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Message du

Conseil fédéral à la haute Assemblée fédérale concernant un projet de loi sur les opérations des agences d'émigration.

(Du 25 novembre 1879.)

Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous soumettre un projet de loi qui a pour objet la mise à exécution d'une partie de l'art. 34, alinéa 2, de la Constitution fédérale, pour autant que cet article dispose : « Les opérations des agences d'émigration sont soumises à la surveillance et à la législation fédérales. > Les limites dans lesquelles un projet de loi de cette nature est obligé de se renfermer sont en partie déjà fixées par la teneur de l'article précité ; elles ressortent en outre d'une série de postulats et de délibérations de l'Assemblée fédérale concernant cette matière et qui ont déjà été mentionnés dans un message antérieur, du 12 juin 1867 (F. féd. 1867, II. 208). D'une part, nous renvoyons plus spécialement aux postulats des 23 juillet 1855 et 25 juillet 1856 et à la décision du Conseil national du 7 décembre 1870, par laquelle le Conseil fédéral a été invité à examiner si, dans les ports de mer de l'Europe, il ne pourrait pas être institué, en vue de la protection des émigrants, un contrôle plus efficace, en particulier au sujet des capitaines de vaisseaux, etc. ; si, en outre, l'émigration de familles qui sont dépourvues des moyens de subsistance nécessaires ne devrait pas être empêchée, et si les personnes qui émigrent Feuille fédérale suisse. Année XXXI. Vol. III.

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un Amérique sans avoir un but spécial ne devraient pas être pourvues d'instructions de nature à les préserver des dangers et des séductions auxquelles elles peuvent être exposées dans les ports de débarquement. D'antre part, les délibérations qui ont eu lieu lors la révision de la Constitution fédérale pendant les deux périodes de révision de 1871 et de 1873 prouvent qu'une action pins étendue de la Confédération dans les affaires concernant l'émigration, en particulier une surveillance plus générale à ce sujet ou une participation de la Confédération à des entreprises de colonisation, a été déclarée inadmissible lors de la discussion de la Constitution actuelle. De même, le 11 juin 1877, le Conseil national n'a pris en con.-idération la motion faite à cet ég.ird par M. le D r Joos que dans un sens restrictif, soit en invitant le Conseil fédéral à examiner la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu de prendre des mesures en vue de la protection des émigrants suisses et à donner son préavis à ce sujet Conformément à ces décisions, le Conseil fédéral, en vous soumettant un projet de loi, part du même point de vue qu'il a déjà précisé comme suit dans son rapport de gestion pour l'année 1870: « Les autorités fédérale? ont à s'abstenir de toute action directe concernant l'émigration et doivent se borner à donner les instructionset la protection nécessaires aux ressortissants suisses qui témoignent, le désir d'éuaigrer ou qui sont prftts à le faire. » La. loi que nous vous soumettons n'a donc pas pour but d'organiser, de faciliter ou d'appuyer une émigration qui se ferait sur une grande échelle à un point de vue social ou d'économie nationale, mais seulement de contrôler celle qui a lieu déjà maintenant sans le secours de l'Etat et qui, d'après les données statistiques les plus récentes, monte pour l'année 1878 à 20ti8 personnes, dont 505 femmes et 488 enfants âgés de moins de 16 ans, qui se dirigent pour une moitié environ vers l'Amérique du Nord et pour l'autre vers l'Amérique du Sud, l'Australie, l'Asie et l'Afrique.

Après un examen approfondi de toutes les circonstances relatives à l'émigration, ainsi que de la législation et des expériences faites à cet égard dans d'autres pays, il nous paraît que, pour être le plus efficace, la protection que la Confédération peut accorder à ces émigrants,
en vertu des principes énoncés plus haut, consiste essentiellement dans les points suivants : 1. Les agences d'émigration exploitées en Suisse doivent être mises par la Confédération sous un contrôle général plus efficace et en même t.-mps rendues responsables, dans certaines limites, pour les personnes dont elles se servent en dehors des frontières suisses pour l'expédition des éraigrants à leur lieu de destination, ou fonc-

853 tionnant pour elles comme sous-agents ou personnes intermédiaires quelconques* 2. On doit adopter certaines prescriptions reconnues nécessaires ensuite des expériences faites et ayant, trait non seulement au transport en Suisse, mais spécialement à. la traversée et an séjour dans les ports de l'Europe et des contrées d'outr^e-mer; ces prescriptions doivent nécessairement être comprises et reproduites textuellement clans chaque contrat conclu avec des émigrants suisses, et l'agent suisse doit en être rendu responsable devant les tribunaux.

