11.025 Message concernant l'initiative populaire «Protection contre le tabagisme passif» du 11 mars 2011

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Protection contre le tabagisme passif» sans contreprojet en leur recommandant de la rejeter.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

11 mars 2011

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Micheline Calmy-Rey La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2010-2683

2623

Condensé Le 18 mai 2010, le comité d'initiative a remis à la Chancellerie fédérale, dans le délai prescrit, les signatures récoltées pour l'initiative populaire fédérale «Protection contre le tabagisme passif». Par décision du 8 juin 2010, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait abouti, avec 116 290 signatures valables.

L'initiative prévoit, d'une part, d'inscrire dans la Constitution la protection contre le tabagisme passif et, d'autre part, d'interdire de fumer dans les espaces fermés qui servent de lieux de travail ainsi que dans les autres espaces fermés accessibles au public, avec quelques exceptions à ce dernier principe. Elle entraîne également une uniformisation des différentes pratiques cantonales actuelles.

En outre, il incomberait au Conseil fédéral d'édicter dans les six mois suivant l'acceptation de l'initiative des dispositions d'application, sous forme d'une ordonnance, qui auraient effet jusqu'à l'entrée en vigueur des lois correspondantes.

Le Conseil fédéral recommande de rejeter l'initiative, à laquelle il n'oppose pas de contre-projet. Il estime que la législation actuelle est suffisante pour assurer une protection de la santé des travailleurs et de la population. D'autre part, l'initiative risque de conduire à des modifications successives de la pratique actuelle, ce qui n'est pas souhaitable. Aussi vaut-il mieux, avant d'envisager une modification de la législation en vigueur, tirer d'abord les enseignements de la pratique qui prévaut actuellement et qui semble d'ores et déjà s'être traduite par de nombreux effets positifs.

2624

Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Texte de l'initiative

L'initiative populaire fédérale «Protection contre le tabagisme passif» a la teneur suivante: I La Constitution1 est modifiée comme suit: Art. 118a (nouveau)

Protection contre le tabagisme passif

1

La Confédération légifère pour protéger l'être humain contre le tabagisme passif.

2

Il est interdit de fumer dans les espaces fermés qui servent de lieu de travail.

Il est en principe interdit de fumer dans les autres espaces fermés qui sont accessibles au public; la loi fixe les exceptions. Sont notamment considérés comme accessibles au public les espaces fermés:

3

a.

des établissements de restauration et d'hôtellerie;

b.

des bâtiments et des véhicules de transports publics;

c.

des bâtiments servant à la formation, au sport, à la culture ou aux loisirs;

d.

des bâtiments relevant des domaines de la santé, du social et de l'exécution des peines.

II Les dispositions transitoires de la Constitution sont modifiées comme suit: Art. 197, ch. 8 (nouveau) 8. Disposition transitoire ad art. 118a (Protection contre le tabagisme passif) Le Conseil fédéral édicte les dispositions d'application de l'art. 118a, al. 2 et 3, sous la forme d'une ordonnance six mois au plus tard après l'acceptation de l'art. 118a par le peuple et les cantons; ces dispositions ont effet jusqu'à l'entrée en vigueur des lois correspondantes.

1

RS 101

2625

1.2

Aboutissement et délais de traitement

L'initiative populaire fédérale «Protection contre le tabagisme passif» a fait l'objet d'un examen préliminaire par la Chancellerie fédérale le 5 mai 20092 et a été déposée le 18 mai 2010 munie des signatures nécessaires.

Par décision du 8 juin 2010, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative populaire, pourvue de 116 290 signatures valables, avait abouti sur le plan formel3.

L'initiative est présentée sous la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral ne lui oppose pas de contre-projet. Aux termes de l'art. 97, al. 1, let. a, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)4, le Conseil fédéral a jusqu'au 18 mai 2011 pour soumettre un projet d'arrêté fédéral accompagné d'un message au Parlement. Conformément à l'art. 100 LParl, l'Assemblée fédérale doit statuer sur l'initiative populaire fédérale «Protection contre le tabagisme passif» d'ici au 18 novembre 2012.

