces Etats. La convention est en quelque sorte un contrat en faveur de tiers qui font valoir une violation de leurs droits par un Etat partie, généralement leur propre Etat. Ainsi, la protection des droits de l'homme garantie par la CEDH est comparable, par ses effets, à la protection des droits fondamentaux garantie par les constitutions nationales. En ce sens, la convention revêt un caractère objectif et constitutionnel76; dans ses arrêts, la Cour elle-même parle de la convention comme d'un «instrument constitutionnel de l'ordre public européen»77.

Le caractère quasi constitutionnel de la jurisprudence strasbourgeoise présente une importance particulière pour les Etats qui sont dépourvus d'une juridiction constitutionnelle ou du moins d'une juridiction constitutionnelle complète. Dans leur cas, la protection des droits fondamentaux a été renforcée par la CEDH. Le Conseil fédéral avait déjà évoqué cette possibilité dans son message sur la CEDH78. La doctrine relève, à ce propos, que personne n'avait anticipé, au moment de l'adoption de la convention, son «effet foncièrement révolutionnaire», qui fait que l'adhésion à la CEDH permet désormais, dans certains cas concrets, de contrôler la compatibilité des lois avec les droits fondamentaux, y compris dans des Etats dont le droit national ne prévoit pas un tel contrôle79.

5.2

Pour la Suisse

5.2.1

Statistiques

Comme le précise le ch. 4.4.2, 5940 requêtes ont été enregistrées contre la Suisse, depuis la ratification en 1974 jusqu'à la fin 2013. Le nombre de requêtes effectivement déposées contre la Suisse est certainement plus élevé: certains dossiers sont réglés par le Greffe, sans être attribués à l'une des formations judiciaires de la Cour80. Sur les 5940 requêtes enregistrées, seule une petite partie, à peu près 3 %, a été déclarée partiellement ou totalement recevable. Une ou plusieurs violations de la convention ont été constatées dans 93 des affaires déclarées recevables, ce qui correspond à un taux d'à peine 1,6 %.

76

77 78 79 80

Par ex. T. Buergenthal/D. Thürer, Menschenrechte ­ Ideale, Instrumente, Institutionen, Zurich, St-Gall, Baden-Baden 2010, p. 234; J.P. Müller, Koordination des Grundrechtsschutzes in Europa, RDS 124 (2005) II p. 9, 14 («fonction d'une véritable cour des droits fondamentaux»).

Par ex. arrêt Neulinger et Shuruk (Grande Chambre), du 6 juillet 2010, ch. 133.

Message sur la CEDH (note 34), FF 1974 I 1038 s.; cf. aussi le rapport sur la CEDH (note 29), FF 1968 II 1083 s.

J. Frowein/W. Peukert, EMRK-Kommentar, 3e éd., Kehl 2009, Introduction N 13, avec référence à la situation au Royaume-Uni et en France.

C'est notamment le cas lorsque le requérant ne répond pas ou répond insuffisamment à une demande de documents ou d'informations complémentaires. En 2013, 13 600 requêtes au total ont été réglées ainsi, par décision administrative (les volumes par Etat ne sont pas communiqués).

379

Ces chiffres montrent clairement que l'impression, exprimée parfois, que les condamnations de la Suisse sont fréquentes, ne repose sur aucune base objective. Au contraire, la partie largement majoritaire des requêtes enregistrées sont déclarées irrecevables ou rayées du rôle pour une raison ou une autre.

5.2.2

Réception de la convention en Suisse

L'art. 1 CEDH oblige les Etats parties à accorder les garanties de la CEDH à «toute personne relevant de leur juridiction». Ces garanties sont aujourd'hui directement applicables (ou justiciables), sans exception; elles sont applicables en Suisse au même titre que le droit national; enfin, elles engagent les autorités qui exercent l'ensemble des pouvoirs, autrement dit également le Parlement, le gouvernement et l'administration, à tous les échelons de l'Etat fédéral (monisme).

Le rôle du Tribunal fédéral Le Tribunal fédéral a joué un rôle déterminant lors de la réception de la CEDH dans l'ordre juridique suisse. Peu après l'entrée en vigueur de la convention, il a reconnu dans son arrêt Diskont- und Handelsbank81 que les garanties de la convention ont un caractère constitutionnel et a donc placé celles-ci, d'un point de vue procédural, sur un pied d'égalité avec les droits constitutionnels. Pour les autorités cantonales, cela signifie que lorsqu'une violation d'un droit constitutionnel par un acte législatif ou par une décision est alléguée, une violation de la CEDH peut toujours également (ou exclusivement) être invoquée.

Il convient par ailleurs de mentionner la jurisprudence relative à l'art. 190 Cst.

(art. 113, al. 3, aCst.), en vertu de laquelle le Tribunal fédéral (de même que les autres autorités d'application du droit) est assujetti au droit international ainsi qu'aux lois fédérales. Le Tribunal fédéral s'efforce d'éviter les conflits éventuels en adoptant une interprétation conforme à la convention. A cet égard, l'obligation d'appliquer le droit fédéral, qui découle de l'art. 190 Cst. n'interdit pas de contrôler les lois; le Tribunal fédéral a au contraire signalé à maintes reprises l'incompatibilité d'une disposition légale avec les droits garantis par la Constitution ou par la convention82. L'obligation d'appliquer les lois fédérales doit aussi être relativisée pour d'autres raisons: d'une part, le Tribunal fédéral n'admet pas que des lois fédérales puissent avoir la primauté sur des règles de droit international antérieur, lorsqu'il s'agit d'obligations internationales en matière de droits de l'homme (jurisprudence

81 82

380

Arrêt du 19 mars 1975, ATF 101 Ia 67, consid. 2c.

Par ex. ATF 129 II 249, 263, consid. 5.4; 125 II 417, 424, consid. 4c; 118 Ib 277, 280 s., consid. 3.

PKK)83. D'autre part, la révision prévue à l'art. 122, LTF (autrefois art. 139a OJ) risque d'avoir comme effet qu'une garantie de la CEDH qu'un arrêt de la Cour considère comme enfreinte s'applique néanmoins, même si une disposition du droit fédéral s'oppose à son application84.

Le processus de réception est décrit dans de nombreuses publications. On parle, dans ce contexte, souvent de la réussite de Strasbourg («Erfolgsgeschichte von Strassburg»), que ce soit sur un plan général85 ou plus spécifique, à propos de la mise en oeuvre de la CEDH en Suisse86. D'autres publications décrivent une évolution en plusieurs étapes: dans un premier temps, le Tribunal fédéral a abordé la nouvelle convention avec un certain scepticisme; à partir du milieu des années 80, lorsque les premières condamnations de la Suisse ont été prononcées, il a commencé à s'y intéresser de plus près; puis, dès la fin des années 80, il a décidé de prendre en compte et d'appliquer pleinement la convention87. Dans ce contexte, il est intéressant de signaler l'augmentation du nombre d'arrêts du Tribunal fédéral qui font référence à la convention. Si l'on se reporte aux répertoires des matières (exrépertoire général) qui recensent les arrêts du Tribunal fédéral publiés, on s'aperçoit que dans le répertoire général des années 1975­1984 (ATF volumes 101­110), autrement dit les dix premières années après la ratification, les arrêts enregistrés sous le titre «CEDH» occupaient environ sept pages. La décennie suivante (1985­1994, ATF volumes 111­120) ils remplissaient déjà 20 pages, puis au cours de la période 1995­2004 (ATF recueils 121­130), ils sont passés à 32 pages. Le dernier registre en date, qui regroupe les décisions publiées entre 2005 et 2013 (ATF volumes 131­139) énonce sur 24 pages les décisions en lien avec la CEDH. Cette progression est d'autant plus spectaculaire que seule une petite partie des arrêts du Tribunal fédéral sont publiés dans le Recueil officiel des arrêts, et uniquement ceux qui ne se limitent pas à confirmer une pratique existante. A noter que le nombre d'arrêts 83

84

85

86

87

ATF 125 II 417, 424, consid. 4d; message du 28 février 2001 concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, FF 2001 4000 4118; «La relation entre droit international et droit interne», rapport du Conseil fédéral du 5 mars 2010 en réponse au postulat 07.3764 de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats du 16 octobre 2007 et au postulat 08.3765 de la Commission des institutions politiques du Conseil national du 20 novembre 2008, FF 2010 2067; rapport additionnel du Conseil fédéral au rapport du 5 mars 2010 sur la relation entre droit international et droit interne, FF 2011 3401 3440 ss; Cour européenne des droits de l'homme, décision d'irrecevabilité Ouardiri (interdiction des minarets) du 28 juin 2011. Cf. aussi D. Thurnherr, The Reception Process in Austria and Switzerland, in: H. Keller/A. Stone Sweet (éd.), A Europe of Rights ­ The Impact of the ECHR on National Legal Systems, Oxford/New York, 2008, p. 311, 334 s.

H. Aemisegger, concernant la mise en oeuvre de la CEDH par le Tribunal fédéral, in: S. Breitenmoser/B. Ehrenzeller (éd.), Die EMRK und die Schweiz, Saint-Gall 2010, p. 50, 56 ss; concernant la révision, voir aussi le ch. 5.2.4 ci-après.

G. Steinmann, Le praticien suisse vis-à-vis de la CEDH et de la Cour européenne des droits de l'homme, in: S. Breitenmoser/B. Ehrenzeller (éd.), Die EMRK und die Schweiz, St-Gall 2010, p. 243.

H. Aemisegger (note 84), p. 47; cf. aussi M. E. Villiger, Handbuch EMRK, 2e éd. Zurich 1999, N 84: «Il y a lieu de reconnaître que depuis [la ratification], les autorités ont en règle générale réagi à la CEDH de manière appropriée, tant sur le plan préventif que sur le plan réactif.» Cf. M. Hottelier/HP. Mock/M. Puéchavy, La Suisse devant la Cour européenne des droits de l'homme, 2e éd., Zurich 2011, p. 38 ss; M. Hottelier, La réception de la CEDH dans les cantons, in: La Convention européenne des droits de l'homme et les cantons, Journée BENEFRI de droit européen de l'Institut de droit européen, Genève, Zurich, Bâle 2014, p. 46 ss; A. Haefliger/F. Schürmann, Die EMRK und die Schweiz, 2e éd., Berne 1999, p. 437 ss.

381

enregistrés dans les répertoires au chapitre des droits fondamentaux de la Constitution a progressé dans les mêmes proportions. Le fait qu'il s'agisse là souvent des mêmes arrêts que ceux figurant sous le titre «CEDH» montre combien les droits fondamentaux inscrits dans la Constitution et les droits de l'homme garantis par la convention sont étroitement imbriqués et combien ils s'enrichissent mutuellement.

Le juge fédéral Aemisegger a relevé à ce propos que le Tribunal fédéral a intégré les garanties de la CEDH dans sa jurisprudence relative aux droits fondamentaux garantis par la Constitution (y compris ceux qui étaient autrefois non écrits). «Ces garanties ont ainsi vu leur impact augmenter et ont fortement influencé l'activité normative et l'application du droit. Les dispositions de la CEDH soit ont été prises comme référence lors de l'interprétation du droit constitutionnel national, soit ont fondé directement l'appréciation.»88. Mark E. Villiger, juge à la Cour européenne des droits de l'homme depuis 2006, a déclaré qu'à l'échelle européenne, le Tribunal fédéral figure parmi les tribunaux qui prennent le mieux en compte la CEDH et la jurisprudence de Strasbourg89.

Hormis les deux arrêts du Tribunal fédéral évoqués ci-dessus sur l'égalité formelle entre la CEDH et les droits fondamentaux garantis par la Constitution et sur le principe de la primauté de la CEDH y compris sur des lois fédérales ultérieures90, de nombreuses autres décisions de principe illustrent l'importance que revêt la convention dans l'ordre juridique national. Il s'agit notamment des arrêts dans lesquels le Tribunal fédéral a vérifié la conformité d'une disposition légale (cantonale) en tant que telle, c'est-à-dire dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes, une possibilité de contrôle dont ne dispose pas la Cour européenne des droits de l'homme. Il convient de citer les arrêts suivants (contrôle concret et abstrait des normes): ­

ATF 109 Ia 273 (Vest): une exclusion générale de tout avis ultérieur aux personnes touchées par une surveillance secrète viole l'art. 13 CEDH (contrôle abstrait des normes);

­

ATF 109 Ib 183 (Reneja-Dittli): ouverture du recours de droit administratif devant le Tribunal fédéral en cas de violation alléguée de l'art. 8 CEDH, lors du non-renouvellement d'une autorisation de séjour (changement de jurisprudence);

­

ATF 112 Ia 290 (S.): union personnelle du juge d'instruction et du juge de fond, contraire à l'art. 6 CEDH (changement de jurisprudence, en vertu d'un arrêt de la Cour rendu dans une affaire belge analogue);

­

ATF 114 Ia 50 (G. et B.): union personnelle du juge du renvoi et du juge du fond dans le canton de Zurich; décision de principe sur la participation du juge du fond à des décisions antérieures à la même affaire (art. 6, par. 1, CEDH); cf. également, parmi d'autres, ATF 114 Ia 143 (ordonnance pénale selon l'ancien Code de procédure pénale bernois);

­

ATF 114 Ia 84 (S.): droit de réplique dans le cas d'une procédure de mise en liberté; le droit de répliquer existe indépendamment du fait que la prise de position de l'autorité contienne ou non de nouveaux éléments (art. 5, par. 4, CEDH) (changement de jurisprudence);

88 89 90

382

H. Aemisegger (note 84), p. 46.

M.E. Villiger (note 86), N 84, et références.

Notes 81 et 83.

­

ATF 124 II 480 (Erben P.): inapplicabilité d'une disposition du droit fiscal fédéral contraire à la CEDH;

­

ATF 118 Ia 64 (Minelli): ordonnance sur les prisons de district du canton de Zurich; garanties en matière de droits de l'homme et de droits fondamentaux reconnues aux détenus en exécution de peine (art. 6, 8, 10 et 14, CEDH) (contrôle abstrait des normes);

­

ATF 118 Ia 473 (F. et R.): nullité de la déclaration interprétative révisée de l'art. 6 CEDH faite par le Conseil fédéral;

­

ATF 131 I 455 (X.): droit à une enquête officielle effective et approfondie quant à un grief de violation de l'art. 3 CEDH; reconnaissance de la composante procédurale des garanties matérielles de la CEDH.