3. L'expédition de certaines personnes doit être interdite d'une manière absolue ou autorisée seulement sous réserve de certaines mesures de précaution; pour ce qui concerne ce dernier point, il doit être tenu compte non seulement de considérations générales, mais aussi des lois en vigueur dans les Etats vers lesquels le courant de l'émigration suisse se dirige de préférence.

4. Un fonctionnaire spécial doit être chargé, en qualité de commissaire pour l'émigration, de la surveillance immédiate des affaires concernant l'émigration envisagée dans ce sens restrictif, à l'instar des institutions semblables des autres Etats, en particulier de celles qui existent depuis longtemps en France, en Angleterre, en Hollande et en Allemagne. Outre l'application ordinaire de la loi, ce commissaire doit être chargé de donner gratis des conseils et des recommandations aux personnes qui auraient envie d'émigrer, et, en même temps, de maintenir des relations continuelles avec les commissaires pour l'émigration, résidant dans les ports de mer des Etats étrangers et par l'intervention desquels une protection efficace des émigraots suisses, dans les localités où ils en ont le plus besoin, est seule possible.

Par ces mesures, qui fout la partie essentielle du projet de loi, nous croyons avoir suffisamment rempli le mandat dont la haute Assemblée fédérale nous avait chargés et dont nous avons parlé en commençant. Nous n'avons pas manqué de soumettre préalablement cette matière à l'examen d'une Commission d'experts et de nous faire communiquer un grand nombre de rapports par les Gouvernements cantonaux, les Consuls suisses à l'étranger et les agences d'émigration; nous avons aussi comparé les différentes législations en vigueur dans d'autres Etats ou dans les Cantons suisses. Nous
croyons également ne pas avoir franchi les limites qui nous étaient tracées pour notre mandat par l'art. 34 de la Constitution fédérale.

Les Cantons suisses qui possédaient jusqu'à présent une législation ou du moins certains règlements sur l'émigration sont les suivants : Berne, Lucerne, Schwyz, Unterwaiden, Zoug, Glaris, Fribourg, Bàie-Ville, Schaffhouse, St-Gall, les Grisons, Argovie, le

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Tessin, le Valais et Genève. Quant au contenu de cette législation, vous le trouverez dans une annexe imprimée. Vous vous convaincrez en môme temps du fait que, sans parler du manque d'uniformité qui se fait sentir entre ces différentes lois et des mesures incomplètes et insuffisantes qu'elles renferment, aucune d'elles ne nous a paru propre à servir de modèle pour notre projet.

Ce qui nous a été d'une utilité plus essentielle lors des délibérations concernant ce projet, ce sont les lois en vigueur en France (en particulier la loi sur l'émigration du 18 juillet 1860 et les ordonnances d'exécution des 9 et 15 mars 1861), en Angleterre (passengers act, et les amendements du 14 août 1855 et du 13 juillet 1863), en Hollande (lois du 1er juin 1861 et du 15 juillet 1869 et décrets du 27 novembre 1865 et du 30 septembre 1869), ainsi que les dispositions légales de quelques Etats allemands, en particulier de Hambourg, Brème, Meclderibourg, Oldenbourg, qui, ensuite de la situation qu'ils occupent sur les bords de la mer, ont adopté, au sujet de l'embarquement des émigrants au sortir de leurs ports et de l'institution des vaisseaux d'émigrants, des prescriptions spéciales dont il nous a été nécessaire de tenir compte, pour ne pas mettre nos dispositions en contradiction avec elles. Le 14 décembre 1876, la Belgique a adopté une loi sur l'émigration reposant sur la même base que la loi hollandaise sur le même objet. Vous la trouverez à la fin de l'annexe imprimée ci-dessus mentionnée. UEmpire allemand ne possède pas de législation impériale sur l'émigration, mais seulement quelques ordonnances renfermées dans d'autres lois (par exemple dans le Code pénal au sujet de l'émigration des hommes soumis au service militaire et la provocation a l'émigration par moyens de tromperie). En vertu d'un article de la Constitution, l'Empire n'est chargé que d'une surveillance générale sur les affaires concernant l'émigration; cette surveillance a lieu par l'organe d'un commissaire pour l'émigration, soumis à la Chancellerie impériale; celle-ci a publié un rapport qui démontre clairement l'utilité de cet emploi et donne les renseignements nécessaires au sujet des attributions du commissaire. Ce rapport est joint au dossier.