1.3

Validité

L'initiative remplit les critères de validité fixés à l'art. 139, al. 3, de la Constitution (Cst.): ­

elle est présentée sous forme d'un projet entièrement rédigé et elle respecte le principe de l'unité de la forme;

­

les différentes parties de l'initiative présentent un lien objectif entre elles. Le principe de l'unité de la matière est donc lui aussi respecté;

­

l'initiative ne porte atteinte à aucune règle impérative du droit international.

Elle remplit ainsi le critère de la compatibilité avec le droit international.

L'initiative doit donc être déclarée valable.

2

Contexte

Le 9 juillet 2002, la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national (CER-N) a déposé un postulat (02.3379) invitant le Conseil fédéral à étudier la possibilité d'édicter des directives contraignantes pour la protection des nonfumeurs, en se fondant sur l'art. 118 Cst. Suite à l'adoption de ce postulat par le Conseil national, le Conseil fédéral a fait établir un rapport qu'il a approuvé le 10 mars 20065.

Parallèlement, le 8 octobre 2004, le conseiller national Felix Gutzwiller a déposé une initiative parlementaire visant à protéger la population et l'économie contre les effets nocifs et limitatifs du tabagisme passif. Convaincues de la nécessité d'une réponse législative à ce problème, les deux Commissions de la sécurité sociale et de la santé publique l'ont acceptée. La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) a tout d'abord élaboré un projet de révision 2 3 4 5

FF 2009 2933 FF 2010 3788 RS 171.10 FF 2006 3547

2626

de la loi du 13 mars 1964 sur le travail (LTr)6. Après consultation des cantons, des partis et des autres milieux intéressés, la CSSS-N a abandonné ce projet de révision de la LTr pour rédiger le projet d'une nouvelle loi consacrée spécifiquement à la protection contre le tabagisme passif7. Faisant suite à des débats parlementaires intenses qui se sont prolongés jusqu'en conférence de conciliation et qui ont donné lieu à des votes très serrés, la loi fédérale sur la protection contre le tabagisme passif a été adoptée le 3 octobre 20088. Aucun référendum n'a été lancé contre elle. Sur la base de cette loi, le Conseil fédéral a édicté le 28 octobre 2009 l'ordonnance concernant le tabagisme passif (OPTP)9 et fixé son entrée en vigueur au 1er mai 2010.

2.1

Réglementation fédérale

La législation fédérale prévoit l'interdiction de fumer dans les espaces fermés accessibles au public ou qui servent de lieu de travail à plusieurs personnes. Cette interdiction n'est pas absolue puisque l'exploitant ou la personne responsable du règlement de maison peut autoriser à fumer dans des locaux spécialement aménagés (fumoirs) dans lesquels aucun employé ne travaille10, pour autant qu'ils soient isolés des autres espaces, désignés comme tels et dotés d'une ventilation adéquate. Certaines exceptions supplémentaires ont été introduites. Ainsi, une autorisation d'établissement fumeurs est octroyée sur demande aux établissements de restauration qui remplissent les conditions suivantes: a.

ils disposent d'une surface accessible au public égale ou inférieure à 80 m2;

b.

ils disposent d'une ventilation adéquate et sont clairement reconnaissables de l'extérieur comme des établissements fumeurs;

c.

ils n'emploient que des personnes ayant donné leur consentement par écrit pour travailler dans ces établissements.

Concernant les fumoirs des établissements de restauration et d'hôtellerie, cette dernière condition est également valable.

Enfin, la loi fédérale du 3 octobre 2008 sur la protection contre le tabagisme passif prévoit que les cantons peuvent édicter des dispositions plus strictes afin d'améliorer la protection de la santé.

2.2

Réglementations et pratiques cantonales

Les cantons n'ont pas attendu la législation fédérale pour réglementer la protection contre le tabagisme passif. En Suisse, le canton du Tessin a été le pionnier en la matière. La loi tessinoise sur les établissements publics, acceptée le 12 mars 2006 par 79 % des votants, prévoit une interdiction de fumer avec possibilité de créer des fumoirs séparés. D'autres cantons ont accepté des initiatives populaires ou édicté des

6 7 8 9 10

RS 822.11 FF 2007 5873 RS 818.31 RS 818.311 A l'exception des établissements de restauration et d'hôtellerie, cf. art. 2, al. 2, de la loi fédérale du 3 octobre 2008 sur la protection contre le tabagisme passif.