Mise à jour de la Constitution fédérale Les travaux qui ont précédé l'adoption de l'actuelle Constitution témoignent de l'impressionnante réception de la CEDH dans le droit suisse. Seule une fraction des droits fondamentaux étaient expressément mentionnés dans la constitution de 1874; la plupart des droits étaient entrés dans l'ordre juridique suisse par l'intermédiaire de la jurisprudence du Tribunal fédéral et sa reconnaissance de l'existence de droits fondamentaux non écrits, mais également des traités internationaux et de la jurisprudence des organes chargés de faire appliquer ces traités (notamment la Cour européenne des droits de l'homme). La mise à jour de la constitution devait permettre de réunir ces garanties dans un catalogue de droits fondamentaux91.

Seules ont été reprises des traités internationaux sur les droits de l'homme les normes correspondant aux dispositions et interprétations qui s'étaient imposées dans le droit et dans la pratique suisses. La CEDH a bénéficié d'un traitement privilégié, que le Conseil fédéral a justifié au motif que les arrêts rendus par les organes de la convention déployaient les mêmes effets que les jugements d'une Cour constitutionnelle92.

Une présentation détaillée des influences exercées par la CEDH sur la Constitution déborderait le cadre du présent rapport. Nous indiquons donc ci-après quelques dispositions qui mettent particulièrement en évidence ces influences: ­

91

92 93

En vertu de l'art. 13 Cst., toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa correspondance et des relations qu'elle établit par la poste et les télécommunications. Cette formulation se rapproche beaucoup de la disposition correspondante énoncée dans la CEDH (art. 8, par. 1). Le message du Conseil fédéral précise du reste que sur le plan matériel, ces garanties se recoupent largement; quant au sens à donner au terme «vie familiale», le message renvoie à la pratique des organes de la convention93.

Cf. message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale (note 38), FF 1997 I 1, p. 139; H. Koller, Die Nachführung der Bundesverfassung, PJA 1995, p. 980 ss.

Cf. message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale (note 38), FF 1997 I 118 s.

Cf. message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale (note 88), FF 1997 I 154 s.

383

­

L'art. 31 Cst. règle les conditions de la privation de liberté et les droits des personnes concernées, en particulier leur droit à un contrôle judiciaire du bien-fondé de la détention et, pour les personnes en détention préventive, le droit d'être jugées dans un délai raisonnable. L'influence de la disposition correspondante de la CEDH (art. 5) est très nette, tant dans la structure et la formulation que le contenu de l'article. Le message confirme l'étroite connexité avec la convention94.

­

La Constitution mise à jour comporte plusieurs garanties de voies de droit et de procédure (art. 29, 29a, 30 et 32 Cst.). Ces dispositions sont toutes largement inspirées de la CEDH, et en particulier de son art. 6 (droit à un procès équitable).

­

Les droits des personnes poursuivies dans le cadre d'une procédure pénale correspondent, en substance, aux garanties octroyées par la convention (art. 6, par. 2 et 3; art. 2 du protocole no 7 à la CEDH). Sont expressément garantis, la présomption d'innocence, le droit d'être informé des accusations portées contre soi et le droit de recours. L'art. 32 Cst. comporte en outre une formulation générale: «[La personne accusée] doit être mise en état de faire valoir les droits de la défense.» D'après le message, cette formulation inclut les droits prévus par la convention, que la Constitution ne mentionne pas expressément95.

5.2.3

Principaux domaines où s'exerce une influence

L'annexe 9 du présent rapport dresse une liste exhaustive des décisions96 que le Comité des Ministres et la Cour ont rendues dans des affaires concernant la Suisse, en indiquant chaque fois si une violation de la CEDH a été constatée ou non.

Le présent chapitre décrit les domaines les plus importants dans lesquels s'est exercée une influence. Le chapitre suivant explique comment la Confédération et les cantons ont mis en oeuvre les décisions pertinentes de Strasbourg.

Adaptations avant et immédiatement après l'adhésion Il convient tout d'abord de rappeler les deux révisions de la Constitution étroitement liées à l'intention du Conseil fédéral de ratifier la convention. Ces révisions portaient sur les articles d'exception, dits «confessionnels», de l'ancienne Constitution, qui étaient en contradiction avec l'art. 9 CEDH (liberté de conscience et de croyance), et sur l'absence du droit de vote des femmes, qui aux yeux du Conseil fédéral ne paraissait «guère conciliable avec l'esprit, sinon avec la lettre de l'art. 3 du protocole 94 95

96

384

Cf. message message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale (note 38), FF 1997 I 187 s.

Droit à disposer de suffisamment de temps pour préparer convenablement sa défense; droit d'assurer soi-même sa défense, de la confier à un défenseur de son choix ou d'obtenir, s'il y a lieu, un défenseur d'office; droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge; droit d'obtenir gratuitement les services d'un interprète (cf. message relatif à une nouvelle constitution fédérale (note 38), FF 1997 I 189).

Le terme «décisions» englobe les résolutions du Comité des Ministres (au sens de l'ancien art. 54 CEDH) et les arrêts rendus par la Cour, tous disponibles sur hudoc.echr.coe.int. Ce site donne également accès aux rapports de l'ancienne Commission européenne des droits de l'homme, sur lesquels se fondaient les résolutions du Comité des Ministres.

additionnel»97. Les votations populaires de 1971 (droit de vote des femmes) et de 1973 (articles d'exception) ont permis d'écarter ces deux obstacles; ils sont la raison principale pour laquelle la Suisse, qui avait adhéré au Conseil de l'Europe en 1963, a attendu plus de dix ans avant de ratifier la convention.

La législation sur l'internement administratif en revanche n'a pas pu être adaptée à temps. Elle était en contradiction partielle avec les garanties procédurales inscrites dans l'art. 5 CEDH, raison pour laquelle le Conseil fédéral a émis une réserve au sujet de cet article. Comme on l'a expliqué ci-dessus98, cette réserve, d'emblée considérée comme provisoire, a pu être levée le 1er janvier 1982, suite à l'introduction dans le code civil (ancien art. 397a et ss.) des dispositions sur la privation de liberté à des fins d'assistance.

Garanties procédurales Les premières décisions rendues dans des affaires suisses concernaient des garanties procédurales, c'est-à-dire essentiellement les art. 5, 6 et 13 CEDH. Ces garanties ont occupé et occupent encore à ce jour une place importante dans la jurisprudence de la Cour. Le Tribunal fédéral a lui aussi toujours considéré ces garanties formelles comme prioritaires99.

Les domaines les plus importants dans lesquels la jurisprudence de la juridiction suprême a influencé l'ordre juridique suisse sont les suivants:

97 98 99 100

­

Le développement du contrôle judiciaire pour les litiges de droit pénal et civil, eu égard à l'interprétation des notions d'«accusation en matière pénale» et de «droits et obligations de caractère civil» énoncées dans l'art. 6, par. 1, CEDH. L'interprétation autonome de ces notions par la Cour a eu des répercussions en droit pénal, car les infractions mineures, qui auparavant n'étaient pas considérées comme relevant du droit pénal et ne faisaient donc pas l'objet d'un contrôle judiciaire, ont été qualifiées d'infractions «en matière pénale» au sens de l'art. 6 CEDH. Sans doute plus important encore, l'interprétation autonome a conduit à considérer de nombreux litiges de droit public (droit de la construction et de l'aménagement du territoire, concessions, autorisations d'exercer, droit des assurances sociales, statut des fonctionnaires, etc.) comme ayant un «caractère civil» au sens de l'art. 6 CEDH, de sorte qu'il a fallu, dans tous ces cas, permettre d'intenter une action devant un tribunal. Aujourd'hui, ce droit d'accès à un tribunal est garanti par l'art. 29a Cst.

­

Le droit de procédure pénale: la jurisprudence de la convention a produit des effets particulièrement tangibles dans ce domaine. Le Tribunal fédéral «n'a eu aucune difficulté à appliquer les garanties de la CEDH au droit procédural fragmenté des cantons»100. Les dispositions qui régissent les droits de la défense, les mesures de contrainte, notamment la détention provisoire, l'indépendance et l'impartialité du tribunal ou l'établissement des frais de procédure sont fortement influencés par la jurisprudence des juridictions suprêmes de Strasbourg et Lausanne. Globalement, cette jurisprudence a fixé dans des domaines clés des normes uniformes valables pour tous les codes Rapport sur la CEDH (note 29), FF 1968 II 1140.

Ch. 4.2.1.

G. Steinmann (note 85), p. 245 s.

G. Steinmann (note 85), p. 247 s.

385

de procédure des cantons et de la Confédération, qui ont en définitive favorisé l'unification de ces codes101.

­

Le principe de célérité ne se cantonne pas à la procédure pénale. La convention exhorte les autorités à intervenir rapidement dans différentes situations: l'art. 5, par. 2, CEDH prescrit d'informer toute personne arrêtée des raisons de son arrestation «dans le plus court délai»; le par. 3 du même article donne aux personnes en détention préventive le droit d'être «aussitôt» traduites devant un juge de l'arrestation; ce même alinéa limite la durée admissible de la détention préventive; le par. 4, qui est valable pour tous les motifs de détention, à l'instar du par. 2 (y compris donc pour le placement à des fins d'assistance ou la détention ordonnée en vertu du droit des étrangers), ordonne que les tribunaux statuent «à bref délai» sur les demandes de libération. Le principe de célérité le plus important dans la pratique des organes de Strasbourg figure à l'art. 6, par. 1: les tribunaux sont tenus de se prononcer «dans un délai raisonnable» sur les contestations de caractère civil et les accusations en matière pénale. Même si en l'occurrence, la CEDH n'a rien apporté de fondamentalement nouveau en soi, étant donné l'abondante jurisprudence du Tribunal fédéral concernant le droit d'être entendu, on peut néanmoins affirmer que dans ce domaine également, la pratique de la Cour a amené une sensibilisation des autorités suisses d'application du droit. Quoi qu'il en soit, les condamnations de la Suisse pour violation du principe de célérité sont restées relativement rares102.

­

Le droit de réplique inconditionnel n'était pas protégé par l'ancienne jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit d'être entendu. Le Tribunal fédéral ne reconnaissait ce droit, fondé sur l'art. 4 aCst., qu'à partir du moment où la requête à laquelle les parties voulaient répliquer contenait de nouveaux éléments substantiels. La Cour en revanche déduit un droit inconditionnel de l'art. 6 CEDH: la confiance des requérants dans la justice exige qu'ils aient la certitude qu'ils auront connaissance de toutes les écritures notifiées au tribunal et qu'ils pourront se prononcer à leur sujet. Plusieurs condamnations de la Suisse portaient sur ce droit de réplique103.

­

Les obligations positives incombant aux Etats parties que la Cour déduit des garanties de la CEDH, conçues en principe comme des obligations négatives, reflètent une évolution majeure dans la jurisprudence de la Cour. Il convient à ce propos de mentionner les obligations positives de nature procédurale; elles occupent désormais une place prépondérante dans la pratique adoptée par les organes de Strasbourg104. La Cour constate de plus en plus

101

Cf. message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 1057 1070 1368 s.

102 Cf. à propos de l'art. 5, par. 3: arrêt Kaiser (2007) (sur le mandat d'arrêt). A propos de l'art. 5, par. 4: arrêts M.B et G.B. (2000), Fuchser (2006), Jusic (2010). A propos de l'art. 6: arrêts Zimmermann et Steiner (1983), Kiefer (2000), Müller (2002), Munari (2005), Mc Hugo (2006), Werz (2009), Roduit (2013). Verdict de non-violation en revanche dans les arrêts W. (1993) et Shabani (2009) (tous deux à propos de l'art. 5, par. 3, durée de la détention préventive).

103 Cf. les arrêts Nideröst-Huber (1997), F.R. (2001), Ziegler (2002), Contardi (2005), Spang (2005), Ressegatti (2006), Kessler (2007), Werz (2009), Schaller-Bossert (2010), Ellès et autres (2010), Locher (2013). ­ Une violation a en revanche été démentie dans trois arrêts récents: Joos (2012), Wyssenbach (2013) et Schmid (2014).

104 Cf. statistiques à l'annexe 8.

386

souvent que les autorités n'ont pas examiné avec toute la diligence requise les griefs d'une violation de la convention allégués de manière défendable.

On parle à ce sujet de la «composante procédurale» des garanties matérielles de la CEDH105. Dans ce domaine également, les condamnations de la Suisse constituent une exception106; néanmoins, cette extension significative du champ d'application des garanties matérielles mérite d'être mentionnée ici.

Comme on l'a évoqué ci-dessus, le Tribunal fédéral a fait sienne la pratique de la Cour107.

Garanties matérielles Outre le droit à la vie (art. 2), l'interdiction de la torture (art. 3) et le droit à la liberté et à la sûreté (art. 5, par. 1), les garanties matérielles de la CEDH incluent notamment le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8), la liberté d'expression (art. 10), la liberté de réunion et d'association (art. 11), le droit au mariage (art. 12) et l'interdiction de discrimination (art. 14). Les ingérences des autorités dans ces droits sont admissibles uniquement si elles sont prévues par la loi, poursuivent un but légitime et sont proportionnées. Les condamnations pour violation de l'un de ces droits constituent un bon tiers de toutes les violations constatées dans le cas de la Suisse. Il arrive aussi que ces condamnations visent des rapports juridiques relevant du droit civil ou pénal. Les domaines les plus importants sont les suivants:

105 106

107

108 109 110 111 112 113

­

Droit des étrangers: il s'agit essentiellement de cas où une personne étrangère doit quitter le territoire suite à une condamnation pénale108, et de litiges portant sur le refus ou le non-renouvellement d'une autorisation de séjour dans le cadre du regroupement familial109.

­

Droit des personnes et de la famille: en l'occurrence, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a exercé une influence sur le droit du nom pour les époux110 et sur le droit de l'adoption111.

­

Droit fiscal: dans ce domaine, la jurisprudence a aussi nécessité des corrections du droit matériel, au-delà des garanties de procédure112. La plus importante concerne une règle qui avait cours dans l'ancien droit fédéral et dans certains droits cantonaux, selon laquelle les héritiers devaient s'acquitter non seulement des dettes fiscales contractées par le de cujus mais aussi de l'amende que ce dernier aurait dû payer si la soustraction d'impôt avait été sanctionnée de son vivant113.

A. Haefliger/F. Schürmann (note 87), p. 58.

Arrêts Scavuzzo-Hager et autres (2006): enquête insuffisante sur les circonstances du décès d'une personne après l'intervention de la police (art. 2 CEDH); Dembele (2013): enquête insuffisante sur les allégations de mauvais traitements infligés par la police (art. 3 CEDH).

ATF 131 I 455 (regeste): «Celui qui prétend de manière défendable avoir été traité d'une façon dégradante par un fonctionnaire de police a droit à une enquête officielle effective et approfondie.» Par ex. arrêts Boultif (2001), Emre (2008 et 2011), Udeh (2013), M.P.E.V. (2014).