Vous trouverez plus de détails au sujet de la législation étrangère, à laquelle sont empruntées
quelques-unes des dispositions de notre projet, en particulier celle qui concerne le transport par mer, dans l'exposé mentionné plus haut et qui a servi de base aux travaux préliminaires.

Pour ce qui concerne les différents articles du projet de loi, permettez-nous de vous donner les explications suivantes au sujet des dispositions essentielles.

85& Les articles 1 à 4 font dépendre l'exploitation d'nne agenced'émigration de l'acquisition d'une patente fédérale. C'est à dessei» que ces dispositions ont été rédigées de manière qu'elles ne puissent pas être évitées au moyen de l'établissement d'une pareille agence en dehors des frontières de la Suisse ; sur ce point, nous appelons encore l'attention sur les articles suivants, concernant les sous-agents et les personnes intermédiaires de toute sorte. Le cautionnement exigé des agences principales indépendantes ne peut paraître trop élevé. En France, il est de fr. 40,000 ; en Angleterre, d'une somme plus considérable encore ; jusqu'à présent, quelques agences suisses clé différents Cantons fournissaient ensemble jusqu'à fr. 70,000 de cautionnement et même plus encore.

Les articles 5 à 7 font disparaître un des abus principaux de l'exploitation des agences d'émigration, telle qu'elle a lieu actuellement, nous voulons parler du rôle que toutes sortes de personnes intermédiaires sont appelées à y jouer pour ce qui concerne l'enrôlement, l'accompagnement et le débarquement des émigrants, lors même que ces personnes ne présentent pas les garanties nécessaires ; elles ne peuvent, en raison des circonstances, être atteintes personnellement par les tribunaux suisses, et l'agence principale ne peut de même que très-difficilement être rendue responsable pour elles.

Les plaintes au sujet de ce système sont très-nombreuses.

Il n'est possible de remédier à ces abus qu'en exigeant que tous les sons-agents et personnes intermédiaires de toute sorte soient désignés au public et puissent même être écartés au cas où cela sera jugé nécessaire et toutes les fois que l'autorité chargée de la surveillance l'exigerait ; il doit, en ontre, être stipulé que l'agent principal résidant en Suisse est responsable devant le juge de toutes les actions de ces sous-agents et fonctionnaires intermédiaires. Au cas contraire, les émigrants sont livrés sans secours à l'arbitraire, précisément au moment où ils ont le plus besoin de protection et où la justice de leur patrie ne peut plus la leur accorder.

L'art. 8, alinéa 3, a pour but d'empêcher que l'on ne se plaigne, comme cela a eu lieu ça et là, que l'émigration ne serve à la fuite des criminels et d'assurer aux organes de la police cantonale le concours des agences dans
les affaires d'arrestation, pour autant qu'elles peuvent le faire sans autres inconvénients.

L'article 9 interdit aux agences d'émigration les entreprises de colonisation proprement dites, à moins qu'elles ne se pourvoient ponicela d'une autorisation spéciale du Conseil fédéral ; sans cette précaution, les entreprises dont il s'agit pourraient être exploitées sous le titre ordinaire d'affaires d'émigration. En agissant ainsi, l'intention du Conseil fédéral n'est aucunement d'entraver les entreprises dont

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il s'agit ; le texte primitif de notre projet de loi contenait même, sous 11° 8, un article rédigé différemment de celui dont il s'agit. Tontefois, d'après les expériences faites au Brésil, il est évident que des entreprises de colonisation ayant lieu sur une grande échelle ne peuvent se faire sans une surveillance toute particulière, sans une organisation plus forte et surtout sans des cautionnements plus élevés que ceux qui peuvent être exigés pour l'expédition des émigrants telle qu'elle a lieu ordinairement ; il nous a donc paru que l'on pourrait, sans dépasser les limites de la loi, établir des dispositions plus spéciales sur ce point, surtout pour les cas où ce ne sont pas les agences d'émigration, patentées ordinaires qui s'occupent de ces entreprises.

L'article 10 contient les prescriptions nécessaires pour empêcher que, sons prétexte d'émigration, l'on ne se défasse de toutes sortes de personnes dénuées de secours, comme cela paraît encore avoir eu lieu souvent dans les derniers temps (voir décision du Conseil national du 7 décembre 1870).