2627

dispositions avant que la loi fédérale ne soit adoptée: AR, BE, BS, FR, GE, GR, NW, SG, SH, SO, UR, VS, ZH.

Par rapport à la loi fédérale qui permet aux cantons d'édicter des dispositions plus strictes pour la protection de la santé (art. 4), la situation actuelle dans le domaine de la restauration est la suivante: ­

huit cantons et demi-cantons (BL, BS, FR, GE, NE, SG, VD et VS, correspondant à 36 % de la population suisse) possèdent une réglementation cantonale interdisant les établissements de restauration fumeurs et le service dans les fumoirs;

­

sept cantons et demi-cantons (AR, BE, GR, SO, UR, TI et ZH, soit 41 % de la population) connaissent une interdiction des établissements de restauration fumeurs mais autorisent le service dans les fumoirs;

­

onze cantons et demi-cantons (AG, AI, GL, JU, LU, NW, OW, SH, SZ, TG et ZG, soit 23 % de la population) s'en tiennent aux exigences minimales de la loi fédérale en autorisant les établissements de restauration fumeurs jusqu'à 80 m2 ainsi que le service dans les fumoirs.

Des différences cantonales existent également dans l'application du droit fédéral. Ce dernier ne définissant pas les notions de «lieux fermés» (par ex. terrasses et jardins d'hiver) et de «ventilation adéquate» (par ex. normes de ventilation), les cantons disposent d'une grande marge d'interprétation. Concernant par exemple l'exigence d'une «ventilation adéquate», certains cantons considèrent qu'une fenêtre suffit à garantir une aération adéquate, alors que d'autres se réfèrent aux normes définies par les associations professionnelles de la branche, lesquelles prévoient une ventilation mécanique et des valeurs minimales pour les quantités d'air frais à apporter. L'interprétation relative aux conditions permettant de créer des clubs «privés» de fumeurs a donné lieu, à Bâle-Ville notamment, à des difficultés d'application de la législation.

Des procédures en cours, y compris sur le plan judiciaire, devraient permettre de clarifier la situation.

2.3

Situation à l'étranger

La plupart des pays ont légiféré afin de protéger les citoyens et plus particulièrement les travailleurs contre le tabagisme passif. En Europe, l'Irlande a montré la voie en devenant dès le 29 mars 2004 le premier pays européen à bannir la fumée des lieux fermés, aucun fumoir ne pouvant être installé, ni dans les lieux publics, ni sur les lieux de travail. Parmi nos voisins, la France a introduit une interdiction similaire, mais avec la possibilité de prévoir des fumoirs sans service. L'Italie, l'Autriche et les Länder allemands ont également introduit des interdictions de fumer, le service restant cependant possible dans les fumoirs de la restauration et de l'hôtellerie. En Autriche et dans presque tous les Länder allemands, des exceptions à l'interdiction de fumer sont prévues pour les établissements de la restauration qui sont de taille réduite ou qui ne proposent pas de repas. Le Land de Bavière constitue à ce titre une exception notable: depuis la votation populaire du 4 juillet 2010, l'interdiction de fumer dans les bars, cafés et restaurants est générale, sans possibilité d'installer des fumoirs.

2628

2.4

Lacunes de la réglementation fédérale

La législation fédérale ayant pour objectif de protéger la population et les travailleurs contre le tabagisme passif et ses effets, la protection du public est incomplète dans la mesure où, dans la gastronomie, des restaurants fumeurs peuvent être maintenus. Dans les villages ne comptant qu'un seul établissement public, les clients n'ont parfois d'autre choix que de fréquenter l'établissement fumeurs existant.

La protection des travailleurs est elle aussi incomplète. On ne peut pas exclure que certains employés se voient refuser un engagement au motif qu'ils ne sont pas prêts à accepter de travailler dans un local enfumé. De plus, puisque les locaux non accessibles au public où ne travaille qu'un seul employé sont exclus du champ d'application de la loi, une personne travaillant seule dans un club de fumeurs privé peut être exposée à la fumée ambiante sans avoir à donner son accord.

Comme nous l'avons relevé au ch. 2.2, des incertitudes concernant des notions de base conduisent les cantons à interpréter ces dernières de manières très diverses.