Par ex. arrêts Mengesha Kimpfe, Agraw (les deux en 2010), Hasanbasic (2013), Polidario (2013).

Arrêts Burghartz (1994) et Losonci Rose et Rose (2010).

Arrêt Emonet et autres (2007).

Arrêts J.B. (2001) et Chambaz (2012).

Arrêts A.P., M.P., T.P. et E.L., R.L., J.O.-L. (les deux en 1997).

387

­

5.2.4

Les jugements dans lesquels la Cour a constaté une violation de la liberté d'expression touchent des domaines juridiques très différents. Les arrêts en question montrent clairement que la Cour élargit le champ d'application de ces garanties par rapport à la pratique nationale. Ces arrêts influencent l'interprétation des normes les plus diverses énoncées dans le droit fédéral et cantonal, par exemple dans le code pénal114, dans la législation relative à la radio et la télévision115, dans celle sur la concurrence déloyale116, dans la législation en matière de police117 ou dans les dispositions cantonales sur les règlements internes des établissements pénitentiaires118.

Exécution des arrêts par la Confédération et les cantons

En vertu de l'art. 46 CEDH, les Etats parties sont tenus de se conformer aux arrêts de la Cour (par. 1). Le Comité des ministres contrôle, au cas par cas, si les Etats se sont acquittés de leur obligation (par. 2). Il adopte une résolution finale dans laquelle il confirme que l'Etat partie a rempli toutes les obligations découlant de l'arrêt. Cette résolution met fin à la procédure de contrôle de Strasbourg.

Les obligations peuvent être individuelles ou générales. Dans le premier cas, elles consistent non seulement à verser au requérant l'indemnité allouée par la Cour mais, selon les circonstances, à adopter d'autres mesures en faveur du requérant, comme accorder l'autorisation (de séjour, d'exercer une profession, de porter un nom particulier, etc.) qui avait été refusée par les autorités nationales. Quant aux obligations générales, elles visent essentiellement la modification d'une pratique existante par les autorités d'application du droit ou, lorsqu'une telle adaptation n'est pas possible, la modification du texte légal qui institue la pratique119.

Les paragraphes suivants sont consacrés à la révision des arrêts du Tribunal fédéral en relation avec les obligations individuelles. Les obligations générales sont également abordées dans la mesure où elles portaient sur des modifications de la législation fédérale ou cantonale.

Révision des arrêts du Tribunal fédéral Les arrêts de la Cour n'ont pas d'effet cassatoire; le jugement interne de dernière instance sur lequel se fonde un arrêt n'est donc pas annulé et continue d'exister juridiquement parlant. Sous réserve d'autres solutions pragmatiques permettant d'exécuter les mesures individuelles découlant du jugement de Strasbourg (par ex.

accorder l'autorisation demandée120), la révision du jugement permet d'annuler son caractère exécutoire et de statuer à nouveau sur l'affaire, à la lumière de l'arrêt de

114 115 116 117 118 119

Par ex. arrêt Dammann (2006), Perinçek (2013, pendant devant la Grande Chambre).

Par ex. arrêts Autronic (1990), Verein gegen Tierfabriken (2001 et 2009), Monnat (2006).

Arrêt Hertel (1998).

Arrêt Gsell (2009).

Arrêt SRG (2012).

Cf. A. Scheidegger, La surveillance de l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme et ses implications pratiques, in: S. Breitenmoser/B. Ehrenzeller (éd.), Die EMRK und die Schweiz, Saint-Gall 2010, p. 295 ss.

120 A titre d'exemple, cf. arrêt du Tribunal fédéral 2A.363/2001 du 6 novembre 2001.

388

Strasbourg. La Suisse est l'un des Etats parties de la CEDH à avoir introduit très tôt et à grande échelle cette possibilité de révision121.

Jusqu'à la fin 2013, le Tribunal fédéral a eu 25 demandes de révision à traiter. Il en a admis quinze, notamment dans les affaires Schuler-Zgraggen122, Erben P.123, Hertel124, VgT Verein gegen Tierfabriken125, Schlumpf126 et Neulinger et Shuruk127. Le Tribunal fédéral a par ailleurs publié deux arrêts dans lesquels il rejette la demande déposée.128 L'examen de la demande de révision présentée à la suite du jugement Kopp incombait au Conseil fédéral (ancien art. 66, al. 1, PA), qui a rejeté la requête dans sa décision du 19 mai 1999129.

Ces exemples montrent que la révision est un moyen approprié pour se conformer aux arrêts de la Cour dans les cas d'espèce. Le Conseil national a décidé de ne pas donner suite à une initiative parlementaire qui réclamait l'abrogation de l'art. 122 LTF130.

Modifications de lois: au niveau fédéral Sur les 93 décisions dans lesquelles les organes de contrôle de Strasbourg ont constaté une violation de la convention (état fin 2013), rares sont celles qui ont entraîné une adaptation immédiate du droit fédéral. Dans certains cas, les dispositions en question ont été révisées parallèlement à la procédure de Strasbourg, mais indépendamment de celle-ci; l'arrêt de la Cour est en quelque sorte venu confirmer le processus déjà engagé. Les modifications législatives entreprises au niveau fédéral concernent essentiellement les domaines suivants:

121

122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135

­

recours auprès d'un tribunal contre des sanctions prononcées dans le cadre de la procédure pénale militaire (résolutions du Comité des Ministres adoptées à la suite des rapports de la Commission européenne des droits de l'homme dans les affaires Eggs131 et Santschi132);

­

nomination temporaire de juges suppléants au Tribunal fédéral afin d'assurer un traitement diligent des affaires (arrêt Zimmermann et Steiner133);

­

écoutes téléphoniques: redéfinition des compétences relatives au tri des contenus relevant du secret professionnel (arrêt Kopp134);

­

abrogation du délai d'attente pendant lequel le conjoint fautif n'a pas le droit de se remarier après un divorce prononcé pour cause d'adultère (arrêt F.135); Cf. ancien art. 139a OJ, ancien art. 66 PA, anciens art. 229 et 278bis PPF; cf. message du Conseil fédéral, FF 1985 II 741, 860 ss.; FF 1991 II 465, 502 ss. Actuellement art. 122 LTF.

ATF 120 V 150 ATF 124 II 480 ATF 125 III 185 ATF 136 I 158 ATF 137 I 86 ATF 137 III 332 Stürm I et II, ATF 123 I 283 et 329.

JAAC 63.86 12.435, initiative parlementaire du groupe UDC, «Préserver l'autonomie judiciaire de la Suisse».

Rapport de la commission du 4 mars 1978.

Rapport de la commission du 13 octobre 1981.

Arrêt du 13 juillet 1983.

Arrêt du 25 mars 1998.

Arrêt du 18 décembre 1987.

389

­

suppression des amendes de droit pénal fiscal infligées aux héritiers du contribuable (arrêt A.P., M.P. et T.P.136);

­

égalité de traitement des époux concernant le droit du nom (arrêts Burghartz137 et Losonci Rose et Rose138);

­

droit d'effectuer son service militaire en dépit d'une inaptitude au service, sans avoir à payer la taxe d'exemption (arrêt Glor139);

­

prolongation du délai de prescription pour les dommages corporels (arrêt Howald Moor et autres140 concernant les victimes de l'amiante; procédure législative en cours).

Modifications de lois: au niveau cantonal Sur les 93 décisions dans lesquelles les organes de contrôle de Strasbourg ont constaté une violation de la convention jusqu'à la fin 2013, un bon tiers des violations était imputable à la législation ou à la pratique cantonales, et tout particulièrement à l'ancien droit cantonal de procédure pénale; 21 arrêts relèvent de ce domaine. Les autres arrêts portaient sur des questions relevant du droit pénal fiscal, de l'exécution des peines, de la protection des données ou de la liberté de la presse ainsi que sur des vices de procédure civile ou administrative141. Dans certaines de ces affaires, il a fallu modifier les bases légales pour assurer la mise en oeuvre effective de l'arrêt.

C'est notamment ce qui s'est passé à propos des décisions rendues dans les domaines suivants: ­

juge de l'arrestation, conformément à l'art. 5, par. 3, CEDH; modification des anciens codes de procédure pénale de Bâle-Ville et de Soleure (rapport de la Commission dans l'affaire Plumey et arrêt H.B.142);

­

examen judiciaire des affaires pénales; modification de la loi vaudoise sur les sentences municipales (arrêt Belilos143);

­

publicité de la procédure pénale; modification du code de procédure pénale vaudois (arrêt Weber144);

­

amalgame entre les activités de juge et d'avocat; modification de la loi sur la justice administrative du canton de Zurich (arrêt Wettstein145);

­

absence de base légale justifiant l'ingérence dans la liberté d'expression qui résulte de l'interdiction d'accès au WEF; adoption des dispositions ad hoc dans la législation sur la police du canton des Grisons (arrêt Gsell146).

136 137 138 139 140 141

142 143 144 145 146

390

Arrêt du 29 août 1997.

Arrêt du 22 février 1994.

Arrêt du 9 novembre 2010.

Arrêt du 30 avril 2009.

Arrêt du 11 mars 2014.

Cf. F. Schürmann, Les cantons et la mise en oeuvre des arrêts de la Cour européenne: la position de la Confédération, in: S. Besson/E.M. Belser (éd.), Die Europäische Menschenrechtskonvention und die Kantone, Zurich 2014, p. 161 ss.

Rapport du 8 avril 1997; arrêt de la Cour du 5 avril 2001.

Arrêt du 29 avril 1988.

Arrêt du 22 mai 1990.

Arrêt du 21 décembre 2000.

Arrêt du 8 octobre 2009.

5.2.5

Excursus: l'importance de la CEDH dans le débat sur la relation entre droit international et droit interne

Ces dernières années, le peuple et les cantons ont accepté à plusieurs reprises des initiatives populaires qui sont difficilement compatibles, voire incompatibles, avec certaines dispositions du droit international, en particulier de la CEDH147:

147

148 149

150

151

­

Dans le cas de l'initiative sur l'internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables (acceptée le 8 février 2004), des dispositions d'exécution considérées comme compatibles avec la convention ont finalement pu être édictées.148

­

Dans son message relatif à l'initiative populaire contre la construction de minarets (acceptée le 29 novembre 2009), le Conseil fédéral a souligné que la nouvelle disposition viole la liberté de croyance (art. 9 CEDH) et l'interdiction de discrimination (art. 14 CEDH). Le nouvel art. 72, al. 3, Cst., qui interdit la construction de minarets, ne nécessite pas de dispositions d'exécution sur le plan de la loi. Il est pour l'instant difficile de dire quels effets pourrait avoir, dans un cas concret d'application, l'incompatibilité avec la convention149.

­

Le 28 novembre 2010, le peuple et les cantons ont accepté l'initiative pour le renvoi des étrangers criminels. La pratique en matière de renvoi suivie à ce jour par les autorités de migration est largement influencée par la jurisprudence de la Cour. L'initiative sur le renvoi réclame l'expulsion des étrangers qui ont été condamnés pour certaines infractions ou qui ont perçu abusivement des prestations des assurances sociales ou de l'aide sociale.

L'automatisme de l'expulsion visé par les nouvelles dispositions constitutionnelles est en conflit avec le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH)150. Avant même que le Conseil fédéral ait adopté le message sur la mise en oeuvre de l'initiative151, le 26 juin 2013, une initiative supplémentaire fixant les modalités de mise en oeuvre de l'initiative sur le renLes initiatives populaires contraires au droit international peuvent uniquement être déclarées nulles si elles ne respectent pas les règles impératives du droit international (cf. art. 139, al. 3, Cst.). Conformément à la pratique des autorités fédérales, les garanties de la CEDH qui ne souffrent aucune dérogation même en état de nécessité (art. 15, par. 2, CEDH) sont aussi considérées comme des règles impératives du droit international. En revanche, une initiative populaire qui est simplement contraire aux droit garantis par la CEDH autres que ceux ne souffrant aucune dérogation doit être déclarée valide (cf. rapport additionnel sur la relation entre droit international et droit interne (note 82), FF 2011 3413 ss).

Code pénal suisse (Internement à vie des délinquants extrêmement dangereux), modification du 21 décembre 2007, RO 2008 2961.

Deux requêtes portées devant la Cour européenne immédiatement après la votation ont été déclarés irrecevables au motif que les requérants (qui n'avaient pas fait valoir qu'ils s'étaient vu refuser la délivrance d'une autorisation de construire ni qu'ils avaient déposé une demande en ce sens) n'avaient pas la qualité de victimes, cf. Décisions d'irrecevabilité Ouardiri et Ligue des Musulmans de Suisse et autres, du 28 juin 2011.

Message du 24 juin 2009 concernant l'initiative populaire «Pour le renvoi des étrangers criminels (initiative sur le renvoi)» et la modification de la loi fédérale sur les étrangers, FF 2009 4571.

Message du 26 juin
2013 concernant une modification du code pénal et du code pénal militaire (mise en oeuvre de l'art. 121, al. 3 à 6, Cst. relatif au renvoi des étrangers criminels), FF 2013 5373.

391

voi (elle est du reste surnommée «initiative de mise en oeuvre») a été déposée en décembre 2012. Elle vise notamment à inscrire dans la Constitution la primauté des dispositions nationales relatives au renvoi des délinquants étrangers sur les dispositions non impératives du droit international, et notamment de l'art. 8 CEDH152. Le Conseil fédéral quant à lui propose au Parlement, pour mettre en oeuvre l'initiative sur le renvoi, une voie médiane qui, tout en respectant les nouvelles dispositions constitutionnelles, tient aussi compte des garanties en matière de droits de l'homme153.

Les initiatives populaires mentionnées ci-dessus ont mis en évidence une relation conflictuelle entre le droit d'initiative et le droit international; la question de la relation entre droit international et droit interne a ainsi pris de l'importance dans le débat politique et public. Ces controverses se sont parfois accompagnées de critiques à l'égard des pouvoirs exercés par la Cour et à l'égard de certains arrêts rendus par Strasbourg (cf. ch. 5.3 ci-après). En réponse à deux motions154, le Conseil fédéral a proposé des mesures concrètes pour garantir une meilleure compatibilité des initiatives populaires avec les droits fondamentaux; compte tenu de l'accueil critique que ces mesures ont reçu lors de la consultation, le Conseil fédéral juge préférable de ne pas leur donner suite155. Néanmoins, le Parlement et le Conseil fédéral poursuivent leurs efforts pour trouver une solution appropriée, susceptible de satisfaire une majorité politique.