Le chiffre 1 donne néanmoins les facilités nécessaires pour que des personnes âgées et pauvres puissent rejoindre sans empêchement leurs enfants établis en Amérique. Quelques lois suisses et étrangères prévoient, au lieu du chiffre 3, des sommes déterminées (Berne 50 à 60 francs par tête). Il nous paraît cependant que pour le moment cette question doit être résolue selon les expériences qui seront faites et pourra être réglée plus tard par une ordonnance d'exécution, si cela est jugé nécessaire.

Le chiffre 4 se rapporte à une disposition de la loi américaine de l'année 1875, d'apròs laquelle les personnes dont il s'agit sont exclues de l'immigration dans le pays; cette disposition a été publiée dans la Feuille fédérale (1875, II. 661).

En raison du chiffre 5, il no doit pas être exigé de passeport, mais seulement un certificat personnel de légitimation suffisant; il va sans dire qu'il devient nécessaire pour tous les cas qui peuvent se présenter, tels que maladie, mort, arrestation pendant le voyage etc.; de même, notre intention n'est pas d'empêcher l'émigration de personnes qui auraient à l'avenir à faire leur service militaire, mais seulement d'obliger celles qui sont déjà au service à rendre les effets militaires qui se trouvent encore entre
leurs mains, tels que armes, chevaux, pièces d'uniforme, ou à payer l'impôt militaire dont elles sont déjà pasc-ibles.

e Les articles 11 et 12 renferment les dispositions obligatoires concernant-le service de l'agent et le transport au lieu de destination ; ces dispositions doivent former une partie essentielle et nécessaire de tout contrat d'émigration conclu avec l'érnigrant et

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remis entro ses mains; ce n'est que par là qu'il est mis à même de justifier de ses exigences légitimes à l'égard des représentants des agents de l'étranger, des armateurs, des capitaines de vaisseau, etc., ·et de faire au besoin dresser un procès-verbal pour une plainte ultérieure à l'agent principal résidant en Suisse. Ces dispositions fixent le minimum de ce qui peut, être exigé à cet égard en raison des expériences faites et des mesures prises par d'antres lois ; elles ne doivent, en conséquence, en aucune manière ótre restreintes ou éludées. Des dispositions plus spéciales encore, comme il en est contenu dans d'autres lois, ont été écartées ; nous n'avons à cet égard conservé que le nécessaire.

Le chiffre 6 de l'art. 11 et le chiffre 6 de l'art. 12, ainsi que la disposition finale de ce dernier article, méritent une mention spéciale. Quant à la prescription au sujet d'une assurance sur la vie d'une valeur de fr. 500 pour la durée du voyage et pour chaque chef de famille, elle est nouvelle et ne se trouve renfermée dans aucune loi. Nous envisageons cependant cette mesure comme trèsrationnelle : au cas où le chef ou le conducteur d'une famille viendrait à mourrir pendant le voyage, elle permet à, celle-ci de se procurer les moyens de subsistance nécessaires et môme aussi, cas échéant, les ressources pour rentrer au pays ou se faire rejoindre par d'autres personnes qui peuvent Ini venir en aide. La prime ne peut, dans ce cas-là, être bien haute, puisqu'il est prévu que le transport des personnes malades ne peut avoir lieu ; les agences peuvent aussi très-facilement, au moyen de contrats conclus avec ·des sociétés d'assurance sur la vie, se pourvoir d'une contre-assurance qui leur permette d'observer, sans sacrifice pour eux, cette prescription si utile pour l'émigrant. La disposition de l'article 12, chiffre 6, est d'une grande portée pour la protection des émigrants dans les ports d'outre-mer, où ils peuvent facilement être jetés sur le pavé avec leur bagage et, ne- sachant ni les usages ni môme la langue du pays, devenir la proie de tous ceux qui cherchent à exploiter leur crédulité. Une disposition à peu près semblable se trouve dans la législation anglaise ; d'autres contiennent à cet égard des dispositions moins précises. Une autre mesure, également essentielle pour la protection des
émigrants et mentionnée au chiffre 6 de l'art. 13, est empruntée à la loi hollandaise, où elle est exprimée en termes plus catégoriques encore.

La clause finale de l'art. 12 laisse à l'émigrant le choix de résilier simplement un contrat qui ne contiendrait pas toutes les conditions mentionnées aux articles 11 et 12, ou de l'accepter néanmoins, mais sous réserve de "réclamations en dommages-intérêts.

Dans la règle, c'est cette dernière manière de faire qui seule mènera au but, dans les cas où l'émigrant ne se convaincrait que pendant

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le voyage de l'illégalité du contrat. Pour lui d'ailleurs, la meilleure garantie contre de pareilles infractions de la loi consistera toujours en une prescription exacte au sujet de la teneur des parties essentielles des contrats et dans la réserve, faite ultérieurement, de fixer pour eux une formule obligatoire (art. 13).