Néanmoins, et même si peu de temps s'est écoulé depuis l'entrée en vigueur de la loi, il apparaît que l'application du droit actuel s'effectue globalement de façon satisfaisante et que la protection de la santé de la majeure partie des employés est assurée.

2.5

Contexte pour les auteurs de l'initiative

Les auteurs de l'initiative font valoir que la fumée ambiante renferme de nombreuses substances toxiques, y compris 50 substances connues pour leur potentiel cancérogène, et que, comme le mentionne le rapport du Conseil fédéral du 10 mars 2006 sur la protection contre le tabagisme passif11, il n'y a pas de niveau d'exposition à la fumée du tabac qui soit inoffensif. Une exposition régulière à la fumée ambiante peut provoquer des inflammations des voies respiratoires, de l'asthme, des cancers et des maladies cardio-vasculaires (infarctus du myocarde, attaque cérébrale). De plus, le tabagisme passif est l'une des causes les plus importantes de la mort subite du nourrisson. Chez les fumeurs aussi, l'exposition au tabagisme passif s'accompagne d'une augmentation des maladies et des décès.

L'étude «Gesundheitskosten des Passivrauchens in der Schweiz»12 a montré qu'en Suisse, le tabagisme passif dans les lieux publics et sur les lieux de travail cause chaque année 70 000 journées d'hospitalisation et la perte de 3000 années de vie (chiffres de 2006). En particulier, 233 décès et 179 naissances prématurées lui seraient imputables. Cela correspond à un coût social total estimé à 418 millions de francs, dont 252 millions de francs pour les traitements médicaux.

11 12

FF 2006 3547 Hauri D., Lieb C., Kooijman C., Wenk S., van Nieuwkoop R., Sommer H., Röösli M., novembre 2009, rapport pour le Fonds de prévention du tabagisme, Office fédéral de la santé publique.

2629

Bien qu'ayant fortement régressé ces dernières années ­ la part des personnes exposées au tabagisme passif pendant au moins une heure par jour est passée en Suisse de 35 % à 15 % entre 2002 et 200913 ­ le nombre de personnes exposées est encore très élevé14. En particulier dans la restauration et l'hôtellerie, plusieurs milliers d'employés continueraient selon les auteurs de l'initiative à être exposés quotidiennement sur leur place de travail, sans possibilité réelle d'y échapper.

Les auteurs de l'initiative font remarquer que la seule solution économique et facilement praticable pour éviter ce risque sanitaire consiste à ne pas fumer dans les lieux fermés, cette solution simple s'étant avérée efficace, acceptée et réalisable dans de nombreux autres pays.

La législation actuelle conduit à des pratiques différentes dans les cantons, ce que regrettent une grande partie tant des partisans que des opposants à une interdiction de fumer dans les établissements publics.

La solution proposée par les auteurs de l'initiative est une proposition matériellement quasi-identique au projet de loi de 2007 sur la protection contre le tabagisme passif soutenu par la majorité de la CSSS-N15 et qui avait obtenu le soutien du Conseil fédéral16.

3

Buts et teneur de l'initiative

3.1

Buts de l'initiative

Le but principal de l'initiative populaire «Protection contre le tabagisme passif» est l'amélioration de la protection contre l'exposition au tabagisme passif de la population et des travailleurs. Parallèlement, les auteurs poursuivent d'autres objectifs, secondaires: unification de la réglementation au niveau national, abolition des inégalités entre établissements de restauration de tailles différentes, clarification des dispositions d'application, diminution de la consommation de tabac ainsi que des coûts résultant des maladies induites par le tabagisme passif et des abus (chaînes d'établissements publics convertis en «clubs fumeurs privés»).

3.2

Réglementation prévue par l'initiative

L'initiative vise à renforcer la protection contre le tabagisme passif en réglementant de manière plus stricte que la loi fédérale du 3 octobre 2008 sur la protection contre le tabagisme passif en vigueur les points suivants: ­

13

14 15 16

Il sera interdit de fumer dans les espaces fermés qui servent de lieu de travail. Cela englobera donc également toutes les places de travail individuelles. Il demeurera cependant possible de fumer dans les ménages privés et à

Radkte T., Keller R., Krebs H., Hornung R., septembre 2010, Passivrauchen in der Schweizer Bevölkerung 2009. Tabakmonitoring ­ Schweizerische Umfrage zum Tabakkonsum, Institut de psychologie de l'Université de Zurich.