5.3

Critiques envers la jurisprudence de la Cour

Les critiques à l'encontre de la jurisprudence de Strasbourg ont toujours existé, que ce soit en Suisse156 ou dans les autres Etats parties à la convention. Elles se dessinent aussi, sporadiquement et formulées avec précaution, dans les considérants de certains arrêts du Tribunal fédéral157; elles sont un peu plus répandues dans la doctrine et, depuis quelque temps, dans les médias. Néanmoins de plus en plus de voix s'élèvent, dans les milieux politiques et la société civile, pour rappeler l'importance de la convention et son apport à la Suisse158.

152

153 154 155

156 157

158

392

L'initiative donne en outre une définition restrictive des normes impératives du droit international. Le Conseil fédéral a par conséquent proposé au Parlement de déclarer l'initiative partiellement nulle en raison de sa définition du droit international impératif (message du 20 novembre 2013 concernant l'initiative populaire «Pour le renvoi effectif des étrangers criminels [initiative de mise en oeuvre], FF 2013 8493).

Message sur la mise en oeuvre de l'art. 121, al. 3 à 6, Cst. relatif au renvoi des étrangers criminels (note 151), FF 2013 5373.

Motion 11.3751 de la CIP-E et motion 11.3468 de la CIP-N.

Rapport du Conseil fédéral du 19 février 2014 proposant le classement des motions 11.3468 et 11.3751 des Commissions des institutions politiques «Mesures visant à garantir une meilleure compatibilité des initiatives populaires avec les droits fondamentaux», FF 2014 2259.

Références jusqu'en 1999 chez M.E. Villiger (note 86), p. 33 ss.

Cf. par ex. ATF 114 Ia 84, 88; 120 Ia 43, 46; 133 I 33, 43; 137 I 86. Cf. aussi NZZ du 2 novembre 2013, «Wir widersprechen Strassburg durchaus» (interview du juge fédéral A. Zünd).

Cf. par ex. foraus (Forum für Aussenpolitik-Forum de politique étrangère), Die Schweiz braucht die EMRK ­ die EMRK braucht die Schweiz. Zum Wert des internationalen Menschenrechtsschutzes für die Schweiz, Diskussionspapier, 2e éd. 2011, www.foraus.ch; cf. aussi les dossiers de l'association «Notre droit», www.unser-recht.ch/fr/home.html.

La Cour donne une interprétation dynamique et évolutive de la convention; elle interprète en outre les dispositions de la convention de manière autonome, c'est-àdire indépendamment de leur signification dans le droit national. En privilégiant cette interprétation autonome, la Cour a notablement élargi le champ d'application de l'art. 6 CEDH, mais cette évolution a suscité des critiques, y compris en Suisse159. Au fil du temps, l'approche dynamique et évolutive, associée à la perception de la convention comme «instrument vivant», a amené Strasbourg à examiner désormais les nouveaux litiges sous l'angle des droits de l'homme, y compris ceux que les juridictions nationales avaient traités comme des litiges relevant essentiellement du droit pénal, civil ou administratif160. On citera à titre d'exemples, les arrêts rendus par la Cour dans les affaires Stoll (2007), concernant l'interprétation de l'art. 293 CP à la lumière de l'art. 10 CEDH161, Emonet et autres (2007) concernant l'interprétation des dispositions du code civil à la lumière de l'art. 8 CEDH162, ou Glor (2009) concernant l'interprétation des dispositions relatives à la taxe d'exemption militaire, à la lumière des art. 8 et 14 CEDH163.

Dans ses arrêts, la Cour adopte une approche différenciée; la constatation d'une violation est motivée au cas par cas, de sorte qu'il est difficile d'en tirer des conclusions pour d'autres affaires similaires (mais distinctes). Outre les risques que cette pratique représente pour la sécurité juridique, les critiques portent aussi sur le fait que des décisions du législateur peuvent ainsi être infirmées de cas en cas164.

En ce qui concerne les obligations positives qu'ont les Etats parties d'assurer une protection effective des droits garantis par la convention, il convient de se demander si la Cour a la légitimité suffisante pour étendre leur champ d'application165.

Une critique plus répandue consiste à reprocher à la Cour de statuer souvent comme un tribunal de quatrième instance et de substituer sa propre appréciation à celle des juridictions nationales. Cette critique a notamment été reprise dans les déclarations politiques adoptées lors des conférences sur la réforme de la Cour, qui se sont déroulées à Interlaken (2010), Izmir (2001) et Brighton (2012)166.

Une autre critique, qui concerne comme la
précédente les rapports entre la Cour et les juridictions suprêmes des Etats, est de nature procédurale. Elle porte sur le fait que la Cour examine parfois des griefs que la juridiction nationale n'avait pas à examiner, compte tenu du non-respect des prescriptions de forme énoncées dans le droit interne (par ex. le principe du grief, aux termes de l'art. 106 LTF)167.

159 160

161 162 163 164 165 166 167

Références chez A. Haefliger/F. Schürmann (note 87), p. 452 s.

Concernant les critiques de cette approche, voir par ex. B. Pfiffner/S. Bollinger, Ausweitung konventionsgeschützter Rechte durch den EGMR und Probleme der innerstaatlichen Umsetzung, Jusletter, 21 novembre 2011; H. Seiler, Einfluss des europäischen Rechts und der europäischen Rechtsprechung auf die schweizerische Rechtspflege, RJB 150 (2014) p. 265, 310 ss. Cf. aussi J.P. Müller, Koordination des Grundrechtsschutzes in Europa, RDS 124 (2005) II, p. 9, 16.

Décision préjudicielle du Tribunal fédéral, dans ATF 126 IV 236; regeste: «La liberté de la presse ne saurait justifier un comportement réalisant l'infraction.» Décision préjudicielle du Tribunal fédéral, dans ATF 129 III 656; consid. 5.3.1: l'art. 8 CEDH ne confère pas le droit d'exiger une forme d'adoption non prévue par la loi.

Décision préjudicielle, in ATF 2A.590/2003 (pas d'examen du point de vue de la Convention, à défaut de griefs en ce sens).

H. Seiler (note 160), p. 354 ss.

H. Seiler (note 160), p. 311 s; B. Pfiffner/S. Bollinger (note 160), p. 7 s.; ATF 137 I 86, 100.

Cf. par ex. Interlaken, plan d'action E., ch. 9 a et b.

Cf. H. Aemisegger (note 84), p. 45, 68 ss.

393

Deux arrêts récents168 ont attiré l'attention sur un autre problème, dû au fait que la Cour fonde son jugement aussi (et dans le cas d'espèce, en premier lieu) sur de nouveaux éléments de fait qui se sont produits après que la décision interne de dernière instance a été rendue169. Non seulement cette pratique soulève des questions quant à la révision de la décision critiquée par Strasbourg mais elle est en outre difficilement conciliable avec le principe de subsidiarité.

De même, certains arrêts spécifiques de la Cour ont suscité des critiques à maintes reprises. Il a même été question de dénoncer la convention (voir ch. 7 ci-après) à l'occasion de l'arrêt rendu dans l'affaire Belilos (1988). Par la suite, d'autres jugements ont été critiqués, comme l'arrêt Burghartz (1994) concernant le droit du nom des époux170, l'arrêt Emonet et autres (2007) concernant l'adoption de l'enfant du concubin171, la jurisprudence relative au droit de réplique inconditionnel172, et d'autres arrêts comme Association Rhino (2011) sur la dissolution d'une association illicite173 ou Gross (2013) sur l'assistance au suicide174. Les arrêts rendus dans des affaires relevant du droit des étrangers font l'objet d'une attention particulière, surtout de la part des médias et des milieux politiques. En l'occurrence, l'enjeu porte généralement sur le respect du droit à la vie privée et familiale; l'examen a pour objet le refus ou le non-renouvellement d'autorisations accordées aux étrangers.

Après quelques arrêts épars (Gül [1996] sur le regroupement familial, pas de violation; Boultif [2001] sur le non-renouvellement pour cause d'infractions, violation), leur nombre a augmenté ces derniers temps: depuis 2012, la Cour a eu à se prononcer sur dix requêtes en la matière et en a admis quatre (Udeh [2013], concernant une expulsion pour cause d'infractions; Hasanbasic [2013], Polidario [2013] et M.P.E.V. [2014], concernant toutes le regroupement familial); les six autres ont été rejetées (Kissiwa Koffi [2012] et Shala [2012], concernant toutes deux une expulsion pour cause d'infractions; Berisha [2013], regroupement familial; Vasquez [2013], Palanci [2013] et Ukaj [2014], concernant toutes trois une expulsion pour cause d'infractions).

Si les critiques se sont faites plus véhémentes depuis quelque temps, c'est aussi en raison du
débat animé qui a eu cours ces dernières années au sujet de la relation entre la CEDH et les initiatives populaires. Certaines initiatives lancées au cours des années écoulées montrent bien que leur mise en oeuvre risque, dans le cas d'espèce, de générer des conflits avec la CEDH, ce qui par voie de conséquence pourrait donner lieu à des condamnations par la Cour175.

168 169 170 171 172

173 174 175

394

Arrêts Udeh c. Suisse du 16 avril 2013 et Hasanbasic c. Suisse du 11 juin 2013.

H. Seiler (note 160), p. 323; avis critique aussi dans ATF 139 I 325.

H. Hausheer, Der Fall Burghartz ­ oder: Vom bisweilen garstigen Geschäft der richterlichen Rechtsharmonisierung in internationalen Verhältnissen, EuGRZ 1995, p. 579 ss.

F. Schürmann, Adoption im Konkubinatsverhältnis ­ Zum Urteil des EGMR in Sachen Emonet u.a. gegen die Schweiz vom 13. Dezember 2007, RJB 144 (2008), p. 262 ss.

P. Goldschmid, Auf dem Weg zum endlosen Schriftenwechsel? Zum jüngsten die Schweiz betreffenden Urteil des EGMR zum Thema Gewährung des rechtlichen Gehörs, RJB 138 (2002), p. 281 ss.

M. Schubarth, «Donnerschlag aus Strassburg», Weltwoche éd. 40/2011.

M. Schubarth, «Völkerrechtlicher Rasenmäher», Weltwoche éd. 10/2014.

Voir ch. 5.2.5 ci-dessus ainsi que le rapport sur la relation entre droit international et droit interne (note 83), FF 2010 2067; rapport additionnel sur la relation entre droit international et droit interne (note 83), FF 2011 3401; cf aussi ATF 139 I 16.

6

Influence de la Suisse sur la CEDH et la Cour européenne des droits de l'homme

Tout comme la CEDH et la jurisprudence de la Cour ont influencé l'ordre juridique suisse, la Suisse a, elle aussi, contribué à marquer le système de contrôle de Strasbourg.

6.1

Sur le plan de la représentation

A l'instar de chaque Etat partie à la convention, la Suisse peut désigner un juge pour siéger à la Cour. Ce droit existait déjà dans le mécanisme original pour la Commission européenne des droits de l'homme, abrogée par le protocole no 11 à la convention instituant la nouvelle Cour permanente. Dans ce contexte, il est intéressant de relever que tant la commission que la Cour ont été présidées pendant plusieurs années par un membre suisse176.

Une autre particularité de la Cour réside dans le fait que les juges qui sont élus au titre d'un pays ne doivent pas nécessairement posséder la nationalité de celui-ci. La Principauté du Liechtenstein est représentée depuis 1998 par des juristes suisses177, de sorte que dans sa composition actuelle la Cour compte deux juges de nationalité suisse.

6.2

Sur le plan matériel

S'agissant de l'influence matérielle de la Suisse sur la convention et la Cour, quelques arrêts peuvent être cités, de même que la réforme du système de contrôle.

6.2.1

Sur le plan de la jurisprudence

Sur les quelques 17 000 arrêts rendus jusqu'en 2013 (Cour uniquement), seuls 127 concernent la Suisse178, soit moins de 1 %. Néanmoins, il y a lieu de constater que certains de ces arrêts ont eu une incidence importante sur l'évolution de la jurisprudence et qu'ils sont régulièrement cités. Il s'agit notamment des arrêts suivants: ­

Minelli (1983): arrêt de principe concernant la possibilité de facturer des frais de procédure en cas de classement de la procédure pénale;

­

Belilos (1988): conditions concernant la validité de réserves à la CEDH;

­

W. (1993): arrêt de principe concernant la durée de la détention préventive;

­

Gül (1996): arrêt de principe concernant le droit au respect de la vie familiale et l'intérêt au maintien de l'ordre public (autorisations d'entrée sur le territoire limitées dans le cadre du regroupement familial);

176

Pour la Commission: Stefan Trechsel (1995­1999); pour la Cour: Luzius Wildhaber (1999­2007).

177 Lucius Caflisch (1998­2006); Mark E. Villiger (depuis 2006).

178 Cf. Annexe 9.

395

­

Balmer-Schafroth et al. (1997): question relative à l'applicabilité de l'art. 6 CEDH aux procédures d'autorisation d'exploitation de centrales nucléaires;

­

Boultif (2001): arrêt de principe concernant le droit au respect de la vie familiale et l'intérêt au maintien de l'ordre public (expulsion de ressortissants étrangers délinquants). Les critères développés dans cet arrêt ont ensuite été intégrés par la pratique sous la dénomination «critères Boultif».

Il est également important de relever que la Suisse présente, comparativement, un grand nombre d'affaires traitées par la Grande Chambre de la Cour179. Cet organe décisionnel n'accepte d'être saisi que si l'affaire soulève une «question grave relative à l'interprétation ou à l'application de la Convention» ou encore «une question grave de caractère général» (art. 43, par. 2, CEDH). A ce titre, les exemples suivants peuvent être cités: ­

Stoll (2007): confidentialité des échanges diplomatiques; condamnation d'un journaliste pour violation de l'art. 293 CP jugée conforme à l'art. 10 CEDH (liberté d'expression);

­

VgT Verein gegen Tierfabriken no 2 (2009): compétences respectives de la Cour concernant le traitement de (nouvelles) requêtes (art. 19 et 32 CEDH) et du Comité des Ministres concernant la surveillance de l'exécution des arrêts rendus antérieurement (en l'espèce: VgT no 1 [2001]; art. 46, par. 2, CEDH);

­

Neulinger et Shuruk (2010): droit au respect de la vie familiale conformément à l'art. 8 CEDH et obligations découlant de la convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants;

­

Tarakhel (2014): requérants d'asile remis à l'Etat italien conformément à l'accord de Dublin II;

­

Gross (arrêt de la Cour de 2013; arrêt de la Grande Chambre du 30 septembre 2014): assistance au suicide; qualité des bases légales applicables;

­

Al Dulimi et Montana Management Inc. (arrêt de la Cour de 2013; affaire pendante devant la Grande Chambre): rapport entre les obligations découlant de l'art. 6 CEDH d'une part (droit à un procès équitable) et des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU d'autre part.