L'article 14 contient les dispositions qui paraissent nécessaires pour la protection des créanciers des émigrants; les lois cantonales en vigueur jusqu'à présent contenaient sur ce point des prescriptions semblables. Le premier projet avait admis que les agences étaient en général responsables à l'égard des créanciers, quand elles n'observent pas cette disposition ou qu'elles expédient les émigrants avant le terme fixé; nous avons cru devoir restreindre cette disposition aux cas où il y aurait eu dol intentionnel de la part desagents.

L'article 16 renvoie enfin aux tribunaux des Cantons les réclamations de toute sorte que les émigrants peuvent avoir à faire contre les agences. Dans ces cas-là, c'est l'agent principal qui pourra, être rendu directement responsable. Le premier projet de loi (art. 16) avait renvoyé ces plaintes au Tribunal fédéral, pour amener à cet égard un mode de procéder sûr et uniforme. Cette manière de faire pouvait certainement se justifier en raison de l'article 114 de la Constitution fédérale. Dans quelques pays, de pareilles réclamations se règlent même par voie administrative (France); dans d'autres (Angleterre, Hollande), ce sont les juges de paix et les commissaires pour l'émigration qui sont nantis de la compétence de jugements sommaires ou qui sont tenus d'essayer une entente à l'amiable.

Le commissaire pour l'émigration mentionné à l'art. 18 pourrait de môme être muni de l'une ou de l'autre de ces compétences, le succès de la loi dépendant avant tout des personnes qui seront élues pour ces places et de l'exactitude qu'elles apporteront à l'exercice de leurs fonctions; toutefois, comme une pareille disposition aurait porté une grave atteinte à l'exercice du droit cantonal, nous n'avons pas cru devoir, de notre côté, anticiper sur les décisions que l'Assemblée fédérale prendrait à cet égard.

L'article 15, qui contient les dispositions pénales, et les autres articles 17 et 19 du projet de loi ne nous paraissent pas avoir besoin d'une explication
spéciale.

En vous soumettant ce projet de loi, nous croyons répondre au besoin vivement senti d'une réglementation de l'émigration qui a lieu sans la participation de l'Etat, réglementation prévue à l'article 34 de la Constitution fédérale, nous croyons en outre n'avoir porté aucun préjudice à des propositions de plus grande portée qui lie peuvent être renfermées dans les limites de ce projet.

8591 Nous saisissons cette occasion, Monsieur le Président et Messieurs,.

pour vous assurer de notre haute considération.

Berne, le 25 novembre

1879.

Au nom du Conseil fédéral suisse, Le Président de la Confédération:

HAMMER.

Le Chancelier de la Confédération : SCHIESS.

Projet.

Loi fédérale concernant

les opérations des agences d'émigration.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE de la CONFÉDÉRATION SUISSE, 1 en exécution de l'art. 34, 2"" alinéa, de la Constitution fédérale; vu le message du Conseil fédéral du 25 novembre 1879, arrête : er Art. 1 . La surveillance sur les opérations des agences d'émigration en Suisse, prévue par l'art. 34, 2me alinéa, de la Constitution fédérale, est exercée par le Conseil fédéral, avec le concours des autorités cantonales.

Art. 2. Les personnes qui veulent faire leur profession d'expédier des émigrants hors de la Suisse doivent obtenir du Conseil fédéral une patente d'agent d'émigration, laquelle leur donne seule le droit de pratiquer ce genre d'opérations, soit directement, soit par l'intermédiaire d'autres personnes.

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Si l'agence d'émigration fait l'objet d'une association de quelque nature que ce soit, l'acte social constitutif ou une ·copie authentique de cet acte doit être déposé auprès du Conseil fédéral, auquel toute modification apportée à cet acte doit ótre également communiquée.

Art. 3. La patente d'agent d'émigration ne peut être délivrée qu'à des personnes qui prouvent: 1. qu'elles jouissent d'une bonne réputation; 2. qu'elles possèdent les ressources et les aptitudes nécessaires pour ce genre d'opérations; 3. qu'elles ont en Suisse un domicile régulier.

Les patentes sont délivrées pour le terme de dix ans «t peuvent toujours être renouvelées, dans le courant de la dernière année, pour une période égale.

L'émolument à payer pour la patente est de fr. 100; il est de fr. 50 pour chaque renouvellement.