Selon le Programme national tabac 2008­2012 adopté par le Conseil fédéral, l'objectif est de diminuer cette proportion à 5 %.

FF 2007 5873 FF 2007 5877

2630

l'extérieur. La réglementation actuelle autorise la fumée dans les espaces fermés non accessibles au public où ne travaille qu'une seule personne.

­

Il sera en principe interdit de fumer dans les autres espaces fermés qui sont accessibles au public. Tout établissement de restauration deviendra dorénavant non-fumeurs. La loi fixera les exceptions, par exemple celle de créer un fumoir en respectant certaines conditions (ventilation suffisante, pas de service). La loi en vigueur autorise les établissements de restauration d'une surface maximum de 80 m2 à fonctionner comme établissements fumeurs en obtenant une autorisation cantonale.

­

L'initiative prévoit l'interdiction du service dans les fumoirs. Elle tend par cette mesure à une meilleure protection de la santé du personnel de la restauration et de l'hôtellerie. Les fumoirs avec service sont actuellement permis dans le domaine de la restauration et de l'hôtellerie.

­

L'initiative tend à uniformiser la législation sur tout le territoire suisse et à éviter les distorsions de concurrence entre les établissements de restauration.

Les cantons ont actuellement la possibilité de légiférer de manière plus restrictive que la loi fédérale sur la protection contre le tabagisme passif (cf.

ch. 2.2 pour un rappel de la situation).

­

L'initiative prévoit également l'introduction dans la Constitution d'une disposition transitoire comportant une délégation de compétence au Conseil fédéral afin qu'il édicte les dispositions d'application nécessaires sous la forme d'une ordonnance au plus tard six mois après l'acceptation de l'initiative.

3.3

Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

En principe, il convient de se fonder sur la lettre d'une initiative populaire pour l'interpréter et non sur les intentions subjectives de ses auteurs. Le texte d'accompagnement, s'il existe, et les déclarations des auteurs peuvent toutefois être pris en compte. De même, les circonstances qui ont mené à sa conception peuvent jouer un rôle. Quant à l'analyse littérale du texte, il y a lieu de suivre les règles reconnues de l'interprétation.

Dans le cas d'espèce, il n'existe pas à proprement parler de texte d'accompagnement. La documentation publiée par les auteurs de l'initiative sur leur site Internet17 a cependant été prise en considération.

Le texte de l'initiative se subdivise en un article constitutionnel et une disposition transitoire qui seront examinés ci-dessous: ­

17

A titre préliminaire, il est nécessaire de préciser qu'entre le moment du dépôt de l'initiative et celui de la publication du présent message deux nouvelles dispositions ont été introduites dans la Constitution (art. 118a ­ Médecines complémentaires et art. 118b ­ Recherche sur l'être humain) et que si la présente initiative devait être adoptée par le peuple, il faudrait vraisemblablement adapter la numérotation en conséquence;

www.rauchfrei-ja.ch

2631

­

L'al. 1 du texte de l'initiative prévoit que la Confédération légifère pour protéger l'être humain contre le tabagisme passif. Bien que la Confédération ait déjà édicté des dispositions dans ce domaine en se fondant sur les art. 110 al. 1, let. a, et 118, al. 2, let. b, Cst., qui constituent ici une base constitutionnelle suffisante, les auteurs de l'initiative souhaitent inscrire expressément cette compétence dans la Constitution.

Or, faire figurer de manière explicite cette compétence dans la Constitution, limiterait la compétence des cantons d'édicter leur propre législation en la matière. En effet, selon l'art. 3 Cst., les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n'est pas limitée par la Constitution et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération.

L'initiative vise une application uniforme de la législation fédérale sur l'ensemble du territoire et la suppression des différences cantonales.

Il convient par ailleurs de rappeler que la Constitution a pour fonction notamment de définir l'organisation et la structure de l'Etat, de fixer la répartition des compétences entre les pouvoirs et organes publics et de poser des principes: elle n'a pas à réglementer toute matière de manière exhaustive. Si l'initiative était acceptée, cela aurait pour conséquence d'alourdir inutilement la Constitution dans un domaine trop spécifique.

­

L'al. 2 prévoit qu'il est interdit de fumer dans les espaces fermés qui servent de lieux de travail.