6.2.2

Réformes des institutions

Les motifs et l'objectif des réformes réalisées au cours des ans concernant le système de contrôle prévu à l'origine par la CEDH ont déjà été présentés plus haut (cf.

ch. 2.2). Cette analyse doit être complétée par la description du rôle qu'a joué la Suisse dans ce contexte.

La première phase de réforme importante a été achevée avec l'entrée en vigueur du protocole no 11 à la convention; depuis lors, la Cour de Strasbourg siège de façon permanente et l'ancienne Commission des droits de l'homme a disparu. L'idée d'une telle fusion des deux organes a été présentée pour la première fois par la Suisse lors de la Conférence ministérielle sur les droits de l'homme qui s'est tenue à 179

396

Cf. G. Malinverni, note 71; concernant les chiffres, cf. ci-dessus ch. 4.4.2.

Vienne en 1985180. La réforme ainsi proposée a finalement pu entrer en vigueur en 1998.

La deuxième phase de réforme importante a été achevée avec l'adoption du protocole no 14 à la convention prévoyant un nouveau paquet de mesures visant à alléger la charge de travail de la Cour. La Suisse a joué, là aussi et avec d'autres Etats, un rôle important181. Le protocole no 14 a pu entrer en vigueur en 2010 avec la signature de la Russie, dernier des (alors) 46 Etats membres à la convention à l'adopter.

Cette ratification a eu lieu lors de la Conférence ministérielle d'Interlaken qui traitait de l'avenir de la Cour. A lui seul, cet événement a fait de cette conférence un succès politique, la Russie ayant longtemps bloqué l'entrée en vigueur du protocole. La conférence a également introduit la troisième phase de réforme importante visant à l'adoption de plans d'action concrets en vue de réformes à court, moyen et long termes. Les conférences suivantes ont eu lieu en 2011 à Izmir et en 2012 à Brighton; une nouvelle conférence est prévue à Bruxelles au printemps 2015.

7

Dénonciation

7.1

Possibilité de dénoncer et de réadhérer à la convention

Selon l'art. 58 CEDH, la convention peut être dénoncée cinq ans au plus tôt après l'entrée en vigueur de celle-ci et moyennant un préavis de six mois (par. 1). La dénonciation ne délie pas la partie contractante de ses obligations concernant les faits qu'elle aurait accomplis avant que sa dénonciation prenne effet (par. 2).

La dénonciation de la convention implique la dénonciation de tous les protocoles additionnels; inversement, la dénonciation d'un protocole isolé ou de plusieurs protocoles (ou de l'ensemble des protocoles) est admise182. La dénonciation ne s'oppose pas à ce que l'Etat concerné adhère à nouveau ultérieurement à la convention, sans que cette démarche requière l'aval des autres parties contractantes. Ainsi, le principe d'une réadhésion, ultérieure à une dénonciation, doit en soi pouvoir être admis, avec ou sans nouvelle réserve (cf. toutefois ci-dessous ch. 7.4).

En pratique, la CEDH n'a connu qu'un seul cas d'application: en 1969, sous le régime militaire, la Grèce avait dénoncé la convention et y avait réadhéré en 1971 (sans réserve).

180

Cf. message du Conseil fédéral du 23 novembre 1994 relatif à l'approbation du Protocole d'amendement no 11 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, portant restructuration du mécanisme de contrôle établi par la Convention (STE no 155), du 11 mai 1994, FF 1995 I 987; O. Jacot-Guillarmod (Ed.), La fusion de la Commission et de la Cour Européennes des Droits de l'Homme, 2e Séminaire de droit international et de droit européen de l'Université de Neuchâtel, Kehl, Strasbourg, Arlington 1987.

181 Cf. message du Conseil fédéral du 4 mars 2005 concernant la ratification du Protocole no 14 du 13 mai 2004 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, amendant le système de contrôle de la Convention, FF 2005 1989.

182 Message du Conseil fédéral du 7 mai 1986 relatif à l'approbation des protocoles nos 6, 7 et 8 à la Convention européenne des droits de l'homme, FF 1986 II 605 610; Karpenstein/Mayer, note 74, n. 8 ad art. 59.

397

En Suisse, la question d'une éventuelle dénonciation de la convention s'est posée à une occasion. En 1988, dans le cadre de l'arrêt Belilos contre la Suisse, la Cour avait qualifié l'une des déclarations interprétatives de la Suisse à la convention comme étant une réserve à celle-ci et l'avait jugée non valable (cf. ch. 4.2.3). Suite à cet arrêt, un postulat avait été déposé au Conseil des Etats invitant le Conseil fédéral à, le cas échéant, «dénoncer la convention à titre prévisionnel». Le Conseil des Etats avait décidé à une très courte majorité de 16 voix contre 15, avec voix prépondérante du président, de ne pas transmettre le postulat. Il résulte toutefois des débats que les parlementaires qui étaient favorable à la transmission du postulat n'avaient pas pour réelle intention de dénoncer la convention; il s'agissait avant tout de poser une sorte de moratoire en vue de régler la situation qui était née de la suppression de la réserve183.

7.2

Dénonciation et participation au Conseil de l'Europe

Selon l'art. 59, par. 1, CEDH, la convention est ouverte à la signature aux membres du Conseil de l'Europe. En conséquence, l'art. 58, par. 3, CEDH prévoit que toute Partie contractante qui cesse d'être membre du Conseil de l'Europe cesse d'être Partie à la convention.

La situation inverse n'est pas réglée dans la convention, de sorte qu'il y a lieu de penser que la dénonciation de la convention n'implique pas automatiquement la fin de l'adhésion au Conseil de l'Europe. Il existe toutefois un consensus parmi les Etats européens selon lequel la CEDH et ses protocoles additionnels forment le coeur de la communauté de valeurs du Conseil de l'Europe. Une dénonciation de la convention entrerait donc en conflit avec l'art. 3 du Statut du Conseil de l'Europe selon lequel les Etats membres du Conseil de l'Europe sont tenus de garantir à toute personne placée sous leur juridiction le droit de jouir des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette vision des choses se voit confirmée du fait que tous les Etats ayant adhéré au Conseil de l'Europe depuis les années 90 ont dû s'engager à adhérer simultanément à la CEDH et à ses protocoles additionnels dans l'année qui suivait leur adhésion au Conseil de l'Europe184.

Sous l'angle de cette analyse, la position occasionnellement défendue selon laquelle une dénonciation de la CEDH n'aurait pas de conséquence notable doit être réfutée.

Au contraire, il y aurait lieu de s'attendre à une réaction de la part des autres Etats membres de sorte que l'Etat Partie qui aurait dénoncé la convention se trouverait mis sous pression pour quitter le Conseil de l'Europe; l'art. 8 du Statut du conseil prévoit d'ailleurs au titre de solution ultime la possibilité d'exclure un Etat du conseil en cas de violation importante de l'art. 3 des Statuts.185 En cas de nouvelle adhésion au Conseil de l'Europe, l'Etat concerné serait à nouveau tenu de ratifier la convention ainsi que ses protocoles additionnels essentiels. Parmi ceux-ci figurent les protocoles no 1, 4 et 12, qui ne s'appliquent pas à la Suisse à l'heure actuelle.

183

BO 1988 E 554 ss; A. Haefliger/F. Schürmann (note 97), p. 47; H. Aemisegger (note 84), p. 47.

184 Karpenstein/Mayer (note 74), n. 7 ad art. 59.

185 Cf. aussi W. Kälin/S. Schlegel, note 61, p. 22 ss, publié sur www.skmr.ch.

398

En réponse à l'interpellation Brunner186, le Conseil fédéral a déclaré: «une dénonciation de la CEDH n'entre pas en ligne de compte pour des motifs aussi bien politiques que juridiques. Sur le plan international, la dénonciation nuirait gravement à la crédibilité politique de la Suisse. Elle impliquerait automatiquement l'exclusion du Conseil de l'Europe, dont la Suisse a fait siennes les valeurs fondamentales en matière de droits de l'homme et de démocratie ­ et auquel elle a adhéré il y a cinquante ans.» La dénonciation de la convention serait non seulement un signal négatif pour le reste des Etats membres du Conseil de l'Europe, et qui pourrait remettre en question l'aspect contraignant de la convention. En outre, du point de vue des citoyens de notre pays, les conséquences d'une telle dénonciation seraient importantes: certes, la protection des droits de l'homme en Suisse demeurerait d'actualité étant donné que notre droit interne couvre approximativement les mêmes libertés que celles défendues par la convention. Ce faisant, la Suisse se détacherait toutefois de l'évolution juridique propre à la convention et priverait, à l'avenir, plus de 8 millions de citoyens d'un accès à une institution centrale de défense internationale des droits de l'homme.

7.3

Validité des obligations de droit international nonobstant une éventuelle dénonciation de la convention

Dans sa réponse à l'interpellation Brunner, le Conseil fédéral a par ailleurs relevé que, même en cas de dénonciation de la CEDH, le catalogue des droits fondamentaux de la Constitution ainsi que d'autres obligations internationales resteraient en vigueur; les garanties respectives sont largement identiques à celles de la convention. On pense en particulier aux garanties prévues dans le Pacte de l'ONU sur les droits civils et politiques, dont les dispositions sont entrées en vigueur, pour la Suisse, en 1992187. A l'inverse de la convention, le Pacte de l'ONU ne prévoit pas de possibilité de dénoncer l'accord, de telle sorte que la question de sa dénonciabilité doit être examinée à l'aune de la convention de Vienne sur le droit des traités188.

Selon l'art. 56, par. 1, de cette convention, un traité qui ne contient pas de dispositions relatives à son extinction et ne prévoit pas qu'on puisse le dénoncer ou s'en retirer ne peut faire l'objet d'une dénonciation à moins qu'il ne soit établi qu'il entrait dans l'intention des Parties d'admettre la possibilité d'une dénonciation ou d'un retrait ou que le droit de dénonciation ou de retrait ne puisse être déduit de la nature du traité. Aucune de ces deux conditions n'est remplie s'agissant du Pacte de l'ONU, de sorte qu'il est généralement admis que ce traité, qui contient, on l'a vu, des garanties largement identiques à celles prévues par la CEDH, ne peut être dénoncé189.

186

Interpellation 13.3237 du 23 décembre 2011«Dénonciation de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales».

187 RS 0.103.2 188 RS 0.111 189 Message du Conseil fédéral du 30 janvier 1991 sur l'adhésion de la Suisse aux deux Pactes internationaux de 1966 relatifs aux droits de l'homme et une modification de la loi fédérale d'organisation judiciaire, FF 1991 I 1129 1147; W. Kälin/J. Künzli, Universeller Menschenrechtsschutz, 2e éd., Bâle 2013, p. 159 s.; M. Nowak, U.N. Covenant on Civil and Political Rights, 2e éd., Kehl, Strasbourg, Arlington 2005, Introduction n. 32 ss; cf.

aussi Comité des droits de l'homme, Observation générale no 26 (1997), par. 2 et 3.

399

Une dénonciation de la CEDH n'aurait en outre aucune incidence sur la validité des garanties prévues par le droit international coutumier190.

7.4

Dénonciation et réadhésion avec nouvelle réserve

Comme indiqué plus haut (cf. ch. 7.1), la CEDH prévoit, le cas échéant sous conditions, la possibilité d'une dénonciation (art. 58) ou d'une adhésion avec l'énoncé de réserves (art. 57). La Cour n'a pas eu l'occasion de se prononcer jusqu'à ce jour sur la question de savoir si la convention permettait à une partie d'y réadhérer en formulant de nouvelles réserves. Le Tribunal fédéral s'est penché sur la question dans le cadre de l'examen de la déclaration interprétative révisée de la Suisse concernant l'art. 6 CEDH. Il a mis en doute la validité d'une telle démarche dans les cas où la dénonciation aurait pour seul but de permettre à l'Etat concerné de ratifier à nouveau la convention en formulant une nouvelle réserve191. Un tel procédé pourrait être en contradiction avec l'esprit de la convention, qui offre aux Parties contractantes uniquement la possibilité de renforcer ultérieurement leur engagement international en supprimant les réserves qu'elles auraient initialement formulées mais non celle de rendre caduques par la suite certaines dispositions de la convention. Il devrait même être qualifiée d'abusif. Cette appréciation est partagée par la doctrine qui souligne que le système de contrôle de la CEDH perdrait tout son sens si une Partie contractante pouvait, dès lors que la Cour rend un arrêt qui lui est défavorable, dénoncer la convention puis la ratifier à nouveau dans la foulée en formulant une réserve à l'égard des conclusions de l'arrêt concerné. Le fait qu'à ce jour aucun Etat partie n'a choisi cette voie n'est pas un hasard192.

Le soupçon d'abus de droit devrait toutefois s'estomper d'autant davantage que le motif de la dénonciation est éloigné du contenu de la réserve nouvellement formulée et que le temps qui s'est écoulé depuis la dénonciation est important. En d'autres termes, il n'est pas inconcevable qu'un Etat partie dénonce la convention (sans avoir d'office l'intention de la ratifier ensuite avec de nouvelles réserves), et se propose des années après, dans un autre contexte, d'y adhérer à nouveau, sous couvert de nouvelles réserves formulées en regard des nouvelles exigences posées par la jurisprudence de la Cour et du droit interne de l'Etat concerné.

Il est du reste difficile, dans ce contexte, d'envisager qu'une réserve puisse valablement être formulée pour poursuivre des
intérêts déterminés. Conformément à l'art. 57 CEDH, la convention n'admet de réserve qu'à la condition qu'elle porte sur une disposition particulière de celle-ci et dans la mesure où une loi alors en vigueur dans l'Etat concerné n'est pas conforme à cette disposition. Les réserves de caractère général ou celles qui portent sur des réglementations à venir ne sont pas autorisées.

C'est la Cour qui examine si une réserve est valable ou pas. Il n'est dès lors pas possible de formuler une réserve qui permettrait à l'Etat concerné de se préserver le

190

Karpenstein/Mayer (note 74), n. 2 ad art. 58. Pour plus de precisions sur la notion de droit coutumier et son contenu, W. Kälin/J. Künzli (note 189), p. 76 ss.

191 ATF 118 Ia 473, 487, cons. 7 c) cc).

192 L. Wildhaber, Rund um Belilos. Die schweizerischen Vorbehalte und auslegenden Erklärungen zur Europäischen Menschenrechtskonvention im Verlaufe der Zeit und im Lichte der Rechtsprechung, Mélanges Batliner (1993), p. 323, 335; cf. ég. Karpenstein/Mayer (note 74), n. 4 ad art. 58, et références.

400

droit d'adopter puis d'appliquer des dispositions constitutionnelles qui seraient contraires à la convention193.