Le Conseil fédéral a le droit de retirer une patente pour cause de contravention grave aux dispositions de la présente loi (art. 15, 1er alinéa), ou lorsque les conditions prescrites au premier alinéa de cet article (chiffres 1 à 3) ne sont plus remplies, on enfin lorsque l'agent participe à une entreprise de colonisation contre laquelle le Conseil fédéral a dû mettre en garde.

L'agent qui veut renoncer à sa 'patente doit en faire la déclaration au Conseil fédéral, avec l'indication de l'époque où il cessera de pratiquer ses opérations d'émigration.

Art. 4. Toute agence d'émigration doit verser à la caisse fédérale, en échange de sa patente, un cautionnement de francs 50,000 en obligations d'Etat fédérales ou cantonales.

Ce cautionnement sert de garantie pour les réclamations que les autorités ou les émigrants, ou les créanciers de eeux«i, ont à faire valoir contre l'agent en se fondant-sur la présente loi; il ne peut être rendu qu'une année après l'annu-

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Art. 5. Il est loisible aux agents de se pourvoir de sous-agents.

Ceux-ci doivent posséder les mêmes qualités personnelles que les agents (art. 3, 1er alinéa). Leur nomination doit être portée à la connaissance du Conseil fédéral, ainsi que de l'autorité de police du Canton où ils ont leur domicile.

Le Conseil fédéral a le droit d'exiger qu'un sous-agent qui donne lieu à des plaintes fondées soit immédiatement congédié.

Il est interdit aux agents d'employer comme intermédiaire entre eux et les émigrants d'autres personnes salariées que les sous-agents connus des autorités et contrôlés par elles. Les sons-agents ne peuvent non plus avoir recours aux services de telles personnes.

Art. 6. Les agents sont responsables personnellement, vis-à-vis des autorités et vis-à-vis des ëmigrants, de la gestion de leurs sous-agents, ainsi que de leurs représentants à l'étranger.

Art. 7. Le Conseil fédéral publie de temps à autre les noms des agents et de leurs sous-agents.

Aucune personne autre que celles dont les noms sont ainsi publiés n'est autorisée à faire en Suisse, soit dans les feuilles publiques soit d'une autre manière, des publications quelconques se rapportant à l'expédition d'émigrants.

Art. 8. Les agents ont à tenir un contrôle relié et paginé pour les contrats d'émigration qu'ils passent, ainsi que des copies de lettres reliés et paginés pour leur correspondance. Ils sont tenus de faire au Conseil fédéral les communications réclamées par celui-ci au sujet de ces contrats.

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Cette autorité a en outre le droit, ainsi que l'autorité cantonale de police, de prendre connaissance en tout temps du contrôle et des autres livres et écritures des agents et sous-agents.

Les agents doivent fournir aux autorités de police les renseignements qui leur sont demandés pour la recherche des criminels.

Art. 9. Les agents d'émigration qui sont les représentants, à un titre quelconque, d'une entreprise de colonisation doivent en infcrmerie Conseil fédéral et lui fournir des renseignements complets sur l'entreprise, Art. 10. Il est interdit aux agents d'expédier : 1. les personnes qui, pour cause d'âge avancé, de maladie ou d'infirmité, sont incapable!) de travail, à moins qu'il ne soit prouvé que leur entretien est suffisamment assuré au lieu de destination ; 2. les personnes an-dessous de 18 ans, qui ne sont pas accompagnées de membres adultes de leur famille pu qui n'ont pas leur entretien assuré au lieu de destination ; -- sous réserve en outre du consentement de» parents ou tuteurs; 3. les personnes qui ne peuvent présenter, outre le prix depassage, les ressources nécessaires pour vivre au moins encore un mois au lieu de destination ; 4. les personnes ayant à subir une condamnation pénale pour des crimes qui ne sont pas de nature politique ou en connexité avec des crimes politiques, -- ainsi que les personnes à qui la remise de la peine a été faite sons la condition qu'elles émigrent; 5. les personnes qui ne sont pas munies de papiers, ainsi que les citoyens suisses, tenus au service militaire, qui ne prouvent pas qu'ils sont en règle vis-à-vis de l'Etat.

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Les contrats et les actes de revers de quelque nature que ce soit, conclus dans le but d'expédier des personnes exclues par la loi, sont nuls et non avenus et entraînent des pénalités.