Le but de cette mesure est de renforcer la protection de la santé de tous les travailleurs, quelle que soit leur profession, pour autant qu'ils travaillent dans un espace fermé. Cette mesure a deux composantes: La première concerne les lieux de travail. Du moment que l'on se trouve dans un espace fermé, cette interdiction s'applique à toute place de travail, qu'elle soit individuelle ou collective, liée à un emploi fixe ou temporaire, au sein ou à l'extérieur de l'entreprise. La nouveauté par rapport à la législation actuelle est qu'il ne sera plus permis non plus de fumer sur une place de travail individuelle. Quant à la possibilité de créer un fumoir au sein d'une entreprise, elle n'a été évoquée ni par l'initiative ni par ses auteurs. Cependant, au vu des considérants exposés par ces derniers concernant les fumoirs dans les prisons, les établissements médicaux sociaux (EMS) ou encore les hôpitaux, on interprétera la volonté des auteurs comme allant dans le même sens, soit qu'il sera possible de créer un fumoir séparé à condition qu'il ne constitue pas un lieu de travail. Au demeurant, il sera toujours possible de fumer sur une place de travail en plein air (par ex. chantier).

La seconde concerne les espaces fermés. Ils peuvent toujours servir de fumoirs, à condition que personne n'y travaille (par ex. fumoir sans service dans un établissement de restauration). Les auteurs de l'initiative conservent la possibilité d'installer un fumoir dans les maisons pour personnes âgées, les prisons ou les hôpitaux, toujours à la condition que personne n'y travaille. Ainsi, ils semblent vouloir interdire totalement la fumée dans ces lieux, à l'exception des fumoirs. Cela causerait des atteintes aux droits fondamentaux des personnes, en particulier à la protection de la sphère privée, voire à la liberté personnelle et à la protection du domicile. Dans le cas d'une cellule par exemple, lieu qui est considéré comme un substitut de

2632

domicile, l'interdiction totale de fumer à l'intérieur de la cellule toucherait à la sphère privée des détenus fumeurs. Il en va de même pour le patient d'un hôpital ou le pensionnaire d'un EMS qui séjourne durablement dans une de ces institutions et qui est empêché de se rendre à l'extérieur en raison de son traitement ou de son état de santé. Avec une pareille interdiction, ces patients seraient totalement empêchés de fumer. La chambre de ce type de patients ayant un caractère privatif très marqué, l'atteinte à leur liberté personnelle, plus particulièrement à leur sphère privée, serait donc importante, sans qu'un intérêt prépondérant contraire ne la justifie18.

Toujours selon les auteurs de l'initiative, il reste également permis de fumer dans les chambres d'hôtel, dans la mesure où l'exploitant l'autorise. Les chambres d'hôtel ne sont ni des espaces publics, ni des lieux de travail permanents et ont de surcroît un caractère privatif très marqué. Il est bien évidemment toujours autorisé de fumer dans les ménages privés.

En résumé, la règle prévue à l'al. 2 instaure l'interdiction de fumer sur les places de travail individuelles. Elle entraîne également qu'un employé de la restauration ou de l'hôtellerie ne pourra plus accepter de travailler dans un établissement fumeurs ou un fumoir contrairement à ce qui est aujourd'hui possible; ­

L'al. 3 prévoit qu'il est en principe interdit de fumer dans les espaces fermés qui sont accessibles au public, la loi fixant les exceptions. Sont notamment accessibles au public les espaces fermés des établissements de restauration et d'hôtellerie, des bâtiments et des véhicules de transports publics, des bâtiments servant à la formation, au sport, à la culture ou aux loisirs et des bâtiments relevant des domaines de la santé, du social et de l'exécution des peines. La principale différence par rapport à la législation actuelle est qu'il sera également interdit de fumer dans les établissements de restauration d'une surface inférieure ou égale à 80 m2, même s'ils possèdent une ventilation adéquate.

L'initiative précise que la loi fixe les exceptions. Il sera ainsi toujours possible de créer des espaces fumeurs, à condition qu'ils respectent les exigences techniques requises (par ex. en matière de ventilation) et que le service n'y soit pas autorisé (cf. ch. 3.2).