7.5

Compétence pour dénoncer la convention et référendum obligatoire en cas de nouvelle ratification

Dans leurs déterminations du 14 juin 2006 concernant «La compétence des unités administratives pour conclure et dénoncer des instruments internationaux. Droit et pratique suisses»194, la Direction de droit international public et l'Office fédéral de la justice considèrent, en se fondant sur l'art. 184, al. 1, Cst. que, d'une manière générale, le Conseil fédéral est compétent pour dénoncer un acte international. Les auteurs s'empressent toutefois d'ajouter que l'approbation parlementaire, voire une soumission au référendum, ne sauraient néanmoins être exclues. Une telle procédure pour la dénonciation ne doit être envisagée que si elle est déjà prévue lors de la conclusion du traité ou, à défaut, uniquement pour des traités très importants (à ce titre, les auteurs citent la CEDH).

Dans un arrêt datant de 2011, portant toutefois non pas sur une dénonciation, mais sur la non-reconduction d'un traité de droit international qui n'était formellement plus applicable, le Tribunal administratif fédéral a considéré qu'une telle nonreconduction, prononcée unilatéralement par le Conseil fédéral sans que l'Assemblée fédérale soit consultée n'était pas expressément prévue et qu'elle apparaissait problématique sous l'angle de l'art. 166, al. 1, Cst. et était par ailleurs contestée en doctrine195.

La CEDH contient une liste détaillée de droits de l'homme et libertés fondamentales comparable au catalogue des droits fondamentaux de la Constitution fédérale. La convention a, au cours des décennies, fortement influencé l'ordre juridique interne.

Indépendamment de la façon dont on évalue ce développement, il apparaît inconcevable aujourd'hui de dénoncer la CEDH sans que le Parlement soit intégré au processus. S'agissant de la mesure dans laquelle cette intégration doit se faire, une partie de la doctrine estime, en cas de dénonciation d'un traité de cette importance, que l'Assemblée fédérale doit non seulement être informée ou consultée, mais doit également pouvoir décider d'édicter un arrêté fédéral soumis au référendum étant donné qu'une telle mesure a une portée politique exceptionnelle196.

S'agissant d'une réadhésion éventuelle à la CEDH, la pratique des autorités fédérales ­ qui correspond par ailleurs à la position défendue en doctrine ­ part du principe qu'en sus du cas indiqué à l'art. 140, al. 1, let. b,
Cst., un traité international doit obligatoirement être soumis au peuple et aux Chambres fédérales lorsque son importance est telle qu'il doit être placé au même niveau que la Constitution («traités internationaux à caractère constitutionnel»). En conséquence, on doit considérer qu'une éventuelle réadhésion à la CEDH doit être soumise au référendum.

193 194

Cf. W. Kälin/S. Schlegel note 61), p. 39 s.

Communication de la Direction du droit international public du DFAE et de l'Office fédéral de la justice du DFJP, du 14 juin 2006, JAAC 70.69.

195 Arrêt du 7 mars 2011, C-4828/2010, cons. 4.4.5.

196 N. Blum/V. Naegeli/A. Peters, Die verfassungsmässigen Beteiligungsrechte der Bundesversammlung und des Stimmvolks an der Kündigung völkerrechtlicher Verträge, ZBl 114/2013, p. 527 ss, 543, et références.

401

8

Bilan et perspectives

8.1

Débuts timides ­ Développement rapide

Notre pays a ratifié la convention en 1974, dans un esprit positif et convaincu, après avoir éliminé un certain nombre d'obstacles d'ordre constitutionnel: «[...] la Suisse se doit de participer à l'important mouvement d'internationalisation de la protection des droits de l'homme qui a trouvé son couronnement, sur le plan européen, dans l'adoption, le 4 novembre 1950, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales»197. En se référant à un rapport plus ancien, le Conseil fédéral avait alors déclaré que «la tâche consistant à sauvegarder les libertés fondamentales de l'individu et à les développer a la plus grande importance. Il s'agit d'une des constantes de la politique que nous nous sommes efforcés de suivre pour assurer le respect du droit. Tout doit dès lors être entrepris, ajoutionsnous dans ce rapport, pour faciliter l'adhésion de la Suisse à la Convention européenne des droits de l'homme. Il n'est pas douteux que celle-ci, une fois incorporée dans notre ordre juridique, aura des effets positifs sur le maintien et le développement de nos institutions, qui sont celles d'un Etat fondé sur le droit. Cette influence s'exerce déjà, directement ou indirectement, sur notre législation dans le sens d'un renforcement des libertés individuelles et de leurs garanties judiciaires»198. S'agissant de la dimension extrapolitique, le Conseil fédéral avait souligné entre autre que «[...] notre abstention, après l'introduction du suffrage féminin sur le plan fédéral et la proposition de supprimer les articles confessionnels de la constitution, risquerait de ne plus être comprise, notamment à l'étranger. Nous pensons en outre qu'il est important que notre pays puisse faire entendre sa voix à Strasbourg, alors que se développe une abondante jurisprudence de la Commission européenne des droits de l'homme».

Ce développement de la jurisprudence a, par la suite, pris une ampleur dont personne ne se doutait. Se basant sur un mécanisme de contrôle contraignant pour les Etats parties, la réussite de la CEDH a fait de la convention un élément central d'un grand nombre d'ordres juridiques internes. Elle a renforcé et développé de façon décisive l'état de droit sur le plan européen. La jurisprudence de l'ancienne Commission et de la Cour ont permis de créer, comme l'a relevé l'ancien
président Rolv Ryssdal, un ordre public des démocraties libres de l'Europe. La Cour elle-même considère la convention comme un «instrument constitutionnel de l'ordre public européen».

La convention a également acquis une place solide dans la vie juridique suisse au cours des décennies. Un nombre immensurable de publications spécialisées s'y consacrent; les questions portant sur les libertés fondamentales et les droits de l'homme sont régulièrement soulevées et examinées sous l'angle de la Constitution et la de la convention. La convention est une référence pour les autorités législatives et les autorités d'application, en particulier les tribunaux, que ce soit au niveau fédéral ou cantonal. La pratique développée à Strasbourg a, essentiellement, contribué à l'élaboration de la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de droits fondamentaux ­ lesquels étaient en partie, et pendant longtemps, encore non écrits ­ et influencé le catalogue des droits fondamentaux arrêtés dans la Constitution fédé197 198

402

Rapport complémentaire, note 32.

Voir note de bas de page précédente, p. 996, avec renvoi au message du Conseil fédéral du 28 avril 1971 sur l'application des grandes lignes de la politique gouvernementale durant la législature 1967­1971 (FF 1971 I 880).

rale actuelle. Bien que, proportionnellement au nombre de requêtes déposées contre la Suisse à Strasbourg, le nombre de condamnations de notre pays soit minime (environ 1,6 % de toutes les requêtes ont été admises), certains arrêts de la Cour ont rendu nécessaires certaines révisions législatives, tant au niveau fédéral que cantonal; d'autres arrêts ont poussé les autorités administratives à modifier leur pratique.

Certaines modifications et adaptations ont nécessité plus de temps; on peut néanmoins considérer que les autorités concernées ont su transposer les arrêts rendus par la Cour de telle façon que le Comité des ministres ­ qui est chargé du suivi des arrêts ­ a pu clore définitivement les procédures.

8.2

Voix critiques

Bien évidemment, tous les arrêts n'ont pas été accueillis avec enthousiasme. La Suisse n'est pas différente des autres Etats Parties à la convention. Il est toutefois intéressant de noter qu'au fil des années, l'appréciation peur changer. Des arrêts comme Belilos (accès à un tribunal), Burghartz (droit au nom des époux) ou Jutta Huber (impartialité de l'autorité ordonnant la détention) ont à l'époque généré des réactions contrastées; personne ne contestera aujourd'hui que ces arrêts ont contribué à l'évolution de notre Etat de droit. Les modifications entreprises par la Suisse (art. 29a Cst; art. 160 CC et 18 CP) ne l'ont pas été parce que «Strasbourg» l'imposait, mais bien parce que nos autorités ont été, sur le fond, convaincues d'adopter une solution pertinente.

Il est cependant essentiel d'entendre la critique continue formulée à l'adresse de la jurisprudence de la Cour. Au premier plan figurent l'interprétation dynamique et évolutive de la convention par la Cour, de même que sa tendance à se comporter en 4e instance, corrigeant des arrêts rendus par les instances nationales, lesquelles avaient conclu à une non-violation de la convention après un examen approfondi de l'affaire. Le fait que la critique se fasse plus forte ces derniers temps en Suisse doit être par ailleurs probablement lié à l'acceptation de certaines initiatives populaires qui ont fait apparaître un risque de tensions avec la CEDH dans une situation concrète.

La critique formulée à l'égard du développement trop dynamique des garanties prévues par la convention n'est également pas nouvelle. Par le passé déjà, certains auteurs ont prôné une certaine prudence au vu du caractère fondamental des droits et libertés inscrits dans la CEDH et du risque de fragiliser leur portée199. Ce risque doit être gardé à l'esprit. Il convient toutefois de relever que l'interprétation des garanties fondamentales implique nécessairement un certain dynamisme pour tenir compte de l'évolution de la société et l'intégrer aux droits de l'homme. Le Conseil fédéral rappelle, dans ce contexte, que la jurisprudence fédérale a, en ce sens également, suivi un processus dynamique et évolutif, en particulier lorsqu'il s'est agi de concrétiser l'ancien art. 4 Cst. (déni de justice formel et matériel) et de reconnaître des 199

Cf. D. Thürer, EMRK und schweizerisches Verwaltungsverfahren, ZBl 87 (1996), p. 264 s.; C. Vautier, L'application de la CEDH et ses conséquences pratiques, JdT 1992 IV, Droit pénal no 5, p. 130; U. Zimmerli, Europäische Menschenrechtskonvention und schweizerische Verwaltungsrechtspflege, in: Thürer/Weber/Zäch (Ed.), Aktuelle Fragen zur EMRK, Zurich 1995, p. 66. Cf. ég. J.A. Frowein/W. Peukert, note 79, Introduction, n. 12; L. Wildhaber, «Mehr Menschenrechtsschutz ist nicht immer besser», NZZ du 8 septembre 2014.

403

droits fondamentaux non écrits. S'agissant de la pratique de Strasbourg, elle n'est d'ailleurs pas homogène. Dans certains cas, la Cour a fait preuve de réserve lorsqu'il s'est agi de valeurs et traditions nationales200. Dans d'autres cas, elle a tiré de la CEDH de nouveaux droits, en se fondant en partie sur l'admission d'obligations positives201.

La critique à l'égard de la jurisprudence «de 4e instance» se situe sur un autre plan.

Il s'agit souvent de situations où l'examen porte sur la nécessité d'intervenir dans une société démocratique, c'est-à-dire essentiellement dans le cadre de l'art. 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et de l'art. 10 (liberté d'expression). Le mécanisme de contrôle de la CEDH repose sur le principe de subsidiarité. Il est de la responsabilité des Etats parties d'appliquer la convention dans leur ordre juridique interne; c'est avant tout aux tribunaux internes de vérifier que tel a bien été le cas dans une situation donnée. La Cour de Strasbourg ne peut et ne doit intervenir qu'à titre subsidiaire. Ce principe de subsidiarité signifie également que la Cour peut faire preuve d'un certain recul dans sa façon d'examiner dans quelle mesure les Etats parties se conforment à leur obligation dans la mise en oeuvre et l'application de la convention. C'est d'ailleurs ce qu'elle fait dans un grand nombre de cas, lorsqu'elle a pu s'assurer que les instances nationales ont fait preuve de la diligence nécessaire et ont examiné le cas à l'aune de la jurisprudence de Strasbourg. Les décisions correspondantes (qui ne sont pas motivées ni publiées) viennent s'ajouter au grand nombre de décisions sur des requêtes déclarées irrecevables pour défaut manifeste de fondement. Un postulat pour plus de cohérence et d'uniformité dans l'application de cette pratique a également été formulé dans le cadre des Conférences des ministres d'Interlaken, d'Izmir et de Brighton202.

8.3

La dénociation ne constitue pas une option

Le postulat pour une application plus uniforme et rigoureuse donne une première perspective sur l'avenir de la Suisse eu égard à la convention. Une autre option ­ à nouveau mentionnée récemment ­ consiste à dénoncer la convention. Dans sa réponse à l'interpellation Brunner203, le Conseil fédéral a rejeté cette approche pour des motifs d'ordre politique et juridique. L'adhésion de la Suisse à la convention il y a 40 ans a influencé et renforcé l'Etat de droit en Suisse; la convention a influencé tant la jurisprudence que les libertés fondamentales répertoriées dans la Constitution fédérale actuelle. Bien que toutes les décisions rendues par Strasbourg ne présentent 200

Cf. l'affaire Lautsi (2011) concernant la présence de crucifix dans les écoles italiennes; l'affaire S.A.S. (2014) concernant l'interdiction du port de la burqa en France; l'affaire Dahlab (2001) concernant l'interdiction posée à une institutrice de l'école primaire genevoise de porter un foulard sur la tête.

201 Cf. l'affaire Glor (2009) concernant l'obligation d'acquitter la taxe militaire pour les personnes diabétiques non aptes au service; l'affaire Schlumpf (2009) concernant le refus de l'assurance-maladie de prendre en charge les coûts d'une opération.

202 Cf. par ex. la déclaration d'Interlaken, par. E, ch. 9: «La Conférence, prenant acte du partage des responsabilités entre les Etats parties et la Cour, invite la Cour à: a. éviter de réexaminer des questions de fait ou du droit interne qui ont été examinées et décidées par les autorités nationales, en accord avec sa jurisprudence selon laquelle elle n'est pas un tribunal de quatrième instance; b. appliquer de façon uniforme et rigoureuse les critères concernant la recevabilité et sa compétence et à tenir pleinement compte de son rôle subsidiaire dans l'interprétation et l'application de la Convention».

203 Cf. plus haut, ch. 5.3.

404

pas la même qualité de persuasion, le Conseil fédéral est d'avis qu'il est important de conserver un regard extérieur. Ce regard permet de questionner une pratique administrative qui peut paraître rodée à l'interne mais qui présente peut-être la marque des habitudes. Il permet également à la Cour de s'exprimer sur des questions de principe auxquelles tous les Etats membres sont intéressés. Les chiffres présentés de façon générale dans les annexes 2 et 8, et plus spécifiquement pour la Suisse au chiffre 5.2.1 ci-dessus, montrent par ailleurs que les cas dans lesquels la Cour a conclu à la violation de la convention sont peu nombreux. Cet élément, ajouté au fait que plusieurs condamnations de la Suisse ont conduit notre pays à modifier sa législation et sa pratique ­ et qui sont aujourd'hui globalement acceptées ­ devrait permettre d'entretenir une relation plutôt sereine avec Strasbourg.