Art. 11. Les obligations de l'agent envers l'émigrant comprennent dans tous les cas: 1. l'expédition sûre des personnes et de leurs bagages jusqu'au lieu de destination indiqué dans le contrat, pour un prix déterminé, fixé an contrat et qui ne peut être élevé en aucun cas et d'aucune manière ; -- sous réserve des chiffres 5 et 6 ci-après; 2. une nourriture et un gîte suffisants, salubres et propres pendant tout le voyage ; -- à moins que l'émigrant ne se soit réservé dans le contrat de se nourrir luimöme pendant le voyage sur terre; 3. le traitement médical gratuit en cas de maladie; 4. un ensevelissement convenable en cas de mort pendant le voyage; 5. l'assurance du bagage moyennant une prime .indiquée dans le contrat et suivant un tarif soumis à l'approbation du Conseil fédéral ; 6. l'assurance en cas de décès de tous les chefs de famille pour la durée du voyage jusqu'au lieu de destination et pour la somme de fr. 500 par tòte ; -- la prime devant être également indiquée dans le contrat et le tarif soumis à l'approbation du Conseil fédéral; 7. l'entretien complet (nourriture et gîte) en cas d'arrôt ou de retard pendant le voyage ; et, pour le cas où les moyens de transport indiqués dans le contrat viendraient à faire défaut ou ne suffiraient pas, la prompte expédition par d'autres moyens de transport qui ne soient pas moins bons que ceux mentionnés au contrat.

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Art. 12. En particulier, les .prescriptions suivantes doivent être observées pour les transports d'émigrants: 1. L'expédition par chemin de fer doit avoir lieu dans des wagons bien fermés et où chaque personne puisse être assise.

2. L'expédition par eau ne peut avoir lieu qxie sur des vaisseaux autorisés pour le transport des émigrants et soumis au lieu de départ à un contrôle effectif de la police quant à leur structure et à leurs installations, et l'émigrant doit avoir l'occasion de formuler ses plaintes éventuelles, immédiatement avant le départ, auprès d'un fonctionnaire public, et d'en faire dresser procès-verbal (voir art. 16, 2 me alinéa).

3. L'émigrant ne doit avoir à payer en route aucune taxe complémentaire, pourboires, taxes d'hospice (Hospitalgelder), etc., l'agent ayant à pourvoir au nécessaire pour toute la durée du voyage, et toutes les prestations devant être comprises dans le prix fixé au contrat.

4. Le prix de passage ne peut canister en tout ou en partie en prestations personnelles.

5. Il est interdit de convenir que l'émigrant pourvoira à sa nourriture pendant le trajet sur mer, mais les aliments doivent lui être fournis complètement préparés avec les ustensiles de table nécessaires.

6. Les agents doivent pourvoir à ce que les émigrants puissent, après l'arrivée au port de débarquement, rester encore 48 heures au moins à bord du vaisseau sans y être troublés, et y reçoivent la nourriture prévue dans le contrat, ou à ce que l'émigrant trouve immédiatement ailleurs gîte et nourriture pendant 48 heures ou continue son voyage.

7. Tout transport d'émigrants devant traverser la mer et comprenant au moins 50 personnes doit être aceom-

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pagne, jusqu'au port d'embarquement, par l'agent ou un sous-agent, qui ne doit pas les quitter avant le départ du vaisseau.

Toutes dispositions contractuelles contraires aux prescriptions des art. 11 et 12 autorisent l'émigrant à rompre le contrat, sans préjudice, dans tous les cas, de l'action en dommages-intérêts contre l'agent.

Art. 13. Les contrats d'émigration doivent être conclus par écrit, en deux exemplaires pareils, l'un remis à l'émigrant, l'autre conservé par l'agent.

Le contrat doit contenir : 1. la dénomination exacte, l'année de naissance, l'origine, le domicile de l'émigrant, ainsi que la route de voyage et le lieu de destination jusqu'auquel l'agent s'engageà l'expédier; 2. l'indication exacte du moment du départ, ainsi que, en cas de transport par vaisseau, l'indication exacte du vaisseau et du jour de départ de celui-ci ; 3. l'indication exacte de la place et de l'espace auxquels l'émignint a droit sur le vaisseau pour les personneset pour les bagages ; 4. l'indication exacte (en lettres et en chiffres) du prix de transport et d'assurance des personnes et des bagages, conformément aux prescriptions de l'art. 11, chiffres 1, 5 et 6; 5. une reproduction textuelle des art. 11 et 12 de cette loij 6. la disposition que, si l'émigrant est empêché, pour cause constatée de maladie, de se mettre en route ou de continuer son voyage, l'agent s'oblige à rembourser les sommes payées pour le transport de l'émigrant et de ceux des siens qui restent avec lui, sous déduction des frais et débours inévitables de l'agent, soit pour la conclusion, soit pour l'exécution partielle du contrat.