Pour le surplus, l'al. 3 ne fait que confirmer la législation existante. Le mot «notamment» précise que la liste des espaces fermés accessibles au public visés à cet alinéa n'est pas exhaustive. Le Conseil fédéral devra toutefois rapidement élaborer des dispositions d'exécution et fixer les exceptions.

Afin d'être conformes à la Constitution, ces dispositions devront respecter les droits fondamentaux de différentes catégories de personnes (par ex. détenus, personnes placées en institution, personnes séjournant durablement dans un établissement de soins ou de séjour).

18

Voir aussi: arrêt du Tribunal fédéral 133 I 110 et l'avis de droit du 7 avril 2006 intitulé «La validité de l'initiative populaire 129 » de Vincent Martenet, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Lausanne.

2633

­

A son ch. II, l'initiative prévoit d'introduire dans la Constitution une nouvelle disposition transitoire (art. 197, ch. 8) qui permettra au Conseil fédéral d'édicter des dispositions d'application de l'art. 118a, al. 2 et 319, sous la forme d'une ordonnance six mois au plus tard après l'acceptation de l'art. 118a par le peuple et les cantons; ces dispositions auront effet jusqu'à l'entrée en vigueur des lois correspondantes. Bien que l'initiative soit valide d'un point de vue strictement formel, force est de constater que l'acceptation de cette dernière entraînerait de sérieuses difficultés matérielles d'application en obligeant le Conseil fédéral à élaborer dans des délais extrêmement serrés et en dehors des procédures habituelles le droit d'exécution jugé adéquat en vertu uniquement des nouvelles dispositions de la Constitution.

4

Appréciation de l'initiative

4.1

Appréciation des buts de l'initiative

L'initiative pour la protection contre le tabagisme passif va dans le même sens que le projet de loi de la CSSS-N qui avait été soutenu par le Conseil fédéral le 22 août 200720. Le Conseil fédéral n'en recommande pas moins de la rejeter sans lui opposer de contre-projet. Sans avoir changé d'avis depuis 2007 sur la question de principe, le Conseil fédéral tient à respecter la volonté du Parlement qui a adopté récemment une législation en la matière. De plus, la population a adhéré à la solution préconisée par le Parlement du fait qu'aucun référendum n'a été lancé à l'encontre de cette loi. Les expériences réalisées depuis l'entrée en vigueur de la loi fédérale du 3 octobre 2008 sur la protection contre le tabagisme passif sont globalement positives et ne justifient pas une révision aussi précoce de la législation.

4.2

Conséquences en cas d'acceptation

L'acceptation de l'initiative entraînerait une harmonisation du droit fédéral et par conséquent une application uniforme dans les cantons.

Néanmoins, en dehors de la restauration et de l'hôtellerie, les conséquences d'une acceptation seront très limitées car la grande majorité des places de travail sont déjà sans fumée. Dans la restauration et l'hôtellerie, seule la pratique des cantons ne disposant pas déjà d'une protection plus étendue devra être modifiée; ceci concernera 18 cantons et demi-cantons. Inversement, certains cantons pourraient être amenés à abaisser leur niveau de protection, notamment si la loi fédérale révisée ne devait pas reprendre leurs dispositions en matière de normes de ventilation.

Pour les cantons et la Confédération, l'acceptation de l'initiative ne devrait pas avoir de conséquences financières dans la mesure où elle se traduirait par une adaptation de la loi actuelle. Certaines tâches administratives (examen en vue d'autoriser l'exploitation d'un restaurant fumeurs, contrôle de l'accord des employés servant dans un fumoir ou dans un établissement fumeurs) deviendront superflues. Par contre, le Conseil fédéral devra édicter des dispositions transitoires entraînant 19 20

Le numéro de cet article devrait être adapté, celui-ci deviendra vraisemblablement l'art. 118c Cst.

FF 2007 5877

2634

momentanément une charge de travail supplémentaire pour l'administration fédérale, entièrement couverte par les crédits et ressources existants. Pour les cantons, on peut globalement compter sur une diminution de leurs tâches administratives.

Enfin, une acceptation de l'initiative ne devrait avoir d'impact notable ni sur les revenus, ni sur l'emploi. Une étude analysant les chiffres d'affaires déclarés aux autorités fiscales par les établissements de restauration du Tessin21 a montré que l'interdiction de fumer n'a pas eu d'influence sur le chiffre d'affaires des restaurants.