De fait, si la Suisse devait dénoncer la convention, cet acte pourrait avoir des implications importantes sur le plan de la politique extérieure. Un retrait de notre pays aurait des conséquences énormes. D'une part, dans la mesure où, en agissant ainsi, la Suisse rejetterait les valeurs partagées depuis toujours par l'ensemble de la communauté de valeurs européenne et elle-même, cela entraînerait pour elle un isolement sur le plan de la politique extérieure dont la portée serait incalculable. D'autre part, une dénonciation porterait un dommage indéniable au système de protection des droits de l'homme du Conseil de l'Europe: la convention et la Cour ne peuvent mener à bien leurs tâches qu'à la condition que leur légitimité soit admise sur l'ensemble du territoire européen. C'est d'ailleurs en ces termes que s'est exprimé le Conseil fédéral dans son rapport mentionné en début de chapitre; cette appréciation vaut aujourd'hui comme hier. La Suisse a toujours joué un rôle de pionnier dans les questions de droits de l'homme et, du fait même de son fort engagement sur le plan international en faveur de ces droits, elle porte une responsabilité particulière. Si elle se retirait de la convention, cet acte porterait une grave atteinte à sa crédibilité et à sa réputation.

8.4

Processus de réforme permanent

Un certain nombre de réformes importantes du mécanisme de contrôle d'origine ont été réalisées au cours des dernières années, avec l'intervention décisive de la Suisse.

Ces efforts doivent être maintenus; ils sont les garants d'un fonctionnement efficace de la Cour à long terme et de la qualité des décisions rendues par cette autorité. Les mesures nécessaires à l'allègement de la charge de travail de la Cour sont aussi nombreuses que les causes de cette surcharge. Une attention toute particulière doit être portée au problème auquel la Cour a toujours été confrontée: de nombreuses requêtes lui sont soumises qui résultent de manquements systématiques de la part de certains Etats parties. Il s'agit en partie de violations grossières des droits de l'homme, mais aussi encore de manquements, qui ont certes été condamnés par la Cour mais sont demeurés non corrigés. La prochaine conférence ministérielle qui se déroulera en 2015 à l'initiative du gouvernement belge devra notamment s'intéresser à la mise en oeuvre rapide et intégrale des arrêts de la Cour par les Etats membres.

D'autres fragilités encore du système de contrôle doivent être citées. Parmi ces problèmes figure celui du nombre de requêtes traitées par la Cour, empêchant cette dernière de motiver les dizaines de milliers de décisions d'irrecevabilité rendues annuellement. De même en est-il des décisions du comité chargé de filtrer les requêtes adressées à la Grande Chambre; une impossibilité insatisfaisante tant pour les auteurs de la requête que pour l'Etat concerné.

405

La convention et la jurisprudence de la Cour se sont largement développées au cours des décennies. Le mécanisme de contrôle a lui-même connu plusieurs changements importants. Le nombre des Etats membres a plus que quadruplé depuis l'entrée en vigueur de la convention alors que le nombre de requêtes a crû de façon encore plus marquante. Le Conseil fédéral salue le mode choisi de discussion ouverte (thinking out of the box) appliqué aux discussions en cours menées sur le thème de la réforme sur le long terme: il ne s'agit pas uniquement de s'interroger sur les points d'amélioration possible du mécanisme de contrôle actuel, mais de mener une réflexion sur une réforme fondamentale de ce système. L'objectif essentiel doit toutefois demeurer de renforcer la protection des droits de l'homme en Europe, de maintenir l'autorité de la Cour et d'assurer son bon fonctionnement à long terme. La Suisse participe ­ et continuera de participer comme par le passé ­ de façon impliquée et constructive aux mouvements de réforme actuels et futurs.

8.5

Adhésion prévue de l'UE à la CEDH

L'adhésion prévue de l'UE à la CEDH participe également des perspectives d'avenir. L'UE et le Conseil de l'Europe considèrent cette adhésion ­ prévue par le traité de Lisbonne et le protocole no 14 à la CEDH ­ comme une étape essentielle dans le développement de la protection des droits de l'homme en Europe. Un projet d'accord d'adhésion a été négocié entre l'UE d'une part (représentée par la commission) et les 47 Etats membres de la CEDH d'autre part; il est actuellement entre les mains de la Cour de justice de l'Union européenne à Luxembourg, qui est chargée d'en vérifier la compatibilité avec le droit européen. Le Conseil fédéral souscrit à cette initiative. Cette adhésion peut renforcer la protection des droits individuels; elle peut servir, parallèlement, au développement cohérent de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg concernant la protection des droits de l'homme en Europe. La Suisse a joué un rôle actif et critique lors des négociations et elle continuera au besoin de le faire. Elle veillera à ce que l'adhésion de l'UE ne modifie pas en substance le mécanisme actuel de contrôle et ne crée pas un déséquilibre défavorable aux Etats non-membres de l'UE.

8.6

Lien entre le droit international public et le droit interne

Une dernière perspective d'avenir doit être citée qui se situe, à nouveau, sur le plan national. Nous l'avons vu plus haut (cf. ch. 5.2.5), plusieurs initiatives populaires ont récemment été adoptées qui laissent apparaître d'éventuels conflits avec la CEDH. Bien qu'à l'heure actuelle aucun cas d'application n'ait fait l'objet d'une condamnation de la Cour, la problématique doit être gardée à l'esprit. Le Conseil fédéral s'efforce de trouver des solutions appropriées susceptibles de réunir une majorité politique.

406

Annexe 1

Etat gros pourvoyeurs de requêtes

(Cour européenne des droits de l'homme, Analyse statistique 2013, janvier 2014, p. 8).

407

Annexe 2

Evolution des réquêtes 1959*­2013

* Ce tableau comprend les affaires traitées par la Commission européenne des droits de l'homme avant 1959

408

Annexe 3

Nombre de requêtes attribuées à une formation judiciaire3

409

Annexe 4

Arrêts rendus par la Cour

(Cour européenne des droits de l'homme, Aperçu 1959­2013 CEDH, février 2014, p. 4)

410

Annexe 5

Arrêts rendus par la Cour depuis sa création

(Cour européenne des droits de l'homme, Aperçu 1959­2013 CEDH, février 2014, p. 3

411

Annexe 6

Objets des arrêts de violation rendus par la Cour

(Cour européenne des droits de l'homme, Aperçu 1959­2013 CEDH, février 2014, p. 5)

412

Annexe 7

Objets des arrêts de violation rendus par la Cour en 2013

(Cour européenne des droits de l'homme, La CEDH en faits & en chiffres 2013, janvier 2014, p. 7)

413

Annexe 8

414

415

Annexe 9

Statistique de l'Office fédéral de la justice (état au 31.12.2013) 1. Requêtes enregistrées, dirigées contre la Suisse Commission 28.11.1974­31.12.1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1.1.­31.10.1998 Total

500

58

104 107 113 115 123 156 137 137 155 155 1860

Cour 1.11.1998­31.12.1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Total Total requêtes CH enregistrées: 5940

416

22 156 187 162 214 162 203 232 277 236 261 471 368 358 326 445 4080

2. Requêtes tranchées par une décision du Comité des Ministres204 (gras = au moins une violation constatée) 1.

Eggs I, 19.10.1979 (art. 5, fonction de l'auditeur en chef de l'armée comme instance de recours dans des affaires disciplinaires);

2.

Christinet, 29.11.1979 (art. 5, par. 1, let. a, réintégration après révocation de la libération conditionnelle d'un délinquant d'habitude);

3.

Bonnechaux, 27.06.1980 (art. 5, par. 3, durée d'une détention préventive);

4.

Schertenleib, 01.07.1981 (art. 6; durée d'une procédure pénale);

5.

Temeltasch, 24.03.1983 (art. 6, par. 3, let. e, assistance gratuite d'un interprète; signification de la déclaration interprétative relative à l'art. 6);

6.

Santschi et autres, 24.03.1983 (art. 5, six requêtes concernant la fonction d'auditeur en chef de l'armée comme instance de recours contre des peines disciplinaires);

7.

Kröcher et Möller, 10.11.1983 (art. 3, conditions de détention en détention préventive);

8.

Pannetier, 30.05.1986 (art. 6, par. 1, durée d'une procédure pénale);

9.

Adler, 26.06.1986 (art. 6, par. 1, jugement d'une plainte administrative par le TF comme seule instance judiciaire);

10.

I. et C., 23.11.1986 (art. 6, par. 2, attribution des frais en cas de classement de la procédure pénale);

11.

J. Müller, 15.05.1992 (art. 6, durée d'une procédure devant le Conseil d'Etat du canton de Zurich concernant l'autorisation de commercialisation d'une crème thérapeutique);

12.

G., 09.03.1993 (art. 8, expulsion d'un étranger marié avec une italienne domiciliée en Suisse);

13.

Bouajila, 14.12.1993 (art. 3, régime de détention pour un criminel très dangereux);

14.

N., 09.11.1993 (art. 6, durée d'une procédure pénale et administrative);

15.

R., 11.09.1995 (art. 6, droit à un tribunal; validité d'une adoption);

16.

M.S. et autres, 13.09.1996 (art. 6, indépendance et impartialité de la Commission de recours en matière d'indemnités étrangères);

17.

B.A. et autres, 17.01.1995 (art. 6, indépendance et impartialité de la Commission de recours en matière d'indemnités étrangères; publicité et durée de la procédure);

18.

R.B., 15.12.1995 (art. 6, durée d'une procédure pénale économique);

19.

H.B., 13.09.1996 (art. 6, soustraction d'impôts; publicité de la procédure);

20.

Stürm (1), 29.10.1997 (art. 8, correspondance en détention);

21.

Stürm (2), 14.01.1998 (art. 5, par. 3 et art. 6, par. 1, durée d'une détention préventive et d'une procédure pénale);

204

Selon le système de contrôle d'origine, en vigueur jusqu'en 1998.

417

22.

Psychex, 10.07.1998 (art. 10 CEDH, communication d'informations dans une clinique psychiatrique);

23.

C.B., 19.02.1999 (art. 6, par. 1, durée d'une procédure pénale en matière fiscale);

24.

W.O., 24.07.2000 (art. 6, par. 1, durée d'une procédure pénale en matière fiscale);

25.

Plumey, 09.09.1996 (art. 5, par. 3, contrôle de la détention selon le Code de procédure pénal bâlois);

26.

D'Amico, 29.05.2000 (art. 6, par. 1, durée d'une procédure d'autorisation de construire);

27.

P.B., 29.05.2000 (art. 5, par. 4, internement dans une clinique psychiatrique selon l'ancien art. 43 du Code pénal; durée de la procédure relative à la légalité de la privation de liberté).

3. Requêtes tranchées par un arrêt de la Cour (gras = au moins une violation constatée; GC = Grande Chambre): 1.

Schiesser, 04.12.1976 (art. 5, par. 3, procureur de district du canton de Zurich comme «magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires»);

2.

Minelli, 25.03. 1983 (art. 6, par. 2, présomption d'innocence et condamnation au paiement des frais en cas de clôture des poursuites pour cause de prescription);

3.

Zimmermann et Steiner, 13.07.1983 (art. 6, par. 1, durée d'une procédure devant le TF);

4.

Sutter, 22.02.1984 (art. 6, par. 1, absence de publicité de l'audience et du prononcé du jugement devant le tribunal de cassation militaire);

5.

Sanchez-Reisse, 21.10.1986 (art. 5, par. 3, durée et modalités d'une procédure d'extradition devant le TF);

6.

F., 18.12.1987 (art. 12, compatibilité de l'interdiction de remariage selon l'ancien art. 150 du Code civil avec l'art. 12 CEDH);

7.

Belilos, 29.04.1988 (art. 6, par. 1, accès à un tribunal, déclaration interprétative de la Suisse relative à l'art. 6);

8.

Müller et autres, 24.05.1988 (art. 10 et ancien art. 204 du Code pénal, liberté d'expression et liberté d'expression artistique);

9.

Schönenberger et Durmaz, 20.06.1988 (art. 8, courrier d'un avocat pas transmis à son mandant qui se trouvait en détention préventive);

10.

Schenk, 12.07.1988 (art. 6, par. 1, 2 et art. 8, utilisation de moyens de preuve acquis illégalement);

11.

Groppera Radio, 28.03.1990 (art. 10, interdiction de retransmettre par câble en Suisse des programmes d'un émetteur radio stationné en Italie);

12.

Weber, 22.05.1990 (art. 6, par. 1, publicité de la procédure; amende pour avoir divulgué lors d'une conférence de presse des éléments couverts par le secret de l'enquête; réserve de la Suisse relative à l'art. 6);

418

13.

Autronic, 22.05.1990 (art. 10, refus d'autorisation pour la mise en service d'une antenne parabolique);

14.

Huber, 23.10.1990 (art. 5, par. 3, procureur de district dans le canton de Zurich officiant à la fois comme juge de la détention et comme organe de poursuite);

15.

Quaranta, 24.05.1991 (art. 6, par. 3, let. c, défense d'office dans la procédure pénale);

16.

S., 28.11.1991 (art. 6, par. 3, let. c, surveillance de la communication avec l'avocat en détention préventive);

17.

Lüdi, 15.06.1992 (art. 8, art. 6, utilisation d'un agent infiltré dans une procédure pénale pour infractions à la loi sur les stupéfiants);

18.

W., 26.01.1993 (art. 5, par. 3, durée d'une détention préventive);

19.

Kraska, 19.04.1993 (art. 6, par. 1, procès équitable; remarque d'un juge fédéral, selon laquelle il n'aurait pas pu lire à fond tout le mémoire);

20.

Schuler-Zgraggen, 24.06.1993 (art. 6, par. 1, art. 14, prétentions selon l'assurance-invalidité; publicité de la procédure);

21.

Imbriosca, 24.11.1993 (art. 6, par. 1 et 3, droits de la défense au cours de l'instruction et dans la procédure d'enquête; auditions de police et du juge d'instruction en l'absence de l'avocat);

22.

Hurtado, 28.01.1994 (art. 3, traitement inhumain et dégradant pendant la garde à vue);

23.

Burghartz, 22.02.1994 (art. 8 et 14, nom de famille: droit de l'époux de faire précéder le nom de la famille de l'épouse, choisi à l'étranger, du sien propre);

24.

Scherer, 25.03.1994 (art. 10, condamnation pour vente de vidéos à contenu pornographique);

25.

Schuler-Zgraggen, 31.01.1995 (ancien art. 50: droit à des intérêts sur la rente d'invalidité dans le cadre de la réparation du dommage matériel);

26.