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Le Conseil fédéral pourra arrêter une formule obligatoire pour la rédaction des contrats d'émigration.

Art. 14. Les agents sont tenus de donner connaissance de la conclusion de chaque contrat à la Chancellerie d'Etat du Canton où les émigrants ont leur domicile. Cette communication doit être faite au moins 14 jours avant que les émigrants quittent le Canton et doit contenir une indication ·exacte des personnes (noms et prénoms, année de naissance, origine et domicile), ainsi que du but du voyage et du jour ·du départ.

Les agents qui omettent de faire cette communication en temps voulu, ou qui expédient les émigrants avant le jour annoncé, sont punissables conformément à l'art. 15; s'il y a dol on négligence grave de leur part, ils peuvent être rendus responsables de la totalité des dommages qui en résultent pour les créanciers des émigrants.

Art. 15. Les agents qui contreviennent à la présente loi, par leur fait ou celui de leurs sous-agents ou représentants en Suisse ou au dehors, sont passibles d'une amende de fr. 20 à 200 prononcée par le Conseil fédéral, sans préjudice à l'action judiciaire qui peut être intentée par les intéressés. Si les circonstances sont graves, la patente doit en outre être retirée.

Les personnes qui se livrent eu Suisse à des opérations d'émigration sans y être autorisées, ou celles qui leur servent de complices, ainsi que les éditeurs et imprimeurs d'annonces et de publications provenant de personnes non autorisées ou n'ayant pas leur domicile en Suisse, seront déférées, d'office ou sur plainte, aux tribunaux cantonaux et punies d'une amende de fr. 50 à fr. 1000 ; en cas de récidive, d'un emprisonnement qui n'excédera pas six mois.

Art. 16. Les actions en dommages-intérêts des émigrants, ou de leurs ayants droit on créanciers, contre des

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agents doivent être introduites devant les tribunaux cantonaux compétents.

Un procès-verbal, reçu à l'étranger par un Consul suisse ou par un commissaire d'émigration ou par une autre personne compétente d'après les lois du pays pour remplir une telle fonction, sert de preuve, sous réserve de la preuve contraire.

Art. 17. Le Conseil fédéral édicté les règlements né-r cessaires pour l'exécution de la présente loi.

Il a le droit d'interdire : 1. les annonces dans les feuilles publiques ou autres publications quelconques, de nature à induire en erreur les personnes qui veulent émigrer; 2. l'emploi, pour les émigrants, de moyens de transport qui ne répondent pas suffisamment aux dispositions de la présente loi, ou qui donnent lieu à des plaintes fondées.

Art. 18. Le Conseil fédéral exerce la surveillance sur les opérations des agences d'émigration par l'intermédiaire du Département fédéral du Commerce et de l'Agriculture.

A ce dernier est adjoint, à cet effet, un commissaire d'émigration, qui doit se mettre en rapport avec les commissaires institués pour le même but dans les autres Etats, en particulier dans les ports de mer.

Ce commissaire fournit gratuitement, aux personnes qui veulent émigrer, les renseignements, conseils et recommandations nécessaires.

Art. 19. Les dispositions des lois et ordonnances cantonales contraires à la présente loi sont abrogées dès le moment de son entrée en vigueur.

En particulier, aucun Canton ne pourra plus réclamer aux agents d'émigration et à leurs sous-agents, ou aux émiFettille fédérale" suifse. Année XXXI.

Vol. III.

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grants, de cautionnement ou de taxe quelconque en dehors des impôts et émoluments ordinaires résultant de l'établissement.

Art. 20. Le Conseil fédéral est chargé, conformément aux dispositions de la loi du 17 juin 1874 concernant la votation populaire sur les lois et arrêtés fédéraux, de publier la présente loi et de fixer l'époque où elle entrera en vigueur.

Schweizerisches Bundesarchiv, Digitale Amtsdruckschriften Archives fédérales suisses, Publications officielles numérisées Archivio federale svizzero, Pubblicazioni ufficiali digitali

Message du Conseil fédéral à la haute Assemblée fédérale concernant un projet de loi sur les opérations des agences d'émigration. (Du 25 novembre 1879.)

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Bundesblatt

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Feuille fédérale

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Jahr

1879

Année Anno Band

3

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54

Cahier Numero Geschäftsnummer

---

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

06.12.1879

Date Data Seite

851-868

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10 065 541

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