Concernant les bars, le chiffre d'affaires annuel a chuté de 2,3 % pendant l'année où l'interdiction de fumer est entrée en vigueur, puis il est remonté de 4,7 % l'année d'après. Pour les discothèques, les auteurs de l'étude ont certes observé une baisse du chiffre d'affaires plus importante, mais celle-ci reste difficile à interpréter22.

4.3

Mérites et lacunes de l'initiative

La solution proposée par les auteurs de l'initiative présente certains avantages.

D'abord, elle permettrait effectivement de protéger l'ensemble de la population contre le tabagisme passif, tout en ménageant la possibilité de proposer des locaux aux fumeurs. Elle protégerait également les employés travaillant dans la restauration et l'hôtellerie qui sont fortement et quotidiennement exposés à la fumée de tabac ambiante. Elle créerait aussi des conditions-cadres identiques pour tous: abolition du traitement préférentiel des établissements publics dont la surface ne dépasse pas 80 m2, suppression du risque pour un postulant de se voir refuser un emploi dans la restauration ou l'hôtellerie s'il n'accepte pas d'être exposé à la fumée ambiante.

Cette initiative est néanmoins disproportionnée et prématurée. La grande majorité de la population et des employés étant déjà bien protégée par la réglementation actuelle, l'initiative n'aurait d'impact que sur un nombre très restreint de personnes. Cette initiative est imprécise dans la mesure où elle n'aborde pas la question des lieux de résidence prolongée, qui peuvent être considérés comme des substituts de domicile et qui ont un caractère privatif très marqué (par ex.: prison, EMS, hôpital). Dès lors, une éventuelle mise en oeuvre de l'initiative devrait alors être concrétisée de manière conforme aux droits fondamentaux et adaptée à la pratique. L'initiative présente également un caractère excessif en interdisant également de fumer dans un bureau individuel non accessible au public.

Formellement, l'initiative introduirait dans la Constitution des nouvelles dispositions alors même que les objectifs visés par les auteurs peuvent être obtenus par une révision de la loi et de l'ordonnance en vigueur. De plus, l'initiative prévoit que le Conseil fédéral édicte une ordonnance d'application dans les six mois après l'acceptation de l'initiative, mais avant la révision de la loi par le Parlement. Une telle procédure, inhabituelle, risquerait de conduire à deux modifications successives de la pratique en matière de protection contre le tabagisme et n'est pas souhaitable.

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Schulz T., Hartung U.:«Einfluss des Rauchverbots auf die Gastronomieumsätze im Tessin: Evidenz aus der Umsatzsteuer-Statistik der Eidgenössischen Steuerverwaltung.» (rapport établi en 2010 sur mandat du Fonds de prévention du tabagisme).

Par rapport au chiffre d'affaires réalisé en 2006 et arbitrairement fixé à 100, les chiffres d'affaires équivalaient à 84,6 points en 2005, à 78,4 points en 2007, et à 82,8 points en 2008. Au Tessin, l'interdiction de fumer est entrée en vigueur le 12 avril 2007.

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D'un point de vue politique, il apparaît prématuré et difficile de modifier déjà maintenant une loi rédigée par le Parlement et qui n'est en vigueur que depuis le 1er mai 2010, d'autant plus que son application dans les cantons ne semble pas causer de difficultés majeures.

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Conclusions

Bien que l'initiative s'attaque à un problème de santé publique réel en préconisant une solution visant à protéger l'ensemble de la population et des travailleurs contre le tabagisme passif, le Conseil fédéral considère qu'une large majorité de la population et des travailleurs est déjà protégée. La législation actuelle ayant atteint ses objectifs de prévention, il n'est pas nécessaire de prévoir déjà maintenant une protection plus étendue contre le tabagisme passif. Le Conseil fédéral respecte la volonté du Parlement, dont la loi sur la protection contre le tabagisme passif est entrée en vigueur le 1er mai 2010. Il préconise donc de continuer d'accumuler des expériences pratiques dans les cantons et d'attendre d'avoir suffisamment de recul pour évaluer un éventuel besoin de révision de la législation. Pour ces raisons, il propose de rejeter l'initiative «Protection contre le tabagisme passif» sans lui opposer de contreprojet.

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