Gül, 19.02.1996 (art. 8, regroupement familial);

27.

Thomann, 10.06.1996 (art. 6, par. 1, réexamen d'une affaire après une procédure par défaut);

28.

Ankerl, 23.10.1996 (art. 6, par. 1, égalité des armes dans le procès civil; audition des intéressés en tant que personnes appelées à donner des renseignements d'une part, et en tant que témoin sous serment, d'autre part);

29.

Nideröst-Huber, 18.02.1997 (art. 6, par. 1, égalité des armes devant le TF, ancien art. 56 loi fédérale sur l'organisation judiciaire);

30.

Balmer-Schafroth et autres, 26.08.1997 (art. 6, par. 1, accès à un tribunal; prolongation de l'autorisation d'exploitation de la centrale nucléaire de Mühleberg);

31.

A.P., M.P. et T.P., 29.08.1997 (art. 6, par. 1 et 2, responsabilité des héritiers pour rappels d'impôts et sanction pour soustraction);

32.

E.L., R.L. et J.O.-L., 29.08.1997 (art. 6, par. 1 et 2, responsabilité des héritiers pour rappels d'impôts et sanction pour soustraction); 419

33.

R.M.D., 26.09.1997 (art. 5, par. 4, droit au contrôle de la légalité de la détention dans une procédure de «regroupement»);

34.

Camenzind, 16.12.1997 (art. 8 et 13, perquisition domiciliaire dans une procédure pénale administrative);

35.

Kopp, 25.03.1998 (art. 8 et 13, écoutes téléphoniques dans une étude d'avocats);

36.

Schöpfer, 20.05.1998 (art. 10, déclarations à la presse sur l'incompétence des autorités de poursuite pénale; procédure écrite);

37.

Hertel, 25.08.1998 (art. 10, liberté d'expression et loi fédérale sur la concurrence déloyale);

38.

Ali, 05.08.1998 (art. 5, par. 1, let. f, internement selon l'ancienne loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers en raison de l'impossibilité du renvoi);

39.

Oliveira, 30.07.1998 (art. 4 protocole no 7, ne bis in idem);

40.

Amann, 16.02.2000 (art. 8 et 13, écoutes téléphoniques, établissement et conservation d'une fiche concernant le requérant);

41.

Kiefer, 28.03.2000 (art. 6, par. 1, durée d'une procédure en matière d'assurances sociales);

42.

Athanassoglou et autres, 06.04.2000 (auparavant: Greenpeace et autres) (art. 6, par. 1, accès à un tribunal, prolongation de l'autorisation d'exploitation de la centrale nucléaire Beznau II);

43.

G.B., 30.11.2000 (art. 5, par. 4, durée d'une procédure d'examen de la détention selon la loi fédérale du 15 juin 1934 sur la procédure pénale);

44.

M.B., 30.11.2000 (art. 5, par. 4, durée d'une procédure d'examen de la détention selon la loi fédérale du 15 juin 1934 sur la procédure pénale);

45.

Wettstein, 21.12.2000 (art. 6, par. 1, indépendance et impartialité d'un tribunal administratif; cumul de fonctions d'avocat et de juge);

46.

D.N., 29.03.2001 (art. 5, par. 4, procédure relative à une privation de liberté à des fins d'assistance; cumul de fonctions d'expert et de juge);

47.

H.B., 05.04.2001 (art. 5, par. 2 et 3, art. 13, droit à l'information, examen de la détention selon le Code de procédure pénal du canton de Soleure);

48.

J.B., 03.05.2001 (art. 6, par. 1, amende dans la procédure pour soustraction d'impôts; ne bis in idem);

49.

Medenica, 4.06.2001 (art. 6, procédure par défaut);

50.

VgT, 28.06.2001 (art. 10, 13, 14, refus de la SSR de diffuser un spot télévisé du requérant);

51.

F.R., 28.06.2001 (art. 6, par. 1, égalité des armes devant le Tribunal fédéral des assurances sociales);

52.

Boultif, 02.08.2001 (art. 8, non-renouvellement de l'autorisation de séjour du requérant délinquant, marié à une suissesse);

53.

Ziegler, 21.02.2002 (art. 6, par. 1, égalité des armes devant le TF);

420

54.

H.M., 26.02.2002 (art. 5, par. 1, let. e, privation de liberté à des fins d'assistance et notion de «grave état d'abandon»);

55.

Demuth, 05.11.2002 (art. 10, rejet de la demande de concession pour une chaîne thématique», couvrant un domaine spécifique);

56.

Müller, 05.11.2002 (art. 6, par. 1, durée d'une procédure d'expropriation);

57.

Minjat, 28.10.2003 (art. 5, par. 1 et 4, défaut de motivation de la prolongation de la détention préventive dans le canton de Genève);

58.

Linnekogel, 1.3.2005 (art. 6, par. 1, accès à un tribunal en cas de confiscation et de destruction de matériel raciste);

59.

Contardi, 12.7.2005 (art. 6, par. 1, accès au dossier de la partie adverse);

60.

Munari, 12.7.2005 (art. 6, par. 1 et 3, durée d'une procédure pénale);

61.

Spang, 11.10.2005 (art. 6, par. 1, égalité des armes devant le Tribunal fédéral des assurances sociales);

62.

Hurter, 15.12.2005 (art. 6, par. 1, nature civile d'une procédure disciplinaire contre un avocat; publicité de l'audience);

63.

Scavuzzo-Hager et autres, 07.02.2006 (art. 2, 3 et 6, utilisation de la force lors de l'arrestation avec suite de décès; devoir d'enquête);

64.

Dammann, 25.04.2006 (art. 10, condamnation d'un journaliste pour incitation à violation du devoir de fonction);

65.

Bianchi, 22.06.2006 (art. 8, enlèvement d'enfant);

66.

Fuchser, 13.07.2006 (art. 5, par. 4, fin d'une mesure d'internement; durée de la procédure);

67.

Jäggi, 13.7.2006 (art. 8, droit de connaître sa filiation);

68.

Ressegatti, 13.7.2006 (art. 6, droit de réplique, égalité des armes);

69.

Mc Hugo, 21.09.2006 (art. 6, par. 1, durée d'une procédure pénale);

70.

Monnat, 21.09.2006 (art. 10, constatation de la violation d'une concession par la Télévision Suisse Romande);

71.

Kaiser, 15.03.2007 (art. 5, par. 3 et 5, droit d'être traduit aussitôt devant le juge chargé d'examiner la détention et procédure en réparation pour la détention);

72.

Kessler, 26.07.2007 (art. 6, par. 1, égalité des armes, droit de réplique);

73.

Weber, 26.07.2007 (art. 5, par. 1, détention provisoire pendant la procédure de modification d'une mesure ambulatoire en une mesure stationnaire);

74.

Stoll, 10.12.2007 (art. 10, condamnation d'un journaliste pour publication de débats officiels secrets (GC; arrêt de la Chambre du 25.04.2006)205;

75.

Emonet et autres, 13.12.2007 (art. 8 et 12, adoption par des concubins);

76.

Foglia, 13.12.2007 (art. 6, par. 1 et art. 10, procédure disciplinaire contre un avocat en raison de déclarations publiques sur la qualité d'une enquête pénale);

205

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le Gouvernement acceptée.

421

77.

Hadri-Vionnet, 14.02.2008 (art. 8, droit des parents à un enterrement de leur enfant mort-né dans la dignité);

78.

Meloni, 10.04.2008 (art. 5, par. 1, rejet de la demande de mise en liberté comme base pour le maintien en détention provisoire);

79.

Emre, 22.05.2008 (art. 8, expulsion d'une personne ayant subi plusieurs condamnations);

80.

Carlson, 06.11.2008 (art. 8, enlèvement d'enfants);

81.

Schlumpf, 08.01.2009 (art. 6 et 8, procès équitable, publicité de l'audience, remboursement des frais médicaux d'une conversion de sexe)206;

82.

Glor, 30.04.2009 (art. 4, par. 3, let. b et 14, non-admission au service militaire et devoir de payer la taxe d'exemption de l'obligation de servir)207;

83.

VgT Verein gegen Tierfabriken(bis), 30.06.2009 (art. 10, refus de diffuser un spot télévisé; GC)208;

84.

Gsell, 08.10.2009 (art. 10, atteinte à la liberté d'expression d'un journaliste du fait de l'interdiction d'accéder au WEF);

85.

Shabani, 05.11.2009 (art. 5, par. 3, durée de la détention préventive);

86.

Werz, 17.12.2009 (art. 6, par. 1, durée d'une procédure pénale et égalité des armes devant le TF);

87.

Borer, 10.06.2010 (art. 5, par. 1, base légale d'une détention après expiration de la peine);

88.

Schwizgebel, 10.06.2010 (art. 8 en relation avec 14, refus de l'adoption par une personne seule en raison de son âge);

89.

Neulinger et Shuruk, 06.07.2010 (art. 8, enlèvement d'enfant; GC; arrêt de la Chambre du 08.01.2009)209;

90.

Mengesha Kimfe, 29.07.2010 (art. 8, regroupement familial);

91.

Agraw, 29.07.2010 (art. 8, par. 1, rejet d'une demande d'asile, renvoi après un séjour de plusieurs années et un mariage en Suisse);

92.

Pedro Ramos, 14.10.2010 (art. 6, par. 1, accès à un tribunal, assistance judiciaire gratuite);

93.

Schaller-Bossert, 28.10.2010 (art. 6, par. 1, égalité des armes devant le Conseil d'Etat et le TF);

94.

Losonci Rose et Rose, 09.11.2010 (art. 8 et 14, nom de famille des époux);

95.

Jusic, 02.12.2010 (art. 5, par. 1, let. f, par. 4 et par. 5, détention en vue du renvoi; durée de la procédure d'examen de la détention; indemnisation pour détention illicite);

96.

Gezginci, 09.12.2010 (art. 8, expulsion d'un délinquant);

97.

Ellès et autres, 16.12.2010 (art. 6, par. 1, égalité des armes devant le TF);

206 207 208 209

422

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le Gouvernement rejetée.

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le Gouvernement rejetée.

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le Gouvernement acceptée.

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le Gouvernement acceptée.

98.

Haas, 20.01.2011 (art. 8, droit au suicide);

99.

Tinner Urs et Marco, 26.04.2011 (art. 5, par. 1, let. c, 3 et 4, durée de la détention préventive; droit à un contrôle judiciaire de la détention);

100.

M., 26.04.2011 (art. 8, refus de délivrer un passeport suite à un signalement RIPOL);

101.

Steulet, 26.04.2011 (art. 6, par. 1, impartialité du TF);

102.

Küçük, 17.05.2011 (art. 8, enlèvement d'enfants);

103.

Adamov, 21.06.2011 (art. 5, par. 1, let. f, notion et régularité de la détention en vue d'extradition)210;

104.

Portmann (II), 11.10.2011 (art. 3 et 13, traitement lors de l'arrestation d'un suspect et droit à une enquête effective)211;

105.

Association Rhino, 11.10.2011 (art. 11, dissolution d'une association en raison de son but illicite)212;

106.

Emre (II), 11.10.2011 (art. 8 et 46, expulsion d'un délinquant; réduction de la durée de l'interdiction d'entrée suite à un arrêt de la Cour);

107.

Khelili, 18.10.2011 (art. 8, protection des données/femme fichée comme prostituée)213;

108.

Chambaz, 05.04.2012 (art. 6, rappel d'impôt et procédure de soustraction fiscale; droit de garder le silence);

109.

Schweizerische Radio- und Fernsehgesellschaft, 21.06.2012 (art. 10, interdiction de faire un reportage télévisé sur une résidente de la maison de détention Hindelbank);

110.

Mouvement raélien suisse, 13.07.2012, (art. 10, interdiction d'affichage public; GC; arrêt de la Chambre du 13.01.2011)214;

111.

Nada, 12.09.2012 (art. 5, par. 1 et 4, art. 8 et art. 13, inscription du nom du requérant sur l'annexe à l'ordonnance sur les Taliban; notion de privation de liberté; atteinte au respect de la vie privée et familiale; droit à un recours effectif en cas de sanctions basées sur des Résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU; GC)215;

112.

Joos, 15.11.2012 (art. 6, par. 1, droit de prendre position sur les écritures de la partie adverse);

113.

Kissiwa Koffi, 15.11.2012 (art. 8, expulsion d'une délinquante);

114.

Shala, 15.11.2012 (art. 8, expulsion d'un délinquant)216;

115.

Pesukic, 06.12.2012 (art. 6, par. 3, let. d, droit à un procès équitable et témoins anonymes);

210 211 212 213 214 215 216

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le Gouvernement rejetée.

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le requérant rejetée.

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le Gouvernement rejetée.

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par la requérante rejetée.

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le requérant acceptée.

Dessaisissement en faveur de la Grande Chambre.

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le requérant rejetée.

423

116.

Udeh, 16.04.2013 (art. 8, expulsion d'un délinquant)217;

117.

Hasanbasic, 11.06.2013 (art. 8, expulsion du requérant, condamné à plusieurs reprises, dépendant de l'assistance sociale et ayant séjourné dans son pays d'origine)218;

118.

Locher et autres, 30.07.2013 (art. 6, par. 1, droit de prendre position sur les écritures de la partie adverse);

119.

Berisha, 30.07.2013 (art. 8, droit au regroupement familial)219;

120.

Polidario, 30.07.2013 (art. 8, enlèvement d'enfants vers la Suisse, autorité parentale, droit de visite et titre de séjour)220;

121.

Roduit, 03.01.2013 (art. 6, par. 1, durée de la procédure)221;

122.

Dembele, 24.09.2013 (art. 3, interdiction de traitements inhumains et droit à une enquête effective concernant des allégations de violences policières)222;

123.

Wyssenbach, 22.10.2013 (art. 6, par. 1, droit de prendre position sur les écritures de la partie adverse);

124.

Bolech, 29.10.2013 (art. 5, par. 1, privation de liberté, conditions de la détention préventive);

125.

Al-Dulimi et Montana Management Inc., 26.11.2013 (art. 6, par. 1, accès à un tribunal en cas de sanctions basées sur des Résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU; pendant devant la GC)223;

126.

Vazquez, 26.11.2013 (art. 8, expulsion d'un délinquant);

127

Perinçek, 17.12.2013 (art. 10, négation du génocide arménien; pendant devant la GC)224.

217 218 219 220 221 222 223 224

424

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le Gouvernement rejetée.

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le Gouvernement rejetée.

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le requérant rejetée.

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le requérant rejetée.

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le requérant rejetée.

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le Gouvernement rejetée.

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le Gouvernement acceptée.

Demande de renvoi devant la Grande Chambre par le Gouvernement acceptée.